Fiche du document numéro 21171

Num
21171
Date
Mercredi 1er août 2012
Amj
Taille
173550
Titre
Charles Lavigerie, l’ami de l’Afrique
Sous titre
Le fondateur des Pères Blancs et Sœurs Blanches missionnaires de Notre-Dame d’Afrique s’est engagé dans tous les grands débats qu’affrontait l’Église de la fin du XIXe siècle.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Perchée sur son promontoire, la basilique Notre-Dame d’Afrique domine la baie d’Alger. Inaugurée en 1872 par le cardinal Charles Lavigerie, elle avait depuis subi les outrages du temps. Restaurée grâce à de multiples soutiens, français et algériens, elle a aujourd’hui retrouvé de sa superbe. La phrase inscrite, en français sur le mur d’abside – « Notre-Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les musulmans » – est toujours là. Tout comme la statue de la Vierge noire, en bronze, habillée d’une robe opulente de style algérien, visage souriant incliné et mains tendues en signe d’accueil. Ou les innombrables ex-voto, signés de noms arabes ou français, récents ou anciens.


Sur l’esplanade de la basilique – « Madame l’Afrique » disent les Algérois –, la statue du cardinal Lavigerie est en revanche toujours handicapée. Il lui manque un bras. Ce qui ne l’empêche pas, avec la main qui lui reste, de tenir fermement l’Évangile. Elle rappelle le rayonnement d’un homme qui fut durant vingt-cinq ans archevêque d’Alger et qui y fonda en 1868 la Société des missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) puis en 1869 la congrégation des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique (Sœurs Blanches).

La plupart des lieux fondateurs de ces deux instituts ont complètement changé de destination. La maison Saint-Eugène où habitait le cardinal est fermée depuis longtemps. Maison-Carrée, la maison-mère des Pères Blancs, a été transformé en école de formation professionnelle pour les malentendants. Le quartier dans lequel ils étaient implantés, longtemps connu sous le nom de quartier Lavigerie, sera complètement rasé à la rentrée pour construire la grande mosquée d’Alger. La Maison Saint-Charles, à Birmandreis, où le cardinal avait installé en 1881 le noviciat des Sœurs Blanches et l’orphelinat est quant à elle devenue un hôpital militaire…

Est-ce à dire que les Pères Blancs et les Sœurs Blanches ont quitté cette Algérie qui les a vus naître ? Certes non. Même si leur présence se vit sous le signe de la fragilité ou de l’épreuve. Des Pères Blancs sont toujours présents à Notre-Dame d’Afrique où ils accueillent la petite communauté catholique – des étudiants d’Afrique subsahélienne, des Libanais, des expatriés européens – mais aussi des pèlerins, ainsi que des musulmans qui viennent demander à Marie et à Dieu toutes sortes de choses.

Ils travaillent également dans des bibliothèques pour étudiants, auprès des migrants, des prisonniers… Le P. Jose Maria Cantal, provincial, a également lancé une « école de la différence » qui propose à des jeunes, musulmans et chrétiens, de se retrouver pour partager leurs expériences. Les Sœurs Blanches animent des centres de formation, sont présentes dans des résidences universitaires, des associations qui accueillent des enfants handicapés, auprès d’enfants malades ou de femmes. « Notre vocation est d’être un pont entre musulmans et chrétiens. Nous essayons d’être une plate-forme de rencontres, afin de donner vie à des croyants apaisés », résume le P. Jose. « Le cardinal Lavigerie a voulu notre présence attentive et aimante aux personnes marginalisées, ajoute Sœur Danuta Kmieciak, supérieure régionale des Sœurs Blanches. Notre vocation aujourd’hui, c’est moins faire qu’écouter, offrir une présence fraternelle. »

Reste que les Pères Blancs et les Sœurs Blanches ne constituent qu’une partie des œuvres du cardinal Lavigerie. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le Saint-Siège, l’Église de France et l’État français – qui s’oriente peu à peu vers un régime républicain et nettement anticlérical – se trouvent en pleine évolution. Lavigerie, qui a une vision ouverte des rapports à promouvoir entre Église et État, s’y veut présent.

Il se présente aux élections législatives de 1871. Il intervient ensuite à plusieurs reprises au plus haut niveau dans la crise qui oppose à partir des années 1880 le gouvernement français et l’Église. En 1890, il prend à nouveau la parole, et cette fois de manière spectaculaire, lors du « toast d’Alger » au cours duquel il développe la pensée de Léon XIII, selon laquelle l’Église n’est pas inféodée à un type particulier de régime politique, pourvu que l’État lui reconnaisse ses droits propres et respecte sa liberté.

De la même manière, confronté à la réalité de l’esclavage qui ravage les régions centrales et orientales du continent africain, il lance en 1888 une grande campagne anti-esclavagiste à travers l’Europe, qui mena au désaveu général de cette pratique par les grandes puissances en Europe.

Déjà, lorsqu’il était évêque de Nancy – le plus jeune de France –, il avait mis en œuvre cette vision d’une Église plus ouverte. « Il gardera toute sa vie une tendance à tout repenser, tout réformer », constate le P. Jean-Claude Cellier (1). Ce qu’il fit à nouveau à Alger, où se révéleront pleinement son talent d’organisateur, son dynamisme créateur et… ses qualités de cœur.

Dans les instructions qu’il donne aux missionnaires, il met en avant deux exigences : un engagement intérieur sans demi-mesure et une vie de communauté profondément fraternelle. Il leur demande aussi d’aimer profondément les gens à qui ils sont envoyés et de vivre avec eux, ce qui se traduit par un effort permanent pour s’immerger dans la culture des peuples. Cette attitude de respect, qui dépasse largement la mentalité de l’époque, était déjà la sienne lorsque, directeur de l’Œuvre des Écoles d’Orient, il avait découvert l’islam et rencontré l’émir Abd El Kader.

« Avec ses talents exceptionnels, son tempérament énergique parfois jusqu’à l’excès, son caractère difficile, mais aussi sa foi profonde et ouverte, Charles Lavigerie était surtout habité par une double passion, qu’en 1992 le cardinal Lustiger avait ainsi résumée : passion de Dieu, passion de l’homme », conclut le P. Cellier.



Repères



- 31 octobre 1825 : naît à Bayonne.

- 1840 : entre au petit séminaire dans le diocèse de Bayonne, puis aux grands séminaires d’Issy-les-Moulineaux et de Saint-Sulpice à Paris.

- 2 juin 1849 : ordonné prêtre.

- 1853 : professeur d’histoire de l’Église à la Sorbonne.

- 1856-1860 : directeur de I’Œuvre des Écoles d’Orient.

- 1863 : évêque de Nancy.

- 1867 : archevêque d’Alger.

- 1868 : fonde la société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs). Nommé délégué apostolique du Sahara et du Soudan.

- 1869 : fonde la congrégation des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique (Sœurs Blanches).

- 27 mars 1882 : créé cardinal par le pape Léon XIII.

- 1884 : devient Primat d’Afrique.

- 1888 : campagne antiesclavagiste en Europe.

- 12 novembre 1890 : « Toast d’Alger » devant les officiers de l’escadre française. Il donne le signal du ralliement des catholiques à la IIIe République.

- 26 novembre 1892 : meurt à Alger.

- 1892 : 278 missionnaires d’Afrique de cinq nationalités travaillent alors dans six pays : Algérie, Tunisie, Ouganda, Tanzanie, Congo, Zambie. En 2012, ils sont 1 456 présents dans 44 pays, et 765 Sœurs Blanches présentes dans 26 pays.

(1) Auteur de « Histoire des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs). De la fondation par Mgr Lavigerie à la mort du fondateur (1868-1892) » (Éd. Karthala, 303 p., 16 €).

MARTINE DE SAUTO, à Alger

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