Fiche du document numéro 1835

Num
1835
Date
Mardi 3 juillet 2007
Amj
Auteur
Taille
655038
Titre
Des archives de l'Elysée sur l'intervention au Rwanda ont été transmises à la justice
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Florence Michon, la juge d'instruction du Tribunal aux armées de Paris
(TAP), a reçu par courrier un cédérom passionnant, mercredi 27 juin. Son
contenu est une page d'histoire : il s'agit d'une grande partie des
archives de l'Elysée sur le Rwanda.


Ces centaines de documents divers - télégrammes diplomatiques, notes des
conseillers du président, procès-verbaux des conseils des ministres,
etc. - avaient été entreposés à l'Institut François-Mitterrand.
Certains avaient été exploités en 1998 par la mission d'information
parlementaire dirigée par Paul Quilès, d'autres, de façon partielle, par
Pierre Péan dans son livre Noires fureurs, blancs menteurs (Mille et
une nuits, 2005) qui visait à réhabiliter l'action de la France au Rwanda.
Ces documents - dont certains n'avaient encore jamais été rendus publics
- ont été envoyés à Me Antoine Comte, l'un des avocats des rescapés
tutsis du génocide qui ont déposé plainte au TAP contre l'armée
française, en février 2005.
Une information judiciaire pour « complicité de crimes contre
l'humanité
 » et « complicité de génocide », visant le rôle de l'armée
lors de l'opération humanitaire Turquoise, entre le 22 juin et le 22
août 1994, a été ouverte en décembre 2005.

Remise en cause



Aujourd'hui, à la lumière des documents qu'il a transmis à la juge,
Me Comte réclame les auditions des principaux responsables
politiques et militaires qui y apparaissent. Sont notamment cités
dans la lettre que l'avocat a transmise au juge : Pierre Joxe,
ministre de la défense, qui exprima des réserves sur l'engagement
français en 1993, Alain Juppé, ministre des affaires étrangères en
1994, et les principaux conseillers de François Mitterrand à l'Elysée
: le spécialiste de l'Afrique Bruno Delaye, le chef d'état-major
particulier, le général Christian Quesnot, le chargé de mission
Dominique Pin, et le secrétaire général de l'Elysée, Hubert
Védrine. L'avocat souhaite que soient aussi entendus Georges Martres,
ambassadeur à Kigali (1989-1993), et son successeur Jean-Michel
Marlaud (mai 1993-avril 1994).


Ces archives remettent en cause la version officielle de la France sur
sa présence au Rwanda, déjà ébréchée par la mission d'information
parlementaire. Cette version stipulait que la France avait eu pour seul
objectif de pousser le gouvernement rwandais à ouvrir des négociations
politiques avec les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), tout
en poursuivant une coopération militaire classique.


« Il est patent que, tout au long de la période allant de 1993 jusqu'à
l'attentat du 6 avril 1994
[contre l'avion du président rwandais
Juvénal Habyarimana], la préoccupation centrale des autorités
françaises est de soutenir inconditionnellement le président
Habyarimana, même s'il fallait aller au-delà d'un appui indirect aux
forces armées rwandaises
 », écrit Antoine Comte.
Plusieurs hauts responsables militaires français de l'époque ont été
entendus ces derniers mois par la brigade criminelle, à Paris. Le
général Jean-Claude Lafourcade, commandant de l'opération Turquoise, le
lieutenant-colonel Jacques Hogard, commandant du groupement Ouest, et le
colonel Patrice Sartre, chef du groupement Nord, n'ont guère varié dans
leurs déclarations, par rapport à celles recueillies en 1998 par la
mission d'information parlementaire, indique-t-on de source policière.
Selon eux, la France peut s'enorgueillir de son action humanitaire lors
de l'opération Turquoise, en 1994.


L'Etat français ne semble pas disposé à favoriser les investigations en
cours. Le 13 février 2006, la juge Brigitte Reynaud, qui a précédé
Florence Michon au TAP, avait signé une commission rogatoire
internationale à destination du Rwanda. Elle demandait aux autorités de
Kigali de lui fournir tous documents ou auditions « permettant
d'identifier les régiments et services français présents au Rwanda en
1994
 » et d'autoriser une mission sur place des policiers français.
Pendant six mois, cette commission rogatoire est restée dans un tiroir
du Quai d'Orsay, chargé de l'envoi. Le 24 novembre 2006, le Rwanda a
rompu ses relations diplomatiques avec la France à la suite de
l'émission de mandats d'arrêt contre des proches du président Paul
Kagamé, dans l'enquête de Jean-Louis Bruguière sur l'attentat contre
Juvénal Habyarimana.


Le 13 février, le ministère a retourné la commission rogatoire à la juge
Michon, en soulignant que nulle entraide n'était désormais possible
entre les deux pays. La magistrate a donc choisi de transmettre
directement le document aux autorités rwandaises, mais elle a manifesté
sa « plus profonde surprise » au sujet de l'inaction du Quai dans une
lettre adressée au procureur du TAP.

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