Fiche du document numéro 21191

Num
21191
Date
Vendredi 22 décembre 2000
Amj
Auteur
Taille
128824
Titre
Les dollars africains du fils Mitterrand
Soustitre
Jean-Christophe, alias « Papamadit », a été écroué hier soir.
Nom cité
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Lieu cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Les présidents africains l'avaient surnommé « Papamadit ». Jean-Christophe Mitterrand, fils aîné de l'ancien président de la République et ancien patron de la cellule Afrique de l'Elysée, a été mis en examen hier soir pour « trafic d'influence, complicité de trafic d'armes et recel d'abus de biens sociaux » et écroué. Il avait été placé en garde à vue dans l'après-midi par les juges Philippe Courroye et Isabelle Prevost-Desprez, qui instruisent l'affaire des trafics d'armes de la société française Brenco. Il aurait reçu des fonds de Brenco, via son PDG Pierre Falcone, à hauteur de 1,8 million de dollars (environ 10 millions de francs) entre 1993 et 1998. Le fils de Mitterrand a expliqué avoir fait transiter par Brenco des commissions qui lui étaient versées sur des marchés pétroliers, notamment un versement de 700 000 dollars (5 millions de francs environ) sur un compte suisse.

Deux réseaux. Les dossiers et disquettes informatiques saisis chez Falcone et ses collaborateurs n'en finissent pas de « parler ». Ils révèlent l'étroite collaboration africaine des réseaux d'influence socialistes, longtemps incarnés par Jean-Christophe Mitterrand, avec ceux de l'ancien ministre de l'Intérieur Charles Pasqua. Cette alliance s'était instituée ambassadrice des sociétés françaises comme Elf-Aquitaine ­ qui a couvé en son sein les deux réseaux. Qu'on parle pétrole ou fourniture d'armes aux autorités, des intermédiaires, tels Pierre Falcone, venaient tendre la sébile. L'homme d'affaires, mis en examen le 1er décembre pour « commerce illicite d'armes, fraude fiscale, abus de confiance et trafic d'influence », était à la croisée des chemins. Un autre bénéficiaire inattendu des largesses du marchand d'armes est apparu, hier, en la personne de Paul-Loup Sulitzer, l'auteur de best-sellers, qui a été aussi placé en garde à vue. Il aurait reçu 2 millions de francs de Falcone et aurait, de surcroît, mis son grain de sel dans une vente de matériel militaire ­ des camions russes ­ au Congo en 1995, à travers une proche du président Pascal Lissouba.

Déjà entendu comme témoin, le 1er décembre, après la perquisition de son domicile, Jean-Christophe Mitterrand a nié avoir joué un rôle dans les marchés d'armes qui intéressent les juges. Le plus important d'entre eux a été conclu en Angola, en 1993. Suivi d'un avenant, il porte sur 500 millions de dollars (3,6 milliards de francs environ) d'équipement militaire russe, allant des avions de combat aux lance-roquettes, fournis par l'homme d'affaires russe Arcadi Gaydamak. Le contrat, découvert par le fisc, était l'un des volets des accords passés par le préfet Jean-Charles Marchiani avec le président angolais Dos Santos, après le retour de Charles Pasqua au ministère de l'Intérieur.

Papamadit a nié et pourtant... Selon les enquêteurs, il aurait lui-même informé Falcone, et les hommes de Pasqua, des demandes angolaises en matériel militaire, payables en pétrole. Jean-Christophe Mitterrand explique qu'il a rencontré le marchand d'armes pour la première fois en août 1992, dans la résidence de Pierre Falcone père, à Scottsdale, en Arizona. Interrogé par Libération la semaine dernière, il indiquait n'avoir « jamais négocié » de marchés avec l'Angola, ou avec Falcone. Des photos prises à Scottsdale, récupérées par les enquêteurs chez Falcone, témoignent de la relation « très amicale » de Mitterrand avec le sulfureux homme d'affaires.

Correspondant de l'AFP en Mauritanie et au Togo dans sa jeunesse, Papamadit, 54 ans, fait son entrée à l'Elysée en 1982, pour assister Guy Penne, alors conseiller aux affaires africaines. Documentaliste, Jean-Christophe gagne assez vite ses galons de fils du Président en Afrique. Faute d'être un Jacques Foccart ­ légendaire conseiller Afrique des gaullistes, il jouera la naïveté et trouvera une place toute particulière, un rien clownesque. En mars 1985, Omar Bongo le fait entrer dans une société minière gabonaise. A l'automne 1986, Papamadit prend la tête de la cellule africaine, qu'il quittera à l'été 1992. Les « affaires » se succèdent pendant six ans. En 1988 et 1989, son entourage apparaît dans une société de communication, Adefi, qui collectionne les marchés au Cameroun, au Congo et en Côte-d'Ivoire. En 1989, l'un de ses amis se fait remarquer dans l'achat, par le groupe Sucre et Denrées, de 400 000 tonnes de cacao à la Côte-d'Ivoire, moyennant un prêt accordé par la France. Un autre ami achète du charbon à l'Afrique du Sud, pourtant sous embargo. La même année, l'affaire des 50 Mistral commandés par le Congo, mais destinés à l'Afrique du Sud, place la cellule africaine de l'Elysée en mauvaise posture. On en oublie.

Ordre présidentiel. Quand il quitte ses fonctions à l'Elysée, l'année de sa rencontre avec Falcone, Papamadit est récupéré par Elf-Aquitaine sur ordre présidentiel. L'équipe de Le Floch-Prigent le place en qualité de consultant dans le Centre de recherche économie et société (Cres), qu'elle est en train de créer à Genève. Papamadit effectue pour le Cres quelques missions en Russie. Mais, dès 1992, il est embauché par la Compagnie générale des eaux, comme « conseiller au développement international ». Il se met au travail sur un projet d'adduction d'eau en Angola, ou celui d'un aéroport au Pakistan. En 1994, quand le président Dos Santos vient finaliser ses contrats de sécurité et d'armement à Paris, il rencontre le ministre de l'Intérieur Charles Pasqua, mais aussi, plus discrètement, Papamadit, dans une suite de l'hôtel Crillon.

Viré de la Générale des eaux en janvier 1996, le jour de la mort de son père, Jean-Christophe doit voler de ses propres ailes. Il s'essaye au commerce du poisson en Mauritanie. Et s'adosse à Pierre Falcone. Il lui fait rencontrer Jean-Noël Tassez, l'ancien président de Radio Monte Carlo et de la Sofirad. Ce dernier a été mis en examen la semaine dernière, pour avoir reçu des fonds de Falcone. En 1997, grâce à l'intervention de Jean-Christophe, Tassez obtient un prêt d'un million de francs ­ versés en trois fois ­ du marchand d'armes. Cet argent, qui ne serait lié à aucun contrat, devait être remboursé en février 2001. Falcone avait le porte-monnaie facile. Ainsi a-t-il « donné » en 1997, 100 000 F à l'APM (Association professionnelle des magistrats, Libération d'hier). Après vérification, les juges n'ont pas retrouvé trace de dons de Falcone au RPF de Charles Pasqua et Jean-Charles Marchiani. Mais les deux hommes devront expliquer comment et pourquoi le ministère de l'Intérieur et son office de ventes d'armes, la Sofremi, ont cautionné des exportations qui sortaient du cadre légal des autorisations délivrées en la matière par l'Etat français.

Karl LASKE

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