Fiche du document numéro 21011

Num
21011
Date
Vendredi 12 mars 1993
Amj
Taille
134431
Titre
Bob Denard et les services au banc des accusés
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
BOB DENARD, soixante-quatre ans, employé contractuel subalterne des services secrets français et sud-africains, a tenté d'expliquer devant la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris cette aventure béninoise, qui lui valut d'être condamné par défaut à cinq ans de prison, en 1991.

Devenu indésirable, sinon compromettant, après avoir été mêlé à l'assassinat du président comorien Mohamed Abdallah en novembre 1989, dont il commandait la garde, Pretoria lui demandait récemment de reprendre son sac et d'aller voir ailleurs. Rentré au pays le 1er février dernier, il était aussitôt incarcéré en vertu d'un mandat international délivré contre lui le 16 octobre 1991.

Son avocat, Me Soulez-Larivière, a voulu justifier le coup d'Etat avorté contre le gouvernement légal du Bénin en affirmant: « Les gens qui préparent une tentative de soulèvement dans un pays qui est soumis à un régime totalitaire, un système politique qui a confisqué le pouvoir par la force, peuvent-ils être considérés comme des délinquants de droit commun ? » Ils le peuvent: l'opposant béninois Gratien Pognon avait promis un million de dollars à l'idéologue Denard, en cas de succès. Et, depuis, le président « marxiste autoritaire » Mathieu Kérékou s'est paisiblement retiré dans sa villa de Cotonou, abandonnant le pouvoir à Nicéphore Soglo après des élections démocratiques. Sans faire couler une goutte de sang.

Ce sont les familles de trois Béninois assassinés par Denard et sa bande qui ont porté plainte. Le délit d'association de malfaiteurs est établi, le commando ayant répondu à une petite annonce qui, fin 1986, recherchait « homme de confiance pour emploi dans des services de sécurité en Afrique. Expérience militaire souhaitée, de préférence dans une arme d'élite. Haute moralité requise ». Au-delà de la personnalité de Denard, ancien officier de police adjoint - sans plus - au Maroc, dont l'intérêt semble médiocre, qui a manipulé une longue série de crimes politiques ayant conduit l'individu en Indochine, au Maghreb, au Congo, au Biafra, au Yémen, en Angola pour sombrer enfin aux Comores?

Avant d'aller se ridiculiser à Cotonou, Denard, a-t-il affirmé mercredi, avait « mis au courant la cellule de l'Elysée. J'ai rencontré M. René Journiac (alors conseiller pour les affaires africaines de Valéry Giscard d'Estaing - NDLR) à plusieurs reprises, je lui ai demandé s'il n'y voyait pas d'inconvénients. Il m'a donné le feu orange. On ne donne jamais le feu vert dans ces cas-là ».

Colonel du SDECE (aujourd'hui DGSE), Maurice Robert a témoigné: « Il a d'abord collaboré avec nous sans vraiment le savoir. » Dans l'affaire béninoise, « le Maroc était inquiet du rapprochement du Bénin avec les Sahraouis du Polisario, et les orientations radicales du Bénin inquiétaient ses voisins. Je n'ai pas été surpris de cette opération ». On appréciera la litote: un officier de renseignement qui n'est « pas surpris », cela signifie qu'il était au parfum. Maurice Robert a d'ailleurs rappelé que « la France ferme les yeux mais appuie l'opération quand cela sert ses intérêts ». Maurice Delaunay, qui fut ambassadeur au Gabon, sera plus net: le raid a eu lieu « avec l'accord tacite de la France ». Jacques Foccart, « monsieur Afrique » de De Gaulle et Pompidou, et l'ex-général Janou Lacaze, qui se pique d'être une éminence grise des « services », y sont allés de leur lettre de condoléances.

Ecoutant ses (anciens?) employeurs témoigner qu'il « avait constamment servi les intérêts de la politique française en Afrique », ce grand sentimental qu'est Bob Denard n'a pu résister à ôter ses lunettes afin d'essuyer furtivement une problématique larme. Les chiens de guerre sont en fait de bons gros toutous, dont le souci est de faire dans le monde le bien des gens, malgré eux s'il le faut.

Message reçu par le substitut du procureur, Jean-Paul Mazon, demandant « une peine symbolique » de 3 à 5 ans de prison avec sursis contre l'accusé, puisque « tous les témoins se sont accordés à dire qu'il était un loyal compagnon d'armes ».

Les autres témoins ayant disparu de mort violente sur l'aéroport de Cotonou. Le ministère public reconnaît cependant que les « actes préparatoires » à l'opération - recrutement, achat d'armes - sont bien constitutifs du délit d'association de malfaiteurs, mais « l'écoulement du temps » étant ce qu'il est, et « l'ordre public mondial (ayant) considérablement changé », à quoi bon s'acharner sur les services secrets et la diplomatie qui parfois « agissent aux marges et en dehors de la légalité? ». L'absolution pour les commanditaires du crime.

L'audience d'hier s'est achevée sur les plaidoiries de la défense et de la partie civile. Au nom des familles des victimes du raid sur Cotonou, qui se sont constituées partie civile, Me Joe Nordman a rappelé que l'accusé était un « mercenaire » qui « tue pour de l'argent », et « n'est pas comme il le prétend du côté des peuples opprimés, mais plutôt de celui des dictateurs richissimes », comme Mobutu au Zaïre et Bongo au Gabon. Jugement le 5 avril.

Cependant, Bob Denard devra plus tard répondre de l'assassinat du président Abdallah, perpétré en sa présence.

CLAUDE KROES

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024