Fiche du document numéro 17836

Num
17836
Date
Jeudi 13 février 1997
Amj
Taille
101932
Titre
Jeannou Lacaze, lobbyiste en Irak
Sous titre
Le général s'est reconverti en intermédiaire, coûteux, pour businessmen français.
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Bagdad envoyé spécial

Faut-il vraiment passer par un intermédiaire pour faire des affaires en Irak? C'est la question que doivent se poser les quelque cinquante businessmen français qui se sont rendus en janvier à Bagdad sous l'égide du Conseil du commerce et de l'industrie franco-irakien (CCIFI), une officine privée fondée par l'ex-chef d'état-major français, le général Jeannou Lacaze (Libération du 21 janvier 1997). Non seulement, peu de contrats ont été signés, mais l'escapade leur a coûté cher: 39 000 francs exactement pour un aller-retour Paris-Amman en avion, le transport en taxi jusqu'à Bagdad, quatre nuits d'hôtel sur place et la location d'un petit stand d'exposition sur le mini-Salon agroalimentaire Agrifrance mis sur pied par le CCIFI. Un rapide calcul montre que le coût réel n'excède pas les 10 000 francs, gardes du corps non compris mais sont-ils vraiment nécessaires? Certains sont d'autant plus amers que quelques entreprises proches de Jeannou Lacaze ont eu droit à un prix d'ami: 25 000 francs. « Parfois, on se demande si on ne sert pas à financer ses activités politiques? » se plaignait un homme d'affaires préférant garder l'anonymat. Le général Lacaze est membre de l'Union des indépendants et du Centre national des indépendants et paysans.

Pierre Girard-Hautbout, chargé de mission auprès du général Lacaze, se défend: « Les hommes d'affaires sont libres de venir seuls ici. Nous n'avons pris personne en otage. S'ils passent par nous, c'est qu'ils savent que nous avons un carnet d'adresses sans équivalent. Ils ont pu rencontrer cinq ministres en trois jours. Tout ça se paie. » Entre anciens chefs d'état-major... De fait, Lacaze a gardé d'excellentes relations avec le ministre irakien du Pétrole, Amir Rachid, remontant à l'époque où ils étaient chefs d'état-major dans leurs pays respectifs. Plus généralement, Pierre Girard-Hautbout est persuadé qu'on ne peut pas faire de business dans un pays comme l'Irak sans passer par les responsables politiques: il n'a pas tort dans la mesure où le secteur privé y reste embryonnaire.

La vraie question est de savoir sur quoi débouchent ces fameux contacts politiques. Pas grand-chose de concret, si l'on se fie à un rapide sondage dans les stands d'Agrifrance. Pour nombre de novices, ce fut la douche écossaise: « On nous avait dit que les Irakiens nous attendaient à bras ouverts et que nos contrats n'avaient plus qu'à être signés. En fait, on a réalisé sur place que tout le monde était déjà là et qu'on était arrivé bien trop tard pour les contrats au titre de la résolution Pétrole contre nourriture. Au moins, on a pu prendre quelques contacts, mais ça fait un peu cher la carte de visite. » D'autant que la section des intérêts français à Bagdad compte un conseiller commercial dans ses rangs depuis le mois d'octobre: il a pour mission de préparer la visite d'entrepreneurs français et de les aider dans leur démarche sur place. Dans l'entourage de Lacaze, qui ne voit pas d'un bon oeil cette concurrence « déloyale » puisque gratuite, on rétorque que les Irakiens sauront faire le tri entre ceux qui étaient là dans les moments difficiles et ceux qui réapparaissent au moment opportun. Viol de l'embargo. Il est vrai que le business d'intermédiaire en Irak peut se révéler très lucratif. Le général Lacaze n'est d'ailleurs pas le seul sur le marché: l'Association franco-irakienne de coopération économique (Afice), de Gilles Munier, ou la section internationale du CNPF sont aussi sur les rangs, ainsi que plusieurs francs-tireurs généralement proches de l'extrême droite. « Tout ça fait un peu désordre, et les Irakiens risquent un jour d'envoyer balader tout le monde », s'inquiète d'ailleurs un lobbyiste.

En attendant, autant profiter des occasions qui se présentent. Lors des trois journées du Salon Agrifrance, les plus malins ont vite compris qu'il ne leur restait plus qu'à espérer négocier deux ou trois contrats en douce avec la nomenklatura du régime, qui n'a pas perdu le sens des affaires. « J'ai vu ici une laiterie industrielle ultrarécente comme il n'en existe qu'aux Etats-Unis », s'étonnait ainsi un Français en visite pour la première fois en Irak. « J'imagine qu'elle est entrée en fraude et en pièces détachées. » Plus surprenant: son hôte lui a proposé d'acheter des souches génétiques de vaches laitières Holstein à livrer à Amman, en Jordanie, ou à Dubaï, dans les Emirats arabes unis. Ensuite, le client irakien se débrouille pour faire entrer la marchandise dans son pays comme il peut, c'est-à-dire en contrebande, puisque ce genre de transactions, prohibées par l'embargo, n'entre pas dans le cadre de la résolution « Pétrole contre nourriture », dont tous les contrats sont visés par le comité des sanctions des Nations unies. Un dévoiement qui a donné au voyage organisé par le général Lacaze des allures de grande foire au viol des sanctions onusiennes à l'encontre de l'Irak! Le régime de Saddam Hussein aura sûrement apprécié, les entreprises françaises moins.

Christophe Ayad

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024