Fiche du document numéro 17342

Num
17342
Date
1933
Amj
Taille
118858095
Surtitre
Au Ruanda, sur les bords du lac Kivu (Congo belge)
Titre
Un royaume hamite au centre de l'Afrique [Tome I]
Tres
Dans Un royaume hamite au centre de l'Afrique, le père Pagès, influencé par De Gobineau, écrit l'histoire du Rwanda en terme de races. « Le mot "Hamites" sert à désigner les Batutsi. La communauté d'origine des Hamites avec les Sémites (Égyptiens ou Abyssins) semble hors de conteste » (p. 5).
Cote
Hum.Sc.(IRCB) PAGES, A. Au Ruanda, sur les bords du lac Kivu (Congo belge). Un royaume hamite au centre de l'Afrique. - T.I (1933) PAGES,A. Au Ruanda, sur les bords du lac Kivu (Congo belge). U
Fonds d'archives
Type
Livre
Langue
FR
Citation
Institut

Royal

Colonial

Belge

Koninklijk Belgisch Koloniaal Instituut

SECTION DES S0JKNCF8 MORALES
ET POLITIQUES

M ém o ires. — C ollection
Tom e I.

LES

W E T EN S U H A PPEN

V e r h a n d e lin g e n

in-8®.

— V e r z a m e lin g

in-S». — Tom e I .

AU
SUR


AU RUANDA

SUR LES BORDS DU LAC KIVU

(C O N G O B E L G E )

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

PAR LE

Rév.
des

Père

PAGÈS

M is s io n n a ir e s d ’A f r iq u e (P è r e s B lancs ).


BR U X E L LE S
L i b r a i r i e F a l k fils,
GEORGES

VAN

CAMPENHOUT,

Successeur,

22, Ru e des Pa r o is sie n s, 22.

1933

INSTITUT ROYAL COLONIAL BELGE

M E M O IR E S

K 0N 1N K M J K

B E L G IS C H

K O L O N IA A L

IN S T IT U U T

V E R H A N D E L IN G E N

INSTITUT ROYAL COLON IAL BELGE

Section des Sciences Morales et Politiques

MÉMOIRES
K0N1NKLIJK BliLGISCH KOLONIAAL INSTITUAT

Afdeeling der Staat- en Zedekundige
W etenschappen

VERHANDELINGEN
ln-8° — I — 1933

BR U XE LLE S
L i b r a i r i e F a l k fils,
G E O R G E S V A N C A M P E N H O U T , Su ccesseur,
22, Rue des Pa rois sie n s, 22.

AU
SUR

LES

RUANDA

BORDS

DU

LAC

KIVU

(C O N G O B E L G E )

UN

ROYAUME HAMITE
AU

CENTRE DE L’AFRIQUE
PAR L E

Rév.
des

Père

PAGES

M is s io n n a ir e s d ’A f r iq u e ( P è r e s B lancs ).

Mémoire présenté à la séance du 17 novembre 1930.

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H A M ir e

VI LunuNDl

AVANT-PROPOS

Les races du Rwanda; problème de leurs origines.
But et division de l’ouvrage.

Nous n’avons pas la prétention d’épuiser le sujet indiqué
par le titre du volume. Le but qu’on se propose est
modeste. Les répertoires vivants n’ont pas dit leur dernier
mot. Ils n’ont fait que commencer. Presque tous les rois
hamites et les anciens roitelets autochtones ont leurs pages
d’histoire (1) écrites dans la mémoire des chroniqueurs.
Lire ces pages et les déchiffrer sera l’œuvre de l’avenir.
Notre travail n’est, qu’une ébauche, une sorte d’essai de
monographie. Pour ne pas s’exposer à recourir au subter­fuge
du raisonnement et pour éviter des affirmations
téméraires, nous avons préféré donner, avec les traditions
authentiques, les légendes elles-mêmes ou leur résumé. Au
lecteur de tirer les déductions ou les conclusions qui
s’imposent (2). L’abondance des détails que nous avons
jugé bon d’insérer dans cette esquisse, qui, après tout, est
un essai sans prétention d’ethnographie autant qu’une
étude d’histoire, ne doit inspirer aucune méfiance. Les
minuties, les circonstances accessoires, les aventures singulières

(1) Ou leurs légendes, car il n ’est pas possible d’écarter ces dernières
de parti pris. Sans elles on ne comprendrait pas et l’histoire et l’âme
des Banyarwanda. Les légendes sont à l’histoire ce que les sources et,
les ruisseaux sont aux fleuves.

(2) Bien qu’il s’agisse d’événements complexes et encore obscurs, on
n’a pu résister à la tentation de risquer quelques interprétations et de
les développer. Cela a été fait sans passion ni sans esprit de système.
Nous n ’éprouverions aucune difficulté à les retirer devant une plus
ample information.

4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

donneront aux faits leur véritable physionomie.
A. Brisson proclamait l’intérêt qu’il y a à rendre le drame
plus vivant et disait « tout ce qu’ajoute de couleur à un
personnage la perception de l’atmosphère où il se meut
et combien la nature morale et la nature extérieure sont
inextricablement liées ». Retz de Richelieu affirmait à son
tour qu’il « faut avoir le faible de ne pas mépriser les
petites choses ».

Nous n’avons pas cru devoir négliger les anecdotes
piquantes, ni les mythes eux-mêmes, ni les usages bizarres
de ce peuple curieux, pour essayer d’éclairer son histoire.
La connaissance du passé aide à comprendre le présent et
dans une certaine mesure à éclairer l’avenir. « Il n ’y a pas
d’autre moyen, enseignait Taine, pour connaître à peu
près les actions d’autrefois, que de voir à peu près les
hommes d’autrefois », c’est-à-dire dans leur milieu et à
leur époque. Le même auteur ajoutait qu’il faut « démêler
à travers la distance du temps, l ’homme vivant, l’homme
agissant, doué dépassions, m uni d’habitudes, avec sa voix
et sa physionomie, avec ses gestes et ses habits, distinct
et complet comme celui que tout à l’heure nous avons
avons quitté dans la rue ». Tel serait le beau programme
à réaliser, l’idéal à atteindre. Descartes, de son temps,
avait déjà dit : « S’ils ne changent ni n’augmentent les
choses pour les rendre plus dignes d’être lues, les histo­riens
en omettent presque toujours, les plus basses et les
moins illustres, d’où vient que le reste ne paraît pas ce
qu’il est ».

Nous conviendrons volontiers que les éléments qui for­
ment la trame de chaque règne sont diffus, obscurs et
présentent un ensemble hétéroclite. Ces matériaux infor­
mes ont obtenu droit de cité dans notre travail parce que,
pour la plupart, ils sont édifiés sur une base historique et
que, par voie de conséquence, ils permettent de fixer
quelquefois la physionomie propre de plus d’un prince
hamite.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

5

11 sera toujours malaisé de donner une vision exacte et
complète des épisodes qui se sont déroulés à l’arrivée des
Batutsi et durant le temps de leur marche à travers le pays.
Bien des côtés multiples de ces drames sanglants échap­
peront toujours à notre entendement. Mérimée savait que
tout récit des événements primordiaux n ’est q u’une inter­
prétation des faits, par un individu dont les connaissances
sont bornées, et modestement il se contentait de ce que
les Concourt ont appelé la « monnaie de l’histoire ». Nous
faisons nôtre cette appréciation.
On rencontrera souvent le mot « Hamites » (*); il sert
à désigner les « Batutsi », qui sont les mêmes que les
« Bahima » de l’Uganda et du Nkole (2), les Banyambo du
Ndorwa et du Karagwe. Les « Peuls » ou <« Peulhs » (au
pluriel « Foulbé » ou « Foula ») du Soudan (3), paraissent,
eux aussi, fortement apparentés à la race des Hamites.
La communauté d’origine des Hamites avec les Sémites
(Égyptiens ou Abyssins) semble hors de conteste. Leurs
ressemblances physiques, leurs affinités de mœurs pasto­
rales, l’identité de coutume, telles que la division en
animaux purs et impurs (imiziro), la loi du lévirat, la
mutilation d’un ennemi, leur organisation politique (sys­
tème féodal), etc., sont autant de traits qui prouvent leur
parenté avec cette race. On pourrait en citer aisément
beaucoup d ’autres.
A la question de savoir quel fut le point de départ des
Hamites et quand ils commencèrent à émigrer vers le
centre de l’Afrique, nous ne pouvons donner une réponse
exacte. De quelle partie de l’Ëgypte ou mieux de l’Abys­
sinie vinrent-ils P
(1) Hamite, de l ’arabe « chaud », « rougeâtre » (Mgr Gorju ).
(2) Le Nkole est appelé « Buhima » par les Banyarwanda, ce qui veut
dire le pays des Bahima.
(3) Il ne sera fait aucune allusion au Massai. Nous sommes si peu
familiarisés avec leur histoire et leurs coutumes que nous ne permet­
trons aucun point de comparaison entre les membres de cette peuplade
et les Hamites dont nous parlons.

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UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Quelle date faut-il mettre à l’exode initial et aux exodes
successifs? Quels furent les motifs qui occasionnèrent leur
départ? Faut-il en chercher les causes dans le surpeuple­
ment de leur pays d’origine, les guerres, les famines,
l ’amour de l’inconnu, la recherche de l’or?
Quelles furent les étapes de leur voyage? Quelle fut l’im ­
portance des groupements migrateurs? L’esprit curieux
voudrait pouvoir résoudre ces problèmes, qui sont encore
insolubles en partie (1). Voici quelques présomptions et
quelques données sur lesquelles on peut s’appuyer pour
essayer de faire un peu de lumière. Il n ’v a pas d’autre
base pour le moment.
M8r Gorju écrit dans son ouvrage q u’un Père jésuite
en voyage à travers l ’Unyoro, il y a trois cents ans environ,
s’entendit raconter par les gens du pays qu’un prince
Galla de naissance royale avait dû autrefois quitter l’Abys­
sinie, pour avoir prétendu au trône. 11 s’était enfui avec
nombre de ses partisans et vécut plusieurs années parmi
les habitants de l’Unyoro. Le fait était ancien et les narra­
teurs ajoutèrent que le prince rentra plus tard dans son
pays par le lac Victoria (2).
Le même' auteur parle encore de la découverte récente
au nord de Nkole, de camps de chercheurs d’or, camps
faits d ’enceintes en terre où l’on a retrouvé des débris de

t1) On peut affirmer sans crainte d'erreur que les Hamites à leur
arrivée dans le Rwanda, par la région de Mutara, puis le Buganza, le
Buliza, etc., avaient avec eux des servants ou suivants noirs racolés sur
leur passage, mais en assez petit nombre, croyons-nous. Ces derniers
ayant fait souche dans le pays, ont dû vraisemblablement fonder de
nouveaux clans (imilyango), à côté des familles aborigènes.
« Nombre de tribus hamites, dit Mgr Gorju, ont leurs corrélatives de
même nom parmi les Bahutu (autochtones). »
L’auteur donne deux raisons de ce parallélisme, ou le servage ou un
stimulant : « Les Hamites pour les (autochtones) fixer à leur service
leur auraient donné leur nom. »
Cf. Entre le Victoria, l’Albert et l’Edouard, p. 37.
(2) Cf. op. cit., p. 53.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

7

poterie d ’une facture supérieure à celles des Baganda et
où l’on a reconnu aussi les bassins de lavage et les canaux
qui amenaient l’eau.
Kintu, le premier des rois Baganda, d’après une tradi­
tion qui a persisté jusqu’à nos jours, avait un visage blanc
et exerça une grande influence sur ses sujets noirs.
L ’existence de ce souverain a passionné à ce point l’opi­
nion durant ces dernières années que les Anglais, désireux
de résoudre le problème de son origine, organisèrent,
mais en vain, des fouilles sur le lieu où la tradition plaçait
sa sépulture.
Les Abyssins connaissaient l’Uganda. Plusieurs y trou­
vèrent un refuge, d’autres y cherchèrent de l’or. Kintu, si
l ’on s’en tient à la couleur de son visage « blanc », c’està-dire bien différent de celui des Baganda, appartenait
probablement à cette race. Ajoutons qu’il y eut des pertur­
bations politiques considérables sur le plateau éthiopien
vers le XVIe siècle, époque à laquelle la série chronolo­
gique des rois Baganda permet de faire remonter l’arrivée
du fameux « Kintu » sur les bords du Victoria (*).
L’Abyssinie commença à être évangélisée dès la fin du
IVe siècle par saint Frumence (2).
L’église éthiopienne était devenue suffragante de la
métropole d’Alexandrie. Elle se vit imposer par le patriar­
che Benjamin, auquel selon l’usage elle avait envoyé des
ambassadeurs demander un Abouna (évêque); l’erreur

(!) Les Hamites de l’Uganda ou Bahima n’ont pas pu subjuguer les
aborigènes du pays qui les ont employés comme gardiens de leurs trou­
peaux.
(2)
Deux Grecs, Frumence et Aidessius, fils d’un marchand de Tunis
du nom de Méropius, s’égarèrent sur les côtes de la mer Rouge, furent
faits prisonniers et conduits dans l’intérieur de l ’Ethiopie. Frumence,
converti au christianisme, du temps des Romains, se fait l ’apôtre de
cette religion qu’il enseigne aux autochtones et fonde ainsi l’église
éthiopienne. En 365, à Alexandrie, saint Athanase conféra officiellement
à Frumence le titre de fondateur de l ’Eglise éthiopienne en même temps
que celui d’évêque de cette église. ( P i e r r e A lype, L'Empire des Négus.)

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UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQTJE

d ’Eutychès qui infectait l’Égypte, où ses adhérents for­
maient le parti national sous le nom de Jacobites.
il y eut des tentatives d’évangélisation à l’arrivée des
Portugais (1526-1542) commandés par Christophe de
Gama.
L’église catholique compta même parmi ses adeptes un
empereur, Socinios, qui mourut en 1632.
Une persécution violente éclata sous le règne de son
successeur. Le catholicisme fut noyé dans le sang (*).
Dès lors on peut se demander si les Hamites émigrés
appartenaient ou non à la religion chrétienne, ou étaient
monophvsites, comme le devinrent les Abyssins au
Ve siècle? A dire vrai, les Batutsi, qui habitent le Rwanda,
l’Urundi et l’Uha, ont conservé un si léger bagage de
croyances et de coutumes franchement chrétiennes q u’on
hésite à répondre par l’affirmative.
11 existe toutefois des légendes, des traditions, des obser­
vances et des usages q u’il serait difficile d’expliquer
autrement si l’on niait, à priori, leur origine chrétienne.
Monophysites à leur départ d’Abyssinie, les Hamites ont
peut-être peu à peu oublié, au cours de leur long exode, la
croyance chrétienne et adopté les pratiques et les super­
stitions des peuples au milieu desquels ils ont vécu. Une
autre hypothèse peut être admise. Au sud de l’Ëthiopie,
des tribus Galla, plus ou moins mêlées aux Noirs, dont
elles étaient les voisines, ont presque toujours vécu turbu­
lentes et indépendantes, en marge de la vie et de la civi­
lisation Abyssine. Ne serait-ce pas parmi les membres de
ces clans à demi sauvages q u’il faudrait chercher les
ancêtres de nos Hamites, Bahima, Peuls, Batutsi?
Pour le lecteur désireux de connaître l’opinion d’un
colonial distingué et savant sur les autochtones de l ’Afri­
que, les Négrilles et leurs contemporains de race blanche
habitant plus au Nord, sur le premier habitat des Noirs
(J ) L e P è re M a r t i a l de S a lv ia c ,

Les Galla.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

9

(Bantu) et des Hamites, nous transcrivons les lignes
suivantes : « D ’où viennent les Nègres africains? Est-il
possible de se prononcer sur leur origine première? Il
semble que l’état actuel de nos connaissances ne permet
pas encore de répondre à cette question d’une manière
définitive ni même satisfaisante » (l). C’esl ainsi que s’ex­
prime M. Delafosse, ancien gouverneur des Colonies.
Primitivement les Négrilles, d’après l ’auteur cité, consti­
tuaient au centre et vers le Sud la population aborigène
de l’Afrique :
« Actuellement le nombre des Négrilles relativement
purs de tout croisement n ’est pas considérable en Afrique.
On en rencontre cependant, à l’état dispersé, dans les
forêts; du Gabon et du Congo, dans les vallées des hauts
affluents du Nil et dans d’autres portions de l ’Afrique
équatoriale. Plus au Sud, sous les noms de Hottentots et
de Bushmen ou Bochimanes, c’est-à-dire d’ « hommes de
la brousse », ils forment des groupements plus compacts...
Il semble bien certain que ce sont là des restes appelés à
dim inuer de siècle en siècle et peut-être même à dispa­
raître totalement un jour, d ’une population • autrefois
beaucoup plus répandue.
» L’on n ’est pas d’accord sur le point qui marqua le
terminus du fameux voyage accompli au VIe siècle avant
Jésus-Christ par l’amiral carthaginois Hannon... : les esti­
mations extrêmes le placent, les plus larges entre SierraLeone et Monrovia, les plus rigoristes non loin de
l’embouchure de la Gambie. Quoi qu’il en soit ce hardi
navigateur termina son soi-disant périple en une région
où l’on ne trouve plus de Négrilles aujourd’hui, mais où
il y en avait encore de son temps. Car il n ’est pas possible
de ne point identifier avec les Négrilles que nous connais­
(*) Le problème des origines des Bantu est encore plus obscur que
celui des Hamites. Faute de données plus précises, nous nous en tenons
à ce qui est avancé par les ethnologues.

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UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

sons, dont les habitudes arboricoles ont été très souvent
mentionnées pai* tous ceux qui les ont étudiés, ces petits
êtres velus ressemblant à des hommes et se tenant sur les
arbres, aperçus par Hannon... et qualifiés de govii par
son interprète. »
Le brillant ethnologue suggère que l’interprète de l ’am i­
ral carthaginois avait été vraisemblablement embauché
sur la côte sénégalaise et parlait la langue des Ouolofs
actuels du Sénégal, chez qui le mot gorii ou gôr-yi corres­
pond à notre expression « ce sont des hommes ». Or,
ajoute l’auteur, ce mot, « nous l’avons appliqué à une
espèce africaine de singes anthropomorphes, qui ne se
rencontre, au moins de nos jours, que bien au Sud du
point le plus méridional q u’ait pu atteindre l ’amiral car­
thaginois, et nous avons supposé que les petits êtres velus,
ressemblant à des hommes, de ce navigateur, étaient des
gorilles, sans songer que le gorille, même vu de loin, n ’a
aucunement l ’aspect d’un petit homme, mais bien plutôt
celui d’une sorte de géant.
<( ...Il semble donc q u ’il soil permis, en l’absence de
toute certitude à cet égard, de supposer que l’habitat des
Nègres africains était primitivement peuplé de Négrilles.
Le domaine de ceux-ci ne s’étendait vraisemblablement
pas beaucoup au delà des limites de ce qui constitue
aujourd’hui, en Afrique, le domaine des Noirs... Il est pro­
bable que l’Afrique du Nord, très différente déjà du reste
du continent et se rapprochant de l’Europe méditerra­
néenne plus que de l’Afrique centrale et méridionale, était
habitée par une autre race d’hommes (de couleur blanche).
» Selon toute probabilité, les Négrilles de l’époque anté­
rieure à la venue des Noirs en Afrique devaient être des
chasseurs et des pêcheurs, vivant à l’état semi-nomade, qui
convient à des hommes se livrant exclusivement à la
chasse ou à la pêche. Leurs mœurs se rapprochaient vrai­
semblablement beaucoup de celles des Négrilles qui

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’ a FRIQUE

11

existent encore à l ’heure actuelle... Peut-être s’adonnaientils à l ’industrie de la pierre taillée ou polie, et convient-il
de leur attribuer les haches, les pointes de ilèches, les
grattoirs et les nombreux instruments en pierre que l'on
trouve, un peu partout, dans l’Afrique noire contempo­
raine... » C).
Les Noirs, ceux que nous appelons Bantu, bien diffé­
rents des Négrilles, proviendraient de migrations dont le
point de départ aurait été le Pacifique à sa limite avec
l'Océan Indien. Ils auraient emprunté, à des époques fort
éloignées, soit la voie d’un continent aujourd’hui effon­
dré, la Lémurie, soit tout simplement la voie de mer.
L’invasion, ou plutôt les invasions successives, que
M. Dellosse dispose en deux groupes distincts, séparés
par des siècles sinon des millénaires, auraient abordé la
côte orientale d’Afrique à hauteur des Comores, d’où elles
se seraient répandues peu à peu sur tout le continent. Au
contact de chaque vague avec les vagues précédentes, des
mouvements provoqués par les disettes, les épidémies,
les grandes guerres, etc., serait né le chaos des races.
« Si les indigènes de l’Australie, de la Papouasie et des
îles mélanésiennes sont à ranger dans la même catégorie
humaine que les Noirs africains, l’on peut raisonnable­
ment se demander si les premiers viennent de l ’Afrique
ou les seconds de l’Océanie, ou bien si les vins et les autres
n ’eurent pas, lors des premiers âges du monde, un habitat
commun, en quelque hypothétique continent aujourd’hui
disparu, situé entre les terres africaines et les archipels
océaniens, et ayant constitué autrefois, entre celles-là et
ceux-ci, un trait d’union et un passage. Ce continent,
berceau supposé de la race noire... a même reçu un nom,
la Lémurie... comme l’autre a été appelé l’Atlantide, et
l’on nous montre ses restes, représentés par Madagascar,
les Mascareignes et quantité d ’îles de diverses grandeurs,
(!)

M a u r ic e D e la fo s s e ,

Les Noirs de l'Afrique,

p p . 8, 9, 12 et 13.

12

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

de même que l’on regarde les Canaries et les Açores comme
des débris de l'antique Atlantide.
» L’existence de la Lémurie demeure problématique.
Même si elle était prouvée, il se pourrait que ce continent
eût disparu déjà de la face du globe avant l ’apparition du
premier homme. Il n ’est pas besoin d’ailleurs d’avoir
recours à celte hypothèse pour justifier la théorie qui fait
venir de l’Océanie les Nègres africains. Nous savons
aujourd’hui, de façon certaine, qu’une portion fort
importante du peuplement de Madagascar est originaire
de l’Indonésie, et il paraît bien démontré que, pour une
partie tout au moins, la migration s’est opérée à une épo­
que où il n ’y avait pas plus de facilités de communication
q u’aujourd’hui entre l'Océanie et Madagascar, et que les
exodes auxquels je fais allusion se sont effectués par mer.
» Il est infinim ent probable aussi que les envahisseurs
nègres qui s’étaient avancés le plus loin dans la direc­
tion du Nord s’y trouvèrent en contact avec les autoch­
tones primitifs, de race blanche méditerranéenne, qui
étaient, à partir du Sahara central, dans le pays devenu
plus tard l’Egypte et la Lybie, les contemporains des
Négrilles du Sahara méridional et du reste de l’Afrique.
Ce contact ne put se produire ni surtout se prolonger sans
q u’il en résultât des mélanges et des unions entre les peu­
ples blancs préhistoriques de l’Afrique du Nord et les
immigrants noirs succédant aux Négrilles ou fondus déjà
en partie avec ces derniers.
» C’est très vraisemblablement à ces mélanges fort
anciens, à ces unions lointaines, qu’il convient de faire
remonter pour la plus grande part l’origine de ces peu­
ples ou fractions de peuples, q u’on appelle parfois des
négroïdes, que l’on rencontre d’une manière presque con­
tinue, à la limite Sud de la zone désertique actuelle et
parfois même plus au Nord, de la Mer Rouge à l’Océan
Atlantique, et qui nous apparaissent tantôt comme des

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

13

populations de race blanche fortement métissées de sang
noir (Bichari, Somali, Galla, Danakil, Sidama, etc.), tan­
tôt comme des populations de race noire plus ou moins
métissées de sang blanc (Massai, Nouba, Toubou, Kanouri,
Hacussa, Songoï, Sarakollé, Toucouleurs Ouolofs), les
traces de métissage se révélant tantôt dans l’aspect physi­
que ou physiologique, tantôt dans les aptitudes intellec­
tuelles, tantôt dans le langage, ou dans ces trois éléments
à la fois. T1 est même possible que les éléments de race
blanche qui se manifestent incontestablement chez cer­
taines familles peules tirent de cette circonstance une part
appréciable de leur origine. Il est possible aussi que ce soit
à la même cause q u’il faille attribuer les traces fort
anciennes de sang noir relevées tant chez les Egyptiens de
l’époque des Pharaons que chez les Abyssins modernes et
chez beaucoup de tribus berbères 011 arabo-berbères, indé­
pendamment des métissages produits ultérieurement par
des unions avec des esclaves noires.
» ...Quant aux peuples qui avoisinent l’Abyssinie pro­
prement dite au Nord..., au Sud-Est (Somali) et au Sud
(Galla ou Oromo), ils présentent les types les plus variés,
parmi lesquels le type nègre domine souvent, et parlent,
eux aussi, des langues qui semblent se rattacher en partie
aux parlers négro-africains (*). En fait, toutes ces popula­
tions sont plus ou moins négroïdes d’aspect et, chez tou­
tes, se manifeste, à des degrés divers, l’influence de la
race noire; celle-ci paraît surtout prépondérante chez les
tribus les plus éloignées du plateau amharique;elle devient
à peu près unique chez les Massai, qui font suite aux Galla
(*) M. Pierre Alype ajoute que la civilisation éthiopienne « amena
chez les habitants plus ou moins métissés de la mer Rouge, comme chez
les Noirs répandus dans le Soudan oriental et entre les montagnes
d’Ethiopie et les grands Lacs, une transformation comparable à celle
que les colonies phéniciennes de la Méditerranée apportaient à distance
chez les peuplades du Soudan central occidental. » (L'Empire des
Négus, p. 24.)

14

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

et aux Somali, dans la direction du Sud. Des invasions
asiatiques diverses ont contribué, d ’ailleurs, à m ultiplier
les mélanges.
» Les Danakil et les Somali sont, à l'heure actuelle, en
majeure partie, des musulmans; ce sont surtout des noma­
des, divisés en une multitude de petites tribus. Les Galla,
à la fois agriculteurs et pasteurs, sont en majorité chré­
tiens; on trouve chez eux des collectivités communales
administrées par des conseils de notables. Ils étaient déjà
constitués au temps des Pharaons. Très puissants au
Xe siècle de notre ère, d’après Massoudi, ils se livrèrent
à de grandes migrations aux XVe et XVIe siècles; après
avoir été longtemps des adversaires redoutables pour les
négous d’Abyssinie, ils furent englobés, au X V IIIe siècle,
dans l’empire de ceux-ci » (1).
Il faut ajouter, avec M. René Pinon, que « sous le nom
générique de Galla, on désigne tout un ensemble de popu­
lations qui habitent les montagnes du Harrar, du Kaffa
et les régions avoisinantes. Les Galla sont d’origine mal
connue; on a môme rapproché leur nom de celui de nos
ancêtres (Galli) (2); leurs légendes les font venir de
l’Ouest. En tout cas, ils ne sont pas de race nègre. Ce
sont des paysans et des cultivateurs; leurs contingents
forment, dans l’armée éthiopienne, une cavalerie de pre­
mier ordre ».
,
A laquelle de ces peuplades doit-on rattacher les H am i­
tes? Nous préférons, et pour cause, laisser intact le pro­
blème de leurs origines, en attendant de meilleures infor­
mations.
Jusqu’à quel point s’est faite l ’assimilation des Batutsi
parmi les Noirs des Grands-Lacs? Telle est la question que
l’on peut encore se poser. Dans les royaumes du Rwanda,
de l’Urundi et de l’Uha, les Hamites ont adopté la langue
f1) Les Noirs de l'Afrique, p p . 4, 5,
(2) Les Galla, p a r le P . M a r t i a l de

6; 16, 17; 115 et 116.
S a lv ia c .

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

15

bantu, qui est la même pour ces pays. Y ont-ils introduit
quelques mots de leur premier parler? Nous laissons aux
philologues le soin d’élucider ce problème.
Un fait est certain, c’est que les Batutsi se sont adaptés
aux mêmes façons de vivre, de manger, de se vêtir et de
se loger que les Bahutu, ce qui n ’a pas dû être une inno­
vation, s’ils provenaient vraiment des tribus hamites
insoumises dont nous venons de parler.
Même langage, même nourriture, mêmes costumes,
mêmes habitations; il n ’est pas jusqu’aux coutumes et aux
superstitions qui ne soient devenues communes entre peu­
ple vainqueur et peuple vaincu. Les rois hamites ont été
jusqu’à emprunter aux princes autochtones leur mode de
sépulture et le cérémonial en usage à cette occasion.
L’habitude de dessécher le cadavre royal sur un foyer, le
meurtre rituel de plusieurs individus pour accompagner
l’esprit du prince dans l ’An Delà, la création d’un bosquet
sur sa tombe, etc., sont de provenance m uhutu (*).
Le nom dos tambours, la forme de respect rendu tout
particulièrement au Kalinga ou tambourin-palladium, ne
sont que des survivances des usages pratiqués, autrefois,
à la Cour des roitelets aborigènes.
Les monarques batutsi ont maintenu et confirmé dans
leurs charges de sorciers, de magiciens et de faiseurs de
pluie, les descendants des roitelets qui réunissaient dans
leurs mains les pouvoirs spirituels et temporels, pour des
raisons de conviction et d’intérêt tout à la fois.
Les Hamites n ’auraient-ils pas introduit de nouvelles
superstitions? Comme ils sont à peu près les seuls, dans le
pays, à lire l’avenir dans les entrailles des poussins, il
(') Il serait. Intéressant de savoir de qui les princes Bahutu à leur
tour tiennent ces coutumes, qui rappellent de loin celles que l ’on suivait
pour l’inhumation des Pharaons. Nous rappelons au lecteur que les
Hamites s’étaient déjà répandus à travers tout le Protectorat de l ’Ugan­
da, bien avant leur entrée dans le Rwanda. Les potentats autochtones
n ’auraient-ils pas, à cause du voisinage, déjà subi l ’influence de cer­
tains de leurs usages ?

16

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

n ’est pas téméraire de penser q u’ils en ont pris l’habitude
en dehors du Rwanda.
A qui faut-il attribuer l’origine et la paternité de la
fameuse société secrète de Ryangombe, dont font partie
les Batutsi, les Bahutu et les Batwa? Existait-elle avant
l'arrivée des Hamites? Nous traiterons plus au long cette
intéressante question dans le Livre quatrième. Ce que l ’on
constate, c’est que les Hamites, tout cri s’adonnant à ce
culte, se montrent moins bruyants et moins exubérants
que les Bahutu, dans les cérémonies. Ils les célèbrent chez
eux, dans l’intimité, avec un personnel choisi et presque
trié sur le volet.
Le recours aux sorciers des différentes catégories, l’em­
ploi des sortilèges et des amulettes, les sacrifices aux
esprits des défunts, sont communs aux Batutsi et aux
Bahutu.
Les Négrilles de la région boisée paraissent moins
adonnés à ces superstitions. La seule catégorie de sorciers
pour laquelle les Hamites aient montré peu d’empresse­
ment est celle des « Ababyukurutsa », encore appelés Nyabingi ou prêtres de Biheko.
Biheko est un personnage fém inin, réel ou imaginaire,
honoré et invoqué à peu près exclusivement dans les pays
situés au Nord-Est du Lac Kivu, le Buogoyi, le Mulera, le
Ndorwa et le Buganza.
Le culte de Biheko semble venir des contrées voisines,
le Ndorwa, le Mpororo, dont sont originaires les Baiera.
Les ministres de ce culte élèvent des disciples, filles et
garçons, interprètent les volontés de Biheko, parlent en
son nom, passent pour guérir la stérilité, rendent la santé
aux enfants et donnent la fécondité aux champs, moyen­
nant finance, bien entendu.
Les Hamites ont laissé aux Bagoyi le soin de fêter l’ap­
parition de la lune. Ils ont toléré, mais sans y prendre
part, les danses et les réjouissances auxquelles se livrent
ces derniers venus dans la famille des Banyarwanda. Ceux-

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

17

là en ont emprunté l’habitude aux pays situés au Nord et
sur la rive occidentale du Lac Kivu.
Cette façon de faire est restée locale et ne s’est pas éten­
due dans le reste du Rwanda.
Si les habitants de l ’intérieur n ’accueillent point l’appa­
rition de l’astre des nuits, comme les Bagoyi, par l’emploi
des sistres, le son des flûtes, le bruit des clochettes, des
trompes et des tambours, ils le considèrent, toutefois,
comme un ami et un protecteur.
Les Banyarwanda étaient persuadés, avant la pénétra­
tion européenne, que leur pays était le centre du monde,
que c’était le royaume le plus grand, le plus puissant et
le plus civilisé de toute la terre 0). Aussi trouvaient-ils
naturel que les deux cornes du croissant lunaire fussent
tournées du côté du Rwanda, comme pour le protéger.
Les païens ont encore l’habitude, quand la lune est à
son premier quartier, d’élever le bras dans sa direction et
de dire : « Sois-moi favorable comme tu l’as été dans le
mois passé » (2).
S’ils ont eu des mécomptes ou ont été éprouvés par la
maladie, durant le mois écoulé, les suppliants varient
légèrement la formule : « Sois-moi favorable comme l’au­
tre fois » (Umbonekere nk’ ukundi).
Les Noirs, simples et crédules, prêtent à la lune une
grande influence sur les événements heureux (3).
t1) Ce sentiment que les Banyarwanda ont de leur supériorité n ’est
qu’une manifestation de ce que l’on peut appeler leur conscience ethni­
que. Il est commun aux autres peuples limitrophes.
(2) Umbonekere nk’ ugushize ! c’est-à-dire au sens littéral : Regardemoi comme (lors de la lune) écoulée. Il faut lever en même temps le
bras et le pied droit.
(3) On sait que les Chinois, les Juifs, les Abyssins et les Noirs consi­
dèrent la lune comme une protectrice.
« L’aspect de la lune, son contraste avec le soleil, ses transformations,
sa douceur, sa clarté, la fidélité avec laquelle elle « mesure » le temps,
l ’espèce de bienveillance sereine qui lui fait présider des nuits entières,
les danses et les fêtes au son du tam-tam, la facilité qu’elle donne de
voyager... tout cela la fait regarder comme une amie. Il (le Noir) ne
Mé m . I nst.

royal

Co l o n i a l

belge.

‘2

18

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

La dynastie royale des Batutsi se réclame d’une origine
céleste, tout comme les Pharaons d’Egypte, les empereurs
de Chine et du Japon. La vie des premiers princes, Muntu,
Kazi, Kigwa, Kimanuka, Gihanga, tient plus du roman
que de l’histoire. Dans les légendes consacrées à ces per­
sonnages, et qui prennent le monde à ses débuts, le mythe
religieux absorbe le mythe historique.
Le plus important des groupes ethniques d’où sortirent
les premiers rois d’Egypte avait pour emblème le faucon.
Chez les Batidsi du Bwanda, ce fut le clan des Banyiginya, dont le totem est la grue huppée, qui assura sa pré­
pondérance sur les autres. Outre la division en clans et
l’existence des emblèmes ou totem, qui sont des particula­
rités communes à ces deux peuples, on trouvera encore,
dans le cours de l’ouvrage, plus d’un point de contact
entre les Égyptiens et les Batutsi (*).
l'adore pas plus qu’il n ’adore le soleil et les étoiles; mais il est heureux
de saluer son retour, il est épouvanté des dangers que l ’éclipse lui fait
courir, et il lui témoigne une sorte de reconnaissance lointaine pour
tous les services qu’elle lui rend. » (Mgr L e r o y , Les Primitifs.)
« La lune, amie des Juifs, accomplit sa fonction sainte qui est de cou­
rir dans le ciel pour fixer la suite des années et des jours, et la date des
fêtes, et aussi pour guider les pèlerins qui s’en vont à Jérusalem, et les
pauvres voyageurs...
» ... Répandue sur la place, la foule vêtue de blanc faisait monter vers
l’astre éblouissant ces hymnes de tendresse, que, de tout temps, les fils
de Sem, Hébreux ou Phéniciens, nomades du désert ou de la mer agitée,
ont adressés à la froide Déesse, compagne et protectrice de leur mobi­
lité sans fin.
» O lune, disaient-ils, à l’origine des temps, au commencement des
âges, tu brillais, le jour comme la nuit, égale en beauté au soleil. Mais
tu rêvas de devenir la plus grande et la seule des lumières...
» ... Depuis ce jour, astre déchu, tu cours le ciel enténébré, pour con­
soler le malheureux, conduire le voyageur, servir de guide à l ’égaré.
rayon d’espoir dans les prisons et dans l ’âme des désespérés.
» Comme à nous, le pardon, ô Lune bienfaisante ! Alors tu régneras,
comme autrefois, sur les jours.... »
JÉRÔME et Jean T h a r a u d , L’ombre de la Croix, p p . 258 et 259.
H. P. Hue, Dans la Tartane, p. 71.
(i)
Qu’on ne s’attende pas à une chronologie exacte. Les Hamites du
Bwanda ont vécu au jour le jour; ils n’ont pas d’ère ni de division
normale du temps bien qu’ils connaissent les mois lunaires, de sorte
que la date et la longueur des règnes restent problématiques.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

19

Dans le livre premier, nous donnerons, avec un aperçu
sommaire sur le Rwanda, la physionomie physique et
ethnologique du pays, ainsi q u’un court exposé historique
de l’invasion hamite.
Dans le livre deuxième, on parlera de la « Fondation du
Royaume Hamite du Rwanda ».
Comment se fit l’établissement des Batutsi parm i les
Bahutu qui occupaient le pays et quelle fut la carrière des
princes hamites qui se succédèrent sur le trône, tel est
l’objet de cette deuxième partie.
Nous parcourrons successivement, dans l’ordre chrono­
logique présumé, le cycle de la dynastie mututsi, en rap­
portant, à chacun des trente-huit souverains, authenti­
ques ou supposés, les faits qui le concernent.
Quant aux légendes qui mentionnent les gestes de^ prin­
ces hamites, nous les donnerons dans la mesure où elles
se confondent avec eux, et, aussi, pour satisfaire la curio­
sité des lecteurs qui aimeraient à connaître la mentalité
des Banvarwanda et leur goût du merveilleux.
Dans le livre troisième, on raconte, d’après la légende
et la tradition, la vie et le règne du roi le plus célèbre,
connu sous le nom de Bungazu II Ndori. De tous les
monarques, il est celui qui a contribué le plus à l ’u n ifi­
cation du royaume. Il fit vraiment œuvre d’agrégation
politique.
Les emplois et les privilèges de la Cour, ses us et cou­
tumes, seront longuement développés dans le livre qua­
trième.
Un certain nombre d ’événements, l’épisode des Barenge,
l’invasion des Banvoro, la guerre contre les Barundi, sous
le règne de Chylima II Ludjugira, l’im m igration dans le
Bugoyi des hommes au langage incompréhensible, et
l ’histoire du Gyssaka, avec la légende de Bvangombe, for­
meront la matière du livre cinquième.
En raison de leur valeur historique, ethnologique et

20

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE r/AFRIQUE

littéraire, comme aussi à cause de leur longueur, ils m éri­
tent d’être traités à part.
N. B. — Quand nous aurons à citer dans le texte, en
langue runyarwanda, les noms propres, les termes géo­
graphiques et autres noms communs, nous les écrirons en
leur conservant l’article (*) et le préfixe nom inal (indiquant
le singulier ou le pluriel) (2), qui font corps avec le mot
lui-même, vq:
t1) L’article (a, i, u), qui varie selon les classes de mots, est désigné
dans les ouvrages runyarwanda déjà existants sous le nom de voyelle
euphonique.
(2)
Le préfixe nominal, qui indique le singulier ou le pluriel, varie
également d’après la classe des noms.
CLASSES.


Classe.

Ie
Ile

»

IIIe
IVe

»
»
,

ye

S IN G U L IE R .

P LU R IE L.

CLASSES.

S IN G U L IE R .

P L U R IE L .


mu
mu
n
ki
i


ba
mi
n
bi
ma


VIe Classe.
VII®
»
VIIIe »
IXe
»
Xe
»


u
ka
bu
ku
ha


n
tu
ma
ma
ha

NOMBRE

RADICAL

ARTICLE.

SING. O U P LU R.

DU MOT.

SIGNIFICATION.




mu
ba
mu
ba
ba
ba
ru
n


ntu
ntu
tutsi
tutsi
hutu
twa
go
go


l’homme
lf*s hommes
le Hamite
les Hamites
les serfs (cultivateurs)
les Négrilles
la palissade
les palisvsades

U
a

u
a
a
a

u
i

Alors qu’il serait plus logique de ne donner que le radical lui-même
vg. les util, les tutsi, les hutu, et au singulier, le ntu, le tutsi, le hutu.
Ce serait une affaire d’habitude, mais l’euphonie en souffrirait un peu.

UN

ROYAUME HAMITE
AU

CENTRE DE L ’AFRIQUE
LIVRE PREMIER
Aperçu sommaire sur le Rwanda et ses habitants.
CHAPITRE PREMIER.
Physionomie physique et ethnologique du Rwanda. Organisation poli­
tique, domestique et sociale des habitants.
CHAPITRE II.
Organisation domestique et sociale (suite). Clans; vie et traditions de
famille. Mentalité et psychologie; caractère et tempérament des Afri­
cains. Intelligence, savoir-faire et perfectibilité du Noir. L’Afrique, ber­
ceau de la civilisation aurignacienne.
Chapitre III.
Court exposé historique de l’invasion hamite à travers le Rwanda.

CHAPITRE PREMIER

Physionomie physique et ethnologique du Rwanda.
Organisation politique, domestique et sociale des habitants.
Le Rwanda est lim ité au Nord par le Protectorat de
l’Uganda, qui enclave le Bufumbiro, détaché du Rwanda
en 1912 par la Commission de Délimitation anglo-belge.

22

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

Au Nord-Est, il a pour frontière le Kagera, qui se jette
dans le lac Victoria.
Le fleuve de l’Akanyaru, qui le borne au Sud et au SudEst, n ’enferme pas le Bugessera. Cette province, qui se
ti’ouve à l’angle formé par le confluent de l ’Akanyaru et
de la Kagera, a été détachée de l’Urundi, auquel elle appar­
tenait autrefois. Elle en est séparée, aujourd’hui, par une
ligne artificielle. Le Bungwe non plus n ’est pas enlacé
par le fleuve du Sud, qui le laisse à sa droite.
A l’Ouest, le Rwanda est séparé du Congo belge par le
lac Kivu, sur une longueur de 120 kilomètres. Au NordOuest, la chaîne des volcans lui forme une lim ite natu­
relle, au delà de laquelle s’étendent toutefois deux autres
petites provinces, le Bgisha ou Gisigari, et .Tomba, ratta­
chées au Kivu belge, en 1912.
Telles sont à peu près les frontières du Rwanda, ce qui
n ’empêche pas ses habitants d’étendre leurs relations bien
au delà du cercle de leur pays. Ils vont ju squ’à l’Edouard
chercher le sel, qui est recueilli dans les marais qui avoisinent le lac. Ils y achètent aussi les peaux de colobus
blanc et noir (inlcomo) qui servent à confectionner le cos­
tume de Cour (inkindi), si cher aux pages (intore) de la
Cour.
Les Hamites du Rwanda entretinrent longtemps des rap­
ports de bon voisinage avec les rois plus modestes du
Karagwe et de l’Uswi, avec lesquels ils faisaient échange
de bons procédés.
11 n ’en fut pas de même avec l’Urundi, qui forme la
frontière Sud et Sud-Est du Rwanda. Malgré la com m u­
nauté d’origine et de langue, les deux pays se firent sou­
vent la guerre.
L’Urundi, cependant, servit fréquemment de refuge aux
bannis du Rwanda.
Les Banyanvanda ne cessèrent pas de faire des échanges
commerciaux avec les peuplades du Congo, qui leur four­
nissaient des pioches et des anneaux de fibre végétale,

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

23

appelés ubutega, que les femmes portent en guise de
parure autour des jambes (l).
Ces fibres sont tirées d’un arbuste (intunda), qui n ’existe
que dans le territoire de Masisi; leur achat donne lieu à un
va-et-vient incessant entre ce pays et le Rwanda. On se sert
encore de l’écorce d’une autre plante, dite isiha, pour faire
des anneaux d’une qualité inférieure, qui se vendent moins
que les autres.
Les butega sont considérés comme une parure, une
richesse, et servent de monnaie d’échange. Les Banyarwanda, riverains du lac et voisins de Masisi, étaient impo­
sés, comme contribuables, en butega. Chaque clan devait
en fournir annuellement plusieurs milliers à la reine-mère,
qui en disposait pour elle-même, ses suivantes et ses
esclaves.
Il n ’est pas rare de rencontrer des dames Batutsi qui por­
tent des centaines d’anneaux autour des jambes. Ces orne­
ments s’entassent les uns sur les autres ju sq u ’aux genoux
et donnent, à celles qui s’en parent, une démarche lente
et fort disgracieuse.
La garde-robe d’une femme riche comprend plusieurs
milliers de butega, dont l’achat occasionne des dettes qui
donnent souvent lieu à de longs procès et querelles.
Les rois du Bwanda dirigèrent aussi nombre d’expédi­
tions au Congo, sans autres résultats définitifs que des
razzias.
L’ensemble du Rwanda est un plateau élevé, fortement
ondulé. Il a été déboisé, pour écarter les animaux sauvages
et pour avoir des pâturages et des terrains de culture.
Le Nord-Ouest est une région accidentée, pittoresque et
forestière. C’est là que s’étend la ligne des volcans, à peu
près tous éteints aujourd’hui.
f1) Quelle que soit la somptuosité ou l’indigence de leur costume, les
femmes noires ont toutes un grand amour de la parure (Maurice
Delafosse).

24

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Les sommets les plus élevés sont le Karissimbi (*), qui
mesure 4,506 mètres; le Mikeno (2) ou M ukuru m ubi (3),
4,380 mètres; le Muhabura (4), 4,127 mètres; le Sabyinyo (5), 3,647 mètres; le Mago (®), 3,711 mètres; le Gahinga (7), 3,474 mètres, etc.
Le Père Paul Barthélémy, fondateur de la Mission de
Nyundo, dans le Bugoyi, est le premier qui ait fait l’as­
cension du Karissimbi, d’où le nom de Pic Barthélémy
donné, par certaines cartes, au plus haut sommet.
Le Mikeno, que l’on croyait jusqu’ici inaccessible, a vu
de hardis explorateurs profaner son inviolabilité (8). Cha­
cune de ses deux pointes élancées se termine par un
immense rocher, presque taillé à pic, qui mesure de trois
à quatre cents mètres de haut.
La plaine dite « des Volcans » s’étend entre la Rutchuru
et le lac Kivu. Elle est parsemée de blocs de lave et de
centaines de cratères de dimensions variables.
Parmi les volcans en activité, signalons le Nyiragongo
(3,496 mètres), aux formes entièrement classiques. Le cra­

(') Karissimbi, du mot amassimbi, sorte de coquillage blanc que les
Batutsi de l’Urundi et du Bwanda portent au cou en guise d’ornement.
A cause de sa couleur, il a servi à désigner la neige qui couvre les som­
mets et par extension la plus haute montagne.
(2) Mikeno, du verbe gukena, être dénudé.
(3) Mukuru mubi, sommet d’accès difficile.
(4) Muhabura, du verbe guhabura, remettre dans le chemin parce que
la montagne sert de point de repère aux voyageurs.
(*) Sabyinyo, le père aux grosses dents, à cause de ses arêtes vol­
caniques.
(6) On le trouve désigné à tort sur certaines cartes sous l’appellation
de Visoke. C’est une altération du terme Bisoko qui est le nom du pays
lui-même.
(7) Gahinga, le petit sommet.
(8) Durant l ’été de 1927, le 25 juillet, les PP. Van Hoef et Depluet.,
M. et Mme Léonard parvinrent à surmonter tous les obstacles en s’aidant
d’une corde et d’une petite échelle. Ils arrivèrent sur le pic du Sud,
séparé de l ’autre par un abîme.
Le sommet forme une esplanade à plan incliné et couverte de gravier
volcanique.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

“2 5

tère principal, au fond duquel s’ouvre une large chemi­
née (*), a un diamètre d’environ 400 mètres.
Son voisin de droite, le Nyamulagira (3,056 mètres), est
plus actif. L’ouverture du volcan mesure près de 2,000
mètres de diamètre.
Dans quatre ou cinq petites cheminées distribuées sur
une partie de l’ancien cratère, la lave en fusion bouillonne
constamment, dégageant des fumerolles et des vapeurs
su llïu ■euses. Le volcan dit de Mugunga ou de Msuro, non
loin du lac Kivu, émet encore quelques rares vapeurs.
L’éruption de ce dernier est de date récente, puisqu’elle
ne remonte q u’à la fin de décembre 1912.
Citons encore le Bwana-Mahalage, presque perdu au
m ilieu des blocs de lave. Il a eu deux éruptions succes­
sives, de 1908 à 1905; depuis, il n ’a pas donné signe de vie
Son cratère, à l’heure actuelle, s’est à peu près complè­
tement obstrué et n ’offre q u’un diamètre insignifiant.
Là où les laves ont commencé à se désagréger, comme
c’est le cas pour la plaine du Bugoyi, qui s’étend au NordKs| du lac Kivu, la terre est d’une grande fertilité.
L’aspect du pays est imposant et agréable à voir. Le lac
et ses îles, les hauts pics qui ferment son horizon au
Nord, sa plaine parsemée de cratères et ses volcans actifs
en font une contrée unique sous le rapport de la curiosité.
Le climat est tempéré et le sol riche. C’est une terre volca­
nique qui continue à se décomposer sans jamais s’épuiser.
On rencontre dans les champs le sorgho, les pois, les hari­
cots, les patates et l’éleusine. L’arum comestible est rare,
ainsi que le manioc, mais la pomme de terre et le blé se
répandent de plus en plus. Les terres dites du Bvahi et du
Riverere sont les plus propices à la culture de la fameuse
plante médicée (tabac), dont la vente fait largement vivre
nombre de familles.
C1) En 1912, il y avait deux cheminées juxtaposées. La paroi qui les
séparait a disparu en 1915.
La colonne de fumée, relativement légère entre les années 1908 et 1926,
a augmenté en janvier 1927 et se voit de loin.

26

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

La vaste plaine du Rwrere occupe près de la moitié de
la province du Bugoyi. On n ’y rencontre pas une source,
ni un ruisseau. Les eaux de pluie s’écoulent aussitôt sous
la lave, que recouvrent à peine 50 ou 60 centimètres de
terre arable. Les habitants sont obligés d ’aller puiser à des
distances variant entre 10 et 20 kilomètres, aller et retour,
aux ruisseaux de la Sebeya ou de la Mutura. En temps de
pluie, ils recueillent précieusement les eaux qui se ramas­
sent dans les anfractuosités des rochers ou dans les petits
fossés que creuse chaque individu près de sa demeure.
Les propriétaires de bananeries utilisent l ’eau que con­
tiennent les larges écorces des bananiers. Celles-ci sont
fendues dans le sens de la longueur, à l ’aide d’un couteau,
et il en sort de l’eau légèrement mélangée à la potasse.
Les indigènes s’habituent à boire ce liquide sans aucune
répugnance.
Les Bagoyi qui habitent la partie montagneuse sont
plus favorisés que ceux de la plaine, sous le rapport de
l’eau.
La partie Nord, appelée Bigogo, est tout en pâturages.
Elle est habitée par les Batutsi pasteurs, qui y possèdent de
nombreux troupeaux de vaches, la richesse du pays.
Ces mômes terres, tributaires des volcans, ont donné
naissance à une belle forêt, où poussent les bambous et
quelques essences rares; elle s’épanouit à l’Est du Kivu,
dans la direction Nord-Sud.
Les indigènes, toujours en quête de champs plantureux
ou de charbon de bois, lui ont porté des coups terribles.
Aussi y trouve-t-on de larges solutions de continuité.
Les provinces du Centre et de l’Est, le Nduga, le BwanaMkali, le Gissaka, le Buganza, etc., se composent de lon­
gues collines ondulées, presque toujours séparées par de
petites vallées souvent transformées en marais, fort pré­
cieux pour les cultures d’été.
Le Buliza, le Bussigi, le Luhanga sont de longs plateaux
où paissent de nombreux troupeaux de chèvres, de m ou­
tons et de vaches. Ces régions sont à une altitude moyenne
de 2,200 mètres.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

27

Le Rwanda compte aussi des lacs, dont le plus impor­
tant est le Kivu, qui mesure 120 kilomètres de long et
40 à 50 kilomètres de large.
Viennent ensuite, par ordre de grandeur, le Mohazi,
dans le Buganza; le Mugessera et le Sake, dans le Gissaka;
le Ruhondo (1,750 mètres d’altitude) et le Boléro (1,065
mètres), dans le Mniera, et le Karago, dans la plaine de
Lwankeri.
Au Bugessera, on compte plusieurs étangs : le Murago,
le Mirayi, le Kagomasi, le Chohoha, le Gaharwa, le
K ilim bi, etc. Le petit pays du Bgiriri, qui fait suite au
Gissaka, vers le Sud, comprend le Birira.
Les deux fleuves qui serpentent dans le Rwanda sont :
la Nyabarongo (l) et l’Akanyaru (2). Le premier, que
M. Kandt, le dernier résident allemand, dans un ouvrage
bien connu, a décoré du titre de « Caput Nili » (Source
du Nil), est formé par la jonction de deux rivières, la
Mwogo (3) et la Lukarara.
Ces deux torrents prennent leur source au Sud-Ouest
du Rwanda; dans leur cours supérieur, leurs eaux coulent
avec impétuosité dans un lit encombré de roches et de
galets.
Parmi les nombreux affluents de la Nvabarongo, citons,
par ordre alphabétique: la Rase, la Mukungwa (qui sort du
lac Ruhondo), la Nyabugogo, qui sert d’émissaire au
lac Mohazi, etc.
L’Akanyaru, dont le bassin est moins étendu, vient éga­
lement du Sud-Ouest et môle ses eaux à celles de la Nyabarongo, à la hauteur du Rugessera.
(!) Nyabarongo du verbe kulongora, kulongoroka, aller au loin. Ce
fleuve a été ainsi appelé parce qu’il s’étend à travers le Rwanda.
(2) Akanyaru du verbe kunyaruka, se précipiter. La rapidité de son
cours lui a fait donner ce nom.
(3) La violence de son cours et le volume de ses eaux, à la saison des
pluies, sont cause de nombreux accidents tragiques d’où l’expression :
Mwogo ! tu ne tues pas les gens, tu n’entraînes que ceux qui sont venus
(d’eux-mêmes) y chercher la mort. Mwogo ! ntiwich’ abantu, wicha
abakwizaniye.

28

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Les deux fleuves, après avoir fait leur jonction, échan­
gent leur nom en celui de Kagera (*). Avec cette nouvelle
dénomination, ils entrent dans le Victoria, où ils vont jeter
leurs ondes jaunes chargées de limon.
Le lac Kivu ne reçoit q u’une faible partie des eaux du
Rwanda; il a pour émissaire le fleuve de la Russizi, qui,
après un cours mouvementé, sur une longueur d’environ
120 kilomètres, va se déverser dans le Tanganyika.
Le Rwanda, dont la superficie peut être évaluée à 30,000
ou 35,000 kilomètres carrés, renferme une population que
l’on croit atteindre deux m illions d’âmes.
Elle comprend trois groupes ethniques bien distincts: les
Batutsi ou Hamites; les Bah util, du groupe des Bantu, et
les Batwa ou Négrilles (Pygmées).
Les Batutsi, qu’on pense originaires d ’Egypte ou d’Abys­
sinie (2), sont hauts de taille. 11 y en a qui mesurent jus­
qu'à 2 mètres et même 2m10.
(>) Kagera. Ce mot vient du verbe kugera, aller en profondeur.
La Kagera promène d’un cours lent, dans la plaine, ses eaux pares­
seuses qui s’épandent dans de vastes étangs et marécages, où pullulent
les crocodiles et les moustiques.
(2) La physionomie du peuple éthiopien est, au point de vue ethnolo­
gique, une exception en Afrique, tant par l ’ensemble des caractères qui
la déterminent que par l’originalité qu’elle présente. De sang imprécis,
c° peuple est apparemment d’origine indo-européenne par la régularité,
des traits et l ’ensemble physique. Le brun de l’épiderme n ’est que le
résultat d’un métissage postérieur sous l’action du soleil. Si l'aspect
extérieur ne suffisait pas à révéler chez l ’Ethiopien l ’infusion de sang
aryen, les dialectes locaux : le ghez ou vieil éthiopien et l’amharique,
auxquels de savants linguistes trouvent des sources iraniennes, vien
draient confirmer l ’opinion couramment admise. Sa filiation sémitique,
en tout cas, n’est pas douteuse. ( P i e r r e A lyp e , L'Empire des Négus,
pp. 22 et 23.)
Le même auteur ajoute que « la civilisation éthiopienne, née dans la
presqu’île arabique passée en Afrique avec des Yéménies dès une
époque très reculée se développa au contact de la civilisation égyptienne
sur laquelle elle ne manqua pas à son tour de réagir » (pp. 23 et 24).
Pierre Alype cite le nom d’un roi d’Ethiopie, Sebacos, qui d’après les
historiens, Hérodote en tête, conquit l’Egypte et l’occupa longtemps.
D’autres parlent d’un autre prince de même race, Taharka, qui en
même temps que l’Ethiopie gouverna l’Egypte huit cents ans avant
notre ère. On lui attribue l ’élévation de la colonne de lotus au temple
de Karnak

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

29

Us ont les membres bien proportionnés, les traits régu­
liers, le nez droit, les lèvres fines, et présentent des res­
semblances remarquables avec les Pharaons d’Egypte.
Comme les Ethiopiens, les Batutsi sont caractérisés par
leur teint brun avec un reflet rougeâtre, au moins chez
certains types, et par leur visage allongé un peu en ovale.
Généralement gais, ils sont d’un abord facile et en impo­
sent aux autres par leur allure noble, un peu hautaine,
mais correcte.
Alors que la taille moyenne des Batutsi est estimée à
l m79, celle des Bahutu s’élève à l'"67. Ceux-ci sont plus
trapus et plus courts, et leurs traits sont moins réguliers.
Leur force musculaire est supérieure à celle de leurs m aî­
tres, sans doute à cause des travaux pénibles auxquels ils
se livrent.
Les Bahutu sont en général moins séduisants, moins
polis et plus timides que les Batutsi. Dans la colère, ils
ne savent pas se dominer autant que ces derniers, mais,
par contre, ils sont plus simples et de mœurs plus
sévères (1).
La taille moyenne des Batwa ou Négrilles ne dépasse
pas l m59. Courts et trapus, assez mal proportionnés, ils
ont plutôt des formes disgracieuses. Ils sont velus, leur
poitrine surtout offre une large surface pileuse. Le progna­
thisme est plus prononcé chez eux que chez les Bahutu.
Ils sont aussi, au moins ceux qui habitent la forêt, plus
insensibles au froid et à la fatigue, habitués q u ’ils sont
aux privations et aux intempéries de la saison.
Leur vigueur et leur longévité sont passées en proverbe.
Aussi les Batutsi et les Bahutu aiment-ils à donner à leurs
enfants des noms de Batwa, tels que Mutwa, Gatwa, Lwa-

(!) La plupart des grands chefs sont polygames ou entretiennent des
concubines dans leurs nombreux domaines. Les simples pasteurs ha­
mites, et ce sont les plus nombreux, sont généralement monogames et
d’une moralité de bon aloi qui vaut celle des Bahutu. On peut même
ajouter que ceux qui mènent la vie pastorale pourraient en remontrer
à ces derniers sous le rapport de la décence.

30

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

mukore, Sekarahenyi, elc., comme s’ils pouvaient leur
infuser, par ces dénominations, les qualités physiques de
cette race (*). Un os quelconque, pourvu q u’il ait appar­
tenu à un Négrille, est réputé remède souverain contre
l’infirm ité dite des « makonyora », qui est une des suites
du pian.
Les osselets de cette catégorie se portent au cou comme
les amulettes.
La confiance que les Bahutu ont mise dans ces sortes
de gris-gris va plus loin. Ils ont cru ju squ’ici que, pour
améliorer le rendement d’un champ, il suffisait de jeter,
dans ce dernier, un doigt de Négrille, d ’où le nom de
« ilemo » (création, c’est-à-dire fertilité) donné à ces sortes
d’objets, et celui de « kulemesha » (fertiliser) pour dési­
gner cette opération.
Le genre de vie des Négrilles, leurs habitudes et leur
caractère ne ressemblent en rien à ceux des autres groupes
ethniques (2).
Les Batutsi sont un peuple de pasteurs par excellence.
Ils s’appliquent à peu près exclusivement au métier pas­
toral, quand ils n ’ont pas de collines ou de villages à gou­
verner.
C’est un métier qui a leurs préférences. Pour eux, la
(!) C’est dans le même ordre d’idées et pour des raisons semblables
que les Noirs portent des noms de certains animaux : hyène, lion,
chien, etc.
(2) Les préhistoriens et les anthropologistes « ont démontré scienti­
fiquement que les nains ou pygmées signalés de tout temps en certaines
régions de l ’Afrique appartiennent à une race humaine distincte de la
race noire. Non seulement ils sont en moyenne de couleur moins foncée
et de taille plus exiguë que la généralité des Nègres, mais en outre ils
se différencient de ceux-ci par nombre d’autres caractères physiques,
notamment par le rapport plus disproportionné des dimensions respec­
tives de la tête, du tronc et des membres. Les savants leur refusent
l’appellation de « nains », qui convient à des individus d’exception dans
une race donnée et non à l ’ensemble d’une race; ils rejettent le terme
de « pygmées », qui représente à notre esprit l ’extrême petitesse de la
taille comme un caractère essentiel et prédominant, alors que les
hommes dont il s’agit, bien que dépassant rarement 1 m. 55, ne descen­
dent généralement pas au-dessous de 1 m. 40. On leur a donné le nom
de Négrilles. » ( M a u r ic e D e la fo s s e , Les Noirs de l’Afrique, p. 8.)

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

31

vache prime tout. Un grand troupeau de bovidés est un
titre d ’honneur et un signe d’aisance. On peut dire en toute
vérité qu’ils ont le culte, la passion de la race bovine. Ils
ne pensent et ne causent que bœufs et vaches. Aussi, leur
rêve est-il d’en avoir le plus possible. Suivant l’axiome qui
veut que « La bouche parle de l’abondance du cœur », ils
ont conçu une formule de salutation qui traduit ce secret
désir de leur cœur.
« Amashyo! » c’est-à-dire « Puisses-tu avoir beaucoup
de troupeaux »! dit le plus digne; l’autre de répondre :
« Amashongore » « Puisses-tu avoir beaucoup de vaches! »
Avec le temps ils ont réussi à communiquer autour
d’eux cette soif de posséder des vaches. Tout Muhutu
s’estime heureux quand il en a une. On se demande si ce
ne serait pas les Batutsi qui ont importé le bétail dans le
Bwanda. Ce qui est certain, c’est que leurs bovidés se
distinguent des autres par la longueur de leurs cornes,
qui atteignent parfois jusqu’à un mètre et q u’ils ont une
grande analogie avec les vaches que l’on voit représentées
sur les monuments égyptiens.
L’hypothèse qui fait venir les Batutsi du pays des
Pharaons ne manque pas de relever le fait.
Il faut convenir que les Batutsi s’entendent bien à
l’élevage du bétail. Ils connaissent bon nombre de ses
maladies et le traitement qu’elles réclament. A voir les
soins dont ils entourent leurs vaches, on serait tenté de
croire q u’ils ont conservé quelque chose de la religieuse
vénération que leurs ancêtres possibles professaient pour
le bœuf Apis.
Ils ne souffrent pas que leurs animaux soient maltraités;
plutôt que de l’abattre ils laisseront tomber à terre une
bêfe malade, ou s’éteindre de lui-même un individu sénile.
La bouse de ces bovidés, que des serviteurs entraînés
ramassent chaque matin, de leurs mains est déposée, avec
soin, en dehors de l’enceinte faite de ficus, et forme avec
le temps, autour d ’une grande place fréquemment balayée,

32

UN ROYAUME HAMITE Al

CENTRE DE

l ’a FRIQUE

un avant-mur odorant. Il n ’est pas ju squ’à l’urine qui ne
serve à rincer les vases de bois où l’on verse le lait. Il va
sans dire que le liquide blanc,au contact de l’acide, prend
une saveur qui ne plaît pas à tout le monde et tourne en
peu de temps.
Les Bahutu sont avant tout un peuple cultivateur.
Ils forment le fond de la population, dont ils composent
aux moins les huit dixièmes. Alors que les Batutsi, qui
ne vivent que de l’élevage de leurs troupeaux, s’installent
à proximité des pâturages, de préférence sur les hauteurs,
sur les plateaux et à l’entrée de la forêt, les Bahutu
s’établissent dans les endroits où il leur est permis de
cultiver, surtout au m ilieu de leurs bananeries quand ils
en possèdent.
Leur

n o u r r it u r e

est

v a r ié e .

Elle consiste en haricots, petits pois et patates. Ils
cultivent beaucoup le sorgho, l’élusine et le maïs. Dans
certaines régions 011 rencontre le chou caraïbe ou arum
comestible (amatcke), l’igname (ébikoro), la courge et la
citrouille dont les gens sont friands. Il se fait aussi une
grande consommation de miel parmi les montagnards.
Ailleurs, le M uhutu le porte au Mututsi qui l’exige comme
une redevance et s’en sert pour faire l’hydromel (inkangaza et intoramo), la boisson préférée des nobles.
La banane, que le Munyarwanda mêle assez souvent à
ses autres aliments, lui fournit surtout une bière très
recherchée (inzoga y’urwagwa).
Les Banyarwanda pour donne*- du goût et de la saveur
à leur nourriture ordinaire et à leurs mets favoris y
mettent des plantes amères, ou des fruits acides et aigre­
lets qu’ils font cuire en même temps 0). Les ménagères
se servent aussi d’une eau qui contient un peu de potasse
(!) L’issogi est de toutes ces plantes la plus communément employée.
Les arbustes qui donnent les baies les plus estimées à cause de leur
goût amer sont « intagashya » et « igitagarasoryo ».

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

33

et remplace le sel absent. Les Noirs retirent ce médiocre
assaisonnement de la cendre de plantes qui poussent
dans les marais (x). On brûle ces herbes après les avoir
fait dessécher au soleil. La cendre est ensuite recueillie
dans un grand tesson sur lequel les humbles sauniers
africains versent de l’eau pure qui déborde et coule dans
une cruche, en entraînant avec elle quelques partictules
plus ou moins solubles de cette poussière charbonneuse.
Le liquide est mis en réserve. Les cuisinières en versent
une petite quantité, à chaque repas, dans la marmite.
Quelques familles vivent de ce modeste métier et font le
négoce d ’une eau qui n ’est pas salée, mais a un goût de
cendre.
Le sel, en effet, était rare avant l’arrivée des Européens.
Les grands chefs Batutsi étaient à peu près les seuls à pou­
voir s’en procurer.
Ce sel, recueilli par les Noirs dans les marais du lac
Edouard, contenait une proportion de terre et de sable au
moins égale à la moitié de son volume et se vendait néan­
moins fort cher sur les marchés indigènes
Le sel de l’usine Gottorp (non loin de Kigoma) a pénétré
aujourd’hui dans tous les milieux. Il est très estimé des
Banyarwanda qui l’appellent « ulugera », un substantif
dérivé du verbe kugera qui signifie pénétrer, parce que, à
cause de sa bonne qualité, de son goût âcre et piquant, il
arrive, disent-ils, jusque dans l’estomac. On comprend
pourquoi les Noirs privés de sel autrefois, recherchaient
les herbes amères et les fruits acides. Le piment et la
ciboulette, qui sont d’importation relativement récente,
ont eu pour ce motif beaucoup de succès auprès des Noirs,
qui en cultivent un petit carré auprès de leurs cases. C’est
probablement pour la même raison que les enfants se
montrent presque aussi friands de citrons que d’oranges.

t1) Les indigènes désignent ces herbes sous le nom de umuberanyi,
umurago et igikangaga. On utilise surtout les cendres de la dernière de
ces plantes.

MIÎM. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

3

34

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Quelques années après l’éruption tlile du Ntsuro (décem­
bre 1911 et janvier 1912) quand les indigènes purent sans
danger approcher du volcan, ils se mirent à recueillir du
sel mélangé à de fortes proportions de terre. Les habitants
des villages voisins passent la majeure partie de leur
temps à récolter l’indispensable substance. Pour débarras­
ser le sel de ses impuretés, les gens le mettent à fondre
dans de grandes auges en bois dites imivule ou imizinga
remplies d’eau. Le liquide est ensuite retiré pour être
exposé au soleil dans d’autres auges. Les ouvriers les plus
habiles et les plus entreprenants font bouillir l’eau jusqu’à
évaporation complète. Les marchés qui se tiennent au
nord de Kivu sont approvisionnés de ce sel qui se vend
malgré son infériorité aussi cher que celui de Gottorp. Il
est moins blanc, renferme des impuretés et reste toujours
humide.
Les Bat wa ou Négrilles ne cultivent pas beaucoup. Ils
dédaignent le travail des champs.
Cette occupation est presque « tabou » pour eux (*). Ils
se divisent en deux catégories : les potiers et les chasseurs.
Les premiers s’établissent dans les villages bahutu, mais
vivent à l’écart. Ils façonnent l’argile, métier que tout le
monde leur abandonne. En retour de leurs vases, ils
reçoivent des vivres.
Les chasseurs préfèrent la solitude de la forêt. Ce sont
les vrais enfants des bois; ils « trayent » la forêt de toutes
les façons, comme leur vache propre, selon une expression
(!) Chez les Batwa du Bugoyi qui vivent à la lisière de la forêt,
on rencontre des champs de petits pois sur une vaste étendue. Faut-il
voir dans ce fait un nouvel état, de choses dû aux changements profonds
qui ont bouleversé ou transformé leur ancienne manière de vivre ?
II est certain que les domaines de chasse des Pygmées ne sont plus
aussi spacieux qu’autrefois. La forêt diminue insensiblement, mais sïlrement, sous les coups de hache que ne cessent de lui porter les Bahutu
en quête de nouveaux champs. Il faut bien dire aussi que les Négrilles
ne peuvent plus se livrer comme par le passé à la maraude et au brigan­
dage. La pénétration européenne est pour beaucoup dans la cessation
de cette source de revenus. Les Batwa pour se sustenter se sont mis pai
la force des choses à cultiver comme les Bahutu.

UN ROYAUxME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

35

qui leur est familière. Ceux-là vivent du gibier q u’ils
tuent.
Très friands de viande, ils poursuivent sans relâche
l’éléphant, le buffle, l’antilope, la gazelle, le gros rat sansqueue, ni griffes, dit « inkezi », et le singe ('), dont ils
mangent la chair, ce qui les rend on ne peut plus
« impurs » aux yeux des autres. Ils se servent avec beau­
coup d’adresse d’arcs et de flèches en bois. Bien que
toujours à l ’affût du gibier, ils ne peuvent tirer de là toute
leur subsistance. Les plantes et les racines sauvages de la
forêt ne leur suffisent pas davantage. Jadis ils rançon­
naient les voyageurs qui avaient la témérité de passer sur
leur domaine et faisaient'des razzias dans les cultures des
Bahutu. Aujourd’hui que l ’autorité européenne a mis fin
à ces actes de brigandage, ils se sont créé des ressources
en fabriquant des cordes, en faisant des paniers et des arcs
q u ’ils vont vendre dans les villages ou q u’ils portent au
marché. On ne peut plus dire des Négrilles du RAAranda
q u’ils sont encore au « stade de la cueillette ». Ils l’ont
dépassé depuis une époque indéterminée.
Les grands chefs Batutsi aiment avoir quelques Batwa
autour d’eux et s’en servent surtout comme porteurs de
litière. Ils vivent nombreux à la capitale où ils sont
utilisés pour divers travaux de garde ou de surveillance.
C’est parmi eux que se recrutent les bourreaux, fonction
q u’ils exercent volontiers, car ils font leurs les dépouilles
des victimes.
Il faut ajouter qu’ils se montraient dans ce terrible
métier d’une cruauté sans exemple. Les cris des suppliciés
ne leur inspiraient aucune pitié. La pénétration euro­
péenne a mis heureusement un terme à ce lugubre métier.
Les Négrilles habitent des huttes de branchages très
(!) Seuls, le chimpanzé (impndu) et le gorille (ingagi) échappent au
pot au feu, « parce que, ajoutent les Pygmées non sans un grain de
malice, ils ont été des nôtres autrefois (ngo n ’ abat wa bachu) et que ce
n'est, qu’à la longue qu’ils ont dégénéré et se sont transformés en bête
(ngo zahinduts’ inyamaswa) ! »

36

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

primitives qui ne les mettent pas complètement à l'abri
des intempéries des saisons, n i des bêtes fauves. Ces der­
nières ne leur inspirent généralement pas grande crainte,
vu la connaissance q u’ils ont de leurs mœurs, de leurs
habitudes et de leurs repaires. Ils grimpent comme des
écureuils sur les arbres pour fuir le danger ou se mettre
aux aguets. Ils passeront huit ou même quinze jours sans
rentrer au logis, à la poursuite du gibier surtout s’il s’agit
d’un éléphant.
La région boisée est leur domaine propre, ils en con­
naissent les fourrés et les recoins, se glissent partout sur
les traces des animaux, à travers les épines et la broussaille, sans courir le risque de s’égarer.
Les Pygmées vivent par groupes de six à sept familles
réparties à travers la forêt q u’ils se sont partagée comme
un bien de famille, en s’y fixant des limites respectives,
pour ne pas se gêner.
La chasse en zone défendue ou même simplement
contestée a donné lieu à plus d’une rixe sanglante entre
frères et amis.
On compte à peine une quinzaine de ces groupements de
Négrilles-chasseurs qui auraient peine à se suffire, si la
viande était leur seule nourriture.
Les incendies volontaires pour cause de défrichement
qui ont amoindri le pays boisé et les nouvelles conditions
politiques qui transforment peu à peu la société contri­
buent à dim inuer leurs ressources alimentaires.
Aussi verra-t-on peut-être bientôt les derniers repré­
sentants de ces hommes des bois rejoindre leurs autres
compatriotes, les potiers disséminés à travers les villages
des Bahutu, ou se mettre à cultiver comme le font déjà
quelques-uns.
Les Batwa vivent complètement à l’écart. Ils ne se
mêlent pas aux Bahutu, encore moins aux Batutsi. C’est
une caste méprisée.
Le Rwanda n ’eut pas son unité politique dès le début.
On verra dans les pages qui suivent que son morcellement

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

37

en royaumes minuscules ou en petites principautés indé­
pendantes les unes des autres atteignait un chiffre consi­
dérable. Les pays les plus anciennement habités semblent
avoir été au Nord-Est, le Ndorwa, le Buganza, le Gissaka,
le Bugessera; au centre, le Nduga, le Munyambiriri; au
Sud-Est, le Bwana-Mkali. Les régions situées au ÎNordOuest, le Mulera, le Bugoyi, le Bgisha, le kanage, etc., ont
été conquises peu à peu sur la forêt et ont été peuplées
par des gens originaires des contrées voisines.
Politiquement, le Bwanda est une monarchie absolue.
Les Banyarwanda appartiennent au type de sociétés
« plus hiérarchisées, caractérisées par la constitution d’un
pouvoir central dont les ordres, obligatoires par euxmêmes, sont transmis ju squ’aux plus humbles individus
par une série continue de chefs subalternes ». Ce régime
fut la conséquence de l’invasion et de la conquête du
Bwanda par les Hamites. Le système monarchique fut
introduit par eux pour « maintenir par un l'éseau adminis­
tratif très ferme les populations assujetties » (x). Dans la
classification adoptée par Deniker (2), les Banyarwanda
appartiennent d’après leur degré de culture au premier
groupe par les Bahutu et les Batwa, mais il convient aussi
de les ranger dans la seconde catégorie à cause des Hamites
qui surent donner à leurs sujets soumis une organisation
supérieure et une culture plus élevée que celle des peuples
du premier stade. Ils forment une catégorie intermédiaire
entre les deux premières divisions de ce classement.
Le pays est gouverné par un roi dont le pouvoir est
illim ité, — il s’agit du passé — , et héréditaire. Le symbole
de la royauté est un tambour, objet sacré, espèce de palla­
dium , désigné sous le nom de Kalinga.

(1) Les relations entre l'évolution sociale et l'évolution religieuse,
par le R. P . P in a r d de l a B o u lla y e , S. J. (C o rre s p o n d a n t, 25 janvier 1929.)
(2) Races et peuples de la terre, 1900, p. 151.
Deniker répartit les peuples en peuples incultes, en peuples semicivilisés et en peuples civilisés.

38

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE 1)E ^AFRIQ U E

Gomme tous les potentats africains le prince hamite
avait jadis le droit de vie et de mort sur ses sujets; tout lui
appartenait en propre, terres et gens, récoltes et animaux
domestiques. C’est lui qui nom m ait les dignitaires et les
gouverneurs de province, presque toujours choisis dans
les rangs des Batutsi, la race noble et conquérante.
Ceux-ci à leur tour se choisissaient des auxiliaires qui
devenaient chefs de colline. Les grands chefs, tout en p o s ­
sédant nombre d’habitations dans leurs districts respectifs,
vivaient rarement au milieu de leurs gens.
Toujours entourés de rivaux jaloux et souvent malveil­
lants, ils étaient en butte aux intrigues. L’espionnage et la
délation étaient, à la Cour, à l’état endémique; voilà p o u r ­
quoi les grands dignitaires restaient à côté du roi pour
parer à tout événement.
La royauté hamite, devenue autoritaire, brilla tout de
suite d’un grand éclat. Les Banvarwanda, réunis sous un
même sceptre, devinrent un des peuples nègres les mieux
organisés et se répandirent au delà de leurs frontières
naturelles pour vaincre et soumettre au tribut les nations
ennemies qui les entouraient. L’union des clans Bahutu
s’effectua, grâce à l’organisation administrative de plus en
plus centralisée des nouveaux occupants.
Les rois hamites ne dépouillèrent jamais la simplicité
des mœurs antiques. Ils s’intéressèrent toujours à leurs
troupeaux de vaches q u’ils se faisaient présenter régulière­
ment, demandant et retenant les noms des bêtes et leur
généalogie. Sur les champs de bataille, on les reconnais­
sait à peine de leurs guerriers dont ils portaient le costume
et les armes, c’est-à-dire une simple peau de chèvre autour
des reins, une lance, un arc et des flèches.
En temps de paix toutefois l’étiquette élevait le
monarque et l’isolait de ses sujets. On ne pouvait aller le
visiter sans demander audience et sans se faire annoncer,
au moins pour ce qui concerne le com m un des mortels,
car les grands et les favoris usaient de plus de liberté et
même de sans-gêne. Le protocole de la Cour exigeait le

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

39

claquement des mains (gukom’ amashi) quand on se pré­
sentait devant le monarque.
Autour de lui se pressaient les « seigneurs » pour occu­
per les charges du gouvernement et former la Cour 0).
Celle-ci n ’accueillait pas seulement les princes de san”
royal, les dignitaires presque tous de race et sang hamite,
mais ceux aussi que le roi y introduisait d’emblée. On
trouvait parmi eux, en petit nombre cependant, des
roturiers, des étrangers et même plus rarement des Batwa
que leurs services ou leur habileté en sorcellerie avaient
élevé sur le pavois.
Pour tous c’était un art que d’arriver et de rester.
Le roi inspirait à'son entourage un respect très humble
mêlé d’une inquiétude constante. L ’incertitude de ce que
leur réservait son attitude digne, mais un peu hautaine, ne
laissait pas que de tourmenter ces ambitieux de la fortune.
Aussi épiaient-ils avec appréhension les mouvements de
son visage auguste qui, pour rester le plus souvent fermé,
trahissait parfois cependant ses sentiments les plus
intimes et ses dispositions les plus subites.
Un éclair rapide de colère dans ses yeux présageait la
disgrâce et peut-être la mort; un sourire illum iné dans
son visage sévère faisait s’épanouir de radieux espoirs.
Ces changements brusques et capricieux, qui pouvaient
décider de l’avenir et même de la vie, tenaient perpétuel­
lement les âmes en suspens entre la peur qui fait frissonner
et la paix aussi agréable qu’une douce fraîcheur.
... Pourtant si l’on vivait dans une incertitude anxieuse,
on essayait de se rassurer en se disant que le roi était trop
juste pour méconnaître la vertu et la droiture... Mais, si
cette intégrité du cœur, que la bouche exprimait pouvait
(t) La Cour des Hamites ! Quand il s’agit des personnes et des
temps dont nous écrivons l’histoire, il ne faut pas s’imaginer sous le
nom de Cour une de ces assemblées que virent se former les pays civi­
lisés. Celle des Batutsi ne leur ressemble guère. Cependant il est difficile
d’appeler d’un autre vocable l’ensemble des personnages et des domes­
tiques qui composent l’entourage, la suite et le cortège de ces potentats
africains.

40

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

rendre solide la situation du courtisan déjà parvenu, com­
ment aurait-elle suffi à faire apprécier l’aspirant courti­
san, dont les qualités étaient encore à peine connues?
Pour y réussir, pour trouver le patron décidé à introduire
un novice et assez entreprenant pour faire s’incliner vers
celui-ci le regard et le cœur du monarque, on devait par­
fois provoquer et soutenir l’intérêt d’un protecteur par des
attentions plus ou moins discrètes, mais toujours signi­
ficatives.
Le cadeau qu’on vous donne fait la route large.
Et il vous conduit en présence des grands.
Si la fortune tardait trop à sourire, on ne se décourageait
pas. C’est une habileté que de savoir •attendre.
Mais attente n ’est pas inaction. Une ville assiégée finit
toujours par tomber; il faut entreprendre le siège du
roi O .
La patience ne coûte rien aux ambitieux, tout pressés
q u’ils soient d’aboutir. La principale occupation des
grands et des parvenus était de faire de la politique,
d’ourdir des cabales, de flatter le roi et d’arrondir leur
fortune privée. Ils possédaient des terres et des troupeaux
qu'ils géraient avec soin.
Ils suivaient le prince dans ses déplacements pour ne
pas perdre ses faveurs, écarter les menées de leurs ennemis
et profiter des miettes qui tombaient de la table royale.
Tous s’avançaient et se poussaient pour s’approcher du
monarque et avoir une place de choix auprès de lui.
-Nul d’entre eux ne tenait à s’éloigner.
Ils voulaient vivre à la capitale, sous les yeux du maître,
de qui dépendaient le crédit et l ’avancement. La vie et les
papotages de la Cour étaient alimentés par les intrigues
des envieux, les rivalités, « l’àpre compétition du pouvoir,
les brigues pour gagner et garder la faveur, les insinua­
(*) La Cour royale et les classes sociales au temps de David et de
Salomon, par Louis Desnoyers. (Correspondant, 25 juillet 1927.)
Ce que l ’auteur dit des Hébreux s’applique proportions gardées aux
Hamites du Rwanda. Nous faisons maints emprunts à l ’article cité en
nous inspirant largement des idées qui y sont exprimées.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

41

tions perfides des ennemis qui se poursuivaient avec haine
et décence, les passions brutales assouvies à tout prix », les
disgrâces éclatantes et les exécutions officielles qui en
étaient parfois la conséquence.
On s’engouait avec une sorte de frénésie de tout ce qui
était anormal ou énigmatique, prédictions de sorciers,
fantômes, crimes, morts subites ou mystérieuses.
Et comme les habitués de la Cour connaissaient à fond
la généalogie du voisin, son passé, son histoire, ses rela­
tions, ses intérêts, il est aisé de deviner que la chronique
du jour portait également sur les querelles privées, les
deuils, les unions, les naissances. C’était la pâture habi­
tuelle des conversations. Pareil en cela en certain roi de
France qui faisait sa compagnie ordinaire de petites gens,
diseurs de bonne aventure, astrologues, apothicaires,
perruquiers, voire même Monsieur le Bourreau, le
monarque hamite à son tour aimait s’entourer de maîtresqueux, archiâtres, empiriques, magiciens et charlatans de
tout acabit, auxquels il répartissait à l’occasion les hon­
neurs et les places (‘).
On comprend facilement ce q u’était dans ces conditions,
l’administration royale. Nul soin d ’encourager les arts, de
favoriser l’agriculture, d’améliorer la condition du peuple.
Les droits des sujets existent bien en principe, mais ils
ne sont réglés par aucun texte organique et se trouvent
trop souvent soumis aux caprices du pouvoir royal et local.
Amoureux de leur propre gloire et uniquement préoc­
cupés de leurs plaisirs les souverains n ’avaient pas d’autre
am bition que celle de rehausser leur prestige et de jouir
de la vie.
D ’un règne à l’autre les rois ne se ressemblaient guère.
Le guerrier succédait au pacifique. Les uns, cruels et
brutaux, avaient les caprices sanglants et les passions
désordonnées des despotes et décadents; les autres, de
f1) On connaît quelques exemples éclatants de ces faveurs royales.
Des sujets de la plus humble condition réussirent à obtenir la main
d’une princesse hamite et à se faire anoblir.

42

l N ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

goûts plus simples, coulaient une existence paisible et
laissaient respirer le peuple.
On rencontre des Souverains qui aimaient et prati­
quaient les « choses de l’esprit », tel Yuhi-Mazimpaka dont
les productions littéraires sont encore fort prisées des intel­
lectuels noirs.
A l’écart de la Cour, vivaient les épouses et les concu­
bines du roi, « dont il avait remarqué lui-même la
beauté..., ou dont ses grands, sûrs de lui plaire ainsi, lui
avaient signalé les charmes ».
Parmi les raisons qui inspiraient la profusion des
femmes dans le harem du Souverain, « les sentiments du
cœur et les réclamations des sens y collaboraient » plus
que tout le reste. Nombreux sont les princes qui s’adon­
nèrent sans mesure aux œuvres de la volupté. On connaît
toutefois des idylles parées des charmes de la littérature
qui furent peut-être vécues.
Il faut avouer pour être juste qu’une grande idée prési­
dait chez les Hamites à la constitution de la famille.
Comme les Hébreux et tant d ’autres peuples de l’antiquité
les Batutsi envisageaient le grand nombre des enfants et
surtout des fils, comme un honneur, une g-Ioire et une
force. Ils s’estimaient heureux de voir grandir autour
d’eux leurs enfants et les enfants de leurs enfants ju squ’à
la troisième et à la quatrième génération.
Une nombreuse progéniture leur paraissait une sûre
garantie pour l’avenir de leur race. Ajoutons que la paix
ne pouvait s’asseoir à leur foyer. Car de toutes les femmes
légitimes il y en avait presque toujours une préférée.
« Rivales l’une de l’autre, rivales pour leurs enfants, elles
poussaient ceux-ci à la rivalité, et le mari obéissant à ses
préférences ou cédant à sa faiblesse ne savait point tou­
jours partager équitablement son cœur, ses faveurs et ses
biens » (*).
(!) La femme aimée s’appelle « nkundwakazi », la femme haïe
« mbikazi ». Rivale se dit « mukeba » ou « umugore w’ ishyari » c’est-àdire femme de jalousie au sens littéral.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

43

On devine sans peine les causes de trouble et les conflits
que faisait naître le nombre excessif des épouses et des
enfants.
L’histoire des princes hamites du Rwanda contient des
« pages souillées et comme ensanglantées par le récit des
passions qui les dressèrent les uns contre les autres, et qui
se déchaînant avec une violence brutale » finirent par
occasionner des tragédies et des révolutions de palais.
L ’unité et l’esprit de famille n ’ont jamais rien gagné à la
polygamie. L ’histoire des Hamites du Rwanda esl là pour
prouver et confirmer cette assertion.
La mère du roi conservait le premier rang parmi les
princesses du harem et régnait avec son fils. On lui
« témoignait les égards les plus respectueux, et qui vou­
lait obtenir une faveur du monarque n ’avait pas de plus
sûr recours que de passer par elle ».
Pour être prospère et puissant, a-t-on dit, un peuple doit
être bien discipliné. Ce qui a fait la force des Hamites,
c’est leur bravoure et leur organisation.
Ceux qui connaissent les Hamites ne peuvent s’empêcher
d’admirer parmi leurs qualités la persévérance dans
l’œuvre entreprise et l ’obéissance aux chefs. Ames poli­
tiques et diplomates, on leur reconnaît, et c’est à leur
éloge, une entière possession de soi, un grand calme. En
vrais chefs, ils se fâchent peu, leurs sentiments violents
paraissent rarement au dehors.
Leur apprentissage de la vie commence de bonne heure.
Dès leur enfance, les jeunes Batutsi, en effet, s’adonnent
à de vrais exercices de sport, sous la surveillance du
Mwami ou des grands chefs, pratiquent l’endurance, et
supportent vaillamment les fatigues que leur imposent les
longs et fréquents exercices du « guhamiriza » (danses
particulières aux Batutsi). Ils restent attachés, comme
pages (intore), de nombreuses années, au service du
Mwami ou des gouverneurs de province pour se former à
la vie et gagner les faveur des puissants du jour.

44

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

CHAPITRE II

Organisation domestique et sociale (suite). — Clans; vie et
traditions de famille. — Mentalité et psychologie; caractère
et tempérament des Africains. — Intelligence, savoir-faire et
perfectibilité du Noir. — L’Afrique, berceau de la civilisation
aurignacienne.
Les Banyarwanda, q u ’ils soient Batutsi, Bahutu ou
Batwa, sont agglomérés par tribus ou par clans dont ils
portent le nom. Ils mènent la vie patriarcale. Les contrées
du Nord-Ouest sont celles où l ’idée du clan a conservé toute
sa force et son importance; les membres qui le composent
mettent en commun leurs intérêts, leurs joies et leurs
intérêts, leurs joies et leurs vengeances.
L’exclusivisme y est rigoureux. Ces mêmes régions ont
opposé la plus grande résistance à l’envahissement des
Batutsi. On peut se demander d’où vient cette répartition
en clans.
u fur et à mesure de leur développement, chacun des
trois groupes ethniques, Batutsi, Bahutu et Batwa a adopté
le nom de l’un ou l’autre de ses ancêtres, pour se distin­
guer des autres familles ayant la même origine. De là est
venu le morcellement des tribus.
Les Basiete, Batutsi de fraîche date, se réclament de leur
aïeul, Busiete, le Mutwa d’origine, ennobli par Yuhi III
Gahindiro.
Parmi les Batutsi, ce sont les Banyiginya, les Bega, les
Balejuru, les Bakongori qui se disent descendus du ciel.
Le clan ou tribu n ’est autre chose que le lignage étendu.
« La famille ainsi constituée n ’est pas restée réduite au
père, à la mère, aux enfants, aux serviteurs...; elle s’est
agrandie. L ’esprit de solidarité qui en unissait les diffé­
rents membres, renforcé par les nécessités du temps, en
tient fixées au tronc les diverses branches. Les cadets et
leurs rejetons demeurent groupés autour de l’aîné et
continuent à recevoir de lui une direction commune.

UN ROYAUME HAMITE AL CENTRE DE L’AFRIQUE

45

Cette famille élargie, qui réunit les cadets et leurs
enfants, les cousins et les serviteurs attachés à la m ai­
son O , prend le nom de umulyango dont la signification
est la même que celle de « mesnie », du latin mansionata,
maison. La tribu devenue trop nombreuse dans la suite,
s’est fractionnée; chaque sous-tribu a pris alors le nom du
nouveau chef, tout en conservant, comme nom de rappel,
celui de l’ancêtre commun. En d’autres termes, les clans
principaux se sont scindé dans la suite des temps, et sous
un nom nouveau sont restés unis à la tribu mère.
Les Bagwabiro du Bugoyi sont les descendants d’un
pluviateur Migwabiro qui appartenait au clan m uhutu des
Basinga.
Il quitta son village de Suti (Munyambiriri) et vint,
après un essai infructueux de colonisation au Kinyaga,
s’installer au Bugoyi, sous le règne de Chvilim a II Ludjugira, aux environs peut-être de 1700. Il y retrouva son fils
Macchumu qui joua un rôle de choix dans la lutte contre
les fameux « Muets » ou hommes au langage incompré­
hensible.
Changement de pays, ennoblissement, rôle important
joué dans un événement, exercice d’une charge à la
Cour, etc. sont autant de motifs qui ont présidé à la créa­
tion de nouveaux clans. Nous constaterons dans les paares
qui suivent maints exemples de ces formations récentes.
Nous donnons ici une courte nomenclature des clans :


G

roupe

e t h n iq u e

des

B a t u t s i.

a) Les deux principaux clans :
Abanviginya, d’où est sortie la famille royale.
Abega.
b) Les clans secondaires :
Abatsobe (Gatsobe, Nyirarutsobe).
Abaha, venus de l ’Uha.
Abasinga, Abagessera, Abasiete, etc.
f1)

F un ck- B re ntano ,

L'Ancien Régime,

p . 15.

46

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE



G

roupe

e t h n iq u e

des

Ba h u t u .

a) Clans les plus anciens :
Ababanda, Abagessera, Abazigaba,
singa, Abatchaba ou abiru, etc.

Abungura,

Aba-

b) Clans secondaires ou récents :
Abambari, Abalevu, Abalindwa, Abatabo, Abahindi,
Abakora, Abahigo, Abahuma, Abatembe, Abaziko, Abashobyo, Abondo, Abanyunjo, Abajongo, Abachira, Abakwa, Abanyoni, Abungura, Abalimba, etc.


G

roupe

e t h n iq u e

des

Bat w

a

.

Ceux-ci empruntent aux Bahutu les mêmes désignations
pour la plupart de leurs clans. On rattache à la race
des Batwa les « Bayovu » qui, bien q u’originairement
« Bahutu », sont considérés comme des dégénérés parce
que à l’instar des Négrilles, ils mangent des animaux
réputés impurs et s’occupent de poterie.
Malgré leur répartition plus ou moins factice en tribus,
les Pygmées se considèrent pratiquement, au point de vue
social, comme faisant partie d’un seul groupe, dit des
Batwa. Ils pratiquent entre eux ce que nous appelons la
solidarité.
Quelqu’un d ’entre eux est-il tué, tout le groupe se
sentira lésé et se lèvera pour le venger. Un Mutwa en
voyage reçoit partout l ’hospitalité chez ses « frères »,
même quand il esl inconnu d’eux.
- Le droit de propriété existe chez les Banvarwanda. 11
est bien défini par la coutume et la tradition, nonobstant
les injustices passagères et le pouvoir discrétionnaire du
roi et des chefs. Tous le reconnaissent et l’admettent en
principe. Nul ne se fait faute de l’exercer ou de le réclamer.
On en tient compte dans les procès.
Les filles n ’héritent pas, mais restent à la charge de
leurs frères, ju squ’au jour où elles entrent en ménage.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

47

Les garçons seuls se partagent les biens immeubles 0).
L’aîné ou tout au moins celui qui est désigné par le
mourant pour lui succéder, reçoit une part un peu plus
grande que celle de ses frères en vertu de son droit
d’aînesse. Si les héritiers sont au nombre de trois, la pro­
priété est divisée en trois lots, d’égale grandeur à l’exclu­
sion d’un champ ou d’une petite bananerie.
Cette parcelle est appelée « umusaya » et s’ajoute à la
part du premier.
Il y a parité pour chacun d’eux dans le partage des
bovidés et des ovidés.
Les terres libres ou abandonnées ne se rencontrent pas
au Rwanda. Il peut y avoir des zones plus ou moins éten­
dues, inoccupées parce que peu fertiles, dangereuses à
cause des fauves, trop éloignées des centres habités ou
trop vastes par rapport au chiffre de la population, elles
ne sont pas, pour ce motif, « res nullius ». Leurs proprié­
taires en gardent toujours la jouissance et en prendront
possession effeelive quand ils voudront.
Forêts, montagnes, landes, marécages et marais m ou­
vants sont divisés en une m ultitude de lots, dont les posses­
seurs sont parfaitement connus.
Les chefs par suite d’un abus d’autorité peuvent se
réserver provisoirement une partie des plateaux, des
vallées ou des bas-fonds marécageux pour y faire paître
le bétail.
Leurs administrés, malgré cela, restent en droil proprié­
taires de ces terres et prairies et ne manqueront pas de
faire valoir leurs titres à la première occasion, par exem­
ple au départ ou lors du remplacement du chef.
Il arrive fréquemment dans certaines régions que les
parcelles cultivables deviennent insuffisantes pour les

(i) On trouve à l ’état d’exception quelques domaines patrimoniaux
indivis que les cohéritiers unis entre eux par le « frerage » (ou « frareshe ») exploitent d’un commun accord. Ces biens-fonds portent le nom
de « isage » (ou « ingaligazi »).

48

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

besoins de la population. Les moins favorisés du sort ou
les plus entreprenants s’entendent alors pour vendre ou
échanger leur part et vont à la lisière de la forêt acheter
un terrain ou mettre en valeur celui q u’ils y possédaient.
Le clan dont ils sont membres compte désormais un
village de plus.
La vente et l’affermage des terres et bananeries se fait
comme en Europe devant témoins. Les propriétés sont
délimitées et se reconnaissent à des bornes et autres m ar­
ques conventionnelles.
Un arbre coupé, une pierre déplacée, quelques coups
de pioche donnés sur la limite dans le champ du voisin
donnent lieu a de fréquents litiges qui mettent la désu­
nion durant de longues années dans les familles et parmi
les tribus.
Le Munyarwanda reste attaché à son village natal, à
son coin de terre. Il n ’éprouve pas le besoin de se déplacer
et de transporter ailleurs ses pénates, comme le font les
Noirs installés à l’Est et à l’Ouest du Tanganyika.
Le sol du Rwanda est de beaucoup plus riche et supporte
des cultures nombreuses et variées.
En plus de la bananerie, qui est la partie principale de
sa propriété, le Munyarwanda commence à planter des
arbres et à cultiver le caféier qui lui rapporte de gros béné­
fices auxquels il n ’était pas habitué. La possession d’un
petit troupeau de bovidés ou d’ovidés lui rend son
(( home » encore plus cher.
On peut dire que son foyer domestique est plus stable
que dans les régions voisines et q u’il ne le quitte que
difficilement (*).
La ligne de conduite que suivent les Banvarwanda
quand il s’agit de tester prouve que leur organisation
t1) Les Noirs aussi connaissent la nostalgie ou mal du pays. La
crainte de la vendetta et l’emprise des gros salaires peuvent momenta­
nément inciter les indigènes à s’expatrier. Ils reviennent tôt ou tard
au berceau de leurs aïeux. Les Banyarwanda citent des traits caractéris­
tiques à ce sujet.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

49

sociale tout en laissant à désirer est supérieure à beaucoup
d ’autres, parmi les tribus nègres.
Hamites, Bahutu et Batwa tiennent à exprimer nette­
ment leurs dernières volontés pour ne rien laisser à
l’imprévu et empêcher l’esprit de chicane de se glisser
parmi leurs héritiers.
De son vivant le père, au jour choisi par lui, réunit ses
enfants autour de sa personne, ou s’il veut donner plus de
solennité à son acte, se présente avec eux chez le chef de la
colline auquel il offre une bière en cadeau comme entrée
en matière. Il désigne parm i ses rejetons mâles comme
légataire principal celui q u’il préfère, l’aîné, le benjam in,
n ’importe lequel d’entre eux.
L’élu lui succédera dans son rôle de chef de famille,
pour lever l’impôt sur ses frères au nom du roi ou du chef
hamite et traiter avec ces derniers des affaires concernant
le petit groupe.
Le père peut déshériter et maudire le fils dont il aurait
eu gravement à se plaindre, qui lui aurait manqué de
respect, l ’aurait insulté, l’aurait abandonné dans ses m al­
heurs, ou lui aurait fait défaut dans un procès : « Qu’il
n ’ait plus d’enfant, s’écrie-t-il en crachant dans l’une et
l ’autre de ses mains. Tu as mal agi à mon égard, je te
retranche d’entre les miens, je te maudis » (x).
Le bien de famille est partagé, avons-nous dit, en autant
de lots q u’il y a de garçons.
Il en est de même des troupeaux, vaches, chèvres, m ou­
tons. Chacun en a sa part égale.
L’exécuteur testamentaire en sa qualité d’aîné ou de
chef de famille ajoute à son avoir patrimonial un petit
champ ou un coin de bananerie.
Il reçoit habituellement du vivant de son père une vache
dite vache d’obédience (inka y’indabukirano) pour affir­
mer son autorité sur ses frères. Ceux-ci doivent à leur tour
lui offrir une bière, une pioche et un mouton pour faire
f1) Ntabyare ! ntaheke ! Wambereye gito, nanje ndaguchiye mu bana
banj e !
Mém.

in s t .

R o y a l Co l o n i a l B e l g e .

4

50

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

acte de vassalité. Ils reconnaissent par là sa supériorité, se
mettent sous sa dépendance. Lui, en retour, devra s’inté­
resser à eux et à leurs procès, s’occuper de leurs affaires
en cas de maladie, les défendre envers et contre tous.
Les filles n ’ont aucun droit à la succession paternelle.
Mais, par contre, le père avant de m ourir désigne pour cha­
cune d’elles un de ses fils qui devra spécialement s’occuper
de leur avenir, de leur mariage et veiller sur elles jusqu’à
leur établissement.
Celle dont la dot a été payée en vaches reçoit de son
père ou de son frère une génisse, le jour où elle vient leur
présenter son premier-né. Dans les familles riches elle est
gratifiée d’une vache, à chaque naissance d’enfant mâle.
S’il s’agit de gens de condition modeste, le cadeau consiste
en un taurassin, une chèvre ou une ou deux pioches selon
l’importance de la dot payée (*)•
Au décès de leur père, les filles ne reçoivent que des
vêtements en peaux de vache, des pioches ou des moutons
que l’on désigne en raison du deuil sous le nom de
<( salaire ou récompense des larmes ».
La veuve, celle dont le fils a été choisi comme légataire
principal, jouit habituellement des biens familiaux jusqu’à
sa mort. Le partage n ’a lieu d’une façon définitive qu’après
sa disparition d’entre les vivants. Une veuve sans enfants
est généralement chassée par les parents de son mari qui
se répartissent les biens du défunt. On ne lui laisse en la
congédiant q u’une natte et quelques ustensiles de ménage.
Si elle est relativement jeune, un de ses beaux-frères la
prend comme concubine ou lui cherche un autre mari.
(i)
La vache donnée dans cés circonstances porte le nom de « vache
de la jeune mère » (ichari, umwari). Le taurassin obtenu dans ces
même conditions est désigné sous le nom de « vêtement de femme »
(inkanda) parce que la peau de l ’animal doit servir en principe à habil­
ler l ’heureuse mère.
Le père de l ’enfant doit, selon l ’usage en vigueur chez les Banya­
rwanda à cette occasion, offrir à son beau-père ou à celui de ses beauxfrères, constitué tuteur de sa femme, trois cruches de bière et un panier
de nourriture cuite.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

51

Quand un enfant perd ses parents, 011 lui donne un tuteur.
Le tuteur légal est le grand-père paternel, ou à son défaut,
un oncle, un cousin germain du côté paternel ou, enfin,
le chef lui-même du village.
Les oncles et les tantes du côté maternel, surtout s’ils
appartiennent à un autre clan, ne peuvent en règle géné­
rale régir les biens de l’orphelin. Cela donnerait lieu à des
contestations et à des procès entre les membres des deux
tribus. Ils peuvent tout au plus élever l’enfant.
La tutelle revient de droit aux parents du côté paternel
qui administrent les biens du pupille jusqu’à la majorité
de ce dernier, c’est-à-dire ju squ’au jour où il prend
femme, ce qui arrive habituellement à l’âge de dix-huit
ou dix-neuf ans.
S’il ne reste que des filles, les parents les plus rappro­
chés du côté paternel héritent du bien de famille, mais
doivent s’occuper des orphelins jusqu’à leur établissement.
Quand un individu meurt sans postérité et ne laisse
aucune parenté, ses biens reviennent de droit au chef de
la colline. Ces biens se nomment « inkungu ».
Les familles sont nombreuses, mais la mortalité infan­
tile y est considérable.
Huit jours après sa naissance, le nouveau-né reçoit du
père un nom approprié aux circonstances O . La mère est
(i)

N o u s v o y o n s to u s les h o m m e s , d it M g r Le R o y , se d o n n e r u n n o m

q u i le s d is t in g u e , et s o u v e n t le m e ille u r q u ’i ls a ie n t tr o u v é a été c e lu i
d ’u n a n im a l d o n t ils a v a ie n t r e m a r q u é l a fo rc e , l ’a d re sse , l ’a g ilit é

ou

l a b e a u té , d ’u n e p la n t e q u i le u r é t a it u tile ..., d ’u n o b je t o u d ’u n p h é n o ­

(Les Primitifs, p . 126.)
Nous donnons quelques exemples de ces appellations familiales :

m è n e q u i les a v a it fr a p p é s .

N t a r e ........................ =
Se-ntama....................Se-buhene................ Se-nkôkô . . . . . . =
Se-mbga.................... =
N jangw e....................=
Se-biti........................ =
Bissussa....................=
Nyira-massaka. . . . =

le lion.
l'homme (ou le père) au mouton.
l’homme aux chèvres.
l’homme aux poules.
l’homme aux chiens.
le chat.
l’homme aux arbres.
les orties (comestibles).
la fille au sorgho.

52

UN

royaum e

h a m it e

au

centre

de

l ’a f r i q u e

assez considérée et l’enfant bien traité, mais à notre point
de vue son éducation est nulle.
Comme chez la plupart des peuplades nègres, la loi est
sévère pour les crimes hors mariage.
Il n ’est pas inouï d ’entendre dire q u’un mari lésé se soit
fait justice lui-même, surtout quand les coupables ont été
surpris en flagrant délit. Pour ce qui est des filles-mères
(ibinyandaro), au Bugoyi elles étaient exposées sur les îles
du lac Kivu où elles mouraient de faim. Les petits îlots
rocheux et absolument arides de Ntera, Kapfunuka,
Itembabagoyi en sont devenus célèbres, ainsi que les îles
plus étendues, mais désertes connues sous le nom de
Bugarura, Wavvu, etc. Dans le Nduga et dans les autres
provinces limitrophes de l’Akanyaru, elles étaient inexo­
rablement poursuivies par les chefs qui les faisaient noyer
dans le fleuve. On les y jetait pieds et poings liés et si elles
tardaient à disparaître sous les eaux, on les assommait à
coups de rames ou de bâtons, sous les yeux de la popu­
lation qui venait assister à leur supplice. Il est tel individu,
riverain du fleuve, chargé d’office d’exécuter ces malheu­
reuses, qui raconte froidement les noyades q u’il besogna
lui-même. A l’en croire, une douzaine de victimes lui
passèrent par les mains. On raconte q u’un grand-père
lui-même se fit le bourreau de sa petite-fille pour n ’être
pas poursuivi par les chefs qui profitent de l’occasion pour
Se-bishimbo . . . . = l’homme aux haricots.
Se-masuka................ = l’homme aux pioches.
Hakiz’ umwanU . . . - c’est le roi qui grâcie (ou qui favorise).
Nyiragitondo . . . . = la mère du matin (celle qui est née dans la
matinée).
Se-batware................ = l’homme des chefs.
Se-mapfa................... = l’homme de la famine.
M a d jo ro .................... = la nuit (parce que né de nuit).
Semahundo................ = l’homme aux tiges de sorgho.
L w a n g o .................... - celui qui hait.
Luvuga-make . . . . = celui qui parle peu (c’est-à-dire le paisible).
Se-bazungu.............. .■= l’homme des Européens, c’est-à-dire né à l’arri­
vée des Blancs.
Ndegeya.................... = l’homme au sixième doigt, c’est-à-dire né avec
cette particularité d’un sixième doigt.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

53

piller les parents de la criminelle. Quelquefois les familles
réussissaient à racheter leur enfant en cédant une vache
aux autorités locales; mais ce moyen n ’était évidemment
pas à la portée de tout le monde. Même dans ce dernier cas
le nouveau-né était impitoyablement tué dès sa naissance.
On arrivait aussi quelquefois à faire fuir la coupable à
temps, à l’Urundi, au Ndorwa ou au Congo. La raison
donnée de cette sévérité, c’est la crainte des châtiments
qui ne manqueraient pas de fondre sur le pays, à la suite
de crimes de ce genre.
Ajoutons que c’est du passé qu’il s’agit, et qu’il serait
bien difficile aujourd’hui de faire disparaître les crim i­
nelles à l’insu des Européens. Bien plus, les fautes de cette
nature étaient relativement rares. Les Banyarwanda sont,
en effet, de beaucoup supérieurs, sous le rapport de la
moralité, aux peuples limitrophes. Peu importe qu’on le
mette sur le compte de l’altitude du pays qui atteint une
moyenne de 1.700 à 1.800 mètres ou sur celle de leurs
habitudes de travail, toutes choses d’ailleurs fort vraies.
Toujours est-il que les femmes sont très réservées. Il en
est de même des filles nubiles que leurs mères surveillent
aussi de près.
Le Munyarwanda habite des huttes rondes, faites de
roseaux, de bambous et de menus bois plantés en terre et
dont la pointe va se perdre dans une sorte de ciel (igisenge)
tressé au préalable.
Des tiges flexibles, réunies en nombre, liées à l ’inté­
rieur, en forme de cercle donnent à la construction de
l’unité et de la consistance. Des piliers en bois, disposés
sous la coupole, servent d’appui et empêchent la voûte de
s’effondrer sur ses maîtres.
La couverture en est faite d’herbe : c’est tantôt le foin
des prairies, tantôt la grossière herbe des marais dit
urukangaga.
Ajoutons que la beauté comme la solidité de la case
varie avec l ’état de fortune de son propriétaire. La hutte

54

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

comprend plusieurs compartiments partagés par des cloi­
sons tressées en bambous ou en roseaux.
Le lit se compose de quatre piquets fixés en terre et
reliés entre eux par des bois en long et en large.
Il porte un matelas d’herbes recouvert d’une natte. Le
lit est réservé aux parents; les enfants dorment à terre sur
une natte dont une moitié sert de paillasse et l’autre de
couverture.
Si le propriétaire a quelques ovidés, chèvres ou m ou­
tons, voire même un petit veau, il leur fait un logement
en un coin de la hutte. La volaille à son tour y trouve une
place. Et tout y dort du plus paisible sommeil.
Le mobilier est très rudimentaire. Trois boules de terre,
jadis trois coupoles d’autant de fourmilières, forment les
chenets du foyer. Ils supportent le grand pot à eau où
invariablement tout cuira. Au-dessus du foyer se trouve
une sorte de claie sur laquelle on fait sécher le bois.
Par ailleurs, contre la cloison qui limite l’espace réservé
à l’étranger, des pots et des cruches de différente grandeur,
une demi-calebasse pour puiser de l’eau, des calebasses
entières de forme et de capacité diverses servant de réci­
pient au jus de banane ou à son défaut, à l’eau potable.
Si le Munyarwanda est favorisé d’une vache, qui est un
présent des dieux, il aura encore des vases à lait et des
barattes. Des rondins en bois légèrement évidés servent
de siège. La case est ordinairement entourée d ’une cour
plus ou moins vaste, fermée par une enceinte de ficus ou
d’euphorbes (imivenzi) qui sert d’abri contre le vent et
protège des voleurs. De petits édicules (indaro) consacrés
aux esprits, ainsi que des greniers à provisions s’élèvent
dans l’intérieur, sur l ’un ou l’autre des côtés de la cour.
L’industrie f^u Rwanda est très primitive. Le pays est
pauvre en minerai de fer. On ne le rencontre guère que
dans le Buberuka et au Kanake. Les Banvarwanda le tirent
surtout du Bunyabungu, au Sud-Ouest du lac Kivu.
Ils en font des houes, des lances, des serpes, et couteaux rudimentaires.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

55

La vannerie est plus développée, mais à part quelques
petits travaux exécutés avec un certain art, par les femmes
Batutsi dans leurs moments de loisir, cette industrie n ’a
rien de bien remarquable. Les ouvriers et les artisans ne
visent q u’au pratique. La poterie, comme nous l’avons dit
est l’apanage à peu près exclusif des Batwa ou des Bayovu,
un clan m uhutu presque aussi méprisé que le groupe
ethnique des Batwa.
La femme comme l ’homme a son travail déterminé.
Pendant qu’elle s’occupe des enfants, prépare la nourri­
ture, entretient l’ordre et la propreté dans la case, le mari
trait les vaches, répare la maison. Par ailleurs on les voit
souvent ensemble cultiver les champs ou récolter les
céréales (*)•
Au point de vue religieux le Munyarwanda est super­
stitieux à l’excès. Il reconnaît l’existence d’un être suprême
(Imana), créateur de toutes choses, mais ne s’en occupe
pas beaucoup dans la pratique de la vie, pour la raison
q u’il ne fait pas de mal.
Ses soins vont aux mânes q u’il redoute. Il croit, en effet,
que les esprits des morts sont les auteurs des maux qui
l’affligent.
De là des invocations, des offrandes, des libations
devant l’édicule forme capuchon, où se localise l’esprit
irrité qu’on lui a signalé.
Le Munyarwanda est assujetti à la loi des Tabou
(imiziro).
On ne peut fumer, ni s’asseoir sur une chaise en temps
d’orage. Une femme ne doit pas se servir de la serpe pour
couper de l’herbe. Elle ne peut manger que de la viande
de vache. La chair de certains animaux est interdite,
(!) Grammaire Kirundi, par le R. P. Ménard, des Pères Blancs. Mai­
son-Carrée (Alger).
Ce que l ’auteur y dit des Barundi, dans sa Préface, s’applique à peu
près intégralement aux Banyarwanda. Les deux pays et les deux
nations se ressemblent beaucoup. La langue est la même à quelques
différences près.

56

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

tantôt à tout Munyarwanda, tantôt à certains clans. Les
objets qui ont servi au défunt et les vivres qui se trouvent
dans la case au moment du décès sont tabou. Quand le
deuil aura pris fin, tout cela devra être purifié au moyen
de l’eau lustrale. La veuve, elle aussi, devra passer par les
rites de la purification.
Il est des jours où le travail est interdit. La parenté d ’un
mort cesse toute occupation quatre ou cinq jours durant.
Au décès du roi, toute culture est prohibée l’espace de
trois mois. Dans certaines régions du Rwanda, on chôme
un jour à la naissance d’un enfant, à la suite de l’incendie
d’une hutte, à la chute de la grêle, voire même à la mort
d ’un chien. Certains tabou atteignent le roi seul.
Il faut mentionner le mode d ’inhum ation particulier aux
Banyarwanda, il est com m un du reste à d’autres peuplades
africaines. Lorsqu’un malade est sur le point de mourir
et q u ’il écarts les bras et les jambes, ses proches lui
ramènent les genoux sous le menton. Les bras sont repliés
aux coudes et les mains ramenées sur Je visage.
Cette attitude d’accroupissement du cadavre est de règle
absolue chez les païens. 11 n ’est pas téméraire de dire que
cette position plus q u ’incommode imposée au moribond
lui rend la respiration très difficile et abrège ses derniers
instants.
On dépose dans la main droite du défunt des feuilles
de plantes à propriétés magiques, ishoza, umulembe,
umwishwa, des grains de courge, de sorgho, d’issogi et
de la laine de mouton, toutes choses dont le symbolisme
est expliqué par les paroles suivantes, prononcées à cette
occasion : <( Reviens parmi nous comme l’agneau (ou avec
la douceur de l’agneau)! Reviens parmi nous sans épines
(comme les plantes douces au toucher que nous t’avons
données), c’est-à-dire sans mauvais dessein ». Ses parents
lui confient des vivres et quelques ustensiles pour le long
voyage de l’an delà. Ils subviennent à ses besoins, mais
lui demandent en retour de ne pas venir les tourmenter.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

57

C’est une coutume ethnique à l’observation de laquelle les
Noirs se montrent d’une fidélité absolue, à tel point que
si la mort survient à leur insu, ils feront tout pour ramener
le cadavre à cette position d’accroupissement. On se servira
même s’il le faut d’un instrument tranchant pour imposer
aux membres l’attitude voulue. Donner au défunt la forme
d’un panier (Gupfuny’ upfuye nk ’ igitebo), telle est
l’expression runyarwanda consacrée pour l’usage. Les
Noirs croient faire oeuvre de piété filiale en agissant ainsi.
Ce serait manquer de respect envers un mort que de ne pas
lui replier les jambes. « Vous enterrez les vôtres droits et
raides comme un bâton », s’écriaient au début les païens
qui reprochaient aux chrétiens de ne plus suivre les usages
du pays.
Le corps est enveloppé d ’une natte et ligoté pour q u’il
conserve la forme prescrite. On ne coupe les liens que sur
le lieu de l’inhum ation. Il est enterré de façon que la
figure repose sur le côté droit (*).
Les morts de l’époque moustérienne et aurignacienne
ont été trouvés inhumés dans l’attitude du sommeil, la
figure reposant sur le côté droit, alors que pour l’époque
magdalénienne la figure des morts repose sur le côté
gauche. Il en était à peu près de même chez les Égyptiens
et chez les Nasamons de la Tripolitaine .
« Le corps (des Égyptiens), dit le docteur Weisgerber,
était généralement couché sur le flanc gauche (la tête au
Sud), les jambes repliées, les genoux rapprochés de la
poitrine, les mains sur la face ou sur le cou...
» Hérodote, ajoute le même auteur, nous apprend que
les Nasamons qui habitaient la Tripolitaine, enterraient
leurs morts accroupis et avaient bien soin, quand le
(!) Les rites funéraires observés à la mort d’un prince hamite sont
totalement différents de ceux des Bahutu. Le cadavre royal est momifié
et desséché sous l’action du feu. Les employés des pompes funèbres
chargés de ce soin suivent un cérémonial compliqué et curieux. Cf. Livre
quatrième, chap. VII.

58

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

mourant était sur le point de rendre l ’âme, de le faire
asseoir en l ’empêchant de s’étendre... » 0).
Il n’est pas possible d’expliquer, dit M. Déchelette,
l’origine du ploiement des cadavres. On a proposé à cet
égard diverses conjectures :
1° Assimilation du mort au foetus (attitude embryon­
naire symbolique); le mort rentre dans 1" sein de la mère
maternelle qui doit lui restituer la vie (croyance des Péru­
viens et des Hottentots);
2° Opération employée dans un but pratique afin de
réduire les dimensions des coffres funéraires (ou des
fosses) ;
3° Sentiment de terreur que les morts inspiraient aux
vivants (origine possible du ligotage) (2).
Dans quelques localités du Rwanda, les parents du
défunt après avoir préparé la tombe creusent sur l’un des
côtés, au fond de la fosse, une sorte de loculus où le
cadavre est déposé. Ils sont inspirés évidemment par le
respect du mort dont le corps ainsi placé n ’est pas écrasé
par la masse de terre.
D ’autres recouvrent la dépouille mortelle d’un tapis
d ’herbes pour empêcher le contact direct avec le sol et
amortir le poids.
On s’explique l’expression des anciens qui se disaient
par manière de souhait : « Que la terre soit légère à
tes os ».
La description que nous venons de donner du mode
d’inhumation pratiqué dans des contrées fort éloignées les
unes des autres, marque un air général de famille q u’on
n ’est pas peu étonné de rencontrer à des époques aussi
différentes puisque nous constatons encore aujourd’hui
chez les Noirs ce même usage.
On n ’est pas peu surpris de voir aussi que le m oulin
(!) Dr W

Les Blancs d'Afrique, pp. 309 et 310.
Manuel d'Archéologie préhistorique, celtique et
gallo-romaine, t. I, p. 473.
(2)

e is g e r b e r ,

J oseph

U é c h e i .ette ,

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

59

prim itif de l’âge de la pierre polie ou période néolithique
est à peu près identique à celui dont se servent les Noirs
de l’Afrique. 11 se compose d’un bloc de granit dans lequel
on a pratiqué une cavité avec comme pilon une pierre de
roche à peu près cylindrique. Deniker y voit « la forme
la plus primitive du mortier à pilon. »
« Nous connaissons aussi, dit Déchelette, par un grand
nombre d’exemplaires les meules primitives néolithiques.
Elles abondent dans les stations terrestres et lacustres. Ce
sont de simples pierres plates en roches compactes, très
souvent en grès, dont une face usée par le frottement,
présente une concavité plus ou moins accentuée. On écra­
sait le grain sur ces meules au moyen d’un broyeur en
pierre auquel on im prim ait un mouvement de rotation.
Ces moulins primitifs se rencontrent encore chez diverses
peuplades de l’ethnographie moderne. Dans les grandes
nécropoles néolithiques des environs de Worms, des
tombes de femme contiennent chacune un de ces moulins
à bras » (*).
« Les fouilles, ajoute de son côté le D r G. Contenau, nous
ont restitué un type de m oulin archaïque; ce sont des
coupes de pierre poreuse en forme de plateau, sur
lesquelles on écrasait le grain avec un galet arrondi de la
même pierre » (2).
Déchelette, parlant de l ’usage de ces moulins à bras, dit
q u’ « avec le blé réduit en farine sur des meules primitives,
les Néolithiques obtenaient un pain ou plutôt un gâteau,
dont l’eau des lacs suisses nous a gardé quelques curieux
spécimens...
» Ce sont des galettes rondes préparées probablement
sans levain, avec une farine grossière... » (3). Le pain de
farine de sorgho que cuisent les Noirs, est analogue à ces
galettes et de même forme.

(!)

Jo s e p h D é c h e le tte ,

(2)
(3)

D r G. Contenait, La
Jo s e p h D é c h e le tte ,

op. cit., pp. 344 et 345.
Civilisation phénicienne, p. 284.
op. cit., p. 344.

60

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Qui ne voit que toutes ces analogies, ces ressemblances,
ces similitudes ethnologiques n ’ouvrent à l ’esprit un vaste
champ de suppositions, surtout si l’on admet que l’Afrique
est le berceau de la civilisation aurignacienne 0).
Le totémisme n ’est guère en honneur au Rwanda. Peutêtre n ’est-il plus q u ’un souvenir du passé. Le totem est
toujours un animal. Celui du roi est le léopard, la grue
huppée l’est des Banyiginya, le crapaud celui des Bega.
Parmi les Bahutu, les Bagessera ont comme totem la ber­
geronnette (inyamanza); les Babanda, la hyène (impyisi);
les Basinga, l ’épervier (sakabaka), etc. Le totem fait
partie du clan et est respecté comme tel par les autres
membres.
Il est arrivé dans le passé que le clan avait pris les armes
pour venger la mort de son totem, tué à dessein ou par
mégarde par un des membres de la tribu ' voisine. Les
membres de certaines tribus, les Bapvisi, par exemple,
passent pour entrer en relations avec leur totem et même
avec d’autres animaux, les rendre inoffensifs ou les exciter
contre leurs ennemis.
C’est toutefois là une croyance qui ne tardera pas à
disparaître, vu le peu de cas que font actuellement de leur
totem les Banyarwanda.
Pour ce qui concerne la littérature orale et le folklore
en général, on peut assurer sans courir le risque de se
tromper, que les Banyarwanda n ’ont rien à envier sous ce
rapport aux peuples voisins.
Parmi les Noirs, il en est peut-être assez peu qui aient
sn conserver tant et de si anciennes traditions, d’autant
plus précieuses q u’elles aident à comprendre plus d’un
point d’histoire. 11 sera facile de le constater durant le
(!) Il suffit, ajoute encore D é c h e le tte , de parcourir les galeries d ’u n
musée d’ethnographie comparée, pour constater que la période initiale
de la civilisation chez tous les peuples du globe terrestre présente par­
tout sinon un faciès uniforme, du moins bien des traits fondamentaux
identiques. Partout une même industrie correspond à une phase de
même culture. (Op. cit., p. 313.)

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

61

cours de ce travail. Nous croyons que les Hamites, qui sont
portés aux choses de l’esprit et ont méthodiquement orga­
nisé le pays, doivent être considérés à juste titre comme les
principaux auteurs de ce développement littéraire.
C’est aux mêmes Batutsi que les Bahutu du Ruanda doi­
vent l’appréciable avantage d’être moins arriérés, moins
<( primitifs » que beaucoup de leurs congénères Bantu du
centre africain.
Moins repliés sur eux-mêmes comme l’étaient, lors de
la pénétration européenne, pour la plupart les membres
des états minuscules voisins, les Banyarwanda se sont
trouvés, grâce à la centralisation de l’état hamite, dans une
situation plus favorable aux progrès de la civilisation.
Les habitants du Buanda, on vient de le constater, ont
plus d’un trait de ressemblance avec les autres peuplades
africaines. Maurice Delafosse, traitant de ce sujet, en donne
l’explication suivante : « Les populations négro-africaines
quelque différentes les unes des autres q u’elles apparais­
sent à l’observateur superficiel offrent entre elles un carac­
tère d’unité, qui tient sans doute à la communauté de leurs
origines ethniques et à la similitude relative des milieux
physiques, économiques et sociaux dans lesquelles elles
se sont formées d’abord et ont par la suite évolué » (*).
Au lecteur désireux de savoir ce qu’il faut penser des
Noirs, nous répondrons sincèrement q u’il est très difficile
de porter un jugement précis et définitif sur leur tempé­
rament et leur mentalité. Les éléments de ce problème
sont si complexes q u’il est aisé de se tromper et de se lais­
ser influencer par des préjugés de race ou la méconnais­
sance de ce peuple curieux.
On a beaucoup écrit sur ce sujet. Nous faisons nôtres,
en les résumant, les réflexions suivantes (2) :
#

(!) Les Civilisations négro-africaines.
(2) Elles ont été faites par un fonctionnaire du Service de l’éducation
en Uganda et publiées dans une revue américaine. (Communication du
R . P. J o i r e , des Pères Blancs.)

62

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Un observateur remarquera que le Noir a nombre de
caractéristiques fort différentes de celles de la race blan­
che. Ces caractéristiques peuvent se répartir en deux grou­
pes : celles qui sont pour lui un appoint en faveur de son
avancement sur l’échelle de la civilisation et du progrès,
et celles qui sont pour lui vin désavantage, une tare héré
ditaire dont il doit se défier, car elles peuvent devenir de
sérieux empêchements au progrès de sa race.
I. — Considérons en premier lieu les avantages :
Patience. — Chez les Blancs, en général si vifs, ne sup­
portant pas de délais, ennemis de la paresse, la colère et
l’impatience sont toujours à fleur de peau. Par contre
lorsque nous venons en contact avec le Noir, sa patience
nous étonne et aussi son endurance dans la souffrance.
Bonne humeur. — Nul doute que les Noirs ne possèdent
un fond de jovialité dont le degré cependant varie consi­
dérablement selon les différentes tribus...
Arts et métiers. — Les dessins ornementatifs : sculpture
sur bois, ivoire, calebasses, etc.; dessins sur poteries et
étoffes d’écorce; vannerie, travaux de perles, nattes, etc.,
dénotent un goût et une habileté assez remarquables, mais
ne révèlent guère, sinon aucunement, un progrès, une
innovation, 1111 perfectionnement. Les Noirs semblent
merveilleusement doués pour l’imitation mais dépourvus
du génie inventif (').
Eloquence. — 11 était sans doute nécessaire de cultiver
la loquacité dans des pays où l’art d’écrire faisait complè­
tement défaut. Quoi q u ’il en soit, il n ’y a pas de doute
que le Noir trouve plus aisé de parler sans fin que de se
taire... Le Noir n ’a aucune idée de restreindre son discours
dans les limites de données se rapportant au fait.

(!) Nous croyons que la vraie raison en est l ’isolement dans lequel
il a vécu.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

63

Loyauté. — Parmi les différents peuples du Centre
oriental africain avec lesquels je me suis trouvé en rela­
tion, j ’ai toujours rencontré un degré remarquable de
loyauté répondant à la confiance mise en eux.
Instincts. — Se sont, à mon avis, ceux des peuples les
plus primitifs. Parmi ces instincts quelques-uns peuvent
être classés parmi les caractéristiques avantageuses aux
Noirs :
1° Et d'abord l’instinct religieux : Chez les vrais P rim i­
tifs noirs je ne pense pas que le « sceptique » existât
jamais, car c’est là un sous-produit de la civilisation;
2° Perspicacité : Le Noir semble doué d’un pouvoir
mystérieux pour juger les étrangers... Cette qualité de
pénétration, permettant de découvrir les caractéristiques
de l’étranger, est enviable. Je ne veux pas dire que tous
les Noirs la possèdent individuellement à un degré remar­
quable, mais collectivement ils semblent pouvoir juger
d’un étranger en très peu de temps. 11 en est ainsi visà-vis du Blanc, qui, aussitôt arrivé, est décoré par les indi­
gènes d’un surnom, qui, s’il n ’est pas flatteur, sera mis à
contribution à son insu...
II.
— Et maintenant quelques mots sur les désavantages
des Noirs du Centre africain :
Duplicité. — Mentir est un art <( cultivé » parmi nos
Africains... Il est très vaisemblable que l ’usage en est
domestique, car comment expliquer autrement leur haute
habileté dans cet art? Ce doit être en partie la résultante
des circonstances, les Primitifs voyant là un moyen natu­
rel de protection... et le résultat est que les Noirs possè­
dent peu, si même ils en possèdent l’ombre, de notre sens
de l ’honneur, et ils placent la ruse sur un pied beaucoup
plus élevé que la vérité.
Paresse. — Pour le Noir, rares ont été les occasions de
développer des habitudes d ’industrie et d’efforts soutenus.

64

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQU E

La nature en général fut très généreuse à son endroit, lui
fournissant le nécessaire, même là où la population était
la plus dense. Les besoins étaient peu nombreux indépen­
damment de sa propre subsistance et de celle de ses bêtes.
Les pluies étaient périodiques et les semailles solidaires
de ces pluies, c’était alors au village le moment du travail
actif pour tout bras valide pouvant manier la pioche. Le
temps des semailles passé à quoi bon cultiver davantage?
Les périodes occupées étaient donc intermittentes et les
plus enclins au travail n ’avaient qu’à rester assis pendant
une grande moitié de l’année à moins q u’une guerre ne
les m it sur pied. Il est de toute évidence q u’un semblable
état de choses ne conduit pas au développement d’habitu­
des industrieuses et d’application soutenue au travail.
Imm oralité. — Je crains bien de n ’être pas contredit en
disant que le Noir est immoral... Comment attendre de
« peuples-enfants » vivant insouciants une vie si facile,
l’acquisition d’habitudes d’abnégation et de retenue. Au
début de l’évangélisation de ces populations primitives, ce
ne fut pas un jeu que de former au m ilieu d’elles des habi­
tudes de moralité qui siéent à un peuple chrétien (*).
Défiance. — Les siècles de lutte pour la vie entre les
diverses tribus africaines ont engendré en elles,... une
certaine attitude d’esprit vis-à-vis des étrangers, attitude
qui rend très difficile pour une personne bien intention­
née, la tache de l’avancement des Noirs dans la mesure où
elle le souhaiterait...
Si les lignes précédentes ne contiennent
pas une description exacte de l ’Africain en général, il
n ’est pas, en effet, de généralisations qui puissent s’appli­
quer en même temps à tous et à chacun — cependant
C o n c lu o n s . —

f1) Nous avons de bonnes raisons de croire que les Banyarwanda
peuvent être classés parmi les moins corrompus. Les tabou et les tradi­
tions en usage chez eux opposent une barrière au dérèglement des
mœurs.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’ a FRIQUE

65

j ’espère ne pas m ’être rendu coupable d’injustice à l’égard
des Noirs en les traçant. Si seulement ils peuvent tirer
le plus de profit possible de leurs avantages et avec persé­
vérance vaincre leurs désavantages, alors nul doute qu’un
bel avenir s’ouvre devant eux.
Si l’on pouvait, ajoute le même auteur, les persuader de
développer une civilisation propre à leur race au lieu de
suivre servilement leurs aptitudes naturelles à copier
celles des autres, ce serait un bon appoint à la gloire de
l’hum anité et un démenti à l’assertion commune que le
Noir est d’une capacité intellectuelle si restreinte qu’il lui
est impossible d’atteindre le niveau normal de l’homme
civilisé O .
...Cette expérience de la mentalité africaine, continue
l’auteur cité, a démontré que nombre de choses dont on
serait tenté de parler avec assurance, ne doivent être
avancées qu’avec réserve. Le fait est que les Noirs sont
pour les Blancs une masse de contradictions... Ceci dit,...
pour insinuer que la promptitude de ces conclusions doit
être en raison inverse de l’expérience qui les a dictées.
On ne peut parler avec plus de tact et de mesure.
Un colonial averti bien au courant des questions afri­
caines, le général Mangin émet sur le même sujet les
réflexions suivantes : « Quand nous jugeons la race noire,
il ne faut pas perdre de vue ces considérations essentielles:
isolé par la nature, l’Africain n ’a reçu, jusqu’au milieu
du dix-neuvième siècle, aucune notion supérieure.
L’Europe, au contraire, a vu se développer les civilisa­
tions méditerranéennes, qui ont profité de larges échanges
entre elles, et aussi avec les civilisations asiatiques; l’écri­
ture lui vint d’Egypte, à travers la Phénicie et la Grèce;
(*) Si l’on devait tracer le portrait moral des Batutsi il faudrait faire
valoir leur intelligence, leur esprit de discipline, leur talent d’organisa­
tion et leur volonté persévérante. Mais comme toute médaille a son
revers il faut ajouter que les grands chefs Batutsi l’emportent de beau­
coup en immoralité sur les Bahutu.
m üm

. in s t . r o y a l Co l o n ia l b e l g e .

5

06

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’ a FRIQUE

l’Asie a inventé quantité d’alphabets, l’Europe aucun. Par
les Arabes et les Mongols, elle a bénéficié sans le savoir
d’apports importants venant de l’Inde el de la Chine : la
boussole, la pâte à papier, la poudre à canon, par exemple.
Bref, les peuples d’Europe ont évolué lentement, depuis
quelque trois mille ans, en contact avec toutes les civili­
sations par le commerce et par la guerre. Bien de pareil
eu Afrique noire : au dix-neuvième siècle elle se présente
comme l’Europe centrale avant la conquête romaine.
Aussi, rien ne nous permet d’affirmer que la race des
Africains noirs est inférieure aux Blancs d’Europe par
l’intelligence; c’est tout au plus si l’on peut dire q u’ils
sont de plusieurs étapes en arrière. Notre état actuel
résulte d ’une lente évolution qui leur manque, et nous ne
pouvons les juger par la façon dont ils se comportent
quand ils sont brusquement jetés au milieu de la civilisa­
tion moderne, par les résultats obtenus à Libéria, à SaintDomingue, à Haïti, par exemple. Ils ont produit dans leur
cadre de grands souverains organisateurs, qui ont trouvé
des ministres dignes de leur œuvre...; certaines de leurs
langues, comme celle des Peulhs, font l ’admiration des
philologues par leur richesse, leur précision, leur harmo­
nie et leur souplesse. Les Noirs sont remarquablement
doués au point de vue artistique... (Leurs instruments à
musique) dont ils tirent des effets comparables à ceux du
piano, démontrent des dispositions remarquables et une
grande capacité d’invention. Leurs chants de guerre et
certaines de leurs romances sont très expressifs.
Le général parle d’images hardies, naïves, heureuses
que l’on rencontre dans leurs lettres et leurs chants de
triomphe.
Les Noirs, ajoute-t-il, ont le sens de l’ornementation;
leurs étoffes et leurs nattes sont remarquables par le des­
sin et la disposition des couleurs.
... Les sentiments de famille, de clan, de race, le
dévouement au chef naturel ou choisi ont toujours inspiré
aux Noirs un dévouement qui va de la fidélité constante,

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

67

du désintéressement parfait et quotidien ju squ’au sacri­
fice de la vie.
Evidemment, on leur reproche parfois une noncha­
lance au travail qui peut devenir de la paresse, si le chef
n ’a pas la manière q u’il faut pour intervenir, manière
douce et ferme que le Noir reconnaît assez vite...
En général, le Noir est franc, gai, d’un commandement
facile; c’est un grand enfant dont le rire éclate à tout pro­
pos et désarme sa colère ou sa bouderie. 11 est reconnais­
sant des moindres attentions.
Le même auteur ajoute qu’il est des Noirs excellents
« qui ont eu le mérite de résister à deux épreuves, l’une
héréditaire, celle de l’esclavage qui est essentiellement
démoralisante et l’autre, celle de l’ascension subite, sans
préparation, au niveau du maître d’hier, par les droits du
citoyen prématurément accordés... Beaucoup n ’ont pas
résisté à cette double déformation. Mais le Noir prim itif
n ’a rien des défauts que nos fautes ont transmis au Noir
faussement civilisé » (*).
Le Bév. Père Pinard de la Boullaye parlant des sociétés
« très primitives » énumère les causes qui expliquent leur
stagnation : ...« concentration de leur énergie sur des
tâches qui ne sont pas comme l’industrie, susceptibles de
progrès : le gibier abattu et le poisson pris, l’effort
s’arrête pour reprendre sans fin et sans but ultérieur; par
le fait égalité de tous,... sans spécialistes non plus qui per­
fectionnent les procédés, sans « oisifs » qui se consacrent
à la spéculation »... (2).
On peut en dire autant des Banyarwanda, cultivateurs,
bûcherons, forgerons, vanniers, potiers, etc., qui n ’ont fait
q u’imiter leurs devanciers et n ’ont rien innové. Ajoutons,
pour résumer cette question de stagnation, q u’il serait
faux et injuste de l’attribuer au défaut d’intelligence du

(!) Général M angin , Regards sur la France d'Afrique, pp. 174-178.
(2) Rév. Père P i n a r d de l a B o u l l a y e , S. J., Correspondant, 25 j a n v . 1929.

68

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

Noir; elle provient, entre bien d’autres motifs, surtout de
leur manque de méthode cl de leur défaul d’initiative à
cause du long isolement dans lequel ils ont vécu. Les faci­
lités et les ressources, a-t-on dit, qu’offre la nature aux
Africains y sont aussi pour quelque chose. Les travaux
intermittents pour la sustentation de la vie quotidienne
n ’exigeaient pas de grands efforts. Les Noirs confiants
en la nature, heureux de leur sort, libres de besoins fac­
tices et de soucis, sans préoccupation du lendemain se
« laissaient » vivre au jour le jour. Laissons encore par­
ler le savant ethnologue q u’est M. Delafosse : « On dit que
les Noirs seraient actuellement inférieurs, sous le rapport
du développement intellectuel, à ce que sont les autres
types de l ’humanité. Il me paraît q u ’on a, ce disant, con­
fondu «ignorance» avec «inintelligence». Le plus grand
génie du monde, s’il n ’était jamais allé à l’école el n ’avait
jamais vécu q u’au m ilieu des sauvages, aurait été sans
doute dans la complète impossibilité de manifester sa
haute intelligence naturelle, ce qui ne veut pas dire qu’il
ne l ’eût pas possédée effectivement.
Mais, ajoute-t-on, des Noirs africains ont reçu de
l ’instruction et ont été placés dans un m ilieu intellectuel
très développé et pourtant ils n ’ont rien donné.
... Pour bien juger des capacités intellectuelles d’une
population prise en bloc, il faut la suivre dans l’évolution
normale de sa masse et non pas prendre quelques indivi­
dus plus ou moins heureusement choisis et les transporter
dans un monde tellement éloigné du leur qu’ils ne peu­
vent q u’y faire figure de déracinés et, comme toute plante
déracinée, que s’étioler et périr, à moins de circonstances
nécessairement exceptionnelles. Or, les Noirs de l’Afrique
ont eu cette malechance funeste de ne pouvoir évoluer
comme l’ont fait les autres grandes races humaines, sans
q u’ils y aient été d’ailleurs pour rien (isolés qu’ils étaient
du reste de l’humanité).
... Les Nègres africains offrent ce spectacle, sans doute
unique au monde, de toute une race n ’ayant jamais eu à

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

(39

compter que sur elle-même pour progresser et n ’ayant rien
reçu de l ’extérieur, ou eu ayant reçu autant de ferments
de régression que d’éléments de progrès sinon plus.
Aurions-nous fait mieux qu’eux si nous nous étions trou­
vés dans la même situation?
... L'isolement dans lequel des barrières naturelles ont
enfermé trop longtemps leur habitat a fait des Nègres de
l’Afrique, par rapport aux Européens plus favorisés, des
arriérés ou, plus exactement des attardés; ils ont perdu
beaucoup de temps et ils ne sauraient le rattraper en un
jour ni même en un siècle. Mais ils n ’ont certainement
pas dit leur dernier mot et leur histoire n ’est pas finie.
Peut-être ne fait-elle que commencer et ce livre n ’est-il
q u’une.préface » (l).
Pour clore ce chapitre, nous mettons sous les yeux du
lecteur, ces lignes qui se rapportent à notre sujet et défen­
dent la race noire. Elles sont d’un préhistorien :
<( Phénomène digne de remarque, cette intelligence
(qui réalisa la pleine évolution de l’Homme) dès q u’il est
possible de la saisir est une dans l’éloignement des temps;
l’homme la possède en puissance, telle aux époques les
plus reculées q u’il peut s’en enorgueillir aujourd’hui.
» V tous les âges, l’intelligence humaine apparaît sus­
ceptible d’atteindre, sous l’influence du milieu, au plus
parfait développement, jusqu’au Génie. Nous verrons, par
exemple, les peintres des cavernes paléolithiques égaler
en réalisme les meilleurs artistes animaliers de notre
temps.
» 11 semble que nous assistions à une évolution de la
matière, mais nulle part à celle de l’esprit. »
Dans un autre passage de son ouvrage le préhistorien
cité ajoute : « . . . 11 peut sembler étrange que par delà les
millénaires, l’homme ait déjà connu et mis en œuvre des
principes aussi abstraits (il s’agit de la Magie) que ceux
que nous allons lui voir appliquer, et cependant, au même
( 1)

Les Noirs de l’Afrique, pp. 155 et ss.

70

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQU E

instant, son génie artistique se trouve à l’unisson de sa
pensée : preuve étonnante que dans l’in fin i des siècles,
l’intelligence de l’homme nous apparaît toujours identi­
que à elle-même, toujours susceptible sous la nécessité
du moment, d’atteindre le développement devant y répon­
dre (*) ».
Le même auteur parlant de la civilisation aurignacienne présente au sujet des Africains des hypothèses
impressionnantes.
« Cette origine (de la civilisation aurignacienne en
France) fût-elle asiatique? Ou plutôt l ’immense essor que
cette civilisation nous paraît avoir pris en Afrique ne
serait-il pas l’indice que là aussi fût son centre prim itif?
Une civilisation issue de la terre africaine, voilà qui bou­
leverserait les principes enseignés ju squ’ici!
» La tradition classique n ’a jamais cessé d’affirmer que
toutes les civilisations anciennes viennent d’Orient comme
les grands courants de peuples, qui ont amené les premiè­
res invasions historiques.
» Nous sommes si imprégnés de traditions érigées en
dogme qu’une Afrique, noyau civilisateur, nous paraît
incompréhensible. L’histoire de l’Egypte n ’est-elle pas là
cependant pour prouver que sur cette terre d’Afrique peut
s’élever une civilisation égalant en grandeur et en impor­
tance toutes celles que nous croyons devoir à l ’Orient ? Les
études poursuivies sur la préhistoire et la protohistoire de
l’Egypte démontrent que la civilisation si particulière de
ce pays ne fut pas une sorte de rameau perdu du tronc
civilisateur asiatique, mais l’efflorescence suprême d’une
civilisation autochtone.
» D ’ailleurs on ne voit plus aujourd’hui dans les peu­
plades de l’Afrique des éléments dégénérés de la famille
humaine, mais des branches restées à un stade prim itif
d ’évolution.
» Quoi d’impossible dès lors à ce que l’Afrique ait
(•)

G e o rg e s G o u r y ,

Origine et Evolution de VHomme,

pp.

32 et 321.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

7I

formé le noyau civilisateur de la culture aurignacienne et
ait joué alors un rôle prépondérant dans le peuplement de
l’Europe méridionale?
» La préhistoire de l’Afrique, tout comme celle de
l’Asie, nous est encore trop inconnue pour que l’on puisse
émettre autre chose que des hypothèses. Mais ce que du
moins nous semblons en mesure de pouvoir affirmer,
c’est que le premier courant de peuple à qui nous devons
notre Aurignacien inférieur vint d’Afrique par l’Espagne,
et sans doute aussi par l ’Italie (1).
» On rencontre des traces d’industrie paléolithique au
Rwanda et dans les régions limitrophes.
» M. l’Abbé Salée, lors d’une exploration géologique
faite en 1921-1922, a trouvé une hache amygdaloïde en
quartz, de type acheuléen.
» La trouvaille a eu lieu dans « un pays (le Nduga) de
croupes très surbaissées montrant de vastes affleurements
de granité à biotite,... dans les maigres alluvions d’un
petit ruisseau marécageux, affluent de la Karuruma ».
L ’absence de fossiles n ’a pas permis à l’explorateur de
situer cette industrie dans la chronologie géologique.
» En 1926, le Rév. Père Tristan découvrit sur une
plate-forme du mont Mugera (Urundi) « tout un ensem» ble de pièces lithiques incontestablement travaillées et
» de type paléolithique avec des débris de taille et des
» ébauches, ainsi que des traces de foyer »... Ces instru­
ments ont été taillés dans un quartzite que l’altération a
rendu actuellement très friable. Ils se trouvaient enfouis
sous une couche de terre rouge argileuse d’environ un
mètre à un mètre cinquante centimètres en général, mais
pouvant atteindre trois mètres de puissance, et gisaient à
la partie supérieure d’une formation de grenaille latérique
parcourue par des passées de limonite qui augmentent
avec la profondeur.
» La démarcation est très nette entre la couche argi­
(i) Op. cit. pp. 194, 195.

72

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

leuse et la grenaille... La surface... représente bien un
ancien sol sur lequel était établi l’atelier de style paléo­
lithique. Le matériel était fourni par les quartzites du
mont Mugera qui dresse encore ses pentes abruptes jus­
q u’à 150 mètres au-dessus de la plate-forme du PetitSéminaire, elle-même élevée au-dessus du confluent des
rivières Ruvubu et Luvironza qui entourent Mugera (x).»
Parler même simplement au figuré de Cham et de la
malédiction qui aurait atteint et vicié, jusque dans ses
plus intimes profondeurs, la race des Noirs est un de ces
lieux communs q u’il faut classer parmi les idées absurdes
et préconçues.
Il y a plutôt lieu d ’admirer l’habileté dont les Africains
ont fait preuve dans leur long et profond isolement, en
tirant parti avec les faibles moyens dont ils disposaient,
des ressources de la nature « pour faire face à cette éter­
nelle obsession qu’est la lutte pour la vie ».

CHAPITRE 111.

Court exposé historique de l’invasion hamite à travers
le Rwanda.
Le dessein que nous nous proposons ici est de donner un
résumé pour permetre à ceux qui liront ces lignes
d’embrasser d ’un regard rapide l’histoire du Rwanda et la
conquête progressive qu’en firent les Hamites.
Ce petit abrégé facilitera, pensons-nous, la compréhen­
sion des récits, des romans et légendes, que nous avons
intentionnellement rattachés à la carrière de chaque
monarque.
Que le lecteur bénévole veuille faire montre d'indul­
gence vis-à-vis des jugements et des appréciations portés
par l’auteur de ces pages sur les récits et les événements
(>) Communications de M. Salée. Annales de la Société Scientifique de
Bruxelles, 21 et 22 avril 1925; 25 avril 1927.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

73

donl il est parlé. Il n ’a eu, pour se diriger dans sa marche,
que des documents traditionnels, c’est-à-dire de pure
transmission orale.
Ces mêmes traditions sont vagues, incomplètes, légen­
daires, et même contradictoires quelquefois, selon q u’elles
sont racontées par tel ou tel individu, dans une région ou
dans l’autre. Ce dont on peut s’estimer heureux toutefois,
c’est qu’elles aient pu arriver jusqu’à nous, toute tronquées
et déformées soient-elles. Bien rares sans doute sont les
peuples primitifs (*) qui, comme les Banyarwanda, ont
un folklore aussi riche et varié. L’arrivée des Hamites ou
Batutsi dans le pays et l’influence q u’ils y ont exercée sur­
tout quand avec Mibambge-Mutabazi, le vingt-troisième de
la dynastie, ils firent leur entrée dans la province centrale
du Nduga, ont transformé le Rwanda et les autochtones à
plus d’un point de vue. Les vainqueurs comptent pour
beaucoup dans le développement des légendes et des
traditions.
Ce que nous disons sur le Bwanda nous a été fourni en
grande partie par les historiens officiels « abachurabgenge » (fabricants d’intelligence), attitrés à la Cour.
Ces personnages sont chargés de temps immémorial de
conserver le souvenir des faits et gestes des princes
hamites.
(l )
Qu’est-ce qu’un Primitif ? L’abbé B r o s en donne la définition sui­
vante. Le mot « primitif » doit être expliqué. Il ne désigne pas ici le
premier, ni les premiers hommes, mais une certaine étape de la civilisa­
tion humaine caractérisée par une industrie et des habitudes sociales
grossières et non spécialisées. On dit dans le même sens « populations
de culture inférieure », « peuples sauvages ou non civilisés ».
Qu’est-ce qu’un primitif, à quel signe le reconnaît-on ? Les historiens
habituellement tiennent pour primitifs les peuples préhistoriques, les
populations sauvages des divers continents et aussi les civilisations
anciennes qui ont précédé l ’histoire des divers peuples (Grecs, Latins.
Arabes, etc.).
Dans cette confusion, récemment les ethnologues se sont efforcés d’in­
troduire quelques distinctions. Ils ont discerné la plus ou moins grande
primitivité des divers primitifs, ... en suivant géographiquement dans
l’espace, puis historiquement dans le temps, chaque cycle de civilisation
déterminée. (Cf. Ecclesia, Encyclopédie populaire des connaissances reli­
gieuses, pp. 725 et 726.)

74

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Ils annotent la généalog ie des rois, leur nom de naissance
et leur nom de règne. Ils n ’oublient pas celui de la reinemère, ni celui du clan dont elle est issue. Toujours à la
disposition du monarque auprès duquel ils se relaient deux
à deux, ils charment ses loisirs en lui apprenant la lignée
de ses ancêtres et les exploits qui les ont illustrés. Cette
tradition purement orale est sujette, il faut l’avouer, à un
grave inconvénient, l’oubli, et par suite, la déformation.
Le temps, qui use tout, finit par oblitérer certains faits,
voire même le nom des personnes dont l ’existence se perd
dans la nuit des temps; et à leur place, on met des légendes
et des mythes. C’est l’impression qui se dégage des dires
des chroniqueurs concernant les premiers titulaires de la
dynastie mututsi. Les neuf ou dix rois du début paraissent
fabriqués de toutes pièces. Leur généalogie semble être
faite après coup pour flatter l’orgueil des princes qui se
pâment d’aise et s’entendent descendre d’une longue série
d’ancêtres où figurent des demi-dieux.
Ces légendes, cependant, ne manquent pas d’intérêt;
elles font connaître les idées des indigènes sur la création
du monde, sur l’existence du bien et du mal, sur l’origine
de la mort, etc.
Au reste la trame historique s’y trahit malgré tout et il
nous est possible d’y deviner l’état politique du Rwanda à
l ’arrivée des Batutsi.
D ’où sont venus les Hamites? On ne le sait pas exac­
tement. Il est vraisemblable q u’ils sortirent du Nkole, qui
fait actuellement partie du Protectorat de l’Uganda. On est
d’accord pour dire q u’ils débouchèrent du Ndorwa, par le
Nord-Est et qu’ils séjournèrent quelque temps au lieu dit
de Mutara, dont il est souvent parlé dans les récits et les
légendes.
Pendant que les uns se fixaient plus ou moins défini­
tivement dans la région du Ndorwa et les environs im m é­
diats, les autres continuèrent leur progression et formèrent
successivement les royaumes du RAvanda, du Gissaka, du

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

75

Burundi et de l’Uha 0). Les premières étapes et les pre­
mières possessions des Hamites qui fondèrent le royaume
du Bwanda sont le Buganza, le Bwana-Chambge, le Buliza,
les plateaux de Bussigi et de Luhanga, le Bumbogo, etc.
Le Buganza fit partie quelque temps du royaume du
Gissaka; le Bwana-Chambge à son tour se trouva partagé
entre les deux états hamites. Les Batutsi, unis entre eux au
début, ne tardèrent pas à entrer en lutte les uns contre les
autres et à se disputer le pays; il y eut des guerres fratri­
cides où prirent part les autochtones soumis.
Les Bahutu ou aborigènes de race bantu étaient, avant
la pénétration hamite, répartis en une série de principautés
dont les plus fortes tentaient d’absorber les plus faibles.
L’origine diverse des peuplades qui occupaient ce pays
explique la multitude des groupements autonomes que
rencontrèrent les nouveaux venus. Les populations du
Nord ont presque toutes débouché du Mpororo et du
Ndorwa.
A l’Ouest, sur la rive orientale du Kivu, les Bagoyi ont
émigré du Bgisha, du Gishari, du Mushari, du Kamuronsi,
du Bunvabungu, pays situés au Nord et à l’Ouest du lac.
Au Sud-Ouest, les gens du Kinvaga sont un mélange de
Banvabungu et de Barundi. Au Sud et à l’Est, la population
y paraît fortement apparentée à celle de l’Urundi et du
Karagwe.
La tribu la plus puissante paraît avoir été celle qui habi­
tait le Nduga. Elle obéissait au temps de Kigeri I et de
t1) Les huit petits royaumes que comprend le territoire des Bahaya ou
riverains du lac Nyanza sont gouvernés par des princes Bahinda, d’ori­
gine muhima, c’est-à-dire mututsi, qui conquirent le pays. Ces princi­
pautés liliputiennes sont désignées sous les noms de Karagwe, Kitara,
Kiziba, Bugabo, Kyamtwara, Kiyanja, Ihangiro et Usui. Leur superficie
globale est de 30,000 à 35,000 km 2 alors que le lac Nyanza compte
68,000 km 2. (Cf. Anthropos, 1927 : « Comment les Bahaya interprètent leurs
origines », par le B. P. C é sa r.)
On trouve encore dans l ’Unyamwezi, surtout près de Tabora, des
groupes de Hamites qui ont conservé leurs mœurs, leur langue et vivent
en bons termes avec les autochtones de la région. L a famille royale de
l’TJfipa est partiellement de race mututsi. (Cf. Aux Rives du Tanganika,
par Mgr L e c h a p to is . Maison-Carrée, Alger.)

76

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Mibambge I Mutabazi, au fameux sorcier-devin Mashira,
qui unissait la royauté au sacerdoce. Le prestige de ce chef
était moins dû à ses exploits militaires q u ’au pouvoir
supranaturel que lui prête la légende. Sur le sol actuel du
Rwanda, on comptait, entre bien d’autres, les royaumes
minuscules de Marangara, du Bwana-Mkali (les Barenge),
du Burwe, du Bgishaza, du Budaha, du Kingogo, du
Bugamba, du Bushiru (‘), du Buhoma, de Luhengeri, du
Bukonya, etc. Les familles ou clans qui composaient cha­
cun de ces états liliputiens étaient primitivement auto­
nomes et indépendants les uns des autres. Ils s’adminis­
traient eux-mêmes, sans une autorité bien définie. Ce n ’est,
q u’à la longue et peu à peu qu’un chef de groupe finit par
s’imposer à ses congénères. Avec les prérogatives royales,
le représentant du pouvoir assuma, de par son titre de
souverain, les fonctions de sorcier, devin, magicien,
faiseur de pluie, etc. La charge de roi-sorcier (umuhinza)
devint alors héréditaire. Les petites provinces de Buberuka, du Kibali, du Buvoka, du Bugarura et du Mulera
surtout gardèrent leur organisation première et n ’eurent
jamais de rois. Chaque tribu se gouvernait et s’adminis­
trait d’après ses propres lumières. Aussi étaient-elles
presque toujours en guerre les unes contre les autres, pour
affaire de vol, de limite ou de vendetta (2). L ’accord entre
ces clans ne se réalisait d’une façon passagère que pour
faire front contre l’ennemi com m un, le Hamite détesté,
qui, tout en les ayant soumis, n ’avait pas jugé prudent de
s’implanter dans la contrée montagneuse. Parmi les rois
hamites qui parcoururent ces régions peuplées de fiers
(1) Province au nom symbolique et significatif. On ne peut mieux
exprimer les souvenirs qu’elle évoque.
Bushiru est un substantif dérivé du verbe neutre gushira, qui veut
dire finir, s’éteindre. Il a été donné au pays dont les habitants, querel
leurs et batailleurs intraitables, faisant fi de la mort, étaient toujours en
guerre, s’exterminaient entre eux et tuaient les voyageurs qui commet­
taient l ’imprudence de s’aventurer dans leur région.
(2) Cette région était le pays par excellence de la vendetta. Les parti­
culiers aidés des membres de leur famille ou du clan se rendaient justice
eux-mêmes et se montraient implacables dans leur vengeance.

UN ROYAUME HAMITE AL CENTRE DE L AFRIQUE

77

habitants, on cite Kuganzu 11 et Kigeri IV Lwabugiri. Les
montagnards ne leur opposèrent pas grande résistance,
mais après le départ des princes, ils n ’en continuèrent pas
moins à mener une existence indépendante. Aucun chef
Mututsi n ’osait se fixer parmi ces populations farouches.
Tout se réduisait de la part de ces dernières à payer des
tributs en nature au souverain lui-même ou à un des
grands seigneurs de la cour qui était censé gouverner le
pays à distance.
Les Bantu des provinces centrales et du Sud, qui for­
ment la majorité du peuple munyarwanda, acceptèrent et
supportèrent plus facilement le joug des Hamites, qui
s’installèrent au m ilieu d’eux et vécurent de leur vie (’).
. Les péripéties de la conquête furent nombreuses et
mouvementées.
Pour arriver à leur fin, les immigrants mirent tout en
œuvre, violence, ruse et diplomatie. Leurs chansons de
gestes en font foi.
Il semble bien q u’au seuil du pays qu’ils allaient conqué­
rir, les Batutsi formaient un groupe compact ayant un
chef unique. Le partage des terres et la compétition du
pouvoir ne tardèrent pas à diviser les cœurs et à engendrer
des luttes fratricides.
Rêvant de dominer seuls sur un grand pays, les Batutsi
du centre, après avoir soumis les princes Bahutu (Bantu),
se tournèrent contre leurs frères, qui s’étaient taillé de
petits royaumes au Ndorwa, au Gissaka et au Bugessera.
Ces deux derniers royaumes hamites sont-ils contem­
porains de celui du Rwanda. Rien n ’empêche de le suppo­
ser puisque les colonnes d’invasion qui pénétraient dans le
Rwanda marchaient de front, tout au moins au début.
Le roi Gihanga, au nom symbolique et significatif de
t1) Les clans de ces provinces se sont davantage compénétrés sous
l'influence mututsi et n ’ont pas cet exclusivisme jaloux des tribus situées
au nord-est du lac Kivu. Aussi leurs mœurs sont plus douces et la ven­
detta n’y eut jamais ce caractère de violence et de fréquence qu'on
trouve, par exemple, chez les Baiera et les Bagoyi.

78

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Créateur, paraît avoir existé, bien que les faits qui lui sont
attribués aient un caractère fortement légendaire. Il est le
dixième de la dynastie. Ce qui incline à admettre l ’authen­
ticité de son règne, c’est q u’on assigne à ce prince le pays
sacré du Buhanga, dans la plaine du Muko, non loin de la
forte rivière de la Mukungwa, comme ayant été le lieu de
sa première résidence. Il aurait ensuite habité dans le pays
du Kibali, à Kangomba, où s’élève un bosquet sacré
(ikigabiro). La même tradition place son tombeau ou tout
au moins celui de sa femme Nyirakabego dans le cime­
tière royal qui a gardé son nom et s’appelle Luhanga.
Faut-il voir en lui le chef hamite qui, avec les membres de
sa famille et quelques compatriotes, aurait été le premier
à venir occuper le pays, après avoir séjourné dans le
Ndorwa au lieu dit de Mutara qui semble être la première
étape des Batutsi, au seuil du Bwanda?
De tous les anciens rois, il est avec Ruganzu II celui dont
on parle le plus souvent et dont les légendes sont le plus
appréciées du peuple. Une de ses filles aurait, d’après une
curieuse légende, découvert et domestiqué la première
vache, d’où sont venues les autres. Le récit dont ce mémo­
rable événement a fait l’objet est très populaire et com­
prend plusieurs épisodes. Gihanga passe encore pour être
l’inventeur du feu q u’il légua à son fils et successeur.
Cette prétendue découverte a valu à Gihanga des hon­
neurs particuliers.
Les annalistes officiels gardent le plus profond silence
sur les neuf rois suivants, dont ils n ’ont conservé que les
noms.
Ont-ils tous réellement existé? 11 n ’est pas facile de
répondre clairement à cette question, nous ne sommes pas
encore sortis du domaine de la légende. Gihanga, en effet,
est considéré comme le père de tous les hommes. Ses fils
sont devenus les ancêtres de tous les peuples. Kafomo,
dont il est question dans la légende qui parle de l’introduc­
tion des vaches dans le Bwanda, a donné naissance aux
Bashubbi (Basui) ou gens de l’Usui.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

79

Kanyarwanda, l’héritier du trône, a donné naissance
aux Banyarwanda. Son successeur direct, Musindi, le
douzième de la dynastie, passe pour être le fondateur du
clan des Basindi ou Banyigïnya, qui étaient les plus puis­
sants d’entre les Batutsi (*).
Il faut arriver à Ruganzu I Bwimba et à Chyilima 1
Bugwe, le vingtième et le vingt et unième de la dynastie,
pour obtenir quelques détails historiques de plus grande
importance. Le dernier aurait été tué à Gasseke où on ne
cesse de « calmer » et d ’ « honorer » son esprit (um uzim u).
La province centrale du Nduga n ’avait pas encore été enta­
mée, semble-t-il, par les Batutsi. Tout au plus devaient-ils
occuper à ce moment le Buganza, le Gissaka, qui formait
un petit royaume hamite, peut-être le Bugessera, puis le
Bgana-Chambge et le Bumbogo. Il est possible que Chyi­
lim a I soit tombé au cours d’une expédition qu’il faisait
pour pénétrer dans le Nduga.
Avec ses deux successeurs immédiats, Kigeri I et le fils
de celui-ci, Mibambge I Mutabazi, nous entrons dans une
époque importante de l ’histoire aux sentiers mieux battus.
Le sol actuel du Rwanda était encore couvert de royau­
mes minuscules autonomes.
Les petites provinces du Bukonya, du Mulera, du
Buhoma, du Bushiru, du Luhengeri, du Kingogo, du
Bgishaza, toutes situées vers le Nord et vers l’Ouest, for(*) Les grandes familles se sont choisi des ancêtres imaginaires pour
la plupart. Il en est toutefois dont l’ascendance donnée est authentique.
Les devins-sacriflcateurs, connus sous le nom de Abosha, se disent les
descendants du fameux Lunukamishyo, l’homme aux couteaux de sor­
cier, originaire du Ndorwa qu’il avait quitté pour le Rwanda. L’impor­
tante famille des Batsobe se réclame de Gatsobe et de Nyirarutsobe qui
aidèrent Ruganzu II Ndori dans son expédition contre Nzira, au pays du
Bugara.
C’est à qui se trouvera les ancêtres les plus lointains et les plus
illustres. Il y a émulation sur ce point.
Mais pour bien imaginées qu’elles soient, on ne voit pas quelle valeur
historique peuvent avoir ces généalogies. Tout au plus peut-on retenir
comme vraies, l ’origine des Abosha, qui font partie du clan des Basinga,
ainsi que celle des Batsobe, qui, eux aussi, sont entrés, mais un peu plus
tard, dans la grande famille des Banyarwanda.

80

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

niaient autant de principautés indépendantes les unes des
autres. Il en était de même vers le Sud, au Munyambiriri
et dans le Kinyaga, où se coudoyaient plusieurs roitelets,
tels que celui de Biguzi, du Bukunzi, du Busozo. Vers le
Sud-Ouest, le Burwe, connu encore sous le nom de Mukindo ou Ndala, avait peut-être son autonomie; la pro­
vince de Bwana-Mkali était de même divisée entre p lu­
sieurs roitelets. 11 n ’y avait presque aucune cohésion entre
ces divers groupements pourtant d’origine commune
pour la plupart d’entre eux.
Le Nord est, en effet, peuplé de gens venus de Mpororo
et du Ndorwa. Ce sont des Bahunde O qui ont fait souche
au Nord-Ouest, au Bugoyi en particulier. Dans le Kinyaga
au Sud, on trouve un mélange de Bashi ou Banyabungu
qui ont traversé le fleuve de la Bussizi et de Barundi qui
fusionnent avec les précédents. Les habitants du Burwe
et du Bwana-Mkali sont également Barundi.
Dans la province centrale Nduga vivait un groupe d’in­
dividus connu sous le nom de Ababanda, divisés en frac­
tions et gouvernés par plusieurs roitelets. Les petits pays
du Muhanga el surtout celui du Marangara ont eu une
certaine célébrité dans l ’histoire locale. Il en sera question
dans l’« Histoire d’un règne ». Le plus puissant de ces
roitelets, à cette époque, était sans contredit le fameux
Mashira, qui avec la majeure partie du Nduga, possédaiI
encore le Ndiza, vers le Nord.
C’est en qualité de sorcier, dit la légende, qu’il fut
instamment sollicité par Kigeri I, le roi hamite, qui habi­
tait, croit-on, tout près de Kigali, à Mwurire, de lui venir
en aide. Les Banvoro avaient envahi les possessions de ce
dernier. Ntete, Ntende, Blinda, Gaselsa. Urwara, Migongo, Ngungu, Munyaga, etc., tous les villages situés
au Nord-Est de son royaume avaient été parcourus et
f1) Les « Bahunde » sont venus du nord-ouest du lac Kivu des diffé­
rents pays désignés sous le nom de Kamuronsi, Gishari, Shari, Buyungu,
Butembo, Bwito.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’AFRIQUE

81

ravagés par ces nouveaux envahisseurs qui venaient de
pénétrer dans le Bwana-Chamhge. En désespoir de cause
et à bout de moyens, Kigeri fait appel à Mashira pour
repousser les Banyoro.
Ce furent les charmes el les sortilèges du roi-sorcier,
racontent dans leur crédulité les historiens indigènes, qui
donnèrent la victoire aux troupes de Kigeri. L’aide maté­
rielle que fournit à celui-ci Mashira par l’apport de ses
propres guerriers, car c’est ainsi qu’il faut lire entre les
lignes, dut être pour beaucoup dans le succès final enre­
gistré par les Batutsi (1).
Oublieux des services que lui avait rendu le roi-sorcier,
Mibambge-Mutabazi, qui avait succédé à son père Kigeri,
réussit quelques années après à occuper le Nduga et à se
débarrasser de Mashira lui-même.
Avec Mibambge-Mutabazi, les Batutsi pénétrèrent dans
la province qui est au cœur du Rwanda. Après la mort de
Mashira, Mibambge s’établit à Ruchango près de Butare,
non loin de Nyanza. C’est encore durant son règne que le
Bugessera fut ajouté au royaume hamite du Rwanda. Le
roitelet de ce dernier pays, Nsoro, appartenait aussi à la
famille des Hamites.
D ’après la tradition, le Bugessera faisait partie de
l’Urundi où s’étaient déjà installés les Batutsi. L’un de
ceux-ci avait pris le gouvernement du pays et comman­
dait aux autres chefs, ses compatriotes, qui s’étaient dis­
tribué les collines (imisozi). Ceux du Bugessera rompirent
peu à peu les liens qui les rattachaient à l’Urundi et se
proclamèrent indépendants. Il en résulta de longues que­
relles qui eurent pour résultat d’affaiblir ce petit pays et
d’attirer enfin l’attention de Mibambge, qui joua le rôle
de troisième larron. Il y eut donc tout au début plusieurs
royaumes hamites limitrophes, fondés à plus ou moins
(J) L’invasion des Banyoro, les ravages qu’ils causèrent et leur défaite
font l ’objet d’un long récit, qui à cause de son importance, sera exposé
dans le Livre cinquième.
M é m . in s t . R o y a l c o l o n ia l B e l g e .

6

82

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

d ’intervalle. On connaît déjà le Rwanda, l’Urundi et le
Bugessera qui eut une existence éphémère. Le Ndorwa et
le Gissaka avaient aussi leurs rois hamites autonomes. Le
petit royaume du Gissaka a pu conserver son indépen­
dance jusqu’aux environs de 1850. Le Ndorwa, bien que
continuellement attaqué par les rois du Bwanda, ne fut
jamais bien soumis.
Les titulaires de la couronne dans le Ndorwa apparte­
naient au clan hamite dit des « Abashambo », fortement
apparentés aux Banyiginya d’où sont sortis les rois du
Bwanda. Il semble donc qu’à leur arrivée au seuil de ce
dernier pays, les Batutsi formaient un groupe compact,
pour pouvoir ensuite à un moment donné se disperser et
se diriger dans des contrées différentes, où ils se substi­
tuèrent aux princes autochtones. On a vu que les fils de
Gihanga, d’après la légende, ont donné naissance aux
diverses peuplades, Banyarwanda, Banyagissaka, Bagessera, Barundi, Basui, etc. Soit que l’on accepte l’existence
de Gihanga, ou q u’on la mette en doute délibérément en
n ’y voyant q u’un mythe, il n ’est pas défendu d’y trouver
l’explication du fait précédent, à savoir que les émigrants
Batutsi unis à l’origine et serrés autour de l’un d’entre
eux, sur la frontière Nord-Est du Bwanda (Ndorwa,
Mutara), ont pris dans la suite des directions diverses et se
sont partagé cette partie de l’Afrique.
On se demande, vu leur petit nombre par rapport au
reste de la population aborigène, comment ils ont pu
réussir à s’emparer du gouvernement des pays dont nous
venons de parler, y compris l’Uha, qui fait suite à l’Urundi
vers le Sud. Il y eut, sans aucun doute, des résistances
locales, puisque la tradition rapporte que quelques rois
hamites, comme Chyilima 1 Bugwe et Ndahiro-Chyamatara, perdirent la vie en cours d’expédition. Mais leur m ar­
che en avant ne fut jamais arrêtée d’une façon définitive.
Leur union du début, leur bon sens pratique, leur intelli­
gence supérieure à celle des Bahutu autochtones et leur

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

83

habile stratégie ne contribuèrent pas peu à leurs succès
militaires.
Au lieu de s’attaquer à plusieurs roitelets à la fois, ils
les circonvinrent séparément et les défirent les uns après
les autres.
Il est possible aussi que leur haute taille, la couleur de
leur visage et leurs manières plus policées en imposèrent
aux « Primitifs » qu’ils venaient soumettre. Nous les
voyons s’entendre et faire alliance avec ceux des princes
aborigènes qui peuvent leur être de quelque utilité,
quitte ensuite à s’en débarrasser quand le danger est passé
et q u’ils se sentent plus forts qu’eux. Kigeri I et son fils
Mibambge 1 agirent ainsi avec Mashira. Ruganzu II utilisa
pareillement l ’aide et le secours du roitelet de Marangara,
le célèbre Nkoma.
Ajoutons enfin que leur modération relative après la
victoire et leur talent de gouverner fortifièrent leur domi­
nation sur le Rwanda et les firent accepter de leurs nou­
veaux sujets.
Nombreux sont les problèmes sur lesquels il n ’est pas
encore facile de faire la lumière complète. Le fait de
savoir à quelle époque remonte l ’entrée des Batutsi dans
le Rwanda en est un autre. Il n ’est pas davantage possible
de tirer toutes les conclusions historiques du fameux épi­
sode dit des Barenge. Si la légende qui en a conservé le
souvenir n ’est pas erronée de tout point, on peut situer
l’événement au début du règne de Mibambge I, avant la
défaite et la mort de Mashira, qui eurent pour conséquence
la conquête de la province centrale du Nduga par les
Batutsi. Les Barenge ou gens de Bulenge habitaient le
Bwana-Mkali et formaient une tribu à part, distincte des
Ababanda, leurs voisins du Nduga. La tradition rapporte
que pour faire cesser la famine et la sécheresse qui déso­
laient leur pays, les Barenge, sur les conseils d ’un sorcier,
se mirent en devoir de faire la « courte échelle » et d ’esca­
lader ainsi le ciel pour y aller chercher la pluie. Mais la

84

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

pyramide vivante s’écroula avant que ne fût atteint le but
et les Barenge moururent de cette chute, écrasés ou
étouffés. La tragédie se déroula à Mara près de la mission
actuelle de Sàve.
Le chef, q u’on appelait Kimari, fils de Bulenge, échappa
au désastre avec quelques membres de sa famille, pour
finir bientôt d’une mort malheureuse. Le récit, qui est très
embrouillé, ajoute que Mibambge n ’aurait pas été complè­
tement étranger à cette catastrophe symbolisée par
l’écroulement d’une pyramide vivante et que Mashira
hérita de la succession de Kimari, au moins pendant quel­
que temps. O u’y eut-il au juste et comment se déroulèrent
les événements? La légende telle q u’elle s’est transmise
jusqu’à nos jours est mystérieuse. On ne sait comment
l’interpréter. Est-ce Mibambge qui provoqua l’anéantisse­
ment des Barenge ou si l’on s’en tient au récit, profita-t-il
seulement des succès de Mashira, s’il est vrai que ce soit
celui-ci qui ait vraiment attaqué et vaincu les Barenge?
Ce sont autant de questions auxquelles il n ’est pas aisé
de donner une solution, parce que les anachronismes et les
contradictions abondent. Le plus clair de l ’affaire, c’est
que les Barenge furent attaqués et éprouvèrent un désas­
tre. Dans cette lutte sans merci qui fut imposée aux habi­
tants de Mara, il paraît difficile de mettre uniquement en
cause les Batutsi. Ceux-ci, en effet, après avoir vaincu les
princes aborigènes, ne songeaient q u’à gouverner et à
administrer les populations soumises, dont ils tiraient
leur subsistance, en vrais seigneurs féodaux qu’ils étaient.
Tout en admettant qu’il y ait eu des excès de leur part et
que leurs victimes furent nombreuses, on peut assurer,
étant données leur mentalité et leurs habitudes, qu’ils ne
firent pas une guerre d’extermination proprement dite
aux peuplades q u’ils venaient subjuguer. Ils en avaient
besoin pour vivre.
Par contre, faut-il voir dans les Barenge les premiers
autochtones du pays auxquels leurs voisins du Nduga, les

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

85

Ababanda, imposèrent une guerre sans merci, comme
savent le faire les peuples primitifs chez qui la raison du
plus fort était une axiome de règle.
Les débris de poterie que l’on attribue à tort ou à raison
aux Barenge tendraient aussi à leur donner une origine
distincte (*)• Le nom des Barenge n ’est plus porté par
aucune tribu actuelle. Les indigènes croient qu’ils dispa­
rurent tous dans la catastrophe.
Yuhi I, le successeur hamite de Mibambge 1, n ’a presque
pas laissé trace dans l’histoire. Il est le 24e de la dynastie.
On ne parle de son règne que pour raconter un fait
assez insignifiant à notre point de vue. Bushara, l’un de
ses fils préférés, devint malgré lui, à la suite d’une mésa­
venture, « pluviator » et donna naissance au clan dit des
Bashara dont les membres ont la réputation encore
aujourd’hui de « faire la pluie et le beau temps ».
Avec Ndahiro-Chyamatara, le 25e de la lignée royale,
l’étoile des Batutsi subit une forte éclipse. Le règne de ce
prince se termina par des désastres. Sa mort a fait l'objet
d’un long récit qui est raconté dans l’Histoire du règne
de Ruganzu. D ’après l’épisode en question il alla chercher
lui-même la mort dans la forêt du Bugoyi. Une autre ver­
sion qui semble plus vraisemblable le fait m ourir à Russokovu dans le Bugamba, où il serait tombé les armes à la
m ain au cours d’une expédition malheureuse contre
les gens du pays qu’il aurait voulu soumettre. La contrée
est désormais connue sous le nom de « pays maudit du
marteau » (i Rubi rw’inyundo) pour dire que les armes
forgées par le moyen du marteau y eurent des conséquen­
ces fâcheuses, puisqu’elles y causèrent la mort du roi et
de l’élite de ses gens. On croit que c’est en souvenir de ce
tragique événement et pour le commémorer q u’a lieu à
la capitale le deuil annuel du mois de ju in (igichurassi).
Cette défaite eut des suites néfastes pour le royaume
f1) L’épisode dit des « Barenge » est à cause de son importance traité
à part, dans le Livre cinquième.

86

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

hamite, qui ju squ’ici n ’avait cessé de progresser dans l’in ­
térieur du pays. La légende et la tradition ont poussé le
tableau au noir, en accumulant les faits tragiques.
Un certain Nsibura, chef des Banyabyinshi qui habi­
taient au Sud-Ouest du Rwanda, parcourt le pays en vain­
queur, soumettant tout sur son passage. Les malheurs du
royaume ne cessèrent, racontent les bardes, que le jour
où le fils et successeur du prince infortuné, Ruganzu II
Ndori, vint réclamer par la force des armes le trône de
ses aïeux.
A la suite du désastre qui avait coûté la vie à son père,
le jeune prince s’était enfui à la Cour du roi du Karagwe;
il y fut élevé par la reine qui était sa tante paternelle. A
son retour dans le Rwanda les circonstances le servirent à
merveille.
Son principal adversaire, Nsibura venait de mourir
dans la forêt de Bugessera des suites d’un accident drama­
tisé par la légende. Son caractère énergique et décidé
l’aida grandement dans ses entreprises. Ruganzu recula
au loin les limites du royaume que lui avaient laissé ses
ancêtres. Nul ne fit plus que lui pour l’unité de la monar­
chie.
Les derniers roitelets autochtones qui avaient sur­
vécu jusque-là à l’invasion hamite furent soumis par lui.
Le Bugara au delà des lacs du Mulera, le Munyambiriri,
le Kinyaga, le Bwana-Mkali, le Burwe, etc., firent désor­
mais partie intégrante de la couronne. Comme ses prédé­
cesseurs, il se rendit au Ndorwa où il tua un parent du
roi, un certain Kanyoni, puis au Bunyabungu, au SudOuest du lac Kivu, mais ce ne furent là que des conquêtes
éphémères.
Ses successeurs n ’eurent pas plus de succès que lui. Les
habitants de ces deux dernières contrées ne se laissèrent
jamais assimiler d’une façon durable par les Banyar­
wanda. Buganzu n ’eut pas de résidence fixe; il passa

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

87

toute sa vie à guerroyer, d’où son nom de Conquérant, de
Victorieux par excellence (kuganza).
On ne connaît sur le territoire actuel du Rwanda que
deux petites principautés, le « Rusozo » sorte de pays vas­
sal et le <( Marangara » que Ruganzu laissa subsister. Le
potentat respecta plus ou moins leur indépendance en vue
du profit qu’il pouvait en tirer. Le roitelet de cette der­
nière contrée, qui était alors Nkoma, avait la réputation
d ’un magicien puissant, ce qui fait encore dire aujour­
d ’hui que « Nkoma de Marangara, le fils de Nkondogoro,
réussissait à ensorceler autrement qu’on ne le fait aujour­
d ’hui ». (Nkoma ya Nkondogoro ikilozi clio m u Maran­
gara kitaloger’ ubussa nk’aba none.)
Ruganzu n ’osa pas s’attaquer à son prestige; il préféra
en faire son allié. Le royaume hamite du Gissaka ne fut
pas davantage inquiété. On ignore, nous l’avons déjà dit,
à quelle époque exacte il avait été fondé. Peut-être com­
mença-t-il en même temps que celui du Rwanda.
On ne lui connaît que onze rois, dont le premier, Kimenvi I, était contemporain de Ruganzu II. A certaines épo­
ques, les relations durent être bonnes entre les deux
Cours, puisque nous voyons 1111 roi du Rwanda, Kigeri 11
Ndabarassa, épouser une princesse du Gissaka, la sœur de
Kimenyi II Cetula. Mais l’harmonie cessa dès le jour où
les rois du Gissaka s’emparèrent du Ruganza et du RwanaChambge qu’ils ne gardèrent pas longtemps du reste.
Le fils et successeur de Ruganzu, Mutara I Nsoro, agran­
dit le royaume au Sud-Est en refoulant au delà du fleuve
de l’Akanyaru les Rarundi qui détenaient une partie de
la province du Rwana-Mkali. La tradition ajoute que la
partie décisive se joua tout près de la mission de Save. Le
roi de l’Urundi y perdit la vie et les vainqueurs s’empa­
rèrent de son costume d’apparat (inkindi) qui figure
encore aujourd’hui comme trophée dans le trésor royal
(intore).
Cette pièce historique a survécu au désastre de Ruchun-

88

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

chu, où l’incendie dévora les multiples pièces et objets qui
faisaient partie de la garde-robe royale. Le vêtement en
question n ’est autre qu’une peau de colope (inkomo),
comme en portaient autrefois les rois et les chefs Batutsi.
Il était de dimensions assez étroites; aussi a-t-il été
appelé par dérision, dans l’histoire, 1’ « habit trop court »
qui ne va pas à la taille de son propriétaire O . Les Noirs
ont, en effet, le rire et la plaisanterie faciles.
Il ne se passa aucun fait saillant, que l’on sache du
moins, sous le règne des trois monarques suivants.
Par contre, avec le 31°, Chyilim a II Ludjugira, la lutte
recommence avec les Barundi. Cette guerre a fait l’objet
d’un long récit embelli et défiguré par la légende. D ’après
celle-ci, en effet, c’est à la suite d’une sécheresse et pour
en obtenir la cessation que les Banyarwanda déclarèrent
la guerre aux Barundi. Sous le même règne eut lieu dans
le Bugoyi, sur la côte orientale du lac Kivu, l’invasion
d’une peuplade étrangère, q u’on eut beaucoup de peine
à refouler. Le caractère historique de ce deuxième épisode
a été mieux conservé. « Il s’agissait d’une race, racontent
les vieux, de couleur claire, parlant une langue diffé­
rente de la nôtre et ne bâtissant pas comme nous. »
Ils avaient la spécialité d’enduire et de couvrir de terre
leurs habitations et possédaient des instruments, haches
et pioches, mieux forgés et plus résistants que ceux des
autochtones. On les appela les « Couvreurs de toits en
terre » (Àbassakazataka), ou encore les « Muets » (ibiragi), à cause de leur langage incompréhensible. Les nou­
veaux venus s’étaient installés dans la province du
Bugoyi qui est séparée du Nduga par la forêt et ne tardè­
rent pas à avoir des démêlés avec les quelques aborigènes
du pays qui s’étaient taillé un coin dans cette région vol­
canique. Ces derniers eurent beau se réunir pour repous­
ser les étrangers. Les Muets restèrent vainqueurs et
(!) Le sens littéral est plus imagé et plus « épicé » aussi. Ntizihish’
amabuno !

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

89

repoussèrent les assaillants. On fit alors appel au concours
de Chyilima, qui envoya une armée à leur secours. Les
intrus furent taillés en pièces et les survivants s’enfuirent
vers le Nord d’où ils ne sont plus revenus.
Q u’étaient ces étrangers et d’où venaient-ils? La tradi­
tion est muette sur ces deux points. Pour les identifier, on
en est réduit aux hypothèses. L ’histoire rapporte qu’ils
étaient « blancs » (1), qu’ils bâtissaient en terre et qu’ils
avaient des instruments plus perfectionnés.
Nous inclinons à croire q u’il s’agissait d’un tribu congo­
laise venue du Nord-Ouest du lac Kivu, à une époque où
les Warega, terribles anthropophages, mettaient les pays
limitrophes à feu et à sang.
C’est probablement pour le même motif que les ancê­
tres des Bagoyi quittèrent leur patrie (Gishari, Buyungu,
etc.) pour s’installer au Nord-Est du lac où ils ont fait
souche.
On raconte encore que le dernier roi du Ndorwa fut
vaincu par les troupes de Chyilima. Le fait n ’est pas abso­
lument sûr, car la même victoire est attribuée à 1111 de ses
prédécesseurs et à deux ou trois de ses successeurs. On
peut dire toutefois que jusqu’en 1890, les malheureuses
populations du Mpororo et celles du Ndorwa surtout n ’eu­
rent jamais de repos. Presque tous les rois du Rwanda y
dirigèrent, quand ils ne les conduisirent pas en personne,
des expéditions.
Comme nous l’avons déjà dit, les habitants ne furent
jamais bien soumis. Les troupes une fois parties, les sur­
vivants sortaient de leurs cachettes et se remettaient à
vivre au jour le jour jusqu’à la nouvelle attaque. Aussi le
pays est-il resté toujours pauvre et presque sans trou­
peaux.
Les trois souverains qui succédèrent à Chyilim a sont
peu connus.
t1) Les Bagoyi ont certainement exagéré sur ce point. Cf. Livre cin­
quième.

90

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

On ne parle du dernier, Yuhi III Gahindiro, que pour
dire qu’il ennoblit un Mutwa et q u’il lui donna sa propre
fille (Mulangamirwa) en mariage. Les descendants de ce
couple forment le clan des Basiete.
Ces monarques où vécurent-ils? Quelles furent leurs
capitales?
Les anciennes résidences royales (ibigabiro, ibisozi,
imirwa), facilement reconnaissables aux bouquets d’arbres
qui en marquent l’emplacement, se rencontrent un peu
partout, dans les différentes provinces du Rwanda. On les
aperçoit tout particulièrement aux environs de Kigali,
dans le Nduga, après le passage du fleuve de la Nyabarongo, sur la route qui va à Nyanza et au delà jusque
dans le Bwana-Mkali. On dirait que les princes hamites
avaient fait de cette partie centrale du RAvanda leur lieu
d’élection, leur séjour favori, à en juger par le nombre
de leurs habitations.
Les relations matrimoniales entre vainqueurs et vaincus
ont été si fréquentes dans le Nduga que les Bahutu de
cette province sont fortement teintés de sang hamite. Il
faut ajouter pour expliquer la profusion des anciennes
résidences que certains monarques Ruganzu II, Lwabugiri, se déplaçaient facilement et eurent beaucoup de
résidences, alors que leurs prédécesseurs n ’en comptaient
que trois ou quatre 0).
Avec Mutara II Lwogera, le grand-père du roi actuel,
nous arrivons aux environs de 1845. Le fait le plus im por­
(i)
Résidences royales autour de Kigali; Ntora, Kabuye, Rutare, Mwulire, etc.

Dans le Nduga :
Gibara (Lwogera et Lwabugiri); Runda (Musinga); Ishèru (Lwogera);
Idjuru (Yuhi-Mazimpaka); Rukoma (Mibambge); Kanshyiri (Lwogera);
Rugobagoba (Lwogera); Kamonyi (Lwabugiri et Musinga); Buhoro et
Kivumu (Gahindiro); Mata, Lwamabare, Nyundo, etc.
Dans le Bwana-Mkalé :
Buhimba (Lwogera et Lwabugiri); Gikirambga (Mutara); Gisseke (Lwa­
bugiri, Musinga); Ishyanda (Lwogera, Lwabugiri); Mwurire, Kisanze,
Lussagara, etc.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

91

tant de son règne fut la conquête définitive du royaume
hamite du Gissaka, où les divisions intestines s’étaienl
introduites. L’un des grands chefs de ce dernier pays
ayant été dépossédé de ses biens, s’adresse au Roi du
Rwanda qui profita de cette occasion pour y envoyer ses
troupes.
L ’événement se passa entre 1850 et 1860. Mutara ne
tarda pas à mourir après ce beau succès. On croit q u’il
fut terrassé par la phtisie. U vécut tout d’abord à Batsinda,
près de Rugobagoba, puis à Kivumu, non loin de Kabgayi. La province centrale du Nduga resta toujours la
province par excellence; les rois hamites y passèrent la
plus grande partie de leur règne.
C’est à partir de Mibambge I Mutabazi, le 23e de la
dynastie et le vainqueur du roi-sorcier Mashira, que les
Batutsi firent du Nduga leur pays de prédilection. Aussi
les (( bois sacrés » (ibigabiro) qui marquent l ’emplace­
ment des anciennes résidences royales (imirwa), s’y sui­
vent-ils presque sans interruption.
Kigeri IV Lwabugiri, dont la mort ne remonte q u’en
1895, est le prince dont le genre de vie se rapproche le plus
de celui de son ancêtre Ruganzu II Ndori.
Comme lui, il passa toute sa vie à guerroyer. Les
régions situées au Nord-Est du Rwanda, le Bukonya, le
Mulera, le Buhoma, le Bushiru, etc., bien que nom ina­
lement soumises depuis Buganzu II, ne s’étaient jamais
montrées bien dociles à l’égard des Batutsi et avaient con­
servé vis-à-vis de leurs vainqueurs une attitude frondeuse
et turbulente. Lwabugiri ne manqua pas d’y faire de fré­
quentes visites.
Ces populations montagnardes, à qui en imposait son
renom guerrier, ne lui opposèrent aucune difficulté. Le
Nkole, le Ndorwa, l’Urundi et le Bunyabungu qu’il aurait
voulut réunir, au moins en partie, au Rwanda, le virent
passer avec ses troupes.
Ce ne furent là que des expéditions blanches, où malgré

92

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

le butin retiré, il éprouva de grandes pertes en hommes,
sans aucun profit sérieux pour la couronne. Sa seule con­
quête définitive fut celle de l’île d’Idjw i. L’épidémie qui
terrassa le prince le surprit à Kiranga, au moment où
pour la quatrième fois au moins il se rendait au Bunyabungu, au Sud-Ouest du lac Kivu.
Son règne, parce que récent, est bien connu et le récit
de ses expéditions se trouve encore sur les lèvres de ses
contemporains qui lui ont survécu. Sa popularité est pres­
que égale à celle de son aïeul Ruganzu II dont les faits et
gestes, malheureusement défigurés par la légende, ont
été conservés et font l’objet de maintes conversations au
coin du feu. Les contrastes de caractère de Lwabugiri
n ’ont pas laissé que d’être fort curieux. Ses vengeances,
comme ses caprices sanguinaires, étaient sans lendemain.
On le voyait ensuite élever les fils de ses victimes et adop­
ter de jeunes captifs qu’il prenait en affection, comblait
de biens et admettait même dans sa famille.
Son successeur direct, Mibambge IV Rutalindwa, resta à
peine une année sur le trône. Il fut renversé par Kabale,
le chef le plus puissant du clan hamite des Bega.
Pour ne pas tomber vivant aux mains de ses ennemis,
le royal vaincu se donna la mort. Mussinga, un des plus
jeunes fils de Lwabugiri, fut aussitôt intronisé sous le
nom de Yuhi IV.
Il était, par sa mère Kanjogera, neveu de l’ambitieux
Kabale, qui exerça la régence durant la minorité du
jeune prince. Le clan des Banyiginya, d’où est sortie
la famille royale et qui avait jusqu’alors exercé une
influence prépondérante à la Cour, se vit déposséder de ses
biens. Les chefs les plus en vue du parti vaincu furent
implacablement immolés par les Bega, qui se partagèrent
sur les cadavres de leurs victimes, le gouvernement des
provinces. Les Bega, aigris d’avoir été tenus à l’écart des
affaires publiques, se vengeaient une fois pour toutes de
la condition inférieure dans laquelle ils estimaient avoir

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

93

été maintenus à tort pendant si longtemps par leurs
rivaux.
On se demande si Kabale en imposant à son neveu le
nom royal de Y uhi ne l’a pas fait intentionnellement.
On distingue deux catégories de rois : les rois guerriers
et les rois pacifiques (abami b ’ inteko, du verbe guteka
s’asseoir f1]).
Le nom qui leur imposé au jour de leur intronisation
les lie et les engage, pour tout leur règne, dans l’une ou
l ’autre voie. Ruganzu est un nom de guerre, comme celui
de Kigeri. Ruganzu 11 ÎSdori, raconte une tradition, s’était
donné tant de mal (yari yarushye chyane) que, pour évi­
ter autant que possible à ses successeurs les ennuis, les
peines et les fatigues q u’il avait endurés, il ordonna que
son nom de « Ruganzu » disparût à jamais avec lui dans
la tombe. Il comptait par là réduire le nombre de guerres
futures. Les titres de Mutara et de Yuhi engagent au repos
ceux auxquels ils sont imposés. Il ne leur est pas permis de
franchir les fleuves (ntibam buk’ uruzi). La violation de
ce « tabou » les exposerait eux et leur royaume à de
grands malheurs.
Aussi ce ne fut pas Mutara lui-même qui fit la conquête
du Gissaka. Dans le cas d’une guerre ou d’une expédition
nécessaire le Souverain désigne deux généraux dont l’un
(umugabe) a la direction des opérations militaires et
l ’autre une simple préséance honorifique. Celui-ci passe
pour excercer une influence occulte et magique sur les
ennemis qui ne peuvent manquer d’être vaincus, s’il rem­
plit bien son rôle. Lwabugiri avait toujours à ses côtés,
durant ses expéditions, un de ces généraux à titre super­
stitieux. Ces derniers sont appelés Abagaba.
(!) Le même verbe guteka signifie aussi cuire (en kiswahili, kupika).

LIVRE DEUXIEME
Fondation du royaume hamite du Rwanda.

(UN EMBRYON D’HISTOIRE.)
CHAPITRE PREMIER.

Des origines obscures du royaume jusqu’à l’avènement
de Ruganzu I.
CHAPITRE I.
Des origines obscures du royaume jusqu’à l ’avènement de Ruganzu I.
CHAPITRE II.
De Ruganzu I jusqu’au roi visionnaire Yuhi II Mazimpaka. Les princes
libérateurs.
CHAPITRE III.
De Yuhi II jusqu’à Kigeri IV Lwabugiri. La prophétesse Nyirabiyoro
et le supplice de Kamegeri.
CHAPITRE IV.
Le règne de Kigeri IV Lwabugiri. Ses nombreuses expéditions. Prophé­
ties populaires.
CHAPITRE V.
Derniers épisodes du règne de Lwabugiri. Entrevue du prince hamite
avec le célèbre explorateur allemand, le comte von Gôtzen.
CHAPITRE VI.
L’époque contemporaine. Le coup d’Ëtat de Ruchunchu et le triomphe
des Bega. L'avènement de Yuhi IV Musinga (18% ou 1897).
Liste g é n é a lo g iq u e des S o u v e ra in s ham ites.
NOM

NOM

NOM

CLAN

DE RÈGNE.

DE NAISSANCE.

DE LA M È R E .

DE LA M È R E .

Inconnu.
»
»

Inconnu.
»
«

Inconnu.
»
»

1° Landa.
2° Muntu.
3° Kazi.

96

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

NOM

NOM

NOM

CLAN

DE RÈGNE.

DE NAISSANCE.

DE LA M ÈRE.

DE LA M È R E .

4° Nkuba.
5» Kigwa.
6 ° Kimamika.
70 Kijuru.
8 ° Kôbo.
9° Kizira.
10 ° Kihanga.
11 ° Kanyarwanda.
12 ° Musindi.
13» Lumeza.
14° Nyarume.
15» Lukuge.
16° Rubanda.
170 Ndora.
18° Samembe.
19° Nsoro.
20 ° Ruganzu
1.
21° Chyilima 1.
I.
22 ° Kigeri
23° Mibambge I.
24°
25°
26°
27°

Yuhi
Ndahiro.
Ruganzu
Mutara

I.

28°
29°
30°
31°
32°
33°
34°
35°
36°
37°
38°

Kigeri
Mibambge
Yuhi
Chyilima
Kigeri
Mibambge
Yuhi
Mutara
Kigeri
Mibambge
Yuhi

II.
II.
II.
II.
III.
III.
III.
II.
IV.
IV.
IV.

II.
1.

Inconnu.
»
»
»

»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
Samukondo.
Bwimba.
Rugwe.
Mukobanya.
Mutabazi.
Sekarangoro.
Gahima.
Kyamatara.
Ndori.
Muyenzi.
Nsoro Semugeshi.
Nyamuheshera.
Gisanura.
Mazimpaka.
Ludjugira
Ndabarassa.
Sentabyo.
Gahindiro.
Lwogera.
Lwabugiri.
Rutalindwa.
Musinga.

Inconnu.
»
»
»
»
»
»
»
Klezi.
Nkundwa.
Musindi.
Nkindi.
Monde.
Nyabitoborwa.
Nyakanga.
»
Nyakiyaga.
Nyankuge.
Nyabadaha.

inconnu.
>>
»
»
»
»
»
»
Abega.
Abaha.
Abasinga.
»
Abega.
Abaha.
Abasinga,.
»
»
Abega.
Abakono.
Abega.

Matama.
Nyirangabo.
Nyabachuzi.

Abasinga.
»
Abakono.

Nyiramavugo.
Nchenderi.
Nyabuhoro.
Nyamalembo.
Kilongoro.
Lwesero.
Nyiratamba.
Nyiratunga,
Nyiramavugo.
Murole-unkwere.
Nyiranshongore.
Kanzogera.

Abega.
Abaha.
Abega.
Abaha.
Abakono.
Abagessera,
Abega.
»
»
Abakono.
»
.Abega.

Des dix-neuf premiers membres vrais ou supposés de la
dynastie royale bien peu ont laissé une trace dans l’his­
toire. On dirait des mythes. Nous les mentionnons toute­
fois pour la curiosité des lecteurs en passant rapidement
sur les faits et gestes que l’on prête à quelques-uns d’entre
eux.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

97

1. Le premier fut Landa (du verbe kulanda qui signifie
ramper à terre). Les Banyarwanda entendent par là q u’il
fut à la base de tous les autres.
Dans la province du Buganza les Banyarwanda, pour
parler du premier homme, se servent du mot « Shyerezo» :
le Commencement, qui veut dire aussi la fin.
11 habitait au ciel et donna naissance aux Banyarwanda.
Il faut se rappeler que le Buganza est comme Mutara dans
le Ndorwa, le berceau des Batutsi. Ces deux régions furent
leurs premières étapes vers le Bwanda. Aussi les légendes
qui y ont cours offrent-elles le plus grand intérêt comme
nous le verrons plus loin.
2. Le second, Muntu veut dire homme, pris dans son
sens le plus générique (l).
3. Le troisième est Kazi, terme suranné pour dire vieilli
ou qui a vécu de longues années.
4. Nkuba, « la foudre », vient après.
De ces quatre personnages fictifs, c’est Nkuba (la fou­
dre) dont il est le plus souvent question dans les contes
indigènes. D ’aucuns en font un fils de Nyiragihanga,
dont il sera parlé plus loin.
Le successeur de Nkuba fut
5. Kigwa, Celui qui est tombé (du ciel).
6. Kimanuka, Celui qui est descendu (du ciel) lui suc­
céda et céda à son tour le trône à
7. K ijuru, Celui qui est du ciel, le céleste.
t1) Les Baganda ont gardé le souvenir d’un de leurs rois de nom
Kintu.
Il ne .serait pas impossible que le Muntu des Hamites du Rwanda ne
soit qu’une réminiscence du Kintu, un Galla probablement qui régna
sur les Baganda et fut entouré d’un grand respect.
Mgr Gorju, dans l’ouvrage déjà cité, essaie d’expliquer l’origine du
mot Kintu en résumant les souvenirs des Baganda par rapport à Kintu :
« D’où venait Kintu? Nous n’en savons rien (affirment les indigènes);
nous ne savons non plus quel était son nom. Il était blanc et son arrivée
excita chez nous une curiosité non sans crainte. — J’ai vu une chose
étonnante (ekintu), se disaient les gens; le nom lui en resta, ce fut
Kintu. » Page 100.
m ëm

. i n s t . R o y a l c o l o n i a l b e lg e .

7

98

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Ces trois termes sont presque synonymes et ont été
donnés à des êtres imaginaires. Le nom de Kigwa encom­
bre les légendes dont se pare la littérature des Batutsi (x).
8. Kôbo, dont le sens étymologique est « petit trou »,
règne après K ijuru et fut remplacé par
9. Kizira, Ce qui est défendu.
Jusqu’ici nous sommes dans le plein domaine de la
légende. L’histoire n ’a pas encore fait un pas. On dirait
une généalogie mythologique créée après coup par des
familiers et des courtisans, pour des monarques en quête
d ’aïeux nombreux et illustres. Les Banyarwanda n ’ont pas
manqué de tomber dans ce travers et les Basozo du
Kinyaga ont imité leur exemple en cherchant aussi pour
leurs rois une lointaine et fort problématique ascendance
qui se perd dans les temps éloignés.
Il n ’est pas dit aussi que l ’un ou l’autre des rois qui
suivent ne méritent pareillement d’être rangés dans la
catégorie fictive de leurs devanciers.
10. Avec Gihanga, le Créateur par excellence, on sem­
ble toucher à quelque chose de positif. D ’après une
légende assez répandue, ce prince aurait vécu dans la
plaine de Muko, au lieu désigné sous le nom de Buhanga,
pays sacré dont le sol était interdit même aux Batutsi.
Il serait ensuite venu dans le Kibali, à Kangomba. Son
nom est resté attaché au bois sacré de Luhanga, où l’on
croit qu’il a été enterré avec sa mère Nyirakihanga, selon
les uns, ou sa femme Nyirakabogo, selon les autres.
C’est sous son règne que les bovidés auraient pour la
première fois fait leur apparition dans le Bwanda.
A cela rien d’étonnant, puisque les Batutsi sont un
peuple de pasteurs. Il est tout naturel que dans leur ém i­
gration ils aient amené avec eux, sinon de grands trou­
peaux, au moins quelques couples. Les Banyarwanda, qui
(*) Cf. « L a légende des Batutsi sur la Création, la Chute et leur
établissement dans le Bwanda », par le P . L o u p ia s , Anthropos, III (1908),
p. 2 ss. et « Au Rwanda, sur les bords du lac Kivu (Congo Belge) », par
le P . Pages, idem (1920).

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

99

ont oublié avec le temps la provenance de ces animaux,
en ont fait l’objet d ’un récit merveilleux, dans lequel
Nyirarutchaba, la fille du roi, joue le principal rôle.
Le voici résumé en quelques lignes : Gihanga avait
deux femmes Nyirampirangwa et Nyamussussa. Celles-ci
se disputèrent un jour pour la possession d’une peau de
chat-tigre que Gihanga avait tué à la chasse.
Nyirarutchaba prit parti pour sa mère Nyirampirangwa.
S’emparant d’un pieu aiguisé, elle en porte un coup violent
à Nyamussussa qui était dans un état de grossesse très
avancé. Celle-ci mourut presque aussitôt en mettant au
monde un enfant qui fut nommé Kafomo, c’est-à-dire né
avant terme. Sa colère calmée, la jeune meurtrière se prit
à réfléchir sur la gravité de son acte. Redoutant à juste
titre la colère de son père, elle s’enfuit dans la forêt qui
s’étendait à l’Est jusque vers le lac Victoria.
Après avoir erré quelque temps à l’aventure, elle fut
rencontrée harassée de fatigue, par un chasseur appelé
Gahu qui la recueillit et en fit son épouse. Le ménage
vécut en bons termes. Un enfant leur naquit...
Or, un jour que Nyirarutchaba était allée sarcler un
champ d ’éleusine, elle aperçut de loin une bête à longues
cornes allaitant un petit. Elle s’enfuit tout d’abord, mais
revint ensuite pour mieux examiner la cause de son effroi
et de son étonnement.
L’étrange animal s’était retiré plus loin et paissait pai­
siblement. Nyirarutchaba s’approcha de l’endroit où elle
avait aperçu l’étrange quadrupède pour la première fois.
Elle remarqua qu’un peu de lait était tombé dans une
cavité du terrain rocailleux. Elle voulut y goûter et le
trouva délicieux. De retour au logis, elle fit part de la
découverte à son mari et réussit non sans peine à le con­
duire au pâturage pour lui faire admirer la bête.
L’idée lui vint bientôt d’apprivoiser l ’animal. Malgré les
craintes de son homme, elle vint se mettre à l’affût avec
une longue liane en mains. Voyant que le petit était éloi­

100

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

gné de sa mère, elle s’approche doucement, lui met le licol
au cou et tire sur la corde. La bête voyant que sa progé­
niture s’écarte, se met en demeure de la suivre. Nyirarutchaba réussit à faire pénétrer le veau dans la cour qui pré­
cède la case et fixe le lien à un des bois qui en forme
l’enceinte...
La mère ne voulut pas se séparer de son petit et se fam i­
liarisa bien vite avec les gens de la hutte.
Nyirarutchaba, après s’être servie durant longtemps ds
petites cruches en terre, réussit à décider son mari à lui
préparer des ustensiles mieux appropriés à cet usage. Le
chasseur savait travailler le bois. Il présenta un jour à son
épouse les pots à lait si connus sous le nom de «ibvantsi».
Mais ce ne fut q u’au cours d’une grave maladie que Galui
se décida à boire de ce liquide qui lui avait inspiré jusquelà une profonde répugnance. Son rétablissement fut
prompt, grâce à la bienfaisante liqueur.
Les deux époux étaient à peu près les seuls êtres
humains qui vivaient dans la forêt.
Des Batwa s’étant égarés à la chasse montèrent sur un
arbre et virent de la fumée.
Ils s’approchent de l’endroit et aperçoivent bientôt
Nyirarutchaba qui les questionne sur leur pays. Sur leur
réponse q u’ils sont les chasseurs attitrés de Gihanga, elle
leur demande des nouvelles de son père. Ils lui apprennent
que le prince est gravement malade d’une dysenterie. Son
cœur se serre à cette nouvelle. Elle obtient de son mari la
permission de le quitter pour aller voir l’auteur de ses
jours et lui porter trois jarres de lait, dans la pensée
qu elle pourra le guérir.
Elle arrive à la capitale et trouve le roi sans connais­
sance.
On réussit à lui faire prendre un peu de lait. Gihanga
pousse aussitôt 1111 soupir de satisfaction.
Quelques instants après, on lui donna de nouvelles gor­
gées qui le raniment.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

101

11 ouvre les yeux et reconnaît sa fille.
Grâce au lait qu’elle avait apporté, il se trouva bientôt
guéri. Nyirarutchaba voyant son père complètement
remis voulut retourner chez son mari. Le souverain accède
à ses vœux, mais lui demande où elle a trouvé un si bon
breuvage. Craignant pour son petit troupeau, Nyirarutchaba lui fait croire que c’est du jus laiteux d’une plante
que son mari a cultivée. Gihanga feint de croire au men­
songe de sa fille. Elle prend congé de lui, mais il la fait
suivre de loin par ses Batwa.
Sa demeure est bientôt découverte. Gihanga en per­
sonne va s’emparer des vaches qu’il conduisit dans le
Rwanda, et... c’est de là, ajoutent les conteurs, que sont
sortis les troupeaux actuels (*).
D ’après une autre légende, c’est Kafomo (né avant
terme) qui devint à cette occasion le père des Basui (gens
de l ’Usui).
Les devins avaient dit que l’enfant né dans la circons­
tance tragique que l’on connaît porterait malheur. Gihan­
ga doit en débarrasser le royaume :
« Prends cet arc, lui dit son père. Une fois que tu auras
pénétré darfs la forêt, appuie-toi sur un arbre à épines et
fixe ton arc à une des branches. Si l’arc disparaît dans
le tronc, ne crains rien, reste immobile.
« Ne fuis pas devant les chasseurs, personne ne te fera
de mal. Le bonheur qui t’attend dépend de ton obéis­
sance. »
Kafomo suivit à la lettre les recommandations de
Gihanga.
11 avait suspendu son arc et s’était assis quand soudain,
il vit des vaches sortir du lac Victoria : « Un grand mal(J) Le souvenir de Nyirarutchaba est resté attaché au petit pays de
Buhimba, près Nyanza. Un grand arbre y porte encore le nom de cette
princesse.
Les gens du clan des « Batchaba » se réclament d’elle, on ne sait pour
quelle raison.

102

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

heur, s’écria-t-il épouvanté, est arrivé chez nous; en voilà
le signe et la preuve ».
C’était au moment où Gihanga et ses hommes étaient
allé piller Galiu. Eux-mêmes assistaient à ce prodige et
attendaient que le troupeau sortît du fond du lac pour s’en
emparer. Mais Kafomo de crier plus foit : « Au secours!
le royaume est en péril ». 11 monte sur l’arbre pour que
sa voix soit entendue au loin.
Un magnifique taureau (Lutenderi) venait d’apparaître,
les cornes sortaient de l’eau...
Aux cris poussés par le jeune homme, la bête prend
peur et disparaît dans le lac avec le reste du troupeau.
Gihanga et ses hommes n ’en eurent que la plus faible
partie.
Le prodige passé, Kafomo se remet sous son arbre et
l’arc à son tour se dérobe à ses yeux...
Le fils du roi s’endort. L’arbre se fend pendant la nuit.
Il en sort d’autres vaches, des serviteurs, des cases toutes
construites et une femme que Kafomo épousa. Il devint
le roi du pays.
Ses descendants portent le nom de « Abashubbi » du
mot « mushubbi », arbre à épines, parce que le prince
s’était reposé sous un de ces troncs.
Le nom de Nyiragihanga, mère du roi Gihanga, inter­
vient dans un autre récit. Nyiragihanga avait donné le
jour à sept ou huit personnages fictifs, désignés sous le
nom de Lion, Léopard, Buffle, Eléphant, Hyène, etc.,
puis à la Foudre (Nkuba) et enfin à une fille Nyirabukangaga. Les enfants avaient reçu des occupations particu­
lières. Les uns allaient à la chasse, les autres coupaient du
bois; leur mère restait presque toujours seule au logis.
Un jour que Nyiragihanga avait fini de préparer les
huit marmites qui servaient à la consommation journa­
lière, la Mort se présenta et se fit donner la nourriture
qu’elle avala gloutonnement.
De retour, les enfants, mis au courant de l’événement,

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

103

tinrent conseil pour savoir comment ils se débarrasseraient
du vorace personnage qui avait promis de revenir. Le
Lion assura qu’il se chargeait de faire expier son forfait
au coupable et que ses frères n ’avaient q u’à se rendre à
leurs travaux quotidiens. Quand il fut en présence de
l’ennemi il eut peur et se cacha. « Laissez-moi faire, dit
1 Éléphant, le jour suivant, je l’écraserai ». L ’aspect de la
Mort le terrifia et il s’enfuit. Aucun d’eux ne réussit à se
défaire de l’horrible visiteuse. La Foudre s’offrit enfin à
son tour jurant que rien ne la ferait reculer. De fait elle
réussit à blesser l’importune visiteuse. La Mort essaie de
se dérober aux coups de la Foudre et se réfugie à l’inté­
rieur d’un rocher d’où elle est délogée. Elle pénètre dans
un trou de taupe qui, pour aveugler la Foudre, lui jette de
la terre, ce qui l’oblige à se retirer. La Foudre n ’abandonne
pas la partie, elle avertit les gens de s’enfermer chez eux.
On connaît la suite. Une vieille sort malgré la défense et
servit de refuge à la Mort qui depuis lors n ’a cessé d’exer­
cer son funeste empire sur le monde : « Je vous l’avais
bien dit, s’écrie la Foudre. Vous avez violé la défense, tant
pis pour vous! Vous en subirez les conséquences. Quant à
moi, je vais me réfugier en haut (hejuru) » (l).
Gihanga est de plus considéré comme l’inventeur du
feu. Dans la hutte que tout monarque doit bâtir en l’hon­
neur de Gihanga, on entretient du feu dans une immense
cruche en terre cuite.
Ce sont les Abiru ou « gardiens des traditions » qui ont
la charge du feu sacré. Ils se succèdent de nuit et de jour
autour du foyer pour ne pas le laisser s’éteindre. Nul autre
que le roi ne peut venir y prendre du feu pour allumer sa
pipe.
11.
Kanyarwanda, l’habitant du Rwanda, fut destiné par
feu son père à occuper le trône. Ses frères supposés Kages-

le

(!) Cf. « Au Rwanda, sur les bords du Kivu (Congo Belge) », par
P . Pagès. Anhropos (1920).

104

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

sera, l ’homme du Bugessera, Kanyagissaka, l’homme du
Gissaka, etc., eurent le gouvernement des provinces qui
portent leur nom.
Quelle créance historique peut-on donner à Kanyagis­
saka, à Kagessera, à Kanyarwanda et à Gihanga? Nous
n ’osons pas trancher la question ni dans un sens, ni dans
l’autre, faute de documents précis.
Les Batutsi, au début, durent avoir un chef commun; on
ne s’imagine pas plusieurs rois rivaux marchant de front
à cette époque. Ils se divisèrent probablement au seuil du
Bwanda, les uns se dirigeant vers le Mulera, les autres vers
le Buganza, le Gissaka, etc. Pendant que les premiers, si
nous admettons cette hypothèse, s’établissaient dans la
plaine du Mohazi, les autres prenaient pied dans les pro­
vinces nommées. Le mythe précédent donnerait l ’explica­
tion de cette séparation et du partage des terres qui s’en­
suivit. Ce que l’on constate ensuite sûrement en s’appuyant
sur les légendes traditionnelles, c’est que les Banyarwanda,
pénétrés de cette idée que l’homme, la terre et tout ce
q u’elle renferme n ’ont pu se créer d ’eux-mêmes, ont im a­
giné nombre de mythes dans lesquels « Imana » lui-même,
c’est-à-dire Dieu, ou le roi « Gihanga » jouent un grand
rôle.
Nombreux sont les mythes qui expliquent l’origine de
l’homme et celle des rois.
Presque tous se ressemblent. La légende de « Shverezo », très répandue dans la province du Buganza, met en
scène les personnages précédents. Leur arrivée et leur
établissement sur la terre y sont expliqués de la façon
suivante :
(( Shyerezo » (le Commencement), disent les chroni­
queurs, habitait le ciel. Il eut de nombreux enfants issus
de plusieurs lits. Parmi eux Kigwa, Kimanuka, Mututsi,
Rupfu (la Mort) et de plus Nyirampumbya (l’enfant de la
joie), leur soeur, naquirent de la même mère. Ils avaient
pour frères consanguins entre bien d’autres Nkuba (la

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

105

Foudre), Gihu (le Nuage) et Sata, sorte d’animal im agi­
naire et fantastique ayant quatre pattes et une queue,
formé par une certaine disposition des nuages.
Après avoir vécu de longues années, leur père Shyerezo
mourut. On l’enterra selon les rites usités dans la famille.
Le deuil n ’était pas encore terminé que Sata vint rendre
visite à la mère de Nkuba pour lui faire la cour. Nkuba
était chargé de garder les troupeaux. Il remarqua bien vite
les assiduités de son frère consanguin q u’il rencontrait
toujours le soir autour du foyer domestique : « D ’où vient,
lui dit un jour Sata, que tu as l’air fâché? Est-ce parce
que je fréquente ta mère? Tu es un être étrange... »
A peine avait-il dit ces mots que Nkuba lui décocha un
maître soufflet. Ce fut la mère de Nkuba qui reçut la gifle
et mourut sur-le-champ. Le coup avait été mal mesuré.
Sata, en effet, avait subitement paré l ’attaque en levant le
bras.
Il fut pourtant blessé à l’œil q u’il perdit complètement...
Bientôt après une grande famine s’abattit sur la région.
Les fils de Shyerezo eurent beaucoup à souffrir. La pluie
s’étant mise enfin à tomber, les frères utérins Kigwa,
Kimanuka, Mututsi, Rupfu ensemencèrent des haricots,
du sorgho et de l’éleusine.
Leur sœur se chargeait des soins du ménage et Bupfu.
en sa qualité de dernier-né, faisait paître les troupeaux.
Comme c’était un enfant et qu’il aimait à s’amuser, les
troupeaux abandonnés à eux-mêmes endommagèrent
gravement les récoltes. Irrités, ses frères prirent le parti de
le punir : « Q u’allons-nous devenir si cela continue?
disaient-ils. Nous avons pâti de la famine, l’année der­
nière. Nous sommes sur le point de faire la récolte et voilà
que ce malencontreux vacher va nous réduire de nouveau
à la dernière nécessité. »
Le jeune berger surprit leur conversation. Craignant
d’être frappé, il fit rentrer les vaches dans l’enceinte, mais
se cacha sous la haie, dans un angle de la cour.

106

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

C'était au tour de Kimanuka de veiller sur le troupeau
durant la nuit. A un moment donné les bêtes comme prises
de peur se démènent dans le « kraal ». Kimanuka se dil
que des voleurs rôdent dans les environs. Il prend un
tison pour « percer » (*) les ténèbres et distingue vague­
ment une chevelure. C’était celle de Rupfu qui dormail
profondément. Pris de peur Kimanuka saisit une forte
bûche et la lançant de toutes ses forces dans la direction
de la haie, il atteint en pleine figure le malheureux enfant
qui fut assommé sur le coup... On s’aperçut de la méprise,
mais il était trop tard.
Après avoir accompli les rites des funérailles, les enfants
du premier lit se dirent : « Nous avons eu le malheur de
tuer notre frère. Comment fuirons-nous la vengeance de
nos autres consanguins? Ils ne manqueront pas de nous
poursuivre. Pourrons-nous échapper à leurs atteintes? Ce
qui nous attend, c’est la mort à bref délai et la mort vio­
lente ».
« Non, répondit Kigwa, laissez-moi vous donner un con­
seil. Faisons nos préparatifs de départ. Recueillons des
provisions comme pour un long voyage; sortons du ciel et
allons chercher fortune dans le Rwanda. »
L’avis de Kigwa fut adopté. Us emmenèrent les trou­
peaux que leur père Shyerezo leur avait légués. Il y avait
le taureau et sa sœur la vache (Lugira n ’Ingizi), le porteur
de sonnette et sa sœur, c’est-à-dire le bouc et la chèvre
(Mudende n ’ivayo); l’ami de la paix et sa sœur, le bélier
et la brebis (Nvabuhoro); l’oiseau aux cris matinaux et
perçants avec sa sœur, le coq et la poule (Mugambira
n ’iyayo); l’animal qui remue la queue (inzunguzungu).
c’est-à-dire le chien, etc.
Ils marchèrent longtemps et arrivèrent enfin dans la
région de Mubali, sur le fleuve de la Kagera, aux endroits
désignés sous le nom de Lugevo et de Rwehe, chez le roi
Kabejva.
(') Nous donnons la tradition littérale du texte indigène.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

107

Ils étaient tout différents des habitants de ce pays.
Comme ils connaissaient le métier de forgeron, ils se
mirent à vendre des pioches qu’ils échangeaient pour des
vivres. Ils vécurent ainsi de longs jours. Leur fortune
s’accrut rapidement, ainsi que leur troupeau. Il manquait
pourtant une chose à leur bonheur.
C’est ce que Kimanuka exprima un jour en ces termes :
« Nous sommes dans l’abondance des biens, disait-il
à ses frères, mais notre famille ne prend aucun accroisse­
ment Nous ne sommes pas plus nombreux que lorsque
notre père Shyerezo nous a engendrés. Il nous faut des
compagnes. » De fait, les gens de Mubali avaient refusé
de leur donner leurs filles en mariage. Ils étaient de race
et d’origine différentes et ceux qui étaient descendus du
ciel étaient de couleur blanche, ce qui effrayait leurs voi­
sins. Kigwa se désolait. Kimanuka le consola en lui faisan!
la proposition suivante :
<( Nul ne peut épouser sa propre sœur, c’est entendu.
Il y a pourtant un moyen terme. Prends ce qui t’appar­
tient et va te fixer au delà. Séparons-nous et devenons
étrangers l’un à l’autre. Cessons de nous fréquenter.
Quand tu auras fini de t’installer, tu viendras me trouver
et me demander une épouse, comme si nous ne nous con­
naissions plus. »
Kigwa fit comme son frère lui avait conseillé. 11 reçut
sa propre sœur en mariage et en eut de nombreux enfants,
les Bega d’aujourd’hui. Kimanuka et Mututsi réussirent à
épouser des femmes du pays.
C’est d’eux que descendent les Batutsi, les Banyiginya
et les autres Banyarwanda.
12.
Musindi, qui monta sur le trône après la mort de
Kanyarwanda, passe pour être le père et l’ancêtre du clan
des « Basindi », les mêmes que les Banyiginya.
En d’autres termes, ce prince inaugura la dynastie des
Banyiginya. C’est de cette famille q u’est sortie la lignée

108

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

des princes qui ont régné sur le Rwanda et dont fait par­
tie le monarque actuel.
Les Banyiginya après avoir quitté le Ndorwa traver­
sèrent le Ruganza et vinrent s’établir dans le BganaChambge. Peut-être est-ce Musindi lui-même qui fixa sa
capitale à M uliima 0), au-dessous de Kigali. Un bosquet
que l ’on voit encore aujourd’hui et qui recèle une ou
deux sources, jadis l’abreuvoir des troupeaux du roi,
marque le séjour temporaire des Batutsi en ce lieu. Avant
l’arrivée des Européens, il était absolument interdit aux
indigènes de fouler ce terrain considéré comme sacré et
à plus forte raison d’v couper du bois.
Il n’est presque pas une tribu qui ne se réclame d’un
ancêtre illustre. Nous avons déjà vu que les Batchaba se
donnent comme descendants de Nyirarutchaba, la fille de
Gihanga qui dut s’enfuir de la Cour.
Les Batsobe prétendent tirer leur origine du fils de
Nyirarutsobe, l’esclave qui sut gagner les bonnes grâces de
Ruganzu lors de l’expédition de celui-ci chez Nzira dans
le Bugara, non loin des lacs du Mulera (2).
Les Bakongori et les Balejuru se sont montrés plus soi­
gneux encore du problème de leur origine.
Ils racontent que leurs deux ancêtres, Nkongori et Ndeju ru étaient frères. Ils habitaient le ciel. Manquant de
bois pour fermer (kwugarira) l’entrée de la cour, comme
le font tous les soirs les indigènes, à l’entrée de la nuit,
ils commirent le crime de couper un arbre qui se dressait
non loin de là. 11 s’agissait d’un arbre sacré, auquel leur
père, avait défendu de toucher. A peine s’étaient-ils atta­
qués au tronc que la terre s’entr’ouvrit et q u’ils dispa­
rurent pour se retrouver en bas. Nkongori prit le chemin
du Rwanda où ses descendants sont devenus les sorciers
(1) Les Hamites à leur entrée dans le Rwanda ne devaient être connus
que sous le titre de « Rahima » d’où le nom historique de Muhima donné
au village qu’ils fondèrent près de Kigali.
(2) Cf. Livre troisième. Le Règne de Ruganzu II.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

109

attitrés (abanvambuto) du roi. Ndejuru lui se dirigea vers
le Gissaka où les Balejuru ont fait souche. D ’après une
autre tradition en cours dans le pays, les premiers Bale­
ju ru passaient pour être descendus du ciel, mais affu­
blés... d’une queue, d’où leur surnom de « Abanyamiri/.o » les hommes à queue. Les gardiens des traditions
expliquent volontiers en riant que c’est une façon de par­
ler, q u’on voulait dire par là qu’ils ne ressemblaient pas
aux autres (').
La légende que les Basinga ont consacrée à l’histoire de
leurs origines mérite d’être racontée. A travers les embel­
lissements et les figures habituelles de langage, on y voit
un exemple d’immigration relativement récent toutefois,
pris sur le vif.
Notre père, disent-ils, s’appelait « Lunukamishvo » (2).
c’est-à-dire le sorcier aux couteaux, ou l’Homme aux cou­
teaux de sorcier, nom q u ’il tirait de son état. Il était né
dans le Ndorvva et y vivait de son métier au temps du roi
Kabeja. Ayant l’intention d’émigrer, il se m it à consulter
les entrailles d’un poussin.
Il jugea que les sorts lui étaient favorables et qu’il ne
courait aucun risque à mettre son projet à exécution. A
peine avait-il déposé par terre les entrailles du petit pous­
sin, q u’un épervier (Sakabaka) fondit du haut des airs et
les emporta dans ses serres, à la grande stupéfaction de
l’aïeul qui ne savait que penser de ce curieux incident.
Il suivit des yeux l’oiseau de proie et le vit se diriger
vers le pays de Mutara, un peu vers le Sud.
L’Homme aux couteaux de sorcier y vit une indication.
(!) Un chef païen de noble race, auquel l’auteur de ces pages doit de
précieux renseignements, voyant le sérieux avec lequel ces détails étaient
recueillis et notés s’écria : « Ne crois pas à leur authenticité, ce sont des
mythes, des fables (imigani) et non pas des faits d’histoire (ibetekerezo) ». Il fut facile de le rassurer sur ce chapitre.
(2)
Ce mot de « Lunukamishyo » vient de deux termes « kunuka »,
sentir, et « mishyo », les couteaux, à cause de l ’habitude qu’ont les sor­
ciers de se servir de leurs couteaux pour s’orienter, et cela en les mettant
un instant sous le nez.

HU

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Dès le lendemain après avoir emballé ses quelques hardes et pris quelques provisions pour la route, il quitta le
sol natal avec sa famille. Après avoir longuement marché,
ils s’arrêtèrent fatigués.
Le sorcier se coucha aux pieds d’un arbre pour goûter
un peu de sommeil. Or, pendant qu’il dormait, quelque
chose lui tomba sur le visage.
11 se réveille en sursaut. Ses enfants et ses petits-enfanis
accourent auprès de lui : « Voyez donc, leur dit-il ce que
j ’ai reçu sur la figure. Qu'est-ce que cela peut être? ». Les
uns disent : « Ce sont des entrailles d’oiseau ». « Non,
répondent les autres, elles ressemblent à celles d’un rat. »
Chacun donne son avis.
L’aïeul se fait apporter un peu d’eau. On la verse dans
une petite cavité. Lunukamishyo y plonge l’objet contesté
pendant quelques instants. Il reconnaît alors de ses yeux
exercés au métier d’aruspice q u ’il était en présence des
entrailles du poussin qu’avait emportées l ’épervier et que
celui-ci avait laissé choir sur l’arbre aux pieds duquel il
s’était reposé : « J ’en suis sûr, s’écria-t-il, je ne puis pas
me tromper. Levons-nous, continuons notre chemin, nous
sommes sur la bonne voie. »
Et comme s’il était inspiré, il ajoute : « Nous ne sommes
plus dans le pays de Gahaya, nous sommes désormais hors
de son atteinte. Il vient toutefois d’apprendre à l’instant
notre départ de chez lui. On va incendier notre village et
nos habitations, veillez bien à ne pas regarder en arrière.
Allons, mettons-nous en route (maze mumenye ntim ulol’
inÿuma, bagiye kudutw ikir’amago n ’amazu. Mulilinde
kukol’inyuma. Ati ni m uhoshi!). »
On se remet en marche, on fait quelques pas. Voilà
qu’un des plus jeunes enfants rejette la tête en arrière. 11
aperçoit au loin dans la direction du village q u’ils vien­
nent de quitter une colonne de fumée qui monte jusqu’au
ciel. Une exclamation de douleur et d ’effroi lui échappe
aussitôt : « On brûle chez nous ».

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

1



L ’homme aux couteaux de sorcier se retourne instinc­
tivement; il devient aveugle à l’instant et faillit tomber à
la renverse. Atterrés, ses fils l’entourent ne sachant que
dire et que faire. Après un moment d’angoisse et d’émolion, le vieillard demande ses couteaux. On les lui pré­
sente, il s’avance de quelques pas, se baisse et en frappe
légèrement le sol. Le son lui indique la direction à pren­
dre. C’est ainsi qu’ils se guidèrent. Quand on arrivait à
un endroit où les sentiers se croisaient, l ’aïeul se faisait
donner un de ses instruments qu’il utilisait comme on
vient de le raconter.
Ils arrivèrent à petites étapes dans le JNduga où ils s’in ­
stallèrent et devinrent dans la suite très nombreux (x).
A partir de Musindi les chroniqueurs officiels qui appar­
tiennent au clan des Bachurabgenge donnent dès lors le
nom de la mère du roi et le clan auquel elle appartient,
sans autre appréciable précision. L’histoire n ’en est pas
plus avancée qu’auparavant.
Après Musindi apparaît
13. Lumeza, celui qui fait germer (les plantes et les
récoltes), du verbe « kumeza » faire germer, faire pousser.
14. Son successeur Nyarume n ’a pas laissé plus de trace
de son passage sur le trône. Ce nom est composé de deux
mots, la particule « nva » qui exprime la possession et
« urume » (ou ikime) qui signifie la rosée d’où le nom
d ’Homme à la rosée, c’est-à-dire Celui qui préside à la
rosée pour entretenir la fraîcheur et aider au développe­
ment des plantes.
Peut-être ne faut-il voir dans cette appellation qu’une
allusion à son goût pour la chasse qu’il aimait à tel point
q u’il ne craignait pas de partir de bon m atin malgré la
t1) Quand il s’agit de trouver des ancêtres à la famille royale, ou aux
différents clans qui habitent le pays, les Noirs ne sont pas embarrassés
et savent donner libre cours à leur imagination. Les récits généalogiques
contiennent quelquefois des détails utiles à l ’histoire. Ce motif nous a
incité à les recueillir.

112

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

rosée abondante qui se déverse en pluie des hautes herbes
sur les passants matinaux.
Il est facile de constater combien les familiers de la
Cour, dans leur désir de se concilier les bonnes grâces de
leurs Souverains, d’ennoblir la famille royale et d’en
rehausser le prestige, se sont ingéniés en cherchant des
ancêtres à la dynastie actuelle, à leur trouver des noms à
signification on ne peut plus honorable ou louangeuse ou
même simplement utilitaire et bienfaisante. Le roi autre­
fois était censé commander aux éléments eux-mêmes qui
favorisent le développement des germes : la pluie et le
soleil.
Leur règne fut une ère de prospérité, une rosée de béné­
dictions temporelles. Le nom symbolique donné à ces
princes en rappelle le souvenir à la postérité. Les Noirs
savent manier l’hyperbole et la flatterie.
15. On ne sait rien de Lukuge qui succède à Nyarume.
16. Rubanda, qui occupa le trône à la suite de Lukuge,
nous avertit, si l’on s’en tient à l’étymologie de son nom,
que la bénédiction temporelle descendue du ciel sous ses
aïeux s’étendit aux familles qui devinrent si nombreuses
qu’elles formèrent un grand peuple. Cette conclusion nous
la déduisons du mot Lubanda qui signifie foule.
17. 18 et 19. Ndora, Sambe et Nsoro, fils, petit-fils et
arrière-petit-fils, furent trois illustres inconnus.
Les Bachurabgenge, historiens officiels de la Cour sont
on ne peut plus sobres de détails sur ces quelques princes.
Parmi ces premiers souverains il en est, nous venons
de le voir, quelques-uns dont le nom est un symbole.
Landa, signifie ramper à terre, être à la base; Muntu, défi­
guration du mot kintu veut dire chose; Nkuba, foudre;
Kigwa, celui qui est tombé; Kimanuka, celui qui est des­
cendu; K ijuru, celui qui est venu du ciel, le céleste;
Gihanga, le créateur; Kanyarwanda, l’habitant du
Rwanda.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

113

Les autres sont affublés de noms étrangers, termes et
vieillis et désuets qui n ’ont presque plus cours dans ia
langue, Kazi, Kobo, Kizira, Lumeza, Nyarume, Lukuge,
Piubanda, Ndora, Samembe.
La solution du problème de leur existence dépend d’une
plus ample information que nous n ’avons pas encore
obtenue.
11 ne serait pas impossible que les généalogistes aient
fait entrer dans l’ordre de succession au trône des person­
nages autres que les Hamites, mais ayant joué un rôle con­
sidérable parmi les autochtones. L’hypothèse est donnée
pour ce q u’elle vaut.
Le fait qu’on ne parle jamais des cimetières dans les­
quels auraient été inhumés ces princes hamites, Gihanga
mis à part, laisse planer des doutes graves sur leur exis­
tence.
On peut s’étonner à juste titre de constater que leur
nom et leur souvenir n ’aient pas été attachés d’une façon
expresse, comme cela se fait pour les autres, à une des
huttes de la capitale.
Des tout premiers monarques Gihanga est le seul qui
échappe à ces deux points d’interrogation.
On croit qu’il a été enterré à Luhanga et il possède à
Nyanza, la résidence actuelle du roi, une case qui lui est
consacrée spécialement (*).
De toutes les généalogies royales du centre de l’Afrique,
la dynastie hamite du Rwanda est la seule qui compte
trente-huit titulaires.
La liste des rois du Bunyoro est celle qui s’en rapproche
le plus avec dix-huit titulaires. On a des raisons de croire
que la fondation du royaume hamite du Rwanda est sub­
séquente à celle de l ’Unyoro, ce qui infirme l’authenticité
de la longue lignée des Ratutsi du Rwanda.
(!) Livre quatrième, chapitre VII : Rites funéraires.

MEM. INST. K0YAL COLONIAL BELGE.

8

114

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

CHAPITRE II.

De Ruganzu I jusqu’au roi visionnaire Yuhi II Mazimpaka.
Les princes libérateurs.
20.
Avec Ruganzu I, de son nom de famille Bwimba,
l ’histoire prend une mine plus sérieuse, mais pas bien
sévère. Une légende raconte que sa mère, au lieu de pren­
dre le poison qui devait mettre fin à ses jours, comme le
voulait la coutume, alors que ses cheveux blancs la met­
taient dans l’obligation de quitter la vie, épousa un cer­
tain Chenge (*). Honteux de cette mésalliance, son fils le
roi Ruganzu alla se faire tuer au Gissaka.
Ruganzu I est, d ’après une autre version, rangé parmi
les « Libérateurs » (Abatabazi). Il s’offrit en victime volon­
taire aux coups des ennemis du royaume pour empêcher
le Rwanda de tomber sous le jo ug étranger.
Son dévouement et sa mort ont fait l’objet d’une chan­
son de gestes dont le fond historique n ’est pas complète­
ment défiguré. On devine à travers la légende ce que
furent les relations des deux princes hamites rivaux.
Nous pouvons supposer q u’une guerre s’ensuivit et que
ce fût dans le cours d’une embuscade que Ruganzu perdit
la vie...
Nous résumons les faits d ’après le récit populaire.
Le roi du Gissaka, Kimenyi kim eny’ umulieto (celui
qui sait tirer à l’arc), avait déjà demandé, sous le règne
de Nsoro, la m ain de Robga, sœur de Rugangu. Les devins
lui avaient assuré et promis la possession du Rwanda, s’il
réussissait à épouser la princesse. Le père de la jeune fille,
mis au courant de la prophétie par ses propres sorciers.
(i)
D’après une croyance populaire la reine-mère et le roi lui-même,
à l’apparition de leur premier cheveu blanc devaient se donner la mort.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

H5

repoussa la demande. Il mourut quelque temps après, en
engageant son fils et successeur à opposer le même refus.
Kimenyi revint à la charge et réussit par ses cadeaux à
se concilier la faveur de la reine-mère Nyakanga et celle
de Nyamussussa, l’oncle maternel du nouveau roi. Celui-ci
ne sachant comment faire pour résister aux objurgations
de sa mère et de son oncle, demanda l’avis des grands de
la Cour.
Ils étaient de cœur avec le jeune prince et comme lui
avaient des appréhensions pour l’avenir. Craignant les
représailles de la reine-mère et de ses partisans, ils con­
seillèrent au roi de céder. Robga, la princesse royale, avait,
de son côté, des répugnances pour ce mariage q u’elle
savait devoir être funeste à son pays. Elle céda aux instan­
ces de son frère et se laissa conduire au Gissaka, où
Kimenyi la reçut avec de grandes démonstrations de joie.
Avant son départ, elle avait eu une entrevue intime avec
Ruganzu : « Les devins ennemis de notre patrie, dit-elle,
ont prédit que le fils qui naîtrait de mon sein régnerait sur
le Rwanda. Ne crains rien, ô mon frère, je ne permettrai
pas que le pays de nos aïeux perde son indépendance par
ma faute. Mon devoir est tracé. Je t’avertirai à temps. Ne
néglige rien, quant à ce qui te concerne, des recomman­
dations de tes sorciers, viens te faire tuer par nos enne­
mis, répands ton sang sur leur terre maudite, et je saurai
me donner la mort au moment voulu, pour que le fruit
de cette union que je déteste n ’entraîne point la perte de
ton royaume. »
De fréquents messages partirent, en effet, du Gissaka.
Ruganzu était tenu au courant des faits et gestes de son
beau-frère qui se réjouissait de la venue prochaine d’un
héritier, signe et présage de la réalisation des prophéties
qui lui avaient été annoncées. Un courrier pressant de
Robga vint apprendre à Ruganzu q u’il n ’y avait plus de
temps à perdre. Après avoir inutilement invité son oncle
à se joindre à lui, le roi du Rwanda quitta sa capitale.

116

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

sortit du royaume et pénétra sur le territoire ennemi. Il
avait revêtu pour la circonstance les insignes que doivent
porter les « Libérateurs » qui vont donner leur vie pour
le pays.
Tout en étant impatient de répandre son sang, Ruganzu
hésitait à m ourir avant d’avoir obtenu la certitude q u’il
aurait un héritier. Un de ses confidents put l’atteindre
enfin. Un fils et successeur venait de lui naître. Chyenge,
tel était le nom de l ’homme qui lui apportait la nouvelle.
Il appartenait au village de Karama : « Désormais, lui dit
le Roi, tu t’appelleras l’Hommc de Karama au message
agréable. » (Abanyakarama h ’ inkuru nziza) 0).
Presque aussitôt, l’heureux père fait la renconlre d’un
léopard q u’il perce de sa lance. Il fait dépecer la bête :
« Prends cette peau de léopard, ajoute-t-il à son compa­
gnon Chyenge, remets-la à ma femme Nyakiyaga, et dis­
lui de s’en servir de berceau am bulant (ingobyi) pour por­
ter son nouveau-né. Quant à toi, je te choisis comme le
dépositaire de mes dernières volontés. En souvenir de
cette chasse, du donneras à mon fils le nom de Léopard
(Rugwe), mais il régnera sous le titre de Chyilima. »
Pendant q u’il parlait, il s’aperçut q u’un bûcheron caché
près de là suivait la conversation. Il lu i ordonne de s’ap­
procher, le frappe sur la nuque sans le blesser : « Prendsle comme témoin, ajoute-t-il, emmène-le, il t’aidera à
faire accepter du peuple ce.que je t’ai confié. »
Le prince s’avance en plein pays ennemi et rencontre
un chasseur. Il feint de courir après le même gibier pour
faire naître l’occasion d ’une querelle. L’étranger se fâche,
bande son arc et vise Ruganzu qu’il atteint d’une flèche
en plein front. Le monarque tombe à la renverse et expire
sur-le-champ. Un Mutwa le suivait de loin. Il avait reçu
l’ordre de suivre son maître et de porter la nouvelle de sa
mort à Robga, comme il avait été convenu.
f1) Les gens du village de Karama, considérés comme les descendants
du messager, portent encore aujourd’hui ce nom.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

117

Kimenyi, le roi du Gissaka, jouissait de la présence de
son épouse qui ne laissait rien paraître de ses craintes et
de ses projets. Il parlait souvent de l’héritier sur lequel il
fondait de grands desseins et de vastes espérances, cepen­
dant que Robga lui répondait d ’une façon prophétique et
amphibologique : « Nous allons mettre en mouvement les
soufflets de forge; les scories du minerai seront pour toi,
je me réserve le fer » (*). Le mari croyant que sa femme
désirait des bracelets lui promettait tout ce qu’elle deman­
derait. Ils en étaient là de leur joute littéraire quand le
Mutwa, témoin de la mort de Ruganzu, fit son apparition.
Robga habituée à la présence des messagers, lui fait
offrir une jarre de lait. Le porteur de la nouvelle fatale se
maîtrisait difficilement. Sous le coup de la fatigue et de
l ’émotion, il est pris d’un tremblement tel que la jarre de
lait au lieu d’arriver à ses lèvres lui passe par-dessus les
épaules. Il est secoué d’un tic nerveux, ses mains et ses
bras lui refusent tout service... La jeune femme comprend
tout de suite : « Je sais ce que tu viens m ’annoncer ».
Kimenyi présent à la scène a la même pensée. Il croit
que les prédictions vont se réaliser et ne peut s’empêcher
de les exprimer à haute voix : « Robga, ma femme,
s’écrie-t-il, il y avait deux êtres puissants (imfizi) qui se
disputaient dans la forêt, l’un a tué l ’autre; veux-tu que
le tambour-palladium (Rukurura) du Gissaka devienne
aussi celui du Rwanda? » Robga feint d’accepter. Kimenyi
fait apporter le tambourin qu’on dépose près du lit de la
reine, dont l’état de grossesse était fort avancé. Robga
s’appuie des deux mains à l’un des piliers qui encadrent
l ’ouverture de l’alcôve où se trouve le lit, prend son élan
et se jette en dehors de la couche, pour tomber lourde­
ment sur le tambour-palladium. « Arrêtez-la! Arrêtez-la! »
clame Kimenyi. « A quoi bon m ’arrêter, cela ne vous ser­
vira de rien, répond la jeune femme blessée à mort. Je te
(l )
La princesse voulait dire par là qu’au lieu de lui donner un héri­
tier, elle ne lui laisserait que des cadavres, le sien et celui de son enfant.

118

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

l’avais bien dit, Kimenyi, vil chien du Gissaka! que je ne
te laisserai que des scories. » Elle expira en prononçant
ces dernières paroles (*).
21. Chvilima I - Rugwe (2).
Les chroniqueurs indigènes racontent de lui qu’il lut
« ensorcelé » alors q u ’il était encore enfant. A la suite de
maléfices dont il fut impossible de découvrir les auteurs,
une vipère du Gabon (nchira) pénétra dans la poitrine du
petit prince qui se m it à dépérir. On ne pouvait plus le
sustenter. Les gens de la Cour recoururent à un sorcier
déjà célèbre, Ntembe, originaire du village de Munanira
dans le Bugoyi. Celui-ci donna l’ordre d’égorger une vache
grasse dont les morceaux saignants rangés auprès du
jeune roi dégagèrent une odeur de viande fumante et
firent sortir le reptile de son repaire... L’enfant fut délivré
et ce succès ne fit q u’accroître la renommée de Ntembe
dont les descendants vivent encore à la Cour, au service
de Sa Majesté. Devenu grand, Chyilima-Rugwe s’enquit
de la mort de son père. On lui narra tous les détails de son
dévouement héroïque et celui de sa tante Robga.
Il résolut de tirer vengeance contre le roi Kimenyi qui
vivait encore. Ayant réuni ses favoris et ses courtisans :
« Quel est celui d’entre vous, les conjura-t-il, qui répandra
le sang de Kimenyi? » Mukubu, l’un des plus braves
s’offre aussitôt : « Je vengerai le sang de Ruganzu, je le
jure. » Il prit congé du roi et se rendit à la cour de Kime-

(!) Le mariage forcé et la mort tragique de Robga ont donné lieu aux
expressions suivantes qui ont passé dans la langue et sont d’un usage
courant au Gissaka : « Maudit sois-tu ! Veux-tu me traiter comme on
a traité Robga ?» — « Ah ! tu veux me maltraiter ».
« Est-ce que tu me prends pour Robga ? » (Urachibga ! ngo mbese nij ’
ugize Karobga mul’ aba bose ? — Ko nduz’ushaka kungirira nabi ? Nije,
karobga se ? — Dans le Rwanda son patriotisme et son dévoûment sont
passés en proverbe : « Il s’est fait Robga », c’est-à-dire il a donné sa vie
pour son pays, comme Robga (yabaye Robga).
(2)
Une tradition le fait naître du mariage déshonorant de la reinemère Nyakanga avec Chenge, d’où la fatalité attachée au sort du mal­
heureux prince, ainsi que l’expliquent les tenants de cette opinion.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

119

nyi en se donnant comme proscrit. « Cliyilim a m ’a voué,
lui dit-il, une haine à mort, il a essayé de me tuer. Prendsmoi sous ta protection, je te servirai ». — « Je suis heu­
reux de t’avoir à mon service, répond le prince, je connais
ta bravoure dans les combats et ton habileté à former les
danseurs. Tu faisais partie, je m ’en souviens, de la suite
de Robga, quand elle vint à ma Cour ». Un an se passa.
Kimenyi n’avait qu’à se féliciter de son protégé qui vivait
journellement auprès de lui.
Il l’invita à une grande chasse : « Nous partirons
demain, dit le roi, et nous lutterons d’adresse. Nous ver­
rons lequel sera de nous le meilleur tireur. Je suis sûr de
l’emporter sur toi. Je ne prendrai que quatre flèches, et
aucune ne manquera son but, je te l ’assure. » — « Moi
aussi, reprend Mukubu, je ne mettrai dans mon carquois
que le même nombre de flèches et si je n ’atteins pas le
gibier que je viserai, j ’accepte d’être disgracié par toi,
j ’engage mon avenir. » On se m it en route vers la
forêt. Le cortège atteignit la lisière, une large clairière
s’étendait au loin. Kimenyi arrête ses gens : « Restez ici,
que nul de vous ne me suive; j ’irai seid avec Mukubu
mesurer la justesse de notre tir. »
Les deux rivaux s’élancent en avant à travers la broussaille.
Deux gazelles apparaissent à l’horizon, le prince tend
son arc et d’une seule flèche transperce les bêtes. Pres­
que aussitôt Mukubu aperçoit deux petites antilopes : « A
ton tour », lui crie Kimenyi. Le courtisan Munyarwanda
met une flèche à son arc vise les antilopes, puis soudain se
retourne sur le roi qu’il frappe en plein cœur. Le monar­
que tombe, le meurtrier se jette sur le cadavre du prince,
lui coupe un bras et s’enfuit. Les gens de la suite s’éton­
nent de voir courir Mukubu. « Q u’y a-t-il? » lui deman­
dent-ils de loin. « C’est une antilope blessée qui galope
avec une de mes flèches », répond l’homme. Le temps
passe, la nuit va tomber, les courtisans curieux et inquiets

120

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

se rendent sur le terrain de chasse et découvrent le corps
inanim é du monarque, auquel 011 a enlevé le bras droit.
Tout s’explique, c’est M ukubu qui est l’assassin. Ils se met­
tent à sa poursuite. Ce fut en vain. L’autre avait de
I avance. Il se rendit à la Cour de Chyilim a avec son
macabre trophée. Grande fat la liesse du roi et de son
entourage. On fit fête au héros, les échos en parvinrent
jusqu’au Gissaka. Pendant que les uns pleuraient et
gémissaient, les autres se livraient aux plus vives démons­
trations de joie dans le camp opposé (l).
Quelles sont les conclusions historiques que l’on peut
déduire de la légende où il est question de Ruganzu 1, de
sa sœur Robga et du vengeur M ukubu? Ce qui appert
clairement, c’est que le royaume hamite du Gissaka exis­
tait à cette époque. Les princes des deux pays limitrophes
entretenaient des relations matrimoniales, elles se conti­
nueront plus tard.
Il est facile aussi de constater à travers les « Chansons
de gestes » q u’il y eut des jalousies et des rivalités entre
eux.
Les guerres et les embuscades en furent la conséquence.
II y eut des victimes de part et d’autre. Pour un roi tué par
ruse ou à la tête de ses troupes, il fallait le sang d’un autre,
car la vengeance appelle la vengeance. On s’explique les
démêlés politiques des deux royaumes, sans pouvoir entrer
dans les détails.
Que fut au juste le règne de Chyilim a I - Rugwe?
Les historiens noirs ne s’entendent pas à son sujet. Il
en est parmi eux qui ne lui attribuent q u’un court règne,
étant déjà âgé lorsqu’il monta sur le trône. Nombreuses
sont les variantes contradictoires qui relatent sa carrière.
D ’après les uns, il mourut à la suite d’une expédition
malheureuse.
Il fut grièvement blessé, dans ce combat, disent les
(!) Induru zivug’ i Gissaka; impundu zivug’ i Rwanda rwa Gasabo.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

121

autres, mais réussit à se rétablir. Pour récompenser, ajou­
tent les mêmes historiens, les bergers qui l’avaient
recueilli et lui avaient prodigué des soins, Chyilima porta
un décret aux termes duquel les susdits bergers avaient le
droit, en été, où tout est sec, de faire paître leurs vaches
dans les champs de patates des Bahutu. Avec le temps, les
Batutsi, gardiens de troupeaux, étendirent la portée du pri­
vilège et s’arrogèrent le même droit. De là des abus con­
sidérables dont les cultivateurs furent souvent victimes
dans le passé.
Les habitants du Bwana-Chambge sont plus catégori­
ques et affirment que ce monarque rendit le dernier sou­
pir près de Kigali dans sa résidence de Ntora devenue
depuis un lieu funèbre et transformée en fourré épais
(gisozi) que l’on ne pouvait autrefois traverser sans dan­
ger de perdre la vie (*)•
Au dire des Banyarwanda, Chyilim a a conservé un
mauvais souvenir de son règne.
Aussi a-t-il fallu, pour calmer son esprit, lui élever une
hutte à Gaseke, près de Bukoma, à l ’endroit même où il
a été enterré. Cette case est habitée par un gardien qui a
en outre la garde de quelques vaches appartenant en
propre au roi défunt (2).
22.
Chyilima - Rugwe fut remplacé sur le trône par
Kigeri 1 Mukobanya.
A l ’époque où nous sommes, la capitale se trouve à
Mwurire, emplacement bien marqué par un bosquet (ikigabiro) que l’on voit encore, au sommet de Kigali.
Le règne de ce monarque compte dans les annales tradi­
tionnelles. On attribue à ce prince et à son fils l’honneur
et le mérite de la défaite des Banyoro, qui furent battus
au pied de cette même colline. Ils venaient probablement
f1) Le désaccord qui règne parmi les annalistes et les anciens au
sujet de certains événements historiques est un motif sérieux de n ’accep­
ter qu’avec prudence les opinions exprimées.
(2) Cf. Livre quatrième. Honneurs rendus aux mânes royaux.

122

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

du Nkole, sur le lac Edouard et non de l’Unyoro, situé
beaucoup plus au Nord sur la rive orientale du lac Albert.
On ignore le motif pour lequel ils ont été désignés dans
l ’histoire sous le nom de Banyoro. Nombreux et aguerris,
ils ravageaient tout sur leur passage. Deux chefs bien
connus essayèrent de les arrêter. Ce fut peine perdue :
leurs troupes démoralisées se débandèrent au premier
choc. L ’heure était grave. Grâce au secours de Mashira,
chef autochtone du Nduga, dont la réputation de sorcier
était célèbre, les Banyoro furent enfin vaincus et refou­
lés C).
23.
A Kigeri succéda son fils Mibambge 1 qui mérita le
litre de Libérateur (Mutabazi) à cause du rôle qu’il joua
dans la campagne contre les Banyoro. On lui attribue
encore la conquête du Nduga.
A l’époque où nous sommes il n ’était question que de
Mashira. Sa réputation cependant lui venait moins de ses
exploits militaires que de ses incantations. On recourait à
lui de partout.
Nous avons vu que Kigeri lui-même, le père de Mibambge, fil apel à son art lors de l’invasion des Banyoro.
Le succès qu’il remporta sur les terribles dévastateurs
n ’était pas de nature à dim inuer le prestige du sorcier.
Par ailleurs son royaume était relativement considéra­
ble puisqu’il comprenait le Bulembo (ou Ndiza), le Nduga
et une partie du Bwana-Mkali. On ne connaît pas d ’une
façon précise les péripéties de la lutte à mort qui se déroula
entre les deux rivaux. Il semble d’après la légende que
Mibambge alla attaquer dans ses retranchements Mashira
qui, surpris et se trouvant trop faihle pour résister, se
perça de sa lance (2).
Le vainqueur annexa à ses possessions le pays que le
prince magicien avait reçu de ses aïeux et q u ’il avait
(') Cet événement important est devenu l’objet d’une chanson de
gestes que nous donnons in extenso dans le Livre quatrième.
(2) La conquête du Nduga dans le Livre cinquième.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

123

arrondi aux dépens d’un de ses voisins, Kimari, fils de
Rulenge. Kimari éiait le chef des Barenge el habitait à
Mara dans le Bwana-Mkali. A l’époque d’une grande
famine qui sévissait dans la région, les Barenge vinrent
consulter Mashira pour conjurer le fléau. Le sorcier, rap­
porte la légende, conseilla à Kimari d’employer ses hom ­
mes à creuser un grand puits. D ’après un autre récit, le roimagicien lui fit entreprendre la construction d’un grand
édifice s’élevant jusqu’aux nues, afin de dérober aux
vapeurs amoncelées l’eau bienfaisante dont manquaient
les Barenge.
Quoi qu’il en soit des détails donnés par les « historio­
graphes » il semble que Mashira fondit un jour à l’improviste sur les malheureux Barenge et anéantit la plupart
des hommes faits 0).
Les bénéfices de cette victoire furent recueillis du même
coup par le prince hamite.
Il eut encore l’avantage d’ajouter à la couronne le petit
pays du Bugessera.
Géographiquement le Bugessera se rattache plutôt à
l’Urundi dont il est une pointe avancée.
11 est situé à l’Est du Bwanda dont il est séparé d’abord
par le fleuve de l’Akanyaru, puis par celui de la Kagera
dont le premier est tributaire. Le confluent (amasangano)
des deux fleuves se trouve à Busoro. La majeure partie de
la région est boisée, mais les arbres sont clairsemés et inu­
tilisables en menuiserie. Les Batutsi, pasteurs par excel­
lence, toujours en quête de pâturages, s’y sont installés
avec leurs troupeaux. Le pays, selon les lieux, porte des
noms divers : il y a le Munyinya, le Kagassa, où se trouve
une source pour abreuver le bétail, le Migina, le Bugenge
où Lwabugiri éleva une résidence; le Kamamana et le
Kil mgabuga.
On y trouve quatre étangs; le Murago, le Miravi, le
t1) Cf. La légende des Barenge dans le Livre cinquième.

124

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Kagomissi et le Chohoha qui sont assez rapprochés les uns
des autres. Les trois premiers sont en communication
directe avec la Kagera et lui servent de déversoir au m o­
ment des grandes eaux. Ils se dessèchent presque entière­
ment en été et les indigènes en profitent alors largement
pour y faire leurs cultures. Les terrains qui avoisinent les
lacs sont submergés, à la saison pluvieuse, par le tropplein (umwuzure) des eaux, que ne peut contenir le lit
trop étroit des deux fleuves. Les habitants occupent géné­
ralement les endroits élevés et viennent ensuite travailler
dans les terrains d’alluvion q u’ils estiment être à l ’abri
de l’inondation. 11 n ’est pas rare que leurs calculs soient
déjoués et q u’ils n ’aient à déplorer une fois ou l ’autre la
perte de leurs récoltes.
Le pays, qui n ’est pas très peuplé à l’heure actuelle, ne
semble jamais l’avoir été beaucoup.
11 fut envahi par les Batutsi qui, venant du Gissaka, s’v
créèrent une principauté avant de s’avancer dans l’Urundi.
Quelques-uns d’entre eux s’y arrêtèrent et y fixèrent leur
séjour. Dès le début ils semblent avoir conservé des rela­
tions très étroites avec ceux de l’Urundi. Le Bugessera fit
donc partie tout d’abord du royaume Mututsi fondé dans
l’Urundi, ju squ’au jour où ses chefs, qui appartenaient
au clan des Abahondogo se déclarèrent indépendants.
Combien dura ce petit royaume? L’histoire ne le dit pas.
La tradition ne relate que quatre titulaires ayant régné
sur ce pays : Sankunda, Nsangano, Nyabalega et Nsoro, le
dernier.
Buganzu 1 du Bwanda, ainsi que son successeur Chyilima-Bugwe déclarèrent la guerre au Gissaka et au Buges­
sera.
C’est dans le Gihumya, l’une des trois régions du Gis­
saka, que Buganzu I, croit-on, trouva la mort. Nous con­
statons que les Batutsi, qui présidaient aux destinées des
trois petits royaumes susdits, Rwanda, Gissaka. Buges­
sera, oublièrent bien vite leur commune origine, en vin­

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

125

rent aux mains et se disputèrent la possession du BwanaChambge qui était limitrophe.
A un moment donné nous voyons une partie de cette
province incorporée au royaume de Gissaka et l’autre à
celui du Bugessera. Nombreux sont les détails qui relatent
les différentes phases de ces luttes fratricides, mais vu
leurs multiples contradictions, il est difficile d’en tirer
parti, à l’heure actuelle.
Le dénouement seul parait être un peu plus clair.
Nsoro, le dernier roi du Bugessera, fut renié par les
siens. Il essaya d’entrer en relations avec Mibambge I,
pour en obtenir du secours. Très politique, celui-ci pro­
fita des divisions intestines et de la famine qui ravageaient
la région pour la soumettre à sa domination. Abandonné
de tous, Nsoro mourut de faim dans le Bgiriri, à l ’endroit
connu sous le nom de Munyinya de Lusukira. La princi­
pauté du Bugessera avait vécu et le Rwanda s’augmentait
d ’une nouvelle province.
Un sorcier, Runyotwe, fils d’un nommé Nyamigogo,
aurait, d’après la légende, joué un grand rôle dans la
conquête du Bugessera.
Presque dans tous les récits historiques ou légendes à
fond historique on voit apparaître un sorcier qui fait
obtenir le succès. Les rois et les grands du royaume ne
font et n ’entreprennent jamais rien sans avoir consulté
d ’abord les devins et les magiciens les plus renommés.
Ceux-ci ne manquent pas de prédire les événements futurs,
sous une forme elliptique et à sens m ultiple qui s’accor­
dera toujours avec les événements quels q u ’ils puissent
être. Ce qui arrive d’heureux est attribué aux sortilèges
qui font l’objet de leur art.
Le rôle historique joué par Mibambge I a donné nais­
sance à des récits romantiques dont il est le héros et à une
prophétie concernant l’arrivée des Blancs.
Le Roi, content ses admirateurs, était entouré de ses
fidèles et de ses pages quand soudain il se prit à pâlir et

120

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

demanda son arc et ses flèches : « Calme-toi », lui crient
les courtisans, qui tremblaient de frayeur et croyaient à
un accès de folie. Mibambge fixait d’une façon effrayante
les pages dont le visage, d ’après une coutume en vigueur
à la Cour, était barbouillé de craie blanche : « .le crains
pour mon pays, s’écria-t-il enfin, car il viendra des
étrangers au visage pareil à celui de ces enfants et ils
s’empareront du royaume (bizantwar’ igihugu) ». Cette
vision prophétique, ajoutent les conteurs, fut suivie bien­
tôt d’un autre curieux événement. Le prince était à sa rési­
dence d’Ilemera, près de Kanyinya, dans le Nduga.
Une nuit, il est réveillé en sursaut : « N’entendez-vous
pas un enfant qui pleure? » Ses familiers ont beau prêter
l’oreille et s’informer dans le voisinage, aucun bruit ne
parvient à leurs oreilles.
« Il pousse des cris perçants », continue le monarque.
On parcourut les villages situés à proximité, l’enfant
restait introuvable et Mibambge percevait toujours la voix
de quelqu’un qui pleure.
Un des favoris du roi, nommé Mugunga, voulut éclair­
cir le mystère. On le vit traverser le Rwanda, l’Urundi et
parvenir à l’Uha, où il entendit enfin les cris d ’une fillette.
Elle était inconsolable de la perte d’une perle qu’avait
avalée une poule.
Celle-ci avait été mangée par un chat sauvage qui périt
sous la dent d ’une hyène. La hyène à son tour avait été
croquée par un lion qui, lui aussi, servit de pâture à un
éléphant...
Mis au courant de l ’événement, Mibambge lança à la
poursuite de l’éléphant ses habiles chasseurs, les Bavovu.
Le pachyderme fut attaqué, tué et dépecé. On retrouva
dans ses entrailles ce qui restait du lion, de la hyène, du
chat sauvage et... de la poule. Bref, la perle fut découverte
et remise à la petite propriétaire, dont les pleurs tarirent
à l’instant. L’enfant s’appelait Matama et était la fille de
Bigega, le roi de l’Uha. On la fiança dès lors à Mibambge

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

127

qui l’épousa quelques années après. De leur mariage
naquit Yuhi I Gahima. Ainsi finit l’histoire.
Se non e vero, e bene trovato pourrait-on ajouter.
24. Yuhi I Gahima. La tradition est muette sur les der­
niers jours de Mibambge.
Elle nous fait passer sans transition au règne de Y uhi 1
Gahima. On ne connaît à peu près rien de la vie et du
règne de ce prince. Quelques-uns en ont fait le père de
Mwungeri, le Pasteur, qui d’après une curieuse légende 0)
habitait le pays du Kivu, avant la grande catastrophe.
On lui donne encore pour fils Rushara, l’ancêtre des
« Bashara » actuels qui font l’office de faiseurs de pluie,
et dont il sera parlé plus loin.
25. Ndahiro-Kyamatara. Le successeur de Y uhi I ne
fut pas Lushara, mais Ndahiro-Kyamatara qui devait don­
ner naissance au célèbre Ruganzu.
Le règne de Ndahiro ne fut pas heureux. Son royaume
subit le fléau de la famine et de l’invasion.
La légende s’est emparée de ses malheurs et le tableau
en a été assombri par les narrateurs toujours en quête de
détails sensationnels. Autant son étoile avait pâli, autant
celle de son successeur devait briller et les chroniqueurs
se sont chargés d’en dire la gloire et les grandeurs avec
une prolixité sans pareille.
Le souvenir de son autre fils Kibogo q u’un nuage em­
porta dans les cieux et dont l’ascension m it fin à une lon­
gue sécheresse qui désolait le Rwanda, est resté aussi
très vivace. Le prince ou mieux son esprit a toujours son
habitation particulière près de la résidence royale. Cha­
que roi lui constitue un vrai « home » avec une femme et
des serviteurs, auxquels est confié le petit troupeau tradi­
tionnel de vaches dont ne peut se passer un vrai Mututsi.
Il a même un tambour spécial, preuve de l’importance
(1) Cf. « Au Rwanda sur les bords du lac Kivu (Congo Belge) », par
le P. Pagès, Anthropos (1920).

128

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

q u’on attribue au rôle joué par lui dans le passé et du cas
q u’on en fait.
On dit couramment en parlant de ce home : « Chez
Kibogo », comme s’il était encore en vie. Dans les ancien­
nes capitales (umurwa) où s’élèvent de nombreux bosquets
qui en marquent l’emplacement on n ’oublie pas de m on­
trer la place q u’occupait le foyer fam ilial de Kibogo. C’est
ainsi qu’à Mara, dans le district de Marangara, les gens du
pays indiquent près d’une résidence de Lwogera-Mutara,
une enceinte composée de ficus qu’ils désignent sous le
nom de « chez Kibogo » (kwa Kibogo). Le roi Yuhi-Musinga, lui aussi, s’est conformé à la coutume et a installé
dans sa capitale de Nvanza un « chez soi » au glorieux
Libérateur, pour se le rendre favorable.
26. Ruganzu II - Ndori.
Comme son règne fait l’objet du Livre Troisième nous
n ’insisterons pas ici sur ses faits et gestes. Il mérite vrai­
ment le nom de Conquérant, de Victorieux. Bien que la
légende et la tradition aient dénaturé et défiguré ses expé­
ditions et ses actes, il n ’en reste pas moins vrai que c’est
lui qui a contribué le plus à l’unification du royaume
actuel. On lui doit une œuvre d’agrégation politique. Bien
qu’à considérer le nombre des « bahinza » actuels ou
anciens descendants des princes autochtones (Abahutu),
on se rend compte de la grandeur de la tâche que
Ruganzu avait entreprise à la suite de ses aïeux. Cette
grande œuvre ne s’acheva pas en un jour. L'indépendance
plus ou moins reconnue des « bahinza » du Bushira, du
Buhoma et du Kingogo en sont une preuve frappante (*).
L’influence considérable dont jouissaient encore durant
ces dernières années !e m uhinza du Bgishaza et le « fai­
seur de pluie » (umuvubyi) du Bukunzi dans la province
du Kinyaga, pour n’en citer que quelques-uns, n ’est q u’un
vestige et une preuve de leur ancienne puissance.
(!) Le gouvernement a dû remplacer peu à peu par des chefs Batutsi
chacun de ces bahinza.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

129

De chefs indépendants, ils ont dû se confiner à la lon­
gue dans le rôle encore fort honorable de pluviateur (umuvubyi) ou de « préservateurs des récoltes » (abahinza),
qui faisait autrefois partie des prérogatives royales de leurs
ancêtres. C’est tout ce qui leur en est resté. Ce que l’on
vient de dire de ces deux derniers personnages peut s’ap­
pliquer aussi au faiseur de pluie de Bussigi.
27.
Mutara I dit Nsoro succéda à son père Ruganzu II
qui l’avait désigné comme son héritier.
La légende s’étend longuement sur les débuts de son
règne.
L’homme de confiance, choisi par Ruganzu pour faire
monter Mutara sur le trône (umwika wimitse), s’appelait
Gahenda et appartenait au clan des Bega.
Gahenda conseilla à Mutara de prendre comme épouse
une des plus jeunes femmes de son père; cette princesse,
ajoutent les chroniqueurs, était stérile. La reine-mère
voyant que son fils vivait avec une de ses anciennes riva­
les (umukeba) en éprouva un violent chagrin (arwan’
ishyari).
Des larmes abondantes jaillirent de ses yeux et attei­
gnirent Mutara à la figure. L’un de ses yeux, est-il dit
d ’après la légende, en fut atteint et enfla démesurement.
On fit appel aux services de Mpande. Celui-ci appartenait
au clan des Abiru. En sa qualité de sorcier-devin, il pas­
sait pour être au courant de tout.
Les autres magiciens et médecins indigènes (abavuzi)
avaient été impuissants à soulager le royal malade. De
plus la famine sévissait dans le pays. On ne savait pas où
Mpande s’était enfui. Un pasteur put enfin indiquer son
refuge.
Le roi Mutara fit préparer de l’hydromel (inkangaza),
du beurre (imbilibiri) et du tabac, le meilleur du pays, et
envoya ces présents au sorcier dont il requérait les ser­
vices.
M ËM. in s t . r o y a l Co l o n ia l b e l g e .

0

130

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Celui-ci répondit au messager : « Je suis un malheu­
reux dépouillé de tout, je ne puis accepter des cadeaux
royaux qui ne se renouvelleront probablement plus (Nd’
umunyage n ’ umukene, simbasha gutunga ukw ’ ibgam i).»
Le roi lui fait parvenir aussitôt une vache et lui envoie
en même temps une litière pour le porter, lui manifestant
par là l’intention q u’il avait de le tirer de la misère.
Mpande n ’hésite plus. Il se présente à la Cour et demande
au prince s’il a bien accompli les cérémonies qui termi­
nent le deuil (ati : waleze?). Mutara répond q u’il n ’en a
rien omis. « Mais, reprend le sorcier, le pot à lait dont tu
t’es servi le dernier jour du deuil de ton père, quand on
conduisait les vaches à l’abreuvoir (*), de quel bois était-il
fait? » — « Il était de mukaka (arbre réputé de mauvais
augure), » dit le roi. « Et en cours de route, reprend
Mpande, pendant que les troupeaux se dirigeaient vers le
ruisseau, n ’as-tu rien rencontré? » — « Oui, avoue Mutara,
nous avons vu des fourmis noires, et nous avons essayé
de les détruire par le feu (2). » Et le sorcier de lui répon­
dre avec des airs de prophète inspiré : « Tu as mal agi; tu
as eu tort de t’attaquer à ces fourmis. Tu sais bien que cela
est contraire aux usages, surtout lorsqu’on mène le deuil.»
Le sorcier prononce alors l’oracle suivant : « Procuretoi un pot à lait fait de bois de l’arbre sacré, l’érythrina
(umwuko, um ulinzi); remplis ce vase d’eau lustrale
(ichyuliagiro) en y plongeant les branches des plantes
magiques (umusekera, umuchyuro). »
Le roi agit comme il lui avait été recommandé. On
conduisit les vaches à l’abreuvoir; les fourmis noires
(intozi) reparurent, mais on se garda bien de leur nuire.
(1) Allusion à l ’une des muliples cérémonies qui ont lieu au jour où
se termine le deuil d’un parent.
(2) Quand un Noir rencontre des fourmis, il ne songe pas à leur nuire.
Il secoue les pieds, dans la croyance que ce geste l’immunisera contre
les piqûres de ces insectes et les empêchera de le suivre à la maison.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

131

Cela se passait à la source dite de Mata, dans le pays du
Buhanga.
Quand on revint de l’abreuvoir, le sorcier-devin s’adres­
sant de nouveau au prince lui dit : « Si tu veux que ton
œil guérisse, choisis dans tes troupeaux une vache qui a
toujours été stérile (inka y’ urubereri). Cherche dans le
pays des filles aux seins non développés (abakobga b’
impenebere). Chasse-les dans la forêt, ainsi que ton
épouse sans perdre de temps. » On exécuta de point en
point les ordres du sorcier. Ceux qui étaient chargés de
conduire la vache et les malheureuses prirent avec eux les
« balais symboliques » (intsiro mbi) composés de diffé­
rentes branches d’arbres réputés maléfiques et qui servent
à prévenir et à conjurer (gutsirika) les malheurs.
On arrivait à peine dans la forêt que la foudre atteignit
les membres du cortège. Nul n ’en réchappa. A ce même
instant l’irritation de la reine-mère cessa, parce que sa
rivale n ’était plus et l’œil de Mutara reprit son état normal.
Le même Mpande qui venait de guérir le roi, lui dit
ensuite : « 11 me reste du vin de bananes, que m ’a confié
ton père. Nous allons le donner au Libérateur, à celui qui
répandra son sang pour ramener la paix dans le royaume.»
Il va retirer le liquide d’une termitière (umugina) où il
l’avait caché.
La cruche qui contenait le breuvage surnommé « le
viatique de voyage des Libérateurs » (impamba y’ Abatabazi) était surmontée d’une pioche qui lui servait de cou­
vercle.
Le sorcier la découvre et y goûte en disant : « Quel est
celui qui veut sauver le royaume? » Kibogo, fils du roi
Ndahiro se présente et insiste tellement q u’il est agréé
par Mutara pour libérer la monarchie. Il était accompa­
gné d’un de ses gens, le célèbre Chyumweru; avant de
quitter le roi, il lu i dit : « Sire, veuillez trouver bon que
ma femme soit délivrée de toute corvée trois jours sur
cinq (asibe gatatu) parce que je m ’en vais avec celui qui

132

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

l’aidait dans ses travaux. Quant aux autres hommes, q u’ils
cessent le travail une fois tous les cinq jours, et cela en
mon honneur (uwa katano abantu bansibire nanje, ngo
n ’ ichyumweru) ». Mutara accorda ce qui lui était
demandé 0).
On s’adressa encore au dévouement de Kinywi, fils d’un
certain Mpanga. Il était originaire de Buhanga et on l’ap­
pelait l’« Homme qui a toujours soif » (ikyot’ amakara,
de kwot’ amakara, c’est-à-dire celui qui se chauffe aux
charbons du foyer). Il but lui aussi au vin de banane
réservé aux Libérateurs en s’écriant : « Je me dévoue pour
enrichir le Rwanda et lui mériter de nombreux troupeaux
de vaches. Je m ’en vais boire toute l’eau qui se trouve
dans les autres pays ». Il s’en alla, continue le narrateur,
et remplit sa promesse. Les vaches ne trouvant plus où
s’abreuver s’enfuirent dans le Rwanda, attirées par l’eau
q u’elles sentaient à distance (inka zo m u mahanga yose,
zibur’ amazi, zikaja zichika Irwanda, zumva ah’ amaz’
anuka liose honyine). Quant à Kinywi le Ruveur (2), un
jour qu’il se trouvait dans le Ndorwa, il aperçut une vache
qui vêlait, il disparut à jamais par où le veau était venu
(atabara m unda y’ inka hamaze guterana) (3), afin que son
dévouement fut complet.
Le seul fait d’armes à l’honneur du prince Mutara est sa
victoire sur les Rarundi qui s’étaient avancés sur le terri­
toire du Rwanda jusqu’aux environs de Mwulire dans la
province du Rwana-Mkali. On appelle ainsi une colline
élevée d’où la vue s’étend au loin sur la contrée environ­
nante. Elle porte encore les vestiges d’anciennes résidences
royales.
Mutara vint en toute hâte établir son camp sur ce poste
t1) « Allusion au dévoûment » de Kibogo, que d’autres placent au
commencemen du règne de Ndahiro, comme nous le raconterons dans le
Livre troisième.
(2) Le sens littéral est « soiffeur ».
(3) Les historiens noirs ne reculent pas devant les crudités de langage.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

133

d’observation. Là il attendit l’occasion de se jeter sur les
envahisseurs. Héritier de la fourberie de son père, il fei­
gnit de lier amitié avec Mutaga, roi des Barundi, en accep­
tant de faire le pacte du sang. Au lieu d’avaler la liqueur
où se trouvait la goutte empourprée, comme le veut le
cérémonial en pareille occurrence, le roi hamite la versa à
terre à l’insu de son rival. Il n ’en prononça pas moins les
serments d ’usage. La paix dura quelque temps. Un jour,
cependant, les troupeaux se rencontrèrent à l’abreuvoir et
les deux taureaux faillirent s’éventrer. Mutara dit alors à
Mutaga : « Si tu voulais bien abattre ta bête, les troupeaux
vivraient en paix et nous deux aussi. » — « Assurément,
répliqua Mutaga, mais il serait bien préférable que tu
fisses disparaître la tienne. » Le Mututsi n ’ajoute rien; peu
de jours après, le taureau m urundi gisait à terre éventré.
Comment ? Personne ne le savait. La tranquillité ne fut pas
de longue durée. Après le combat des taureaux, il y eut la
querelle des bergers. Chacun des deux groupes voulait
passer le premier à l ’abreuvoir commun. Et un jour on
vit bien que l ’un voulait se l’accaparer au détriment de
l’autre. La mêlée devint générale, les deux rois étaient
parmi leurs hommes. Finalement le chef m urundi reçut
une flèche à l’œil et la bagarre se termina à l’avantage des
Banyarwanda qui refoulèrent les envahisseurs au delà de
l’Akanyaru.
L’histoire ne dit pas combien de temps régna Mutara.
Le prince, ajoute encore la légende, avait fait de Mpande
son conseiller habituel. Il le consulta pour savoir où il
devait construire sa capitale : « Bâtis ta résidence à Mwurire, lui répondit-il. Tu y passeras huit ans et huit jours. »
— « Tu iras à Gisseke, reprend le sorcier qui fait un jeu de
mots, tu y goûteras toutes les joies (ussekerwe) et tu y
vivras huit ans et huit jours. » — « Où vivrais-je ensuite,
dit le roi? » — « Tu t’installeras à Mwima, répond le sor­
cier qui fait un nouveau jeu de mots, et tu y « régneras »
(uzima) huit ans et huit jours. » — « Après cela, où por­

134

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE I.’a FRIQUE

terais-je mes pas? » — « 11 faudra que tu ailles à Nyamagana, près de Nyanza, où tu posséderas des troupeaux de
vaches par centaines (inka zib’ amagana). Passé huit ans
et huit jours, tu choisiras comme résidence la colline de
Mukingo où tu garderas les frontières du Rwanda (guking ir’ Urwanda). Tu y séjourneras pareillement huit ans et
huit jours. De là tu partiras vers la colline de Bgeramvura, pour que la pluie (imvura) fertilise le sol du royau­
me o . Les huit ans et huit jours écoulés, tu bâtiras un
nouveau palais à Kigali, pour y étendre les frontières de
ton pays (kugarur’ amahanga) (2). Tu y habiteras huit ans
et huit jours. Tu te rendras ensuite à Gassabo pour que les
courges (ibissabo), qui servent à baratter le beurre, ne
fassent pas défaut dans le Rwanda. Passé ce temps, tu te
dirigeras vers Munyaga, d’où tu iras chercher du butin
chez les ennemis (unyag’ amahanga) pendant huit ans et
huit jours. De Munyaga il faudra te rendre à Ru tare (le
fameux cimetière royal) où tu habiteras huit ans et huit
jours. Tu changeras alors de place (uzahimuke), mais sans
quitter la colline. Passé les huit nouveaux ans et les huit
nouveaux jours tu transporteras ta résidence un peu plus
loin, mais sans sortir de la région, et cela sans discon­
tinuer ». C’était lui dire q u’il y mourrait et serait enterré
sur place.
Ainsi parla le sorcier. Le roi suivit ses recommanda­
tions. 11 fit de chacune des collines désignées ses capitales
successives et vint enfin s’installer à Rutare. Il y avait déjà
de longues années qu’il vivait dans la paix et le bonheur.
11 y avait changé de place plus de quatre fois cinq fois
(1) Comme on le voit, le sorcier en lui désignant chacune de ses
futures résidences, lui prédit un avantage ou un événement heureux.
Au fur et à mesure qu’il nomme une colline, il fait un jeu de mot en
tirant du nom propre de chaque capitale, un verbe qui en dérive natu­
rellement et sert ainsi à exprimer les profits qu’il y recueillera.
Les hyperboles et autres figures de rhétorique sont fréquemment
employées dans les récits indigènes et ne contribuent pas peu à les faire
goûter des auditeurs, dont elles raniment l’attention.
(2) Kigari (sous-entendu igihugu) veut dire pays étendu.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE 15E L’AFRIQUE

IÎ55

(kanne gatano), c’est à dire souventes fois, quand il s’écria
un jour : « Je suis fatigué, je n ’en puis plus » (ndarushye). C’est pour cela que l’on dit depuis cette époque que
« là où un homme a longtemps vécu, il finit par y mou­
rir ». (Ah’ umugab’ atuye kera arahatabarira.)
Le roi trépassa et fut inhum é à Rutare même.
Mutara I, d’après une autre version, mourut d’une ven­
geance de sorcier. On se souvient que Ruganzu II avait
entretenu les meilleures relations avec le roitelet de
Marangara.
Les nouveaux princes n ’imitèrent pas la sagesse et la
prudence de leurs pères. Des chèvres appartenant à Mutara
avaient dévasté un champ de Nkoma. Le roi hamite n ’y
avait attaché aucune importance; il n ’en fut pas de même
du petit prince lésé qui rongea son frein et songea à des
représailles. L’occasion s’en présenta bientôt. Mutara I, en
cours de route, vint demander l’hospitalité à Nkoma qui le
reçut dans sa résidence au sommet de la colline qui porte
son nom et où se trouve encore aujourd’hui un petit bos­
quet. Mutara en buvant de la bière empoisonnée contracta
la maladie qui le fit mourir quelques jours après. Le roi­
telet de Marangara, ajoutent les autres, se vengea tout
autrement. Il chargea, en vertu de tous ses pouvoirs m agi­
ques, une chenille (kanyabgoya) de le venger.
Mutara prit congé de Nkoma. Il était déjà près de deux
heures quand, au village de la Ruhina, il se sentit soudai­
nement mordu au talon. Il rejeta loin de lui la malen­
contreuse chenille en maugréant et en jurant. Il comprit
sur-le-champ q u’il s’agissait d’un vrai ensorcellement. Le
pied se mit à enfler et à le faire souffrir. L’inflammation
gagna bientôt le corps; le prince ne tarda pas à expirer
à Gisozi de Musumba, où ses gens l’avaient transporté en
toute hâte, dans une hutte d’emprunt. Le sommet de la
colline est inhabité depuis cette époque. Les arbres épi­
neux (iminyinya) et la brousse s’y sont multipliés formant
un petit bosquet (ikigabiro) q u’il n ’est pas permis de
fouler.

136

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

28. Mutara I fut remplacé par Kigeri II Nvamuheshera,
qui figure comme bon nombre de ses prédécesseurs dans
la liste des rois fainéants.
29. Son successeur Mibamge II Gisanura n ’a pas laissé
plus de trace de son passage sur le trône. Les historiens
de la Cour se taisent à peu près complètement à son sujet.

CHAPITRE III

De Yuhi II jusqu’à Kigeri IV Lwabugari.
La phrophétesse Nyirabiyoro et le supplice de Kamegeri.
30. Yuhi II Mazimpaka, dont le nom veut dire « term i­
ner les différends », reçut ce titre d ’honneur à cause de
son habileté à trancher les procès. On dit aussi que dans
les discussions il avait toujours le dernier et le bon mot
pour mettre les rieurs de son côté. Il passe pour avoir joui
d’une grande intelligence.
C’est vers la fin de son règne que Mulinda, le Mugoyi
dont on reparlera plus loin, vint s’installer sur la colline de
Rugobagoba qui domine la route du Marangara à Kigali.
Yuhi-Mazimpaka est compté parmi les « improvisa­
teurs » littéraires les plus renommés (abasizi). On connaît
de lui plusieurs monologues de haute envergure (ibisigo).
Dans l’un d’eux il célèbre en les résumant les exploits
de ses aïeux et dans un autre il fait allusion à des m al­
heurs domestiques.
Les annalistes racontent que le monarque aimait à
boire. A peine enivré, il devenait fou furieux et tuait de
ses mains les gens de son entourage. Employés, amis et
courtisans, parents et enfants, nul n ’était épargné. Revenu
de son ébriété, le roi regrettait ses actes et pleurait ses
victimes, mais son penchant pour l’hydromel l’emportait
sur le reste. Ivre, la colère le reprenait et le sang coulait...
Les familiers de la Cour se concertèrent un jour : « Si
nous restons auprès du roi, nous allons tous y passer les

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQU E

137

lins après les autres. Il ne nous reste plus q u’un parti à
prendre, quittons le pays et allons nous réfugier à l’étran­
ger ». Ils s’enfuirent pendant la nuit.
Yuhi, à son réveil, se trouva tout étonné de ne voir âme
qui vive auprès de lui, ses gardes l ’avaient abandonné. Il
eut beau appeler, personne ne répondit. Sortant de sa case,
il parcourut les différentes pièces du palais sans rencon­
trer visage hum ain. Il finit par découvrir un boiteux qui
le met au courant du complot : « Ils sont partis, lui expli­
qua-t-il, parce q u’ils ont peur de toi. Ils craignent de subir
le même sort que leurs compagnons, et si je suis resté,
moi, c’est parce que j ’étais dans l’impossibilité de les
suivre. » Le monarque comprend sa faute et son malheur.
« Essaie de les rejoindre, reprend-il, va clopin-clopant
comme tu pourras, ramène-les en leur disant que désor­
mais je suivrai leurs avis et leurs conseils. S’ils m ’impo­
sent des conditions, je jure de m ’y soumettre ». Le mes­
sager put atteindre les fuyards au delà du fleuve et leur
fit part des serments de Yuhi. Ils revinrent sur leurs pas
et trouvèrent à mi-chemin le monarque brisé de douleur.
« Nous voilà, tu nous as fait rappeler. » — « Oui, ajoute
le prince, et pour vous prouver la sincérité de mon repen­
tir je promets d’accomplir tout ce que vous exigerez de
moi. » — « Ce sont, lu i répondent-ils, tes deux épouses,
Kiranga et Chyihunde qui sont cause de nos maux. Elles
n ’ont cessé d ’armer ton bras contre nous O ». — « Vous
dites vrai, je vous les livre, faites-les mourir. » Dès
qu’elles apparurent elles furent égorgées. Le roi fut
« traité » par les sorciers qui lui rendirent tous ses esprits
et toute sa raison.
C1) La légende dit que les deux femmes qui étaient sœurs avaient
« ensorcelé » leur royal époux, par la malice de leurs paroles (uburozi
bg’ amakaburo) de telle façon que le monarque se conduisait vis-à-vis
de ses sujets comme s’il avait à la main droite une vipère du Gabon
dont il utilisait les morsures contre ses sujets (bamuloz’ impiri ku
kiganza ch’ uburyo), ce qui n’est pas peu dire. Il s’agissait bien d’une
vipère, ajoute une autre légende, car on vit ce reptile malfaisant sortir
de la main du prince, après les exorcismes des sorciers.

138

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Pour confirmer la résolution q u’il avait prise de ne plus
s’exposer à être « ensorcelé », Yuhi réunit en grand appa­
rat les deux grandes familles Batutsi, les Banyiginya et les
Bega : « Je maudis pour toujours le clan des Batchaba
(auquel appartenaient ses femmes). Gardez-vous d’épou­
ser leurs filles. Si cela devait arriver à l ’un d’entre vous,
je le maudis et puisse sa postérité s’éteindre! » Le monar­
que composa alors l’improvisation suivante :
C’en est fini désormais de mon affection.
Celles (c’est-à-dire ses deux femmes préférées) qui en ont été
N ’ont été d ’aucun profit pour moi.
[l’objet
Au lieu de me rendre amour pour amour
Elles ont été la cause de mes malheurs
Elles ont provoqué line émigration au loin (d’où le proverbe dû
Aimer sans retour comme je l ’ai fait
[au même roi)
C’est ressembler à la pluie qui tombe (sans profit) dans la forêt
[(au iieu de fertiliser les champs cultivés (*).

A partir de ce moment les Bega et les Banyiginya ont
cessé toutes relations matrimoniales avec les Batchaba.
On attribue à Yuhi-Mazimpaka une autre prophétie
concernant l’arrivée des Européens.
Un jour que le roi était au m ilieu de ses courtisans, il
perçut comme un roulement lointain : « N’est-ce pas le
tonnerre? N’avez-vous pas entendu? » — « Non », lui
répondent ses gens. Il lève les yeux vers le ciel et décou­
vre une sorte de barque qui vogue dans les profondeurs
du firmament, là où le regard de l’homme ne peut attein­
dre (2). C’est à lui seid qu’il fut donné de jouir de ce pro­
dige, parce q u’il avait l’âme de prophète (yarafif uguha(>) Singikund’ ukundi,
Ibyo nkunda ntibinkundirira.
Alio kunkunda birakuka
Bikaj(a)’ ikamagoma (nom de pays)
gukungika (empaqueter des provisions) kule.
Proverbe. Gukund' ikitagukunda.
n’imvur’ igwa mw’ ishamba.
(2) Aho umuntu atagez’ amaso.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQUE

131)

nura). « Ne voyez-vous pas une embarcation dans les
airs? » crie-t-il à ses compagnons. « Nous ne distinguons
rien, répondent ces derniers, et nous n'avons rien
entendu. » Mazimpaka fait appeler les Biru à l’esprit
inspiré comme lui. On mande ensuite les sorciers. Peine
perdue, le ciel restait fermé à leurs regards. Le roi seul
jouissait de la vision de la nacelle s’avançant à travers le
ciel : « Je la vois distinctement ainsi que les hommes
q u’elle contient. Elle se rapproche de nous. Je distingue
nettement le bruit de rames... Je pressens que les occu­
pants de l’esquif deviendront les possesseurs du Rwanda
et q u’ils y apporteront l’ordre et la paix ».
Etonnés, stupéfaits, les auditeurs n ’osent parler; ils se
regardent entre eux en se serrant les coudes. La même
pensée leur vient. Ils se souviennent que le monarque a
un faible pour la bière et l’hydromel. Il est souvent pris
d’ivresse. Peut-être est-il devenu fou.
Le visionnaire interprète le motif de leur silence. Leur
incrédulité l’afflige : « Vous ne voulez pas me croire, je
fais appel à la postérité, vos arrière-petits-fils me ren­
dront justice en se portant garants de la véracité de ce que
je vois et j ’entends, car cette barque n ’arrivera dans le
royaume q u’à leur époque ». Au lieu de diminuer, l’émo­
tion des courtisans ne fait que croître ; Notre roi a perdu
la tête, dit l’un; il a trop bu, chuchote l’autre; est-ce q u’il
rêve ou bien l’a-t-on ensorcelé? Comment peut-il discer­
ner des choses que nous ne pouvons distinguer nousmêmes? Son ouïe est-elle meilleure que la nôtre? Il parle
d’une embarcation qui vogue dans les airs... alors que les
barques sont faites pour naviguer sur les eaux. Y uhi n'a
plus tous ses esprits, il est certainement malade ».
Le pauvre prince de plus en plus attristé reprend : « Je
souffre de vos moqueries et de vos soupçons; j ’en prends
à témoin vos arrière-petits-fils, ils constateront la vérité
de ce que j ’affirme. Eux aussi ne voudront pas d’abord y
croire. Leur étonnement ne sera pas moindre que le vôtre.

140

UN ROYAUME HAMITE AL CENTRE DE L AFRIQUE

Vous tous mes sujets, mes devins, mes sorciers, mes
enfants, sachez que cette embarcation s’approchera de
notre pays. Ce n ’est pas votre incrédulité ni vos dénéga­
tions qui l’arrêteront dans sa marche. Je connais votre
scepticisme à ce sujet. Je vous prédis que vos descendants
éloignés se serviront de cette barque à leur tour et qu’elle
leur permettra de passer (sains et saufs) au-dessus d’un
lac horrible. C’est alors q u’on se souviendra de moi. J ’en
prends à témoin les générations futures (*) ».
Mazimpaka, que sa vision prophétique et l’attitude
moqueuse des courtisans avaient troublé au plus haut
degré, passa quatre jours et quatre nuits sans prendre
aucune boisson fermentée et sans se montrer à ses sujets.
Telle est la première des prophéties concernant l’an­
nonce des Européens.
Le thème habituel de ces prédictions roule sur les
Blancs, leur entrée dans le Rwanda, les actes par lesquels
ils signaleront leur apparition, le rôle q u’il joueront dans
le pays; il est aussi question de famines, d’épidémies, de
l ’apparition des chiques ou pulex pénétrons, etc.
Avec Chyilima-Rugwe et Kibogo, Y uhi II est de ceux
dont les « mânes » sont le plus respectés et pour lequel on
a organisé aussi un home domestique. Il s’en ouvrit à
Idju ru, sa résidence préférée, où par des prodiges renout1) Voici le texte lui-même : « Mbabajwe n ’ abuzukuruza banyu bazabon’ ibyago. Bikabajija, bakabijijinganya mo, nkuko namwe mbajijura
mukajijinganya. Nuko lero, bana banje, kandi Biru banje, namwe bapfumu banje, namwe rubanda rw’ ubutaka.
» Mumenye yuko buliya bwato aho buzagerera hasi mutazabutsinsura.
Aliko nduzi ko mutabyitayeho, nanje mukaba mutemera ibyo mbabgiye,
aliko abuzukuruza banyu bazabuvugama kandi nabwo buzabambuts’ i
Nyanja mbi, kandi nanje bazanyibuka, nibo bagabo ntanze ! »
Les chrétiens n’ont pas manqué à leur tour d’interpréter la vision de
la barque. Elle représente pour eux le berceau de l ’Enfant-Dieu ou encore
l ’Église dont ils font partie. Le lac horrible que leur fait traverser cette
embarcation symbolique n ’est autre que l ’enfer. Dans sa signification
primitive, le lac représente l ’ère des meurtres, des peines, des difficul­
tés, etc. que doit faire disparaître l’arrivée des Blancs avec leur civili­
sation chrétienne.

UN ROYAUME HAMITE AL CENTRE UE

L

AFRIQUE

141

velés, il manifesta sa volonté, dit la légende, d’avoir un
foyer fam ilial (x).
31.
Chyilima II Ludjugira prit les rênes du gouverne­
ment après la mort de Yuhi. Ce prince est de ceux qui ont
laissé le plus de traces dans l ’histoire : 1° On lui fait l’hon­
neur d’avoir sauvé le Rwanda des horreurs de la famine;
2° Il eut l’heureuse fortune de repousser l’invasion dite
des muets; 3° Il réunit à la couronne le pays de Ndorwa.
Parlons de chacun de ces trois faits.
Entouré de ses quatre fils : Ndabarassa, Gihana, Binama
et Sharangabo, q u’on a surnommés les Batangana (ceux
qui ne se détestent pas), tant la chose est rare dans les
familles batutsi, Chyilim a régnait en paix depuis p lu ­
sieurs années, quand survint une sécheresse qui mena­
çait de ruiner le Rwanda. Consultés, les oracles déclarè­
rent que les Barundi étaient les auteurs du fléau et que
Gihana, fils du roi, devait se sacrifier pour le bien public
en allant se faire tuer au pays ennemi. Il fallait une mort
amenée par une main étrangère. Cette victime de substi­
tution détournerait le mal sur la contrée voisine et sau­
verait le royaume des Hamites. Le jeune homme réussit,
en effet, à vaincre les Barundi et à ramener par son
dévouement la pluie dans son pays. Ses derniers moments
ont été dramatisés. Gihana, ajoutent les chroniqueurs,
avait été blessé traîtreusement par son adversaire le roi de

f1) Cf. Livre quatrième. Honneurs posthumes réservés aux mânes
royaux.
Ce que le roi fait pour les mânes de ses prédécesseurs, les grands
chefs le font aussi, mais sur une plus petite échelle pour les leurs. Les
huttes dont se composent leurs habitations particulières sont consacrées
à des « esprits » de leur famille en l ’honneur desquels et pour lesquels
on épouse une femme qui doit désormais habiter la case. Ce sont habi­
tuellement les propres femmes du chef lui-même. Quelques-unes d’entre
elles n’ont que le titre de servante ou d’esclave (umuja) et sont délaissées
après leur première entrée dans la hutte.
Pour honorer ses morts, le Muhutu se contente de leur bâtir de petits
édicules (indaro) ou même des semblants de huttes dans lesquelles il fait
des sacrifices en rapport avec sa fortune.

14'2

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

l’Urundi, Ntare. Avant d ’expirer, le prince porta une pre­
mière fois la main à sa blessure, pour en recueillir le sang
qui sortait : « Maudit soit l’Urundi, s’écria-t-il, en le
répandant du côté de ses ennemis. Puissent-ils n ’avoir à
« traire » que du sang (c’est-à-dire à s’entr’égorger) ».
Puisant une deuxième fois sur ses flancs entr’ouverts, il
en sortit du lait qu’il répandit du côté du Rwanda en pré­
sage de prospérité, d’abondance et de paix.
11 mourut en assurant les siens q u’il ne les abandonne­
rait pas. Les conteurs prolixes en détails de toute sorte ne
tarissent pas sur un pareil sujet.
Gihana, comme Kibogo, son autre émule en héroïsme
et en gloire, est resté populaire parmi les Banyarwanda.
On l’honore et l’on ne cesse de lui offrir des sacrifices à
Muyange près de Butare sur la route de Nyanza où il aurait
habité et à Mututu aussi (ku Mavaga) où se trouvent ses
descendants, une fraction importante des Banyiginya 0).
C’est encore sous le règne de ce Chyilim a II q u’eut lieu
dans la province du Bugoyi l ’expulsion des fameux « Biragi » ou Muets, ainsi appelés à cause de leur langage
inintelligible. Venus de l’intérieur du Congo, ils s’étaient
installés dans plusieurs endroits au Nord-Est du lac Kivu.
Ces étrangers ne ressemblaient nullement aux autres Noirs
et couvraient leurs habitations de mottes de terre, d’où
leur deuxième surnom de « Couvreurs de toits en terre ».
La campagne s’organisa sous l’impulsion d ’un Munyarwanda originaire de Suti, qui avait émigré dans le
Bugoyi.
Il s’appelait Macchumu et ses descendants sont aujour­
d ’hui connus sous le nom de « Bagwabiro ». Les débuts
de l’expédition ne furent pas heureux pour les assaillants.
Il fallut faire appel au roi et aux gens de l’intérieur qui
leur vinrent en aide. Les intrus furent enfin taillés en
pièces et à jamais chassés du pays.
f1) La légende de Gihana n ’est qu’un des nombreux épisodes de guerre
que se firent fréquemment les deux peuples voisins.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

143

Huit générations, disent les historiens officiels, se sont
écoulées depuis cet événement mémorable. Si l ’on
compte de 25 à 30 ans pour chaque génération, on peut
situer le fait en l’an 1700 environ.
Chyilima réunit encore à la couronne le royaume du
Ndorwa dont le dernier titulaire s’appelait Gahaya. Les
prédécesseurs de ce prince sur le trône, dont l’histoire fait
mention, sont en remontant vers le passé Mulori et Kabeja. Ces roitelets appartenaient au clan des Bashambo
fortement apparentés aux Banyiginya du Rwanda. Bien
que nominalement soumis, les sujets des Bashambo
demeurèrent longtemps réfractaires au joug des Banyigi­
nya. Aussi, voit-on les rois hamites faire de fréquentes
incursions dans le Ndorwa.
32.
Chyilima II Ludjugira eut pour successeur son fils,
Kigeri II Ndabarassa.
Par sa mère Lwesero, il était le petit-fils de Muhoza,
roi du Gissaka.
Les historiens, se basant sur son surnom de Ndabarassa,
qui signifie « je tire de l’arc sur eux », en ont fait !e
vainqueur du personnage désigné dans les récits sous la
dénomination de Mulinda avec lequel le lecteur a déjà
fait connaissance. Comment offensa-t-il le monarque
hamite? On ne le sait pas. Toujours est-il q u’on parle de
lui comme d’un révolté (umugome). Kigeri II vint l’atta­
quer et le rencontra au bas de Kamonyi, au lieu appelé
Bihembe de Rugarika, et le perça de sa lance. L’arme fut
projetée avec tant de force, ajoute la légende, qu’elle tra­
versa (guhinguka) le corps de la victime et fendit la
colline, à I endroit susnommé, qui est devenu désormais
célèbre.
Ki geri II vécut à Kamonyi près de Rugobagoba, où son
grand-père avait bâti une de ses résidences, au lieu dit
« Inkingo », c’est-à-dire la « fermeture ». Son prédéces­
seur avait choisi lui-même ce dernier emplacement pour

144

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

fermer l’accès du royaume (gukinga veut dire fermer) aux
ennemis.
Les conteurs officiels citent, comme étant l’événement
le plus saillant du règne de Kigeri, les prophéties de INyirabiyoro. Le peuple leur donne encore une importance
qu’explique sa mentalité crédule et superstitieuse. Nyirabiyoro était une sorte de pythonisse, domiciliée à Mazinga,
dans la province de Mubari. L ’influence quelle exerçait
dans ce pays porta-t-elle ombrage au prince hamite? On
ne cessait en tous cas de la lu i représenter comme voulant
se soustraire à son autorité : « Je te ferai tuer! » lui dit le
roi quand elle lui fut présentée. « Je suis en ton pouvoir,
répondit la sorcière, il t’est loisible de m ôter la vie, mais
je te préviens qu’il te sera impossible de repousser l’ani­
mal étrange (âne) qui viendra à travers le Mubari et le
Mirenge (pays du Gissaka), portant sur son dos un in d i­
vidu non moins curieux (le Blanc, l’Européen). » — « Tes
prédictions ne m ’inquiètent nullement, répartit Ndabarassa; mon petit-fils au teint noir (Musinga-Yuhi), celui-là
même qui prendra pour capitale l’ancienne résidence
(Nyanza) du grand devin Mashira, écartera le danger que
tu m ’annonces O ». — « Mais le jour où les herbes à
droite et à gauche des sentiers pousseront de façon à s’en­
trelacer (parce q u’à la suite de la peste bovine, il n ’y aura
plus de troupeaux pour les brouter) que feras-tu? » —
« Un autre de mes petits-fils, reprit Kigeri, celui qui naîtra
d’une montagnarde (c’est-à-dire Lwabugiri-Kigeri, dont
la mère est originaire du grand massif du Ndiza), reconsti­
tuera le bétail (par ses razzias dans les pays voisins). »
« Quand tes sujets auront une alêne (uruhindu) à la
m ain (pour crever les pustules de la variole), crois-tu en
venir à bout (du fléau) ? » — « J ’offrirai, dit le roi, comme
rançon celui de mes fils qui est né à Bitare. » — « Et si ce
(!) Le roi prophétise à son tour que ce même Yuhi-Musinga, sans pou­
voir s’opposer à l’arrivée des Blancs, s’arrangera de façon à vivre en
bons termes avec eux.

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

145

sacrifice ne suffit pas? » (Kimanuka, le premier des en­
fants de Kigeri, mourut, en effet, de la variole). — « Alors,
riposte Kigeri, je donnerai comme victime de propitiation
m on héritier (qui périt aussi victime de la variole) et le
fléau cessera (‘)... »
Le roi voulut se retirer un instant, ajoutent les histo­
riens, ses fils, ceux que l ’on nomme les Bigina (d’où le clan
des Bigina, auquel appartient Bandora, le sorcier actuel),
profitèrent de son absence pour mettre à mort la prophétesse.
33. Mibambge III Sentabvo.
Après Kigeri II Ndabarassa, régna Mibambge III Sentabyo. Il eut pour mère une Mwega, Nyiratamba, fille d’un
certain Sessunga.
Il reconquit, croit-on, le Buganza et le Bwana-Chambge,
que les Banyagissaka aux jours de leur prospérité avaient
réussi à détacher du Bwanda.
Sous son règne la variole fit son apparition. La popula­
tion fut décimée comme elle devait l’être plus tard sous le
(>) La série des oracles sibyllins prêtés à Nyirabiyoro est loin d’être
close. La visionnaire fit encore allusion à Nyantaba, l’homme à la
balafre (lui aussi devin) et à sa fin malheureuse; à Rutalindwa que
devaient supplanter Kabale et sa sœur Nyirayuhi; à Musinga, le roi
actuel et à ses deuils répétés.
Plusieurs des enfants de ce prince sont morts en bas âge; le séjour de
Nyanza passe pour être mortel à ses héritiers d'où la croyance populaire
qu’il les fait élever au moins durant leur première enfance en dehors de
la capitale pour les soustraire au sort néfaste qui les attend : « On enten­
dra, fait-on répéter à la Sybille, des cris et des pleurs de mères endeuil­
lées, sur les collines voisines... »
11 n ’est pas difficile aux bardes de fabriquer des prédictions et d’ajou­
ter de nouveaux anneaux à la chaîne prophétique.
Le thème le plus fécond sur lequel ils aiment à faire parler Nyirabiyoro
est celui de la pénétration européenne. « Un jour viendra, lui fait-on
encore dire, où les collines se couvriront de lacets (ou ceintures, pour
désigner les chemins) et ceux qui les traceront s’en ceindront aussi les
reins. »
L’allusion et le jeu de mots deviennent transparents quand on sait que
le mot ceinture en runyarwanda sert, en effet, à désigner encore les
routes tracées par les Européens, en pays de colonie. (Umusi imisozi
yakenyej’ imishumi na banyirayo bakazirik’ indi, uzabishoboz’ iki ?)
M é m . in s t . R o y a l c o l o n ia l b e l g e .

10

146

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

règne de Lwabugiri-Kigeri et Kimanuka son frère mourut.
Sa sœur Nyiraburo put en guérir. Le fléau atteignit enfin
le roi lui-mème qui y laissa la vie.
Pour un monarque hamite une mort pareille était Irop
banale et trop commune.
Aussi les gens de Cour ont-ils transformé son trépas et
ennobli ses derniers instants, en lui attribuant un dévoue­
ment héroïque imaginaire.
Mibambge III n ’est pas une victime ordinaire de la
variole, disent-ils. C’est lui-même qui alla au-devant de la
contagion, qui la contracta volonlaircment en s’inoculant
du pus de varioleux. Telle est désormais l’opinion admise.
Le souverain donna sa propre vie pour sauver ses sujets (*).
Ce noble sacrifice marqua la cessation du fléau.
Mibambge III est depuis lors classé parmi les « Libéra­
teurs » (Abatabazi).
Le modeste souvenir que les annalistes de la Cour ont
gardé de ce prince et le genre de sa mort laissent suppo­
ser que son passage sur le trône fut de courte durée.
Nous pouvons ajouter que si le prince s’était réellement

(!) Cet exemple pris sur le vif éclaire une fois pour toutes la question
des Libérateurs et donne la clef des Légendes dont ces héros font l ’objet.
Les annalistes officiels (qu’on me pardonne ce nom pompeux !) n ’ont pas
voulu que leurs princes soient assimilés au commun des mortels, jusque
dans le vulgaire trépas. D’où la création de termes spéciaux (comme
« gutabara », aller au secours, partir en guerre), pour annoncer le décès
d’un monarque.
Les chroniqueurs attitrés ont poussé plus loin le respect de la dignité
royale, devant les coups subits de la mort, en transformant en héros,
en victimes volontaires, en vrais sauveurs les rois tombés dans les com­
bats ou décédés des suites d’une épidémie.
C’est pour ce motif que le glorieux titre de Libérateur a été décerné
à nombre de personnages qui n ’avaient fait que payer tribut à dame
Nature.
Nous citons ici pour mémoire, parce que nous n ’aurons plus l’occasion
d'en parler, les noms des trois autres Libérateurs ou Libératrices : Nyanzige, fille de Ruganzu II Ndori; Binama, fils de Yuhi I-Gahima, tué
par les Barundi, dans le Busanza, et Buhura, lui aussi de race royale,
grand-père du général Biyenzi. Buhura périt les armes à la main dans
le Ndorwa. Sa mort fit cesser la peste bovine qui décimait les troupeaux.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

147

« vacciné » il se serait immunisé au lieu de succomber au
fléau dont il fut la victime entre les années 1780 et 1790.
34. Yuhi 111 - Gahindiro.
Mibambge III fut remplacé par Y uhi III Gahindiro. Il
eut pour mère Nyiratunga, sœur du roi Ndabarassa. Nyiratunga avait été tout d ’abord donnée en mariage à Gihana,
le « héros » qui se fit tuer à l ’Urundi. Les devins prédirent
à Mibambge III que son successeur naîtrait de la veuve de
Gihana. Mibambge s’empressa de l’épouser.
Yuhi III-Gahindiro n ’avait que deux ans quand son
père mourut. Ses oncles résolurent de l’assassiner.
L’un d’entre eux, Gasènyi devait monter sur le trône à
la place de l’enfant. Tous les détails du complot avaient été
prévus. Le crime devait se consommer au m ilieu de la
nuit, on poignarderait le jeune prince dans son lit.
Une servante prit la place de la reine-mère et fit cou­
cher un enfant à ses côtés.
Les sicaires se présentent au moment qui avait été fixé,
s’approchent de la couche, tâtent le petit corps et le per­
cent de coups.
Quel ne fut pas l’étonnement des complices et des meur­
triers quand, le lendemain, ils entendirent les roulements
du tambour annoncer le lever du roi et virent les courti­
sans se présenter comme à l’ordinaire pour faire la cour à
la régente! Ils n ’eurent même pas le temps de se com m u­
niquer leurs impressions. Les employés du palais s’empa­
rèrent en un clin d’œil des conjurés et les conduisirent au
supplice.
Y uhi III vécut longtemps à Givum u près de la rivière
dite de la Kayumbo à l’endroit où des bouquets d’arbres
bien conservés indiquent l ’emplacement de la résidence
royale et des dépendances. On trouve les vestiges de deux
autres de ses habitations à Buhoro, près de Rugobagoba et
à Ngoma dans le pays de Mayaga (Pays chauds).
L’histoire n ’a enregistré aucun événement saillant. On

148

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

aime à citer de ce monarque q u’il ennoblit le Mutwa
Busiete, dont il avait eu à se louer, en lui donnant une de
ses filles en mariage.
Le

ro c h er

de

K

a m e g e r i.

Le rocher de ce nom est à proximité du camp de Bulare,
dans le Nduga, et rappelle un fait tragique qui se passa
sous le règne de Yuhi III Gahindiro.
Le roi voulait châtier sévèrement un criminel. 11
demanda conseil à son entourage. Chacune des personnes
présentes indiqua un genre de mort. Un seul des courti­
sans n ’avait pas encore parlé.
Kamegeri, c’était son nom, proposa en dernier lieu de
faire chauffer à blanc, un rocher qui offrait l'aspect d’une
vaste couche.
Le projet est adopté. Son auteur fut chargé de l’exécuter.
Pour aller vite, Kamegeri fit détruire les huttes voisines
et les greniers à provision, dont les matériaux combusti­
bles furent entassés sur le lit funèbre... Quand le bois eut
fini de se consumer, le Procuste noir ordonna à ses gens de
balayer le rocher. Il fallut se servir de longues perches de
bambou à cause de la réverbération et du rayonnement de
la chaleur du brasier.
Gahindiro, qui assistait à ces épouvantables préparatifs,
s’écria soudain : « L ’inventeur d’une peine aussi atroce ne
peut être q u’un m audit! » Et il décida q u’en lieu et place
du condamné, on jette Kamegeri pieds et poings liés sur
le lit de feu.
On vit le malheureux faire des bonds et se retourner
vainement sur le roc incandescent. Les hurlements s’en­
tendaient au loin. Il n ’y eut bientôt plus q u’une forme
inerte, noircie, se rapetissant pour ne laisser enfin qu’un
squelette de dimensions infimes.
Comme Procuste, dont il avait voulu jouer le rôle.
Kamegeri périt du supplice q u’il avait inventé pour un
autre.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

149

35. Mutara II Lwogera.
Mutara-Lwogera « prit le tambour » après uhi III.
Le jeune monarque débuta par une expédition au Bunyabungu, puis à Nyamiteja, sur l’Akanyaru, contre les
Barundi qui venaient cultiver dans le Bwanda.
Bares sont les allusions faites à cette deuxième campa­
gne; on dut se borner à quelques escarmouches insigni­
fiantes. Par contre, les chroniqueurs racontent qu’au Bunyabungu, les guerriers tuèrent un nombre si grand d’en­
nemis q u’on remplit plusieurs paniers (amatete) de leurs
<( dépouilles » sanglantes. Celles-ci furent ensuite arborées
par les vainqueurs, qui en faisant leur entrée à la capitale
au m ilieu des danses et des cris de joie, les fixèrent sur le
haut de leurs lances, comme signe indéniable de succès.
David s’étai servi jadis du même procédé pour prouver
sa victoire contre les Philistins.
Le grand événement du règne fut la conquête du Gis­
saka où la division intestine s’était introduite dans le sein
de la famille royale. Les malheurs du petit royaume com­
mencèrent sous le gouvernement de Kimenyi II, dit Getula. Son contemporain au Bwanda était Mibambge-Sentabyo qui reprit aux Banyagissaka les provinces du Buganza
et du Bwana-Chambge. Les derniers jours de Getula furent
remplis de chagrin. Nyabarega, épouse favorite du vieux
roi, attenta à la vie du prince héritier dont elle était la
propre mère pour la raison qu’elle ne pouvait supporter sa
belle-fille. Kimenyi fit mettre à mort la criminelle et pour­
suivit en vain les autres fils qu’il en avait eus.
Ils réussirent à s’échapper.
L’héritier du trône ne se sentant pas en sûreté se réfugia
au Burundi où il demeura jusqu’à la mort de Getula qui
s’éteignit peu après.
Bugeyo-Zigama sortit de sa retraite à la mort de Kime­
nyi et sut se faire proclamer à Murarama. Les débuts d u
(!) Expression pour dire : ceindre la couronne.

150

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

nouveau roi furent pénibles, car il eut à guerroyer contre
ses propres frères qui ne voulurent pas le reconnaître. 11
parvint cependant à en tuer quelques-uns et à chasser les
autres; après quoi il put régner quelques années en paix.
Son contemporain au Rwanda fut Yuhi III - Gahindiro,
avec lequel il vécut en bons termes.
Arrivé à un âge avancé, il connut quelques-uns des
déboires qui avaient attristé la vieillesse de son père.
Mushongore, son neveu, lui enleva deux troupeaux de
bêtes à cornes et s’enfuit au Migongo. Ntamwete, petit-fils
de Nyabarega, première épouse de Kimenyi, prit le reste et
disparut à son tour. Découragé, Rugeyo mourut sans dési­
gner son successeur.
Les Banyagissaka, divisés sur le choix de leur roi, élirent, les uns Ntamwete, les autres Mushongore. Les deux
princes se firent une guerre acharnée qui n ’eut d’ailleurs
d’autre résultat que d’ouvrir le pays à l’invasion des
Banyarwanda.
En effet, un certain Nshikiri, d’origine munvarwanda
et conseiller intime de Ntamwete, réussit par ses intrigues
à faire dépouiller à son profit le chef de Mirenge. Rushenyi se voyant supplanté alla demander protection au roi
du Rwanda qui était alors Lwogera-IMutara. Le Hamite
l’écouta avec beaucoup d’intérêt et envoya une armée au
Gissaka. Giharamagara, général en chef, rencontra Ntam­
wete à Kirwa et le défit. Rushenyi ainsi débarrassé de son
spoliateur, reprit le gouvernement de sa province, mais
sous l’autorité du roi du Rwanda qui se payait ainsi du ser­
vice rendu. Un mois plus tard, Giharamagara marcha sur
le Migongo. Mushongore, qui l’occupait, n ’attendit pas le
vainqueur de son cousin et s’enfuit dans l’Usui. Ainsi finit
le royaume du Gissaka.
Lwogera, très politique, en laissa le gouvernement à ses
chefs naturels qui l’exercèrent sous la surveillance de trois
hauts commissaires Banyarwanda.
On ne sait pas exactement l’année où se fit la conquête

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

151

du nouveau fief. D ’après les données obtenues, on estime
q u ’elle eut lieu entre 1840 et 1850.
Le roi hamite malade n ’eut pas le temps de visiter le
domaine que la division de ses maîtres venait de lui don­
ner 0).
Son fils Lwabugiri se rendit au Gissaka au cours de ses
marches guerrières et y m it à mort un grand nombre de
chefs autochtones qu’il remplaça par des Banyarwanda.
La soumission du Gissaka fut suivie d’une promenade
militaire à travers le Ndorwa qui subit une fois encore les
malheurs de l’invasion.
Mutara II ne survécut que d’un an ou deux à sa mère
Nyiramavugo qui périt, croit-on, de mort violente.
Une reine-mère ne peut pas m ourir de vieillesse, elle
doit s’empoisonner, comme le roi du reste, à l’apparition
de ses premiers cheveux blancs. Ce dernier acte lui répu­
gnant, il fallut que le fils intervint auprès de son oncle
maternel Nyamushanja. Celui-ci ne recula pas devant le
crime et fit étrangler sa sœur (2).
Les annalistes n ’ont fait que consigner les bruits et les
croyances populaires dont nous ne garantissons pas l’au­
thenticité.
Mutara lui-même mourut à Gisozi, non loin de Kigali,
atteint de la variole, disent les uns, de la phtisie, affirment
les autres.
Quelques-uns veulent qu’il soit décédé à Kaganza, non
loin des cimetières royaux de Musenyi.
C’est sur les dires des sorciers qui prétendaient que les
(') Cf. Livre Cinquième. Histoire du Gissaka; conquête du royaume
par les Banyarwanda.
(2)
Le corps de Nyiramavugo fut « momifié » (autrement dit boucané)
à Mussenyi, dans l ’un des bosquets réservés à cet usage. Les gens des
environs prirent la précaution de tuer leurs chiens, pour que l’odeur du
cadavre ne les attirât près de la hutte funèbre, où se faisaient les der­
niers préparatifs. Avisés et prudents, les Banyarwanda savent qu’il suffit
de bien peu de chose pour s’exposer aux royales vengeances. Aussi pré­
fèrent-ils pécher par excès que par défaut. Ce n’était là de leur pari
qu’une sage mesure préventive.

152

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Bagereka avaient com m uniqué la tuberculose à Lwogera,
que Lwabugiri, devenu roi, fit massacrer presque tout
entière cette famille dont faisait partie la tante paternelle
du terrible monarque (*)■

CHAPITRE IV.

Le règne de Kigeri IV Lwabugiri. Ses nombreuses expéditions.
Prophéties populaires.
36.
Le successeur de Lwogera fut Kigeri IV - Lwabugiri
surnommé Sezisoni. Ce prince est celui qui se rapproche
le plus de Ruganzu II Ndori dont il semble avoir hérité des
qualités et des défauts.
Il fut le vrai type du roi aventurier. Comme son ancêtre
il ne put se fixer nulle part et passa va vie à guerroyer, jus­
q u’au jour où la mort le surprit à Kinyaga alors qu’il se
rendait pour la quatrième fois au moins dans le Bunyabungu, au sud-ouest du lac Kivu.
Il n ’avait pas encore atteint la cinquantaine. Son corps
fut rapporté à Nvamasheke, une de ses résidences royales;
de là il fut transféré au cimetière royal de Rutare, au
nord du lac Mohazi.
N’eut été l’arrivée des Rlancs qui par le fait de leur
installation dans le pays ont bouleversé un peu les vieilles
traditions, ses exploits auraient déjà fait l’objet de nouvel­
les chansons de gestes aussi glorieuses et aussi fabuleuses
que celles de son illustre aïeul.
La légende n ’aurait pas manqué de s’en emparer et de
rehausser le héros en lui attribuant comme à Hercule des
travaux fameux.
(*) Les Banyarwanda soupçonneux et crédules attribuent l ’origine de
ce mal à l’absorption de la poudre provenant du poumon d’un individu
mort de cette maladie. Ils croient que le viscère desséché est ensuite
réduit en poussière et mélangé à la bière que l ’on fait prendre à la per­
sonne détestée dont on veut se débarrasser. Cette vaine croyance a occa­
sionné maintes vendetta parmi les Batutsi et les Bahutu.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

153

Les pays limitrophes eurent sa visite une fois, sinon
plusieurs. Il n ’est aucune région du Rwanda, au Nord et
au Sud, à l’Est et à l’Ouest, que Lwabugiri n ’ait parcourue,
à l’aller ou au retour de ses multiples excursions à l’exté­
rieur du royaume. Les nombreux bouquets d ’arbres qui
marquent l’emplacement de ses anciennes résidences
royales et de ses campements en font foi : « On était alors,
disent les vieux qui ne tarissent pas sur ce sujet, à l’époque
des grandes guerres ». Dans le Nord et le Nord-Est, les
gens de Nkole, du Mpororo, du Ndorwa eurent affaire à
lui. A l ’Ouest, Nkiko qui commandait au delà des Volcans,
puis Muvunvi, chef des Bahumle, dans le Butembo, au
Nord-Ouest du lac Kivu, virent razzier et ravager leur
pays. Muvunyi y perdit un de ses fils, Nyamunyomoka.
Lwabugiri ne se retira q u’après avoir parcouru et dévasté
les contrées voisines connues sous les noms de Kamuronsa,
Bunyungu, Gishari, Shari, etc. L ’île d’Idjw i ne fut pas
épargnée, on le verra un peu plus loin. Pour s’emparer du
Nord de l’Urundi, il était allé habiter avec sa Cour, en
pleine forêt du Bugessera, dans un pays sans eau, à l’en­
droit dit de Rugenge. Il s’était établi là pour être plus
à portée de sa proie et y méditer à loisir le coup de main
q u ’il comptait faire.
L’emplacement de la résidence royale y est indiqué par
une vaste enceinte de « miyenzi », ou variété d’euphorbes
qu’on n ’est pas peu étonné de rencontrer dans la brousse.
L ’ambitieux conquérant essaya d ’y attirer avec Choya
qui fréquentait déjà la Cour depuis quelque temps, un
autre grand chef, M uhini.
Pour gagner celui-ci, il s’était servi de l’influence du
premier, dont il avait épousé la sœur, Mulerwa, encore
vivante et veuve de Shcrangabo, frère consanguin du roi
Musinga. Ce fut Mulerwa elle-même qui donna l’éveil à
son frère et à M uhini. Ce dernier ayant de bonnes raisons
pour ne plus se croire en sécurité, disparut sans retour un
beau matin, avec les guerriers qu’il avait par précaution

154

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

amené avec lui. Choya dut faire de même un peu plus
tard. Lwabugiri voyant son jeu découvert et se jugeant
hop rapproché de la frontière de l’Urundi, estima prudent
de se mettre à l’abri d’une surprise. Craignant, on effet,
une rapide offensive de la part de ses anciens commensaux,
il franchit sans tarder le fleuve de la Kagera et passa la
nuit à Mfune; il campa le deuxième jour à Gituza dans le
Bgiriri, sur le lac Mugessera. De là il se rendit à Lwamagana où il séjourna plus longtemps.
L’ardent Mututsi qu’un repos prolongé fatiguait tourna
ses yeux du côté du Bunyabungu. Ce pays situé au SudOuest du lac Kivu devint l’objet de ses ardentes convoiti­
ses. Le succès, au moins dans les débuts, ne répondit pas
à ses efforts. La première tentative fut malheureuse. Les
Banyabungu aux aguets surprirent leurs envahisseurs et
les rejetèrent en désordre sur le fleuve de la Bussizi.
Là, pressés par l’ennemi et m anquant de barques, beau­
coup se jetèrent à la nage et furent emportés par le cou­
rant au passage désormais historique de Mwururu.
Parmi les noyés se trouvait Yaterana, l’un des meilleurs
lieutenants de Lwabugiri : « C’est l’eau seule qui nous
vainquit », répétèrent les survivants non sans une pointe
d’excuse.
Une deuxième expédition ne réussit pas davantage. Le
roi du Rwanda y vit périr Nyirimigabo, père de Nturo,
Rwanyunga et Nyamushanja, la fleur et l’élite de la
noblesse. Tout autre que Lwabugiri eut renoncé à l ’entre­
prise. Obstiné dans le malheur, l’orgueilleux monarque
s’installe à Mururu. Tandis qu’il réfléchissait aux moyens
de vaincre, il fit la connaissance d ’un nom m é Rubago,
dont les ancêtres étaient originaires de Runyabungu.
Séduit par les promesses de l’ambitieux potentat,
Rubago se fit traître. Il avait conservé de nombreuses
relations avec les habitants de l’autre rive.
Le roi qui trouvait en lui un homme décidé, lui promit
des troupeaux et la possession d’un gouvernement, s’il

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQ U E

155

réussissait à lui livrer la reine. Rubago se fit fort de la
lui amener.
Grâce à ses liens de parenté avec les gens du pays qui
croyaient trouver en lui un frère dévoué, le perfide eut vite
découvert la retraire de Mugeni.
Après avoir donné de nombreux renseignements sur
Lwabugiri, il promit de tenir la souveraine au courant de
tout ce qui se tramait contre elle.
Une belle nuit, l’espion revient trouver le roi, se fait
donner des hommes qui l ’accompagnent.
Le matin, au lever du jour, les Banyarwanda cernent
l’habitation de la malheureuse.
Les gens de celle-ci essaient vainement de se frayer un
passage. Ils sont massacrés.
Les envahisseurs mettent le feu aux huttes. La reine
pour ne pas brûler vive, se rend avec le prince-consort.
Celui-ci est égorgé aussitôt, Mugeni fut étranglée quelque
temps après à Idjw i sur les ordres de Lwabugiri, qui se
l ’était d’abord fait présenter.
Toutefois le succès du conquérant fut une victoire éphé­
mère. Le prince héritier avait pu, en effet, être sauvé par
des mains amies. Sa présence releva le courage des siens
qui ne se soumirent jamais aux Banyarwanda.
Pour prix de sa trahison, Rubago reçut le commande­
ment de plusieurs collines dans le Kinyaga.
Le roi offrit un gros bracelet de cuivre à la femme du
délateur qui, elle aussi, avait pris parti avec enthousiasme
pour la cause des envahisseurs (*).
(’ ) Rubago dut être dépossédé en 1917 de sa belle « chefferie », à cause
des exactions de ses fils et de son insouciance. On lui laissa par pitié
près de Shangugu, au Sud du Kivu, le petit village de Kamembe où
il vécut pauvrement jusqu’à la fin de ses jours (1926).
Moins habiles à gouverner que les Batutsi, les chefs Bahutu ont géné­
ralement des difficultés dans l ’exercice de leur pouvoir et se font peu
respecter de leurs sujets. Il serait facile de citer d’autres exemples de
ce genre pour confirmer le jugement porté sur l ’administration des
Bahutu.

156

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

La félonie avait eu raison des dernières résistances.
Les Banyabungu étaient vaincus, mais non abattus. Ils
secoueront le joug et reprendront leur indépendance au
lendemain même de la mort du prince hamite. Enorgueilli
de son succès, Lwabugiri rentra au Kinyaga et se reposa
quelques jours sur ses lauriers.
Mis en appétit par sa récente victoire le Mututsi installé
à l’extrémité de la presqu’île de Nyamirundi eut bientôt
l’occasion de faire une descente dans l’île d’kljw i qui se
trouve en face (*).
La grande île que sa proximité du Rwanda surtout par
le Sud-Est, mettait difficilement à l’abri d’un coup de
m ain, avait attiré l’attention du roi guerrier.
L’occupation d’Idjw i naquit d’une circonstance fortuite.
Nkundiye jaloux de son père dont il am bitionnait le trône,
vint trouver Lwabugiri pour lui demander main-forte.
Pris comme arbitre, le rusé Hamite trancha la cause en sa
propre faveur. Il suivit le jeune prince dans l ’île et massa­
cra toute la famille régnante, y compris le prétendant qui,
effrayé des suites de sa trahison, s’était tout d’abord enfui
dans l’îlot d ’Ishovu. C’est là qu’on l’y surprit. Enchanté de
son aubaine, le vainqueur compléta son œuvre en occu­
pant les deux groupes d’îles Binja et Nkombo situées au
sud d’Idjw i. Nkombo et Idjw i restèrent difinitivement
acquises au Rwanda. Lwabugiri alla plusieurs fois sur la
grande île et s’y établit sur divers points. Des bouquets
d’arbres marquent l’emplacement de ses résidences ( ).
Nous avons déjà dit que les provinces de l’Ouest et du
Nord ne s’étaient jamais soumises complètement, malgré
les expéditions successives qu’y firent les rois hamites.
(!) Des conteurs noirs à la mémoire plus fidèle assurent que la con­
quête d’Idjwi fut la première en date. Ce premier succès décida le
vainqueur à faire la conquête du Bunyabungu.
Lwabugiri comptait sur ses nouveaux sujets, de même race et de même
langue que les Banyabungu, pour pénétrer plus facilement au cœur du
pays.
(2)
L’île d’Idjwi, dans le lac Kivu, compte environ 18,000 habitants
originaires du Bunyabungu dont ils parlent la langue.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

157

Au commencement du règne de Lwabugiri, la reinemère, qui était toute-puissante, donna le pays du Kingogo
à un de ses favoris, nommé Seruteganya, du clan des Batsobe. Celui-ci réunit un petit corps d’armée et pénétra dans
le district montagneux qui venait de lui être concédé. Dès
le troisième jour il parvint au centre de la province, dans
le village de Gitega. A son approche, les habitants du lieu
se réfugièrent dans la grotte qui s’ouvre sur le versant de
la colline, à l’endroit dit de Gikoro. Les voisins de Gassovu, Rutchano, Hindiro se joignirent aux premiers :
Hommes, femmes, enfants, il y en avait des centaines et
des centaines à fuir devant les Batutsi », ajoutent les vieux
qui exagèrent un peu. Les Bahutu s’étaient fait suivre de
leurs troupeaux de vaches, chèvres et moutons. La grotte
était vaste et profonde, suffisante donc pour les abriter
tous.
Les gens de Seruteganya conçurent un dessein horrible;
ils détruisirent les cases dans les environs et transportèrent
les matériaux pour les entasser devant l’ouverture de la
grotte.
Ils y mirent le feu qui brûla pendant deux jours. La
fumée de l’immense foyer pénétra dans la caverne et les
malheureux qui y avaient cherché un abri y périrent
asphyxiés. Il ne s’en échappa pas un seul. On prétend que
la fumée sortit par des trous de fourmilier, assez loin dans
les environs. Le détail, s’il est vrai, prouverait que la
grotte s’étend profondément sous terre.
Depuis la catastrophe les gens du pays n ’ont jamais plus
osé y pénétrer (l).
f1) Voici comment on raconte l’origine de la fortune de ce Serute­
ganya. Il habitait à Nkingo de Kamonyi, dans le Nduga. Une femme
Mututsi se présenta, un jour, demandant l ’aumône.
C’était une épouse disgraciée du roi Mutara-Lwogera; l ’infortunée,
mourant de faim, portait dans ses bras l ’enfant qui devait plus tard
monter sur le trône et s’appeler Kigeri IV Lwabugiri.
Seruteganya leur offrit l’hospitalité et les traita avec déférence... Deve­
nue reine-mère à l’avènement de son fils, Nyirakigeri prit et exerça
une grande influence sur le cœur de son fils. Elle n’avait pas oublié les

158

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Dès Je début de son règne Lwabugiri avait été possédé
de l ’esprit des batailles. Il ne devait le quitter qu’avec la
vie.
Comme son aïeul Ruganzu II Ndori auquel le royaume
doit sa grandeur et son unité, Lwabugiri-Kigeri passa à
peu près tout son règne au m ilieu des camps. Assoiffé de
gloire et de conquêtes, il ne se sentit jamais rassasié. En
plus de la célébrité que lui conféraient ses expéditions, il
en lirait d’autres profits plus sensibles et plus immédiats
dont bénéficiaient aussi ses gens. Le roi guerrier ne quit­
tait, en effet, jamais un pays conquis sans emmener avec
lui un certain nombre de femmes et d’enfants q u’il parta­
geait ensuite entre ses soldats. Les troupeaux de chèvres,
de moutons et surtout de vaches étaient également de
bonne prise.. C’était là le butin habituel. Pour ce qui est
du pillage du bétail, le Nord-Ouest du Rwanda lui-même
ne fut pas plus épargné que les pays assujettis par la force
des armes.
Bien que nominalement soumises, les contrées du NordOuest, supportaient difficilement l’autorité des Batutsi qui
n ’y vivaient q u’en petit nombre. Le Bukonya, le Mulera,
le Luhengeri, le Buhoma, le Bushiru, le Bugamba, le Kingogo, le Bugoyi, etc. étaient de ce nombre.
Lwabugiri ne pouvait pas manquer d ’y faire acte de
souverain.
On se garda bien de lui faire obstacle. Les Bahutu l’ac­
cueillirent partout avec les plus grands égards et tous les
honneurs dus à son rang. Les « bahinza » ou descendants
bontés de Seruteganya. Elle l ’appela à la Cour, en fit son protégé et lui
donna à gouverner une partie du Bumbogo, le pays de Nyabitare dans
le Muhanga et le Kingogo.
Quelques années plus tard l ’ancien bienfaiteur devint l ’objet de la
haine du roi Lwabugiri qui lui reprochait d’avoir pris sa mère comme
épouse. Son habitation, dans le Bumbogo, fut entourée par les guerriers
du roi. Ne pouvant s’enfuir, Seruteganya se brûla dans sa case, non sans
avoir fait tuer auparavant Nyirakigeri, pour qu’elle ne lui survécut pas.
L’événement se passa au village de Mbilima de Matovu dans la sus­
dite province.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

159

des anciens roitelets autochtones qui gouvernaient le pays
en son nom s’empressèrent à son passage de lui présenter,
comme le veut la coutume, les vaches du pays (kubyukurutsa). Le monarque faisait souvent main-basse sur les
troupeaux q u’on lui amenait à cette occasion.
C’est ainsi qu’il dépouilla les riches propriétaires du
Buhoma et du Bushiru, deux ans environ avant sa mort.
La peste bovine avait alors fait des ravages incalculables
dans la province centrale du Nduga.
Lwabugiri éprouvait sans doute le besoin de reconsti­
tuer ses propres troupeaux.
Durant son règne, les descendants des anciens princes
autochtones se montrèrent on ne peut plus soumis.
Pour ne pas être accusés de tiédeur ou de manque de
zèle à l’égard du monarque et paj suite pour ne pas
s’exposer à perdre la vie et leur place, choses fort possibles
en ce temps-là, c’était à qui se distinguerait le plus au
service du roi. Porter des vivres et de la bière, fournir des
soldats, faire la cour au prince hamite, tel était leur souci
constant et le seul moyen de ne pas déchoir dans l’estime
du Maître toujours besogneux et toujours exigeant. En
plus de leurs attributions de chef et de leur rôle de courti­
sans, bon nombre d’entre eux exerçaient encore les fonc­
tions honorables de « préservateurs des récoltes », faiseurs
de pluie, fabricants de charmes, etc. L’un d’entre eux,
Sangano, de la province du Bgishaza paya de sa vie
l’usage qu’il fit de son art, en faveur d’une des femmes
du roi.
Cette dernière, Nyambibi, mère de Nshozamihigo, fut
surprise un jour à manier des charmes (inzaratsi). Elle
voulait ramener à elle les faveurs royales qui se portaient
depuis quelque temps sur Nyirayuhi, la mère de Musinga.
Ayant dû avouer qu’elle les avait reçus de Sangano,
celui-ci fut sur-le-champ condamné à mourir. On porta
la même sentence contre Nyambibi.
Lwabugiri fit acte de maître et de roi dans toutes les

160

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

provinces de son royaume et y laissa maintes traces san­
glantes de son passage. Les instincts belliqueux et sauva­
ges qui s’étaient trahis en lui dès son avènement ne firent
que s’accroître avec le temps.
Pour continuer la guerre et m aintenir son armée à
l’effectif nécessaire, il avait complètement réorganisé le
régime militaire qui régissait alors le pays. Chaque région
administrative devait fournir un corps de troupes, dont
le chef était en même temps commandant en chef
(umugabe).
Les corps se remplaçaient successivement de sorte que
les hommes pouvaient après un certain temps rentrer
dans leurs foyers et se livrer à leurs occupations habi­
tuelles. Des contemporains de Lwabugiri, il en est certes
bien peu qui n ’aient pris part à l’une ou l’autre de ces
expéditions.
La province du Rwanda qui eut le plus souvent sa
visite et où il fit de longs séjours, fut celle du Kinyaga, à
cause de sa proximité avec le pays conquis du Bunyabungu et l’île d’Idjw i.
Sa résidence favorite était à Nyamaslieke, non loin de
la presqu’île de Nyamirundi, où il avait installé un autre
domicile. Il y reçut plusieurs fois des Noirs musulmanisés
venus du lac Tanganika, pour entrer en relations avec lui
et obtenir l ’autorisation de faire le commerce dans le pays.
Il ne semble pas que la permission fût accordée de bon
cœur.
Lwabugiri défiant ne voyait par ces marchands d’un
œil favorable.
Comme ils lui achetaient volontiers des défenses d’élé­
phants, moyennant de nombreux échanges de marchan­
dises nouvelles pour lui, il n ’osa pas leur fermer complè­
tement les frontières de son royaume. Les mauvaises
langues du pays lancèrent le bruit q u’il en fit noyer
quelques-uns, par les bateliers qui les reconduisaient en
barque... Quelle est au juste l ’exacte vérité? Nous n ’osons

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’ a FRIQUE

161

pas nous prononcer. Disons que c’est par l’intermédiaire
des commerçants que le roi batailleur commença à se
familiariser, bien avant l’arrivée du comte von Gôtzen,
avec les produits européens, cotonnades, habits, perles,
caisses, fusils et autres objets de pacotille.
Sans doute, les premières étoffes avaient fait leur appa­
rition sous le règne de son grand-père Gahindiro, mais
elles étaient rares et cotées à des prix élevés O . Il n ’était
pas facile de s’en procurer. Gahindiro ainsi que son fils
et successeur les avaient reçues en cadeau, de la part des
rois de l’Usui et du Karagwe en témoignage d’amitié.
Ils s’en étaient pour ainsi dire réservé le privilège. Ce
n ’est q u’à partir de Lwabugiri qu’on vit quelques favoris
porter, eux aussi, des tissus.
Le roi, de tous ses sujets, le moins porté au misonéisme,
s’affubla pendant quelque temps d’un costume européen,
q u’il délaissa bientôt sur les conseils de son entourage.
La nouveauté choquait les idées de l’époque et l’influence
des sorciers était encore considérable.
Les parapluies eurent plus de succès. Les indigènes leur
donnèrent, à cause de leur forme arrondie, le nom de
« idjuru », c’est-à-dire ciel. Lwabugiri ne voyageait jamais
sans un de ces parasols.
Lorsqu’on le transportait en palanquin (ingobvi), selon
la mode indigène, un homme était chargé de tenir un de
ces appareils au-dessus de son visage pour le préserver
des ardeurs du soleil.
Durant un séjour q u’il fit au Kinvaga, le potentat noir
reçut une députation du célèbre Rumaliza, l’Arabe escla­
vagiste bien connu, qui avait choisi comme capitale
Tabora et avait soumis à peu près toute la côte orientale
du lac Tanganvika.
(i)
Les premiers « pagnes » ne dépassaient pas de beaucoup !a gran­
deur d’un mouchoir de priseur. Il fallait beaucoup d’ingéniosité pour
arriver à se ceindre les reins avec ces pans d’étoffe. Comme les gens de
l ’Usui ne les troquaient d’ordinaire que contre de fortes primes, les
chefs furent à peu près les seuls à porter cette sorte de vêtement — qui
seyait fort peu à leur taille au-dessus de la moyenne.

MÉM. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

li

102

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Parti d ’U jiji le célèbre m usulm an avait gagné le Nord
du lac et s’était installé pendant quelque temps à Usumbura d’où il rançonna et razzia les contrées voisines (‘).
Ayant entendu parler de Lwabugiri, mais n ’osant l’abor­
der directement, il désira entrer en rapports avec lui.
Ses envoyés rencontrèrent le roi à Kimbagiro, au-dessus
île la plaine de Bugarama, non loin de la frontière de
l’Urundi.
Ils furent bien traités par le roi qui les reçut avec hon­
neur. Parmi les nombreux cadeaux que lui envoyait
Rumaliza se trouvaient deux Anes. Le chef arabe croyait
faire plaisir au noir potentat, presque son émule en fait
d’expéditions.
I
11 pareil envoi ne pouvait manquer de produire un
effet sensationnel. Lwabugiri et ses gens, tout en ayant
entendu parler de ces animaux n ’en avaient encore jamais
vu. Aussi les deux baudets devinrent-ils l ’objet de leur
étonnement et de leur hilarité, tant l’aspect de ces bêtes
était nouveau pour eux. L ’un des deux animaux fut dévoré
par les hyènes à Sakara (Gissaka). L’autre, malgré les
efforts q u’on tenta pour l’apprivoiser, ne se laissa jamais
monter que difficilement. Il est possible aussi que les
apprentis cavaliers n ’eussent ni selle, ni bride ou n ’aient
jamais su s’en servir.
Les braiments de la bête n ’étaient pas faits non plus
pour rassurer les écuyers. On finit par la vendre aux gens
de l’Uswi qui servaient d’intermédiaires entre les rois des
deux pays et qui l’achetèrent au nom de leur maître.
Les guides et les donateurs des baudets furent désignés
I1) Rumaliza est le surnom de Mohamed-ben-Halfan, Arabe d’Ujiji opé­
rant avec l ’argent et les ressources qui lui étaient fournis par Tippo-Tip.
Rumaliza veut dire : qui ravage tout, ne laisse rien après lui, extermina­
teur. (Général baron Jacques de Dixmude.)
C’est pour avoir aidé Rumaliza à se procurer des esclaves que le
Mututsi Kiyogoma, un inconnu de la veille, finit peu à peu, grâce aux
Arabes, à prendre de l ’influence sur ses compatriotes. Il compta à partir
de ce temps parmi les principaux chefs du district d’TTsumbura dans
l ’Urundi. Il mourut en mai 1923.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

163

sous le nom de <( Abapfumura » du verbe gupfum ura,
percer, pour dire q u ’il s’agissait de gens hardis qui pénè­
trent partout.
Les ambassadeurs de Rumaliza reçurent en échange,
des peaux de loutre (ibihura, inzibyi), de colobus (inkomo), de léopard (ingwe), des pointes d’ivoire et quelques
vaches.
Mais Lwabugiri ne voulut s’engager à rien. Les députés
s’en retournèrent ne rapportant à leur prince que des
paroles de politesse et d’amitié. Lwabugiri entendait rester
maître chez lui. Il semble que les relations en soient
demeurés là. Rumaliza dut se contenter des présents du
Hamite et n ’osa jamais s’aventurer le long du fleuve de la
Russizi.
Il est à croire que la réputation du roi du Rwanda, que
l’on représentait partout comme un guerrier émérite, lui
en ait imposé et ait arrêté sa marche vers le Nord. Le
Rwanda fut ainsi sauvé des horreurs et des abominations
de l’esclavage.
On compta toutefois plusieurs marchés d’esclaves,
dans le Kingogo, au Bugoyi (à l’endroit dit du Lugerero),
dans le Kinvaga, à Ruyanza près de la Kayumbo, à
Kivumu, dans le Nduga, et à Save dans le Rwana-Mkali,
d ’où le bétail hum ain était conduit vers l’Uswi. Ces centres
ne furent jamais bien achalandés, les Banyarwanda se
montrant assez rebelles à ce genre de commerce qui leur
répugnait.
Lwabugiri toléra plus ou moins les courtiers de ce triste
négoce, mais ne s’en fit pas le protecteur officiel (J).
C’étaient les gens de l’LTswi qui avaient apporté ce
trafic dans le pays. De l’Uswi les esclaves étaient ensuite
dirigés sur Tabora et la côte pour être livrés entre les
mains des Musulmans.
Par l’entremise des Arabes ou Noirs islamisés, Lwabuf1) Quelques chefs cupides, en quête de cotonnades, se prêtaient par-ci
par-là au commerce des esclaves, mais ce fut toujours l ’exception.

164

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

giri reçut quelques-uns de ces fusils primitifs vulgairemenl appelés « Makwa >> dans toute l’Afrique équatoriale
et qui se chargeaient par le canon.
Ses ennemis s’en étaient servi contre lui, pour la pre­
mière fois, au Bunyabungu, puis dans le Nkole.
Dans une de ces expéditions, les Banyarwanda se trou­
vèrent subitement en face d’une trentaine de Noirs
habillés à l’européenne et armés d ’un fusil, qui les
mirent en joue.
Le roi et ses gens eurent la bonne inspiration de se cou­
cher à terre.
La décharge passa par-dessus leur tête. Ils se relevèrent
aussitôt pour foncer sur les tireurs qui n ’eurent pas le
temps de charger leurs armes une deuxième fois. La
débandade se m it dans les rangs de ces derniers qui
s’enfuirent en jetant leurs fusils et en laissant des morts
sur le terrain. Lwabugiri et ses gens recueillirent une
dizaine de ces armes, que les serviteurs royaux traînèrent
désormais partout comme trophée. Les fusils firent
ensuite partie des bagages de la Cour. Ils furent enfin
consumés dans l ’incendie de Ruchunchu, après la défaite
de Rutalindwa en 1896. Les porteurs de fusil auxquels
eurent affaire les Banyarwanda furent appelés, on ne sait
pourquoi « Mariane », et leurs fusils « Makoba », par
altération probablement du mot <( Makwa ».
Même durant les expéditions Lwabugiri vivait entouré
de sa Cour, au m ilieu des sorciers et des grands du
royaume, qui pour ne pas perdre les bonnes grâces du
Souverain n ’osaient pas s’éloigner.
Kabale, qui a joué un si grand rôle à la mort de Ruta­
lindwa, était un des familiers du roi qui venait d’épouser
sa sœur. Les fils aînés du monarque, Sherangabo ('),
t1) Sherangabo avait reçu de son père le gouvernement de quelques
collines dans le Buganza. C’est lui qui conduisit le comte von Gôtzen
à Kageyo. Il vécut toujours en disgrâce à la Cour. Ses malheurs le rap­
prochèrent des Européens, sans rien lui faire abandonner de ses super­
stitions auxquelles il resta profondément attaché jusqu’à sa mort (1027).

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE l)E

l ’a FRIQUE

165

Rutalindwa, Muhigirwa, suivaient aussi leur père dans
ses déplacements. Bien q u’on fut en campagne, les caba­
les, les intrigues et les complots ne cessaient d’être
fomentés par les envieux et les mécontents. Redouté de
tous à cause de sa cruauté, le terrible Hamite était haï de
son entourage immédiat. On raconte que durant l’un de
ses nombreux séjours à Nyamasheke, quelques chefs
Batutsi ourdirent une conspiration contre leur souverain.
La date en avait été fixée et tout était prêt quand un
des conjurés, un nommé Bihire, craignant d’être décou­
vert, trahit ses complices et vint révéler au roi, qui devait
être tué cette nuit même, durant son sommeil, les détails
de la machination.
Lwabugiri refusa d’abord de croire à la coupable
intrigue. Se ravisant tout a coup, il demande au dénon­
ciateur de se prêter à un dessein q u’il vient d’imaginer :
« Bihire, lui dit-il, prends ma place ce soir, occupe mon
lit, j ’irai cette nuit dormir ailleurs. N'ous jouerons ainsi
les conspirateurs, et si l’événement se produit, je saurais
que tu as dit vrai ».
Le monarque entendait par là s’assurer de la réalité du
complot et de la culpabilité des affiliés.
Il y avait également plus d’un grain de malice dans
son projet.
Aussi Bihire de s’écrier : « Que deviendront mes enfants
et mes biens, si je viens à être poignardé? »
« Ne crains rien, reprend le roi, s’il t’arrive malheur,
je suis là pour veiller sur les tiens. »
Les autres ne se doutant de rien, pénètrent aux environs
de m inuit dans la hutte royale, tombent sur Bihire q u’ils
prennent pour le roi, le percent de coups et se retirent
croyant en avoir fini avec le monarque détesté. Quel ne
fut pas leur étonnement dans la matinée. Au lieu des
clameurs et des cris d’épouvante auxquels ils s’attendaient,
nos conspirateurs déçus ne perçoivent et ne remarquent
rien d’anormal. Les employés de la Cour se livrent à leurs

166

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

occupations quotidiennes. Les courtisans, les solliciteurs
et les plaignants forment des groupes séparés devant la
première enceinte du palais et s’entretiennent paisible­
ment. Le « Ndamutsa » (tambour) annonce le lever et
l ’apparition du monarque que tout le monde vient saluer
comme à l’ordinaire.
Quelques instants après, Lwabugiri sort de l’enceinte
et se dirige vers la case du chef des conjurés, Giharamagara. Après les préambules d’usage, le roi qui cherche
un prétexte, lui demande à boire : « Je n ’ai plus de bière,
ajoute l’interpellé, il y a longtemps que je n ’ai rien reçu
de chez moi ».
« Eh bien! alors viens avec moi, je t’invite », reprend
le souverain.
Ils allaient arriver à l’entrée de la cour royale, quand
soudain le roi se retourne et perce de sa lance Giharamagara qui le suivait de près.
Le malheureux tombe noyé dans son sang. Lwabugiri
s’approche de lui, essuie sur les lèvres du mourant, son
arme ensanglantée : « .T’agis à ton égard, lui cria-t-il,
comme tu voulais le faire envers moi; je te rends la
pareille ». Nkoronko, un autre conjuré put s’enfuir du
Kinyaga.
Il fut rattrapé au Bumbogo et tué.
Nous le constaterons encore plus loin, Lwabugiri était
cruel dans ses vengeances, au dire de ses contemporains.
Mais et ceci est à remarquer, à l’encontre de ses prédé­
cesseurs ou successeurs, il ne s’en prenait jamais à une
parenté tout entière. Les frères et les Cils de ses victimes
ne furent jamais inquiétés.
Un membre de la famille pouvait être tué, ses biens
allaient à ses descendants directs. Le fils de Giharamagara,
Nyirinkwava ne fut jamais persécuté à cause de son père
et ne perdit pas la confiance du roi. Lugerinvange, petitfils de Nkoronko, devint chef de la province de Buhanga
et jouit d’un grand crédit à la Cour.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

107

Les vengeances de l ’autocrate n ’avaient pas de lende­
m ain. Il faillit être un jour la victime de ses amusements
enfantins, lorsqu’il habitait à Lwamaraba dans le Nduga.
Un soir, il prit avec lui, un de ses favoris, Lwakagevo,
fils de Gacheyeye (Mwene kitore). Après une beuverie, la
fantaisie lui vient de se mesurer avec son commensal et
ami. Lwabugiri le saisit à bras le corps et fait mine de le
frapper avec son couteau. Le favori croyant à une plaisan­
terie ne se défend d’abord que mollement. Le monarque
s’excitant de plus en plus, devient dangereux.
Lwakagevo craignant pour sa vie repousse son antago­
niste tout en respectant le plus qu’il peut la personne
du roi.
Celui-ci loin d’arrêter le jeu cruel accentue ses efforts.
LAvakageyo en désespoir de cause, s’empare de l’arme.
La vie de Lwabugiri était à la merci de son invité qui
paraissait résolu à se servir de sa supériorité, quand inter­
vint Nyirayuhi, la mère de Musinga. De la couche où elle
se trouvait, elle assistait muette à la scène, jusqu’au
moment où Lwakageyo, le bras levé, allait immoler son
époux. A l’instant, elle saute à bas du lit, se précépite sur
le malheureux partenaire q u’elle immobilise. Le royal
lutteur, libre de ses mouvements saisit le couteau et égorge
le malheureux courtisan.
C’est durant le règne de Lwabugiri-Kigeri q u’eurent
lieu, bien avant l’arrivée du comte von Gôtzen, les célèbres
prédictions, relatives à l’arrivée des Européens, l’invasion
des chiques (pulex pénétrons), l’apparition de la variole
et de la peste bovine.
Elles furent le fait d’un chef Munyiginya, nommé Nyantaba. Ayant été faussement accusé auprès de Lwabugiri,
qui n ’avait de tendresse pour personne, Nyantaba, sans
être entendu, fut conduit dans la province du Buberuka,
pour y être étranglé et jeté dans le fameux marais de
Nkonde, réservé aux grands coupables. On aconte que
Nyantaba avait supplié ses gardiens de le conduire chez

108

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

le prince parce q u ’il avait d ’importantes révélations à lui
communiquer avant de m ourir. Les bourreaux craignant
pour leur tête refusèrent en lui disant q u’il ne leur restait
q u’à accomplir leur mission, bien q u’elle leur parut
odieuse : « Le roi a commandé, il faut obéir ». C’est alors
que le condamné fit les déclarations suivantes connues
depuis lors dans tout le pays, où elles impressionnèrent
vivement les esprits : « Dites au roi, que je vais mourir
puisqu’il l’a ordonné. Je le plains, car que va-t-il advenir
de lui et de ses sujets? Des gens bien propres (imonge),
habillés comme des nouveaux mariés (abakwe) vont venir
du pays d ’en bas (baturutse igihugu gichuri) 0).
» Ils seront portés par des vaches sans cornes (rukungu) (2). Ils feront bientôt leur entrée dans le Rwanda. J ’ai
compassion de vous. Comment ferez-vous? »
Il leur annonça encore l ’invasion de petits insectes,
vulgairement nommés aujourd’hui « chiques » (pulex
pénétrons), ainsi que la variole. Il prédit ensuite la peste
bovine en termes imagés : « Dites au roi q u ’un taureau
étrange viendra avec la rapidité du vent, du pays de
Mutara (Ndorwa) et q u’il bondira au m ilieu des troupeaux
de la capitale, où il exercera de grands ravages (3).
» Dites-lui encore de ma part que dans les chemins,
l’herbe d ’en bas rejoindra en la dépassant l’herbe d’en
haut (ubgatsi bgo hepfo buzalenga ubg’aruguru). »
Nyantaba voulait dire par là que les herbes pousseront
à l’envi et se rejoindront de tous les côtés, parce qu’il n ’v
aura plus de vaches pour les brouter.
De retour à la capitale les exécuteurs se présentèrent
au roi pour lui annoncer que justice était faite. Us lui
firent part des curieuses révélations de la victime. On
(1) Le pays d’en bas désigne le Kiziba, sur le lac Victoria.
(2) Il s’agit de l ’âne, ainsi appelé.
(3) C’est un taureau de mauvais augure, qui ne peut que commettre
des dégâts, d’où son nom de taureau du vent, aux effets désastreux
« Imfizi-y’umuyaga izachugit’ inka ku Gihasha cha Gabiro (pays de
Mutara. dans le Ndorwa) yimirize Ntaruka (marais auprès de Nyanza) ».

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

109

ajoute que Lwabugiri regretta de l’avoir envoyé au trépas.
L’époque était aux révélations. Dans la province du
Mulera, un infirme nommé Bugwabiza, qui ne vivait que
d ’aumônes, se rendit également célèbre par ses prédictions
sur l’arrivée imminente des Blancs, en donna des préci­
sions que les Noirs trouvent aujourd’hui très curieuses.
« Ils viendont du pays où se lève le soleil (l’Est). Ils
arriveront portés par des animaux étranges, à forme de
lion, qui parlent... des deux côtés à la fois!!! Ces mêmes
étrangers éliront domicile sur la colline de Kabushinge,
qui deviendra leur capitale, et où les tambours résonneront
soir et matin. Ils jetteront un pont sur la rivière de la
Mukungwa; ce pont sera tellement large et solide, que les
troupeaux le traverseront sans difficulté. Ces inconnus ne
feront de mal à personne. Hommes et femmes, pauvres et
riches, tous pourront les approcher et recevront des perles
pour les porter au cou.
» Ces mêmes individus couperont l’arbre sacré à trois
troncs qui pousse sur la colline, etc., etc. »
Le prophète Bugwabiza n ’était jamais à court de pré­
dictions. Il s’en servait pour remercier ceux qui l’accueil­
laient et menacer ceux qui le congédiaient sans lui faire
l’aumône.
première vue il ne semble pas q u’il faille s’étonner
outre mesure de ces révélations.
Même avant l’arrivée du comte von Gcitzen, nombre de
Banyarwanda avaient entendu parler des Européens instal­
lés dans les contrées limitrophes.
L’invasion des « chiques », la variole, la peste bovine,
étaient plus ou moins connues et prévues; ces fléaux rava­
geaient depuis quelque temps les pays voisins, quand ils
firent leur apparition dans le Bwanda. Certains, comme
les deux personnages dont on vient de parler, surent en
tirer parti. Il est possible aussi, qu’ils aient annoncé
d ’autres événements qui ne se sont pas réalisés et que l’on
n ’ait retenu de leurs dires, qu’une infime partie des pré-

170

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

dictions qui paraissaient concorder avec ce qui arriva
effectivement.



La dernière prophétie, dans l’ordre des dates, est due à
une femme de race mutusi. On la connaissait sous le
nom de Nyiramuganuza; elle habitait dans la province du
Bgisha. Les Banyarwanda recouraient beaucoup à ses
« talents » de sorcièi’e-devineresse. A une femme m uhutu,
originaire de la province voisine du Bugoyi que Nyiramu­
ganuza rencontra fortuitement sur son chemin, elle fit
spontanément les déclarations suivantes. C’était en 1914,
quelques mois avant la grande guerre : « Mon enfant,
lui dit-elle, quand tu rentreras dans ton pays natal, les
Européens (avec leurs askaris) envahiront la forêt que tu
dois traverser. Tu te rencontreras nez à nez avec eux (avec
leurs gens) 0); on ne te fera aucun mal. Un grand conflit
va éclater et la famine, avec toutes ses horreurs, s’ensui­
vra. Mais alors, ajoute la prophétesse, tu te trouveras
avec ton mari dans un autre village (auquel tu ne songes
pas en ce moment). Un Blanc vous viendra en aide et
vous conduira dans un district où vous verrez une chose
sans nom (2). Tu mettras au monde un garçon puis une
fillette; de celle-ci, tu ne tireras aucun parti pour tes tra­
vaux (3) (elle mourra). Mes prophéties se réaliseront quand
je ne serai plus. On me tuera, je deviendrai une des vic­
times de la guerre (nzichwa n ’igitera). Vous assisterez aux
événements que je prédis. Vous tremblerez de peur
(muzanyeganvega) quand les Blancs se serviront d’arcs
auxquels vous n ’êtes pas habitués (4). .Te ne te demande,
ma fille, aucun paiement pour la consultation que je te
donne. Tu peux t’en aller ».
(1) Vous-vous rencontrez avec eux « joue à joue » tel est le sens littéral.
(2) Vous verrez une chose sans nom (igintu gitagir’ ibara). Le mari et
sa femme aperçurent en effet dans un champ une brebis qui venait de
mettre bas un petit monstre sans pattes.
(3) « Cette fillette vous ne pourrez l ’envoyer » (sous-entendu au tra­
vail, ntimuzamutuma), pour dire qu’elle mourra en bas âge.
(4)

B a z a r w a n is h ’ i m ih e t o m u ta r a b o n a -

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

171

Ce fut la fin de l’entretien. La propliétesse mourut com­
me elle l’avait annoncé, elle périt durant un engagement.
Ses prédictions s’accomplirent à la lettre, point par
point. Ceux qui furent les héros et les témoins de ce»
oracles et de leur réalisation assurent q u’ils n ’ont rien
inventé.
CHAPITRE V

Derniers épisodes du règne de Lwabugiri.
Entrevue du prince hamite avec le célèbre explorateur
allemand, le comte von Gôtzen.
Le règne de Lwabugiri fut fertile en événements sou­
vent provoqués par le prince lui-même dont l’activité était
dévorante et inlassable. Ses sujets lui donnèrent cepen­
dant plus d’une fois l’occasion de s’occuper d’eux. Ils
n ’eurent pas tous à s’en féliciter. Les Bagoyi en savent
quelque chose.
Ils ont eu de tout temps une mauvaise réputation q u’il
faut mettre au compte de leur tempérament, de leur
indiscipline, de leurs mœurs et de leur origine.
Ils sont, en effet, pour la plupart venus du Nord-Ouest
du lac Kivu et ne ressemblent guère aux Banyarwanda de
l’intérieur.
A l’époque dont nous parlons, le clan des Baligira,
gouverné par Lwerinvange, père de Ngomayombi, avait
empiété sur les possessions des Bagwabiro qui étaient
restés en faveur auprès des rois hamites, depuis leur
célèbre victoire sur les « Muets » (l). Lésés dans leurs
intérêts les Bagwabiro portèrent plainte au souverain luimême.
Lwabugiri députa au Bugoyi un de ses proches, Lwalinda fils de Bubega, petit-fils de roi.
(1) Il s’agit du célèbre épisode dit des « Muets » qui se déroula sous le
règne de Chyilima II et qui fit connaître les Bagwabiro.

172

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

L’envoyé fut mal reçu des Baligira qui l’expulsèrent
après l’avoir blessé. L ’autocrate mis au courant de ce qui
s’était passé par son ambassadeur, jura de tirer une ven­
geance éclatante de cet affront. Les insulteurs sentant
gronder l’orage sur leur tête et désireux d’apaiser la colère
royale, recueillirent des vivres et des cadeaux. Personne
ne voulait se charger de les porter à la cour. Il fallut
parlementer longtemps pour trouver des volontaires.
Lwabugiri était à sa résidence de Lwamaraba dans le
Marangara. Il refusa de recevoir les excuses des Baligira.
L’arrivée de leurs représentants ne fit que raviver le ressen­
timent du monarque.
Les envoyés eurent beau supplier et faire intervenir des
protections puissantes. Leurs efforts n ’eurent aucun
succès.
Un beau matin, les hommes du roi entourèrent le village
où avaient pris logis les Bagovi... Ceux-ci se laissèrent
égorger sans résistance et rares furent ceux qui appor­
tèrent la nouvelle du massacre à leurs compatriotes.
Los Baligira rendirent les Bagwabiro responsables de
cette hécatombe. Ils n ’osèrent pourtant pas, vu leur infé­
riorité numérique, prendre les armes contre eux et se
contentèrent de rompre toute relation avec les membres
dn clan incriminé.
Lors du dernier séjour de Lwabugiri dans l’une de ses
résidences, à l’île de d ’Idjw i (lac Kivu), qu’il avait con­
quise quelques années auparavant, les gens du pays de
Marangara avaient profité de son éloignement pour se
livrer au pillage.
On les dénonça au Souverain. Pour les punir, celui-ci
organisa une petite expédition qui alla saccager le district.
Les habitants subirent à leur tour l’invasion des troupes
qui ravagèrent leur contrée. Les chefs Batutsi eux-mêmes
qui n ’avaient pas su maintenir l’ordre furent rendus
responsables du désordre q u’ils n ’avaient pas pu ou voulu
empêcher. Le roi destitua ceux qui n ’avaient pas pris part
à la dernière campagne dans l’île d’Idjw i.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

173

Les Banyarwanda se sont désormais servi de cette date
pour fixer leurs souvenirs d’où l’expression « ku l’ invagira », c’est-à-dire l’époque du pillage. Le terrible ju s ti­
cier ne pouvait s’habituer au calme de l’existence dans
une capitale paisible. La vie des camps et les voyages
aventureux lui plaisaient davantage. On vit bientôt l’infa­
tigable prince reprendre le cours de ses campagnes.
La seule province du royaume que le grand Ruganzu
ne visita point est le Bgisha. Ses contemporains et ses
successeurs trouvèrent cet oubli de la part du roi boute­
feu tellement curieux q u’ils donnèrent à cette région le
surnom de Gisigari (gusigara, rester), c’est-à-dire le seul
pays qui n ’ait pas été parcouru par le monarque.
Quand Lwabugiri se rendit pour la première fois au lac
Albert, il traversa le Bgisha et la Rutchuru.
11 fit ensuite plusieurs séjours dans cette province. Le
village de Kayenzi possède une de ses anciennes résidences
(ikigabiro).
Le district de Jomba qui touche au Rgisha par sa limite
Nord-Est en compte deux autres, près des villages île
Mabungo et de Muganza.
Nyamuraga, le roi de Bwito, contemporain de Lwabu­
giri, pour vivre en paix avec son belliqueux voisin, fit
acte de vassalité en lui envoyant de nombreux cadeaux.
Les deux princes, croit-on, se lièrent par le pacte de
sang (kunywana) (').
S’il est vrai de dire que Lwabugiri-Kigeri passa toute sa
vie à guerroyer, il est non moins exact d’ajouter que ses
conquêtes, exception faite de la seule île d ’Idjw i, furent
(i) Dans ses expéditions au Nord-Ouest du Kivu, Lwabugiri ne ren­
contra, en règle générale, aucune résistance sérieuse, parce que les rares
habitants désignés sous le nom de « Bahunde » par les Banyarwanda
étaient répartis en une foule de petites principautés et ne se prêtaient
aucune aide mutuelle. Le prince hamite parcourut ainsi les royaumes
minuscules de Bwito, Tongo, Shari Shari, Bunyungu, Gishari, Butembo,
etc. sans éprouver de difficulté.

174

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

éphémères et ne survécurent pas à sa mort. 11 eut beau
l'aire de fréquentes visites au Bunyabungu, les habitants
de ce pays n ’acceptèrent jamais leur défaite. Le vainqueur
hamite tenta vainement de leur donner des chefs Banyar­
wanda. Ceux-ci n ’osèrent pas prolonger leur séjour dans
ce pays insoumis. De l’aveu même des Banyarwanda, on
ne réussit jamais à gagner le cœur des Banyabungu qui
défendirent avec acharnement le sol national, luttant pied
à pied, sans jamais se lasser ni se décourager.
Ils maniaient fort bien l’arc et la lance et grandes furent
les pertes qu’ils infligèrent aux envahisseurs dans les
combats et dans les embuscades. « Ceux qui furent ainsi
surpris et massacrés, ajoutent-ils, ne se comptent pas ».
(Abafashwe m piri ntibabarika). Aussi, tout en ayant
pénétré dans le pays, les Banyarwanda ne purent jamais
arriver jusqu’à la forêt de bambous devant la résistance
d ’un ennemi presque toujours insaisissable 0).
Et quand des conteurs enthousiastes assurent, dans la
chaleur du récit, « q u’on pouvait faire quatre jours de
marche en pays conquis », l ’amour de la vérité exige
q u’on fasse justice de cette exagération un peu vaniteuse.
Les limites de leur imagination ont seules été dépassées.
Les conquêtes du Ndorwa et du Nkole furent aussi
éphémères que la précédente. Lwabugiri, disent les vieux,
séjourna près de deux mois dans ce dernier pays. « Les
guerriers s’aventurèrent même si loin, ajoutent-ils, qu’ils
restèrent égarés, pendant quelques jours, ne sachant plus
quelle direction prendre pour le retour ». Là encore les
Banyarwanda eurent affaire, comme dans le Buyabungu
avec des gens armés de fusils. Ils réussirent à prendre cinq
ou six de ces armes, dont l’une était à deux canons.
t1) Un officier belge. M. Tondeur, qui s’était, aventuré avec une quin­
zaine de soldats dans les mêmes parages, y trouva une mort affreuse
en 1901 après un court combat.
Leur provision de cartouches devait être médiocre.
Assiégés et ayant usé leurs dernières cartouches, ils furent massacrés
sans merci. On fit subir au malheureux officier des mutilations hon­
teuses.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

175

Les tentatives auxquelles se livra le roi, du côté de
l ’Urundi, furent encore moins heureuses.
Seul, Choya, dont il avait épousé la sœur Mulerwa et
qui commandait la petite province du Busoni, au Nord
de l’Urundi, fit acte de vassalité, pendant quelques années.
Bien placé pour savoir que les liens de parenté ou d’amitié
ne comptaient pas beaucoup aux yeux de Lwabugiri,
l’intelligent beau-frère craignant pour sa vie, s’enfuit,
nous l’avons dit, pour ne plus revenir.
Des fils de Lwabugiri, Chyitatire est celui qui lui
ressemble le plus, disent les indigènes. Il est donc assez
facile de se représenter Lwabugiri, bien membré, avec
un léger embonpoint et de taille bien prise. De son entou­
rage, il était presque le seul à s’habiller d’étoffes (x).
Des chapelets d’amulettes (ibinure by’ ingim bu) lui
enserraient le cou. Comme ses prédécesseurs, il aimait à
se ceindre le front d’une sorte de collier auquel étaient
enfilés de petits osselets finement travaillés provenant
d’un petit animal (intimba). Les perles venaient à peine
de faire leur apparition; aussi étaient-elles rares et le roi
s’en était réservé l’usage.
Quelques bracelets de cuivre ou de fer aux bras et des
anneaux plus légers au cou-de-pied complétaient sa
parure. Curieuse et originale figure que celle de ce con­
quérant noir assoiffé de pouvoir, de conquêtes et presque
toujours en campagne. Malgré ses travers, ses défauts,
sa barbarie et sa cruauté natives, on ne peut lui dénier
beaucoup de bravoure et une grande intelligence. A peine
a-t-il reçu quelques fusils qu’il songe à les utiliser, com­
me s’ils devaient donner une grande supériorité à ses
troupes. Des gens de l’Uswi restèrent pendant quelque
temps à son service pour enseigner aux Banyarwanda le
maniement de ces nouveaux engins. Peut-être ces mêmes
individus avaient-ils été les premiers à les lui conseiller
(») Le roi et les chefs Balutsi ont une façon de se draper qui rappelle
la manière dont les Romains portaient la toge et leur donne grand air.

176

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

et à lui en procurer avant que les islamisés n ’entrassent
en rapport avec lui.
On raconte que son étonnement et sa surprise turent
extrêmes, quand près de Mbarara dans le Nkole, il se
trouva en présence d’un pont en planches construit à la
façon européenne sur une grosse rivière. Superstitieux à
l’excès, ses gens s’étaient arrêtés, ne voulant pas passer,
craignant q u’il ne leur arrive malheur. Après avoir partagé
leur crainte, Lwabugiri finit par s’écrier : « D ’autres avant
nous ont suivi ce chemin, pourquoi ne ferions-nous pas
de même? » Et il s’engage le premier sur la voie redoutée
Les survivants de l’expédition ajoutent, en y mêlant un
grain d ’hyperbole et d’exagération, que durant les deux
mois qu’ils campèrent sur place, les poutres et les planches
du pont leur servirent à se chauffer, à faire la cuisine et
q u’ils n ’arrivèrent pas à en brûler la moitié.
La première fois q u’ils rencontrèrent une maison arabe
construite en « pisé », leur anxiété et leur appréhension
furent les mêmes que devant le pont. Personne n ’osait y
pénétrer.
La curiosité l’emporta enfin. Le roi suivi de ses gens
entra à l’intérieur et considéra attentivement la disposition
des deux ou trois pièces que comprenait la petite bâtisse.
L’examen une fois terminé, le bâtiment eut un sort pareil
à celui du pont.
Pendant cette campagne, Lwabugiri eut surtout affaire
à un roi du nom de Ntare, dans la résidence duquel on
trouva des meubles européens, chaises, tables, etc. (*).
Le reste du mobilier et les provisions avaient été cachés
par les propriétaires dans les hautes herbes.
Les Banyarwanda les découvrirent et firent m ain basse
sur ce qui leur paraissait être de bonne prise.
(!) Le roi guerrier fit traîner à sa suite, dans les bagages de la Cour,
pendant quelque temps, une tente européenne.
Provenait-elle de Rumaliza ou faisait-elle partie du butin de guerre ?
Les survivants n’ont pu le dire au juste.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

177

Ils se distribuèrent le contenu de plusieurs caisses de
papier et de cahiers qui traînèrent longtemps dans les
huttes du Rwanda.
Nos pillards ignoraient l’usage de ces fournitures sco­
laires. Ces dernières faisaient peut-être partie d’un stock
de marchandises ayant appartenu à un Arabe ou à un
Noir musulmanisé installé dans le Nkole et qui s’était
sauvé à l ’approche des Banyarwanda.
D ’où la méprise des envahisseurs qui croyaient avoir
mis en fuite un Blanc (‘).
Vaincus, les habitants du Nkole ne s’étaient soumis
q u ’en apparence. Quand le vainqueur quitta le pays pour
rentrer dans ses foyers les Banyankole l’accompagnèrent
ju sq u ’à la frontière, au village de Gatsibu. Ils reçurent
alors leur congé du roi qui les engagea à aller cultiver
leurs champs, car on était à la saison des pluies. Les par­
tants promirent au souverain de rester ses fidèles sujets
et de lui apporter régulièrement l’impôt. Le ciel entendit
leurs serments, mais la bouche ne parlait pas de l’abon­
dance et encore moins de la sincérité du cœur.
Les Banyarwanda ne revirent oncques les gens du
Nkole.
La guerre, on le comprend, se faisait de part et d’autre,
d ’après les mœurs cruelles de l ’époque; tout adulte surpris,
combattant ou non, même blessé était un homme perdu.
Il n ’y avait pas de quartier. Seuls les femmes, les ado­
lescents et les enfants étaient, en règle générale, épargnés,
parce qu’on les réduisait en servitude.
On peut se demander ce que devenait le bétail humain
et quel sort était réservé aux prisonniers.
Quelques-uns furent vendus aux Baswi ou gens de
l ’Uswi qui depuis quelque temps avaient essayé de venir
s’approvisionner d’esclaves dans le Rwanda. Les autres,
(i)
Les Banyarwanda poursuivirent l’ennemi à trois ou quatre jour­
nées de marche au delà de Mbarara.
Ils se battirent surtout contre les Bahirria (Batutsi) dü Nkole.
M fiM . I n s t . R o y a l C o l o n i a l b e l g e .

'

12

178

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

de beaucoup plus nombreux, restèrent aux mains de leurs
possesseurs qui les traitaient avec hum anité. Ils faisaient
partie de la famille au titre de domestiques ou même
d’adoptés. On ne comprenait pas autrement l’esclavage
chez les Hamites. On a vu quelques-uns de ces jeunes
captifs, une fois devenus grands, recevoir leur part
d’héritage ou même prendre la succession de leur maître
dans le gouvernement d’une colline. Ainsi en fut-il pour
Kaningo, Lwanyindo dans le Budaha, et pour Lusera, à
Gitongati dans le Marangara.
Lwabugiri restait habituellement à l’arrière-garde (mu
nteko) pendant que les troupes se battaient. Les Batutsi
étaient aux premiers rangs menant le combat et allant audevant du danger. Les Bahutu qui les accompagnaient
étaient surtout chargés de ravitailler le camp, de bâtir
les abris de fortune, de traire les troupeaux qui suivaient
l’armée dans ses déplacements; ils s’occupaient, en un
mot, des services auxiliaires. Des gardiens spéciaux
convoyaient les vaches laitières pour approvisionner de
lait frais le roi et les guerriers nobles. Chacun d’entre eux
possédait en propre quelques-uns de ces animaux.
Les chèvres et les moutons recueillis dans les razzia,
servaient à l’entretien des troupes ou allaient s’ajouter à
l’avoir des chefs.
Les expéditions de Lwabugiri lui coûtèrent beaucoup
de sang.
On cite quelques familles dont presque tous les m em ­
bres furent tués les uns après les autres à la guerre.
Aussi les épouses se plaignaient-elles amèrement de ces
luttes meurtrières qui leur arrachaient leurs maris et leurs
fils. Certaines de ces campagnes furent d’une telle durée,
ajoutent les vieux, que les survivants à leur retour dans les
foyers, ne reconnaissaient plus les enfants qu’ils avaient
quittés en bas âge. Les Batutsi étant relativement peu
nombreux, par rapport au reste de la population, ce furent
surtout les Bahutu qui virent leurs rangs s’éclaircir. Beau­

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

179

coup tombèrent victimes de la guerre, sous les coups de
l’ennemi ou par suite de maladies et de privations. Les
Bahutu qui ne prirent pas part aux campagnes n ’eurent
jamais beaucoup à souffrir de la part du roi. La vie d’un
homme comptait sans doute fort peu aux yeux de celui-ci,
mais les plus exposés étaient sans contredit les Batutsi qui,
en règle générale, subirent ses caprices sanguinaires. Les
Bahutu serviles, soumis et respectueux, se tenaient à dis­
tance, tandis que les Batutsi, plus ou moins admis dans
l’intim ité du roi, de par leurs charges et leurs fonctions,
vivaient à ses côtés et restaient exposés à l’influence de
son humeur. Aussi Lwabugiri était-il redouté des grands
qui devenaient, sur de simples dénonciations, l ’objet de
ses vengeances 0).
Un rien suffisait pour q u’il semât la mort autour de lui.
Nombreux sont ceux qui perdirent la vie sous son règne.
Parmi eux on cite de grands noms de l’époque.
Lwampembge fut jeté dans le gouffre de Bayanga;
Bvezimbere fut percé d’un coup de poignard à Gashora;
Kabaka, père de Muyogoma, tomba à Nyakasozi. Muhumuza, le chef de la puissante tribu des Bagwabiro, dans le
Bugoyi, fut lié et jeté du haut du rocher de Nkuri, dans la
plaine de Lwankeri, aux pieds des volcans. Le grand-père
de Lukara. un nommé Segitande (2), eut les deux pieds
coupés. Il fut ensuite à demi enseveli dans une fourmilière
pour y être dévoré par cette espèce particulière connue
dans le pays sous le nom de Ntozi. Armés de fortes pinces,
ces animaux causent des douleurs intolérables. Aussi bien,
disent les gens du pays, le malheureux impuissant pous­
sait des hurlements affreux.
(J) Ajoutons pourtant, et c’est à son honneur, que Lwabugiri après
le combat s’occupait du transport des blessés, leur faisait donner des
soins immédiats et leur procurait ce dont ils avaient besoin. Il aimait
s’entretenir avec eux, après la bataille.
(2)
Segitande est le grand-père du fameux Lukara qui devait plus
tard assassiner le Père Loupias, supérieur de la mission de Ftwaza, qu’il
croyait de connivence avec les Batutsi.

180

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE I,’AFRIQUE

Les membres de la famille royale n ’étaient pas mieux
traités. Jaloux comme tous les égoïstes, Lwabugiri ne sup­
portait, pas q u’on admirât quelque chose en dehors de lui.
Gatchiuya, petit-fils du roi Gahindiro, passait pour avoir
de beaux enfants. L ’heureux père avait lui-même une
physionomie agréable qui attirait les regards et faisait
avantageusement parler de lui. Lwabugiri, entendant un
beau jour vanter la régularité des traits de son cousin, fut
saisi d’un violent accès de colère et de son bâton pointu,
perça la poitrine du prince qui avait eu l’irréparable m al­
heur de se trouver à ses côtés. L’infortuné ne se remit pas
de sa blessure; la gangrène se m it dans la plaie et emporta
le jalousé.
Ses deux frères Nyamwesa et Nyamahe ne furent pas
plus heureux.
Ayant entendu dire par des courtisans q u’on avait parlé
d’eux pour les faire rois à sa place, il leur fit crever les
yeux.
R en con tre

d u r o i h a m it e a v e c l e c o m t e v o n

G ô t ze n

C’est pendant son séjour à Kageyo, dans la province du
Kingogo, que le roi Lwabugiri, qui venait du Bunyabungu, eut son entrevue célèbre, en mai 1894, avec le
comte von Gôtzen qui en a relaté les incidents dans son
journal de voyage. C’était le premier Blanc qui traversait
le pays; aussi son arrivée fut-elle un événement.
Voici les quelques détails typiques que donnent au jo ur­
d’hui les témoins de cette scène mémorable.
Lwabugiri, disent-ils, ayant entendu parler de l’arrivée
prochaine de l’explorateur, avait d’abord songé à le tuer,
ne se doutant pas que le comte était armé et accom­
pagné O . Ses courtisans, Kabale, et Luharamanzi en
(i) On envoya d’abord à sa rencontre les sorciers « maüdisseurs »
(Abahenyi) dont le rôle était d’ensorceler les nouveaux venus et de pro­
voquer leur mort par les sortilèges. Les magiciens eurent beau faire

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

181

particulier, l’en dissuadèrent : « Tu ne peux pas faire m ou­
rir un être de cette espèce, il nous arriverait malheur. Son
cadavre souillerait le royaume.
» Il n ’a pas l’aspect d’un homme, il ne nous ressemble
nullement; on dirait un vrai monstre... il est tout blanc.
C’est un drôle d’étranger. Son corps est comme celui d’un
enfant qui vient de naître.
» On ne peut même pas le comparer aux albinos de
chez nous. Son aspect défie toute comparaison. On ne sait
quel nom lui donner.
» C’est un personnage dont on n ’a pas idée », etc., etc.
Les interlocuteurs continuent à discourir sur les graves
conséquences que ne manquerait pas d’entraîner la mort
d ’un tel individu (igisjmba!).
« Ce serait s’exposer, ajoutent-ils, à voir le lait des
vaches tarir, les femmes devenir stériles et les moissons
sécher sur pied; gardons-nous de répandre son sang » 0).
Le conseil fut suivi, le comte parvint sans encombre à
la capitale du Rwanda et ne remarqua rien d’anormal.
Il sentit bien quelque opposition à l’établissement de
son camp près de la résidence royale et attendit long­
temps les vivres en retard.
Von Gôtzen eut la sagesse de ne pas s’en offenser.
La renommée qui le précédait était extraordinaire. On
racontait de lui des faits prodigieux.
Au fur et à mesure q u’il portait la m ain à ses poches,
il retirait des perles qui se m ultipliaient sous ses doigts
de thaumaturge. Les vaches qu’il égorgeait et dont on
avait mangé la viande, revenaient à la vie, etc.
appel à tout leur «savoir-faire, leur science se trouva mise en défaut; ils
en furent pour leurs frais. Les étrangers échappaient à leur influence
occulte.
(>) Cha kintu ntazi, s’uwo kupfa, n ’ ikimara.
Huyu muntu assa n ’ umuntu w’ uruhinja nyina yabyay’ uwo musi,
umubü’ ulera, ntassa n ’ abandi, ntagir’inzobe kandi nka twe; n ’ ikintu
tutabonye, n ’ ikintu kitaraboneka mu Rwanda, n’umuntu w’ inzovu,
w’ inyamaswa, n’ ikinyamahanga : Ntavir’ amarasso. Agwa mu Rw'anda,
ibintu ntibyatunguka, Urwanda rukashira, ibintu bitalimbuka, etc.

182

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

Partout sur son passage, c’était ou la crainte qui provo­
quait une panique ou comme au Mulera la curiosité qui
attirait les foules sur ses pas. D ’autres, après avoir risqué
un œil, s’éloignaient aussitôt, pour éviter le mauvais sort
(bakoz’ akajisho bagahunga).
A son arrivée à Kagevo le comte se présente à Lwabugiri
et lui tend la m ain (1).
Le roi la garde entre les siennes, l’examine attentive­
ment ainsi que le poignet, d’où il repousse un peu la
manche de chemise :
« Est-ce que vous vous ressemblez tous comme cela dans
votre pays », demande Lwabugiri. « Mais oui, répond
l ’interprète Musukuma auquel le comte dicte la réponse
en souriant. Nous avons les mêmes traits ». « On m ’a dit,
reprend le roi, q u’après avoir égorgé une bête, et en avoir
fait rôtir les morceaux, la peau se remplit de nouveau et
l ’animal revient à son premier état ».
Le comte se met à rire et l’interprète explique que les
vaches égorgées par lui ont exactement le même sort que
celles que le roi et ses gens abattent, q u’elles n ’en diffèrent
en rien.
« Qu ’es-tudonc venu faire dans mon pays? Que viens-tu
y chercher? Pourquoi ne m ’as-tu pas annoncé ton arrivée
à l’avance? » ajoute le monarque intrigué.
Le guide Musukuma fait remarquer que le comte n ’a
causé de mal à personne. Il vient pour voir les volcans,
admirer la beauté du pays et s’en retourner dans son pays
par l’autre côté.
Le prince peu familiarisé avec de telles pensées en
demeura tout interdit et sans doute crut avoir affaire à
un espion.
t1) Au moment où le Comte, suivi de son escorte pénétrait dans la
première enceinte de la résidence royale, les employés de la Cour étaient
occupés à la toilette de leur maître. Kabale veut empêcher le voyageur
d’approcher, mais celui-ci le repousse et demande le roi qui s’avance
aussitôt. Parmi les personnages qui entouraient le monarque on cite
encore : Luhinankiko, Rwidegembya, Nyiriminega, Lwamuhanga, père
de Biganda et Bondoyi (Lusumbamitwe), le favori du roi.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

183

Von Gôtzen prit ensuite le roi et le conduisit dans sa
tente pour lui montrer son équipement de voyage, pen­
dant que les gens à l’extérieur se demandaient s’il n ’allait
pas arriver malheur à leur souverain.
Les soldats noirs qui formaient l’escorte de l’explora­
teur avec leur fusil sur l’épaule et des plumes à leur képi
en imposaient aux Banyarwanda. Leur costume et leur
attitude martiale servirent longtemps de thème aux
conversations.
Plusieurs attiraient l’attention par leur haute stature
(byakuze, bilebile).
En cours de route ils ne cessaient de tirer sur les gros
oiseaux et tout particulièrement sur les grues couronnées
que l’on rencontre fréquemment dans les vallées ou dans
les champs de patates.
Les coups de feu se répercutaient aux échos d’alentour,
inspirant la crainte et la terreur. La discipline des Askaris,
puis l’ordre dans lequel fut disposé le camp, firent l’adm i­
ration des Batutsi.
Sherangabo, un des fils aînés de Lwabugiri, s’était
constitué le guide de la caravane du comte.
Celui-ci l’avait rencontré non loin du fleuve de la
Kagera, dans le Buganza, à son domicile de Lwamagana.
Le jeune prince le conduisit avec son escorte près de
Kigali, pour lui faire traverser la Nyabarongo et le diriger
vers la résidence de son père. Le dernier campement fut
installé sur les bords de la rivière Satimbvi.
On devine le genre de conversation entre Sherangabo
et l’auteur de ses jours : « Comment s’y prend l’Européen
pour passer la nuit? » « Il loge tout seul dans sa tente »,
répond le fils. « A-t-il peur? » demande le roi. « Non, mais
il a un fusil à côté de lui, et nul ne peut approcher de son
camp, le soir, il y a des soldats qui veillent jusqu’au
jour » C).
(i) Le Comte reçut les surnoms de Muzungu, l ’Européen et de
« Lupari », sorte d'onomatopée dont le son de « part » rappelle le bruit
d’un coup de feu. Les détonations des fusils de la caravane avaient

184

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Les jumelles (ibigeni) du comte avaient sans nul doute
provoqué l’étonnement et l’admiration de Sherangabo, car
on l ’entendit vanter l’instrument à son père : « Avec cet
objet, lui disait-il, lu peux voir de Kageyo même (la rési­
dence du roi) tous les sujets de ton royaume ».
Le fils de Lwabugiri n ’alla pas plus loin et l’on choisit
un autre guide.
Après son entrevue avec le roi à Kageyo, le comte conti­
nuant sa route vers les volcans traversa la forêt de Rurandama (Kingogo) et vint camper sur la Sebeya (rivière) au
pied de la colline Nkuri.
Il
foulait le sol de la province du Bugoyi. Le jour sui­
vant l’explorateur dressa sa tente à Kayove, le lendemain
dans la plaine du Bwerere au bas du cratère de Ngomwa.
Les habitants du pays se présentaient en foule pour satis­
faire leur légitime curiosité.
Le quatrième jour la caravane s’arrêta dans la vallée du
Bvahi, à Chirambo, non loin du mont Ngoma.
Elle fut attaquée, au commencement de la nuit, par une
troupe de guerriers conduits par le gouverneur lui-même
de la province, Bissangwa, qui passait pour être très brave
et que pour ce motif on appelait l’ « Irrésistible » (1). Les
sorciers avaient laissé croire aux assaillants que pour
rendre inoffensifs les coups de feu, il suffisait de lancer
au-dessus de leurs têtes les fruits d’un arbuste (intobo) et
de battre un chien pour le faire hurler. Les plaintes de
la bête ainsi maltraitée étaient dans la pensée de ces p rim i­
impressionné les indigènes, d’où le qualificatif de « Lupari » donné au
chef qui la conduisait. Le terme de « Rulema », le Créateur, est celui que
les Bagoyi lui ont donné de préférence, parce que les perles (amasaro) de
l'espèce dite « imisasa » que le Comte distribuait en manière de paie­
ment paraissaient inépuisables entre ses mains. Les perles qui faisaient
leur apparition dans le pays avaient une valeur inappréciable aux yeux
des indigènes. Les Batutsi ont appelé l ’explorateur « Lwogamata » (de
deux mots : kwoga, qui signifie nager, et amata, lait). « Celui qui nage
dans le lait » pour dire que le voyageur avait bu tant de lait que tout
son être en avait pris la couleur blanche.
(i) « Mutakikwa » du verbe kudakikwa, ne pas connaître d'obstacle.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

185

tifs la reproduction imitative du bruit de la décharge et
le jet des fruits signifiait l’innocuité des balles.
On ne devait pas plus s’en préoccuper que des gémis­
sements d’un chien blessé.
Quelques salves bien nourries produisirent sur les
timides assaillants l ’effet contraire à celui qu’avaient fait
prévoir les magiciens.
Les Batutsi n ’eurent pas assez de jambes pour s’enfuir.
Ce fut une course éperdue à travers les fourrés et les blocs
de lave parsemés dans la plaine. Les Bahutu qui for­
maient l’escorte des Batutsi se débarrassèrent de leurs
charges, nattes, paniers, gourdes ou cruches de pombe,
pour aller plus vite. Bissangwa, leur commandant en chef,
se distinguait au premier rang des fuyards.
Ses gens se relayaient auprès de lui, pour le tirer à bras
le corps et le soustraire à l’atteinte des balles. Bulahanda.
un des suivants du chef fut blessé, ainsi que le frère de
Lwakadigi (*), un nommé Kiromba qui reçut un coup de
fusil au bras, blessure dont il guérit dans la suite. Le
Mutsobe Mulahangabo eut l’épaule transpercée. Luzimya
et Lwakadigi avaient suivi le général noir au combat et
n ’eurent rien de plus pressé après la première fusillade
que de mettre la forêt entre eux et les soldats du comte.
On dit que Kaningo, originaire du Nkole et devenu fils
adoptif de Lwabugiri, avait essayé de s’approcher du
voyageur blanc pour lui donner un coup de lance. Les
premières obscurités de la nuit facilitèrent la fuite des
Banyarwanda qui n ’eurent que six blessés et quatre morts
dont les Batutsi Munigantama et Munyanshoza de la pro­
vince du Bugovi. On releva le cadavre d’une femme qui
avait suivi les combattants dans l’espoir du pillage, tant
les perles que les indigènes avaient vu pour la première
t1) Ce Lwakadigi, d’origine modeste, fut choisi par Bushako pour gou­
verner la province du Bugoyi en son nom.
Après la mort de Bissangwa, la contrée échut en effet à Bushako, le
favori de la Cour.

186

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

fois entre les mains des étrangers avaient excité les convoi­
tises. Les Bagoyi comptaient sur une victoire facile et un
riche butin. Leur rêve fut cruellement déçu.
L ’embuscade avait été dressée avec l’autorisation de
Lwabugiri. A la distance où il se trouvait, le roi ne courait
aucun risque et pouvait se défendre de toute participation
à l’attaque.
L’explorateur eut vent du complot tramé contre lui et
des agissements de Bissangwa.
Celui-ci avait passé la nuit à Gisenyi; il vint au-devant
du comte, se disculpa et lui fit croire à une incursion des
Pygmées (Batwa) (*). Les agresseurs ne revinrent plus à
charge et permirent à la « bête d’Europe » de s’éloigner
tranquillement.
Von Gôtzen après avoir exploré le volcan du Nyiragongo
auquel il a laissé son nom, se rendit par la voie du lac à
l’île d’Idjw i.
Nous donnons ces renseignements et ces explications
sous toute réserve, car « qui n ’entend q u’une cloche
n ’entend qu’un son ». Le comte von Gôtzen, qui est mort
quelque temps avant la guerre, a publié en allemand le
récit de son exploration au cœur de l’Afrique.
B

é s id e n c e s

de

L

w a b u g ir i

Alors que les bouquets d’arbres qui rappellent les rési­
dences des anciens rois, commencent à se raréfier et à
disparaître sous l’usure du temps, comme c’est le cas pour
les habitations de Mibambge-Mutabazo à Buhango (près de
Bulare) ou encore pour Chyilima-Ludjugira à Nyenyeri
dans le Nduga, les bosquets qui marquent les demeures
(i)
Bissangwa devait tomber sept ou huit ans plus tard à Ishangi,
sous les balles des soldats belges qu’il avait été attaquer dans leur
camp. Sorti sain et sauf de la bagarre de Chirambo, les courtisans le
croyaient « immunisé » et l ’avaient désigné au roi Mibambge, comme
pouvant désormais affronter sans danger les coups des armes à feu.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

187

de Lwabugiri sont innombrables et en pleine croissance.
Dans le Bunyabungu, il en eut au moins deux, trois
dans le Kinyaga (à Mwururu, à Biti et à Nyamasheke).
Ngeri dans le Nyaruguru, Gisseke, Mwurire et Lussagara
dans le Bwana-Mkale furent habités par lui, ainsi que Mata,
Lwamabare, Ntosho (Kaganza) et Nyamagana, dans le
Nduga. Nous avons déjà parlé de Kageyo dans le Kingogo.
II faut citer encore Nyanza dans le Buyaga, Gatsibu sur la
frontière du Ndorwa; Bgeramvura, Mwulire, Lwamagana
et Zinga dans le Buganza; Gituza dans le Bgiriri; Rugenge
dans le Bugessera, etc.
Chaque case habitée par lui, en cours de route, devenait
désormais interdite aux profanes. Abandonnée par les
propriétaires, elle tombait bientôt en ruine, mais les
arbres qui formaient l’enceinte de la cour continuaient
à grandir et donnaient naissance à un nouveau bosquet
royal (ikigabiro).
Dans la province centrale du Nduga, qui est toute d é n u ­
dée, parce que l’incendie annuel des hautes herbes y brûle
les plants et les semences des arbres; l’existence de ces
bouquets impressionne favorablement l’œil O). Le regard
se repose agréablement sur ces tapis de verdure qui rom ­
pent la monotonie du paysage.
L is t e

des

p r in c ip a u x

f il s

de

L w o g e r a -Mu t a r a

(2)

1° Lwabugiri-Kigeri, son successeur.
2° Lwabilinda, qui avait reçu le gouvernement de la
(') Grâce aux mesures prises par l’administration et aux distributions
de semences, semences d’eucalyptus surtout, faites par les missions, le
pays çà et là change d’aspect et commence à se reboiser peu à peu.
Les indigènes apprécient beaucoup l ’eucalyptus à cause de sa crois­
sance rapide et de la qualité de son bois que les tarets (imungu) n ’at­
taquent point, exception faite de l’espèce dite « maculata ».
(2)
Parmi les nombreuses femmes de Lwogera-Mutara il y en a trois
qui sont mortes à un âge avancé :
Mukorwa, décédée en 1910 à Munini;
Sekarubera, décédée en 1913 au Budaha;
Massayissa, décédée en 1916 à Save.

188

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

province du Kinyaga. Il en fut dépouillé dans la suite au
profit de Rwidegembya. On lui a laissé une petite posses­
sion à Lukanura.
3° Nyamwesa, eut les yeux crevés sur l’ordre de son
frère Lwabugiri.
4° Nyamahe, eut le même sort.
5° Lukangamiheto. Craignant pour sa vie, il s’était
tout d’abord enfui à l’Urundi, d ’où il est revenu en 1920.
6° Kanyangemwe. Il fut pillé, comme le précédent, à
l’avènement de Musinga au trône, et s’enfuit à l’Urundi,
où il mourut presque aussitôt de la tuberculose.
7° Bichundamabano, que l’on croit mort de la variole.
8° Nyiramukesha, une fille.
P r o v in c e s

du

R w anda

ou

e x is t e n t

encore

L E S DESCENDANTS DES A N C IE N S R O IT E L E T S (D E R A C E M U H U T U ,
c ’ e s t -a -d i r e

b a n t o u ).

B u k o n v a ......................Nord-Ouest.
Luhengeri
. . . .
Idem.
B u h o m a ......................
Idem.
B u s h i r u ......................
Idem.
B u g a m b a ......................
Idem.
K i n g o g o ......................
Idem.
B u d a h a ......................
Idem.
B g is h a z a ......................(Lubengera).
B u k u n z i ......................(dans le Kinvaga).
B u s o z o ......................(dans le Kinyaga).
Marangara
. . . .
(dynastie des Nkoma) (*).

(*) Il est fort possible que les faiseurs de pluie de Bussigi soient les
descendants d’un autre de ces anciens roitelets.
On se souvient que Ruganzu II Ndori détruisit un grand nombre de
ces principautés minuscules, celles du Burwe, de Risi, de Huyi, de
Muhanga, de Rugara, etc.
Le plus grand de ces princes fut sans contredit le fameux Mashira
qui commandait à presque tout le Nduga et le Ndiza. Il fut vaincu par
un des ancêtres de Ruganzu, le roi Mibambge-Mutabazi, quelques années
après la défaite des Ranyoro.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

L is t e

des

p r in c ip a u x

f il s

de

189

L w a b u g ir i.

1° Rutalindwa-Mibambge, l’héritier désigné, ne régna
que peu de temps et perdit la vie à Ruchunchu en 1896.
2° Muhigirwa, chef de la province du Nyaruguru. 11
se suicida, à Nkima, six ou sept mois après l’affaire de
Ruchunchu (Nduga). Un de ses fils fut mis à mort, les
deux autres furent laissés en paix.
3° Sharangabo, chef d’une partie du Ruganza, vécut
toujours dans la disgrâce depuis le drame de Ruchunchu.
4° Ghyitatire, celui qui ressemblait le plus à son père:
on lui laissa l’administration de la province du BwanaMkali. Il passa sa vie à l ’écart de la cour. Nvirayuhi, la
reine-mère, ne pouvait le souffrir.
5° Nshozamihigo, mort le 5 décembre 1915. Il possé­
dait presque tout le Marangara.
6° Karara, m ourut avec son frère Rutalindwa à
Ruchunchu. Il laissait deux filles qui ne furent pas
inquiétées.
7° Muligo, tué à Ruchunchu au moment où il s’apprê­
tait à passer dans le camp des Rega.
8° Raryinyonza. Rien q u’il eut pris parti pour Musinga, l ’oncle et la mère de celui-ci le firent jeter quelque
temps après dans le gouffre du Rugessera. Il reste de lui
une fille.
9° Rurabvo, tout jeune encore défendit vaillament son
frère Rutalindwa. Il put rejoindre son autre frère M uhi­
girwa. Ayant été fait prisonnier dans la suite, on le préci­
pita dans le susdit gouffre.
10° Nyindo, chef du Bufumbiro, est mort en 1918.
11° Yuhi-Musinga, le roi actuel.

190

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

O ncles

m aternels

de

l ’a FRIQUE

Y u h i -M u s in g a .

Par sa mère Kanjogera-Nyirayuhi, Musinga est petitfils du Mwega Lwakagara. Celui-ci était frère de la reinemère Nyiramavugo. Lwakagara, entre autres fils, eut :
1° Giharamagara, tué par Lwabugiri.
2° Kabale, mort en 1912. C’est lui qui a mis Musinga,
son neveu, sur le trône. Il a laissé deux fils, dont l’aîné,
Nyantaba, est mort de la poitrine en 1924.
3° Chyigenza, frère utérin de Nyirayuhi et père de
Rwidegembya.
4° Banzabigwi, père de Kaoyndo.
5° Luhinankiko, celui des oncles du roi dont la dis­
grâce fut la plus longue (*). Dépouillé de ses biens, pour
avoir fait égorger inhumainement la famille de Lutishereka, ami et frère de sang du puissant Kabale, il dut
s’enfuir à l’Urundi.
6° Nyamushanga, mort depuis longtemps.
7° Lwibishenga qui n ’a pas joué un grand rôle dans
l ’histoire. 11 mourut en 1924 à Musumbga (Marangara) et
fut enterré, en sa qualité de Mwega, dans le Budaha, qui
est depuis de longues années, un fief des Batutsi-Bega.
V ic t im e s

de

L w a b u g ir i.

1° Mugeni, reine du Bunyabungu, morte étranglée
dans l’île d ’Idjw i.
2" Gatabirurwa, prince-consort, mari de la précédente.
3° Kahe"o, roi de l’île d’Idjw i, avec deux de ses fem­
mes, Mwalikakiko, Mwalijambo, et trois ou quatre de ses
fils, dont Nkundiye.
4° Bugi, fils de B ujuri, chef du Ndorwa.
(!) On faillit lui crever les yeux, en même temps qu’à Kayijuka. La
reine-mère s’y opposa formellement.
C’était une peine assez fréquente. Lwabugiri en avait usé souvent.
Il en fut de même au début du règne de Musinga.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

191

5° Nyamunyomoka, fils de Muvunyi, le roitelet du
Buhunde (ou Butembo).
6° Les deux frères consanguins de Lwabugiri, Nyamwesa et Nyamahe auxquels il fit crever les yeux, pour que
nul ne soit tenté de les faire roi à sa place.
7° Gatchinya, un de ses cousins (petit-fils de Gahindiro) dont il jalousait la beauté et la popularité et qu'il
perça d’un coup de bâton.
8° Une de ses femmes, Nvambibi (mère de Nshozam ihigo et de Mtdigo), qu’il surprit à porter des charmes
pour reconquérir ses faveurs.
9° Sangano, du pays du Bgishaza, qui en sa qualité
de sorcier avait donné des charmes à la précédente et avait
tenté de s’opposer aux préférences royales.
10° Luzirabgoba, chef de Ruri, qui eut les yeux crevés.
11° Muhumuza, chef de la puissante tribu des Bagwa­
biro, dans le Bugoyi. On le précipita du haut du rocher
de Nkuri, non loin de Lwankeri, aux pieds des volcans.
12° Segitande, le grand-père du fameux Lukara auquel
on coupa les pieds. Il fut ensuite enfoui jusqu’à mi-corps
dans un nid de fourmis rouges (intozi). Les hurlements
de la victime s’entendirent au loin.
13° Giharamagara, Nkoronko et Bihire, les trois conju­
rés qui avaient voulu attenter à sa vie, à Nyamasheke dans
le Kinyaga.
14° Le malheureux favori Lwakageyo, qui mourut vic­
time des caprices d’enfant du monarque, à Lwamaraba
(Marangara).
15° Byezimbere q u’il perça de son sabre à Gashora.
16° Kabaka, le père de Muyogoma, q u’il fit mourir à
Nyagasozi.
17° Lwampembge, un autre de ses chefs qui fut jeté
dans le gouffre du Bugessera.
18° Nyantaba, le prophète qu’on précipita dans le
marais du Buberuka (m uli Nkonde).
19° Une de ses tantes paternelles qui périt à Lwesero,

192

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

dans le Nduga, où il était allé tirer vengeance des Abagereka, soupçonnés d’avoir causé, par leurs'ensorcellements,
la mort de son père Mutara-Lwogera.
20° A Lwamaraba (Nduga) il ordonna la mort des Bali­
gira de Kinyanzovu (village de la province du Buguyi)
parce q u’ils avaient refusé de recevoir un de ses messagers
Lwalinda et l’avaient même blessé 0).
21° Lwatambuga, homme de confiance de Lwampembge (cousin du roi) et chef des « Abashakamba », fut
dépecé vivant, sous les yeux du prince, au milieu des
chiens qui happaient les morceaux à même sur le corps
du supplicié. Il avait été accusé d’avoir rapporté à son
maître que le monarque voulait le mettre à mort.
22° Un certain Bidàga eut le même sort à Lwamaraba.
sur de fausses dénonciations.
23° A Ngeri, dans le Bungwe, Katebera fils de Nkundive et donc petit-fils du roitelet de l’île d’Idjw i, Kabego.
fut atrocement égorgé par Lwabugiri lui-même.
Mal conseillé, le pauvre jeune homme avait compté à
tort sur l’indulgence du vainqueur, auquel il était venu
faire la cour. Il fut aussitôt lié et couché sur un manche
de pioche afin que les lances puissent plus facilement
traverser la poitrine de l’infortuné jeune homme.
Il mourut en poussant des plaintes déchirantes, tandis
que le monarque, appuyant sa lance sur sa victime pante­
lante entonnait un chant de guerre (ikyivugo).
24° Lwankuba, un Mushi de Nsuro (au Nord du lac
Kivu), fut égorgé comme le précédent.
25° Nyiramaloba, une autre de ses épouses, celle même
qui avait donné le jour à Rutalindwa (l’héritier du trône)
et à son frère Kamarashavu, fut tuée sur les ordres de son

-(>). Les Bagoyi étaient toujours restés un peu indépendants et fron­
deurs vis-à-vis de l’autorité royale. Les Baligira manifestèrent égale­
ment leur hostilité contre les Blancs et tuèrent un soldat noir et un
catéchiste en 1002. La pendaison de Ngomayomhi leur chef, à Kigali, en
1912 leur inspira une saine terreur.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

193

royal époux, dans le Bulembo, pour avoir mal parlé de
la reine-mère.
Elle appartenait au clan des <( Bakono » et avait été
mariée tout d ’abord à Kabale.
26° Nyiraburunga, sœur de la précédente et comme
elle, femme du roi, subit le même sort.
Elle avait eu deux fils de Lwabugiri, Barvinyonza et
Karara.
27° Luhangara, fils de Bvaterana, fut mis à mort à
Nyamasheke (dans le Kinyaga).
Pendant que la cour se trouvait à Ngeri dans le BungweNvaruguru, il fit mourir, on ne sait pour quel motif, les
personnages suivants, presque tous grands chefs et de
race Mu h dsi :
28° Katebera.
29° Luchampunzi du clan des « Abosha ».
30° Bigwabichinze du clan des « Banyiginya ».
31° Sekaragwenyera, père de Nyanjwenge.
32° Gashagaza, un cousin germain de Luharamanzi.
33° Ndwanvi.
34° Luhirika, chef de la province du Busanza et père de
Kabango (1).
f

E x p é d it io n s

de

L w a b u g ir i.

1° 11 débuta par l’expédition traditionnelle de Rusokovu, pour y venger son ancêtre Ndahiro et recevoir en
même temps le baptême de feu. (Cf. Histoire d’un règne,
Livre troisième.)
f1) Citons pour mémoire la foule des humbles et des inconnus qui
périrent pour avoir fait attendre le fougueux et impatient monarque.
Leur seul crime avait été de n ’avoir pas apporté à temps, à la suite de
circonstances souvent indépendantes de leur volonté, les vivres et les
pots de bière réclamés à chacun pour la maison du roi. Le trou ou préci­
pice de Bayanga dans la forêt du Bugessera, à proximité de la résidence
royale servit dé dernière demeure à nombre de malheureux condamnés
pour ce retard.
m em

. in s t . r o t a l Co l o n ia l b e l g e .

13

194

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

2° En compagnie de sa mère Nyirakigeri, qui devait
mourir tragiquement plus tard, il va s’installer dans le
Kinyaga, à la pointe de la presqu’île de Nyamirundi. De
là, il fait une première descente, dans l’île d’Idjw i. 11
devait y aller quatre fois.
Nkundiye y disputait le trône à son père Kabego. Lwa­
bugiri fut pris pour arbitre. Cette dispute de famille
l’attira dans l’île, d’où il ne sortit plus. Presque tous les
membres de la famille royale périrent de mort violente.
Le loup était entré dans la bergerie, les victimes furent
nombreuses.
Rwanyunga, un courtisan de Lwabugiri, tua le roi
Kabego.
Les femmes de celui-ci, Mwalikakiko, Mwalijambo, et
trois de ses fils eurent le même sort.
»

Nkundiye, l’aîné, put s’enfuir tout d’abord, mais quel­
que temps après il fut surpris et mis à mort dans l’ilôt
d ’Ishovu.
3° Comme les sorciers avaient fait courir le bruit que
Mutara-Lwogera, son père avait été ensorcelé par le clan
des Abagereka, Lwabugiri se rendit chez eux à Lwesero
et en fit une hécatombe. Sa tante maternelle, qui appar­
tenait à cette famille, ne trouva pas grâce devant les
meurtriers.
4° De Gatsibu, où il avait construit une nouvelle rési­
dence, il se rendit dans le Ndorwa, chez un certain
Luhama, dont il pilla les troupeaux.
5° Un peu plus tard l ’infatigable guerrier envahit le
petit pays du Bugiri (Kabale) dans le Ndorwa et tua le
chef, Bugi, fils de B ujuri.
6° Luzigama, un chef de l’Urundi (Mulito) eut ensuite
sa visite.
7° Pour la première fois, il tente de passer le fleuve
de la Bussizi, dans le dessein d’envahir le Bunyabungu. 11
y essuie un vrai désastre où périt la fleur de la jeunesse

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

195

Mututsi, Nyamushanja, Nyirimigabo, Rwanyunga, etc.
Il devait y retourner encore trois fois.
8° Le Ndorwa l’attire de nouveau. Les districts appelés
Bumpaka et Bushengero, dont le chef se nommait Mutana,
sont ravagés et pillés par ses guerriers.
9° Les troupes se dirigent encore une fois dans le
Ndorwa, à Buhinda (rwa Kajari).
10° On remonte ensuite vers le Nord-Ouest, chez
Muvunyi, roi du Butembo dont le pays est incendié et
razzié.
11° Après une deuxième expédition dans le Bunyabungu, aussi malheureuse que la première, on réussit
enfin à la troisième, à prendre pied dans le pays.
12° Aussitôt après le passage du comte von Gôtzen,
Lwabugiri quitte sa résidence de Kageyo (dans le Kingogo)
pour aller porter la guerre dans le Nkole, au roi Ntare.
L’expédition ne dut pas durer plus de deux mois.
13° A peine de retour, il repart pour la quatrième fois
au Bunyabungu où il est surpris par la mort au village
de Kiranga, sur la Russizi.

CHAPITRE VI

L’époque contemporaine.
Le coup d’Etat de Ruchunchu et le triomphe des Bega.
L’avènement de Yuhi IV Musinga (1896 ou 1897).
37° M ibam bge IV R u t a l i n d w a , f i l s d u ‘ p r é c é d e n t ,
NE R É G N A

q u ’u n e

AN NEE A P E IN E .

Le nom de Mibambge IV Rutalindwa n ’est pas compris
dans la liste dynastique officielle. Dans les chants et récits
indigènes, il n ’est jamais fait allusion à l’infortuné prince.
Le drame dont il devint la victime est de date récente;
ceux qui lui enlevèrent le trône et la vie ne sont pas
encore tous morts. Bardes, annalistes, gardiens des tradi­
tions et seigneurs de la cour en parlent le moins souvent,

196

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a I-'RIQUE

pour pouvoir, avec l’appui du temps, consacrer la légiti­
mité du fait accompli.
Rutalindwa se trouvait à Ngeri, dans la province de
Nyaruguru, quand il fut désigné par son père pour lui
succéder sur le trône.
Encore jeune prince, il avait des mœurs très douces et
répugnait à verser le sang. Lwabugiri le chérissait et les
courtisans le tenaient en grande estime. Après la mort du
roi qu’il avait accompagné au Bunvabungu, il fut reconnu
sans peine par ses frères et prit le nom de Mibambge.
Revenu dans le Nduga, il chercha longtemps un lieu pro­
pice pour y établir sa capitale. Les quelques mois de règne
du jeune roi se passèrent à voyager à travers le royaume.
Après avoir visité successivement Gatovu, Nyundo (Ntenvo) le Bumbago, puis Nyamagana et Giseke, il s’arrêta
enfin à Ruchunchu, à proximité d ’une ancienne résidence
de Lwabugiri.
C’est durant l’année q u’il resta au pouvoir (1896) que
Rissangwa fut envoyé avec des troupes à Ishangi, au SudEst du lac Kivu, pour y attaquer le poste de soldats belges
qui s’y trouvait installé depuis quelque temps.
Le roi et les nobles avaient pris ombrage du voisinage
de ces étrangers. Ils craignaient de leur part une invasion
prochaine du Rwanda.
Les Congolais avaient à leur tête un officier belge,
M. Sandrart, dont le savoir-faire et la bravoure surent tirer
parti de la situation critique dans laquelle il aurait pu se
trouver si la panique s’était emparée de ses hommes.
De nombreux chefs Ratutsi, Nshozamihigo, Bwidegembva, etc., accompagnaient le général (umugabe) noir,
Rissangwa, avec lequel le lecteur a déjà fait connaissance.
Les soldats qui s’étaient abrités derrière une forte palis­
sade, les laissèrent s’approcher sans donner signe de vie.
Croyant avoir affaire à des gens démoralisés, les Banyar­
wanda s’élancent à l’assaut du camp.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

197

Les miliciens, au commandement de leur chef, font une
décharge générale.
De nombreux assaillants mordirent la poussière.
Les autres, dont la plupart entendaient les fusils pour
la première fois, s’enfuirent affolés, perdant la tête (*).
Bissangwa s’agite et veut rallier ses gens : « Ne partez
pas, revenez à l’attaque »... leur criait-il, quand soudain
une balle le frappe en plein front. 11 tomba raide mort. Ce
fut alors une course éperdue à travers les bananeries. Les
soldats sortant de leur redoute poursuivirent les Banyar­
wanda un instant. Parmi les morts on compta de grands
noms de l’époque : Nkwaya, fils aîné de Kanuma, Luzigana, Bikobe, Lwangampuhwe, etc. Quant à Bissangwa.
il fut amèrement regretté. Il n ’est pas rare, tant son souve­
nir est resté vivace, d’entendre dire, par manière de ser­
ment : « Que je sois l’Européen qui a tué Bissangwa...
si je ne dis pas la vérité » (Mkaba um uzungu wishe
Bissangwa).
Le règne du nouveau prince ne commençait pas sous
d’heureux auspices. D ’autre part, Mibambge se voyant
fermer la porte du Bunyabungu, dut abandonner ses
projets d’extension dans cette province toujours am bi­
tionnée. Au reste, s’il en eut aucun, la mort qui le guettait
ne lui laissa pas le temps de le réaliser.
Privé de bonne heure de sa mère naturelle (elle avait été
tuée, on s’en souvient, sur l’ordre de son irascible mari),
le nouveau roi choisit comme mère officielle, conformé­
ment à la coutume, une des femmes de son père, Kanzo(>) On ajoute plaisamment et c’est l ’écho de la rumeur publique, que
Rwidegembya eut tellement peur qu’il couvrit en moins de deux jours
les cent quarante kilomètres qui le séparaient de la province du Nduga
et que pour la première fois de sa vie, il but de l ’eau en cours de route.
Le surnom de « Lupari » a été donné à M. Sandrart, pour les mêmes
raisons qu’au Comte von Gôtzen. Les Banyarwanda imposent volontiers
ce nom à leurs enfants, comme porte-bonheur et comme garantie d’une
longue vie, parce qu’ils estiment les Européens plus immunisés que les
Noirs contre les mauvais sorts, les maladies et la mort.

198

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

géra, dont le fils Musinga, né aux environs de 1883, allait
bientôt le supplanter sur le trône. Kanzogera appartenait
au clan des Bega et avait pour frère Kabale dont l’ambition
était ardente et inassouvie. Le choix de sa sœur comme
reine-mère, favorisa le plan q u’il avait conçu de renverser
Rutalindwa et de le remplacer par son neveu Musinga.
C ’est surtout pendant le séjour de la cour à Kianja (Lwoga)
que Kabale m ûrit son dessein. Luhinankiko, son frère,
Lutishereka et Lukagirashamba du clan des Batsobe
étaient du complot. Ils étaient soutenus par de nombreux
partisans. Mibambge comptait, lui aussi, bien des amis et
des clients.
On dit q u ’il eut vent de la chose; mis au courant des
menées ténébreuses de Kabale, il ne sut pas prendre les
mesures q u’exigeaient les circonstances.
D ’autres disent q u’il était d’un caractère doux et faible
et q u’il ne put se résigner à faire m ourir Kabale, comme
on lui conseillait.
Il n ’ignorait pas du reste la force du camp opposé qui
comprenait le clan des Bega uni à celui des Batsobe. Quant
à Kabale, il se tenait sur ses gardes et était toujours prêt
à donner le signal de la révolte.
Il ne cessa de payer d ’audace et il eut la bonne fortune
de réussir. Déjà à Ntenyo, puis à Gisseke, car il suivait le
roi dans ses déplacements, il avait failli donner le signal
de l ’insurrection. Rutalindwa ne pouvait plus mettre en
doute l’existence de la conspiration. Pour essayer de
désarmer son rival, le jeune monarque, qui était alors à
Nyundo (Nduga), lui livra un de ses courtisans, le gou­
verneur du Gissaka, Mugugu, fils de Shumbusho. Kabale,
qui nourrissait depuis bien longtemps des projets sangui­
naires à l’endroit de cet ennemi, le m it à mort à Bulima.
Le sang appelle le sang. Cet assassinat, loin de calmer
l’ambitieux Mwega, ne fit q u ’exciter ses désirs encore
inassouvis. La Cour venait de se transporter au Bumbogo.
Kabale s’empara en cachette d’un favori de Rutalindwa.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

199

Il s’appelait Sehene (fils de Lugombituri) et était le frère
de Bissangwa, déjà tombé à Ishangi.
On l’égorgea dans la hutte même qui servait d’habitation
au frère de la reine-mère. Comme l’infortuné transpercé
de lances poussait des cris perçants, les meurtriers le
prirent à la gorge et l’étranglèrent de sang-froid (l).
Pour dissimuler le cadavre, on creusa une fosse dans la
case qui avait été le théâtre du meurtre.
Il périt, croit-on, parce que son frère Bissangwa, mis
par Kabale au courant de la conjuration, avait refusé d’v
entrer. Ne pouvant s’en prendre à un défunt on se vengeait
sur un de ses proches.
Le roi n ’osa pas inquiéter les auteurs de ce crime.
Le complot devait enfin éclater. La cour se trouvait à
Ruchunchu, près d’une ancienne habitation de Lwabu­
giri. On dit que Rutalindwa avait l’intention de s’établir
dans les environs. Il demeurait en attendant dans des
huttes d’emprunt (gusembera), avec sa suite.
Il advint donc q u’un jour, vers les quatre ou cinq heures
du soir, une querelle s’éleva entre des enfants qui jouaient
ensemble (2).
Leurs cris assourdissants attirèrent l’attention des voi­
sins qui voulaient les faire taire. Kabale, qui était à la
recherche d’une occasion, profite du désordre pour crier
aux siens que le moment est venu et donne le signal du
combat. Les flèches tombèrent sur la capitale. 11 n ’était pas
difficile de comprendre qu’on avait affaire aux conjurés.
On s’v attendait depuis longtemps. Les amis de Ruta­
lindwa courent aux armes, font face à l’ennemi et le com­
bat s'engage.
Les fidèles se défendent vigoureusement et repoussent
même les assaillants qui commencent à fuir. La fortune
(*) On compte parmi les assassins, Karubambana, le père de Kanlmba;
Sebaganji chef de Luhande dans le Bwana- Mkali, Ndaruhutse dont les
fils habitent à Cheza et un Muhutu de nom Shirubute.
(2)
Ils se jetaient de ces sortes de fruits-fleurs que l’on trouve sur
chaque régime de banane (umwanana ou ichyanana).

200

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

trahissait le parti de Kabale. Les agresseurs débandés
reculaient. Certains d ’entre eux parlaient même de s’entretuer. Surviennent alors Lwamanywa, gouverneur (umutvvare w’intebe) du Budaha, et Luniga, le chef du clan des
« maudisseurs » (Abahenyi), qui, avec leurs gens, prennent
fait et cause pour Kabale, renforçant ainsi les rangs des
émeutiers. Les partisans du révolté se voyant près de la
victoire redoublent d’efforts.
La partie est dès lors perdue pour Rutalindwa et les
siens. Épuisés par la lutte, décimés, ils perdent courage,
cèdent du terrain et se dispersent.
Voyant q u’il n ’y avait plus d’espoir, Rutalindwa, refoulé
dans son habitation provisoire avec les quelques fidèles
qui le suivent y embrasse, de concert avec eux, une réso­
lution extrême.
Le feu est mis aux cases qui sont groupées les unes
contre les autres.
Pour ne pas être brûlés vivants, ils s’entre-égorgèrent
les uns les autres (*).
Périrent avec le malheureux roi, sa femme Kanvunga
(fille de Bushako) et ses trois fils, Nyamuheshera, Sekarongoro et Lwagira.
Muligo, dont le frère Nshozamihigo se trouvait dans le
camp opposé, essaya de s’enfuir; on ne lui en laissa pas le
temps. Bigirimana, le cousin de Mibambge, lui porta un
coup mortel; après quoi il se tua à son tour, en compagnie
de Karara, frère du monarque déchu.
On était à la fin de novembre (ou au commencement de
décembre) à l ’époque où les haricots commencent à m ûrir
(ku rugarvi rw’ibishyimbo).
Le combat dura près de deux heures, pendant que tom ­
bait une petite pluie, et cessa à la nuit, au moment où les
bêtes rentrent au kraal (ku rutaha rw’inka).
(i) On raconte encore que les huttes furent incendiées de loin par les
partisans de Kabale qui lançaient des flèches auxquelles ils avaient fixé
des brandons enflammés.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

201

Nombreux furent les morts de la journée. Avec les
cadavres du prince et de sa famille on retrouva, au m ilieu
des cendres, plus ou moins carbonisés ceux de Kibaba,
Lutikanga, Luterizilinzi, Njangwe, Nyamuganza, Mubumbyi, etc. Leurs restes servirent de pâture aux oiseaux de
proie et aux hyènes. Un fils de Bissangwa périt aussi
dans la lutte; l’autre réussit à s’enfuir au Gissaka, où il se
suicida à la nouvelle des vengeances et des représailles
exercées contre ceux qui passaient pour être les amis ou
les partisans du pouvoir tombé.
La voie était ouverte aux immolations.
11 se lit des coupes sombres parm i les membres de la
puissante famille des Banyiginva qui, jusque-là, avait par­
tagé le pouvoir avec le roi et avait détenu le gouvernement
des plus grandes provinces.
Les vainqueurs abusèrent étrangement de leur victoire.
Les Bega et les Batsobe se montrèrent sans pitié pour
les vaincus.
La cruauté des bourreaux dépassa toutes les bornes.
On cite le cas d’un malheureux (Shamabga) qui fut dépecé
vivant au m ilieu d’une meute de chiens happant, à même
la victime, les morceaux de chair que, par une barbarie
raffinée, on ne détachait pas complètement du corps du
supplicié.
Un autre (Rutalindagira) suppliait qu’on ne le fit pas
souffrir et q u’on l’achevât d’un coup bien porté. Il est
frappé d’un violent coup d’herminette qui lui emporta la
moitié de la figure comprenant la peau du front, le nez
et la bouche jusqu’au gosier. Laissé dans cet état, il resta
abandonné aux rires et aux insultes d’une vile populace,
pendant les deux jours que dura son martyre et son agonie.
Nyabakonjo, chef du Bgishaza, eut le corps cerclé de
fil de fer qui pénétra dans les chairs en lui causant des
douleurs indicibles.
Lwamanywa, l’homme de confiance de Muhigirwa, fut
pris dans le Buliza, alors qu’il s’enfuyait, par un de ses

20 2

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

faux amis, Biganda (Umusiete), qui l’attira dans un guetapens. On l’accusait d ’avoir tué, sur l’instigation de son
maître, Nyamashaza, le propre frère de Nyirayuhi.
Ses gardes de corps le conduisirent auprès de cette der­
nière qui l’engageait à regretter son acte, à renier le passé
et à accepter le nouveau régime : « Je te prends à mon
service et sous ma protection, lui disait-elle. Tu devien­
dras mon homme-lige. Tu recevras en retour de ton obé­
dience des vaches et des collines. Tes ennemis ne pour­
ront rien contre toi. Ils envieront ton sort. Tu seras comblé
d’honneurs. Veux-tu te soumettre? » Le prisonnier, qui
savait fort bien le cas q u’il fallait faire de telles promesses
pour le moins mensongères, s’y refusa obstinément en
faisant montre du plus grand courage. Il fut martyrisé
durant cinq longues journées. Une seule plainte s’échappa
de ses lèvres au début de son emprisonnement. Les sbires
auxquels il avait été confié s’étaient donné toute licence à
son égard. Les liens qui lui enserraient les bras derrière
le dos commençaient à pénétrer dans les chairs : « Je vais
mourir (ngiye guhenuka) », fit-il. Un des assistants, ému
de compassion, lui offrit un peu d’eau.
Il ne prit pas autre chose durant son long et épouvan­
table supplice.
Conduit chaque m atin en présence de la reine-mère, on
inventait pour lui de nouveaux tourments. Tout en le
piquant avec la pointe de leurs lances ou de leurs sabres,
les bourreaux se gardaient de le faire m ourir trop vite.
On aiguisa des broches faites de bois de bambou pour
les enfoncer sous les ongles des pieds et des mains (gucliinyira mu nzara) de la victime. Par un raffinement de
cruauté, les tortionnaires essayaient de briser dans la plaie
la pointe de la broche. Il fallut s’y prendre plus d’une fois,
mais aucun doigt de pied ou de m ain ne fut oublié. Tous
les jours 011 découpait des lambeaux de chair, aux endroits
les plus sensibles, avec le mépris le plus total des règles
de la pudeur.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

203

Le lecteur devine les souffrances atroces du supplicié.
Celui-ci était renfermé le soir dans sa prison. Il implora
vainement ses gardiens pour obtenir le coup de grâce.
Les ordres étaient précis et sévères; il fallait que le droit
de vengeance exercé par la reine-mère fût poussé jusqu’à
sa dernière limite. Le captif essaya de se jeter sur les
armes des gardes, ceux-ci prirent leurs mesures pour
écarter les tentatives de suicide du prisonnier.
Vers le cinquième jour, il apparut évident que Lwamanywa ne tarderait pas à rendre le dernier soupir. Pour en
finir avec lui, les bourreaux reçurent l ’ordre de lui couper
les mains et les pieds et d’abandonner le cadavre aux
hyènes.
Malgré de si cruelles souffrances, l ’infortuné ne cessa
de protester jusqu’au bout de son dévoûment pour Ruta­
lindwa et Muhigirwa : « S’ils revenaient à la vie, je me
mettrais à leur suite et nous recommencerions le combat. »
Ce furent aussi ses dernières paroles.
Rukwavu, le propre frère de Lwamanywa, ne pouvait
échapper à la fatalité qui l’attendait. Il est livré à son tour.
Ses ennemis lui passent une corde autour du ventre... et
serrent ju squ’à ce que mort s’ensuive.
.
Il fallut moins d’une heure pour arriver à ce résultat.
Muhigirwa n ’était déjà plus de ce monde. Kabale était
allé l’attaquer dans le Nyaruguru. C’était en 1897, à la fin
de ju in ou au commencement de juillet (m uli kamena) (x).
Le Régent entama des négociations avec les partisans
de son rival. Elles durèrent près de quinze jours. Il ne fut
pas difficile de débaucher les amis et les administrés de
Muhigirwa dont la cause était perdue. Sa morgue hautaine
le faisait détester de tous.
Aussi le vainqueur de Ruchunchu n ’eut pas besoin de
quitter son camp de Mwurire.
t1) Le sorgho était mûr, racontent les indigènes, mais la moisson
n ’était pas encore commencée. Il y eut même à cette époque de fortes
pluies qui compromirent les récoltes.

204

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Muhigirwa, suivi de quelques-uns de ses gens, s’était
installé à Nkima, aux pieds de la montagne de Huyi.
Les soldats de Kabale vont l ’en déloger un matin, vers
les 10 heures, et le blessent d’une flèche au genou.
Se voyant en petit nombre, les hommes de Muhigirwa
se sauvent et abandonnent leur chef. Celui-ci essaie de
faire quelques pas; son genou le fait souffrir, il est dans
l ’impossibilité de fuir. Les ennemis le serrent de près.
Un Mutwa de sa suite q u’il avait supplié de lui ôter la
vie, oppose un refus absolu à sa demande. Le terrain allait
en déclinant. Il prend sa lance, la fixe en terre et se jette
sur elle pour échapper aux mains des poursuivants
(yisonga m u m utim a).
Les partisans de Kabale ne relevèrent qu’un cadavre.
L’arme avait transpercé le cœur. Cela se passait au village
de Mpungwe, près de Nkima, à l’endroit appelé Muyogoro.
Pour créer des difficultés à Kabale et à son parti, M uhi­
girwa, aussitôt après l’affaire de Ruchunchu, avait pro­
clamé roi son fils aîné, M uhungurisoni, à peine âgé de
onze à douze ans.
Ap rès la mort tragique de son père, le pauvre petit est
conduit à Kamonyi chez la reine-mère (sa grand-mère par
alliance).
On l’interroge sur la manière dont il a exercé sa royauté
éphémère; le jeune captif répond comme un enfant.
Hélas! son âge et son innocence ne lui firent pas trouver
grâce devant les fauteurs de la révolution. Il fut con­
damné, bien que petit-fils du défunt roi Lwabugiri et
neveu du souverain nouvellement élu, à perdre la vie.
Comme on estimait peu noble de verser directement son
sang, à cause de sa haute origine, les bourreaux le prirent
à bras-le-corps et le jetèrent sur des lances fixées en terre,
dans un terrain qui allait en pente 0).
(i) D’après une autre version il est raconté que ce sinistre projet ne
fut pas exécuté, on se contenta de précipiter l ’enfant dans le gouffre du
Bugessera.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

205

On se rappelle que Bigirimana, un des principaux
défenseurs de Rutalindwa, avait assassiné à Ruchunchu,
le frère de Nshozamihigo, nommé Muligo, au moment où
ce dernier tentait de quitter le camp. La reine-mère, qui
affectionnait tout particulièrement ce jeune homme, en
éprouva un grand chagrin et une violente colère.
Dès le lendemain on lui amena le fils du meurtrier, un
enfant de dix à onze ans.
Nyirayuhi prend aussitôt un sabre et de ses propres
mains, ajoutent les Noirs, égorge le petit garçon, pour
venger la mort de son favori.
Kabale et son frère Luhinankiko se montrèrent im p i­
toyables à l’égard de ceux q u’ils croyaient être défavo­
rables au nouveau régime. Mais comme cela arrive pres­
que toujours en pareil cas, ils ne furent pas longtemps
d’accord sur le choix des victimes. Ils en vinrent bientôt
à se disputer, parce que l’un voulait arracher à la mort
celui qui y avait été condamné par l’autre.
Le dissentiment finit par éclater et se changea en
féroce inimitié.
Luhinankiko désirait sauver Raryinyonza, un des fils
de Lwabugiri. « Non, répondait Lutishereka, l’homme de
confiance de Kabale qui agissait de connivence avec son
maître, le royaume est en péril par le fait de cet individu;
il faut qu’il meure. » Raryinyonza fut étranglé, puis jeté
dans le gouffre du Bugessera.
Luhinankiko est pris de rage à cette nouvelle. Il profite
d’une absence de Kabale, fait attaquer Lutishereka qui est
transpercé de coups de lance et extermine sa famille.
Kabale, à son tour, veut venger son favori. Luhinankiko, pour échapper à la colère de son frère, dut s’enfuir
à l’Urundi, où il passa une quinzaine d ’années dans l’exil.
Ne pouvant s’en prendre à un absent, Kabale exerça ses
représailles sur les amis et les parents de Luhinankiko.
Chaka, le gendre de ce dernier, puis Sebuharara, Bulinda,
Kaningo sont attaqués successivement à leurs domiciles
respectifs.

206

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Ne pouvant échapper au sort qui les attend, ils se brûlent
dans leurs huttes (').
C’était à qui se surpasserait en férocité. Les excès des
Bega continuèrent ju squ’au jo ur où les Européens purent
s’installer définitivement dans le pays.
Les Banyiginya, si forts et si puissants autrefois, ne sont
plus que l’ombre d’eux-mêmes et doivent à la venue des
Blancs de n ’avoir pas été exterminés.
38° Y u iii IV — M u s in g a .
Ap rès le coup d’état de Ruchunchu, Musinga, le protégé
de Kabale, fut proclamé roi sous le nom de Y uhi IV. C’était
en l'année 1896. Né dans le Budaha, pendant que Lwabu­
giri, son père, était en expédition, il avait environ douze
ans quand il monta sur le trône.
Sa mère et son oncle Kabale exercèrent la régence pen­
dant sa minorité. Curieuse figure que celle du Régent.
Sans vouloir justifier sa conduite, on peut dire que la
nature l’avait grandement pourvu de ressources d ’initia­
tive et énergie. Sa sœur ayant eu un enfant du roi Lwabu­
giri, pourquoi n ’essayerait-il pas d’élever son neveu au
trône : Fortuna audaces juvat, Kabale n ’était pas homme
à reculer devant une révolution de palais pour substituer
son neveu au prince régnant. Les obstacles et les diffi­
cultés ne l ’effrayaient pas. Tout en suivant dans ses dépla(l )
La pitié trouvait place quelquefois dans ces actes de cruauté. On
raconte que le puissant Kabale avait condamné un Muhutu, accusé
d’avoir proféré contre lui des menaces de mort. Les Batwa prirent le
malheureux et lui coupèrent les mains et les pieds. La nuit qui suivit,
un des hommes de Kabale, s’approche de l ’endroit où gisait la victime...
Celui-ci entendant du bruit demande : « Qui est là ? »
L’autre contrefaisant sa voix, se donne pour un proche parent : « Ap­
porte-moi des patates, dit le mutilé, car j ’ai grand faim. » Le serviteur
va raconter la chose à Kabale qui ordonne en riant de satisfaire au désir
du quémandeur.
On s’empressa de lui donner à manger; il fallut lui mettre la nourri­
ture à la bouche... Il ne mourut que le surlendemain.

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

207

cements Rutalindwa-Mibambge, il ne négligea rien pour
arriver à ses fins.
Le complot fut organisé froidement et de longue main.
On a vu que l’occasion de se démasquer complètement
naquit du fait le plus fortuit en apparence. Bien que plus
ou moins prévu, l ’événement surprit de part et d’autre.
Les gens de Rutalindwa ayant l’avantage du nombre et de
la cohésion gagnaient du terrain. Le combat tournait
contre Kabale.
Les habitants des collines voisines accouraient de tous
côtés au bruit de la bataille. C’est alors que l’instigateur
de la conjuration s’empare de son neveu, l’élève au-dessus
de sa tête et s’adressant à la foule : « Voici le roi que nous
a laissé Lwabugiri. C’est lui q u’il a désigné en mourant.
Il s’appelle Yuhi. Rutalindwa est un intrus qui ambitionne
le trône. »
Il fait nuit, on ne sait plus où l’on en est. Au lieu d’aller
rejoindre les troupes de Mibambge-Rutalindwa, comme
c’était leur intention, les nouveaux arrivants s’égarent et
vont grossir, malgré eux, les rangs des adversaires. Le
dénoûment approchait.
Lwamanywa, chef du Budaha, et Luniga, chef du Ndiza,
arrivaient au pas de course avec leurs montagnards déci­
dés. Le feu et la fumée qui s’élevèrent bientôt au-dessus
des huttes royales, pendant que les ténèbres de la nuit
s’éclairaient de lueurs sinistres, annoncèrent bientôt que
tout était fini.
La victoire restait à Kabale.
Ses amis venaient se lamenter auprès de lu i de ce que
l’incendie de Ruchunchu avait consumé le trésor royal,
ainsi que les tambours, y compris le fameux tambourinpalladium connu sous le nom de Kalinga.
« Le roi est trouvé, il nous reste. Quant au tambour,
il n ’est pas difficile d’en faire un autre » (Hagum’

208

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

umwaini, ingom ’ irabàzwa), s’écria le Régent dans
l’ivresse du triomphe.
<( Tout Kabale est dans cette parole » (Mgr Classe).
Le principal était fait, le reste est accessoire.
Le vainqueur de Ruchunchu demeura puissant jusqu’au
jour où il m ourut (1912) d’une violente fièvre (amasseke)
à Gisanzi, dans le Bwana-Mkali 0).
Ce n’est q u’à partir de 1908 que le nouveau roi Musinga
commença à faire parler de lui, tout en restant sous la
tutelle de sa mère, qui exerce encore une grande influence
sur lui.
Les augures n ’étant pas favorables pour le choix d’une
capitale, la cour fut longtemps instable. Elle vécut suc­
cessivement à Lwamiko, à Runda, à Kamonyi, à Gitwiko,
à Mukingo, à Bgeramvura et à Mwima.
Pendant que la Cour séjournait à Gitwiko, von Behring,
venu par le Mpororo et le Ndorwa et qui visitait alors son
district, demanda naturellement à voir le jeune roi; on
était en 1898.
Comme les Européens inspiraient encore la plus vive
défiance, les grands lui présentèrent en lieu et place du
prince un certain Mparamugamba, le fils d’un petit chef
de Lukaza. Pour ce qui est de la reine-mère, elle est restée
longtemps impénétrable aux regards de ces « étrangers
au corps semblable à celui d’un enfant qui vient de
naître » (Um ubili ulera n ’ umwana w ’ uruhinja). Ce n ’est
qu’en 1917, grâce au m ajor Declerck, q u’elle a consenti à
les recevoir, ce qui n ’était pas peu déroger à ses habitudes.
Depuis environ 1900, le roi est installé avec sa Cour à
Nyanza, q u’il n ’a quitté à partir de 1920 que pour aller
voir les missions voisines de Save et de Kabgayi..., ce qui,
à l’époque, était faire un grand pas dans la voie du
progrès. On se rappelle que Kabale avait imposé à son
(!) On croit que le célèbre régent succomba à la dysenterie. Comme
il s’agit d’un grand personnage, les Banyarwanda taisent par politesse
et par discrétion la cause de sa mort.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

209

neveu le nom de Yuhi comme présage d’une carrière paci­
fique. 11 s’opposait à celui de Kigeri, qui signifie règne
de guerre et de conquête. En vertu d’une ancienne cou­
tume, ce titre impose au roi du Rwanda l’obligation de
demeurer dans l’intérieur du cercle formé par la Nyabarongo et l’Akanyaru. C’était fermer au monarque le che­
m in des longs voyages en même temps que l’ère des cam­
pagnes meurtrières.
11 y a quelques années, c’était au début de l’administra­
tion belge, on jeta sur la Nyabarongo, en aval de Kigali,
un pont en bois qui fut emporté par la crue du fleuve,
à la grande joie de la Cour. On im puta l’heureux événe­
ment aux faiseurs de pluie.
Les indigènes crurent, en effet, que les sorciers avaient
fait droit au désir et à la demande du roi lui-même qui
craignait que les Rlancs ne l’obligent à passer le fleuve
pour se rendre à la Résidence de Kigali.
En 1929, les autorités belges réussirent à décider le
prince à voyager à travers son royaume et cela au grand
étonnement des Banyarwanda, qui connaissaient parfaite­
ment l’existence du tabou spécial attaché au nom de Yuhi.
Le bruit courut bientôt que les sorciers de la capitale
avaient tourné la difficulté par le moyen d’une originale
fiction.
Musinga en cours de route n ’était plus, d’après une
savante interprétation, le roi officiel Yuhi. Il ne lui restait
plus que le rôle de tuteur du vrai monarque, un de ses
propres fils, décoré pour la circonstance du titre royal de
Mutara, vocable qui n ’impose aucune servitude au déten­
teur de ce nom.
Musinga, accompagné du jeune prince, peut donc fran­
chir les fleuves im puném ent. Cette substitution mentale
lui permet de passer outre à la prohibition constitution­
nelle et de jouir, en sa qualité de simple régent, de tous
les avantages et de tous les privilèges royaux.
MKm . in s t . R o y a l c o l o n ia l B e l g e .

14

21 0

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Le petit Mutara, âgé à peine d’une douzaine d’années
et trop jeune pour régner d’une façon effective, ne
« parade » que dans l ’esprit du père et des sorciers.
Musinga, en vertu de la fonction q u’il s’est attribuée,
échappe à tout danger et continue à recevoir les honneurs
princiers. C’est à lu i que s’adressent les délégations des
provinces et que vont les dons et les cadeaux. Il tranche
les litiges et traite des affaires du royaume, sans que le
public ait à connaître le tour simpliste qui lui a permis
d ’abandonner son titre royal d’une manière fictive et
provisoire (*).
On reproche au souverain actuel une grande déprava­
tion de mœurs. Il y a certainement une part de vérité dans
ce que racontent les habitants de la capitale.
Deux expéditions marquèrent le début du nouveau
règne. Les Bakiga (montagnards) du Nord-Est et du NordOuest, c’est-à-dire les Bagoyi et les Bassigi qui avaient
souvent regimbé contre le jo ug des Batutsi- profitèrent de
l’arrivée au trône du nouveau titulaire pour entrer en
effervescence. Ils se soustrayèrent aux corvées et refu­
sèrent délibérément de payer les impôts en nature que les
gouverneurs de province (abatware b’intebe) faisaient
lever en leur nom par des subalternes (2). Il fallut réunir
plusieurs corps d ’armée (imitwe ou ibitero) pour soumettre
les résistances. Lukagirashamba (3), chef du clan des
Batsobe parcourut le Luhanga et le Bussigi, les armes à la
m ain. On était en 1898. Les guerriers mirent à feu et à

(J) Nous ne garantissons pas l ’authenticité de cette rumeur. La con­
ception est toutefois digne du monarque et de ses confidents habituels.
Il n’y aurait pas lieu de s’étonner que de pareilles extravagances aient
pu germer dans leur cerveau. On peut ajouter que la créance populaire
dans le sujet qui nous occupe justifie le proverbe d’ancien style qui dit
qu’il n’y a pas de fumée sans feu ou de poudre sans fumée.
(2) Les grands chefs Batutsi allaient rarement dans leurs provinces et
vivaient presque toujours à la Cour.
(3) Lukagirashamba est mort à un âge avancé en 1924. Il était tombé
en enfance depuis plusieurs années.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

211

sang la contrée rebelle. Les dirigeants voulaient faire un
exemple qui impressionna vivement les Bahutu récalci­
trants. Les assaillants se retirèrent en emmenant du butin
et des esclaves.
Les vaincus gardèrent un mauvais souvenir de l’expé­
dition et se vengèrent des Batsobe en incendiant leurs
habitations lors de la révolte de Ndungutse, en qui ils
voyaient un sauveur.
Les Bagoyi eurent leur tour à la même époque.
Ils avaient refusé de reconnaître le nouveau régime en
rompant toute relation avec la capitale. Après le coup
d’Ëtat de Ruchunchu, un partisan du roi déchu s’était
enfui au Bugoyi. Il était le fils de Ntamati, s’appelait Sebakara et appartenait à la race hamite. Lwamigabo, chef du
village de Gihinga, le reçut à son foyer et subit son
influence. L’exilé engagea son hôte à se soustraire à l ’obé­
dience du prince illégitime qu’une révolution sanglante
venait de mettre sur le trône : « Il viendra bientôt, ajou­
tait le témoin de la scène tragique, un nouveau roi qui
portera le nom de Bilegeya. Attendez son avènement. »
Le mouvement de protestation contre le régime s’étendit
bientôt à travers le Bugoyi. Les indigènes ne fournirent
plus d’impôt, ni de prestations. Les Bega vainqueurs se
décidèrent à faire la guerre aux opposants. Deux corps
d’armée envahirent le pays par le Nord et par le Sud-Est.
Un Munviginya, Serugi (fils de Bihutu et petit-fils de
Nkusi) du village de Mpuski commandait le premier
groupe.
Il quitta le Kingogo, mais ne put pénétrer dans le
Bugoyi. Les Bahutu et les Batwa allèrent le surprendre à
la sortie de la forêt et lui tuèrent une douzaine d’hommes.
La panique éclata dans les rangs des envahisseurs qui
rebroussèrent chemin, entraînant avec eux leur comman­
dant.
Bwidegembya, avec ses guerriers connus sous le nom

212

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

symbolique de « Nkemba » (brigands de profession), vint
par le Bgisliaza, K inunu et le Gishwati, en bordure du
lac.
11 était guidé par des Bagoyi transfuges, les Bahigo qui
étaient bien vus à la Cour, à cause de leur chef et parent,
un autre Bihutu dont la réputation de sorcier était solide­
ment établie à la Cour.
Pour ne pas être confondus avec les Bagoyi q u’on venait
châtier, il avait été convenu que les membres du clan
des Baliigo ne sortiraient pas de leurs villages sans un
signe distinctif. Les troupes furent prévenues que les
indigènes qui circuleraient dans le pays ou à travers le
camp portant au cou une tige de la plante « umwishwa »
et une marque de craie blanche sur le front ne seraient
pas inquiétés.
Les soldats devaient respecter leurs personnes et leurs
biens. 11 y eut des malentendus et des méprises tragiques
dont furent victimes des Bahigo isolés qui s’aventurèrent
trop loin ou ne furent pas avertis à temps par leurs congé­
nères.
Les guerriers s’avancèrent rapidement, ne rencontrant
aucun obstacle. Les Bahutu, au lieu de s’entendre et de
faire front com m un contre l’armée du Sud-Est, fuyaient
à toutes jambes et allaient se cacher. Beaucoup cherchèrent
un refuge au Kibati, sur les pentes du volcan Nyiragongo
et dans les grottes profondes du Bwerere. Ceux qui avaient
des parents ou des amis dans la province voisine du Bgisha
y attendirent en paix la fin de la tourmente. On égorgea
sans pitié les infortunés qui furent surpris ou n ’avaient
pu se sauver à temps.
Les assaillants razzièrent la contrée et firent prisonniers
les femmes et les enfants pour les vendre comme esclaves
aux gens de l’Uswi. On cite des atrocités. Des malheu­
reuses femmes sur le point de devenir mères tombèrent
entre les mains du parti ennemi. Leur état n ’inspira

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

213

aucune pitié aux brutes qui les transpercèrent de coups de
lance : « Elles n ’enfanteront désormais plus d’ennemis »,
s’écriaient en ricanant les bourreaux. Ce ne furent heu­
reusement que des cas isolés.
Un Muhutu Semabenga, père de Sebikolera et chef du
village de Rwankomo, n ’avait rien à se reprocher. Il vint
au-devant des agresseurs et voulut parlementer avec eux.
Il fut tué sans avoir eu le temps de s’expliquer.
Rwidegembya agissait pour le compte de son parent et
allié Rushako, gouverneur de la province du Bugoyi, et
qui était resté auprès du roi.
On était en octobre ou novembre. Les haricots étaient
en fleurs sur les rives du Kivu. Les envahisseurs détrui­
sirent en partie ce q u’ils ne purent consommer.
Rushako, auquel appartenait le fief du Rugovi, crai­
gnant qu’une trop grande dévastation ne nuisit à ses
intérêts, intervint pour limiter le théâtre des opérations
militaires et réussit ensuite à faire rappeler les troupes qui
appauvrissaient le pays.
Cette invasion arrivait juste après une forte disette dont
les Ragoyi avaient souffert. La pluie ayant fait défaut
durant le dernier trimestre qui avait précédé l’arrivée des
Nkemba, les semences ne levèrent pas. La récolte fut à peu
près nulle. Les plus pauvres essayèrent en pure perte de
manger les fibres desséchées des racines (impanda ou
inkuri) de bananiers. La guerre qui suivit ne contribua
pas à ramener l’aisance dans les foyers dévastés (1).
Les Ragoyi ont donné à cette famine le nom de Nyamabara, c’est-à-dire « la famine des plaques » (ou des cou­
leurs) parce que, à la suite du manque de nourriture, la
peau des misérables s’était desséchée et ratatinée, ce qui
donnait à ces malheureux un aspect minable.

(i)
Ces deux événements sont restés, dans l ’histoire locale du Bugoyi,
des dates tragiques dont les anciens n ’ont pas perdu le souvenir.

214

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Le fléau de la faim avail, hélas! fait son apparition plus
d ’une fois dans la contrée. Dans leurs récits et dans leurs
conversations les Bagoyi parlent encore de la famine dite
tle l’époque des Bagereka, de celle qui fut occasionnée par
l'arrivée des sauterelles et d’une troisième qu’on appela
fort improprement la disette des patates.
Le première (urwa Bugereka) est rattachée au souvenir
d ’un événement politique qui s’était déroulé dans une
autre province du Bwanda. La légende qui a pris le nom
des personnages (Abagereka) mis en cause bien que
conservée par les bardes indigènes reste très obscure. On
ignore le m otif qui a dicté aux Bagoyi le choix de ce
terme pour désigner une des calamités dont ils pâtirent
La deuxième famine (urwa Bu/.ige) doit son nom à une
invasion de criquets, comme l’indique le sens étymolo­
gique du terme employé.
La disette des patates fut ainsi désignée (urwa Kajumba)
parce que les Bagoyi, à court de vivres, allèrent acheter
des patates dans la province voisine du Kingogo qui, à ce
moment-là, était abondamment pourvue de ces tubercules.
Une autre famine plus récente que celles dont on vient
de parler éprouva les habitants de la région au commen­
cement du règne de Lwabugiri (Kigeri IV). Des orages
diluviens compromirent la récolte de sorgho. Les pauvres
se trouvèrent réduits à manger une plante à tiges ram­
pantes q u’ils faisaient cuire en guise d’épinards. Le nom
de cette herbe ibigembegembe ou son d im inutif akagembegembe sert à désigner cette triste époque.
L’imprévoyance des Noirs est proverbiale. 11 n ’est pas
une province du Rwanda qui n ’ait eu à souffrir une fois
ou l’autre des atteintes et des affres de ce terrible fléau.
Disettes ou famines ont reçu une appellation qui en
indique la date ou les circonstances. On entend souvent
parler de 1’ « époque du soleil » (ku kazuba), de la cala­
mité qui a fait retirer de leur cachette les plus modestes

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

215

bouts de fer (akamanur’imbaba) et cela pour les échanger
contre un peu de nourriture. Il est aussi question de la
saison du « fil de fer » (urwa gakwege) ainsi nommée
parce que les indigènes se serrèrent la ceinture à cette
occasion.
La plus désastreuse des famines est sans contredit celle
qui éclata lors de la grande guerre durant les tragiques
années 1917 et 1918. Elle porte un surnom original qui
demande une explication. Les askaris et les porteurs
venant de l’intérieur du Congo n ’entendaient en traver­
sant le Bugoyi à cette triste époque, que les mots de cha­
parder, voler, piller, en runyarwanda « gusahura ». Dans
leur ignorance de la langue ils crurent comprendre Sandruma. Le mot resta, il est devenu historique.
Le fléau de la faim fut directement provoqué par la
conflagration européenne qui eut son contre-coup en
Afrique et sur le Kivu. Des combats continuels eurent lieu
au Bugoyi durant plus d’un an et demi, entre les troupes
belges et allemandes. Il fallait des vivres pour nourrir tout
ce monde qui se battait et mangeait. Les habitants livrè­
rent leurs semences; les derniers champs furent razziés.
Les bananeries avaient été coupées pour supprimer les
surprises et les embuscades. On devine ce qui s’ensui­
vit (’). Les Bagoyi semèrent de leurs cadavres les sentiers
qui conduisaient à la périphérie de leur province. Répu­
gnant à quitter le sol natal et déjà affaiblis par de longs
jeûnes, beaucoup tombèrent avant d ’avoir pu atteindre
les contrées voisines plus favorisées. Les survivants furent
encore décimés par la variole et la cérébro-spinale. Avant
que les secours pussent être organisés méthodiquement.
(!) Les gens de la montagne avaient réussi à ensemencer leurs champs
et comptaient sur une récolte suffisante. Ils furent impuissants à con­
server le fruit de leurs sueurs et de leurs travaux. Les riches proprié­
taires de troupeaux résistèrent seuls à la tourmente et n’eurent pas
à émigrer. Grâce à leurs champs de patates, les Bahigo purent aussi en
grand nombre se river au sol du Bugoyi.

216

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

il disparut certainement plus d’un tiers de la population,
qui, d’après certaines estimations, comptait environ
120,000 âmes avant la guerre. Huit ans après cette grande
épreuve, on ne recensait pas plus de 65,000 habitants (‘).
Au moment où l’arrivée de von Behring faisait sensa­
tion, comme autrefois celle du comte von Gôtzen, un petit
groupe de révoltés belges pénétrait dans le Rwanda par
le Nord-Ouest.
Ils étaient sous la conduite d’un sergent noir, surnommé
« Kigufi », c’est-à-dire le Courtaud. Ils traversèrent le
Mulera, le Bugoyi, le Budaha, penant de force tout ce dont
ils avaient besoin et atteignirent le fleuve de la Kagera
à l ’Est, où ils livrèrent leurs armes à un officier allemand.
Le règne de Musinga fut encore témoin d’un événement
qui faillit être la contre-partie du coup d’état de Ruchun­
chu. C’était en 1912.
Un prétendant nommé Ndungutse-Bilegeya (2) fit son
apparition et se donna comme l ’héritier légitime de la
couronne.
D ’où venait-il? Qui était-il au juste? Etait-il fils de
Rutalindwa ou de Lwabugiri?
On ne l’a jamais bien su. Le bruit a toutefois couru
après coup qu'il ressemblait étrangement à un individu
qui vivait dans la province du Gissaka et q u’on n’a plus
revu depuis cette date. Parmi les partisans de la première
heure, nul ne songea à lu i demander ses titres. Il venait
en Sauveur et en Libérateur. Cela suffisait amplement.
Une tradition en cours dans les pays du Nord annonçait
la venue prochaine d’un libérateur qui aurait pour mis(!) Les émigrés ne sont pas tous revenus. Il est difficile de savoir leur
nombre.
(2)
Une version en cours dans le Rwanda fait de Ndungutse un simple
général chargé de mettre sur le trône Bilenga (un personnage que nous
croyons fictif) donné comme fils d’une princesse du Ndorwa, Nyiragahumuza et de Kigeri IV Lwabugiri.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE i/AFRIQUE

217

sion de ramener l’abondance et la paix. Ndungutse parut
être le héros en question. L ’ùge d’or allait recommencer
avec lui. Le prétendant sut habilement exploiter la situa­
tion et profiter des circonstances.
Les excès des Bega avaient, en effet, révolté les Banyarwanda. Les malheurs immérités de Rutalindwa étaient
encore l’objet de plus d ’une conversation secrète. Les
nouveaux chefs installés par le parti vainqueur à la place
des Banyiginya n’avaient songé q u’à s’enrichir du travail
et des troupeaux de leurs administrés en prélevant bien
au delà de la dîme.
Leur joug était abhorré, on le subissait à contre cœur.
L ’arrivée de Ndungutse se répandit comme une traînée
de poudre. On connut bientôt son programme. Des émis­
saires parcoururent le pays en son nom annonçant q u’il
n ’en voulait qu’aux Bega et aux Batsobe, qui avaient ren­
versé Rutalindwa.
C’était pour le venger q u’il s’était levé. Quant aux
Bahutu, ils pouvaient compter sur lui. 11 supprimerait
entre autres corvées, celles qui déplaisaient le plus aux
Bahutu et q u’on désignait sous le nom de « ubuletwa ».
Les promesses de tout ordre étaient nombreuses et allé­
chantes. En peu de temps le Nord fut gagné à sa cause.
Le vengeur des Banyiginya avait établi son camp et sa
Cour, au delà du Kibali, à proximité du Buberuka et du
Bukonya.
Les montagnards (Abakiga) lui .firent une garde d’hon­
neur, se constituèrent ses défenseurs et ses partisans. Un
village se fonda auprès de lui. Le mouvement sédition naire s’étendit bientôt dans les régions voisines.
Le Mulera, le Bukonya, le Kibali, le Buberuka, une
partie du Bumbogo, les villages attachés aux flancs de la
double chaîne de Luhanga et de Bussigi se donnèrent à
Ndungutse. Les Bega et les Batsobe ne se sentant plus en
sûreté partirent aussitôt, abandonnant leurs biens qui

218

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

furent pillés et leurs habitations auxquelles les révoltés
mirent le feu : « Prenez leurs biens, mais respectez leur
personne », tel était le mot d’ordre.
Dans le reste du pays on était à l’affût des événements
et partout on faisait des vœux pour la prompte arrivée
de Ndungutse. De grands chefs, lui envoyaient en cachette
des cadeaux, pour se concilier ses bonnes grâces, dans le
cas où il réussirait (l).
Les Batutsi jaloux de leur indépendance et voulant
faire quelque chose par eux-mêmes, avaient cru tout
d ’abord pouvoir arriver à bout de la révolte.
Les différents chefs de province, suivis d ’une longue
queue de Bahutu apparurent un m atin, suivant la chaîne
du Luhanga. A cette vue, les Bakiga ou gens de la m on­
tagne, débouchèrent de toutes parts, armés de lances el
de flèches et se groupèrent en masse faisant front à l’en­
nemi. Cette barrière vivante, faite de centaines de corps
humains était à renverser si l’on voulait arriver ju squ’à
Ndungutse. Quelques flèches furent tirées, mais les nobles
jugeant la partie inégale prirent le parti de se retirer
après avoir livré un semblant de bataille. La cause de
Musinga était certainement perdue, si le gouvernement
de la Colonie, pour éviter les désordres que ne pouvait
(') Tandis que la nouvelle du sauveur venu se répandait au loin et
lui gagnait des adhérents, Ndungutse s’informait discrètement auprès
des missions de l ’attitude éventuelle que prendrait à son égard le gou­
vernement de la colonie. C’est au cours de ces pourparlers à distance
avec la mission de Rwaza que le prétendant désireux de se concilier
l ’appui des Européens, arrêta Lukara (le meurtrier du regretté P. Loupias) qui s’était mis dès la première heure au service du libérateur.
Confié à deux soldats noire en patrouille, il fut livré aux autorités. Le
procès suivit son coure ordinaire. L’assassin fut condamné à être pendu
au milieu des siens. Arrivé au lieu du supplice, le monstre altéré de
sang ne voulant pas mourir seul, saisit de ses deux mains liées par
devant, la baïonnette du sergent indigène qui le précédait et plus rapide
que l ’éclair, la lui enfonça entre les deux épaules. Le bandit roula
à terre, criblé de balles, après avoir encore tenté une fugue, une fois
son crime commis.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

219

manquer d’entraîner un nouveau changement de règne,
ne se fût opposé à la marche du prétendant.
11 est un beau jour surpris et cerné dans son camp, à
une heure assez matinale, par une troupe de soldats con­
duits, par M. Godovius, Résident intérimaire. Ayant fait
m ine de s’enfuir, le compétiteur fut tué d’une balle, pres­
que à bout portant.
Le bruit courut plus tard que ce n ’était pas le vrai
Ndungutse qui avait été mis à mort, mais son sosie.
D ’autre part, les Anglais internèrent à Jin ja , un individu
q u ’ils affirmaient être Ndungutse et qui mourut en
1918 0 .
Quelque temps après l’affaire du prétendant, M. Godo­
vius réussit à faire la capture d’un brigand dont les agis­
sements l’inquiétaient.
Nous avons nommé Basebya. Chef d’un parti de Batwa,
l’homme de ce nom habitait dans le Buberuka au milieu
d ’un immense marais couvert de papyrus, dont ses
hommes et lui connaissaient seuls les rares sentiers. De
là, il rayonnait à sa guise sur les contrées avoisinantes
q u ’il rançonnait peu ou prou, en raison du besoin et qui
finirent, de guerre lasse, par le reconnaître pour leur
maître. Il n ’est pas jusqu’au roi lui-même qui ne dût
capituler devant son audace.
Dans une de ses excursions le fameux détrousseur avait
enlevé le taureau sacré que le monarque du Bwanda avait
fait mettre dans le bosquet de Kayenzi. Ce crime de lèsemajesté fut suivi d’une expédition dont l ’effectif compre­
nait, dit-on, quelques milliers de Bahutu avant à leur tête
les plus grands chefs batsobe.

f1) Le fameux Lukara, alors prisonnier, que l ’on mit en présence du
cadavre de Ndungutse, déclara sans hésiter que ce n ’était pas là le corps
du prétendant, mais un de ses suivants (umugaragu we). Ndungutse
savait que les Européens n’étaient pas pour lui et faisait surveiller tous
leurs mouvements. Avait-il été averti à temps ?

22 0

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Basebya s’aperçut vite q u’il n ’aurait pas le dessus dans
une action en rase campagne. Aussi intelligent q u’auda­
cieux, il établit son quartier général en plein marais dans
un îlot, d ’un accès difficile, sinon périlleux, pour une
troupe armée. Les Batutsi présomptueux, ne pouvant se
résigner à reculer devant un Mutwa, se mettent en devoir
de s’avancer dans l’impasse suivis de leurs gens. Pour
encourager le mouvement, Basebya et ses hommes qui se
trouvaient en embuscade parm i les papyrus, aux abords
de l’îlot, mirent le feu à quelques huttes dans le but de
faire croire à la démoralisation des assiégés.
Am bitionnant l’honneur de la victoire, chacun des
Batutsi, se précipite au lieu de l’incendie où criblés de
flèches, ils succombent les uns après les autres. Les
Bahutu restés seuls, voyant tomber leurs chefs, sans pour­
tant distinguer la m ain qui les abat, sont pris de panique
et s’enfuient à toutes jambes. En un rien de temps la
déroute était complète et le marais désert. Dès ce jour,
le prestige de Basebya s’accrut à tel point q u ’on le crut
invincible et jamais Musinga n ’osa, dans la suite, se mesu­
rer avec lui. Bien plus, la résidence allemande elle-même,
tenta vainement le siège de la place. L ’habile Mutwa, qui
comptait çà et là des amis secrets, passait entre les mailles
et demeurait insaisissable. Au cours de l’affaire Ndungutse, le major Godovius eut à cœur d’en finir avec le
bandit du Buberuka. Prévoyant que la force serait im puis­
sante, il recourut à la ruse.
Il travestit en marchands deux de ses soldats et les con­
fia à Rwubusisi, grand chef bien connu, parent de la
reine-mère. Le rusé Mututsi, après de longs pourparlers
à distance, obtint de Basebya q u ’ils aient une entrevue
en rase campagne, sous prétexte de lier amitié.
Le Mutwa accepta à condition que lu i aurait toute sa
suite et que le grand chef n ’aurait que quelques hommes.
Pendant q u’il dégustait quelques lampées d’hydromel,
offert par Rwubusisi, les soldats l’arrêtèrent, tandis que les

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

221

fusils mettaient en fuite la bande des suivants. Il fut con­
duit au m ajor allemand, qui se souvenant de l’accident
tragique q u’il avait eu à la pendaison de Lukara, le fil
fusiller tout de suite.
Ainsi donc, Ndungutse, le rival hamite qui lui aurait
en peu de temps ravi le trône, vaincu sans retour; Basebya, le bandit imprenable, qui arguait sa puissance,
maintenant mort; les populations turbulentes redevenues
calmes, voilà le fruit savoureux cueilli et présenté par
les mêmes Blancs au teint fleuri, dont il rêvait de se
débarrasser.
Musinga dut observer dans l’obscurité de sa hutte que
si les « sauvages » d ’Europe portaient ombrage à son
orgueil, ils savaient, par contre, faire triompher avanta­
geusement sa cause.
Pour être complet, il faut bien dire aussi que durant
les premières années, les rapports de la Cour et des grands
chefs Batutsi, avec les Blancs, bien que polis et courtois
extérieurement, étaient loin d’être empreints de franchise
et de cordialité. On ne voyait dans les Européens que des
envahisseurs, des étrangers venus avec les plus noires
intensions. Les grands du royaume, Rwidegembya, Kayondo, Lwubusisi, pour ne citer que les plus violents, par­
laient d’en finir une fois pour toutes avec ces sauvages
d ’Europe.
Ils ne les désignaient que par des surnoms ou des
insultes grossières et méprisantes dans leur pensée (1).
La prise de possession du Rwanda par les Allemands, qui,
en 1908, fixaient leur résidence à Kigali, blessa le senti­
ment national.
(1) « Ibituku », Les Rouges (pris dans un sens méprisant à cause de
la couleur empourprée de leur figure); « Ibisimba'», les bêtes sauvages;
« Ibimara » les monstres par suite de la blancheur de leur corps qui les
rendait semblables aux nouveaux-nés »; les mangeurs de poule et d’œufs,
etc. Les Ranyarwanda n’avaient pas de termes assez vils pour désigner
cette race, à laquelle ils se croyaient alors dans leur orgueil, bien supé­
rieurs.

222

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Les Batutsi, qui se croyaient encore indépendants, con­
çurent un vif déplaisir de cette occupation effective. Ils
prévirent que tôt ou tard le gouvernement du royaume
leur échapperait.
Plusieurs conseils furent tenus à cet effet. Les plus
influents étaient d ’avis q u’il fallait se défaire au plus tôt
de ces hommes étrangers. 11 ne fallut rien moins que la
froide sagesse de l’oncle du roi, Kabale, pour empêcher
un malheur toujours possible à cette époque de transition.
« C’est entendu, disait-il aux plus écervelés, vous pour­
rez peut-être tirer quelques Blancs : admettons par im ­
possible que vous les massacriez tous. 11 en viendra
aussitôt une m ultitude d’autres pour les venger. Et alors
ce sera notre tour.
» Le roi perdra son trône (ingoma) et nous, le gouver­
nement de nos collines, si tant est q u’on nous laisse la
vie. »
Le conseil du sage prévalut. Kabale, ce jour-là, avait
bien mérité de sa patrie. Les Hamites durent se féliciter de
s’être rangés à cet avis lorsque, en 1916, ils virent défiler
successivement les troupes allemandes et les effectifs
belges, en nombre pour eux incalculable, armés de fusils,
de mitrailleuses et de canons.
Ne pouvant s’en prendre directement aux Blancs, les
courtisans essayèrent de se venger sur ceux qui passaient
pour leur être favorables. Chyitatire, demi-frère du roi,
donc un Munyiginya, ne put jamais se faire pardonner
ses accointances avec les Blancs (l).
Sherangabo, un autre frère consanguin du prince
régnant, fut choisi comme bouc émissaire. Il avait servi
de guide au Comte von Gôtzen et avait conduit la cara­
vane à travers le pays, ju sq u ’à Kageyo, à la résidence de
Lwabugiri-Kigeri. On le lui reprocha comme un crime
sa vie durant. Il appartenait de plus au clan des Banyi(!) Chyitatire est mort foudroyé au début de 1927. Son frère Sheran­
gabo l’a suivi de près dans la tombe.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

223

ginya. II faillit être tué plusieurs fois. Peut-être est-ce en
sa qualité de roi des « imandwa » q u’il a échappé à la
mort violente. Les gens bien renseignés assurent que
toutes les fois qu’à la Cour on consulta les entrailles des
poulets, pour savoir si sa condamnation ne serait pas une
source de malheurs pour le Rwanda, la chance tourna en
sa faveur. Les augures étaient-ils gagnés à sa cause? La
supposition est plausible.
Par contre, on n ’eut jamais assez de mépris pour lui.
Retenu à la capitale, il ne pouvait s’approcher du roi et
se mêler aux grands chefs, maintenu à distarfce comme un
paria.
Si le roi laissait ainsi traiter ses plus proches parents,
parce que « Banyiginya » et amis des Rlancs, on devine le
sort des autres. Ce n ’est pas ici le cas de traiter tout au
long la fameuse « question des Bega et des Ranyiginya »,
dont on a pu, du reste, se faire une idée, après ce qui a été
dit précédemment. On ne parle que des contre-coups
q u’eurent dans le pays l’arrivée des Blancs et de la haine
qui leur fut aussitôt vouée.
Kavijuka, un grand chef Munyiginya auquel on avait
confié, après la mort de Muhigirwa, le gouvernement de
la province de Nyaruguru, devint suspect pour avoir entre­
tenu des relations avec les Européens nouvellement venus
et si franchement détestés, et aussi pour n ’avoir pas réussi
à en débarrasser le pays. Il avait reçu l’ordre de les empoi­
sonner ou de les ensorceler, ce qui n ’était pas chose facile.
Inutile d’ajouter q u’il y perdit sa peine et son temps,
malgré la bonne volonté q u’il y apporta (*).
(*) Kayijuka avait sur l ’ordre de la capitale fait tuer dans son district
une trentaine de gens, coupables d’avoir été les amis de Muhigirwa, ce
qui lui valut de terribles inimitiés. On lui prêtait encore des cruautés
inutiles. Dès lors, il ne cessa d’être accusé auprès du roi et de la reinemère.
Sentant son crédit faiblir et craignant pour ses jours il s’enfuit tout
d’abord à l ’Urundi. Après un court séjour, la confiance et le courage lui
revinrent. Il rentra dans sa province croyant pouvoir se disculper des
calomnies dont il était l ’objet. Mal lui en prit.

22 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Il est un jour mandé en grande hâte à la capitale, pour
une affaire importante, lui fait-on dire. 11 se laisse intro­
duire sans aucune défiance chez la reine-mère qui, après
les salutations d’usage, l’engage à quitter son vêtement
d’étofle et lui remet un habit de cérémonie (umukane) de
Musinga, comme pour l’honorer. Ces sortes de costumes
faits de peaux de colobe finement découpés étaient très
estimés.
On s’en servait pour les réjouissances et les autres
grandes circonstances de la vie. Dérisoire était cette
marque de considération. La reine-mère n'avait qu’un but
en agissant ainsi, celui de faire ressortir davantage la
grandeur de la chute de l’ex-favori.
« Tu m ’as montrée aux Blancs! » (ko wanyerets’ Abazungu), tel fut le motif spécieux dont usa Nyirayuhi pour
lui dicter sa condamnation. Tout avait été concerté à
l’avance. Les sbires se jettent sur l ’infortuné, le ligotent
et l’emmènent hors du palais. On lui fait parcourir la dis­
tance de six à sept cent mètres sur un sentier qui descend
vers le bas de la colline, cependant q u’on entendait
les soufflets de forge... Nturo, un des grands chefs et son
plus cruel ennemi, lu i crie : « Ces collines et tout ce
q u’elles contiennent, regarde-les bien; c’est pour la der­
nière fois que tu les vois, tu ne pourras plus désormais les
embrasser du regard. » (Imisozi n ’ ibi bintu ubitekereze,
uherukiyeho kulola, nta bundi uzongera kubona). Le
cortège tragique pénètre dans une enceinte. Des forge­
rons étaient installés en plein air à un foyer, faisant
rougir au feu deux gros clous indigènes, au bruit de trois
ou quatre soufflets qui activaient le brasier. Le condamné
est étendu sur le dos et des mains inhumaines le prennent
à la gorge, comme pour l’étrangler, car il faut que les
yeux sortent de leur orbite. L ’un des clous chauffés à
blanc est enfoncé en plein dans la pupille du malheureux
qui hurle sa souffrance sous les regards impassibles des
spectateurs. Le deuxième clou ne tarda pas à être appliqué

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

225

sur l’autre œil qui se fondit bientôt sous l’ardente brû­
lure... L’infortuné, laissé à lui seul, poussait de longs
gémissements en couvrant de ses mains sa pauvre face
endolorie, quand il s’entend interpeller par Kabeja, un
autre de ses ennemis : « Qu’est-ce qu’on t’a donc fait,
Kayijuka? » — « Comment c’est toi, Kabeja, je suis
m ort... » (ndapfuye), répond l’autre qui n ’ose mettre per­
sonne en cause et se contente de dire son tourment.
« Est-ce possible, s’écrie méchamment l’interlocuteur,
tu vois encore? » 11 court aussitôt faire part à Nyirayuhi de
sa découverte : « Il m ’a reconnu et il m ’a appelé par mon
nom
Un messager est dépêché en hâte vers les forgerons. La
terrible opération fut recommencée, on y apporta la
même cruauté.
Mais les bourreaux promenèrent longuement le fer
rouge dans ce qui restait de l’orbite des deux yeux...
Aveuglé pour la vie, le malheureux fut ensuite délié et
congédié. Il avait perdu ses biens avec la vue. Kayijuka
appartenait à une famille qui jouait de malheur. Nyantaba, son père, on l ’a déjà vu, avait été tué sur les ordres
de Lwabugiri.
Un de ses frères consanguins, Kampayana et un de ses
beaux-frères Nyakatana, soupçonnés de n ’être pas assez
chauds partisans du nouveau roi Musinga, avaient été
égorgés sur l’instigation de Kabale et de Nyirayuhi. Le
proverbe qui dit que « le malheur était entré dans la m ai­
son » ne se trouvait que trop justifié pour les membres
de cette famille (’).
(>) Le drame dont Kayijuka devint la victime eut lieu en 1906, durant
le mois lunaire dit. de Werurgwe (fin d’avril ou commencement de mai).
Le malheureux fait partie du clan des Banyiginya et compte parmi ses
ancêtres le roi Yuhi-Mazimpaka, le monarque connu par la célèbre pro­
phétie de la « barque aérienne ». Avant l ’arrivée des Européens, les
Batutsi étaient sans pitié les uns pour les autres. Le talion régnait en
maître.
La rémission n’entrait pas dans leurs mœurs.
La fortune changeant et le sort aidant, les représailles devenaient
atroces.

MBM INST. ROYAL COLONIAL BF.LCK

15

226

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQUE

Après ce qui a été dit sur le règne de Lwabugiri et de
ses deux successeurs ju squ’à la pénétration européenne,
il est facile de constater que les mœurs du pays et de la
cour ont été sensiblement les mêmes, depuis Ruganzu II
Ndori, le Conquérant, ju squ’à l’avènement de YuhiMusinga.
A ce point de vue-là il n ’y a eu entre eux de différence,
que la longueur des années. Les temps ont heureusement
changé, on peut même dire que la transformation a été
soudaine et subite, et de tout ce passé cruel, il ne restera
bientôt plus q u’un lointain souvenir (*).
t1) Le vice-gouverneur, plein de commisération à l ’égard de l ’infor­
tuné Kayijuka, lui confia à la fin de l ’année 1927 l’administration de la
colline de Gihindamuyaga sur le territoire de laquelle l ’aveugle habitait.
Il n ’avait pas encore atteint la cinquantaine à cette époque.

LIVRE TROISIEME
Le règne de Ruganzu II, le plus connu des rois
du Rwanda.

(SON CURRICULUM VITÆ.)

Avant-propos. Popularité de Ruganzu; raisons qui l ’expliquent. Étymo­
logie de son nom devenu légendaire.
CHAPITRE I.
Événements qui se rapportent à la naissance de Ruganzu et à la mort
de son père.
CHAPITRE II.
Accession de Ruganzu au trône. Multiples péripéties dans lesquelles il
se trouve engagé.
CHAPITRE III.
Ruganzu guerrier. Ses hauts faits. Éclat de son règne. Succès de ses
nombreuses expéditions. Ses promenades militaires. Aspects différents
de la conduite du prince vis-à-vis de ses rivaux et de ses voisins.
CHAPITRE IV.
Ruganzu guerrier. Ses hauts faits. Aspects différents de la conduite
du prince vis-à-vis de ses rivaux et de ses voisins (suite).
CHAPITRE V.
Ruganzu et l’agriculture. Plantes, pierres, rochers, arbres, etc. aux­
quels est attaché le nom du prince. La mort du dompteur des rois. Con­
clusion. Importance du rôle de Ruganzu et fondation du royaume hamite
sur les ruines des principautés autochtones.
APPENDICE.
Tableaux généalogiques des roitelets auxquels eut affaire Ruganzu.

AVANT-PROPOS

Popularité de Ruganzu; raisons qui l’expliquent;
étymologie de son nom devenu légendaire.
Pour décrire la vie de celui qui fut le grand Ruganzu,
nous devons faire appel à la « littérature » orale, dont la
personne, les faits et gestes de ce roi hamite ont fait
les frais.
Q u’on veuille bien toutefois ne pas croire à un horsd’œuvre ou à un bric-à-brac. Les traditions, récits et
légendes dans lesquels nous allons puiser largement sont
suffisamment clairs pour que le lecteur puisse lire à
travers les lignes.
La conclusion générale qui se dégage des chroniques
indigènes et des chansons de gestes dont ce monarque a
été le héros, peut se résumer en quelques mots.
Ruganzu II Ndori paraît être, de tous les rois connus,
celui qui a contribué le plus à l’unification du royaume
actuel du Rwanda. Avant son arrivée au trône, le pays
comptait nombre de petits royaumes ou principautés
minuscules gouvernés les uns par des Bahutu (de la race
des Rantu), les autres par des Hamites (ou Ratutsi).
Ces derniers, qui s’étaient infiltrés dans le pays, — à
une époque inconnue, — réussissaient à se substituer peu
à peu aux princes Bahutu. qui, eux aussi, à leur tour,
avaient peut-être, à une date reculée de l ’histoire, vaincu
et refoulé dans la forêt les Batwa ou Négrilles, autoch­
tones présumés de la contrée.
Les ancêtres de Ruganzu semblent déjà avoir joué un
certain rôle parmi leurs compatriotes, les autres Hamites.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

229

11 est probable q u’ils avaient attiré l ’attention sur eux
par quelques laits d’éclat, comme Kigeri et son fils Mutabazi-Mibambge qui refoulèrent les Banyoro et vainquirent
ensuite Mashira le roi-sorcier qui leur portait ombrage.
Leurs possessions comprenaient déjà le Buganza, le
Buliza, le Bgana-Cbambge, le Bumbogo, etc.
Buganzu, tout en trouvant à son avènement la situation
fort compromise, on ne sait au juste pour quel motif,
réussit bientôt à rétablir et à consolider le trône de ses
ancêtres.
Ses goûts belliqueux et son esprit d’aventure l ’entraî­
nèrent plus loin. Il eut vite fait de se débarrasser de ceux
q u’il considérait comme des intrus, des rivaux ou des
ennemis.
Ses successeurs n ’eurent q u ’à compléter son œuvre.
Ruganzu « le Victorieux » avait largement ouvert la voie
à l’unification du Bwanda.
La seule province de son royaume que Ruganzu ne
visita point est le Rgisha. Ses contemporains et ses succes­
seurs trouvèrent la chose tellement étonnante, de la part
du roi conquérant, q u’ils donnèrent à cette région le nom
de Gisigari (gusigara, rester), c’est-à-dire le pays qui n ’a
pas été parcouru par le monarque (*).
Le potentat africain dont nous tentons de retracer la
carrière est le vingt-sixième de la dynastie royale qui
(>) Kigeri IV dit Lwabugiri répara cette omission et fit plusieurs
séjours dans cette contrée située à la limite Nord-Ouest du Rwanda.
Le village de Kayenzi possède une de ses anciennes résidences (ikigabiro).
Le district de Jomba, qui touche au Bgisha par sa limite Nord-Est, en
compte deux autres, Mabungo et Muganza. Quand Lwabugiri se rendit
pour la première fois au lac Albert, il traversa le Bgisha et la Rutchuru.
Nyamuraga, le roi de Bwito, pour vivre en paix avec le belliqueux voi­
sin qui passait sur ses terres, fit acte de vassalité en lui envoyant de
nombreux cadeaux. On assure que les deux princes se lièrent par le
pacte du sang. Bwito était un petit royaume « muhunde ». Le possesseur
actuel du tambour (trône) s’appelle Kamori et appartient au clan des
Bahogo qui détiennent le pouvoir depuis un temps immémorial.

“2 30

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

compte 36 titulaires, s’il faut en croire le clan des Bacliurabgenge. Ruganzu-Ndori, car il porte au moins deux
noms, nom de règne et nom de famille, comme les autres,
est bien le roi le plus populaire. Ses exploits ont été trans­
formés en chansons de gestes et se trouvent sur toutes les
lèvres. Le court aperçu qui en est donné dans les pages
qui suivent permettra de se rendre compte des faits que
les Banyarwanda prêtent à leurs souverains, surtout
quand il s’agit d ’un monarque aussi célèbre que celui-là.
On verra ju squ’à quel point peut aller l’imagination
féconde des Noirs.
Leurs grands hommes ne sont rien moins que des êtres
extraordinaires devant qui fléchissent les forces de la
nature. Ce sont des héros d’épopées dont les actes, depuis
le berceau ju sq u ’à la tombe, sont marqués au coin du
merveilleux. Pour honorer et chanter leurs princes ham i­
tes les Banyarwanda ont dramatisé les actions les plus
communes et les moins dignes d’admiration en se servant
des embellissements du langage et des figures de rhé­
torique.
Le grandiose et le tragique de leurs preux se coudoient
presque à chaque pas dans la vie, comme dans les romans
épiques que nous a laissés le Moyen Age.
Le roi Ruganzu n ’est devenu si célèbre que parce que
c’était un vrai guerrier. Il eut affaire à beaucoup d’enne­
mis et courut de grands dangers.
Grâce à son courage qu’accompagnait une grande habi­
leté, il sut se tirer des plus mauvais pas.
D ’après la tradition et la légende, sa vie s’est passée dans
des luttes homériques, d’où ne sont malheureusement pas
exclues la trahison, la perfidie et la cruauté, comme on
peut en juger d’après ses faits d’armes, malgré, la bra­
voure qui y est déployée de-ci de-là. Évidemment les
Noirs n ’y voient pas autre chose que de la grandeur
héroïque.
Le pardon des injures et tout ce qui peut ressembler aux

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

231

vertus de l’Évangile, y est presque inconnu. Faire œuvre
de pitié ou de miséricorde vis-à-vis d’un vaincu, d’un
rival, d’un ennemi, passerait pour une marque de fai­
blesse, chez ces âmes frustes qui sont loin d’avoir la bonté
native que leur prêtent quelques utopistes.
Dans les différents épisodes guerriers qu’ils attribuent
à leurs princes les Banyarwanda se servent de l’hyperbole
pour vanter l’emploi de la force et de la violence.
Les peuples jeunes et primitifs comme les enfants ont
besoin d’un pouvoir fort, absolu, d’une sorte de tutelle
qui serait abusive à l’égard d’hommes ayant atteint leur
majorité et leur maturité d’esprit par la civilisation.
Aussi ce serait une grande erreur de juger les Hamites
et leurs sujets d’après nos sentiments et nos idées ainsi
que de vouloir évaluer leurs passions et leur activité à la
mesure de notre expérience et de notre modération.
Le nom de Ruganzu est de plus resté attaché à nombre
de découvertes. C’est lui qui aurait le premier doté les
indigènes de ce qu’ils ont de mieux en fait de plantes
nourricières, de troupeaux et d’armes Bananiers, hari­
cots, petits pois, patates passent pour avoir été introduits
par lui dans le Bwanda, ainsi que les vaches, les chèvres
ei les moutons. Il aurait enseigné le premier la façon de
faire la bière, de bâtir les maisons et de fondre le minerai
q u ’il avait découvert. Bref, il n ’est rien que les Banyarwanda ne lui doivent, tant il est devenu populaire.
L’influence de ce prince s’est étendue dans tous les
domaines de l’activité humaine, s’il faut en croire, les
Banyarwanda. En parlant de Ruganzu et de son époque,
ses admirateurs semblent faire allusion à une sorte d’âge
d’or, où l’on vivait heureux, libre de toute corvée et sur­
tout de l’impôt si détesté dit « de la terre » (ubuletwa,
ubutaka). La vie s’écoulait alors, disent les vieux, comme
avec une pointe d’envie et de regret, dans l’abondance des
biens matériels.
Ses victoires ont valu à notre héros le glorieux titre de

23 2

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Ruganzu. Ce dernier nom vient du verbe « guganza »
terrasser, dont le sens est plus fort que celui des deux
autres termes analogues « kunesha » qui signifie surpasser
et « gutsinda » vaincre.
De ce verbe kuganza, les Noirs ont tiré le substantif
Ruganzu, c’est-à-dire le vainqueur absolu, le vainqueur
par excellence, pour rappeler ses prouesses. Chacune des
découvertes et des expéditions auxquelles la tradition a
attaché son souvenir a donné lieu à une infinité de récits
qui ont cours dans le pays et sont extrêmement appréciés
du peuple. On pourra juger par ce qui va suivre, de l’ori­
ginalité et de l’abondance de la littérature orale des
Ranyarwanda. Les exploits de Ruganzu n ’en forment pas
une des pages les moins importantes.
Les récits populaires révèlent l’âme, le sentiment d’une
nation. Nous les donnerons tels q u’on les surprend sur les
lèvres des conteurs en laissant au lecteur le soin de relever
les répétitions oiseuses, les naïvetés, les absurdités et les
anachronismes. Rares sont les chansons de gestes qui
échappent à ces défauts. On ne s’étonnera pas de constater
que chez les Hamites et les Bantu de l’Afrique centrale,
il s’en rencontre de semblables.

CHAPITRE PREMIER

Evénements qui se rapportent à la naissance de Ruganzu
et à la mort de son père.
I. —
QUI

N a is s a n c e

de

R uganzu

SU IV EN T

SON

ENTRÉE

N a is s a n c e

de

et é v é n e m e n t s

DANS

LA

V IE .

R ugan zu.

Ndahiro, le roi du Rwanda, rapporte la légende, avait
bien une femme, du nom de Kabuchi. Mais jusque-là ils
n ’avaient enfanté que des Ratutsi, c’est-à-dire des enfants
ordinaires. Parmi eux il ne se trouvait point d’héritier du
trône (*). La reine craignant d’être délaissée, réussit à
faire accepter à son mari le pacte du sang (kunywana),
voulant par là consolider si possible l’union conjugale.
Quelque temps après cet engagement, les chasseurs de
Ndahiro aperçurent dans la forêt un être fantastique qui
s’enfuyait dans la direction d’un lac.
S’étant mis à sa poursuite, ils purent l ’approcher d’assez
près et lui reconnurent une apparence humaine. A son
aspect q u’ils jugeaient terrifiant, ils prirent peur et revin­
rent sur leurs pas, « Nous avons vu, dirent-ils à Ndahiro,
un homme d’une taille démesurée dont le visage était
effrayant, » — « C’est bien, reprit le roi, nous irons
ensemble à sa recherche, pour savoir à qui nous avons
affaire. » Dès le lendemain ils se mirent en route et cernè(!) Au lieu de dire simplement que la reine ne plaisait plus à son
mari et que celui-ci s’était épris d'une jeune fille dont la jeunesse et les
charmes avaient rendu le prince amoureux, les chroniqueurs se servent
d<- métaphores et de longues périphrases, pour expliquer le changement
survenu dans le cœur du roi. Le lecteur averti rencontrera plus d’un
trait de ce genre.

23 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

reiit le fourré où cet étrange personnage avait été rencon­
tré. Ndahiro le saisit à bras-le-corps.
« Que fais-tu donc ici? » — « Et toi, répond le géant,
que me veux-tu? » — « Ce pays-là m ’appartient », dit le
prince et il essafe d’entraîner avec lui le colosse à face
hirsute. « Écoute, reprend le prisonnier, je m ’appelle
Nyangara et je suis devin-sorcier. Je sais que tu es le roi
du Rwanda, que le palais que tu habites, n ’a point d’héri­
tier et ne peut en avoir... » — « Que veux-tu dire et en
quoi cela te regarde-t-il? » — « Calme-toi, dit Nyangara,
fais-moi un cadeau et je me charge de trouver une épouse
qui te donnera le successeur que tu désires si vivement. »
— « C’est entendu, je consens à ce que tu me demandes. »
— « Eh bien! pour commencer, ramène-moi à l’endroit
où tu m ’as arrêté. » Ndahiro ne se fait pas prier, il le recon­
duit et lui fait présent d’une vache grasse.
Le sorcier qui était d’une force extraordinaire la déchire
de ses mains, s’empare successivement des jambes de la
bête et les engloutit l ’une après l ’autre.
Le repas pantagruélique terminé, il ne resta bientôt plus
rien de la bête, au grand étonnement des spectateurs qui
n ’avaient jamais assisté à une scène pareille. « Je m ’en
vais », s’écria le géant. « Tu reviendras, n ’est-ce pas? » —
« Ne crains rien, nous nous reverrons... »
Pendant que le monarque s’éloigne avec sa suite, Nyan­
gara plonge dans l ’étang qui était son chemin préféré. Par
cette route sous-lacustre il arriva et prit pied sur une île
retirée q u’habitait un certain Bitebo. « D ’où viens-tu, ô
homme? s’écria Bitebo étonné. » — « Je viens de la capi­
tale, lui répond le sorcier et j ’ai un message pour toi. » —•
« Comment cela se fait-il, nous n ’avons aucune relation
avec le roi et personne jusqu’ici n ’a foulé notre sol.
Approche quand même et dis-nous ce qui t’a conduit en
ce lieu. » Nyangara entre dans la case du maître de céans et
demande à boire.
On lui apporte de la bière. Tout en la dégustant il

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

235

demande à son interlocuteur si toutes les vaches qui
paissent dans les environs sont à lui. « Elles m ’appar­
tiennent, répond Bitebo. » — « N’aurais-tu pas aussi,
reprend le sorcier, une fille nubile et un de tes proches
pour la conduire en voyage? Dis-leur de venir se présenter
aussitôt, je veux leur faire connaître la teneur du message
royal. » — « Et si je refuse, pourrais-tu m ’y obliger? » —
« Je t’y contraindrai », reprend Nyangara, avec un fron­
cement de sourcil et un éclat dans la voix.
Bitebo comprend qu’avec un sorcier aux formes hercu­
léennes comme celui qu’il a sous les yeux, il ne lui reste
q u ’à obéir, appelle aussitôt sa fille, l’oncle de celle-ci et
les domestiques qui doivent les accompagner. On rassem­
ble les troupeaux qui doivent être présentés au prince en
même temps que l’épousée. Le colosse fait quelques pas,
pénètre dans la bananerie, détache une poignée d’écorces
et fabrique un gigantesque coussinet (ingata) q u’il se met
sur la tête. Il se charge aussitôt de la hutte dans laquelle
se trouve la future reine. Bêtes et gens sont rangés tout
autour, les uns à côté des autres. Bien n ’est oublié, de ce
q u’il faut pour la route, cruches de bière et paniers de
provision. Notre hercule, ainsi chargé, reprend le chemin
du retour, plonge sous les eaux avec toute la cargaison qui
dépasse le niveau des eaux et reprend pied sur le royaume
du Bwanda.
Quand les gens de la capitale aperçurent de loin cette
masse informe aux dimensions démesurées qui s’avançait peu à peu : <( Q u’est-ce donc que cela, s’écrièrent-ils
stupéfaits. On dirait que cette chose monstrueuse est sortie
du lac... » Leurs prunelles se dilataient. L’aspect et
l’approche de ce phénomène avaient fait naître dans leurs
cœurs une angoisse indicible. On se demandait ce qui
allait arriver, quant tout à coup la voix du sorcier se fit
entendre : « Dites au roi que je suis de retour ». Ndahiro
se. présente à l’instant. « Voici, lui dit Nyangara, l’épouse
qui te donnera le fils qui doit te succéder. »

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Les noces lurent aussitôt célébrées au m ilieu des accla­
mations enthousiastes. On lit lete à la nouvelle mariée et
le vieux monarque se réjouit à la pensée que le trône ne
resterait pas vacant après sa mort. 11 récompensa généreu­
sement le sorcier. On lui offrit autant de vaches qu'il put
en emmener.
Une seule pensée contristait Ndahiro. Ayant trouvé
l ’épouse de ses vœux, il se demandait comment il pourrait
congédier la vieille reine à laquelle il s’était engagé
imprudemment par le pacte de sang. 11 s’entendit avec un
de ses frères en vue de lui dresser un piège.
La malheureuse fut séduite.
Le jour même de sa chute, Ndahiro se trouva à point
nommé devant l’habitation du tentateur : « Avec qui
causes-tu? », s’écria-t-il. « Tu n ’es pas seul. Qui esl-ce qui
se trouve avec toi? »
Et en même temps, sans plus de gêne, il prononce le
nom de sa femme.
Elle avoue sa culpabilité. « Je ne te ferai pas de mal,
reprit le roi, je te laisserai la vie sauve, mais désormais
nous ne pouvons plus reprendre la vie commune, tu le
comprends bien. Retire-toi dans le pays que je vais te
désigner; tu pourras y vivre à l’aise avec tes enfants. »
Ndahiro réussit ainsi à se débarrasser de Kabuchi.
Quelque temps après, sa jeune femme mettait au monde
celui auquel ses contemporains devaient bientôt donner
le nom de Ruganzu, c’est-à-dire le Victorieux.
Légende de Kibogo, un autre fils de Ndahiro.
Cessation d’une sécheresse.
Les chroniqueurs rattachent à l’époque heureuse du
règne de Ndahiro l’événement suivant.
Une grande sécheresse, racontent-ils, s’était abattue sur
le pays, amenant avec elle la famine.
Ndahiro était en même temps affligé d’une grave

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

237

infirm ité; un de ses yeux sortant de son orbite le faisait
horriblement souffrir.
Nombreux furent les sacrifices q u’il offrit. Les
« esprits » de ses aïeux restaient insensibles ou impuis­
sants. Les sorciers et les devins du pays furent consultés.
Les aruspices firent des hécatombes de jeunes poussins.
Le roi ne cessait d’être tourmenté par son m al et la famine
faisait des victimes.
On dut recourir aux services d’un sorcier étranger de
très grand renom. Le résultat de la consultation fut que le
roi devait sacrifier Kibogo, son fils, réclamé par les
« esprits » (imana z’Urwanda), comme victime de substi­
tution (inchungu) en faveur du pays. La rançon était dure.
Le monarque se résigna et Kibogo apprenant la condition
du salut public, accepta sans hésiter. Le devin expliqua
comment celui-ci devait sauver le royaume.
Dès le lendemain, Kibogo revêtit ses plus beaux habits
et s’arma de sa lance et de ses flèches.
Sa femme et ses fils l’accompagnaient.
Les serviteurs suivaient portant sur leurs têtes ce qui
est nécessaire à un long voyage.
Les troupeaux de Kibogo, ajoutent quelques autres,
faisaient partie du cortège. On se rendit sur une petite
montagne, située non loin de Gasseke, désignée aujour­
d ’hui sous le nom de Akakabogo (celle de Kibogo).
Arrivés au sommet, Kibogo et sa suite s’assirent un
instant sur le gazon comme dans l’attente d’un dénoue­
ment.
Survint une nuée qui les enveloppa tous et les emporta
au séjour des dieux. Aussitôt le ciel apaisé versa sur la
terre une pluie abondante et rendit au RAvanda sa prospé­
rité d’antan.
Les bananiers reverdirent et donnèrent de beaux régi­
mes; patates, courges, sorgho, éleusine, tout se mit à
pousser. Les vaches vêlèrent, les chèvres et les brebis se

238

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

multiplièrent, etc. (*). Ndahiro lui-même fut complè­
tement délivré de son infirm ité. Bref, grâce à Kibogo,
le pays fut sauvé.
II. —

É p is o d e

de

l esclave

Ny ir a n s ib u r a .

Pendant que le vieux monarque, continue la légende,
se réjouissait de la naissance de son fils il se passa à la
Cour un fait insignifiant, semblait-il, qui cependant eut
son contre-coup sur le Rwanda et remplit de chagrin les
derniers jours du roi. C’était l’annonce et le prélude des
malheurs qui allaient fondre sur le pays, pour une
longue période.
Origine de l’esclave et l’incongruité qu'elle se permet.
Dans une de ses campagnes au Sud-Ouest du Rwanda
le roi Ndahiro avait fait une captive du nom de Nyiransibura, « celle qui débouche », c’est-à-dire la mère de
l’inondation.
Par son origine elle appartenait à la nation des Sauvages
(Abashi) du Bunyabungu et on la disait fille d’un certain
Muriro (le feu).
Elle avait été attachée au service de la maison royale et
son principal emploi était d’entretenir la propreté dans les
divers appartements.
f1) Nombreux sont les récits de ce genre qui se terminent par cette
finale habituelle.
Cette légende a cours dans tout le Rwanda. Kibogo est rangé dans la
catégorie des Libérateurs (Abatabazi). 11 a été emporté au ciel par un
nuage ou par la foudre elle-même. Les détails varient selon les pro­
vinces, mais les conteurs s’accordent sur le fond du récit. Dans le
Bwana-Mkali les indigènes ajoutent qu’au moment où Kibogo fut enlevé
dans le ciel, il pressait contre lui (guhagatira) un mouton. Pour commé­
morer le souvenir de cet événement, les initiés à la société secrète, dans
quelques districts du Rwanda, offrent à ce personnage, durant leurs
cérémonies, une petite cruche de bière. Sa femme n ’est pas oubliée; on
offre des bananes à celle qui en joue le rôle.
Dans les légendes hamites on ne retrouve pas seulement des détails
à allure biblique, on y rencontre aussi des réminiscences chrétiennes.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

239

Un jour que Ndahiro avait réuni les grands de la Cour
pour traiter des affaires du royaume, on entendit soudain
un bruit... malséant. Nyiransibura était occupée à balayer
la cour, à proximité de la case où s’étaient réunis les
conseillers du roi. L’esclave s’était oubliée et avait livré
passage un peu trop bruyamment à un gaz incommodant,
agissant en cela « comme le font les gens de son pays »,
ajoutent les conteurs.
Une minute après, l’air ambiant ne laissait aucun doute
sur la provenance du fluide. Scandale sans pareil. Il y
eut une minute d’ahurissement.
« Cette forfaiture ne peut rester impunie, s’écria
Kavuna (Le Victorieux), un des fils que le roi avait gardé
auprès de lui. » « Il y va du salut de l’Ëtat », ajoute un
autre. « Elle mérite la mort », clame l’assistance. « Non »,
reprend Mpande, fils de Rusanga, dont le nom signifie
« Côte de Bœuf » 0 et qui jouait le rôle de sorcier à la
(>) Mpande de Lusanga a toute une histoire. Les circonstances qui
ont entouré sa naissance ont été conservées. Elles sont de celles qui se
gravent facilement dans les mémoires. Nous résumons les faits. C’était
pendant une famine. Une femme mourant de faim pénétra, de nuit, dans
la cour d’un riche propriétaire. Elle alla droit au grenier à sorgho (ikigega) pour s’y approvisionner largement. Prise au même moment des
douleurs de l ’enfantement, elle mit au monde un enfant mâle que dans
sa frayeur elle laissa sur place.
Quelle ne fut pas l’étonnement et la stupéfaction des habitants de la
case quand ils aperçurent, le lendemain matin, au milieu de la cour,'
un enfant vagissant que le taureau (rusanga) du troupeau léchait douce­
ment... Ils ne s’expliquèrent pas comment le fait avait pu se produire.
Pour ne pas être les victimes du sort, ils allèrent trouver le roi qu’on
croit être Ndahiro, le vingt-cinquième de la dynastie et le père du fameux
Ruganzu. Ils lui racontèrent tout au long l ’événement.
Ils sont probablement le jouet des puissances occultes. Un malheur ne
tardera pas à les frapper. Que faut-il faire ? N’est-il pas expédient de
tuer l ’enfant au plus vite ?
... Le roi après avoir consulté les devins de son entourage s’y opposa.
Il faut laisser vivre le nouveau-né; il est destiné à devenir un grand
devin et un puissant sorcier.
L’enfant fut élevé par le propriétaire de la maison. On l ’appela Côte de
Rœuf (Mpande ya Rusanga) en raison des circonstances curieuses qui
avaient présidé à sa naissance.
Il devait devenir célèbre plus tard. Il fut choisi comme conseiller et

2 i0

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Cour. « Écoutez-moi ». Le tumulte était tel q u’on n ’enten­
dait que des cris de mort. « Elle a interrompu notre Con­
seil, elle nous a ensorcelés et elle a ensorcelé le pays. Elle
sera la cause de la ruine du royaume, il faut la tuer, pour
faire disparaître les mauvais germes dans l’œuf. » « Taisezvous », répond le roi, « voyons les moyens que propose
notre ami Rusanga ».
L'esclave est congédiée, mais on la confie à un homme sûr
qui doit remplir une mission secrète.
<( Pour prévenir les malheurs présagés par cette con­
duite inqualifiable », ajoute l’interpellé, <( il faut la congé­
dier et la renvoyer dans son pays. Un homme sûr doit
l’accompagner sous le prétexte de s’attacher à son service.
Le jour où l’esclave enfantera pour la première fois, qu’il
s’empare aussitôt des membranes (ingobyi) qui envelop­
pent le corps du nouveau-né. Q u’il prenne alors la fuite et
q u’il aille les déposer dans le Bugessera au lieu dit de
l’Embûche (Ikibamba), et je réponds de l’avenir de la
monarchie ». Les conseillers avaient écouté avec l’atten­
tion la plus soutenue. L’avis du sorcier prévalut. Le prince
l’adopta. On ne pouvait toutefois se défendre d’une cer­
taine crainte.
Un drame allait se jouer dont on ignorait les péripéties.
Le prince congédie l’esclave, séance tenante. Un homme
du roi se dévoue pour la conduire et la servir, afin de
suivre les instructions du sorcier. Un panier lui est remis
pour lui rappeler la commission dont il est chargé... La
route fut longue, mais se passa sans incident.
A leur arrivée dans le Kinyaga, au Sud-Ouest du
Rwanda, ils furent reçus par le potentat du pays qui était
on même temps faiseur de pluie.
comme exécuteur testamentaire (umunyejambo n’ Umwiru) par le roi
Ndahiro, son sauveur, et mourut au commencement du règne de
Mutara I, après lui avoir prédit les événements gui devaient se dérouler
sous son gouvernement.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

241

Mariage de l'esclave. Naissance de son premier enfant
et origine du lac Kivu,
La jeunesse et les charmes de Nyiransibura plurent à
son hôte qui ne tarda pas à l’épouser (*).
Le mari, voulant faire plaisir à sa femme, forma le
dessein de lui bâtir une demeure digne d’elle, dans la
vaste plaine qui s’étend à l’Ouest, alors qu’il n ’y avait
pas encore de lac. Il fît dire à ses sujets de chercher un
emplacement favorable, d’y réunir des matériaux afin de
construire le plus promptement possible, la nouvelle case
q u’il désirait offrir à son épouse privilégiée. Ses désirs
furent exaucés et l’heureux couple en prit possession. Les
jours se succédaient quand vint l’accouchement de
Nyiransibura.
0 prodige! A peine eut-elle mis au monde son enfant,
que de la « poche des eaux » sortirent des flots qui se
multiplièrent à l’infini, donnant naisance au lac Kivu...
L’immense plaine fut submergée. •
L’endroit où se trouvait l’habitation du faiseur de pluie
forma un îlot.
Cette légende a cours dans le Kinyaga indépendamment
de l’autre version admise dans le reste du Rwanda.
Pendant que les gens de la maison s’empressaient
autour de la mère et du nouveau-né, l’homme auquel le
sorcier avait confié une mission secrète, s’empara des
membranes.

t1) Les princes hamites du Rwanda furent toujours en relation avec
leurs voisins du Karagwe, de l ’Uswi ou Ujinja, de l’Urundi, du Bunya­
bungu, de Bunyungu, Gishari, Nkole, etc.
Les cadeaux et envois réciproques comprenaient des vaches, des
chiens, des défenses d’éléphants, des anneaux pour jambes (ubutega),
puis des étoffes, des fusils et surtout des esclaves. Nyiransibura dut faite
partie d’une députation de ce genre.
Comme les autres monarques africains, les Batutsi en agissaient ainsi,
pour vivre en paix ou se réconcilier avec leurs ennemis et en obtenir des
services.

MÉM. IXST. ROYAL COLONIAL BELGE.

242

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Il les m it dans le panier que lui avait donné Ndahiro
et sortit de la demeure.
Les eaux se répandaient de tous côtés dans la plaine
envahissant les champs et les bananeries. Notre homme
eut juste le temps de gagner la terre ferme, avec son
précieux dépôt. La distance qui le séparait de la capitale
fut bien vite parcourue. Ndahiro se réjouit à la vue du
messager. Il le fit aussitôt conduire dans le Bugessera,
au lieu désigné par le devin. Les membranes furent fixées
à l’endroit dit de 1’ « Embûche » par le moyen de neuf
pieux.
Croissance rapide de l'enfant. Ses luttes contre Ndahiro.
Nyiransibura s’aperçut vite de la fuite de son domes­
tique (umugaragu) et du vol q u’il avait perpétré. Elle
ignorait le mobile vrai de sa conduite. « Je sais, s’écriat-elle en riant, pourquoi le voleur s’est enfui. C’est un
Mutwa vorace, toujours affamé. Il a commis un acte de
gourmandise (umunyamerwe) et n ’osant plus reparaître,
il a été chercher fortune ailleurs ». L’enfant reçut le nom
de Nsibura, c’est-à-dire le fils de l ’inondation, du nom
de celle qui lui avait donné le jour.
Nsibura vivait avec son père et sa mère. Des années se
passèrent. Le faiseur de pluie devenu vieux passa de vie à
trépas. Le jeune prince gardait les vaches depuis long­
temps quand il succéda à l’auteur de ses jours. « Ses lèvres
s’étaient agrandies »... pour emprunter l’expression in d i­
gène (x). Il fut bientôt à même de batailler. « Mère, dit-il
un jour, je vais me battre contre Ndahiro. » « Comment
peux-tu songer, mon fils, à lutter contre le roi du
Bwanda? Ton père ne l ’a pas pu. Penses-tu être plus heu­
reux que lui? » « Je veux essayer ». Nyiransibura ne
réussit pas à calmer les ardeurs belliqueuses de son reje­
ton. Un pressentiment lui disait que le conflit se termi­
(i) C’est une façon de dire qu’il croissait en âge.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

243

nerait mal pour le fruit de ses entrailles. Ses supplications
furent vaines. Dès le lendemain Nsibura rassembla les
guerriers du pays dont il était devenu le roitelet par la
mort de son père. Il alla attaquer les partisans de Ndahiro.
Ceux-ci attendaient leurs ennemis de pied ferme, ils
furent pourtant taillés en pièces par les gens de Nsibura.
La frayeur s’empara des Banyarwanda, ils ne résistèrent
plus. C’était l’ère des mauvais jours pour le royaume des
Hamites.
Le jeune général s’avançait triomphalement soumet­
tant tout sur son passage.

III. — M o r t d u v ie u x r o i N d a h ir o .
Dernières volontés de Ndahiro et malédiction
de l’un de ses fils, Kavuna.
11 fallait se hâter. Ndahiro, brisé par l’âge et le chagrin,
comprit q u ’il était sur le point de terminer son règne.
Tout était perdu pour le moment. Il ne lui restait plus
q u’à m ourir, avec l’espérance toutefois que l’héritier de
droit rétablirait un jo ur les affaires de la monarchie. Vou­
lant prendre ses ultimes dispositions, il réunit une der­
nière fois auprès de lui ceux qui lui étaient restés fidèles,
pour leur faire ses adieux.
Il prit ensuite à part Mpande de Rusanga qu’il avait
choisi pour être son exécuteur testamentaire. « Je vais
mourir bientôt, le « Sauvage » du Kinvaga est sur le point
de nous vaincre. Je te confie mon fils Ruganzu. C’est lui
qui doit me succéder quand il sera devenu grand. Con­
duis-le au Karagwe, chez sa tante paternelle, pour le
soustraire aux dangers qui vont fondre sur le Rwanda. »
S’adressant ensuite à Mihwabaro q u’il avait appelé dans
le même but : « Tu seras aussi du voyage, tu accompa­
gneras mon enfant et tu veilleras sur lui. Voici un mar­
teau, ne t’en sépare pas, il vous rendra service un jour à

244

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

votre retour, au seuil du royaume. Je m ’en remets à vous
deux pour le maintien des traditions.
» Je désigne Kavuna, mon autre fils, pour aller chercher
son frère au Karagwe, quand sonnera l’heure de le faire
monter sur le trône..»
Ndahiro avait à peine fini de parler q u’un incident
troubla cette séance grave entre toutes.
Un éternuement étouffé frappa les oreilles de la petite
assemblée qui se croyait sans témoin. C’était Kavuna qui
s’était glissé dans la case, en dépit des ordres de son père.
Le roi entra dans une violente colère.
11 avait écarté les membres de la Cour pour expliquer
aux deux affidés ses dernières volontés. Le secret devait
être gardé. Il y allait de l’avenir du pays et de la vie de
Ruganzu. « Qui est là? », s’écria-t-il hors de lui. Les deux
hommes qui se trouvaient avec lui firent sortir l’indiscret
de sa cachette. II s’était dissimulé dans un coin de la salle,
pour écouter ce que le roi avait à dire d’une façon si clan­
destine. Ndahiro trépignait de rage, tant il était indigné
d’un pareil manque d’égard.
Il fut sur le point de tuer l’indiscret; il se retint pour­
tant pour n ’avoir pas à tremper les mains dans le sang
de son fils. « Écoute, lui clama-t-il, je te renie et je te
maudis.
» Je te défends de toucher aux haricots; tu ne mangeras
plus désormais du pain de sorgho.
» Que les patates « fuient tes lèvres »! Je t’interdis aussi
de boire la bière de bananes. Le tabac n ’est pas fait pour
toi. Quand tu voudras fumer, tu te contenteras des feuilles
délaissées dans les champs et dont personne ne veut user.
» Que les malheurs te servent d’oreiller. Puisses-tu ne
récolter que des ennuis! (Uzaruhe, uzisegur’ im iruho). »
Kavuna s’éloigna plus mort que vif. Jamais langage
aussi sévère n ’avait été adressé par un père à son fils.
Ndahiro continua de donner ses instructions à ses deux
confidents. Le sort de Kavuna avait été fixé, ses jours
étaient comptés.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

24 5

Après avoir rempli sa mission auprès de son frère
Ruganzu, il expiera son forfait, comme on le verra dans
les pages suivantes.
'
Le Rwanda était envahi de toutes parts. Les dangers
croissaient de jour en jour. 11 était temps de faire fuir
Ruganzu si l’on ne voulait pas exposer sa vie. L’héritier du
trône n ’était pas assez grand pour prendre en m ain les
rênes du gouvernement et rétablir les affaires. Sa crois­
sance n ’avait pas été aussi rapide que celle de son compéti­
teur et rival, Nsibura, que favorisaient les esprits infer­
naux. Il restait encore de durs moments à passer avant que
paraisse l ’aurore du triomphe. Le confident de Ndahiro,
Mpande de Rusanga, fit partir Ruganzu et l’accompagna
ju squ’à la frontière. Il le confia ensuite aux soins de son
compagnon Mihwabaro pour le reste de la route. Prenant
congé des deux voyageurs, il alla se cacher au Ruhanga
pour y attendre des jours meilleurs. Ruganzu et son guide
arrivèrent sains et saufs chez le roi Ndagara, fils de Luhinda, qui avait épousé la sœur de Ndahiro, Nyirabunyana.
La manière dont le vieux roi Ndahiro
termine sa vie Q .
On vivait alors à une époque mouvementée; les coutumes
n ’étaient plus observées. Le pays était bouleversé ; tout était
sens dessus dessous. Ndahiro ne pouvait pas terminer sa
carrière comme les autres. Le prince, poursuit la légende,
avait eu nombre de difficultés durant sa jeunesse. Devenu
vieux il n ’imposait plus autant de respect. Son prestige
avait beaucoup dim inué depuis le jour où les troupes
(>) L’histoire est plus simple et moins longue que la légende. La voici
en quelques mots. Ndahiro ayant voulu soumettre les habitants de Russokovu dans le Bugamba, subit probablement un désastre et y trouva la
mort. D’où le nom de « Rubi rw’ inyundo, ou le mal du marteau »,
donné au lieu de la défaite.
Les Banyarwanda se servent d’une expression métaphorique pour dire
que les armes forgées par les marteaux des forgerons causèrent le trépas
du souverain.

246

UN KOYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

vaincues avaient laissé le Rwanda ouvert à l’invasion. On
commençait à se moquer de ses cheveux gris (Rusatsi
rushaje). Se voyant abandonné et sur le point de perdre
son royaume que Nsibura, le fils de l’esclave, avait envahi,
il quitte le Nduga et s’enfuit seul vers l’Ouest, dans la
direction du Bugoyi.
C’était alors un pays non soumis, qu’habitaient des
étrangers qui s’étaient taillé un coin dans la forêt
Ndahiro, épuisé par de longues journées de marche arrive
devant une habitation. Il pénètre dans la cour et demande
à haute voix : « Je désire du travail, voulez-vous m ’accep­
ter à votre service? » Des voix répondent aussitôt : « Nous
voulons bien ». Le maître de la maison, qui s’appelait
Kilinda, était absent. Il faisait cultiver ses champs et
surveillait les nombreux ouvriers. Seules les filles étaient
restées dans la case; elles convièrent le nouveau venu à
s’approcher.
Et chacune de dire : « Moi je l’emploierai à mon
service ». Pendant q u’elles se disputaient entre elles,
l’homme à la haute chevelure, ainsi qu’elles le désignaient
(Lusatsi), fut agréablement impressionné par l’odeur de
la bière qui se dégageait des cruches mises en réserve
dans la hutte. On avait songé aux ouvriers qui allaient
bientôt rentrer.
» Eh bien! dit Ndahiro, si vous voulez me prendre com­
me domestique (guhaka, guhakwa) commencez par vous
taire. Je donnerai mon travail à celle qui m ’offrira la
meilleure bière. » Chacune des filles se met en devoir de
lui chercher la boisson fermentée dont le goût sera le plus
agréable à leur hôte. L ’une lui présente de la bière de
sorgho, une autre de l ’hydromel, une troisième du jus de
bananes. Toutes parlent à la fois : « Prenez patience, je
goûterai à chaque liqueur, je n ’en refuse aucune ». Notre
assoiffé commence par le jus de bananes. Le trouvant un
peu tiède et pas assez avancé, il passe à la bière de sorgho.
Vient ensuite le tour de l ’hydromel (inzoga y’ ubuki.
inkangaza).

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQ U E

247

Ndahiro reconnaît la vraie liqueur des rois, il boit à
longs traits (kubundagura). Ses joues se gonflent, ses
yeux pétillent de plaisir, il soupire de contentement :
depuis longtemps il ne s’était trouvé aussi heureux.
Les autres jeunes filles protestent, elles sont fatiguées
de tendre les bras. Ndahiro, pour les contenter, goûte à
toutes les cruches. Elles aussi s’invitent à leur tour.
Ce n ’est bientôt plus qu’une beuverie. Le roi, qu’une
longue marche avait déprimé, fit à lui seul plus d’honneur
au bienfaisant breuvage que ses hôtesses ensemble.
L ’hydromel avait ses préférences, il ne prenait même pas
le temps de respirer. La gaîté fit bientôt place à l’ivresse
(biberey’ intosi bose).
Ndahiro n ’étant plus maître de lui, s’adresse à la com­
pagnie.
— « L’une d’entre vous veut-elle m ’accepter pour
é p o u x ?»
— « Personne n'a renoncé au mariage », répondentelles en chœur.
Le prétendant, devenu galant, veut aussitôt faire son
choix.
Los adolescentes prises de peur s’enfuient en criant :
<( Un inconnu est entré dans la maison et il a jeté son
dévolu sur l’une d’entre nous. »
Le maître du champ se précipite vers sa demeure, ses
gens le suivent : <( Ohé! l’homme aux longs cheveux, d’où
sors-tu? Q u’es-tu venu faire chez moi? De quel droit
as-tu violé mon domicile? »
— « Je viens d’un pays éloigné répondit l ’ivrogne. C’est
la faim qui m ’a conduit ici. Je suis à la recherche d’un
patron (Shebuja) pour me mettre à son service (usab’
ubuhake). »
— « Comment, reprit le père des jeunes filles, peux-tu
me faire une pareille demande? Tu viens de m ’offenser
en apportant le déshonneur chez moi.
» Tu mérites la mort, je vais te couper les pieds et les
mains, puis la tête. »

248

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

— <( Ce n ’est pas de moi-même que j ’ai agi ainsi (si ku
bganje), répond Ndahiro. Je te le dis à l ’avance : 11e me
coupe pas la tête, il t’arriverait malheur. »
— « C’est bien, je me contenterai de te couper les
pieds. »
— « Fais-le, mais alors tes fils, tes filles et tes gens
perdront les leurs; tu n ’auras plus que des infirmes autour
de toi. »
— « Voilà un être curieux, s’écria Kilinda. Je ne te
trancherai que les mains. »
— « Tu ne feras par cela, ajoute le roi, car dans ce cas
tu perdrais aussi les tiennes. De plus, je te le prédis encore
une fois, de tes biens il ne te resterait pas même un cous­
sinet (ingat’ imenwe) rendu inutilisable par la casse de
la cruche » (1).
« Comment le mettre à mort ? »
— « Attends, je vais te le dire, reprend Ndahiro. Donnemoi de la bière encore et de la meilleure qui puisse se
trouver. Laisse-moi boire à satiété pour la dernière fois.
Quand je n ’en pourrai plus, conduisez-moi aux pieds de
ce grand arbre. Hissez-moi sur le tronc ju squ’à la plus
haute branche. Liez-moi solidement, mais ne répandez pas
mon sang si vous ne voulez pas avoir à vous en repentir. »
Le conseil plut beaucoup à Kilinda.
« C’est entendu, j ’accepte tes conditions. Tu ne mourras
pas autrement que tu le souhaites. »
Il fait venir sur-le-champ ce q u’avait demandé le
condamné. On lui sert du vin de bananes et du lait en
abondance. Notre homme y alla largement et fil honneur
à son dernier repas.
Quand il en eut assez, il donna lui-même le signal du
départ. On se mit en route. Ils arrivèrent à l’endroit q u’il
(') Le coussinet, d’herbes sèches n ’a aucune valeur. On s’en défait
presque aussitôt qu’il a servi à porter un fardeau et, à fortiori, quand il
n ’a plus de raison d’être, comme dans le cas où le porteur casse sa
cruche.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTHE DE L AFRIQUE

249

leur avait désigné. Ses bourreaux croyaient que Ndahiro
avait indiqué son genre de mort pour leur éviter des
ennuis. Or, le vieux roi ne l’avait fait que pour les induire
en erreur.
Placé comme il devait l’être, sur l’arbre le plus élevé
du pays, pour y mourir, les contrées voisines n ’en auraient
que plus à souffrir.
On le pousse sur l’arbre. Les gens de Kilinda veulent
l’attacher au milieu du feuillage : « Non, répond-il, m on­
tons plus haut! » Il leur indique la dernière branche. Ses
désirs sont exaucés.
Les yeux de Ndahiro embrassent l’horizon et s’étendent
jusqu’aux extrémités du Rwanda : « Je suis bien comme
cela, prenez vos cordes et tirez vengeance de ma per­
sonne. » Ses gardes de corps le lient solidement à l’arbre.
« Le Rwanda allait perdre son roi », ajoute la chanson...
de geste.
Malheurs qui fondent sur le royaume.
Ndahiro vécut encore environ huit jours, dans l’im m o­
bilité la plus complète. Les liens qui lui prenaient tout le
corps avaient été fortement serrés autour de la victime.
La niort fit son œuvre, les chairs se corrompirent. Une
odeur fétide se répandit au loin, ju squ’aux dernières
limites du royaume, apportant avec elle toutes les malé­
dictions. Le cadavre se dessécha quelque temps après et
devint semblable à un bois mort. Les cordes se desserrè­
rent, mais sans lâcher leur proie. Le vent faisait tourner
le squelette. Selon que la tête penchait dans telle ou telle
direction, c’était un accroissement de maux pour les
habitants que poursuivait la malédiction royale. Nulle
contrée ne fut épargnée. Les premiers atteints furent
Kilinda et les siens. Il n ’existe plus trace de leur descen­
dance.
On s’aperçut bien vite dans le Rwanda que le roi n ’était
plus. Les fléaux qui s’abattirent sur la région en étaient

250

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

la preuve évidente. 11 ne pouvait y avoir de doute à ce
sujet.
C’en était fait de l ’abondance et de la fécondité. Il n ’y
avait plus de naissances. Les animaux domestiques, loin
de s'accroître, dim inuaient de jour en jour; même les
bêtes sauvages se ressentaient du malheur des temps.
Et nos conteurs de pousser le tableau au noir. « Les
poules, ajoutent-ils, ne furent pas épargnées. Chose éton­
nante! les gallinacées avaient beau faire des efforts, les
œufs ne paraissaient jam ais... Les oiseaux n ’étaient pas
mieux partagés (zaja kut’ igi, ikaliheeera, ikanga kugera
liasi). On eut dit que la nature entière avait été maudite.
Jamais on ne vit une telle désolation.
La paix et le bonheur avaient disparu (bvose bibur’
iyambizo n ’ iturizo). Une sécheresse épouvantable s’abat­
tit sur la contrée, accompagnée de la famine. Les terres et
les champs n ’étaient plus d’aucun rapport. Tout au plus
pouvait-on utiliser pour le foyer, quelques brins d’herbe
brûlés par le soleil. Le deuil se répandit sur la terre. Les
vivres firent défaut; il ne resta bientôt plus rien pour
sustenter les habitants infortunés.
Les quelques survivants que la mort avait jusque-là
épargnés n ’eurent plus que les os et la peau (al’ imiguta
gussa). On n ’entendait que des pleurs et des gémisse­
ments. La disette et les maladies ne cessaient pas de faire
des victimes.
Les maux ne se comptaient plus; l’avenir paraissait
désespéré. Veuf de son souverain, le Rwanda avait tout
perdu. Nul ne savait quand et comment prendrait fin ce
temps d’épreuve et d’affliction. « Nous n ’avons plus de roi,
se lamentaient-ils. Et son successeur, quel est-il? Quand
viendra-t-il nous délivrer de nos calamités? » (*).
(!) Les Banyarwanda ont un vocabulaire très riche pour faire la pein­
ture de leurs maux.
On peut en juger par les traits suivants, dont la traduction vient
d’être donnée : « Abagore bari bafit’ inda ziruma ntizavuka. Ibitungwa

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

251

Pour comble de malheur, Nsibura, le fils de l ’esclave
abhorrée régnait en maître dans le pays q u’il souillait de
sa présence.
11 le parcourut en vainqueur de l’Est à l’Ouest, du Nord
au Sud, avec ses guerriers aux traits inhum ains (à face
de Sauvages).
Le Rwanda était devenu sien. Mais dans quel pitoyable
état se trouvait-il alors? Presque tous les habitants avaient
disparu. Seuls quelques misérables avaient survécu, ne
tenant plus debout (abasigave ar’ ukuneganega). On ne
reconnaissait les anciennes habitations q u’aux vieux restes
de paille ou d ’herbe q u’emportait le vent.
Le royaume hamite était devenu semblable à un désert.
C’était l’abomination de la désolation (imidugararo,
amakuba).
CHAPITRE II

Accession de Ruganzu au trône.
Multiples péripéties dans lesquelles il se trouve engagé.
I. —

La

f in

de

N s ib u r a

et

les

p r é l im in a ir e s

DU VOYAGE DE RU G A N ZU .

La fin

de

l'usurpateur.

Le Rwanda n ’avait jamais traversé une époque aussi
critique, ajoutent les conteurs. L ’esclave et son fils avaient
n ’inyamaswa zo mw’ ishyamba nazo ziranànirwa ntibyaba bikibyara
Abana bahama mu nda ya banyina, n’ inyoni ziba zitakibyara. Nuko
ibyo byo kubyara bihavuye, umuluho umaze kuba hose, ukwunguka
kw’ ibintu kwahebge, hasigara iy’ ubutube gussa. Ibintu birachika,
amapfa akahagana. Urwanda rurahaba, ruhabishijwe n’ inzara mbi
chyane. Nuko biba bityo imyaka myinshi; al’ ibyago bissa, nta mvura,
nta kindi kintu kibafatir’ umutima.
Ar’ amarira gussa, y’ amapfa, y’ ibisebe, y’ imize yose, ikw’ ingana.
Ibintu birayoba, abahira barahira. Urwanda rutashy’ amapfa mabi
chane n ’ubuhabe bgw’ ubupfubyi luno kutagir’ umwami. »
Abantu bakaganya bati : ayi weeee; bati : twabur’ umwami weee.
Bakahora balira batyo; bifuz’ uza kwima, ngo akiz’ ikihugu chyabuz’
ukivulira, chyali chyabuze hose).

252

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

déchaîné des maux sans nombre sur leur passage. De lu
part de Nyiransibura, cela n ’avait rien d étonnant. Tout
en elle la prédisposait à ce rôle malfaisant, son origine,
son nom, la grossièreté de sa conduite, sa condition de
captive, son mariage avec un faiseur de pluie qui n ’avait
jamais cessé de lutter contre les Banyarwanda. La nais­
sance de l ’enfant fut une catastrophe même pour le pays
q u’elle habitait; ce fils, q u’une croissance rapide et
extraordinaire avait transformé en guerrier puissant,
continua le rôle néfaste de la mère. Ayant hérité de la
haine de son père pour le Bwanda, l’aventurier l’avait
envahi dans les circonstances que l’on vient d’exposer.
On se rappelle aussi la fuite du serviteur de la maison et
le larcin q u’il avait perpétré. C’est de là que devait sortir
le premier gage de la victoire. Le sorcier de Ndahiro
n ’avait pas parlé en vain. Le châtiment devait venir tôt ou
tard.
Nsibura était allé chasser avec ses gens dans la forêt
du Bugessera. Le hasard les conduisit vers le lieu de
l ’Embûche, où le produit du vol avait été apporté et fixé.
Des graines de courges, de celles qui présagent l’héritier
du trône, y avaient été semées autrefois (1).
Les fruits mûrs étaient à point.
11 n ’en fallut pas davantage pour arrêter les chasseurs
qui pour se reposer et se désaltérer s’asseyèrent au milieu
des courges. Le terrain était rocheux et allait en pente.
Nsibura demanda à fumer; un homme fait du feu, un
autre lui prépare sa pipe et y place un tison pour l’allu­
mer. Le roitelet, qui s’était mis à l ’ombre (guhundagara),
avance le bras. La pipe lui est présentée, il en tire quelques
bouffées et voilà q u’un coup de vent emporte le tison qui
rebondit sur le sol rocailleux.
Des étincelles jaillissent avec un peu de fumée qui
(') D’après la croyance populaire, l ’héritier du trône apporte en nais­
sant, dans ses petites mains crispées des grains de courge et des graines
d’éleusine.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE i/AFRIQUE

253

arrive jusque dans le nez de Nsibura. Le rocher frappé par
la chute du tison à demi consumé émet un son que rendent
bien les mots suivants : « Tu n ’es plus un homme! »
(ntur’ umuntu!) O . Le fils de l’esclave se sent tout aussitôt
incommodé (afatirwaho n ’ agaseseme); les vomissements
le prennent, aramokorwa); la fumée maudite avait
provoqué son malaise. Il veut se lever pour faire passer
le vertige qu’il éprouve, en se disant que ce n ’était q u’une
indisposition passagère. A peine a-t-il fait quelques pas
q u’il trébuche et tombe de tout son long sur un des
piquets qui avaient servi à fixer- les susdites membranes.
Les fourmis blanches, en attaquant ce bois pour le
ronger n ’avaient fait que le rendre plus dangereux.
La tète de l’ancien pieu s’était amincie. On devine ce
qui arriva. Nsibura se blessa grièvement au dos. Le corps
enfla aussitôt.
On l’installa sur une litière, mais il mourut en route.
La nouvelle s’en répandit vite dans le pays.
Mission de Kavuna. Son désespoir et son châtiment.
Kavuna avait survécu aux maux du royaume. Il avait
reçu la mission de ramener l’héritier.
Le moment était tout indiqué. Le prétendant n ’était
plus, la famine pourtant ne cessait de désoler le pays.
Seul, le roi légitime pourrait faire renaître la joie et
l ’abondance (kubundur’ Urwanda). Kavuna, soucieux de
s’acquitter des ordres de son père, se dirigea par petites
étapes vers la capitale de Ndagara.
Dès le premier soir il frappa à la porte d’un certain
Nyaruzi, fils de Haramanga : « Ouvrez-moi et donnez-moi
un gîte pour la nuit. Te vous apporte des nouvelles ». On
lui offrit des haricots, il les refusa; il n ’accepta pas davan­
tage la bière. « Avez-vous du tabac? Je ne désire que celui

(*) Ces mots runyarwanda « ntur’ umuntu » forment onomatopée.

254

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

dont les feuilles de mauvaise qualité ont été abandonnées
dans la plantation. » 11 ne fut pas difficile de lui en
trouver. Tout en fum ant son tabac à odeur acre il com­
mença ainsi : « Je vais vous raconter ce que je sais.
Écoutez : L’arbre sacré est tombé 0). Le roi du tarau
(arum comestible) (2) est mort, Nsibura a été pris dans
son propre piège, mais il n ’y a plus dans le pays que des
huttes en ruines ou abandonnées ». Les hôtes sont saisis
de stupeur et d’étonnement. Le lendemain Kavuna arrive
chez Nyamikenke, un célèbre faiseur de pluie, qui paraît
avoir exercé une grande influence à son époque, dans le
pays de Bussigi, où vivent encore ses descendants.
« Offrez-moi l’hospitalité! (ni munl'ungurire) » crie-t-il à
l’entrée de la cour. Il est invité à entrer.
On lui présente à boire et à manger. Il refuse comme
la veille et n ’accepte q u’un peu de mauvais tabac :
« L’arbre sacré est tombé, le Tarau par excellence n ’est
plus ». Le voyage se continua dans les mêmes conditions.
La scène se répétait d’une façon identique tous les soirs.
Il racontait, à qui voulait l’entendre, la mort de Nda­
hiro, la fin de Nsibura et l’étal lamentable du royaume.
Kavuna atteignit enfin le Karagwe et ne tarda pas à
retrouver Ruganzu chez sa tante : « Hâte-toi, lui dit-il, le
pays est à l’agonie (Urwanda lwose rwalembye), C’est ri
bref délai l’extinction de la population (igihugu chalimbutse) si tu tardes à rentrer. Il n ’v a pas de temps à perdre.
Viens vite relever le trône de tes pères. Le désordre le plus
(!) L’arbre sacré dont 11 est question n ’est autre que le roi dont on
annonce la mort. C’est une métaphore. L’arbre dont on emprunte le
nom pour désigner la personne royale est un ficus de grandes dimen­
sions qui pousse très vite. Les indigènes aiment à utiliser cette essence
pour clôturer leurs cours.
Les écorces qui servent de vêtements sont tirées de ce même arbre.
(2) Le souverain est aussi appelé le roi de l ’arum comestible ou choucaraïbe (Ruteke) parce que la racine de cette plante est un aliment très
recherché.
On désigne encore le monarque sous le nom de « Rutenderi » ou tau­
reau sacré. On comprendra l ’allusion en se rappelant le cas et l ’estime
que font les Ratutsi de leurs troupeaux et surtout du taureau qui sert
pour la reproduction.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

255

profond règne dans le royaume; il n ’y est pas tombé une
goutte d ’eau depuis que Ndahiro a abandonné le sceptre
(yatanze). Viens donc le sauver ». Le jeune prince,
quoique bien soigné par sa tante, avait eu à subir bien
des avanies de la part de son oncle ombrageux et de ses
cousins jaloux. Aussi vit-il de bon œil l ’arrivée de son
frère. La proposition q u’il lui faisait n ’avait pas de quoi
lui déplaire. Ruganzu n ’hésita pas. Il fit part de sa déci­
sion à sa tante qui lui donne des habits et des armes, non
sans verser des larmes. Elle pensait aux dangers du
voyage. Ruganzu essaye l ’arc et la lance qui lui sont
présentés. L’arc tendu se rompt, la lance brandie se casse
en deux.
Il fallut lui remettre les armes qui avaient appartenu
en propre à son père. Seul, le costume d’apparat, une
peau de « colobus » travaillée et découpée en fines franges
portée jadis par Ndahiro lui seyait à merveille. Les prépa­
ratifs achevés, Ruganzu se mit e» route avec Kavuna et
le fidèle Mihwabaro à qui il avait été confié. Les chiens
préférés, qui ne le quittaient pas, suivaient la petite cara­
vane. Le prince adolescent profite de l ’absence de Ndagara
pour prendre congé de Nyirabunyana et fuir au pays de
ses pères. Il marche en toute hâte, présumant une pour­
suite de la part de son tuteur : « Comment saurais-je, lui
avait demandé sa tante qui l ’aimait, que tu es arrivé sain
et sauf P » — « Tu l ’apprendras, répondit Ruganzu, quand
tu entendras résonner les tambours de la capitale. »
Quand ils furent près du fleuve de la Kagera que l’on
devait traverser pour pénétrer dans le Rwanda, Ruganzu
s’arrête jouant l’étonnement : « Et mes sandales, — sorte
de semelles faites d’une lamelle de cuir que les Banyar­
wanda utilisent en voyage — que j ’ai oubliées! » Kavuna
se propose d’aller les reprendre à la maison : « Tu les
trouveras suspendues sur le pilier du milieu ».
Ruganzu avait été mis au courant de l’indiscrétion
commise par son frère consanguin; il connaissait la malé­
diction qui s’en était suivie. L ’heure du châtiment allait

250

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

sonner. Au moment où Kavuna s’éloigne, Ruganzu dit à
voix basse : « L ’ignorant est attiré par la contrée où il doit
mourir (intamenya y’umugabo itabazwa ubuzagwayo) ».
Il voulait dire par là que Kavuna ne reviendrait plus dans
sa patrie. Ce dernier, ne se doutant de rien, fait diligence.
Sa tante se met à pleurer en l’apercevant : « Qu’y a-t-il
donc, mon enfant ? » — « Je suis venu chercher les chaus­
sures que mon frère dit avoir laissées par mégarde sur le
pilier des arcs! » — « Mais non, pauvre Kavuna, c’est la
mort qui te guette, je le vois (n’ urupfu rwakusamye ).
Ruganzu n’a rien oublié. Les chaussures étaient bien dans
le panier que je lui ai remis, à côté des graines royales
(irnbutu nkuru) ».
Kavuna presse le pas en se demandant ce qui l’attend.
11 aperçoit au loin Ruganzu qui a passé le fleuve et
demande à être porté sur la rive du Rwanda. Les bateliers
lui disent q u’il leur est enjoint sous peine de mort de
refuser sans pitié le service de leur barque. Kavuna com­
prend à la défense q u’on lui oppose pourquoi son frère lui
a fait rebrousser chemin. Il a été la dupe de Ruganzu. On
ne veut plus de lui, on l’abandonne à son sort, il doit
mourir en exil. Il éclate en sanglots : « Malheureux que
je suis! s’écrie-t-il. Je suis proscrit; je n ’ai plus de patrie.
Maudit par mon père, abandonné par mon frère, com­
ment pourrai-je vivre sur une terre étrangère? Et pourtant
c’est moi qui suis venu le prendre au Karagwe, pour le
faire régner. Au lieu de m ’en récompenser, il me rejette
comme un proscrit. Combien triste est mon sort! Infor­
tuné Kavuna! Eh bien! mes peines, mes maux, je les lègue
aux vivants (umuruho nyusigiv’ abagabo) , je les lègue aux
vaches, aux animaux! » De cet incident de voyage est
venu l’axiome qui a désormais cours dans le pays, « que
personne n ’a autant pâti que Kavuna (ngo yarushije uwa
Kavuna) ».
Là-dessus, fou de douleur, après avoir clamé son cha­
grin aux échos d’alentour, notre désespéré brise son arc,
sa lance et se précipite dans le fleuve.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

II.



P

e r s é c u t io n s

DURANT
D

angers

s u b ie s

SON S E JO U R

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court

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l ’a FRIQUE

R

257

u ganzu

KARAGW E.

pendant

le

voyage.

Son oncle et ses cousins tentent de l’assassiner.
Ruganzu était bien l’homme prédestiné qui devait sau­
ver le royaume. Les « mânes » du Rwanda veillaient sur
lui dès le berceau. Son enfance et sa jeunesse s’étaient
écoulées au milieu d’embûches et de périls. Même dans le
Karagwe il ne trouva pas toute la sécurité q u’il était venu
y chercher. Bien que sa tante maternelle l’eût entouré de
soins et d’affections, il n ’en avait pas été de même de la
part de son oncle et de ses cousins.
Maintes fois ils formèrent le dessein de se débarrasser
de lui sans oser toutefois s’y prendre ouvertement. Un
jour q u’on l’avait envoyé puiser de l’eau, avec des enfants
de son âge, il reçut pour sa part une cruche ébréchée.
C’était la marque qui devait le désigner aux coups des
assassins apostés sur le chemin. Ruganzu qui n ’était pas
sans intelligence, à peine sorti de la maison, dit à ses
petits compagnons : « Ébréchez tous votre cruclie ».
Cette première tentative avorta.
Les instigateurs du complot dirent une autre fois aux
affidés qui devaient tuer l’enfant : « Pour connaître celui
qui doit tomber sous vos coups, appelez-le par son nom de
Ndori. La mort doit suivre la réponse ». Le petit prince
portait ce vocable, le titre du Ruganzu ne devait lui être
donné que plus tard. Ayant appris la chose, il adresse la
recommandation suivante à ses camarades : « Si l’on
demande qui est Ndori parmi nous, répondez tous à la fois
que c’est le nom que nous ont donné nos parents.
Ruganzu avait une petite lance en fer qui devait le faire
remarquer de ceux qui en voulaient à ses jours. Il l’aban­
donne aussitôt dans un fourré. Les tentatives criminelles
Mf!M. ÏNST. ROYAL COLONIAL BELGE

17

25 8

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

dirigées contre sa vie furent ainsi déjouées par son savoirfaire et son adresse.
On a dit précédemment que Ruganzu, sur l’invitation
de Kavuna, s’était mis en route et avait dû partir durant
une absence de son oncle et de ses cousins (arahengera
bataraho). 11 refusa même les suivants que sa tante lui
proposait et ne prit avec lui que Mihwabaro qui ne l ’avait
jamais quitté et son frère.
Celui-ci venait d’être congédié dans les circonstances
que l’on sait. Ils étaient déjà loin quand ils entendirent
une rumeur... Les prévisions de Ruganzu ne l’avaient pas
trompé. L’oncle ayant appris le départ de son protégé,
s’étaif mis à la tête de ses hommes pour courir après le
fugitif. On aperçoit de loin la troupe qui avance à grands
pas. Sans plus larder, le neveu quitte le sentier battu et
s’enfonce dans les bois.
Un gros arbre se dressait au m ilieu d’un fourré. Les
deux hommes grimpent sur le sommet et se dissimulent
dans le feuillage; les chiens, conscients du danger se
glissent dans le creux du tronc.
11 était temps. Les Baragwe approchaient. Ils avaient
ordre de rattraper Ruganzu et de le tuer. Les alentours
sont fouillés.
On passe vingt fois aux pieds de l’arbre sur lequel se
trouvait la victime vouée à la mort.
Nul ne songe à lever les yeux pour regarder dans les
branches. Ruganzu et son compagnon ne perdaient aucun
de leurs mouvements. Les hommes du roi du Karagwe
poursuivirent leurs recherches jusque vers le fleuve. A
leur retour, ils défilèrent encore sous les regards des deux
fugitifs.
Aussitôt qu’ils eurent disparu à l’horizon, Ruganzu ef
son camarade se jugeant hors de danger descendirent de
l ’arbre et continuèrent leur voyage. Ils atteignirent le
fleuve à leur tour. Le chef batelier, voyant qu’il avait

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

259

affaire à des inconnus, refuse de les laisser monter sur sa
barque.
Le maître de l’embarcation avait un gros bracelet de
cuivre autour du bras. Pendant qu’il parlemente il
éprouve sur ce membre une douleur atroce, comme si le
bracelet se resserrait pour s’enfoncer dans la chair vive.
11 comprend sur-le-champ qu’il a devant lui des gens peu
ordinaires. Il se met aussitôt à leur service.
Arrivé sur la rive droite, Ruganzu élève la voix et
s’adressant d’un ton solennel au batelier : « L’homme qui
se présentera pour passer, je te défends de lui prêter ta
barque. Soit qu’il vienne aujourd’hui, demain ou aprèsdemain, montre-toi inflexible. Si j ’entends que tu as
désobéi à mes ordres, je te tue, j ’extermine ta race, je
détruis ta maison »... On sait ce qu’il advint de Kavuna
et comment il expia sa fatale indiscrétion.
Ruganzu, cependant, continuait sa marche en avant.
En chemin, il eut à se mesurer maintes fois avec des
patrouilles ennemies : les Barundi au Sud, les Banvabyinshi au Nord. Il ne fut jamais à bout d’expédients; ici
il lutte de vitesse, là il se travestit et passe sans être
reconnu; ailleurs il se cache dans des cavernes qui lui
offrent une issue du côté opposé à l’entrée que l’ennemi
a bouchée ou enfumée (*). Exposons les faits d’après la
légende.
Poursuite de Ruganzu par les Barundi.
Ruganzu se trouvait dans le Bugessera sur le territoire
des Barundi. Des vachers abreuvaient leurs troupeaux à
une source d’eau minérale (amashvuza). Le trou était
profond, quelques-uns d’entre les pasteurs étaient descen­
dus dans l’excavation et puisaient au moyen de jarres et
de cruches.
(!) La légende la plus commune, c’est celle qui lui fait franchir d’un
seul bond, pour échapper à la poursuite de ses ennemis, un espace
énorme, un précipice, une vallée, en laissant sur un rocher l ’empreinte
de son pied. Cf. Chapitre cinquième.

26 0

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

D ’autres faisaient la chaîne et versaient le liquide dans
les bassins d’argile préparés à cet effet. Ruganzu s’arrête.
Voyant la façon dont ils se passaient les jarres de l ’un a
l’autre, il se met à rire et s’adressant à son compagnon :
<( Comme ces gens sont curieux! » — « Quel est donc cet
étranger qui se moque de nous? ripostent en chœur les
Barundi. Viens donc nous montrer comment on s’y prend
chez vous autres, au Rwanda! »
Ruganzu ne se fait pas prier, il prend place au m ilieu
d’eux. On lui met une première cruche entre les mains,
il la renverse en faisant le maladroit : « Périssent ainsi
les ennemis du Rwanda! » marmonne-t-il entre les dénis.
La deuxième il la prend dextrement entre les mains, la
tient élevée et prononce à demi-voix les paroles suivantes :
« Je ramène l’ordre et la paix dans le Rwanda ». — « Avezvous donc entendu ce que vient de dire cet homme?
s’écrient les voisins de Ruganzu. C’est un chien !
(n’imbga). Il nous a insultés. Il est venu ensorceler notre
source et nos vaches. A-t-on jamais vu chose pareille? »
Et tous de se jeter sur Ruganzu et son inséparable servi­
teur. Ils essaient de les encercler.
Nos deux voyageurs ne leur en donnent pas le temps.
Ils s’échappent à toute vitesse. Les Barundi ont beau
courir après eux en gesticulant et en poussant des cris de
mort. Ils se trouvent devant un étang dans lequel Ruganzu
s’est jeté avec son compagnon. Les pasteurs ahuris les
revoient bientôt après, sortir du côté opposé : « Quels sonl
ces êtres extraordinaires qui plongenl sous les eaux »,
s’exclament-ils. Leur stupeur est à leur comble : « Pourvu,
ajoutent-ils, qu’ils ne nous arrive pas d’autre malheur! »
Premières rencontres avec les gens de Nsibura,
les Banyabyinshi.
Le pays du Rwanda était encore sillonné de bandes
d’ennemis.
Même après la fin tragique de Nsibura, ses partisans, les

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

261

Banyabyinslii (les Riches) n ’en continuèrent pas moins
d’exercer leurs ravages. Ruganzu eut à lutter d’adresse et
de ruse avec eux.
Sur le point d’être cerné par ces guerriers infatigables,
Ruganzu et son suivant se jettent une deuxième fois dans
un petit lac et reprennent pied sur l ’autre rive. Le même
fait se reproduit plusieurs fois; les fleuves, les lacs, les
étangs, les marais le dérobèrent à propos aux atteintes de
ceux qui le poursuivaient. Le prince hamite était insai­
sissable; ses ennemis n ’avaient aucune prise sur lui. Les
Banyabyinslii entre autres en surent quelque chose.
Ruganzu leur échappa toujours, en plongeant sous les
eaux ou en les jouant habilement.
Un jour qu’il était serré de près par ces derniers, il
rencontre une hutte habitée par une vieille femme : « Ohé!
la mère, cache-moi bien vite ». A peine la vieille l’a-t-elle
fait mettre sous le lit que les persécuteurs arrivent à
leur tour : « N’as-tu pas vu un homme qui vient de passer
à l’instant? » — « Non, répond la femme, personne n ’est
venu chez moi. Cela je le jure, non par les gens du
Rwanda, mais par les gens de l’Urundi et de tous les
autres peuples excepté toutefois ceux dont mon mari
pourrait descendre. »
De la part de la digne fille d’Ève, c’est une finesse par­
faitement comprise de ses interlocuteurs qui flairent tout
de suite une supercherie. En termes équivalents, c’est
comme si elle leur avait dit : « Je ne voudrais pas le jurer
par les gens du Rwanda qui sont mes compatriotes, mais
je le fais volontiers en me servant du nom des Rarundi,
<>-ens méprisables avec lesquels je n ’ai aucune relation et
dont on peut invoquer im puném ent le nom pour mentir. »
Aussi les questionneurs ne la croient pas sur parole. Ils
se présentent chez un devin célèbre, qui, après avoir
consulté le sort, leur assure que Ruganzu est caché sous
le grabat.
Ils retournent vers la hutte, mais ne trouvent point celui

262

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’AFRIQUE

q u’ils cherchaient. La maîtresse du logis les ayant vu
revenir de loin, avait fait entrer son protégé dans une
immense cruche (intango).
Dans le but de dérouter les chercheurs, elle s’était mise
à attiser le feu du foyer avec du bois de senteur, pour en
chasser l’odeur et la fumée sur une peau de vache q u’elle
préparait pour s’en faire une jupe (inkanda).
Une deuxième fois consulté, le devin leur désigne la
cruche; Ruganzu en était sorti à temps heureusement
avant le retour de ceux qui le traquaient. Une botte d’her­
bes lui avait servi de refuge.
La nouvelle cachette est indiquée aux assassins.
Ruganzu quitte son abri d ’occasion, revêt une peau de
veau prend un bâton de vacher à la m ain, se donne un
autre extérieur et va s’asseoir à l’endroit où l’on trait
habituellement les vaches.
Furieux de leur déconvenue, les Banyabyinshi retour­
nent chez le magicien : « Sorcier de malheur, espèce de
lâche! (Nyakuvun’ umuheto, briseur d’arc, c’est-à-dire
lâche) auras-tu bien vite fini de nous tromper? » Le devin
leur dit l’accoutrement et le déguisement de Ruganzu. Ils
reviennent sur leurs pas, le faux pasteur avait disparu.
Par contre, nos sbires se croisent en route avec un homme
lourdement chargé, portant sur la tête une peau de vache
enroulée. Le sorcier détourne encore une fois leur cour­
roux en leur expliquant la ruse : « C’est Ruganzu luimême que vous avez rencontré en chemin, renfermé dans
la peau et sur les épaules de l’individu qui vous a fait un
pied de nez ».
Ils se précipitent sur les traces du mystificateur. Celui-ci
avait depuis quelques instants mis son fardeau à terre.
Ruganzu s’était dégagé et ils l’aperçoivent au loin qui
pressait le pas.
Ils se jettent à sa poursuite; le dépit et la fureur
décuplent leur vitesse.
On verra par l’épisode suivant qu’ils avaient affaire à
plus fort qu’eux.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

263

Huyanzu se réfugie dans une grotte où il est enfumé.
Curieux incidents.
Les Banyabyinslii se croyaient sûrs de leur proie.
Ruganzu allait se trouver acculé par eux dans un fond de
vallée. Et voilà q u’il disparaît subitement à leurs regards.
Une caverne à l’ouverture étroite l’avait dérobé à leur
atteinte.
La grotte se prolongeait fort avant sous terre (ichobo
cli’ igitahasi). Ils n ’osent entrer à sa suite. Ils ramassent
du bois et des herbes sèches. Quelques-uns d’entre eux,
pour faire plus vite, démolissent les cases voisines et en
entassent les matériaux à l’entrée. On met le feu au tas et
les Banyabyinshi, avec des feuilles vertes de bananiers,,
essaient de chasser la fumée (gwuka) dans l’intérieur de
l’antre pour asphyxier Ruganzu.
Mihwabaro avait suivi son maître; leurs chiens ne les
avaient pas quittés.
Pendant que les Ranyabyinshi étaient tout entiers à
leur oeuvre de mort, les chiens avaient déjà exploré la
caverne, à la recherche d’une autre issue. Ils font lever
une troupe de singes (inguge) qui dormaient au fond
d’une excavation.
Surpris dans leur sommeil et dirigés par l’instinct de
conservation, les quadrumanes, dit la légende, creusent
un nouveau souterrain. La terre vole sous leurs griffes.
La gent canine se lance à leur poursuite; les singes, pour
leur échapper se hâtent à l’ouvrage. Ruganzu et son com­
pagnon n ’ont q u’à suivre.
La diligence que les primates mettent à fuir ne fait
q u’exciter l’émulation des lévriers, jusqu’au moment où
un rocher leur barre la route en créant un obstacle infran­
chissable : « 0 Dieu secourable! (ay’ibambe) ô le Miséri­
cordieux! s’écrie Ruganzu atterré. Puissent les esprits de
mes ancêtres me venir en aide dans cette difficulté
(m uli chvo chagane)! Si au moins j ’avais offert de nom ­

264

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

breux sacrifices en l’honneur de mon père défunt! 0
esprits des initiés (à la société secrète de Ryangombe qui
joue un grand rôle dans le pays), tirez-moi de ce mauvais
pas!... »
« Tais-toi, reprend son compagnon Mihwabaro, et ne
gémis plus. Souviens-toi que ton père Ndahiro m ’a chargé
de veiller sur tes jours.
» .Te t’ai suivi au Karagwe, je ne me suis jamais séparé de
toi durant la route. Jusqu’ici tu ne m ’as rien offert poul­
ies services que je t’ai rendus. Que me promets-tu et je
m ’engage à te sortir d’embarras? Dis-moi ce que tu me
donneras! »
« Je suis le roi du Rwanda, lui répond Ruganzu, tu
recevras un gouvernement (ubutware) et de nombreux
villages. Je te ferai don de troupeaux de vaches (nkurundir’ imibande y’ inka), je t’aiderai à fonder une famille
et je comblerai tous tes vœux. »
« Non ! riposte Mihwabaro un peu piqué, ce n ’est pas cela
que je désire, je veux autre chose. »
« Que puis-je t’offrir de mieux? Le miel du Rwanda,
ajoute Ruganzu, sera à ta disposition. On en fera de
l’hydromel (amuki, inkangaza) et tu en boiras tous les
jours à satiété. » Mihwabaro hoche la tête : <( Il s’agit
bien de miel », riposte-t-il. « Parle donc, dit Ruganzu. qui
ne savait que penser, explique-toi enfin. Que demandestu? » — « Tu sais bien que je t’ai protégé, je t’ai accom­
pagné, à ton départ du Rwanda comme au retour. Tu
n ’ignores rien de ce que j ’ai fait pour toi. Rien que ces
derniers jours, pour te donner le temps de fuir et de
détourner l’attention des Banyabyinshi, je suis resté dans
la hutte où nous nous étions réfugiés. J ’y ai allumé le feu
(ulva muliro n ’ urushingo nagushingiraga) comme le fait
un propriétaire chez lui et je me suis mis à jouer de
l’instrument à cordes.
» Tes ennemis ne se sont doutés de rien, te le rappellestu? Ce que je veux en retour, c’est de pouvoir m ’inviter

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQUE

265

partout où il y aura une fête, dans le Rwanda, et d’avoir
ma pari de bière. Chaque fois donc q u’il se célébrera un
mariage, q u’on bâtira une nouvelle case, qu’on se rassem­
blera pour l’initiation à la société secrète de Rvangombe,
et les autres cérémonies rituelles, donne-moi le droit de
me présenter et de participer aux agapes. Quand on
Iuera une bête, ordonne à tes sujets de m ’en réserver un
morceau. Je réclame tout particulièrement « ce qui ter­
mine la colonne vertébrale » (umulizo n ’ inguge yawo
alicho kizete). Peu importe q u’on se moque de moi, q u’on
me méprise (bannene), il suffit q u’on me donne ce que je
demande. Fais-y ajouter aussi la tête et les entrailles de
l'animal égorgé. Je désire que désormais on me désigne
sous le nom de Mutwa. » Depuis ce temps, ajoute la
légende, les Batwa commencèrent à faire parler d’eux.
Ils se réclament de leur ancêtre Mihwabaro; c’est de lui
q u’ils descendent et ils sont restés fidèles à son esprit et à
ses goûts. Ruganzu avait écouté avec une curiosité amusée
et étonnée.
« C’est donc cela que tu souhaites! Sois tranquille
(hurnura), tes désirs seront satisfaits! Je t’accorde tout ce
que tu me demandes. » Mihwabaro, créé « Mutwa », plonge
la m ain dans la blague à tabac (uruhago) q u’il portait
suspendue au cou et en retire un lourd marteau : « C’est
l’instrument, dit-il, que j ’ai reçu de ton père Ndahiro,
quand il nous fit ses dernières recommandations. Il nous
le remit à Mpande et à moi et nous dit dans sa prévoyance :
« Mihwabaro, mon ami, prends ce marteau et ne t’en
» défais jamais, car viendra un jour où les deux bras
» vous tireront d’un mauvais pas (hazaz’ igihe ch’ ama» boko kw’abiri kazabateturura) ». Et ce disant, prenant
à deux mains le marteau, il en frappe le rocher à tour de
bras, en haut et en bas, à droite et à gauche. Les pierres
volent en éclats, la masse rocheuse disparaît et le Rwanda
se présente à leurs yeux ravis.
Ils se trouvaient dans la province sacrée du Rumbogo

26 6

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

sur le flanc de la majestueuse chaîne de montagnes de
Luhanga qui leur avait livré passage.
Dans la région de Rulindo, entre les deux chaînes de
Luhanga et de Bussigi, les indigènes montrent deux
grottes à Ilemera et à Bushoke qu’ils assurent avoir servi
de refuge au célèbre Buganzu. Antres et rochers servirent
souvent de retraite au roi aventurier, ajoutent les chroni­
queurs. Une autre fois q u’il se trouvait au pays du
Bugamba, Buganzu fut attaqué par les habitants du pays.
Il ne lui restait plus aucun moyen de fuir. Le prince avait
été refoulé dans un cul-de-sac quand il disparut (yiligita)
soudainement au travers d’un rocher à l’endroit dit de
« Ishishi », à Russokovu, non loin du lieu où, d’après la
tradition, son père Ndahiro avait été tué. Après s’être
entr’ouverte, la paroi rocheuse s’était refermée sur lui, au
grand ébahissement des Banyabvinshi. Ruganzu ressortit
plus haut. Des arbres sacrés (imana) qui ont conservé le
nom du monarque marquent l’emplacement où eut lieu
le prodige. Du rocher qui avait servi de refuge à l’heureux
prince a surgi, content les Noirs, une source abondante et
très connue dans le pays. On la désigne sous le nom de
Kiruhura; ses eaux sont très appréciées des vachers qui y
conduisent souvent leurs troupeaux (*).
D ’après une deuxième interprétation, c’est Mihwabaro
lui-même qui de ses propres mains ouvrit à Ruganzu un
passage, en creusant une galerie à l’opposé de celle par où
leur arrivait la fumée. Le Mutwa fut pour ce motif désigné
sous le nom de « inguge », singe cynocéphale. Les descen­
dants de Mihwabaro ont conservé cette dénomination. Les
Batwa, qui forment la garde du corps du roi dans les
voyages et les expéditions, ne portent pas d’autre titre
dans les récits.
(i) Il n’est presque pas de grotte dont l ’existence soit indépendante
du souvenir de Ruganzu.
La caverne qui s’ouvre non loin de Kigali, à Ijabana, dans le Buliza,
a été, d’après une autre légende, le théâtre où s’est déroulée la scène des
cynocéphales.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

267

Le service signalé rendu par Mihwabaro à Ruganzu,
ajoutent les mêmes conteurs, valut à ses descendants
d ’être compris dans la catégorie des Abiru où se recrutent
la plupart des employés de la Cour. Ils habitent la pro­
vince du Bumbogo, au lieu appelé la « Capitale du feu »
(kwa Bgami bga Mùliro). Le village est ainsi nommé
parce que les habitants sont considérés comme les « fai­
seurs de feu officiels » (Abanyarushingo) (1).
C es! à cette famille de Batwa q u’il appartient de rallu­
mer le feu, si jamais il venait à s’éteindre, dans la
fameuse hutte consacrée au roi Gihanga, le dixième de la
dynastie. Les membres de cette corporation prennent
régulièrement leur tour (guzilik’ amezi) à la capitale,
pour y exercer leurs fonctions.
Service important que rendit au roi un autre Mutwa
appelé M itim ’igwanyi.
Ruganzu se trouvait dans le bois dit de Ruganda. Les
Banyabyinshi, ses ennemis, l’apprennent et mettent le feu
aux quatre coins. Il soufflait un vent violent qui active
les flammes. Des hautes herbes et de la broussaille l’incen­
die se communique aux branches des arbres et aux troncs
eux-mêmes.
Le monarque ne savait quel parti prendre et s’attendait
à mourir. Un Mutwa l’aperçoit, s’approche de lui : « Je
puis te sauver, mais je demande une récompense ».
Suit alors une conversation pareille à celle de l’épi­
(1) Le mot « urushingo » indique l’action de fixer et vient du verbe
gushinga, qui veut dire « fixer, planter ». Les Batwa se servent, en
effet, pour faire du feu, de deux baguettes d’un bois très sec qu’ils
appuient l’une sur l’autre.
On imprime un mouvement rapide de rotation à celle qui est fixée per­
pendiculairement sur la seconde, d’où le nom de « gushinga », fixer.
A leur point de jonction se forme une fine poussière qui s’enflamme
bien vite à la suite du frottage. Tel est le mode classique dont se servent
les Batwa pour se procurer du feu dans le centre de l’Afrique.

268

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

sode précédent. Le souverain accepte les conditions de
M itim ’igwanyi : « Je le jure, dit le roi, je confirmerai les
privilèges que tu exiges pour les tiens ». Le Mutwa avait,
en effet, ajouté q u’il périrait dans l’incendie, pour le
salut du roi.
Le temps pressait, l’incendie se rapprochait.
M itim ’igwanyi se couche à plat ventre et engage
Ruganzu à se placer sur son dos... L’homme se met à
ramper, s’aide comme il peut des mains et des pieds, passe
par-dessus les troncs embrasés qui obstruaient le sentier
et réussit à traverser la zone en feu.
Ruganzu sortit à peu près sain et sauf de la fournaise,
mais le Mutwa, brûlé sur tout le corps, ne vécut que
quelques instants. Son héroïque dévoûment avait sauvé
la vie du souverain qui tint ses promesses. Les princes
hamites sont les obligés des Batwa, d’où la grande fam i­
liarité de ceux-ci vis-à-vis du roi.
Les paroles, faits et gestes prêtés aux Ratwa sont presque
toujours marqués au coin de l ’ironie. Ils sont composés
pour amuser les auditeurs. Les bardes ou conteurs indi­
gènes excellent à faire rire aux dépens des Négrilles et ne
cessent d’inventer de nouveaux détails dont personne n ’est
dupe.

111. —

D

e r n ie r s

é p is o d e s
de

R

r e l a t if s

uganzu

a

l ’a v è n e m e n t

.

Accueil qu’il reçoit chez un faiseur de pluie fameux
et prodiges qui signalent sa présence.
Après mille péripéties, plus extravagantes les unes que
les autres, le prince arrive au Rissigi où les fiers monta­
gnards attendent toujours l’héritier du trône. 11 se fait
connaître à Nvamikenge, le faiseur de pluie. Ce dernier
habitait sur le haut plateau de Kayenzi où l ’honorable et
fructueux métier de tempestaire s’est continué dans cette

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

269

famille célèbre, de père en fils, sans interruption ju squ’à
nos jours. La soirée était déjà avancée.
« Ohé! s’écrie Ruganzu, voulez-vous donner l’hospita­
lité à un roi qui se présente à votre porte et lui offrir un
gîte pour la nuit? » L ’entrée de la cour qui précède la
hutte était fermée.
« Hélas! répond de l’intérieur Nyamikenge, vous parlez
de roi. Nous en aurions un pressant besoin, nos maux sont
extrêmes. Où peut-il se trouver en ce moment? 11 y a
longtemps que nous en sommes privés. On raconte que le
fils de Ndahiro s’est enfui au loin, chez les Sauvages
(Abashi) d’où il ne reviendra plus. Depuis lors nous
n ’avons que des ennuis en partage. Les malheurs ont
fondu sur le pays (ibintu birachika byose). » — « Viens
donc dégager la porte et nous ouvrir, reprend Ruganzu et
je te donnerai des nouvelles qui feront battre ton cœur. »
Au moment où il pénètre dans la cour les tambours du
maître de céans résonnent tout seuls, l’unique vache se
met à beugler et... à vêler à l’instant. La femme de
Nyamikenge, qui attendait vainement sa délivrance, voit
enfin ses vœux exaucés. C’est en même temps un tinta­
marre inusité et de bon augure dans l ’intérieur du lo^is.
Les poules caquettent, les coqs lancent leurs cocoricos aux
échos d’alentour. Nyamikenge comprend : « C’est le roi,
s’exclame-t-il. Nous sommes sauvés ».
Et il l’accueille des salutations les plus flatteuses. « Sire!
Sauveur! Père! Mère! etc. (Nyagasani, Rukiza, Biheko,
Data, Mubyeyi). »
Pendant que cette scène se déroule dans la case, le ton­
nerre se met à gronder accompagné d’une forte pluie.
« Le sol assoiffé depuis de longues années n ’avait jamais
reçu une ondée aussi bienfaisante », poursuivent les
conteurs.
Le bonheur était entré dans la hutte de NyamikenRuganzu fut fêté et soigné en conséquence. On lui prépare
la meilleure place; un feu est allumé près de son lit.

270

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Tout eût été pour le mieux si le faiseur de pluie n ’avait
eu une malencontreuse idée.
Quelques jours après l ’arrivée de son hôte, croyant bien
faire, il prend une hache et égorge la vache blanche qui
venait de lui donner un veau. Il se disait que la viande
serait bien accueillie de Ruganzu. S’approchant donc de la
couchette sur laquelle reposait le roi : « Maître! (databuja)
lève-toi! » — « Que me veux-tu, dit Ruganzu. » — « On t’a
préparé à manger. Nous avons pu nous procurer de la
viande. »
— « De la viande! dis-tu Mais comment as-tu réussi à
en trouver? Les quelques vaches qui restent ont été con­
duites au loin dans les rares pâturages de la forêt. »
— « J ’ai tué la vache blanche », répond le pluviateur, un
peu interloqué. « Comment, reprend le roi, tu as osé
abattre une vache mère. Que va devenir le veau? Est-ce
que tu n ’as pas honte d’un tel acte? Tu ne t’es pas senti
ému de pitié (gahengahenge) devant une mère (imbveyi)
et son petit. » — « Je n ’avais pas autre chose à t’offrir »,
fait Nyamikenge en s’excusant.
« Approche-toi, crie Ruganzu, et étends les bras. »
Séance tenante le roi irrité lui coupe les mains de deux
coups de hache : « Je vous maudis tous, habitants du pays
de Russigi. Désormais il ne se traira plus de vaches chez
vous. Vous n ’aurez plus besoin de faire du feu (guchanir’
inka) dans la cour pour les apprivoiser. Votre village
n ’entendra désormais plus leurs meuglements. »
La légende ajoute — ce qui n ’est plus vrai à l’heure
actuelle— que les gens de Russigi n ’ont jamais plus pos­
sédé de vaches à partir de cette date. Après un acte aussi
répréhensible, Ruganzu ne pouvait séjourner sous un toit
si peu digne d’estime. Il partit à l’instant après avoir
expressément recommandé le petit veau : « Avez-en soin,
je vous le réclamerai plus tard, ainsi que la peau de la
victime ».

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

271

Heureux effets de l’arrivée de Ruganzu
et découverte inespérée du tambour royal.
La nouvelle de l’arrivée de Ruganzu se répandit vite.
On accourait de tous côtés pour le saluer. La foule grossis­
sait sur son passage; les acclamations enthousiastes
l’accueillaient partout. Sa marche était un triomphe.
Sur les collines on frappait le tambour en son honneur.
Le pays était en fête.
Les prodiges qui avaient signalé l’entrée de Ruganzu
dans la case du faiseur de pluie avaient eu leur réper­
cussion dans l ’étendue du royaume. La fécondité reparut
dans les familles. Les troupeaux bénéficièrent pareille­
ment des effets bienfaisants de l’arrivée du prince.
A chaque arrêt de Ruganzu, pendant que les tambours
clament l’allégresse des sujets, on lui présente les vaches
de la contrée comme l ’exige la coutume (kubyukurukiz/
um w am i). Les veaux gambadent et bondissent autour de
leurs mères. Les cris des pasteurs se mêlent aux beugle­
ments des animaux.
C’est un brouhaha joyeux. On trait les bêtes devant le
roi, qui après s’être réservé sa part, fait distribuer le
reste à sa suite.
La pluie apporte avec elle la fraîcheur et la fécondité.
Les beaux jours vont renaître. Les « youyou » (impundu)
des femmes et des enfants accompagnent partout le
souverain. Des exclamations joyeuses retentissent dans
les villages, annonçant que d’heureuses mères sont enfin
délivrées ou que de nouveaux ménages vont se fonder.
Ruganzu avait ramené l’ordre, la paix et le bonheur. Le
Rwanda avait enfin retrouvé son sauveur et son roi f1).
Les derniers ennemis furent vaincus en peu de temps.
H) Les Banyarwanda ne sont pas moins prolixes à décrire une époque
heureuse qu’à dépeindre leurs malheurs. Voici dans leur idiome national
un spécimen de ce nouveau tableau :
« Abagore babyar’ ubgo. inka zose ziherako zibyara... Ingoma zivugirr

272

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’ a FRIQUE

Ruganzu en finit avec les terribles Ban^abyinshi; il mas­
sacra les uns, soumil les autres el les attacha à son service
pour la défense du royaume.
Une chose cependant préoccupait le monarque et sa
cour. La joie n ’était pas complète. Mpande, revenu de sa
retraite du Ruhanga, avait mis Ruganzu au courant des
coutumes et des traditions. Les fêtes et les cérémonies
avaient repris leur cours à la capitale. Mais le « Kalinga »
faisait défaut et nul ne savait où il se trouvait. Ce tambou­
rin est, en effet, le palladium de l’État, l’emblème mêm**
de la royauté. Sa disparition inquiétait vivement Ruganzu,
ainsi que les grands qui l’entouraient.
On avait interrogé les vieillards. Les renseignements
obtenus se réduisaient à ceci. Au moment de la mort de
Ndahiro, un jeune homme appartenant au clan des
« Abiru » ou gardiens des traditions ancestrales, avai*
emporté le précieux instrument et s’était réfugié dans la
forêt avec son dépôt. Dès lors nul n ’en avait plus entendu
parler. On obtint enfin des renseignements plus précis.
Des gens appartenant au même clan et qui, eux aussi,
s’étaient cachés dans le maquis, pour fuir les Banyabyinshi, vinrent un jour trouver le roi : « Nous connaissons
l ’endroit où est le tambourin, mais il te sera difficile de
le reprendre; il est gardé par un énorme serpent ». Ils lui
racontent que le gardien du tambour, après avoir épuisé
ses dernières provisions, ne voulut pas abandonner l’em­
blème royal. Il choisit un monticule où s’élevait un grand
arbre aux branches en parasol (inganzamarungu) (1). Le

umwami, inka ziramubyukulukira, rubanda rwe lwose ruramushengerera.
Ukw’ ingoma zivuga inka nazo zilinikira, zirakamwa, Imvura yari
yarahangamye kw’ ijuru, iherakw’ igw’ ubgo. Mu Rwanda hose impundu
zivugira Ruganzu lwaje kubundur’ ikihugu. Izindi zivugir’ abagore
babyaye n’abakobga bashyingiwe.
Nukw’ Urwanda rurahabuka kuko kiramir’ Urwanda yari yaje. Ab'
umwami, igihugu kiramuyoboka arachyima... » etc. etc.
t1) De « marungu », essaim d’abeilles, et de « kuganga », dépasser.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

27 3

fidèle serviteur grimpa avec son tambour sur le sommet
de l’arbre auquel il s’attacha étroitement et ne larda pas à
m ourir d ’inanition. Son corps à la longue se dessécha et
devint semblable à du bois mort. Le temps lit son œuvre,
le squelette se réduisit en poussière et de ses cendres sortit
un énorme serpent. Celui-ci s’est enroulé autour du tam­
bour. Personne ne peut en approcher; le reptile a des
allures de python et met en pièces ceux qui osent s’aven­
turer sur son domaine, pour aller y ramasser du bois mort
ou couper des arbustes. « Voilà donc, ajoutent-ils, ce
q u’est devenu le tambour de tes ancêtres ».
La nouvelle réjouit grandement le prince. Il envoie surle-champ des messagers dans les différentes directions :
« Le Roi, annoncèrent-ils à son de trompe, désire q u’on
lui apporte du lait, de l ’hydromel, de la bière fermentée,
du jus de bananes mélangé au miel et à la farine de sor­
gho. Hâtez-vous! » Au jour désigné, les jarres de lait et les
cruches de bière vinrent de partout.
On réunit en nombre des vaches et des bœufs gras.
Ruganzu, suivi de ses gens, se m it en route pour la forêt
à la recherche du palladium . Le cortège grossit en cours de
route. On battit les tambours dans les villages. Il s’agis­
sait d’un événement extraordinaire. On atteignit la futaie:
les cœurs battaient d’émotion. Ruganzu ouvrait la marche
accompagné de son peuple. L’arbre mystérieux apparut à
leurs regards. La foule anxieuse fit cercle à distance. Le
roi donna l ’ordre d’égorger les bœufs et les vaches
grasses. La forêt retentit des beuglements des victimes.
Les quartiers de viande, d’où se dégageait une fumée
de sang chaud, furent rangés à proximité de l’arbre. On
verse à part le lait et la bière dans les barquettes ou auges
de forme allongée en bois (imivule) apportées à cet effet.
De ces liquides, de ces liqueurs s’exhalaient un fumet, une
vapeur agréable qui se répandaient dans l ’atmosphère.
Le python en fut comme enivré. Il déroula ses anneaux,
abandonna le tambourin et se laissa glisser sur le tronc.
M E m . I n s t . R o y a l Co l o n ia l B e l g e .

18

274

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Ayant touché terre, c’est d’abord la viande qui l ’attira. Il
se dirigea ensuite vers le lait, puis vers l’hydromel... Il
but à longs traits, l’ivresse le saisit, il devint inoffensif.
Les soldats d’élite (ibisumizi) de Ruganzu s’approchèrent
du reptile. Ils étaient suivis de près par les gardes de corps
et enfin par le gros de la troupe.
Le reptile, criblé de traits, expire. Le tambour est dégagé
et remis à Ruganzu qui le prend dans ses bras et... le serre
avec effusion. On le transporta à la capitale au m ilieu
d’un grand concours de peuple.
Le trône royal était à jamais affermi par la recouvrance
du palladium.
Quelques événements secondaires.
Ruganzu s’était fait réserver chez Nyamikenge la peau
de la vache qui avait été si malencontreusement tuée. On
lui amena aussi le veau mâle qui avait grandi.
Comme la peau du tambourin s’était détériorée durant le
long séjour dans la forêt, on se servit pour la remplacer
de celle que les gens de Bussigi apportèrent. Un autre des
tambours de la capitale se trouvait en mauvais état. On
employa la peau du taurassin pour le réparer. Depuis
cette époque ce tambour appelé « Ndamutsa », c’est-à-dire
« le salut du roi » (du verbe « kulamutsa », saluer (‘),
parce qn’on le frappait dans la matinée au moment où le
roi se montrait à ses sujets), n ’a cessé de se faire entendre
à la capitale.
Jadis il donnait aussi le signal de l’exécution des
condamnés, spectacle auquel ne m anquait pas de s’inté­
resser autrefois une bonne partie de la Cour.
Nous avons dit que Ruganzu avait eu à souffrir de
l’hum eur ombrageuse de son oncle et de la jalousie
Iracassière de ses cousins. En garda-t-il rancune? Peutêtre. Toujours est-il q u’il ne paraissait pas vouloir y
t1) Le sens littéral de Ndamutsa est « je salue » (le roi).

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQU E

275

donner suite, lorsqu’une circonstance imprévue réveilla
un beau jour les instincts de vengeance du lier Mututsi :
« Nous t’avons sauvé, lui firent-ils dire par leurs messa­
gers; si tu es monté sur le trône de tes pères, c’est à nous
que tu le dois.
» Que vas-tu nous donner en retour des services que nous
t’avons rendus? » — « C’est vrai, répondit le roi, vous
m ’avez offert un abri, je ne l’oublierai pas... C’est pour­
quoi je me contenterai de vous faire une seule défense,
alors que vous mériteriez d’être exterminé.
» Écoutez bien ce que je vais vous dire. Vous avez
comme nous l’habitude de traire vers les huit heures du
matin (ku mabyukuruka). Eli bien! vous laisserez tomber
cet usage.
» Si j ’aperçois de la fumée à ce moment-là (les Banya­
rwanda allument toujours du feu, au milieu du troupeau,
pendant que se fait la traite des vaches), je saurai que
vous m ’avez désobéi.
» A l’odeur du lait frais qui viendra frapper mon odorat,
je saurai que vous avez contrevenu à mes ordres. » C’est
ainsi que s’exprima « Celui qui sait parler aux hommes »
(Lugam birir’abagabo), un autre nom de guerre de
Ruganzu : « Allez-vous-en, ajouta-t-il aux envoyés. Dites
à votre maître qu’il tienne compte de mes paroles. Je n ’ai
pas d ’autre réponse à lui donner. Engagez-le à la prudence
s’il ne veut pas avoir affaire à moi ». Les envoyés rentrè­
rent et firent la commission. « Comment, s’écria le roite­
let mécontent, en apprenant l’injonction de son neveu.
C’est toute la reconnaissance de Ruganzu. 11 ose nous
traiter de cette manière! » Ndagara ne fit aucun cas de cet
ordre bizarre. Ruganzu ne tarda pas à l’apprendre (l). 11
n ’v avait plus de ménagements à garder. Une expédition
est aussitôt dirigée sur le Karagwe.
(!) Il est à croire que ses espions l'informèrent mieux que l ’odeur du
lait, du superbe dédain de Ndagara pour cette injonction originale.

27 6

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Les vaches lurent pillées et conduites au Rwanda; on
appauvrit le pays. La vengeance que le roi hamite tira
de son oncle ne fit q u’accroître sa renommée (ichyatwa,
ikilangirire) dans la région. On se souvient que l ’ex-reine,
en dépit du nombre de ses enfants, n ’avait pas donné de
prince héritier. En succombant au piège dressé par son
mari, elle avait aggravé son cas. Son avenir était com­
promis sans retour. 11 n ’y avait plus d ’espoir pour elle et
ses fils. Ayant appris que Ruganzu approchait de la
capitale, la malheureuse comprit q u’il n ’y avait pas à
compter sur un retour de la fortune. Elle se renferma
dans une hutte avec ses enfants et y m it le feu. L ’incendie
les dévora tous. Les sorciers dispersèrent les cendres au
vent.
CHAPITRE III

Ruganzu guerrier. — Ses hauts faits. — Eclat de son règne. —
Succès de ses nombreuses expéditions. — Ses promenades m ili­
taires. — Aspects différents de la conduite du prince vis-à-vis
de ses rivaux et de ses voisins.
Il est impossible de narrer par le détail tous les faits
que la légende et la tradition prêtent au conquérant
hamite : ils sont innombrables. Les récits suivants, très
appréciés des indigènes, donneront une idée de la popu­
larité de Ruganzu parmi les Ranvarwanda. Ils aideront à
comprendre le rôle que joua à son époque le célèbre
monarque transformé en héros par les chansons de gestes.
Il fut admirablement servi par les circonstances.
Nsibura, le plus puissant de ses ennemis, disparaît avant
son avènement au trône, sans q u’il ait à intervenir.
Le Nord-Ouest du Rwanda, où vivaient les Ranyabyinshi, se soumet presque sans résistance.
Au lieu de s’attaquer de front à ses ennemis ou à ses
rivaux, Ruganzu préfère employer la ruse comme il le fit
pour Nzira, dans le pays de Rugara.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

277

C’était sa méthode préférée, semble-t-il. Il laisse provi­
soirement de côté ceux qui ne peuvent lui nuire et
contracte alliance avec les plus forts dont il redoute la
puissance.
Le temps travaille pour lui; ses successeurs n'auront
q u’à continuer et à consolider une œuvre si bien com­
mencée. 11 est vrai aussi que Ruganzu avait de qui tenir.
Ses prédécesseurs avaient eu à lutter vigoureusement pour
se maintenir dans leurs possessions et pour arrondir
ensuite leur domaine. Le fils de Kigeri, MutabaziMibambge, nous l’avons vu, après avoir repoussé, du
vivant de son père, les Banyoro, réussit à pénétrer dans le
Nduga; il parvint ensuite à se débarrasser du roiteletsorcier Mashira, avec lequel il était tout d ’abord entré en
relations d’amitié pour refouler les susdits envahisseurs.
Durant longtemps ce ne furent que luttes continuelles
entre les Hamites et les autochtones, puis entre les
Hamites eux-mêmes. Ruganzu marcha sur les traces de ses
ancêtres et les éclipsa de sa gloire. Il est évident que les
différents personnages auxquels eurent affaire les monar­
ques Ratutsi, y compris celui dont nous décrirons la
carrière, n ’avaient pas tous la qualité et le titre de roi.
Quelques-uns n ’étaient que de simples particuliers, qui,
pour une raison ou l’autre, s’attirèrent l’animosité des
fougueux Hamites. La défaveur qui atteignit ces infor­
tunés et la fin malheureuse q u’ils firent leur valurent
d ’être rangés par les historiens dans la catégorie des
« abahinza », c’est-à-dire des roitelets ou prétendants et
des révoltés (en runyarwanda abagome).
Parmi les nombreuses victimes du Conquistador afri­
cain, on peut ranger à côté des chefs, de riches proprié­
taires, des possesseurs de troupeaux et de pauvres hères
qui lui avaient simplement déplu ou qui lui avaient été
dénoncés à tort, car les intrigues et les cabales des courti­
sans ont été de tous les temps et de tous les lieux. « La
malice de l ’homme, disait un vieux conteur dont les tra­

27 8

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

verses dans la vie ne se comptaient plus, s’est souvent
exercée sur son semblable. >>
Aussi ne faut-il pas prendre à la lettre tout ce qui est
rapporté par la légende. Pour honorer leurs héros et
ajouter du lustre à leur gloire, les bardes ont une tendance
explicable à rehausser le rang et la puissance de ceux qui
fuient sacrifiés et immolés.
Artistes, poètes et écrivains s’entendent à faire valoir
leurs œuvres.
D

é f a it e

de

N z ir a ,

f il s
de

de

B

M

u l a m ir a

ugara

,

dans

le

pays

.

Le roi hamite rêvait de se débarrasser d’un certain
Nzira, qui détenait le pays de Bugara. Restait à connaître
le moyen q u’il emploierait pour y réussir sans danger.
Ruganzu avait eu beau immoler un taurassin, un m ou­
ton et une chèvre. Les sacrificateurs, après avoir lu l’ave­
nir dans les entrailles des victimes, ne purent lui donner
l’assurance de la victoire sur son ennemi. Les aruspices
avec leurs poussins ne furent pas plus heureux. Les sorts
étaient défavorables à une campagne en règle.
Ayant consulté de nouveaux sorciers, ceux-ci lui pro­
mettent le succès, mais à condition de se déguiser et
d ’aller lui-même trouver son adversaire.
Buganzu se dépouille de ses insignes royaux. Bevêtu
d ’une vulgaire peau de mouton, comme le commun des
mortels, il va trouver Nzira.
A peine entré dans le territoire de ce dernier, il s’en
prend d ’abord à l’arbre qu’avaient planté les ancêtres de
son rival et que pour cette raison celui-ci entourait de
respect et de vénération. D ’un coup de hache il fait tom­
ber l ’une des fortes branches orientées du côté du Rwanda,
en disant : « Puissent les mânes de mes pères m ’aider à
vaincre! »

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

279

De la blessure faite sur le tronc, il sortit du lait. C’était
une marque de bon augure.
Il frappe une autre branche de l’arbre dans la direction
opposée faisant face au village de son ennemi. Il en jaillit
du sang, présage de mort pour Nzira. En cours de route
il fait la rencontre d’une femme qui le reconnaît et le
salue de ses titres. Ruganzu l’arrête et lui demande le
secret en lui promettant ses faveurs pour plus tard. Elle
avait un fils qui fréquentait Nzira et passait pour être un
de ses favoris. Il a ses allées et venues libres auprès du
roitelet. Le jeune homme servira donc d’intermédiaire
et d’introducteur à la Cour du prince.
Ruganzu se fait conduire chez son rival qui deviendra
bientôt sa victime et se donne comme un grand chef du
Rwanda persécuté. « Je possédais, lui raconte-t-il, un
grand nombre de collines, j ’avais plusieurs habitations et
de grands troupeaux. Le roi m ’a dépouillé de tout et je
me suis enfui. Veux-tu m ’accepter à ton service? »
Le ton du beau parleur convainquit Nzira, qui de par
ailleurs n ’était pas fâché d’obtenir des renseignements
plus précis sur le roi du Rwanda.
Le bruit s’était répandu en effet que ce monarque devait
tenter un coup de m ain sur son territoire; le sort le favo­
risait en lui envoyant quelqu’un qui était en état de le
mettre au courant des intentions de son ennemi et pour­
rait lui donner de bons conseils. Il lui fit donc le m eil­
leur accueil.
Par son savoir-faire Ruganzu capta la confiance du
roitelet, malgré les soupçons et les pressentiments de la
mère de ce dernier.
La vieille douairière trouvait l’étranger trop flatteur
pour être bien sincère et suggérait à son fils d’être
prudent.
Nzira l ’avait admis dans son intimité, l’invitant souvent
à boire avec lui. Chose curieuse, toutes les fois que
Ruganzu pénétrait dans l’intérieur de la hutte, les poules

28 0

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

se mettaient à caqueter, les vaches à meugler, les veaux
rompaient leur corde, les tambours résonnaient d’euxmêmes, les courges qui servent de récipients s’entre­
choquaient. Le phénomène se renouvelait quotidienne­
ment, ce qui faisait sursauter la mère de Nzira. Elle disait
suppliante et larmoyante : « Défie-toi, m on enfant, cet
homme revêtu d ’une peau de mouton n ’est autre que
Ruganzu; tu refuses de m ’écouter, il va nous arriver
malheur ».
Le rusé prince n ’avait que trop bien réussi à gagner les
bonnes grâces du chef, chez lequel il passait la plus
grande partie de la nuit à protester de son entier dévoue­
ment et à lui prédire son triomphe futur sur le roi du
Rwanda.
11 se faisait fort, ajoutait-il, de veiller sur sa sécurité,
de l’avertir à temps de l’approche de ses ennemis et de le
tirer du danger. Durant les intervalles que lui laissaient
ses assiduités auprès du chef, Ruganzu prenait ses disposi­
tions. 11 s’était lié par le pacte de sang avec le jeune
homme qui l’avait présenté chez Nzira. Son frère de
sang le renseigna sur les richesses du pays et sur les forces
en hommes donl pouvait disposer le roitelet. Ruganzu fit
alors avertir ses guerriers.
Ceux-ci se mirent en route et l ’on aperçut bientôt la
fumée de leurs campements. Ils n ’étaient plus qu’à une
journée de marche. Pour donner une certaine vraisem­
blance à ses discours et entretenir Nzira dans sa fausse
sécurité, l’ « Homme à la peau de mouton » (Chambara
ntama) lui annonça à l’avance l’arrivée de Ruganzu et de
son armée : « Us ne sont pas loin et tu peux t’attendre à
une attaque imminente. Ne crains rien toutefois, ils ne
sont pas aussi puissants q u’on le dit. Nous les vaincrons
sûrement ». La mère de Nzira n ’en devenait que plus
anxieuse et plus pressante : « Mon fils, lui soufflait-elle à
l ’oreille, tu ne veux pas me croire, je suis sûre que nous
avons affaire à Ruganzu lui-même; il ne s’est déguisé que

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

281

pour mieux nous trahir. Le péril nous menace (Uzumva
uli habi) ! ». — « Ce ne sont que des paroles de femme
craintive », lui répond Nzira. « Puissent mes pressenti­
ments ne pas se réaliser », ajoute la pauvre créature.
Le dénoûment approchait. Ruganzu assure à son rival
que le premier choc aura certainement lieu dans la jour­
née du lendemain. Il lui propose un stratagème qui lui
donnera la victoire : « Autant que je connaisse les Banyarwanda, tu peux t’attendre à leur arrivée ici, dès demain.
Prends donc tes mesures en conséquence. Fais battre le
tambour. Dis à tes gens de préparer de la nourriture et
surtout beaucoup de vin de bananes. Dès que l’ennemi
paraîtra, dis à tes gens de prendre la fuite et simule une
grande frayeur. Les Banvarwanda, très goulus, se jette­
ront comme des chiens affamés sur les vivres et le pombe.
Nous surviendrons alors à l’improviste et nous les exter­
minerons ».
Nzira fut charmé de cette leçon de stratégie. Il donna
des ordres pour la faire exécuter. Ruganzu avait prévenu
le jeune homme et sa mère : « Si vous entendez du bruit
durant cette nuit, restez tranquilles chez vous, il ne vous
arrivera rien de mal ».
C’était à peu près vers l’heure de m inuit. Les Ranvarwanda, profitant des ténèbres, s’étaient avancés subrep­
ticement et avaient enfin rejoint Ruganzu qui les attendait
dans la hutte du chef. Celui-ci, plus que jamais rempli de
sécurité, dormait profondément. Ruganzu, une serpette
à la m ain, s’approche de la couche de son rival. Nzira,
comme sous l’impression d’un mauvais rêve s’écrie :
« Ohé! l ’homme à la peau de mouton, j ’ai rêvé que
Ruganzu allait me tuer ». — « Ce n ’est pas un rêve,
reprend celui-ci, c’est une réalité. » Et d’un seul coup il
fend la tête de son ennemi. La mère de Nzira s’était
réveillée en sursaut au moment du drame : <( Je te l’avais
bien dit ». Le roi la précipite hors du lit et la fait empaler
dehors toute vivante : « Vieille sorcière, continue donc tes
prophéties sur mon compte comme autrefois ». Les

282

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Banyarwanda firent bombance, ils passèrent des journées
entières à boire et à manger. On m it à feu et à sang le
district de Nzira. Le butin fut tel que les chemins
n ’étaient pas assez larges pour le laisser passer et q u’il
fallut des mois et des jours pour l ’emporter. Le jeune
homme et sa mère, qui avaient si bien reçu l’exilé et lui
avaient donné les renseignements voulus, s’appelaient
l ’un Gatsobe et l’autre Nvirarutsobe. Ruganzu les fit porter
en triomphe à la capitale. 11 donna au fils sa propre fille
en mariage et lui confia le gouvernement de plusieurs
provinces. De l ’union de Gatsobe avec la fille du Hamite
sortirent les Batutsi qui forment encore aujourd’hui un
clan important parmi les Batutsi. On les appelle Batsobe,
du nom de leur ancêtre.
M

eurtre

de

Nya ga ket ch u ru

« Nyagaketchuru » (la petite vieille) demeurait dans les
terres de Huyi. Elle y avait bâti une enceinte solide qui de
loin ressemblait à une forêt. Des arbustes épineux, les
<( minyonza » et les « m inyinya » (acacias) en fermaient
les interstices; des chardons montants (ibitovu) et de
grandes orties (ibisura) en garnissaient les abords.
Mais ce qui constituait la principale défense de la
demeure de Nyagaketchuru, c’était un serpent de l’espèce
la plus dangereuse, qui se tenait dans la haie et crachait
sur ceux qui venaient attaquer la maîtresse de céans.
Un matin, Ruganzu veut s’approcher. Nyagaketchuru
le met en fuite à l’aide de son reptile. Le roi ayant vu
que l ’enceinte de son ennemie est protégée par 1111 rideau
d ’arbres et d’épines lui fait offrir en cadeau, comme pour
la gagner, 1111 troupeau de chèvres.
La propriétaire du logis accepte sans défiance. Ruganzu
avait son idée. Le temps devait lui donner raison.
Le troupeau est entouré de soin; les chèvres mettent bas
et deviennent nombreuses. Nul parmi les gardiens ne
fait attention à leurs déprédations.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQUE

283

Les ovidés dévastent l’épaisse clôture de Nyagaketchuru.
En broutant la palissade, elles l’ajourèrent peu à peu
et y firent de vastes brèches.
11 n ’y eut bientôt plus de haie. C’est ce que voulait le
roi du Rwanda. Le serpent, ne s’y trouvant plus en sécu­
rité, se sauve au loin. On vient avertir Ruganzu que les
chèvres ont dévasté l’enceinte derrière laquelle se réfu­
giaient Nyagaketchuru et ses gens. Il revint accompagné
de ses hommes.
A son approche, la vieille monte sur le haut de sa
maison. Elle eut beau faire des incantations pour arrêter
les assaillants, ceux-ci la précipitent en bas et la percent
de leurs lances. Ruganzu s’empara de ses biens et emmena
ses troupeaux.
On se distribua les domestiques et les servantes.
Les vainqueurs ne quittèrent la colline qu’après avoir
mis le feu à l’ensemble des cases. L’endroit est devenu,
depuis ce temps, un lieu désert et inhabité.
« Seule, disent les gens, la petit muraille en terre, sur
laquelle Nyagaketchuru rangeait ses vases à lait, a survécu
aux ravages des hommes et du temps et se voit encore
à Huyi. »
Quelle est la part de vérité qui se dégage de ce banal
épisode auquel les contemporains de Ruganzu ont donné
une certaine importance.
Il s’acrit probablement d’une vulgaire sorcière. Le prince
dut avoir recours à son art et lui offrit des présents, entre
autres un petit troupeau de chèvres. Les opérations
magiques n ’eurent pas le résultat qu’escomptait le royal
client ou bien celui-ci, prévenu par son entourage, eût-il
peur de ses sortilèges? En tout cas la dernière entrevue fut
tragique et la malheureuse périt assassinée. L’ « assaut »
des chèvres, qui, en broutant, détruisent la haie épaisse
servant de clôture, n ’est qu’une conception de l’im agina­
tion. Le peuple a applaudi au geste meurtrier, l’a embelli
et l’a classé parmi les grands faits du règne.

284

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE
D

é f a it e

s u c c e s s iv e

d ’a u t r e s

CONNUS SOUS LES NOMS DE G O G O ,
R

utoke,

etc

l ’a FRIQUE

personnages

N y A R U Z I, R

u

HANDE,

.

On était encore aux premiers jours du règne, racontent
les chroniqueurs. Ruganzu, ne se sentant pas encore
suffisamment fort pour attaquer de front ses ennemis, y
allait prudemment. Tantôt il feignait de lier amitié avec
eux pour faire face à un ennemi com m un; tantôt il se
déguisait comme il le fit lors de son expédition au Rugara,
chez izira. Tous les moyens lui étaient bons pour réussir.
Étant allé guerroyer dans le Kinyaga, il députa un de ses
lieutenants chez le chef de Mwito et de Biguzi. Muvunyi,
le fils de Kalema, dont on reparlera bientôt, fut envoyé
dans ce but. Gogo, le chef en question, le reçut entouré de
ses gens. Muvunyi, ne sachant que dire pour amorcer la
conversation, se donna comme porteur d’une nouvelle
importante : « Sire, j ’ai une communication grave à te
confier de la part de Ruganzu. La discrétion exige que je
transmette ce message sans témoin ». Gogo, trop confiant,
suit son interlocuteur qui l’entraîne à l’écart. L’habitation
du chef se trouvait sur un petit plateau. Muvunyi le con­
duit à l’extrémité, un peu en contre-bas. C’est alors que
le lieutenant du Hamite saisit son coutelas et le lui enfonce
sous l’aisselle ju sq u ’à la poignée.
Les gens qui suivaient de loin avaient vu le bras du
meurtrier s’élever, puis Gogo s’affaisser. Ils accoururent
à toute vitesse; le messager put s’enfuir à temps.
Ruganzu comptait désormais un ennemi de moins.
Nous verrons plus tard que le fils de la victime essayera
de venger son père. Ruganzu, blessé grièvement, refusera
le combat et reconnaîtra l’indépendance du successeur de
Gogo.
La province du Rurwe, que l ’on désigne encore aujour­
d’hui sous le nom de Ndala f1), était soumise au fils de
(!) Ndala sert à désigner le contingent m ilita ire recruté dans la pro­
vince.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

285

Haramanga, Nyaruzi, dont l ’habitation se trouvait à
Mukindo, non loin du ileuve de l ’Akanyaru.
Ruganzu, pour ne pas éveiller l’attention, ne voulul
prendre avec lui que quelques hommes dont MuyenziMutara, celui de ses fils qui devait lui succéder; Rwona,
le fils de Nyirantayandi, l’une de ses esclaves et Gihogwe
Ainsi accompagné, il se rendit chez Nyaruzi. On était à
l’époque des labours et des semailles. Le chef était allé
surveiller ses ouvriers. Ruganzu trouva chez Nyaruzi deux
invités qui buvaient de la bière et qui lui cherchèrent
querelle.
Survint alors le maître de la maison.
« Qui êtes-vous? » demanda-t-il à l’étranger et à ses
suivants. « Nous sommes des voyageurs (abangenzi) et
nous demandons un gîte pour la nuit », lui fut-il répondu.
« C’est bien », reprend Nyaruzi. Il les engage à entrer
et à s’asseoir auprès de lui. On avait préparé de nom ­
breuses cruches de bière, comme cela se fait quand on a
des travailleurs. Ceux-ci ne tardèrent pas à rejoindre le
maître qui les avait engagés. C’était la fin de la journée,
ils avaient terminé leur tâche. La soirée se passa dans; le
bruit et l’animation.
L ’heure n ’était donc pas à un coup de m ain. Sans se
déconcerter, le roi et ses compagnons prirent place autour
des pots de bière et attendirent que tous eussent bu. Les
heures se passent, les cruches se vident et les conversa­
tions vont bon train. Finalement, bien avant dans la nuit,
des ouvriers les uns se retirent et s’en vont chez eux, les
autres pris de sommeil s’endorment sur place.
Le silence et le calme de la nuit succèdent aux rires et
aux conversations.
Jugeant le moment favorable, Ruganzu tire son glaive
du fourreau et en perce la gorge de Nyaruzi étendu à ses
côtés. Les cris de la victime réveillent les dormeurs.
Serviteurs, ouvriers, voisins, tous se lèvent en poussant
des cris d’appel (induru). Le crime est bientôt connu.

286

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Ruganzu et ses compagnons se précipitent au dehors eî.
« s’enfoncent dans les ténèbres ». L ’éveil est donné dans
le village.
Les habitants sont sur pied et se mettent à la poursuite
des assassins. Les fuyards n ’ont pas d ’autre ressource que
de se jeter dans le bois qui longe le fleuve.
Pour ne pas laisser échapper leur proie, les gens de
Nyazuri cernent le bois et allum ent d’immenses brasiers
sur la lisière. Le danger devenait pressant; le cercle allait
se resserrant et le jour commençait à poindre.
On ne manquerait pas de fouiller les coins et d’explorer
les replis du terrain. Les meurtriers devaient tomber
infailliblement entre les mains de ceux qui les recher­
chaient.
« Déguise-toi en bûcheron (W ig ir’ umushènyi), dit sou­
dain Ruganzu en s’adressant au fils de l’esclave; traverse
les lignes de nos ennemis, fais-toi livrer passage et amène
vite du renfort; hâte-toi de nous lirer de ce mauvais pas.
Nous sommes en grand danger. » Rwona (ou Rgwona) se
prépare un lourd fagot de brindilles et de branches sèches.
Ses compagnons le lui chargent sur la tête. 11 rencontre
les premiers assaillants. On l’arrête pour le questionner.
« J ’étais venu faire du bois, répond-il, la nuit m ’a
surpris, je me suis attardé. »
Soupçonneux, ses interlocuteurs lui demandent s’il
n ’aurait pas vu des fuyards, des gens qui se cachaient :
« Oui, ajoute-t-il, je crois avoir aperçu de loin des gens
qui cherchaient à m ’éviter. » — « Indiquez-nous donc le
chemin? » — « Suivez-moi, je vais vous conduire. » Ils
font quelques pas ensemble, mais dans une direction
opposée. Les voyant sans défiance, le bûcheron de circon­
stance ayant un peu d’avance fait un bond et disparaît
dans un petit sentier... Les partisans et les amis de
Ruganzu n ’étaient pas très éloignés. Ils étaient à proxi­
mité de la région. Arrivé sur une hauteur, Rwona se mit à

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

287

crier que Ruganzu était en danger. Les guerriers arri­
vèrent à temps pour délivrer leur souverain.
L’épisode de Nyaruzi est célèbre et les allusions y sont
fréquentes dans les conversations. Ruganzu avait failli y
laisser la vie, c’est le plus clair de la légende.
Quelle fut au juste l’origine et la raison de la querelle?
Les récits sur ce sujet donnent plusieurs versions. Le
prince hamite, d’après un premier récit, dans une ren­
contre fortuite avec les gens de Nyaruzi, se serait mis à
les insulter et les aurait dépouillés de leur butin de guerre.
Conduit au tribunal du roitelet, celui-ci, ignorant la
qualité de l’étranger, le condamna à la restitution, d’où
l’accès de colère et de violence auquel se porta le monarque
vindicatif.
D ’autres racontent que Ruganzu, toujours en voyage,
traversait le Ndala et s’était arrêté chez Nyaruzi. Ce der­
nier était absent et le roi guerrier voulut quand même se
reposer et causer avec la femme de céans, originaire du
Rwanda. Nyaruzi à son retour en prit-il ombrage ou même
les surprit-il en faute? L’hypothèse est plausible.
Nous avons vu que Nyaruzi fut tué et que Ruganzu
l’échappa belle, c’est tout ce que l’on sait.
Le fourré dans lequel se cacha le roi existe encore en
partie à l ’endroit dit de Nyagahuru et a conservé le nom
du monarque (ikibira cha Ruganzu).
Muyenzi-Mutara, le fils aîné de Ruganzu, était, avonsnous dit, de la partie et partagea le danger de son père.
Gihogwe, un des hommes de l ’escorte, voyant le péril
pressant dans lequel se trouvait son maître, aurait devancé
Rwona, disent certains chioniqueurs. Monté sur un arbre
élevé, il se mit à crier avec une telle force que l’armée de
Ruganzu, qui était campée à Ruhim ba de M ujejuru (c’està-dire à une distance de 30 kilomètres environ), entendit
sa voix, raconte la légende, et se m it en route pour venir
délivrer le prince.
L’acte de Gihogwe est passé en proverbe.

288

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

« Ce sont les cris d’appel de Gihogwe » (induru va
Gihogwe), dit-on, quand on entend des clameurs per­
çantes ou des éclats de voix inusités.
On peut se demander quelle était la condition sociale
et politique de Nyaruzi par rapport au roi du Rwanda. La
victime est donnée comme Hamite dans le récit. Peut-être
ses ancêtres Batutsi s’étaient-ils taillés une petit princi­
pauté, comme le firent tant d’autres, à leur arrivée dans
le Rwanda, et nous nous expliquons alors la conduite de
Ruganzu.
Ou bien encore, Nyaruzi, grand clief de province, avaitil essayé de desserrer les liens de vassalité qui le ratta­
chaient au roi, en montrant dans ses relations avec lui
quelque indépendance? Nous eu sommes réduits aux
suppositions.
En quittant la province du Rurwe, Ruganzu parvint
dans la soirée au village de Ruhande. Ruhande était alors
le nom du chef lui-même. Le roi le rencontra dans ses
champs occupé à surveiller ses ouvriers. «Tuvire uluhande
limwe », c’est-à-dire « Finissons-en une fois pour toutes! »
s’écria Ruganzu, qui fait un jeu de mots, en employant le
nom du chef Ruhande, dans un tout autre sens. Et en
même temps il lui fracasse le crâne. « De cette façon, j ’en
aurais fini avec tous les ennemis de la région », ajoute
le terrible justicier.
Une autre fois, il était allé camper sur le fleuve de la
Nyabarongo, en face de Suti, la colline la plus importante
de la province de Muyambiriri. Ruganzu reprochait an
chef du village Gisulera, un pluviateur de renom, d’avoir
fait preuve d’insoumission. Le sorcier aurait même,
disaient ses détracteurs, menacé de mort ceux qui tente­
raient de traverser le fleuve pour pénétrer dans son pays.
Ruganzu, renseigné par ses espions, passe la rivière
durant la nuit et surprend Gisulera, qui est tué durant
son sommeil.
Gisulera mort, ses descendants ne furent pas inquiétés

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

289

Ils continuèrent leur rôle de « gardiens et de préserva­
teurs des récoltes » q u’assumaient presque tous les chefs
et roitelets du pays. Le titulaire actuel conserve le titre
de Muhinza ou de « roi des récoltes », en souvenir des
anciennes traditions.
En cette qualité il a encore le privilège du tambour. On
lui attribue le pouvoir d’écarter les sauterelles (nzige) et
les chenilles qui font en été de grands ravages dans les
récoltes. Le chef de Suti et les autres « bahinza », en géné­
ral, exercent cet honorable et lucratif métier qui les font
largement vivre. Lukambura, l’avant-dernier chef de Suti,
fut tué à Kamonyi en 1896, par le puissant ministre
Kabale, qui le croyait hostile au nouveau régime instauré
par lui; le fils de la victime continue à jouir paisiblement
de son « tambour » et à percevoir ses « honoraires ».
Le Muhanga, qui sert de limite au pays de Marangara,
obéissait à un sorcier célèbre, Rutoke-Rutukura, 1’ « hom ­
me au doigt rouge ».
On l’appelait ain^i parce que, dit la légende, il avait le
don prodigieux de mettre le feu à l’un de ses doigts
(gukongeza) dont il se servait comme d’une torche embra­
sée pour s’éclairer 011 allumer sa pipe. Le doigt brûlait,
ajoutent les conteurs, sans se consumer et sans que le
sorcier en souffrit autrement. Ruganzu redoutait les malé­
fices du magicien. Il résolut de s’en défaire. Le sorcier,
moins confiant dans son pouvoir, s’enfuit à l’approche du
Hamite qui réussit à l’atteindre et à le tuer à Rutaka, près
de la Nvabarongo.
Pendant que Ruganzu était occupé à guerroyer contre
ses ennemis et ceux q u’on lui présentait comme tels, il
fut offensé gravement par Kalinda, un petit chef Muhutu,
qui habitait à Riti, près de la mission actuelle de
Kabgavi. On conduisait au pâturage l ’un des troupeaux
du roi. En passant à Riti, les vaches, échappant à la sur­
veillance des gardiens, pénétrèrent dans un champ où
elles firent des dégâts. D ’où la colère de Kalinda. Les
m ém

. in s t . R o y a l c o l o n ia l b e l g e .

19

290

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

vachers furent maltraités et on alla ju sq u ’à frapper le*
vaches du roi. On rapporta la chose au monarque qui
résolut d’en tirer une vengeance éclatante.
En sa qualité de souverain, le pays ne lui appartenait-il
pas tout entier, champs et récoltes, bêtes et gens? Averti
à temps, Kalinda, sachant bien ce qui l’attendait, s’enfuit
au loin. On n’en entendit jamais plus parler. Ruganzu
s’empara de ses biens et les donna à ses partisans.
Ngurugunzu, chef indépendant du Bugamba; Kanyabirago, qui commandait à Gatenzi, à Kivum u et au Bgirika;
Sekera et bien d’autres furent attaqués par Ruganzu, qui
exerça à leur égard une justice sommaire. Pour se débar­
rasser d’eux Ruganzu se servit du moyen classique qui
lui avait si bien réussi jusque-là, en particulier chez Nzira
et chez Nyaruzi. Il se présenta comme voyageur ou comme
chef disgracié, qui pour échapper à la mort avait dû
s’enfuir de la Cour de Ruganzu.
On crut à ses paroles. Il fut hébergé, traité en ami. Nul
ne se défiait de lui.
Profitant du sommeil de ses hôtes, le vrai Ruganzu se
levait, immolait ses hôtes et retournait dans son camp où
on l’accueillait en vainqueur... pour d ’aussi faciles
victoires.
R

e l a t io n s

entretenues

par

R

uganzu

AVEC LE R O IT EL E T DU PETIT ROYAUM E DE M A RA N G A RA .

Outre les principautés dont on vient de parler, Ruganzu
à son avènement au trône, trouva le modeste royaume de
Marangara, qui était aux mains d’un M uhutu nommé
Nkoma. Le Marangara comptait en plus de ses limites
actuelles, les districts voisins, qui avaient été soumis par
les prédécesseurs de Nkoma. Il s’étendait au Rumbogo, au
Munyambiriri et au Muhanga.
Ne se sentant pas assez fort pour attaquer le prince
autochtone, Ruganzu lia amitié avec lui. Nkoma, roi et

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

291

devin, exerçait alors un grand prestige autour de lui. 11
pouvait se transformer à volonté, dit la légende, en tau­
reau emporté, en chien furieux ou tout autre animal
redoutable.
11 allait au-devant de ses ennemis et les terrassait sans
le secours de personne.
Il avait le pouvoir singulier de mettre le feu aux bananeries, qui se consumaient et se réduisaient en cendres
sous ses yeux.
Ses talents magiques étaient tels qu’il lui suffisait de
jeter en l’air un couteau et une cuisse de vache, par
exemple, la viande retombait à l’instant découpée en une
multitude de petits morceaux (bikigabanya byinshi). Son
renom s’était étendu au loin. Les Noirs croyaient à sa toutepuissance. On le craignait et on le respectait tout à la fois.
Ses sujets ne manquèrent de rien sous son règne. Le
prince autochtone commandait aux éléments et à la pluie.
Les semences (im butu z’ imyaka), q u’il distribuait annuel­
lement, réussissaient parfaitement, rapportant le centu­
ple, content ses admirateurs. L’abondance régnait dans la
principauté.
Ruganzu crut bon de le ménager, d’autant plus q u’il
passait pour un redoutable ensorceleur. Aussi le traita-t-il
d ’égal à égal tout d’abord. Il n ’eut q u ’à se féliciter de son
concours. Nkoma lui prêta les secours de son art magique.
Il se joignit à Ruganzu avec ses troupes et l’accompagna
dans nombre d’expéditions. Ce prince aborigène l’aida
particulièrement contre la sorcière de Huvi, la célèbre
Nyagaketchuru, et Rutoke, l ’homme au doigt rouge, le
sorcier de Muhanga.
Nkoma est un des rares roitelets qui n ’eut pas à souffrir
des agissements de Ruganzu. Ils vécurent amis jusqu’au
bout. Le sorcier périt dans un combat que le roi du
Rwanda livra contre les Rarundi.
Il se laissa surprendre dans une embuscade. Pour
échapper à ses ennemis il fit un prodige. Par l’effet de sa

29 2

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

puissance, disent les conteurs, la terre s’entr’ouvrit sous
ses pas et Nkoma disparut aux regards stupéfaits des
Barundi, qui étaient sur le point de s’emparer de sa
personne.
Le fait, ajoutent les bardes, se passa sur la colline de
Save, dans la province du Bgana-Mkali, à l’endroit où l’on
voit encore une sorte de tum ulus (um ugina). La nouvelle
de sa disparition étant parvenue chez lui, sa veuve ras­
sembla tout ce qui leur appartenait. On rangea les effets
et les objets du ménage dans de grands paniers, que des
serviteurs chargèrent sur leur tète.
La princesse, ainsi accompagnée, sortit de sa demeure et
gravit la colline qui porte le nom de son mari. Arrivée au
sommet, la terre s’entr’ouvrit comme pour son époux et
l’engloutit avec ses gens.
En reconnaissance des services rendus à Buganzu par
Nkoma, les descendants de ce dernier ne furent pas
inquiétés. Parmi ses successeurs, l’histoire relève les noms
de Nkoma II, Nyamurassa et Kibogo. Trois petits bosquets
indiquent la place de leurs demeures respectives. Il y eut
pourtant une brouille entre l’un de ces princes et le
monarque hamite, son contemporain, à la suite d’une
querelle de pasteurs.
Le roi du Rwanda prit parti pour les siens et se montra
fort mécontent. Quelque temps après, se trouvant en
voyage, il fut piqué à la jambe par un insecte. La blessure
s’envenima à tel point qu’il en mourut à Musamba.
Le prince M uhutu fut soupçonné de l’avoir ensorcelé.
On n ’osa toutefois rien tenter contre lui. Ses successeurs
conservèrent le sceptre jusqu’au jour où Kibogo, le dernier
d ’entre eux, mourut de la variole, en 1894 ou 1895. un
peu avant Lwabugiri, le roi du Rwanda. Les malheurs
fondirent sur le petit royaume.
Les chiques (pnlex penetrans) firent leur apparition et
beaucoup de malheureux, ne sachant ce dont il s’agissait,
moururent des suites des plaies occasionnées par cette

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

293

espèce de ciron. La peste bovine décima les troupeaux, la
famine survint. Les habitants se détournèrent alors du
descendant de leurs rois, incapable de trouver un remède
à leurs maux.
Il n ’avait probablement pas, ajoutent les Noirs crédules,
apporté en naissant les graines (imbuto nkuru) qui dési­
gnent l’héritier de la couronne et présagent un règne
prospère.
L ’autonomie qui n ’était plus que nominale déjà à cette
époque et les privilèges de la principauté ne sont plus
restés q u’à l’état de souvenir.
Les rois hamites du Rwanda ont vécu dans la persuasion
que la prospérité du Marangara venait du pouvoir magique
de son chef. Aussi ont-ils confié aux Rakoma ou descen­
dants de ces princes autochtones le soin de leur fabriquer
l’élixir de longue vie, appelé issubyo 0), d’où le nom de
Banyissubyo donné aux préparateurs qui se glorifient de
ce titre.
Cet élixir n ’est autre chose que de la bière de bananes
dans laquelle on a versé une mixtion faite des cendres
d’une sorte de champignon appelé agatumura et de celles
d ’une mousse, parasite de certains arbres, qu’on brûle
après dessiccation. On y ajoute encore de la poudre d’issuhyo q u’on obtient par la mouture des racines de cette
plante préalablement séchée au soleil. Chaque matin le
monarque en aspire par le moyen du chalumeau quelques
gouttes pour s’en rincer la bouche.
Sous l’empire de la même persuasion, on croit que le
ciel de Marangara est très favorable à la santé; les rois
hamites y ont fait un séjour plus ou moins long. La
colline de Mata, qui se trouve dans ce pays de cocagne,
a servi de résidence à Mutara-Lwogera. Le reine Nyiramavugo y a passé quelque temps et Lwabugiri a vécu un
f1) Les Banyarwanda se servent de ce terme pour désigner un certain
nombre de produits pharmaceutiques et tout particulièrement l ’ammo­
niaque qui a obtenu un grand crédit chez eux.

29 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

mois. Il n ’est pas ju squ’aux pierres à aiguiser qui ne soient
douées, dans ce lieu fortuné, de propriétés spéciales.
La pierre que l ’on voit encore à Mata, et qui a servi à
rendre plus aiguë la lance de Luganzu, a communiqué à
l’arme du fameux guerrier la vertu de tuer tous ses
ennemis.
On raconte même que les émissaires de la capitale, à
chaque règne, allaient en cachette effiler sur cette même
pierre les armes destinées à tuer les frères du nouveau
roi, capables de lui disputer la couronne.
Le

c h â t im e n t

O

des

« Bachuku

r ig in e

d ’u n

»

t r ib u t

et

des

« Bayumbo

h u m a in

».

.

Ce terrible châtiment fut la conséquence d’un acte de
gloutonnerie. On a vu dans les épisodes précédents que
pour réussir le prince hamite se sert de tous les moyens
licites et illicites. Le succès seul lui importe. Le récit sui­
vant va nous montrer comment il exerce sa vengeance
quand il estime q u’on lui a fait tort et q u’on a porté
atteinte à son prestige.
Au cours d’iine de ses nombreuses randonnées, Rugan­
zu se trouvait dans la province du Kinyaga, au Sud-Est du
lac Kivu. Un roi ne se déplace jamais sans se faire suivre
de vaches laitières, pour ses besoins personnels ('). De
plus, les troupeaux sont en principe la propriété du
souverain.
Le pays lui appartient avec ce qu’il renferme. Quand il
traverse une région, on lui amène les bêtes à cornes, dont
il peut disposer comme bon lui semble.
Libre à lui de les garder ou de les distribuer à qui il
veut. C’est la coutume. 11 advint q u’un des taureaux de
l’un de ces troupeaux chassé sans doute par ses rivaux,
vivait en solitaire et errait dans la campagne, endomma­
geant les cultures. 11 parvint ju squ’à l’endroit connu sous
t1) Un grand chef fait de même en voyage.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

293

le nom de « Sources d’eaux chaudes ». Les eaux y sont
légèrement alcalines, comme celles du lac et pour cela
fort prisées des troupeaux que l’on y conduit régulière­
ment. On les appelle « Amashuza », c’est-à-dire, les eaux
chaudes (du mot « gushuha » qui veut dire être chaud).
Les sources à cette époque au lieu de se développer en
étangs comme aujourd’hui, ne formaient alors que de
petites flaques. Le taureau royal trouvant que l’eau était
à son goût, agrandit peu à peu les trous. Les étangs
actuels, racontent les Noirs, datent de cette époque.
La hête paraissant abandonnée, les gens du pays, qui
faisaient partie du clan des Bachuku, friands de viande
comme leurs congénères et toujours à l’affût de ce qui
pouvait leur tomber sous la m ain, s’emparent de l’animal.
Ils l’égorgent séance tenante et le dépècent entre eux.
Ruganzu l’apprend. Gardant l’incognito, il se porte au
lieu ou le bovidé a été tué et demande sa part du butin.
Les Bachuku, voyant à ses traits q u’il s’agissait d’un
Mututsi, lui offrent chacun un morceau de viande, ainsi
q u’il en avait exprimé le désir. Le noble quémandeur
enfile les parts sur sa lance qui était d’une seule pièce et
toute en fer.
Arrive un vieillard du clan des Rayombo, attiré lui
aussi par l’odeur de viande fraîche. Devant le refus des
Bachuku qui ne veulent plus se dessaisir de la part qui
revient à chacun : « Attends un peu, dit Ruganzu, je ne
suis pas aussi pauvre ni aussi chiche que ces gens ».
Il lui présente sa lance sur laquelle avaient été fixés les
morceaux, en lui disant toutefois q u’il devait les retirer
avec les dents et non avec les mains. « Le plaisir ne doit
pas aller sans peine », ajoute-t-il. Le vieillard se soumit
bénévolement à la condition imposée et n ’éprouva pas
tout d’abord de grosses difficultés. Il en fut autrement
pour les derniers morceaux q u’il ne réussissait plus à
faire glisser. Ruganzu dut l ’autoriser à se servir de la
méthode commune.

296

UN R O Y A U M E

H A M IT E

AU

CENTRE

DE l ’a F R I Q U E

En agissant ainsi le roi n ’avait pas l’intention de faire
acte de condescendance et de libéralité. Ce n ’était là de
sa part q u’une pure comédie. Le nouveau venu avait à
peine terminé que le roi s’écria d ’une voix terrible : « Je
plante ici ma lance, je vais la laisser au milieu de vous
pour que vous lui donniez des enfants (c’est-à-dire des
victimes). En expiation du forfait que vous venez de com­
mettre, vous livrerez désormais à chaque avènement un
jeune homme et une jeune fille. Telle est ma volonté
(Iryo chumu libazaja m o..., Umwani uzima, m ubvarir’
ir’ ichum u; ni yima muvemo inkuke) ».
Et tout en s’éloignant il fait saisir deux jeunes gens et
deux jeunes filles q u’on sacrifia à Nyakafunzo (petit
marais), près du village de Gashashi, dans le pays dit du
Bukunzi. Depuis cette époque, affirment les indigènes, la
vallée dans laquelle se fit cette sanglante exécution s’est
transformée en marécage. L’histoire ajoute que le vieil­
lard, pour gagner les bonnes grâces de Ruganzu q u’il
prenait pour un simple Mututsi, lui aurait promis une
cruche de bière en échange de sa part de viande : « Peutêtre même pourrai-je t’offrir de l’hydromel ». La pro­
messe était de pure forme.
Le Hamite, sachant bien q u’elle ne serait pas tenue,
étant donnée la qualité des gens du pays, répondit : « C’est
entendu, mais si tu ne tiens pas ton engagement, ma
lance viendra le faire exécuter ». Ruganzu ne cherchait
a u ’à englober dans une même vengeance les habitants
de l’endroit, les Rayombo, dont faisait partie le vieillard,
et les Rachuku qui s’étaient emparés de la bête.
Telle fut l’origine du tribut hum ain pavé par les gens
du Kinvaga.
Comme punition du crime de lèse-majesté, les pre­
miers étaient tenus, à chaque succession au trône, de
livrer un jeune homme qu’on massacrait à Nyakafunzo,
au même lieu où Ruganzu avait exercé sa première ven­
geance. Les émissaires envoyés à cette occasion pour faire

UN

ROYAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

l ’a F R I Q U E

297

exécuter la sanglante loi, lui plongeaient un poignard au
défaut du bras. Le sang de la victime était recueilli dans
une jarre en bois que l’on portait ensuite, d’après les
indications reçues de la capitale, en pays ennemi. Par
l’effusion de ce sang maudit, les Banyarwanda escomp­
taient la défaite de ceux qui avaient offensé le roi ou
étaient en guerre avec lui.
Le cadavre du malheureux était abandonné dans le
marais, où les hyènes ne tardaient pas à le faire dispa­
raître. Quant aux Bachuku, c’est à eux qu’incombait le
soin de livrer une jeune fille.
Son sort pourtant était moins tragique. On la mariait
au Bumbogo, pays sacré situé sur le premier bras de la
Nyabarongo. Elle devait s’occuper de la culture du sorgho
et de l’éleusine, dont on portait ensuite les prémices en
grande pompe, une fois dans l’année, à la capitale. C’est
pour aider à la pratique de cet usage que les Bachuku
fournissaient le m oulin à farine, qui sert à moudre le
grain. LTne cruche en terre pour cuire la pâte et une
grande cuiller de ménage ou spatule (umwuko) pour tour­
ner la bouillie accompagnaient la pierre meulière.
Au dire des Noirs, lors de l’avènement du roi actuel au
trône, l’impôt hum ain ne fut pas réclamé. Les événe­
ments sanglants qui se déroulèrent à cette époque et à cette
occasion firent perdre un peu de vue la cruelle coutume.
Ajoutons aussi que les Bakunzi se prêtaient de moins
en moins à l ’odieux tribut et témoignaient d’une certaine
indépendance vis-à-vis du prince hamite.
Le pays s’appelle « Bukunzi », d’où le nom de
« Bukunzi » donné indistinctement à ceux qui l’habitent.
Il est gouverné par Ndagano, le plus en vogue des pluviateurs. Il n ’est pas un grand chef qui ne recourre à ses bons
offices, y compris le roi lui-même. L’autorité que lui
confère l’importance de son rôle de faiseur de pluie est
immense.

298

UN R O Y A U M E

H A M IT E

AU

CENTRE

DE l ’a F R I Q U E

Aussi ses sujets, qui sont au nombre d ’environ 15.000
ou 16.000, lui donnent-ils le titre de roi.
A part un petit groupe d ’élite qui ne le quille pas, il
reste caché aux yeux de ses sujets et à fortiori de tous les
étrangers, ce qui ne lui donne que plus de prestige (')■

CHAPITRE IV

Ruganzu guerrier. — Ses hauts faits.
Aspects différents de la conduite du prince vis-à-vis de ses
rivaux et de ses voisins (suite).
I. —

E x p é d it io n

de
du

bravoure

q u ’y

R uganzu

contre

un

r o it e l e t

R unyabungu;

d é p l o ie

un

de ses

l ie u t e n a n t s .

Des laits et gestes, vrais ou supposés, de Ruganzu, le
récit suivant est un de ceux qui sont le plus goûtés des
Ranyanvanda. 11 a pour nous l’avantage, malgré son
romantisme, de faire saisir sur le vif le caractère altier et
absolu prêté au roi par ses contemporains. Le thème est
le suivant : Sûr de lui-même et toujours entier comme il
était, le monarque avait un jour provoqué ses principaux
lieutenants; l’un de ces derniers relève le défi au grand
étonnement de tous. Le hardi champion sort pleinement
victorieux du concours de rivalité, réussit même à sauver
la vie du souverain, qui en éprouve d’abord le plus grand
dépit et la plus vive irritation. Il y eut un violent combat
(i) Le grand pluviateur est mort le 30 mars 1923. En sa qualité de roi
son cadavre fut « boucané » et trois individus de son entourage furent
occis à l'occasion de ses funérailles.
Cette coutume barbare s’appelle guseguz’ umwami, c’est-à-dire faire
l’oreiller du roi. Le gouvernement, qui jusqu'alors n’avait réussi qu’à
moitié à exercer son influence sur le faiseur de pluie et sa famille, pro­
fita de la circonstance pour s’emparer des meurtriers. Les uns périrent
les armes à la main et les autres furent fait prisonniers. Le district où
ils gouvernaient en maîtres est passé aux mains plus souples et plus
avisées des Batutsi.

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dans l’âme du roi. La mauvaise hum eur du prince inspi­
rait des inquiétudes à son entourage. Ce n ’est q u’après
avoir réfléchi et s’être laissé raisonner que les sentiments
les plus élémentaires de justice et de reconnaissance repri­
rent le dessus sur la violence de son tempérament.
Il y avait au Bunyabungu, dit la légende, au SudOuest du lac Kivu, un roi sauvage qui s’appelait Gatabirora, c’est-à-dire l’étourdi, l ’irrespectueux. Il était le fils de
Kabibi (le méchant) et le grand-père se nom m ait à son
tour Kabii’ogoso, c’est-à-dire le grossier. Son ventre était
tout rebondi et pareil à un gros panier de haricots (inda
v’ um utiba yabave Nyabuturi). Se croyant plus puissant
que le roi du Rwanda, il lui envoie des messagers pour
l’inviter à venir lui faire la cour et lui payer tribut :
« Procure-toi, lui fait-il dire, des bois et des roseaux et
viens me bâtir une case semblable à celle que tu habites.
Si tu tardes à venir, je te traiterai comme une feuille de
tabac vert et te mettrai en pièces ».
Les messagers, arrivés à la Cour du prince hamite,
n ’osent pas expliquer l’objet de leur démarche : « Ruganzu
ne manquera pas de nous tuer, s’étaient-ils dit en cours
de route, si nous lui tenons ce langage. Il est trop fier pour
ne pas s’en irriter. Nous ne sortirons pas vivants de ses
mains. Cherchons donc autre chose ». Admis devant le
roi et intimidés par sa belle prestance, ils ne font pas
connaître le but de leur mission. Ils se contentent de le
saluer au nom de leur maître et se taisent sur le reste.
Le rusé monarque leur fait apporter de l ’hydromel,
sous prétexte de leur faire honneur. Les cruches succèdent
aux cruches, les envoyés, qui étaient au nombre de huit,
y puisent largement : « Nous allons voir, disait Ruganzu,
s’ils n ’ont pas autre chose à faire connaître ». Pris
d’ivresse, les sauvages oublient leur première résolution et
perdent toute réserve. « Celui auquel on a confié un mes­
sage ne peut pas le garder pour lui », dit l ’un d’eux. « Et

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puis, peut-on s’en prendre à un porte-parole », ajoute un
autre.
« Voici la commission dont nous sommes chargés par
Gatabirora », s’écrient-ils d’une commune voix. Sans plus
tarder ils exposent le but de leur visite. « Comment,
s’écria Ruganzu qui ne se possédait plus, ce sauvage ose
me faire une pareille proposition! Tuez-moi ces individus
à l’exception d’un seul. » A l’instant, le sol est jonché de
leurs cadavres. « Q u’allons-nous faire maintenant de celui
qui reste? Dans quel état faut-il le renvoyer à son maître
pour lui rapporter ma réponse? » Ruganzu s’adresse à cha­
cun de ses courtisans : « Toi, M uvunyi, fils de Gachu,
qu’en penses-tu? Et toi, fils de Shwagara? Et toi, Muvu­
nyi, le Sauveur des tiens, q u’en dis-tu? Muvunyi, fils de
Kalema, donne aussi ton avis ».
Les assistants sont invités à dire leur mot. On remar­
quera que le roi, pour désigner les gens de son entourage,
se sert du qualificatif de « Muvunyi », c’est-à-dire « bon
guerrier » (du mot kuvuna, qui signifie faire la guerre
ou porter secours) parce qu’il estime leur bravoure.
Les opinions sont recueillies, l’un renchérit sur l’autre;
les familiers du prince se montrent inventifs et chacun y
va de son cru. On coupe un bras à l’unique survivant, on
lui arrache un œil, on lui ampute une oreille et on lui
supprime un doi^t et deux orteils, conformément aux
différents jugements exprimés. C’est dans cet état que
l’estafette est congédiée. « Va trouver ton maître, ajoute
Ruganzu, et avertis-le que je viendrai le huitième jour. »
Le mutilé eut toutes les peines du monde à rentrer chez
lui. « Voyez donc comme Ruganzu m ’a traité. Il a fait
massacrer les autres et il ne m ’a réservé que pour vous
annoncer qu’il serait ici le huitième jour. »
Ruganzu, après avoir joué ce tour au messager et à son
chef, se sent en liesse.
11 fait apporter de l’hydromel; on en remplit plusieurs
cruches. 11 plante sa lance au m ilieu de l’assemblée,

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dépose tout près son sabre, son arc et ses flèches : « Je
vous mets au défi, leur dit-il, de tuer Gatabirora; que
celui d ’entre vous qui se fait fort de l’immoler avant moi
s’avance et vienne boire ».
11 y eut un silence d’un moment. La suffisance et la
morgue avec laquelle ces paroles avaient été prononcées
faisaient hésiter les spectateurs de la scène, quand tout
à coup, Muvunyi, fils de Kalema, sort des rangs. 11
s’approche des cruches, prend le chalumeau et boit avec
lenteur, non sans une certaine crànerie, à la stupéfaction
des autres. 11 s’arrête un instant pour respirer, reprend le
chalumeau et aspire la liqueur fermentée. « J ’ai bu,
ajoute-t-il simplement, et je jure que je frapperai le
Sauvage avant toi. » La bravade de Ruganzu était relevée.
Le jeune homme quitte l ’assemblée et rentre à la m ai­
son. <( Mon père, toi dont le bras est de fer, toi dont les
jambes n ’ont jamais craint le fer, toi dont la tête a résisté
à tous les coups, je viens d’accepter le défi porté par le
roi. Les autres craignaient, j ’ai eu l’audace de me mesurer
avec lui. Comme preuve de l’engagement que je prenais,
j’ai bu à la bière qu’il avait fait placer devant nous. »
Il lui narre ensuite par le détail les circonstances de la
provocation et le grand nombre de cruches et d’armes
déposées à terre. « Tu ne sais pas t’y prendre mon fils,
répond le vieux Kalema. Si j ’avais été à ta place, moi,
l’homme de fer dont tu viens de parler, j ’aurais pris mon
temps, mais j’aurais vidé toutes les cruches. Je me serais
de plus emparé do la lance du roi, j ’aurais pris son arc et
ses flèches et j ’aurais fait mien son sabre. »
Stimulé par son père qui l’encourage du geste et do la
voix, Muvunyi retourne chez le roi. Nul n ’avait osé imiter
son audace. Il se rapproche de l’hydromel, se penche sur
la cruche, épuise le liquide. Il passe à la seconde, puis à
la troisième et ainsi de suite, n ’en oubliant aucune, dit la
légende. 11 se relève, prend en main la lance de Ruganzu,
ramasse l’arc, le carquois de flèches et le sabre.

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Et les assistants de dire : « Que fait donc le fils de
Kalema? » — « C’est ainsi qu’agissent. ceux de chez
Muvunyi, ils sont fous dans sa famille », ajoutent les
autres. Le hardi champion feint de ne rien entendre.
« J ’accepte le défi, répète-t-il pour la deuxième fois, en se
tournant vers le prince et j ’en subirai toutes les consé­
quences. Si je perds mon pari, tu pourras dépouiller ma
famille de ses biens, je consens même à ce que mon père
et moi en soyons réduits à boire du lait de chèvre ('). »
— « C’est entendu, répond Ruganzu, et si tu viens à tuer
le Sauvage avant moi, le Rwanda est à toi. Je me démets
du trône, on ne frappera plus les tambours en mon hon­
neur, ils seront à toi. »
Le duel de rivalité était engagé. Muvunyi revient trou­
ver son père. « J ’ai suivi tes conseils. De part et d’autre
nous avons fait une gageure. Si je suis vaincu, nous nous
résignerons à boire du lait de chèvre!!! Mais si je l’emporte
sur le roi, il doit me donner son royaume... » Le vieux
guerrier comprend que la lutte sera chaude après un tel
enjeu. Aussi va-t-il faire passer son enfant par une série
d’épreuves pour l’affermir et l’encourager. Il lui fait
prendre dans du lait, un peu de jus d’une plante véné­
neuse (umuhoko). Le jeune homme doit aller se coucher
et ne tarde pas à s’endormir d’un profond sommeil. C’est
ce que voulait Kalema qui l’ensevelit sous un tas de
lourdes pierres; on utilisa pour cela les pierres meulières
du voisinage. Il referme sur le dormeur la porte de la
hutte qui est attachée solidement à l’extérieur. Kalema
voulait voir si son fils serait capable de terrasser Gatabirora. Il m ultiplie les obstacles autour de son fils pour
expérimenter sa force et sa valeur.
Ruganzu, lui aussi, pour mettre les chances de son côté,
prend ses mesures. Il fait appeler ses gens. « Muvunyi,
(i) Expression pour dire qu’on est réduit à la dernière misère. Il est
inouï au Rwanda qu’un homme puisse en arriver à boire le lait de cet
ovidé.

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leur dit-il, aime les réjouissances et les plaisirs (ibiloli).
Pour l’entraver dans sa marche, organisez des chœurs de
danse, partout où il passera, lâchez de le retarder. Comme
il est jeune il ne pourra pas ne pas s’y laisser prendre. Je
liens à gagner mon pari; je veux tuer Gatabirora avant
lui. »

Aux premières lueurs de l’aurore, au moment où les
coqs battaient des ailes (zikubis’ iryoya), le roi se met
en route.
Il arrive chez le Sauvage au ventre rebondi comme un
gros panier de haricots. « Gatabirora, Gatabirora! où estu? lui crie-t-il aussitôt, viens donc te mesurer avec moi! »
— « Je suis là, je viens tout de suite », répond le roitelet.
Les deux assaillants, à une courte distance l’un de l’autre,
se défient mutuellement un bon moment, n ’osant s’enga­
ger à fond, tant ils se craignaient. Ils se toisent du regard,
hésitant à en venir aux mains, tant la prestance de l’un en
impose à l’autre.
Muvunyi dormait toujours. « Ruganzu vient de partir »,
lin crie son père. Il se réveille en sursaut et veut se lever;
un poids énorme l’étouffe et l’écrase. « Je ne puis pas
remuer. » — « Si j ’étais à ta place, reprend Kalema,
j’aurais bien vite secoué tout cela. »
Muvunyi se ramasse, recueille ses forces et les pierres
vont rouler sur les côtés
Il veut ouvrir la porte, elle résiste; il s’aperçoit que
contrairement aux habitudes, elle est fixée à l’extérieur et
q u’on a tendu des fils de fer et des lanières de peau de
vache pour l’immobiliser sur les parois. « .T’ai beau pous­
ser, la porte ne cède pas », s’écrie-t-il.

« Je sais bien ce que je ferais à ta place, d’un coup de
pied je la briserais et elle volerait en éclats. » Muvunvi
suit le conseil et les débris de la porte attestent que son
père n ’avait pas parlé à un sourd. A peine sorti de la hutte
il se trouve devant un monceau de bois entrelacé d’épines
et haut comme une montagne. On avait obstrué la pre­

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mière entrée de la cour. « Comment vais-je m ’y prendre? »
gémit le malheureux. « Frappe donc à droite et à gauche,
en haut et en bas, vas-y des deux pieds, comme je l’aurais
fait moi-même si j ’avais engagé un pari », conseille le
père. Muvunyi tente la chance et réussit. 11 n ’était pas au
bout de ses peines. Le passage qui donne dans la deuxième
cour était encombré pareillement, mais le tas de bois était
le double du précédent. « Cette fois-ci je ne pourrais plus
sortir, le tas est trop élevé », clama-t-il désespéré. <( Allons
donc, cria le vieillard, crois-tu q u’un si petit obstacle
m ’aurait fait peur, j ’aurais pris mon élan et d’un seul
bond je serais déjà loin! » Le jeune homme recule un peu,
se pelotonne, rassemble ses forces, bondit et retombe au
delà de la cour sur ses pieds.
Le soleil était déjà haut. Suivi d’un de ses hommes,
Muvunyi se hâte, car Ruganzu qui a déjà de l’avance pour­
rait bien gagner la partie. A peine a-t-il avancé de quel­
ques pas, q u’un chœur de jeunes adolescentes l’entoure
comme pour lui faire honneur. Il ne fait aucune attention
à elles et passe son chemin. Un peu plus loin, des femmes
parées viennent à sa rencontre élevant les bras en l’air et
frappant en cadence le sol de leurs pieds. Elles ont pris
leurs plus beaux atours; leur front et leur cou sont garnis
de perles. Elles barrent la route. Pressé q u’il est, Muvunyi
reste insensible à leurs charmes et renverse la première
qui s’oppose à sa marche. Elles s’enfuient en criant.
Les jeunes gens qui l’accostent à un autre détour du
sentier n ’ont pas plus de succès. Muvunyi ne fait atten­
tion à personne. Les petits enfants groupés à quelques
mètres plus loin ne l’intéressent pas davantage. Leurs
voix caressantes ne l’émeuvent aucunement.
Rujusque-là surmonté tous les obstacles, même ceux qui
s’adressaient à ses sens.
Des vachers postés sur les sentiers ont beau lui présen­
ter les plus belles bêtes de leurs troupeaux pour les lui

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faire admirer et le retarder. Muvunyi ne détourne pas les
yeux, il ne leur adresse même pas la parole. 11 allait tou­
jours pressant le pas. On entendait de loin sa respiration
pareille « à une eau de cascade qui m ugit » (Asuma
n k ’urumanzi, ahurura n k ’urumazi). Il demande à un pas­
sant s’il a des nouvelles de Ruganzu. « Oui, répond l’autre,
il est parti au premier chant des oiseaux. »
Plus loin il rencontre un autre individu qui revenait
du marché avec des pioches sous le bras : « Le roi s’est-il
rencontré avec le Sauvage? » — « Oui, ajoute l ’homme,
ils étaient en présence l’un de l’autre, prêts à commencer
le combat. » Muvunyi, qui craint d’arriver trop tard, se
met à courir, il vole; la poussière du chemin tourbillonne
derrière lui. Son compagnon ne peut le suivre. « C’est le
fils de Kavuna, dit-on, qui fait tant de poussière (agakungugu kamuzinga m u nyuma), il est pressé d’arriver, il
a parié avec Ruganzu. » Alors q u’il était sur le point
d ’atteindre le champ clos, le roi disait à son ennemi : « A
moi, Sauvage ». — « Je t’attends de pied ferme », ajoutait
l’autre.
Muvunyi parut juste au moment où Ruganzu disait à
Gatabirora : « Je suis sûr de t’atteindre ». Et de toutes
ses forces, il brandit sa lance dans la direction de l’adver­
saire. Celui-ci s’était retiré sur le côté; l ’arme, étincelante
comme un brandon enflammé, avait continué sa route et
était allée mettre le feu à la forêt de bambous. « A ton
tour, s’était écrié Gatabirora, tu vas voir la lance que
manient des bras robustes comme les miens, tu verras si
mon arme vaut la tienne. »
Ce disant, il la jette avec force et adresse. Elle passa si
près de Ruganzu que celui-ci, sans en être touché cepen­
dant, tomba évanoui.
Le déplacement d’air, dit la légende, produit par le
passage de la lance, avait renversé le monarque. Le deu­
xième javelot poursuivit sa marche et pénétra dans la
forêt qu’il incendia pareillement.
M é m . I n s t . r o t a i, Co l o n ia l b e l g e .

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Ruganzu était tombé abasourdi et ne se relevait pas. Le
duel allait toucher à sa fin. L ’heure était critique. Muvunyi
arrivait juste derrière la hutte de Gatabirora, entendant
tout et se rendant compte du drame dont le prince hamite
allait être la victime. Il enjambe la haie et tombe sur le
roitelet auquel il trancha l’artère carotide. Par un rapide
croc-en-jambe il le jette à terre et lui coupe la tête.
Le fils de Kalema disparaît aussitôt avec le trophée dans
un panier qu’il confie à l’homme qui l ’avait accompagné.
Sans perdre de temps ils reviennent sur leurs pas, refont
en sens inverse le même chemin.
Les sujets du roitelet, se croyant tournés par les gens
de Ruganzu, s’étaient enfuis dans les bananeries.
Muvunyi présente la tête du Sauvage à son père qui ne
se tient plus de joie. Jusqu’à son retour il n ’avait cessé de
trembler d’émotion, dans la crainte qu’il avait d’être
comparé à un buveur de lait de chèvre (ubgoba bw ’ uko
azakamirw’ iliene), c’est-à-dire d’être dépouillé de ses
biens. « Reste là, mon enfant, et repose-toi. Le reste est
mon affaire, je saurai tirer parti de ta victoire. »
Au moment où Ruganzu roulait à terre, ses courtisans,
qui assistaient à quelques pas de là au combat singulier
que se livraient les deux monarques, se précipitèrent à
son secours. Pendant q u’ils le relevaient, Muvunyi avait
eu le temps de terrasser Gatabirora et de lui couper la tête.
Il put repartir sans qu’on eut fait attention à lui, tant la
chute du prince avait préoccupé les esprits.
Le Hamite debout remarque le cadavre de son adver­
saire qui gît décapité. « Qui a tué le Sauvage? » demande
le roi anxieux. Le fils de Gachu, auquel il s’adresse,
répond : « Je me suis porté à ton secours et je n ’ai pas
vu autre chose ».
Les autres lieutenants interrogés à tour de rôle font la
même réponse.
Le cadavre de Gatabirora décapité était là sous leurs
yeux, nul ne savait qui l’avait terrassé « C’est bien, dit

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Ruganzu, allons-nous-en. » En cours de route ils deman­
dent à tout venant le nom de celui qui avait immolé le
roitelet. « C’est le fils de Kalema, leur répond-on enfin. Il
est passé ici, il n ’y a qu’un instant et l’un de ses hommes
l ’accompagnait portant dans un panier la tête du Sau­
vage. » Ruganzu, jaloux et irrité, en éprouva le plus vif
mécontentement. Désappointé, le fier Mututsi s’en retour­
na plus vite encore q u’il n ’était venu.
En route, sa parole rare et entrecoupée, trahissait m al­
gré lui l’émotion qui l’agitait. Les sujets accouraient pour
le saluer et lui offrir des présents; les tambours étaient
frappés à tour de bras en son honneur. Le potentat se
rappelle la gageure qu’il vient de perdre. « Allez, leur
crie-t-il, chez Muvunyi, c’est lui qui est le roi, je ne le
suis plus. »
Kalema, le père de ce dernier, voyant cette affluence
inusitée, commence à avoir peur. Il comprend que
Ruganzu est affecté de sa défaite au plus haut degré.
Prévoyant que la déception de l’orgueilleux monarque
aurait une mauvaise issue, il renvoie les présents et les
tambours. Prenant sa lance et son bouclier, il va trouver
le roi pour plaider la cause de son fils. Les gens de la
Cour l’aperçoivent de loin et vont avertir le souverain qui,
lui aussi, se précipite sur son arc et sur son carquois
rempli de flèches.
A peine Kalema a-t-il franchi le seuil de la première
cour que le prince irascible lui décoche une première
flèche. Le vieillard réussit à l ’éviter. Il dut se garer une
deuxième, puis une troisième fois... Ruganzu hors de lui
y alla de toutes ses flèches et vida son carquois.
Kalema crut alors pouvoir l’approcher. Se jetant aux
pieds de Ruganzu : « Sire, dit-il, mon fils t’a rendu quel­
ques services, je le veux bien. Mais pourquoi lui envoyer
les tambours quand c’est toi qui es le roi, et que nous ne
sommes que tes humbles sujets.
» Il t’a sauvé la vie au péril de la sienne, mais sache-le

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bien, il n ’ambitionne pas la royauté et n ’aspire pas à se
substituer à toi. Il est trop petit et tu es trop grand. La
gloire dont il se contente est d’avoir préservé son prince
du danger de mort. Ne reconnais-tu pas les cicatrices qui
sillonnent ma figure et mon corps?
» N’est-ce pas pour ta défense que j ’ai reçu ces bles­
sures ? Souffre donc q u’on te ramène les tambours et q u’on
les frappe en ton honneur. Ne sois pas fâché contre ton
serviteur pour l’aide qu’il peut t’avoir donnée. » Puis se
tournant vers l’assistance en la constituant pour ainsi dire
juge du cas : « N’est-ce pas votre avis? » — « Kalema a
raison », s’écrient-ils en chœur. L ’un d’eux ajoute : « Son
fils mérite une récompense pour avoir sauvé les jours du
roi ». Et tous de s’écrier : « Oui, c’est cela. Nnko Nuko ».
Ruganzu, apaisé et souriant, approuve le discours du père
et le jugement des courtisans. T1 mande Muvunyi, lui
donne le gouvernement d’une province et le dote d’un
troupeau de vaches.
« Ce n ’est pas moi qui suis mort, ajoute le narrateur
pour terminer, c’est le héros de l’histoire que je viens de
raconter, c’est Gatabirora le Sauvage, fils de Méchant,
petit-fils de l’homme grossier, au ventre rebondi comme
un gros panier de haricots. »
Le fait historique lui-même.
Nous prenons ici en flagrant délit de délire d’im agina­
tion ou mieux d’exagération littéraire les bardes et les
annalistes officiels.
L’histoire du « roi sauvage » a été délibérément am p li­
fiée et muée en vrai roman.
Nous avons sous les yeux un exemple frappant de cette
déformation que l’imagination populaire, dans son désir
instinctif d’embellir les faits et d’enchanter les auditeurs,
fait subir à la véritable personnalité de ceux dont on
raconte la vie.

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La victime du récit, dont on a fait un roitelet étranger
vivant au delà des frontières naturelles du royaume, était
un Munyarwanda qui habitait dans le pays d’Iskiki, au
village de Kabira, à proximité de Ngabo, non loin de la
montagne de Magaba, dont il est fréquemment parlé dans
les légendes. La contrée est située au Nord-Est du lac Kivu.
Ce sujet récalcitrant, disent les conteurs du pays, mieux,
renseignés que les autres, avait refusé de travailler pour
le roi et de payer les impôts en nature que chaque indi­
vidu fournit à des dates déterminées,
« Je te condamne, lui aurait fait répondre le monarque,
à m ’apporter une quantité de beurre (amasoro) suffisante
pour fabriquer les bassins où l’on mène boire les trou­
peaux de la capitale Q . »
Une pareille exigence suppose que l’individu incrim iné
était riche, avait des vaches et que son insoumission avait
gravement offensé le roi, pour que celui-ci lui demande
une chose irréalisable. L’histoire ajoute que le m alheu­
reux, se voyant sur le point d’être arrêté, s’enfuit vers le
lac. Il fut rejoint en cours de route et tué.
Les péripéties sans nombre que l’on connaît ont été
inventées après coup pour les besoins de la cause... royale
et littéraire.
Le même motif a poussé les « faiseurs d’esprit »
(Abachurabgenge) à donner au rebelle des parents dont
les noms sont une dérision, une insulte.
Le nom réel de l’individu lui-même est tombé dans
l’oubli, mais on lui en a forgé d’autres. Le Sauvage,
l’irrespectueux (le Cynique), fils de Méchant, petit-fils de
Grossier, au ventre rebondi comme un gros panier de
haricots est encore traité de Géant (igihangange), de
Colosse (igihim biri) parce qu’on lui a opposé un adver­
saire de marque.
(!) Pour abreuver leurs vaches, les Batutsi construisent souvent des
bassins d’argile, près des puits et des sources dont les eaux sont réputées
avoir des propriétés minérales ou légèrement alcalines.

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Le rival d ’un roi doit être de la taille de son partenaire.
Il y aura plus de mérite à chanter la gloire du vainqueur,
en grandissant le vaincu, en lui donnant une forme et
une force herculéennes.
Par contre, il est de bon ton parmi les historiens de
dim inuer sa personne morale pour mieux faire ressortir
les qualités de l’émule victorieux.
Au Nord-Est du Kivu, dans son pays d’origine, la vic­
time est désignée sous les appellations injurieuses de
Lâche (Mbebilimabya) et de l ’Homme à l’attache (Bilikunkomo) (*), digne d’être enchaîné comme un chien, parce
que, croit-on, l ’individu en question se ceignait les reins
(kubinda) à la manière des Bahunde, habitants du NordOuest du lac, que les Banyarwanda traitent d’arriérés, de
barbares.
« On ne prête qu’aux riches. » Les mal famés sont
capables de tout, on leur attribue n ’importe quel méfail.
Leur réputation est faite pour supporter l’injuste, l’inex­
plicable... Ce sont des boucs émissaires chargés des péchés
du monde et dévoués aux dieux infernaux. Haro sur le
baudet! Leurs épaules et leur dos sont suffisamment
larges et solides pour recevoir les coups.
Le Sauvage... de la légende, s’il pouvait parler, nous en
dirait long sur la renommée qui lui a été faite et les
injures dont il a été couvert.
Ses détracteurs, les aèdes et les littérateurs pour le
déconsidérer à tout jamais, lui ont encore donné pour
femme la fameuse Nyiransibura. Ils en font donc le père
du chef des Banyabyinshi qui mirent le royaume hamite
à deux doigts de sa perte (2).
(!) Le sens littéral de ces deux expressions est beaucoup plus fort en
runyarwanda et évoque chez les auditeurs indigènes des idées qui ont
peu d’élévation morale.
(2) Il n’est pas rare d’entendre débiter des récits et des légendes for­
més de morceaux disparates, sans lien logique et chronologique, emprun­
tés aux contes imaginaires et aux épisodes historiques, donnant l ’idée
de ce qu’il est convenu d’appeler un « pot pourri ».

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II. — D e r n i e r s épisode s de l a vie e t d u r è g n e
de R u g a n z u .

Privilèges concédés au petit pays du Busozo
dans la région du Kinyaga, sur les frontières de l’Urundi.
Le Rusozo est un pays accidenté, formé par une chaîne
de montagnes et resserré entre deux fortes rivières, dont
l’une, la Rohwa, le sépare de l ’Urundi et l’autre, qui
coule dans la plaine de Rugarama, le limite du reste de
la province du Kinyaga.
C’est une sorte de Suisse africaine qu’habitent près de
15,000 habitants, pour la plupart d’origine Murundi.
On raconte que Ruganzu. au retour d’une de ses expé­
ditions, traversa cette région sauvage. Il y reçut un
accueil chaleureux de la part du chef, qui le traita roya­
lement (*). Des danses avaient été organisées en son hon­
neur; le roi s’en montra charmé. Nombreux furent les
présents q u’on lui offrit.
L’hydromel coula à flots... Ruganzu, flatté dans sa
vanité et reconnaissant des égards q u’on avait pour lui,
accorda au pays une certaine autonomie, permit au chef
de prendre le titre de roi (umwami) et lui octroya quelques
privilèges. Depuis ce temps, les Rasozo députaient tous les
ans une ambassade conduite par un Mututsi (2) et offraient
au roi du Rwanda des cadeaux, en hommage de suzerai­
neté et non à titre onéreux.
Les présents consistaient en un taureau, des peaux de
(!) Le Busozo, instruit sans doute par la dure leçon infligée à son voi­
sin, le Bukumzi, se montra plus diplomate et par suite fut mieux traité.
(2) L’introducteur à la Cour du roi hamite appartient au clan des
Basinga.
Cette charge se transmettait de père en fils.
Les membres de cette famille habitent dans le Kinyaga, au village de
Bubayi, près Igabiro.
On connaît les deux derniers Batutsi qui ont rempli cette fonction,
Ruvumba et son fils Lwamiheto.

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« colobus », des fruits d’un arbre appelé « intashikwa »
(essence particulière au pays) et qui servent d’amulettes,
des bois de lance et des copeaux de bois de senteur
(imibavu y’ umugeshi). Les habitants du Busozo, d’après
la coutume et en vertu de leurs prérogatives, ne pouvaient
passer plus d’une journée à la Cour du Hamite.
Le petit pays a gardé ses privilèges et ses traditions
jusqu’en 1925. L’histoire nous a conservé le nom des
huit roitelets qui s’y sont succédé depuis le règne de
Ruganzu.
Ces princes ont organisé chez eux, un semblant de Cour
sur le modèle de celle du roi du Rwanda.
Le prince régnant ne peut paraître aux yeux de ses
sujets avant qu’il ne lui soit né deux enfants, un garçon
et une fille (ibitsina bibiri). Seuls les sous-chefs (abaganda)
d’une certaine catégorie peuvent l’approcher et lui causer
les yeux baissés.
On n ’entre et l’on ne se retire q u’en se traînant à quatre
pattes, en siLe monarque isolé en était réduit à vivre enfermé dans
la partie de l’enceinte royale qui lui était réservée. La
reine-mère prenait durant ce temps la régence et dirigeait
les affaires.
L’autorité royale s’exerçait par l’intermédiaire de m inis­
tres dont les attributions étaient bien déterminées et ne
pouvaient dépasser telle limite.
Les corvées et les impôts étaient fixés par la coutume.
Le régime de gouvernement était assez doux. Les Rasozo
ont conservé jalousement chez eux nombre d’usages
curieux. On ne s’v marie qu’à l’époque de l’année désignée
par le roi. Les jeunes époux sont tenus de lui offrir à
cette occasion qui une chèvre, qui un mouton ou simple­
ment deux pioches. Les présents et les vivres de règle que
l ’on apporte au roitelet doivent être d’une propreté
irréprochable.
Les régimes de bananes destinés à la capitale sont

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313

coupés en morceaux et lavés à l’eau courante, pour être
ensuite déposés dans la fosse à fermentation (urwina).
Le jus de banane une fois exprimé est mis dans une cruche
que l’on enveloppe entièrement de feuilles de bananiers.
Les sous-chefs eux-mêmes chargent leurs hommes et les
accompagnent en route. Un sujet qui est en deuil ne peut
approcher de la demeure royale. Les individus atteints
du <( pian » ou de plaies, ainsi que les blessés sont dispen­
sés, jusqu’après guérison, de se présenter chez le roi ou la
reine-mère. La même exclusion a lieu pour ceux qui se
tirent du sang ou se mettent une ventouse. Ils sont deve­
nus « tabou » pour quelques jours.
Seuls les enfants, garçons ou filles, peuvent goûter à la
bière destinée à la capitale.
Une grande personne qui en approcherait ses lèvres
souillerait le liquide. La défense atteint les gens mariés
et surtout les femmes, à cause des infirmités inhérentes
à leur sexe. Les porteurs eux-mêmes doivent veiller à ne
pas porter directement la main au dépôt qui leur a été
confié. Ils se procurent des feuilles de bananiers dont ils
enveloppent la charge, pour éviter tout contact direct
avec elle.
Ce n ’est q u’après avoir observé ces minuties q u’ils peu­
vent placer l’objet sur leur tête ou le déposer à terre.
Les puiseurs d’eau sont astreints aux mêmes précau­
tions. Le souci de la propreté est poussé si loin que
lorsque la pipe du roi, de la reine-mère ou d’un membre
de la famille vient à tomber, on ne peut la leur rendre
q u’après l ’avoir soigneusement lavée.
Les femmes ou filles occupées à moudre les grains
d’éleusine et de sorgho s’abstiennent de cracher dans
leurs mains et de passer la m ain sur leur corps aussi long­
temps que dure le travail. La vie et la santé du roi dépen­
dent de ces formalités. Ajoutons enfin, et ceci est une
bonne note, que les vieillards qui entourent le roi et lui

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servent de conseillers, l’empêchent de boire toute liqueur
fermentée 0 ). .
Cette coutume existe dans d’autres pays.
Fuite du géant-sorcier Nyangara.
Origine du pont en pierre sur le fleuve de la Iiussizi,
à l’endroit dit de Malimba.
On se souvient que le vieux roi Ndahiro avait fait la
connaissance de la reine qui devait donner le jour à
Ruganzu, grâce aux bons offices de Nyangara, le sorcier
aux formes herculéennes. On n ’en reparle ici que pour
raconter sa fin tragique. Nyangara, ayant offensé le roi
pour on ne sait quel motif, s’enfuit un beau jour du camp
qui se trouvait alors à Machukiro, non loin de la presqu’île
de Nyamirundi, sur la côte orientale du lac Kivu. Le
sorcier ne partit pas les mains vides. Il chargea sur sa
tête un « grenier à provisions » rempli de haricots; d’au­
tres assurent qu’il prit sur ses épaules une colline avec
des cases, des troupeaux, des bananeries, etc. On vint
avertir Ruganzu. Le sorcier-géant s’était dirigé du côté du
fleuve de la Russizi qui sort du lac.
Il voulait le traverser pour aller s’installer au delà, dans
le Bunyabungu. Le roi se met à sa poursuite; il avait en
main des flèches q u’il lui décoche une à une. A chaque
coup porté, c’est un pied de bananier qui tombe, du grain
qui se répand, des haricots qui roulent à terre. Les pieds
de bananier, les grains el les haricots, trouvant de la bonne
terre, lèvent aussitôt pour se m ultiplier et se répandre peu
à peu dans le Rwanda. Le géant ne se doutant de rien pour­
suit sa marche en avant. Un taureau vient à glisser, puis
quelques vaches, le sorcier va toujours son chemin. Il
(1) Buhinga II, le roitelet du Busozo, est décédé à la fin de 1925, des
suites d’une infirmité, alors qu’il avait à peine une trentaine d’années.
Il était faible de caractère et se montrait timide et défiant vis-à-vis de
l ’autorité européenne, qui a profité de sa mort pour donner le pays
à un grand chef Mututsi plus malléable.

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arrive sur la Russizi q u’il réussit à passer. Ruganzu, qui
le suit de près, veut traverser à son tour. Le fleuve est
large el le courant rapide.
Le roi se baisse pour ramasser une pierre et la jette au
m ilieu des eaux profondes et écnmantes. A l ’instant même
le caillou se développe, prend des proportions inusitées et
se soude aux deux rives, ce qui permet au monarque et à
ses gens de passer à pied sec sur l’autre bord.
Une dernière flèche fait tomber les quelques bananiers
qui restaient encore sur les épaules du géant. Ils donnèrent
naissance à la bananerie connue des anciens. On entretint
longtemps cette plantation sur le bord du fleuve; elle vient
à peine de disparaître, ajoutent les conteurs. Nyangara
finit par tomber lui-même sous les coups de lance que lui
portèrent Ruganzu et ses compagnons.
C’est pour cela qu’aujourd’hui encore tout individu qui
emprunte, pour traverser le fleuve, le pont naturel dit de
Malimba ou pont de Ruganzu, doit déposer à la sortie une
touffe d’herbe, en l’honneur de 1’ « esprit » du roi. De la
presqu’île de Nyamirundi ju squ’au fleuve, sur le chemin
suivi par Nyangara, on rencontre des arbres gigantesques,
de l’espèce ficus. D ’après la croyance populaire ce sont les
flèches dont s’était servi Ruganzu pendant q u’il poursui­
vait l homme-monstre qui leur ont donné naissance. Un
bon Munyarwanda ne manque pas, quand il les rencontre
sur son passage de déposer une touffe d’herbes à leurs
pieds ou sur les branches basses.
Ceux qui habitent à proximité aiment à élever sous les
arbres des huttes aux mânes du roi et lui offrent des
sacrifices (*).
(!) Les Banyarwanda citent maints hommes d’une taille et d’une force
extraordinaires dont les actions et les travaux rappellent ceux des
héros de la mythologie grecque. Ils les nomment des « bihangange »,
c’est-à-dire des géants. Après Nyangara, les plus connus sont Ngunda
et Ngonde. Dans la province du Bgana-Mkali, non loin de la mission
de Save près de la colline de Rubona, on trouve un petit terrain que
nul n ’osait cultiver autrefois, parce qu’il avait été habité par le géant-

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La lance de Ruganzu et l’homme à la pioche.
Ruganzu avait la réputation de terrible justicier. On
rapporte de lui maints détails qui ne font que confirmer
ce jugement émis par ses contemporains. Se trouvant en
expédition au pied des volcans, dans la province du
Mulera, les gens du pays poussèrent la hardiesse ju squ’à
lui dérober sa lance. « C’est bien, dit le roi, elle n’a q u’à
rester; désormais elle s’y traira avec du sang (izakamw’
amarasso). » C’est comme s’il leur avait dit : « De même
que les vaches donnent du lait, ma lance se traira de votre
sang. Vous ne cesserez pas de vous entre-tuer ». Aussi les
Raiera racontent-ils, non sans une certaine fierté, q u’il ne
se passe pas de jour où le sang ne coule chez eux, telle­
ment ils sont batailleurs et querelleurs.
11 n ’est pas rare non plus de les entendre, dans le cours
d ’une dispute, se vanter d’être vraiment des « hommes »,
en comptant sur les doigts le nombre de leurs victimes.
Leurs adversaires sont invariablement traités de « fem­
mes » ou de « femmelettes » s’ils ne peuvent justifier à
leurs yeux d’un passé aussi sanglant.
Une autre fois, et nous terminons ce chapitre par ce
dernier trait qui peint l’homme, Ruganzu rencontre en
cours de route un paysan qui cultivait son champ. Pris
d ’une idée subite, il lui demande, par manière de plaisan­
terie, sa pioche pour le remplacer un instant dans son
travail. « 0 roi, répond celui-ci, tu es trop grand personprodige, Ngunda, d’où le nom de « terrain de Ngunda » donné à l’em­
placement de ce qui fut sa demeure et son champ (imbuga ya Ngunda).
Les Noirs, qui ne sont jamais en peine d’imagination, ajoutent que
Ngunda était doué d’une vigueur incroyable et d’un appétit formidable.
En un jour, il pouvait cultiver toute la région. La récolte se terminait
aussi en une fois. Quand il moissonnait le sorgho, y en eut-il une grande
quantité, Ngunda en faisait un seul et énorme pain qu’il dévorait à
l ’instant. Partout sur son passage, il mettait à sec les ruisseaux où il
s’arrêtait pour boire. Il fut tué, ajoute la légende, par des pasteurs
Batutsi qui craignaient de voir tarir la source où Ngunda était allé
étancher sa soif.

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nage, et je comprends trop ma condition d’esclave pour te
laisser manier mon instrument! » Ruganzu insiste.
« Allons, l’homme sans vache (Kaburinyana), l’homme
qui n ’a rien du tout, prête-moi donc ta pioche. »
Le Mubutu, qui avait eu la bonne idée de la lui refuser,
ne sut pas persévérer dans sa conduite. Il eut le malheur
de céder aux objurgations du roi, qui, après en avoir
frappé le sol trois fois, lui fracassa la tête au quatrième
coup, pour le punir d’avoir eu la témérité d’accepter son
offre. Cela se passa, raconte-t-on, à Mwin jiro, dans le pays
de Ngiga, autrement dit dans la forêt du Kinvaga, sur la
côte orientale du Kivu 0).

CHAPITRE V

Ruganzu et l’agriculture. — Plantes, pierres, rochers,
arbres, etc., auxquels est attaché le nom du prince. —
La mort du dompteur des rois. — Conclusion. — Impor­
tance du rôle de Ruganzu et fondation du royaume
hamite sur les ruines des principautés autochtones.
1. —

P lantes,

p ie r r e s , r o c h e r s , e t c .

AUXQUELS EST ATTACHE LE NOM OU LE SOUVENIR
de

R uganzu.

Introduction dans le Rwanda, sous le règne de Ruganzu,
de nouvelles plantes et céréales. — Cérémonies annuelles
auxquelles donne lieu, à la capitale, la commémoration
de ce souvenir.
Les Banyarwanda, dans leur admiration et leur enthou­
siasme pour Ruganzu vont jusqu’à lui faire honneur de
presque toutes leurs cultures et leurs plantations. Une
(i)
On devine à travers la légende le tempérament et les défauts de
Ruganzu.
Tels furent sans doute beaucoup de ses prédécesseurs et de ses succes­
seurs. Le grand-père du roi actuel, qui s’appelait Lwabugiri-Kigeri, est
celui qui paraît s’en rapprocher le plus.

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mention spéciale est faite pour le sorgho, l’éleusine et la
plante connue sous le nom d’ « issogi » q u’ils emploient
en guise d’épinards. Leur introduction dans le pays par le
monarque fait le sujet de multiples récits plus ou moins
contradictoires. Pour ne pas manger seul leur pain de
sorgho ou d’éleusine, parce que trop sec, les Banyarwanda
accompagnent habituellement chaque bouchée d’une
cuillerée de haricots q u’ils font presque toujours cuire
avec les tiges, les feuilles et les fleurs d’issogi. Celles-ci
donnent plus de goût aux haricots, qui, on le sait, occu­
pent une place de choix dans l ’alimentation indigène.
De là sont venus le rôle et l’importance de cette plante à
la fête des Prémices C).
Dans le récit où il est parlé de l’origine d’un tribut
hum ain que doivent livrer les habitants du Kinyaga, on
disait que la jeune femme était envoyée au pays sacré du
Bumbogo pour y cultiver le sorgho et l’éleusine destinés
à la fête des Prémices. Une autre version en cours raconte
que la première titulaire de cette fonction s’appelait
Nyirampingira, c’est-à-dire la femme cultivatrice, d’après
le sens étymologique du mot. Voici à la suite de quelles
circonstances on lui confia ce travail.
Nyirampingira était esclave à la Cour du roi. Or, on
parlait beaucoup à ce moment-là d’un sorcier dont
Ruganzu voulait éprouver la science et les talents. Une
vache venait de perdre son veau.
Sa Majesté ordonna q u’on glisse fort avant... sous la
queue (guhadika) de la bête un bracelet de cuivre. 11
manda le sorcier.
L’homme répond à l’appel du roi. Sur le point d’appro­
cher de la capitale, il rencontre l’esclave Nyirampingira
qu’il questionne adroitement : « Que veut-on de moi?
Pourquoi le roi m ’a-t-il fait appeler? » L’esclave le met
au courant de ce qui s’est passé et lui recommande à son
(>) Cf. Livre quatrième.

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tour de ne pas l’oublier. « Je ne suis qu’une esclave, ditelle, mais un service rendu en vaut un autre, j ’espère que
tu te souviendras de moi à l’occasion. »
Le sorcier se présente au roi. « Pourrais-tu me dire, lui
demande celui-ci, quelle maladie a cette vache? » « Oui,
répond le devin qui est bien renseigné, elle a... sous la
queue un objet luisant qui n ’a pas de poil (gitagira
ubgoya). Dis donc à l’un de tes hommes de se laver le bras
et la m ain... et tu verras. » L ’étonnement des assistants
fut grand L ’homme au bras lavé faisait mine de ne rien
trouver. « Plonq-e la m ain plus profondément », reprend
le sorcier. Le bracelet de cuivre fut repéré sous les yeux
ébahis des spectateurs. Le sorcier devint dès lors le favori
de la Cour qui le combla de biens. Ayant capté la confiance
du roi qui ne faisait rien sans le consulter, l ’habile devin
lui désigna un jour Nyirampingira comme étant la per­
sonne la plus capable de cultiver le sorgho et l’éleusine,
au pays sacré du Bumbogo. L ’homme paya ainsi sa dette
de reconnaissance.
Arbres, sources, abreuvoirs, puits, ponts naturels
et rochers auxquels est attaché le nom ou le souvenir
de Ruganzu.
Lacs, étangs, fontaines, sources, abreuvoirs, puits et
ponts naturels, monolithes, rochers aux formes grotesques
ou originales, pierres brutes, rocs tenant au sol et offrant
des cavités curieuses, arbres de dimensions énormes sem­
blent avoir vivement frappé l’imagination des Noirs. Les
objets matériels au m ilieu desquels ils vivent et qui leur
paraissent, par leur apparence de vie, par l’obscurité de
leur origine ou par leur forme grandiose, offrir un côté
surnaturel, ne peuvent dans leur pensée q u’être le fait
d’un génie supérieur.
Bref, ce qui dans le pays présente par quelque côté un
aspect curieux, anormal ou même utilitaire, tout ce qui

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en un mot dépasse en un certain sens l’intelligence des
indigènes, parce qu’ils sont incapables de se l’expliquer
naturellement en remontant aux vraies causes, ne pouvait
provenir que de Ruganzu. Quels faits merveilleux ne
prête-t-on pas à cet étrange roi qui d’un bond, dit la
légende, passait d’une montagne à l ’autre, par-dessus les
ravins et les vallées, voyageait sous les eaux, dans les
abîmes sous-lacustres et voyait les cavernes se refermer
sur lui, le dérobant aux poursuites de ses ennemis. Les
chiens qui le suivaient avaient aussi le privilège de laisser
l’empreinte de leurs pattes sur les rochers tout comme
leur maître. Un taureau du troupeau de Ruganzu avait
avec ses cornes élargi la source d’eau chaude si connue et
si fréquentée dans la province du Kinyaga. Les Noirs ne
trouvent pas du tout étrange, loin de là, que les animaux
qui ont appartenu à un personnage aussi extraordinaire
aient reçu une parcelle de sa puissance.
1° Arbres qui ont donné à Ruganzu l'occasion de faire
des prodiges. — On a déjà parlé des arbres auxquels les
flèches de Ruganzu, — à la poursuite du sorcier-géant
Nyangara, — donnèrent naissance.
On raconte que Ruganzu était en train de chasser dans
le Rulima, sur le chemin qui conduit aujourd’hui à
Kigali. Ses chiens suivaient une piste. Le gibier s’enfuyait
à toute vitesse.
Un gros arbre barre le passage à notre héros qui le fend
soudain et passe à travers la fente miraculeuse.
À Gassaka, dans le Bufundu, sur la route qui va au
Kinyaga, Ruganzu pour empêcher ses ennemis de l’attein­
dre, jette en travers un arbre qui se met aussitôt à pousser
des branches et donna naissance à un petit fourré, d’où
le nom de « Fermeture » (umwugariro) de Ruganzu, atta­
ché au bosquet. Lors de son retour de l’Urundi, où il était
allé faire une expédition, le grand guerrier venait de
pénétrer dans la province du Bwana-Mkali

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Arrivé entre Muyira et Kibirizi, il se sentit fatigué. 11
appelle celui de ses suivants qui portait le panier où l’on
renferme la calebasse de bière inséparable de tout grand
qui va en voyage. Pendant q u’il se désaltère, il essuie la
sueur de son visage sur l’arbre contre lequel il s’était
appuyé. Depuis cet événement, l’arbre prit des propor­
tions inusitées et fut dès lors appelé arbre de « Fubo » ou
de Ruganzu. Une scène identique et le même prodige,
ajoutent les intarissables conteurs, se renouvelèrent non
loin de là, à Gisanzi, où l’on montre un bosquet qui a
gardé le nom du prince.
2° Sources, puits, abreuvoirs et ponts naturels auxquels
la tradition a fixé le souvenir du grand roi. — Nombreuses
sont les sources que Ruganzu est censé avoir fait ja illir
subitement.
C’est presque toujours dans le cours de ses expéditions
que le prodige se produit. Les hommes ont guerroyé, la
victoire a été remportée, mais les soldats meurent de soif
et l’on se trouve en plein été, sur de hauts plateaux brûlés
par le soleil. Ruganzu prend son arc et vise un point
quelconque. La flèche s’enfonce dans le sol et fait jaillir
une source où les gens vont se désaltérer. Sur le plateau
de Lidianga, consacré par le séjour du fameux roi
Gihanga (le Créateur), à une altitude d’environ 2.200
mètres, les indigènes montrent deux de ces sources, audessous du chemin, à l’endroit désigné sous le nom de
Lussiga.
Le thaumaturge hamite a même, affirment les Noirs
crédules, laissé l ’empreinte de l ’un de ses pieds sur le
rocher qui affleure le sol. Le pied est dans une direction
contraire à celle des sources, ce que les gens expliquent
en disant que Ruganzu s’était accroupi en tournant le dos
à l’endroit, mais q u’il avait visé en arrière par-dessus
son épaule...
Il lira deux flèches et à deux endroits différents. La
MfiM. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

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première source servit à désaltérer les Batutsi qui l’accom­
pagnaient, la seconde aux Bahutu. Nous avons là un détail
emprunté aux mœurs du pays, indiquant la différence qui
existe entre les différentes classes de la société.
Les Batutsi, la race noble, ne consentent pas à boire
avec les Bahutu, leurs inférieurs, et à fortiori avec les
Batwa, les derniers de l'échelle sociale.
Sur le plateau de Kayenzi-Bussigi, q u’a illustré le séjour
du faiseur de pluie Nyamikenge, et qui se trouve à une
altitude moyenne de 2.200 mètres, comme l’autre chaîne
de montagnes qui lui est parallèle, on rencontre une sorte
de puits naturel, fort profond et où l’eau ne tarit jamais.
Ruganzu l ’aurait fait apparaître, dans des circonstances
analogues aux précédentes et de la même façon.
Une origine semblable est attribuée à la source d’Ilemera, dans le Bufundu, sur le chemin qui va au Kinyaga.
Les sources d’eau chaude du Mulera et du Bugoyi
dérivent du même procédé.
A Muramba, sur la côte orientale du Kivu, dans le
Kinyaga, on rencontre sur le chemin, un bassin naturel
qui a dû se creuser peu à peu dans le rocher, sous l ’usure
du temps et des eaux de pluie. Les habitants de la contrée
ne cessent d’y aller abreuver leurs troupeaux et ne m an­
quent pas de rendre des actions de grâce à Ruganzu, qui
leur a constitué un abreuvoir durable et autrement stable
que les bassins d’argile que l’on trouve un peu partout
dans le Rwanda.
On se rappelle comment s’y prit Ruganzu pour traver­
ser le fleuve de la Russizi, alors q u’il était à la poursuite
de Nyangara. Il est dit dans un autre récit que l’événe­
ment se produisit durant une campagne dirigée contre
le Bunyabungu. Ruganzu avait été repoussé avec .ses gens
sur le fleuve et il allait être pris par les ennemis. Une de
ses filles, voyant le péril qui menaçait l ’auteur de ses
jours, se dévoua et se précipita dans les flots. Elle fut

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aussitôt changée en un roc, qui s’unit soudainement aux
deux rives du fleuve, sauvant ainsi la vie à son père.
Se rendant une autre fois dans le Kinyaga, le roi arrive
près de la rivière Rukarara, qui coulait à pleins bords. On
était à la saison des pluies. Rien que par la puissance de
son vouloir il fit se rejoindre les deux rives par-dessus le
courant et depuis ce temps les voyageurs passent sur ce
pont naturel. Dans le Busanza, il sauta d’un bond par­
dessus la Mwogo et il s’y est trouvé dès lors un gué que
n’ont pas cessé d’utiliser les indigènes.
3° Monolithes, pierres et rochers auxquels la légende et
la tradition ont fixé le souvenir de Ruganzu. — Dans le
Nduga, non loin de la mission de Kabgayi, à l’endroit dit
de Mussamo, s’élève un monolithe. On y distingue vague­
ment les traits d’une forme humaine.
Les Noirs disent q u’il s’agit d’une jeune fille. Elle fut
pétrifiée pour avoir offensé le roi.
On donne encore à cet étrange monum ent le nom de
« rocher de Kamegeri » à cause du drame historique qui
s’y joua sous le règne de Gahindiro et qui eut ce pays pour
théâtre.
Au Kibali, au lieu appelé Gasiza, il immobilisa une
immense pierre, dite la pierre des Bagege, qui se dépla­
çait seule à travers le pays, tuant tout sur son passage.
Dans les mêmes parages, sur le sommet d’une colline, on
montre une autre pierre sur laquelle il aurait aiguisé
sa lance.
Dans le Rusanza, Ruganzu forgea lui-même ses armes,
à l’endroit désigné sous le nom de Sheke.
Son travail terminé, il fixa en terre son marteau d’occa­
sion, lequel s’est enfoncé si profondément que jusqu’ici,
disent les indigènes, il a défié les efforts de ceux qui ont
essayé de l’en retirer. A Gassaka, dans le Bufundu, on voit
une autre pierre de ce genre.
Au Sud du Bumbogo, sur la rive droite de la Nyaba-

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rongo, le sentier indigène très escarpé passe entre deux
rochers assez rapprochés l’un de l ’autre. La légende veut
que ce soit Ruganzu qui ait fendu la roche primitive d’un
coup de sabre. D ’après une autre version, ce serait un de
ses ennemis, Rugayi, fils de Ruzi, originaire de l’Urundi,
qui, ayant voulu frapper le roi, n ’aurait fait q u’atteindre
le roc q u ’il sépara en deux, comme Roland à Roncevaux.
Dans le Nyakale près de la mission de Nyaluhengeri,
notre paladin, au retour d’une chasse, trouve sur son che­
m in un serpent qui essaie de le mordre.
Irrité, le roi se met en devoir de le poursuivre pour le
tuer. Le reptile s’enfuit et disparaît dans un trou.
Ruganzu prend un caillou, le met dans la petite exca­
vation et pèse sur lui de tout son poids pour écraser la
bête. La pierre a depuis augmenté de volume et est deve­
nue énorme. On l’appelle la pierre de Schari. C’est peutêtre à cause de ce trait que les Ranyarvvanda disent que les
rochers croissent comme les plantes.
Ils ont même poussé plus loin leurs conceptions de la
science minéralogique.
Comme il y a à côté de la pierre de Schari, dont on vient
de parler, un autre bloc d’un volume plus petit, mais de
même forme et de même nature, ils en ont fait la fille de
la précédente (umwana wayo).
Il a été précédemment question des empreintes laissées
par Ruganzu et ses chiens.
On les retrouve encore dans le Buganza, à Richumbi,
sur un rocher à fleur de sol et où, avec un peu de bonne
volonté, on semble reconnaître aussi la forme d’un arc
avec sa corde que le roi y aurait déposés pour prendre un
instant de repos.
A Matyazo de Lug-ira on distingue vaguement des traces
de pieds et des empreintes de pattes de chien ayant une
origine analogue.
Les récits légendaires qui courent sur Ruganzu abon­
dent en traits de ce genre.

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32 5

Le lecteur doit être suffisamment édifié sur la gloire
posthume qui a été décernée à Ruganzu, une des plus
grandes figures du passé, dans le monde hamite. Il ne
reste plus q u’à raconter la fin du potentat africain.
II. — L a m o r t de R u g a n z u .
Expédition malheureuse durant laquelle
il est blessé mortellement
Ce fut, pense-t-on, le propre fils de Nsibura, un nommé
Kanyoni (le petit oiseau), qui vengea son père, lors de la
dernière expédition que fit au Kinyaga le roi guerrier.
Celui-ci était encore une fois sorti victorieux du combat
q u’il avait livré à un chef dont on a oublié le nom et qui
était resté parmi les morts sur le champ de bataille. Le
vainqueur s’était remis en route pour retourner dans
l’intérieur du Rwanda.
Kanyoni l’apprend. Désireux de réparer en une fois les
échecs subis par les Banyabyinshi, il se poste sur le pas­
sage des troupes qui longeaient le lac Kivu. L’armée était
arrivée à hauteur d’Ishangi, en plein m idi, sous un soleil
de feu.
Les gardes de corps (ibisumizi) du roi, fatigués, m ar­
chaient en désordre et à distance les uns des autres.
Ruganzu suivait à peu près seul. Kanyoni voyant que les
circonstances le favorisaient, grimpe sur un arbre et
attend, l’arc à la main, le roi au passage.
Insouciant du danger q u’il ignore, le monarque s’avance
sous l’ombre du feuillage et lève machinalement la tête,
comme pour juger de la hauteur de l ’arbre. Le fils de
Nsibura, qui tenait son arc tendu, lui décoche une flèche
à la pointe en bois aiguisée (igisonga ch’umugano).
Ruganzu pousse un hurlement de douleur, la flèche avait
profondément pénétré dans l’œil droit. Il eut beau la
retirer à l’instant, la blessure était mortelle.

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Dernières circonstances qui précèdent sa mort.
Les gardes s’empressent et mettent le prince dans la
litière bien connue (ingobyi) en usage dans le Rwanda
A deux heures environ du lieu de l’accident un chef indé­
pendant, qui s’appelait « Mwito », se met en travers du
chemin avec ses guerriers.
Il se propose d’attaquer le cortège et veut l’empêcher
de passer (aramutangira).
« Je ne veux plus me battre, lui fait dire le blessé. Je te
donne le pays que tu occupes, restes-v en paix avec tes
fils. »
Le roitelet, qui n ’en demandait pas davantage, se retira.
Depuis ce temps la contrée s’appelle « Riguzi », c’està-dire « le cadeau »; une autre colline a également gardé
ju sq u ’à nos jours le nom du chef lui-même, Mwito.
Porté par ses gens, Ruganzu atteignit le village de
Muchiro. Son œil avait enflé démesurément et lui arra­
chait des cris de douleur. De rage, malgré les efforts que
fait son entourage pour l’en empêcher, il tire de son orbite
l ’organe malade et le jette loin de lui.
Les tortures q u’il éprouvait étaient devenues intoléra­
bles, le dénoument approchait. Le mourant refuse de se
laisser emmener plus loin.
On s’arrête. Le prince, dans un dernier effort, se dresse
sur ses jambes et s’avance vers la hutte d’un noble de
l’endroit, qui s’appelait Rusenge.
Celui-ci était couché. S’entendant interpeller au dehors,
il sort et se trouve en face d’un homme dont le visage
tuméfié et couvert de sang est horrible à voir. « Que me
veut donc, s’écrie-t-il courroucé, cet individu à la face
ensanglantée qui pénètre chez m oi? (Uyu w injira mu
lugo, avamo amarasso, aranshakir’ iki?) » Ruganzu cher­
chait un abri pour mourir. Devant l’altitude insolente de
Rusenge, le moribond ne se possédant plus, lui prend le
bras droit, le retourne avec force en sens contraire et

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l ’arrache en moins de temps q u’il ne faut pour le dire. Le
brandissant ensuite avec les deux mains, il en frappe le
visage de sa victime, qui remplissait l’air de ses rugis­
sements.
Ce dernier effort avait épuisé Ruganzu, qui eut à peine
la force de se traîner ju squ’à la case qui occupait le fond
de la première cour (ikambere). On entendit bientôt ses
derniers râlements. C’est ainsi que le dompteur des rois
fut à son tour dompté par la mort.
Les derniers moments du grand roi ont été, on le voit,
dramatisés. Il ne pouvait pas mourir comme le commun
des mortels, dans des circonstances normales et ordinaires.
Telle avait été la vie, telle devait être la mort. Il fallait
que le cadre fut le même.
Les romanciers noirs ont dépeint son trépas sous des
traits et des couleurs un peu forcés.
La conclusion qui semble se dégager de leurs dires, c’est
que Ruganzu mourut d’une blessure, ou mieux, des suites
d ’une blessure.
S’il n ’arriva pas vivant à Muchiro, son cadavre y fut au
moins déposé pendant quelques jours. Cela explique pour­
quoi le nom de Ruganzu est resté attaché au bosquet royal
de Muchiro. Les gardiens de l’endroit appartiennent au
clan des Abiru et la tradition assure qu’ils sont les descen­
dants de ceux qui s’occupèrent des funérailles du monar­
que. Cette circonstance leur valut le nom d’ « Abanyamugogo », c’est-à-dire les hommes à la grande bûche de
bois, à cause de la coutume qui exige q u’on fasse brûler
durant au moins quatre jours une souche de l’arbre appel.'1
umuko, ervHirina à fleurs rouges, après l’ensevelissement
d’un individu. On choisit à dessein pour cela une bûche
verte de cet arbre.
Le nom de Muchiro étant très connu parmi le peuple,
beaucoup se figurent q u’on y avait enterré Ruganzu, mais
011 a tout lieu de croire, d’après l’opinion la plus coin-

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mune, q u’il fut porté pour y être inhum é à Musenyi, dans
le Nduga, à l’endroit de Mayebe (*).
III. — C o n c lu s io n a t i r e r de t o u t e s ces ch an so n s
de g e s t e s .



I m portance

F O R M A T IO N

DE

l ’u

du

N IT E

rôle

DU

de

R uganzu

et

ROYAUM E.

Ruganzu occupe dans la littérature indigène une place
de choix par le nombre et la variété des récifs auxquels
ont donné lieu ses actions d’éclat. Il n ’est pas un de ses
faits et gestes, réels ou supposés, qui n ’ait été transformé
et embelli.
Les événements ont été mesurés à la taille du héros.
L ’imagination populaire s’est donnée libre carrière à son
occasion. On remarquera sans peine que les différents
morceaux qui relatent sa vie et son règne sont d’une
valeur inégale et souvent décousus, manquant de logique
et fourmillent d’anachronismes et d’enfantillages. On lui
attribue naïvement la découverte de la plupart des pro­
duits agricoles. Il est l’inventeur et l ’organisateur de tout.
Artisans, forgerons et cultivateurs se réclament de lui. Les
faiseurs de pluie et les sorciers, mis en demeure d’expli­
quer leurs prétendus pouvoirs et poussés jusque dans
leurs derniers retranchements, donnent la clef du pro­
blème, en se disant les simples dépositaires des « dons »
et des « talents » dont Ruganzu fut le premier détenteur.
Il en a fait bénéficier leurs prédécesseurs dont ils conti­
nuent la chaîne et la série. Bref, Ruganzu. c’est la réponse
à toutes les questions et à toutes les difficultés.
On lui prête également maints actes glorieux accomplis
par ses successeurs ou ses prédécesseurs.
Ce sont là choses qui n ’embarrassent nullement les
annalistes officiels pas plus que ceux qui les écoutent. Les
Noirs ne sont pas difficiles en matière d’histoire. Tout
(*) Cf. Livre quatrième.

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imparfaits qu’ils puissent être au point de vue littéraire,
ces récits et ces légendes nous permettent cependant de
nous initier aux us et coutumes des Banyarwanda et de
pénétrer dans leur étrange mentalité. Leurs histoires de
devins et de magiciens sont caractéristiques, à cause du
concept que s’en font les indigènes.
On ne sera pas peu étonné d’y rencontrer quelques
détails qui, par certains côtés, rappellent les légendes et
le contes de fées du moyen âge. Les événements merveil­
leux qui se produisent à l’arrivée de Ruganzu, chez
Nyamikenge, le fameux « tempestaire », le miracle des
arbres auxquels donnèrent naissance les flèches que le
prince décocha à un de ses ennemis, le jaillissement des
sources opéré à sa voix ou provoqué par l’envoi d’une
flèche, — le coup de sabre donné sur un rocher, — les
merveilles opérées par Nyangara, etc., ont plus d’un lien
de parenté avec les récits de l’époque précitée (').
Ces mêmes épisodes, en nous mettant au courant des
coutumes et des pratiques anciennes ou actuelles dont
ils donnent quelquefois l’explication plus ou moins
rationnelle, ont de plus l’avantage précieux de faire
revivre à nos yeux le passé dont ils soulèvent un coin
du voile. Il n ’est pas besoin de dire q u’on était alors
à une époque troublée et mouvementée, sous le règne
de la crainte et de la violence. La constatation la plus
intéressante au point de vue historique est la sui­
t1) Entre bien d’autres auteurs, Montalembert cite les deux traits sui­
vants :
« Les paysans admiraient dans leur simplicité un gros et vieux arbre,
ils le disaient sorti de l'aiguillon dont l ’Abbé Théodulphe se servait pour
piquer ses bœufs, et qu’il avait fiché en terre, un jour qu’en les rame­
nant au monastère il s’était arrêté sur le bord du chemin pour racommoder sa charrue endommagée. »
« La légende d’un savant irlandais du VIe siècle, raconte qu’après sa
mort, tous les étuis à livres de l’Irlande se détachèrent des crochets qui
les retenaient contre les murs des écoles monastiques et tombèrent à
terre. »
Les Moines d'Occldenl (t. II). Chap. : « Les moines et les bêtes fauves ».

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vante : Les événements dont nous parlons se rapportent
à l’époque où eut lieu l’unification du royaume actuel du
Rwanda et Ruganzu semble, de tous les rois ou chefs aux­
quels il a succédé, celui qui a contribué le plus à cette
œuvre de formation et d ’agrégation.
Des traditions et des légendes qui ont cours dans le
pays il ressort, en effet, nous l’avons- déjà dit, que les
Hamites vinrent dans le Rwanda par le Nord-Est, c’està-dire par le Ndorwa, Mutara, Buganza, à une date indé­
terminée. Us soumirent, les uns après les autres, les
roitelets indigènes qui ne surent pas se défendre et leur
résister. La victoire des Ratutsi dût être relativement facile
vu le manque d’entente entre les chefs autochtones, le
peu d’importance de chaque groupe et leur infériorité au
point de vue civilisation (intelligence) O).
Après les avoir subjugués, les Batutsi se partagèrent le
pays et fondèrent à leur tour de petites principautés héré­
ditaires à peu près égales en étendue aux royaumes m inus­
cules qu’ils avaient trouvés à leur arrivée. Ils se mirent à
la place des roitelets aborigènes q u ’ils avaient détrônés.
t1) Nous employons le mot civilisation dans un sens relatif, parce
que les Batutsi malgré leur sens politique n ’ont apporté aucune innova­
tion dans les autres branches humaines.
Ils ont soumis les Bantu, leur ont donné un gouvernement stable et
régulier en se substituant à leurs trop nombreux princes Bahutu, mais
ils n’ont rien fait progresser, au point de vue des sciences et des arts.
Pour ce qui concerne les cultures, les bâtisses, les armes, les instru­
ments, etc., les Noirs s’en sont tenus aux méthodes et aux habitudes
ancestrales. Les Batutsi sont restés administrateurs et pasteurs. Leur
activité ne s’est pas exercée en dehors de ce cercle.
« La civilisation des Noirs elle-même, dit M. Delafosse, et son jugement
s’applique aux Hamites et aux Bahutu du Rwanda, ne paraît pas avoir
subi dans son ensemble, de modifications profondes depuis des milliers
d’années. Tout au moins existe-t-il encore de nos jours de nombreuses
peuplades nègres dont le développement matériel semble être demeuré
au même stade où il se trouvait du temps des Pharaons, et dont les
vêtements, les armes et les outils sont exactement identiques aux vête­
ments, aux armes et aux outils que portent les Nègres représentés sur
les peintures et les bas-reliefs de l ’ancienne Egypte. »
Les Noirs de l’Afrique, page 20.

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Après (le multiples péripéties, les chefs Batutsi de la pro­
vince du Nduga, qui avaient gouverné en premier lieu,
sinon simultanément, le Buganza, le Bgana-Chambge,
etc., réussirent, par leur renom, leur génie et leur am bi­
tion à s’imposer peu à peu à leurs rivaux et voisins. C’est
sous le règne de l’un des prédécesseurs de Ruganzu que
les Banyoro furent repoussés.
Le fils du roi Kigeri, connu désormais dans l’histoire
sous le nom de Mibambge-Mutabazi, s’était mis à la tête
des troupes et avait refoulé les envahisseurs. Ce succès
retentissant ne contribua pas peu à augmenter sa gloire et
son influence. Le même Mibambge put ensuite se débar­
rasser de son redoutable voisin Mashira, qui régnait en
maître sur la majeure partie du Nduga. Ces faits montrent
le rôle et l’importance qu’avaient déjà les chefs hamites,
auxquels allait bientôt succéder Ruganzu.
Celui-ci trouva donc l’œuvre commencée, mais engagée
dans une mauvaise passe, semble-t-il, à la mort de son
père Ndahiro. Les quelques pages qui précèdent aident à
comprendre avec quelle habileté et quel succès il sut
mener à bien l’entreprise d’unification. Ses successeurs
n ’eurent q u’à la compléter comme le firent notamment
Yuhi-Mazimpaka, Chyilim a, Kigeri-Ndabarassa, Mibambge-Sentabyo, Mutara-Lwogera.
Diverses furent les phases de cette lutte et nombreuses
les péripéties. Le Nord-Ouest se défendit à outrance au
début de l’invasion hamite. Les Batutsi y eurent affaire à
des tribus belliqueuses dont quelques-unes combattirent
courageusement pour conserver leur autonomie. Les
Bashiru et les Bahoma se laissèrent entamer difficilement.
Leurs chefs hahinza Nvamakwa et Nyakazana ont été évin­
cés récemment. Ils se bornaient à payer un tribut annuel
à la capitale. Les Batutsi n ’osaient pas séjourner chez eux
et craignaient même de traverser leur territoire.
L’établissement des Hamites et de leur influence dans
le Ki ngogo, le Mulera, le Bukonya et le Kibali est de date

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récente (*). Le dernier chef autochtone du Bukonya,
Bgimba, vient à peine d’être dépossédé; Kiruhura, du
Kingogo, est encore respecté du grand chef Mututsi, qui a
réussi à implanter dans la contrée l’autorité du roi.
Quant au Mulera, dont les habitants, de terribles m on­
tagnards, avaient malgré quelques revers passagers, tenu
en respect les Batutsi, c’est à peine d ’hier que date sa
soumission, — et cela grâce encore aux divisions intes­
tines qui ont réussi à se faire jo ur dans la région (2).
Les faiseurs de pluie qui se succèdent depuis plusieurs
générations dans le pays de Bussigi et du Kinyaga surtout,
au lieu dit du Bukunzi, sont probablement les descendants
d’anciens chefs autonomes. Il ne restait plus qu’une
grande influence morale à celui de Bussigi, mais celui du
Bukunzi, comme on l’a vu précédemment, possédait
encore un pays d ’environ 20.000 habitants, sur lesquels il
exerçait une vraie souveraineté.
Il descendait d’une ancienne famille venue du Bunya­
bungu (Bwinryi), pays situé sur la côte occidentale du
Kivu. L’origine différente des Bahutu, qui occupent les
diverses parties du Rwanda, explique la m ultitude des
groupements autonomes que rencontrèrent les Batutsi à
leur arrivée dans la contrée.
On comprend aussi la facilité relative avec laquelle,
nonobstant leur petit nombre, les Batutsi soumirent peu à
peu les autochtones.
t1) Des Batutsi, qui avaient essayé de pénétrer individuellement dans
les régions du Nord, durent rebrousser chemin. Les montagnards en
jetèrent quelques-uns à la rivière. Ces faits ne pourraient plus se repré­
senter à l ’heure actuelle.
(2) Les populations du Nord sont presque toutes originaires du
Mpororo et du Ndorwa; les Bagoyi qui habitent sur la côte orientale du
Kivu sont originaires des pays voisins, Bgisha, Mushari, Gishari,
Kamuronsi, Bunyabungu, régions situées au Nord et à l’Ouest du même
lac. Les gens du Kinyaga sont venus du Bunyabungu et quelques autres
de l ’Urundi.
La population située au Sud et à l’Est du Bwanda est fortement appa­
rentée à celle de l’Urundi.

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Leur pénétration se fit par le Nord-Est, dans l’intérieur,
pour progresser vers le Sud et enfin vers le Nord-Ouest,
où ils éprouvèrent plus de difficultés. A différentes
reprises, ainsi que nous l’avons dit et même assez récem­
ment, entre 1898 et 1900, les Batutsi furent obligés de
prendre les armes pour ramener à l ’obéissance les popu­
lations montagnardes, qui ne payaient plus l’im pôt et
maltraitaient les chefs q u’on leur envoyait de la capitale.
Inutile d’ajouter que ces expéditions ont été célébrées et
chantées à l’envi comme dignes de passer à la postérité (*).
Les anciens roitelets et leurs descendants sont désignés
dans la langue du pays sous le nom d ’ « Abahinza »,
c’est-à-dire préservateurs des récoltes ou même « usur­
pateurs », parce que, d ’après le sens désormais attaché à
ce terme, ils ne sont pas de vrais rois et q u’on ne peut pas
les comparer avec leurs vainqueurs et successeurs, les
Hamites.
Pour les Banyarwanda il ne peut y avoir qu’un seul roi
digne de ce nom (umwami), le monarque de race Mututsi.
Les autres n ’ont aucun droit à ce titre, parce q u’ils com­
mandent à des étrangers (abanyamuhan"a) et à des Sau­
vages (abasbi) qu’ils estiment appartenir à une civilisation
inférieure à la leur. C’est la raison pour laquelle ils ont
conservé ce nom aux descendants des anciens princes
aborigènes, même à ceux qui ont disparu ou ont été
évincés complètement comme Nvamubira fils de Kabamba, qui habite à Binana (Ndiza) ou Bgimba du Bukonya(2).
La disparition des anciens groupements indépendants
t1) Les vieux « généraux en chef » qui prirent part à la campagne
sont encore en vie, à l ’exception de Lukagirashamba, mort depuis quel­
ques années. Ce dernier appartenait, au clan des Batsobe, Sezikeya à
celui des Banyiginya et les deux autres à celui des Bega.
(2)
Le terme de muhinza est passé dans la langue runyarwanda pour
désigner non seulement les faiseurs de pluie de profession, mais ceux
aussi qui le sont devenus subitement, d’occasion, dans un but de lucre.
I! en est d’autres qui se sont vus imposer la fonction et le titre à cause
de leur origine étrangère et ont dû accepter, sous la menace, de singer
les pluviateurs officiels.

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est un fait accompli, il n ’en reste que le souvenir. Ces
données expliquent la situation politique du Rwanda à
l’arrivée des Batutsi. L ’unification du Rwanda ne se fit
pas en un seul jour, ni en une seule fois.
Les divers épisodes dont il a été parlé le prouvent assez.
L’œuvre fut de longue haleine.
Les faits de l’histoire contemporaine, comparés à ceux
que la légende et la tradition prêtent à Ruganzu, montrent
clairement le rôle important joué par lui, lors de ce labo­
rieux travail d’enfantement. Il n ’est presque pas une
province du Rwanda actuel que Ruganzu n ’ait parcourue.
Le nombre de ses expéditions et le chiffre de ses vic­
times l’emportent de beaucoup sur celles que firent ses
prédécesseurs et ses successeurs.
Les régions du Bgisha, de .Tomba et du Gissaka semblent
être les seules dans lesquelles il n ’ait pas pénétré. Le petit
royaume du Gissaka devait être à cette époque en bonne
voie de formation et avoir une existence prospère, ce qui
explique pourquoi Ruganzu ne songea pas à y établir son
influence 0 .
Tel fut donc, d’après la légende et la tradition, celui
auquel l ’enthousiasme populaire a donné, en souvenir de
ses nombreux exploits les titres de : Conquérant (Ruga­
nzu), l’habitant du lieu sacré de Gasâbo, l ’Homme à la
peau de mouton, celui qui sait parler le langage des
hommes aux Sauvages du Nord comme aux Sauvages du
Sud, l’observateur par excellence (l’Espion), le Maître du
Rwanda, le possesseur du tambour sacré (le palladium du
f1) Les traditions relatives au royaume du Gissaka ont conservé le
nom de onze rois, dont le premier vivait du temps de Ndahiro, le père
dî Ruganzu. Ils étaient de race Mututsi, du clan des Bagessera. Eux
aussi se taillèrent leur royaume au milieu et sur les ruines des groupes
autochtones qui vivaient séparés les uns des autres.
Le Gissaka proprement dit avec ses trois districts (Gihumya ou Barassa, Migongo et Mirenge), compte peut-être à l ’heure actuelle près de
150,000 habitants. Au moment de leur plus grande splendeur, les rois du
Gissaka avaient réussi à s’emparer du Buganza et du Bgana-Chambge
qu’ils gouvernèrent pendant quelque temps. Cf. Livre cinquième.

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royaume), l’Homme à la lance ébréchée (par suite de
l’usage q u’il en fit dans les combats), le chef des guerriers
par excellence (*).
Pour terminer cette étude, l ’auteur de ces lignes fait
siennes les réflexions suivantes, qui, entre plusieurs autres,
lui furent faites par des Batutsi fort au courant des tradi­
tions de leur pays : « Voilà, disait le premier, ce que nous
savons sur Ruganzu, ce dont nous avons souvenance et
que l’on raconte encore à l ’heure actuelle, les uns en
parlent de cette façon, les autres d’une autre. Quant à moi
je n ’ai pas entendu autre chose sur ce sujet (2) ». — « Les
gens d’ici, ajoutait un deuxième dans le cours d’une
conversation, ne connaissent pas très bien l ’histoire de
Ruganzu; ce qui leur manque surtout, c’est de ne pas
savoir mettre en ordre les événements.
» La difficulté est la même quand il s’agit de donner
la liste généalogique des rois. L ’un rapporte ceci, l’autre
cela, et nos récits ne concordent nullement entre eux (3). »
APPENDICE

Principautés hamites réunies à la couronne.
I. —

Nd o r w a .

Noms des rois connus :
Kabeja.
Mulari.
Gahaya.
On pense que Gahaya fut le dernier roi du Ndorwa.
(!) « Ruganzu rwa Ndahiro, Ruganzu rwa Gassàbo, Chambarantama,
Rugambirir’ Abahunde n ’ Abashi, Chyitatire, Nyirurwanda, Nyiringoma,
Nyir’ ichumu ry’ uruhanga, Nyiringabo ».
(2) Ngay’ amateka ya Ruganzu avugwa bachyibuka kurubu; bamwe
babivug’ ukundi, aband’ ukundi.
(3) Nayo numvise kuli Ruganzu.
« Rubanda Iwino ntirubimenya neza rwose, ndetse chyane chyane ntibazi kubikulikiranya, n’ abami nuko ntibazi kubakulikiranya nabo.
Ichyo twabibuzeho rwose n ’ ubumwe. Umwe avug’ ibi, undi naw’
ibindi, amaze nuko ntibihure na gato. »

33 6

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Après lui le pays resta morcelé et toujours exposé aux
invasions des Banyarwanda.
Ruganzu I Ndori aurait été le premier à y faire la guerre.
Il y tua un certain Kanyoni, proche parent du roi.
Chyilima II Ludjugira porta un coup mortel à l’exis­
tence du petit royaume.
Bien que nominalement soumis au Rwanda, les habi­
tants de ce pays se montrèrent réfractaires à l ’influence
étrangère et secouèrent souvent le joug qui leur avait été
imposé. Aussi voit-on la plupart des rois hamites du
Rwanda y faire de nombreuses expéditions qui appau­
vrirent et désolèrent cette malheureuse région.
Les rois et les chefs Batutsi du Ndorwa appartenaient
au clan dit des « Abashambo », fortement apparentés aux
Banyiginya du Rwanda.
Dans les récits et légendes il est souvent question du
petit pays de Mutara qui fait géographiquement partie du
Ndorwa. Ce district de Mutara fut la première étape des
Hamites, au seuil du Rwanda.
II. — R u g e s s e r a .

Noms des rois connus :
Sankunda.
Nsangano.
Nsoro.
Ce dernier prince fut, d’après la tradition, vaincu par
Mibambge I Mutabazi.
Géographiquement parlant, la province du Bugessera
appartient à l’Urundi. Elle est séparée du Rwanda par le
fleuve de l’Akanyaru et au delà de son confluent avec la
Nyabarongo par la Kagera.
Les premiers Hamites qui s’v installèrent dépendirent
d ’abord du roi hamite de l’Urundi. Ils ne tardèrent pas à
entrer en conflit d ’autorité avec lui. Les princes du
Rwanda profitèrent de ces dissensions et le Rugessera finit

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par être réuni à la couronne sous le règne de Mibambge I.
Les Hamites qui ont régné sur le Bugessera sont dési­
gnés sous le nom d’ « Ababondogo », un des nombreux
clans Batutsi.
Le Bugessera n ’a jamais été bien peuplé.
C’est une région de pâturages parsemée d’arbres nains;
la pluie y tombe peu. La plupart des terres situées au
confluent des deux fleuves de l’Akanyaru et de la Nyabarongo sont souvent inondées à la saison des pluies. Les
eaux emportent les cultures, au grand désespoir des rive­
rains, qui ont été surpris maintes fois par l’irrégularité des
crues. La famine et le voisinage des fauves sont loin de
favoriser l’accroissement de la population
III. —

L e G is s a k a .

On ne connaît que les noms des onze derniers rois.
Rois du Rwanda contem­
porains :
1. Kimenvi I Kimenyi.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.

Mukanva.
Mutwa.
M utuminka.
Kwezi.
Luregeya.
Muhoza.
Razimya.
Kimenvi II Getura.
Li igeyo-Zigama.
Ntamwete, détrôné
tué vers 1850.

Ndahiro, père du
Ruganzu.

et

célèbre

Chyilima II Ludjugira.
Kigeri-Ndabarassa.
Mibambge-Sentabvo.
Yuhi-Gahindiro.
Mutara-Lwogera.
Mibambge - Rutalindwa, f
1896.
Yuhi IV-Musinga (1896).

C’est sous le règne de Mutara-Lwogera que le Gissaka,
grâce aux divisions intestines qui éclatèrent parmi les
MEM. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

22

338

UN

ROYAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

L ’A F R IQ U E

grands chefs, perdit son indépendance et fut réuni au
Rwanda.
Le Gissaka proprement dit comprend trois petites
régions distinctes :
1° Le « Gihumya » ou « Barassa » avec environ 45.000
âmes (d’après un premier recensement fait en 1922);
2° Le « Migongo » avec près de 20.000 Ames;
3° Le « Mirenge » avec environ 16.000.
Les <( chroniqueurs » du Gissaka disent q u’au temps de
la plus grande prospérité du royaume les limites de leur
pays s’étendirent jusqu’à la Nyabarongo, englobant la pro­
vince du Bgana-Chambge, vers le Sud-Ouest, et le
Buganza, vers le Nord.
I. —

P r in c ip a u t é

de

B u s s ig i .

Essai de généalogie des princes autochtones
Bahutu (Bantu).
................................................Princes hamites contem................................................
porains :
Nyamikenke.

Ruganzu II Ndori.

Nzarubara.
Minyaruko.

Lwabugir i-Kigeri.
Musinga-Yuhi.

Ces personnages ont largement vécu jusqu’à nos jours
de leur métier de « tempestaires » ou faiseurs de pluie.
II. — P r i n c i p a u t é de L u h e n g e r i.
Kimararungu.
Gihima.
Lwabunga.
Mulamira.
Ils appartiennent au clan des Bassigi ou Babanda.

UN

ROYAUM E

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AU

CENTRE

I I I . — P r in c ip a u t é

du

DE

L ’A F R IQ U E

339

Buhoma.

Nkinzo Lemera.
Machumbi.
Nyakazana, décédé en 1928.
Bigirabagabo.
IV. — P r i n c i p a u t é d u B u s h ir u .
Princes hamites contem­
porains :
1.
2.
3.
4.

Nyabissasso.
Sangano.
Kibogora.
Nyamakwa.

Kigeri IV Lwabugiri.
Yuhi IV Musinga.

Les Batutsi n’avaient pas osé s’implanter dans le pays,
qui n ’était que nominalement soumis à leur influence. Les
titulaires de ce minuscule royaume prennent les noms de
leurs prédécesseurs; ces noms sont au nombre de quatre.
Ces Bahinza appartiennent au clan des Bagessera. On les
dit originaires du Gissaka.
V. — P r i n c i p a u t é d u B u g am b a- K ig an d a.
1.
2.
3.
4.

Bagabo.
Nkwakuzi.
Biyuzi.
Bigirimana.
Nkwakuzi.
V I. — P r in c ip a u t é

1.
2.
3.
4.

Mazuru.
Samarwa.
Kibogora.
Nkumbuye, -}- 1918.

Y uhi IV Musinga.
du

B u l e m b o -Iv u n j a .

34 0

UN

ROYAUME

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CENTRE

DE

^ A F R IQ U E

VII. — P r i n c i p a u t é de B u l i b a (l).
1.
2.
3.
4.

Mulamira.
Biranda.
Kagesera.
Chungura.

Yuhi IV Musinga.

VIII. — P r i n c i p a u t é d it e de N to n d e - K aram a- K ag o g w e
1. Kibogora.
2. Mazuru.
3. Samarwa, décédé en 1924, durant la famine (Rumanura).
IX. — P r i n c i p a u t é de M u h a n g a - N y a b ita r e .
1. Butoke Butukura, le sorcier au doigt rouge, tué par
Ruganzu II.
2. Buheke.
3. Magarure.
4. Birutwaninda. Ce dernier fut assommé à coups de
casse-tête, au début du règne de Musinga.
Les possessions de ces princes autochtones s’étendirent
à un moment donné dans le Nduga, vers le Sud-Ouest,
jusqu’à Bgeramvura.
Les rois de cette principauté étaient enterrés à Butaka.
Des traditions relatives à l ’origine du tambour-palla­
dium (Kalinga), l’une prétend que le tambourin apparte­
nait aux roitelets de Muhanga, qui s’en virent dépouillés
par Ruganzu. D ’après une deuxième, le tambourin était
en possession de Nyamikenke de Russigi.
C1) Cette principauté comprenait encore : Ishishiro, Gasave et Gishari
(Ndiza).

UN

ROYAUM E

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CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

341

X. — P r i n c i p a u t é d u B u k o n y a (x).
Magabe.
Bgimba.
Luvogo.
Lukaburacchumu.
Les tombeaux de ces princes sont dans de petits bos­
quets. On se demande si les rois hamites n ’ont pas
emprunté aux roitelets autochtones leur mode de sépul­
ture et tout particulièrement la coutume de « momifier »
les cadavres en les faisant dessécher lentement sur un
foyer construit dans ce but.
XI. — P r i n c i p a u t é d u K in g o g o .
1. Bgojojo, tué par Ruganzu 11.
2.
3.
4.
5.
6.
7.

Bgoya.
Muhazi.
Mabango.
Sunzu.
Kiruhura, f 1915.
Muganwa.

Yuhi IV Musinga.

Ils appartiennent au clan des Bazigaba. Les chefs
Batutsi qui se sont succédé dans l’administration de la
province, depuis près de 1874, sont : Seruteganya,
Lutishereka, Luhinankiko, Lwangampuhwe, Nyiriminega
et son fils Luvuzandekwe.
X II. — P r i n c i p a u t é d u B g is iia za e t d u B u d a h a .
1. Rubondo.
2. Mujambere.
(i) C’est sous toute réserve que nous donnons ces renseignements
généalogiques sur les familles princières Bahutu que nous n’avons pas
eu l’occasion d’étudier à fond sur place.

342

UN

ROYAUME

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DE L ’A F R IQ U E

3. Sangano, tué par Kigeri III Lwabugiri
4. Mashushwe, -f- 1909 Yuhi IV Musinga.
5. Rwanyange.
Mashushwe fut livré au roi Musinga, qui lui fit coupel­
les mains et les pieds. Le prince hamite voulait venger,
croit-on, la mort de l ’un de ses neveux, Kamashabi,
assassiné par le fils adoptif de Mashushwe (un certain
Nyirinkindi). Lwanyange, propre fils du roitelet, immola
à son tour, de ses propres mains, celui qui avait été la
cause involontaire de la mort de son père.
X III. — L e r o y a u m e a u t o c h t o n e d u N d u g a ,
LE PLUS PUISSANT DE CEUX
que le s

H a m ite s r e n c o n t r è r e n t

dans l e

Rw anda.

Noms des rois connus : Rois hamites contemporains :

Sabugabo.
Nkuba.
Mashira.

Kigeri I Mukobanya.
Mibambge I Mutabazi.

Ce royaume m uhutu comprenait la majeure partie de la
province centrale du Nduga et le Ndiza ou Bulembo.
Mashira était tout à la fois roi, sorcier-devin et magicien,
comme les autres princes autochtones de l’époque. Il pas­
sait pour être le plus puissant de tous et son nom revient
fréquemment dans les contes et les récits indigènes. Ses
quatre principales habitations se trouvaient, l’une à Chubi
dans le Ndiza, l’autre sur la chaîne du Muhanga, la troi­
sième à Nyanza, la capitale actuelle du Rwanda et la der­
nière à Gisali près de Kibanda.
Au sommet de la colline de Gahogo, près de la mission
de Kabgavi, on montre dans un terrain crayeux, l’endroit

UN

ROYAUM E

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CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

343

où le roi sorcier aurait cherché vainement une source pour
y abreuver ses troupeaux.
Mashira fut vaincu par le roi hamite Mibambge lMutabazi, auquel il avait tout d ’abord prêté main-forte
pour repousser l’invasion des Banyoro.
XIV. — P r i n c i p a u t é de M a r a n g a r a .
................................................
Nkondogoro I.

Princes hamites contemporains :

Nkondogoro II.
Nkoma I.

Nkoma II Sekibakanyi.

Buganzu II Ndori.

Nyamurassa.
Kibogo.

Kigeri IV Lwabugiri.

La principauté eut, à un moment donné, une existence
prospère. Les vieux aiment à parler de son antique splen­
deur et de son étendue; elle était alors limitée au Nord par
le Bumbogo, au Sud par le Munyambiriri (jusqu’à Bgeramvura), à l’Ouest par la petite chaîne de Muhanga et à
l’Est par la rivière de la Bumanzi (jusqu’à Kabebya). Le
territoire du Marangara actuel est plus restreint. Le petit
royaume devint peu à peu tributaire des rois du Bwanda
ju squ’au jour où Kibogo, dont l’influence sur ses sujets
était médiocre, mourut de la variole en 1894 Les Bakoma,
ou descendants des princes autochtones, qui s’enorgueillis­
sent de leur passé, possèdent à Mata la pierre à aiguiser
dont se serait servi Buganzu. Ils prétendent que la pierre
a pris racine et s’étend sous toute la montagne. D ’après
une croyance populaire, les émissaires de la capitale du
Bwanda y viendraient en cachette, à chaque nouveau

344

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l ’a

F R IQ U E

règne pour y aiguiser les armes qui doivent servir à tuer
les frères du roi susceptibles de lui disputer la couronne.
Les passants jettent une touffe d’herbe sur la pierre
comme cela se pratique pour les autres « souvenirs »
laissés par Ruganzu.
Les jeunes filles, qui vont ramasser du bois dans les
environs, ne manquent pas, à leur tour, d’organiser une
« ronde », en l’honneur du grand roi.
XV. — F a is e u r s de p l u i e d u B u k u n z i dans l e K in y a g a .
................................................L ’ancêtre est originaire de
................................................
Rwingrvi dans le Bunya...............................................
bungu.
Kidja 1.

Ngoga.
Luzigamanzi.
Lutangaho.
Kabeja-Lusanga.
Kidja II Kissuma.
Ndagano, mort le 30 mars 1923.
Les susdits « faiseurs de pluie » avaient joui jusqu’à
présent d’une large autonomie dans le district qu’ils
administraient.
D ’après la rumeur publique, Ndagano avait choisi pour
lui succéder dans son métier de faiseur de pluie, le der­
nier-né de ses fils.
XVI. — R o i t e l e t s d u Rusozo, pays t r i b u t a i r e (*).
Ancêtres éloignés (ou imaginaires) que se donnent les
princes du Busozo (l) :
1. Ndagara.
(!) Ce petit pays comprend un massif montagneux. Il avait autrefois
pour limite au Sud le confluent de deux rivières, la Rubyiro et la

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L ’A F R IQ U E

345

2. Ruhinda (l).
3. Kimenyi I (du Gissaka), dont les roitelets du Rusozo
se disent les descendants.
Princes régnants.
4. Ruhinga I, dont Ruganzu I Ndori aurait reconnu
l’indépendance.
5. Kalemera. Ce prince fut tué au cours d’un combat par
les Barundi.
6. Batsinda.
7. Kibyutsa, qui aurait habité à Myugariro où il reste
un bosquet sacré.
8. Nyabyungu, dont l’ancienne résidence se trouve à
Rutsiro.
9. Musumbga.
10. Gisanganya.
11. Nyundo, mort en 1904.
12. Ruhinga II, qui a dû naître dans les environs de
l’année 1894. Ce prince, dont le rôle était très effacé,
est mort en 1925. Son royaume liliputien a été
donné au gouverneur hamite de la province du
Kinyaga.
Rohwa, qui vont se jeter dans le fleuve de la Russizi. On y trouve aussi
de vastes espaces désertiques du côté de la forêt vers le Nord.
D’origine Murundi, les roitelets du Busozo n ’ont presque jamais entre­
tenu de relations avec les chefs voisins du Rwanda, qui ont essayé toute­
fois de rogner un peu sur leur pays.
La contrée, très accidentée, est plus accessible aux chèvres qu’aux
vaches et ressemble à une petite Suisse.
(i)
On entend souvent prononcer le nom de Ruhinda dans l ’Afrique
des grands Lacs. Le premier roi hamite de l’Usinja s’appelait aussi
Luhinda.
L’un des cinq grands clans Bahima (Hamite) du Nkole qui détient la
royauté se nomme Bahinda.
Les rois des sultanats du Kiziba sur le côté Sud-Ouest du Victoria
y compris celui d’Ukerewe se disent Bahinda.

LIVRE QUATRIEME
(PREMIER FASCICULE)

De la Cour royale.

(SES EMPLOIS, SES PRIVILEGES, SES MŒURS
ET SES COUTUMES.)
CHAPITRE I.
Emplois et charges à titre historique et superstitieux. Les gardiens des
traditions et le «roi» des initiés (imandwa). Emplois officiels revêtant
une grande importance tant au point de vue de la couronne que du pou­
voir exécutif. Commandante des troupes et tambourineurs officiels. Bour­
reaux; exécutions capitales et « gouffre » du Bugessera.
CHAPITRE II.
Fonctions à titre purement utilitaire et fonctions d’un caractère utili­
taire supposé, dont les unes sont à titre privé et les autres à titre public
et national. Griots, sorciers et devins de tout rang qui forment l’entou­
rage habituel du roi.
CHAPITRE III.
Des faiseurs de pluie ou tempestaires; des préservateurs de la foudre
et autres sorciers de cette catégorie.
CHAPITRE IV.
Charges à titre récréatif et littéraire. Pages, danseurs et musiciens.
Impositions diverses des clans et des sujets; servitudes sanglantes. Privi­
lèges et faveurs de la Cour.
CHAPITRE V.
Garanties dont s’entoure le monarque. Dangers auxquels étaient jour­
nellement exposés les employés de la Cour. Usages et formalités aux­
quels s’astreignent le prince et ses sujets. Emploi des charmes et des
philtres.
CHAPITRE VI.
Des deux grandes fêtes de la Cour. Vocabulaire des pasteurs. Exhibi­
tion des troupeaux sacrés et exposition rituelle des objets du trésor
royal.
CHAPITRE VII.
Rites funéraires. Tombes royales et bosquets sacrés. Dessiccation et
momification des cadavres royaux sous l’action du feu. Institution d’un
jour de repos en l ’honneur d’un prince hamite.

348

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DE L ’A F R IQ U E

L ’organisation de la Cour royale, ses emplois et ses
charges, ses coutumes et ses fêtes O , tel est l’objet de la
présente étude.
Rappelons au lecteur que le gouvernement indigène est
une monarchie absolue et héréditaire.
Le Souverain est le maître du sol et de tout ce qu’il ren­
ferme; il dispose comme il veut de la vie et des biens de
ses sujets. Jusqu’à ces dernières années, son pouvoir était
sans limites aucunes et ne dépendait que de ses caprices
et de son bon vouloir. « Im ana » (Dieu) n ’était pas plus
puissant que lui. Vouloir établir une comparaison entre
eux deux aurait été considéré autrefois comme un crime
de lèse-majesté. Dieu et le Roi ne pouvaient être qu’une
seule personne, tout au plus.
Aussi les sujets étaient-ils plutôt regardés comme des
choses dont on tire le plus de plaisir ou de bien-être.
Leur valeur et leur utilité propres n ’étaient estimées et
ne se mesuraient que par rapport au roi. Ajoutons que,
sans être exclu, le bien du royaume ne peut venir q u’en
second lieu dans la pensée du monarque.
Les grands du royaume auxquels le roi a distribué le
gouvernement des provinces étaient tenus de passer la
majeure partie de leur vie à la Cour, avant l’arrivée des
Européens. Les princes hamites tenaient essentiellement à
ce que les représentants de la noblesse fissent acte de pré­
sence auprès d’eux. Ils avaient l’œil sans cesse en éveil et
faisaient journellement l’inspection des seigneurs et des
courtisans qui les entouraient (2). Ceux-ci appartiennent
(') Pour désigner la Cour et la capitale hic et nunc, les Banyarwanda
se servent du mot « ibgami », « chez le roi ». Pour parler des anciennes
résidences royales, ils emploient le substantif « umurwa » au pl. « imirwa » ou encore « ikigabiro », au pl. « ibigabiro ». Quant au terme « umu
hango » (au pl. imihango) il signifie mœurs, coutumes, traditions, d’où
le nom d’« Abanyamihango » donné aux « gardiens des coutumes ».
(2)
Saint-Simon nous apprend qu’il en était de même sous Louis XIV :
« C’est un démérite, dit-il, à tout ce qu’il y a de plus distingué, de ne pas
faire de la Cour son séjour ordinaire, aux autres d’y venir rarement et
une disgrâce sûre, pour qui n’y vient jamais ou comme jamais ».

UN

ROYAUM E

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CENTRE

DE

L ’A F R IQ U E

349

presque tous à la race noble et conquérante des Batutsi.
Ils sont seigneurs et courtisans et, eux aussi, ne vivent
que pour le roi, son utilité et son plaisir. Dans les terri­
toires soumis à leur juridiction, les Batutsi, à leur tour,
exerçaient les mêmes pouvoirs que le monarque. On
s’explique aisément les inconvénients et les excès d’un
pareil système autocratique. Ce qu’on ne peut toutefois
dénier aux Batutsi et à leurs princes, c’est le don de gou­
vernement. Ils ont eu à toute époque le talent d’organiser
et d’administrer. Grâce à leur finesse et à leur génie, ils
ont réussi, dans un court espace de temps, à édifier un
royaume unique sur les ruines de près d’une cinquan­
taine de principautés autonomes et à lui donner une
constitution stable.
Nvanza, tel est le nom de la capitale actuelle dans la
province du Nduga. Elle se compose d’une vaste agglomé­
ration de cases isolées les unes des autres.
Le groupe que forme l ’ensemble des huttes royales est
de beaucoup le plus important. C’est là que vivent le roi,
la reine-mère et leurs employés (1). Les chefs sont installés
dans les environs. Pour ne pas blesser les susceptibilités
du Souverain, ils doivent veiller à ce que leurs cases et
leurs cours soient de dimensions modestes. Les autres
habitants, rassemblés tout autour, n ’y sont que pour le
service de Sa Majesté. Aussi la capitale peut-elle se com­
parer à une vaste ruche où les emplois sont variés et nom ­
breux, mais concourent au même but, qui est d’assister
et de récréer le Roi.
« La capitale est remplie, peuplée, occupée par la vie
d ’un seul homme. Ce n ’est q u’une résidence royale arran­
gée tout entière pour fournir aux besoins, aux plaisirs, au
service, à la garde, à la société, à la représentation du roi. »
(Taine.) La maison du roi est composée d’une véritable
(i) Les épouses royales à part de rares exceptions sont peu influentes.
On en parle rarement. Il suffit du moindre prétexte pour que l ’auguste
époux s’en sépare,

350

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

foule de domestiques organisés en services distincts sous
les ordres de grands officiers (Seignobos). » Ces deux cita­
tions, qui concernent Versailles, peuvent s’appliquer à
Nyanza et à la Cour de Musinga, proportions gardées.
Le fonctionnement des services jugés indispensables à
la vie de la Cour comprend un vaste personnel dont la
liste formerait un véritable annuaire. Comte du palais,
chef du service de la « Bouche », maître d’hôtel, grand
chambrier pour le Trésor, grand échanson ou bouteiller,
huissiers, pages, camériers, valets de chambre, officiers
de la garde-robe, médecins ou mieux médicastres, etc.,
ont leurs représentants équivalents à la Cour de Sa
Majesté noire.
Sans doute il ne faut pas se figurer ici un palais de
Versailles avec ses jardins enchanteurs. La résidence
royale de Musinga n ’est q u’un vaste enclos formé de ficus,
de joncs et de roseaux entrelacés. La principale ouverture
qui y donne accès est large d’un mètre. Par devant, à
quelque trente pas de l’entrée, s’élève la grande hutte
royale, faite de branches et de chaume.
L’intérieur est sombre. Comme toutes les cases du pays,
elle n ’a pour recevoir la lumière que la porte d’entrée.
Une forêt de piliers en bois se dresse au dedans pour
supporter la toiture. Une rangée d’alcôves borde les parois
intérieures, fermées par de grands paravents en joncs du
pays artistement tressés. Au centre et par terre, le foyer
protégé par une sorte de vaste rosace d’argile. C’est la salle
d’honneur où n ’entrent que les Européens et les familiers
de la Cour. C’est en même temps la chambre à coucher
du roi et de sa mère.
Le vaste enclos est divisé en plusieurs cours où se dres­
sent les cases de la reine-mère, de ses belles-filles, de leurs
suivants et de leurs suivantes. La hutte où est gardé le
tambour-palladium, celle où est conservé le feu sacré, les
nombreuses cases qui sont dédiées aux mânes royaux

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

351

s’élèvent à droite et à gauche, mais dans l’intérieur de
l’enclos.
De-ci de-là on aperçoit comme d’énormes paniers cou­
verts d’un toit de chaume; ce sont les greniers où s’entas­
sent les vivres du personnel. Le magasin est la place pré­
férée du roi. Il se plaît à y entasser les objets les plus
disparates : étoffes, vaisselle, meubles et bibelots de toutes
sortes. On dit qu’il prend un plaisir infini à parcourir son
« bazar », à palper les marchandises les unes après les
autres, à l’abri de tout regard indiscret.
Il est aisé de se représenter la vie et le mouvement qui
régnent à la Cour et dans la capitale.
La nation tout entière réside dans la personne du roi.
Celui-ci seul la représente. L ’État se trouvant identifié
avec le prince, il n ’est jamais question que de lui. « Tout
se fait pour son service. La justice est celle du roi; les
troupes sont l’armée du roi; les nobles combattent pour
lu i... Le monarque est seigneur absolu et a naturellement
la disposition pleine et entière de biens qui sont possédés
par ses sujets, et en les prenant, il ne prend que ce qui
lui appartient... Quiconque est né sujet doit obéir sans
discernement... »
Ce petit exposé de l’histoire du règne de Louis XIV
résume parfaitement les droits exercés par les souverains
hamites du Rwanda.
En conséquence de cette conception et de cette menta­
lité admises par les Noirs, presque tous les clans ou grou­
pes de familles dont se compose la population du Rwanda
ont un rôle à remplir à la Cour, non pas tant pour le
bien du royaume que pour le plaisir du roi. Les fonctions
q u’ils ont à y exercer sont multiples et varient selon la
qualité des gens et les produits du sol sur lequel ils vivent.
Pour quelques-uns, ce sont les circonstances historiques
du passé qui leur ont fait conférer un emploi. De ces
charges, les unes sont considérées comme un honneur ou
un privilège et les autres comme une vraie corvée. Il y en
a aussi qui sont imposées comme un châtiment ou une

352

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

vengeance, pour une faute commise autrefois par des
aïeux dont on a même perdu le souvenir. La plupart de
ces offices constituent de vraies servitudes pour leurs titu­
laires.
Les emplois à caractère simplement utilitaire sont de
beaucoup les plus nombreux.
On ne sera pas peu surpris d’apprendre que les plaisirs
et les récréations littéraires ne sont pas exclus du pro­
gramme de la Cour et y ont même une place à part. Nous
trouvons, en effet, auprès du Souverain des historiens
officiels et des bardes attitrés (abachurabgenge), ainsi que
des jouteurs littéraires ou gens au langage choisi appelés
Abasizi, dont l’unique rôle est de rafraîchir la mémoire du
monarque ou de charmer ses loisirs par des improvisa­
tions de bon goût. Les gens du vulgaire, eux aussi, ne
sont pas insensibles aux belles-lettres. Il n ’est pas un
Munyarwanda qui ne s’intéresse vivement aux légendes,
récits, fables, contes moraux ou humoristiques, énigmes,
jeux de mots, plaisanteries, etc., qui font partie de la litté­
rature orale.
Chacun des emplois de la capitale a ses traditions pro­
pres qui doivent être scrupuleusement observées. Nous
essayerons de donner un court aperçu de ce qui fait l’objet
de ces fonctions, de leurs règles, ainsi que des usages et
formalités auxquels doivent se soumettre le roi, d’un côté,
et ses sujets, de l’autre.
Que le lecteur veuille bien ne pas s’étonner de non1*
entendre ajouter qu’il est question à la Cour d’étiquette
et de cérémonial.
On conçoit l’originalité d ’un m ilieu comme celui de la
Cour, où se coudoient, dans un espace relativement res­
treint, des personnages aussi divers, seigneurs, courtisans,
disciples d’Esculape et vulgaires charlatans, gens de
service, sorciers et devins de différentes catégories, four­
nisseurs, intendants, danseurs, pages, gardiens des tradi­
tions, annalistes officiels, littérateurs, etc., car il est

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

353

impossible de tout énumérer. Ce monde n ’existe, ne pense
et n ’agit que pour le Roi. C ’est une vraie Cour du moyen
âge avec, en plus, les moeurs païennes où prédomine
l ’élément sorcier.
Les profanes qui ne connaissent pas l’Afrique pourront
se faire une idée de ce qu’est un roi et son entourage en
pays noir. Ce que nous allons raconter sur l’état politique
d ’autrefois, les mœurs royales d ’alors, les tributs humains
ou servitudes sanglantes, montrera, tout en expliquant ce
que furent les temps anciens, le respect dont on entoure la
personne royale considérée à l’égal d’un demi-dieu par
ses sujets. Ses caprices sanguinaires, — envisagés dans le
passé, — loin de nuire à sa réputation, ne font que rehaus­
ser sa puissance et sa majesté, tant en impose à des âmes
primitives le déploiement de la force brutale.
Entre autres détails curieux, on trouvera dans ces pages
l ’origine plus ou moins rationnelle d’après la légende et
l ’histoire, de maints us et coutumes existant encore
aujourd’hui.
Citons, parmi ces usages, le maintien et l’entretien d’un
singe cynocéphale à la capitale, la garde du feu sacré
légué par un des ancêtres de la dynastie, le culte rendu
au tambourin royal, qui est regardé comme le « palla­
dium » du royaume, l’existence et l’exhibition des vaches
sacrées dans les grandes cérémonies, la célébration
annuelle de la fête dite des « prémices », l ’observance d’un
jour de repos tous les cinq jours. Non moins intéressants
au point de vue ethnologique sont les passages qui rela­
tent les coutumes funéraires suivies à l ’occasion de la mort
d ’un roi, ce qui a trait aux cimetières et aux bosquets
royaux et ce qui se rapporte aux mânes royaux, y compris
le deuil annuel du mois de ju in observé à la Cour, en
souvenir d’un ancien prince. Le lecteur y verra l’octroi
qui est fait de franchises et d’immunités à certaines tribus,
puis les prérogatives, les privilèges et les fonctions diver­
ses des autres. Quelques-unes de ces grandes familles ont
m em

.

in s t .

R o y a l Co l o n i a l

belge.

23

351

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

la spécialité de fournir les sorciers de Sa Majesté noire,
les gardiens des traditions, les faiseurs de pluies, les ensevelisseurs royaux, qui forment une corporation fermée,
etc. (l). Pour mettre un peu de clarté dans les pages qui
vont suivre nous y introduirons la division suivante com­
prenant les charges et les privilèges de la Cour.
Les quelques détails donnés dans la courte énumération
des emplois et dignités feront déjà comprendre ce que
peuvent être les mœurs et les usages d’une Cour ainsi
constituée.
Pour compléter l’idée q u’on doit s’en faire, il suffira
ensuite de dire entre autres choses, les garanties dont le
roi croit devoir s’entourer de la part de ses employés, les
dangers auxquels étaient exposés ces derniers par le fait
de leurs fonctions, et les quelques autres usages et forma­
lités auxquels s’astreignent le Souverain et ses sujets.
L’objet des deux derniers chapitres portera sur la
description des deux grandes fêtes de la Cour et les curieux
rites funéraires observés à la mort du Roi. Le travail sur
ce sujet sera loin d’être complet; il y a trop à dire et nos
moyens d’information sont trop insuffisants. La pénétra­
tion européenne dans ces contrées ne date que d ’un quart
de siècle à peine. Et ju squ’au moment de la grande guerre
européenne, les indigènes, les « grands » (Abatutsi) sur­
tout étaient restés sur la réserve. C’est à peine si les lèvres
commencent à se desserrer. La récolte historique et ethno­
logique du Rwanda n ’en est encore q u’à ses débuts. On
(*) L ’organisation politique et sociale des B anyarw anda rappelle un
peu le régime des castes que l ’on trouve à l ’origine de beaucoup de
peuples, q u ’il s’agisse de castes politiques, religieuses ou même sim ple­
ment, professionnelles.
Ainsi chez les Hébreux, la tribu de Lévi avait le monopole des fonc­
tions sacerdotales; chez les Grecs, les Asclépiades, prétendus descendants
d ’Esculape, se transmettaient de génération en génération les secrets de
la médecine. A Rome, il y avait les deux grandes castes politiques des
patriciens et des plébéiens. L ’Inde est encore à l ’heure actuelle le pays
classique des castes, où les nombreuses classes des in dividus restent
abolum ent distinctes.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

355

ne trouvera, pour ces motifs, q u’un court aperçu dans les
lignes suivantes.
Il est à craindre toutefois que ces nombreux et curieux
usages qui régissent encore pour la plupart la vie actuelle
de la Cour, ne disparaissent bientôt les uns après les
autres, cédant la place au progrès et à la civilisation
modernes. Aussi avons-nous cru bien faire d’en présenter
un bref et rapide tableau au lecteur, avant que l’oubli ne
se fasse sur eux.
Tout en donnant une place de choix aux usages de la
Cour et aux mœurs des Hamites, on ne se fera aucun
scrupule quand l’occasion s’en présentera, de sortir des
limites un peu étroites indiquées et déterminées par le
titre de ce livre quatrième. Nous en élargirons volontiers
le cadre sans toutefois abandonner notre sujet pour parler,
selon les convenances du texte, des coutumes communes
ou particulières à l’un et à l’autre des trois groupes
ethniques que comprend la nation munyarwanda.

CHAPITRE PREMIER

Emplois et charges à titre historique et superstitieux. — Les
gardiens des traditions et des coutumes. — Le « roi » des
prémices et le « roi » des imandwa. — Emplois officiels
revêtant une grande importance tant au point de vue de la
couronne (ingoma) que du pouvoir exécutif. — Généraux et
tambourineurs officiels. — Bourreaux; exécutions capitales
et « gouffre » du Bugessera.
I. — E m p l o is

e t c h a r g e s a t it r e h is t o r iq u e et

SUPERSTITIEUX. -- L es GARDIENS DES COUTUMES
ET DES TRADITIONS, -- L e « ROI » DES PREMICES
ET LE « ROI )) DES IMANDWA.

1° Entretien à la Cour d’un cynocéphale et d’un taureau
sacré.
On se souvient que Ruganzu II le Victorieux, enfumé
par ses ennemis dans une caverne, fut, d’après la légende,

356

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

sauvé par des singes cynocéphales (inguge), qui le condui­
sirent à travers des galeries souterraines ju squ’à une autre
issue. Pour commémorer cette tradition fabuleuse, on
entretient à la capitale un de ces animaux.
Le clan auquel est confié le soin de la bête est désigné
sous le nom d’ « Abanyamuheno », c’est-à-dire les H om ­
mes de la Grotte, en souvenir de l’événement.
Le singe, retenu par une chaîne, est nourri par ses
geôliers, de patates, de haricots, de grains, de tiges de
sorgho, etc.
Quand il devient vieux, on le relâche dans la forêt où
il avait été capturé jeune et on en cherche un autre pour
le remplacer.
N’y aurait-il pas dans cette coutume une réminiscence
des usages en honneur à la Cour des Pharaons, où l’on
élevait aussi des singes cynocéphales?
Le Rwanda est un pays de pâturages. Les Batutsi y pos­
sèdent de nombreux troupeaux de vaches qui font, à juste
titre, l’orgueil et la joie de leurs propriétaires.
On ne s’étonnera donc pas d’apprendre q u’il y ait, à la
Cour, indépendamment des troupeaux sacrés, dont il sera
question à l’avant-dernier chapitre de ce livre, un taureau,
objet d’attentions et de soins spéciaux.
L’animal est connu sous le nom de Rusanga et vit en
compagnie de quelques vaches qui portent la même dési­
gnation « insanga » (pluriel de Rusanga).
On introduit de temps à autre le taureau dans le pays
royal, à l’occasion des sacrifices et en sa qualité de repré­
sentant officiel de toute la race bovine de la monarchie.
Les gardiens font avancer la bête, qui est flanquée habi­
tuellement de deux vaches, devant Pédicule consacré aux
esprits. Le roi ou le sorcier qui officie en son nom présente
les animaux en s’adressant aux mânes royaux : « Voici,
dit-il, les troupeaux que vous nous avez laissés. Nous con­
tinuons à nous en occuper; leur nombre ne cesse de
s’accroître. Détournez les épizooties de nos vaches et

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

357

épargnez-nous les calamités de tout genre. Rendez-nous
les événements favorables et les Européens (qui occupent
le pays) bienveillants! » etc.
L’observation de ce rite se rattache dans l’esprit des
Hamites au souvenir de Gibanga et de sa fille Nyirarutchaba, auxquels on attribue l’introduction du gros bétail
dans le Rwanda.
Il y a 1ieu de croire que les Batutsi honorent par là,
pratiquement parlant et d’une manière implicite, la
mémoire du prince hamite qui introduisit réellement les
premiers bovidés dans le pays. La légende de Nyirarutchaba n ’a fait que se substituer peu à peu à l’événement
historique.
Si l’on admet, d’autre part, que les Batutsi descendent
des Égyptiens ou des gens apparentés à ces derniers, il n ’y
aurait rien détonnant à constater quelques vestiges du
culte d ’Apis à la Cour du Bwanda.
L’existence des troupeaux sacrés dits « inyambo » et
leur exhibition, durant la célébration des grandes fêtes,
peuvent être interprétées d’une façon identique. Leur
apparition à la capitale dans les circonstances indiquées
revêt la même signification et le même caractère sacrificatoire.
La cérémonie accomplie, on reconduit les bêtes au pâtu­
rage, dans les environs de la capitale.
Quand le taureau vient à crever, il faut le remplacer
aussitôt par un autre. Le choix qui s’opère prend le nom
d ’intronisation, de nouveau règne (en runyarwanda, on dit
kw im ika); ce qui montre l’importance du fait en lui-même
et le prix q u’on attache à cette originale tradition.
Bien que les Banyarwanda soient extrêmement friands
de viande et mangent même les cadavres d’animaux, il est
rigoureusement interdit de toucher à la chair du taureau
sacré. La bête est enterrée comme le sont les <( inyambo ».
L’indiividu auquel est confié la garde de Busanga s’appelle

358

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Nkwaya et fait partie du clan des Banyiginya. C’est une
charge de confiance.
Les « insanga » sont bien connus des gens de la capitale.
2° Le chef du protocole et le « roi » des prémices.
Il existe un cérémonial compliqué et un ensemble de
rites dont la transmission se perdrait vite si le soin de les
maintenir n ’était confié à un certain nombre de person­
nages qui en poursuivent scrupuleusement l’observation
auprès du monarque. Ils ne se font pas faute à l’occasion
de le rappeler à l’ordre.
Le plus important de ces directeurs de protocole ou
maîtres de cérémonies est sans contredit le chef du clan
des Batsobe. Il occupe une place de choix auprès du Sou­
verain qu’il conseille et dirige dans les affaires de son
ressort. Son nom reviendra dans les pages qui suivent (r).
Une famille est chargée, sous la haute surveillance de
ce grand dignitaire, de cultiver dans le pays sacré du
Bumbogo, le sorgho et l’éleusine que l’on apporte ensuite
à la Cour pour la fête annuelle dite des « Prémices ». Nous
en reparlerons plus loin, quand il sera question des fêtes.
Le chef de cette famille est désigné quelquefois sous le
nom de « roi des Prémices » (umwami w’um uganura). Le
père et fondateur du clan dit des Batsobe, on l’a déjà dit,
fut ennobli et amené dans le Bwanda par le roi hamite
Buganzu II, à la suite de l’expédition que fit celui-ci dans
le pays de Bugara, au Nord du Mulera, contre le roitelet,
Nzira, fils de Mulamira. De concert avec sa mère, l’ancêtre
des Batsobe avait accueilli sous son toit le monarque
déguisé et lui avait donné les renseignements qui permi­
rent au roi Mututsi de vaincre son rival.
3° En souvenir du roi Gihanga, qui avait fait don du
feu à son fils et successeur Kanvarwanda, un groupe
d’individus pris dans le clan des Abiru doit veiller de
(i)
Les Batsobe prirent une glorieuse part au coup d’Êtat de Ruchunchu. Pour les récompenser, on leur distribua les dépouilles des vaincus.
Leurs principaux fiefs sont : le Bumbogo, le Luhanga, le Bussigi, etc.

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

359

jo u r et de nuit à l’entretien d’un feu et cela dans la hutte
même qui est dédiée à ce grand roi. Le feu est conservé
dans une immense cruche. 11 y avait autrefois danger de
mort pour les gardiens à le laisser s’éteindre.
4° Le roi des « initiés » (umwami w ’imandwa).
Le titulaire existe encore à l’heure actuelle. Il a nom
Kabario et a succédé à Sherangabo, qui avait été tout
d ’abord désigné pour remplir ce rôle.
Le prince hamite avait dû donner sa démission. On lui
reprochait entre autres choses d’avoir introduit les Euro­
péens dans le pays, parce que le Comte von Gôtzen l ’avait
rencontré à Lwamagana, dans le Buganza, à son entrée
dans le Rwanda, et l’avait pris avec lui comme guide. Ce
n ’était q u’un prétexte, le vrai grief venait de son origine
royale. Fils de Lwabugiri, comme Musinga, il l’emportait
de beaucoup sur celui-ci par l’âge et les droits sur le trône.
Le remplaçant qu’on lui a donné pour le mettre à la tête
des « initiés » est un vulgaire Mututsi; le titre qu’il porte
reste pompeux, mais l ’emploi est sans importance.
Le monarque hamite ne pouvant, d’après la coutume,
entrer dans.cette société secrète, il en nommait lui-même
le chef, qui se substituait en quelque sorte à la personne
royale, afin de remplir en ses lieu et place les rites en
l’honneur de Ryangombe.
Le roi des « initiés » avait autrefois des privilèges et
les membres de cette société pouvaient réclamer son aide
et sa protection dans les litiges. La charge est devenue
purement honorifique.
Très curieuse est cette association religieuse, dont les
adeptes se recrutent dans les différentes classes de la
nation et ne cessent d’honorer les ancêtres fondateurs,
Ryangombe, Binego, Mugasa, Kagoro, Muzana, etc., par
l’imitation de leurs actions purement matérielles, le chant
de leurs exploits et l’offrande de libations ou de sacrifices.
Les questions relatives à l’origine de cette société
restent mystérieuses. On ne sait à quelle occasion ni à

36 0

UN ROYAUME lIAxMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

quelle époque elle prit naissance. On ignore pareillement
son pays d’origine et scs premiers fondateurs. Elle est,
semble-t-il, d importation étrangère, bien q u’elle ait pris
un grand essor dans le Rwanda même. On constate que
les peuples limitrophes au Non!, au Sud, à l’Est et à
l’Ouest du royaume se livrent à un culte qui lui ressem­
ble C1). Ryangombe et ses compagnons ont-ils réellement
vécu? Oui, s’il faut en croire les légendes, mais ces derniè­
res ne donnent pas de détails suffisamment précis qui
permettent de croire à leur existence effective. Quels sont
les liens de parenté ou de dépendance qui unissent
Ryangombe et ceux q u’on lui associe dans le culte et les
cérémonies faites en son honneur?
11 existe bien une sorte de mythologie qui classifie
quelques-uns de ces personnages, mais il en est d’autres
parmi ces derniers qui ont été introduits après coup dans
certaines provinces et qui font plus ou moins figure
d’inconnus. Quelques-uns toutefois se rapportent à l’his­
toire et leur patronage invoqué éveille tin soupçon d ’expli(>) Dans l ’ouvrage intitulé Entre le Victoria, VAlbert et l'Edouard,
l ’auteur, Mgr G o rju , donne sur cette société secrète d*es détails qui
inclinent à croire q u ’elle est d ’origine ham ite et q u ’elle a été importée
par les Hamites dans le R w anda,
« Au Bunyoro chaque tribu a son grand Muchwezi ou protecteur
attitré. C’est ainsi que... les Bagweri se réclam ent de Mugasa...
Mais outre ce protecteur spécial à chaque tribu, 11 y a les protecteurs
généraux com muns à toutes, lesquels se sont spécialisés dans une fonc­
tion domestique,... tel Kagoro, le dieu de la foudre (p. 202). Il en est
une collection (de ces demi-dieux ou génies) dans laquelle sous le nom
de bachwezi, sont entrés des individus dont l ’histoire-légende établirait
difficilem ent la parenté avec les Bachwezi authentiques (trois puissants
dont on perd subitement la trace), tc'~ Nyabatwa et Nyabakonjo...
(p. 203).
Au Bunyoro, le culte des Bachwezi est veau se superposer à la reli­
gion domestique dont les objets prim aires ne furent autres que les m ânes
des aïeux et le Créateur lui-même. »
(Luhanga, N yam uhanga, chez les B a him a de l ’Uganda), p. 218.
(Sub L ’armée [la société] des m bandw a).
Le même auteur parle aussi de M uzana, la servante honorée par les
initiés.
Le P. C ésard, à son tour, cite ces mêmes personnages, y compris Rungu (Nyabirungu chez les Banyarw anda) dans son étude : « Comment les
B ahaya interprètent leurs origines », Anthropos, 1927.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

3(H

cation. Dans cette sorte de Panthéon religieux, nous nous
demandons si les Banyarwanda n ’auraient pas fait entrer
des sorciers, des roitelets anciens, des personnages poli­
tiques ayant joué un grand rôle dans le pays. Supersti­
tieux et craintifs, les Noirs préoccupés d’échapper à la
vengeance des mânes et soucieux de s’attirer leur protec­
tion, leur ont rendu un culte spécial. Les Hamites furent
peut-être les premiers à organiser dans leur nouvelle
conquête ce groupement religieux. Les Bahutu (ou Bantu)
n’en furent pas exclus. Leur admission fut un acte poli­
tique de la part des immigrants (x).
Par conviction et peut-être aussi par esprit de diplo­
matie pour se concilier leurs sujets, les Batutsi vainqueurs
et meurtriers des roitelets-magiciens, n ’hésitèrent pas à
invoqjuer les mânes de leurs victimes et à les honorer dans
les cérémonies cultuelles.
Les Romains en agissaient de même avec les divinités
étrangères et les admettaient volontiers parmi les dieux
de l’Empire.
Faut-il ranger Bvangombe et ses premiers compagnons,
d ’après l’interprétation qui précède, dans la catégorie des
princes aborigènes? Si l’on accepte les données de la
légende admise par les Banyarwanda, cette supposition ne
serait pas impossible. Le récit mythologique présente
Ryangombe comme une sorte de prince indépendant
(umuhinza), dont la résidence était à Kibingo, dans la
petite province de Nyakale. Pour faire plaisir, est-il dit
dans la légende, à son épouse Nvanzige, propre fille du
grand roi Ruganzu II, qui lui demandait une peau de
buffle afin d’emmailloter (ingobyi) son nouveau-né,
Ryangombe partit à la chasse. Il rencontra un de ces
(•) I l n ’est pas impossible que les Hamites aient trouvé toute consti­
tuée la société des im andw a lors de leur im m ig ratio n dans l ’Uganda,
puis dans le Rw anda, et qu ’ils l ’aient aussitôt adoptée en s’y faisant
initier à leur tour pour les besoins de leur cause. On le voit, le problème
des origines de cette association religieuse reste intact. Toutes les hypo­
thèses sont possibles ju sq u ’au jour où la lum ière sera faite.

36-2

UN

RÜYAU iM E

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

terribles animaux, le blessa même, mais fut chargé par la
bête et en devint la victime, au lieu désormais historique
et maudit de Nyabikenke, à deux heures environ de sa
demeure. Ses fils et ses compagnons vengèrent sa mort et
tuèrent Nyanzige, qui avait été la cause indirecte de ce
malheur. Les initiés au culte de Ryangombe ont déifié
également la fille de Ruganzu et en ont fait une libératrice
(Umutabazi). Ce furent peut-être les enfants et les gens de
Ryangombe qui ennoblirent la fin de l ’infortunée, par
raison politique, pour échapper à la colère et aux repré­
sailles du monarque vindicatif.
Nyanzige est désignée dans les cérémonies rituelles sous
le nom de « Nvagishya » ou « Inzobe », c’est-à-dire la
femme au visage pale, à cause de la couleur de ses traits.
Les Bagoyi attribuent la mort de Ryangombe à une
autre de ses parentes, une jeune fille qu’il avait séduite
autrefois, après lui avoir offert une boisson capiteuse,
l’hydromel : « Je me vengerai, s’était écriée l’adolescente,
tu me trouveras sur ton chemin, transformée en buffle
et ton sang payera mon déshonneur ».
Les parents de la malheureuse suivant en cela les cou­
tumes du pays, chassèrent leur enfant qui se réfugia dans
la région boisée, où elle m it au monde un fils.
Ryangombe était parti à la chasse, quand il se rencontra
soudain avec la mère irritée. Celle-ci se changea en buffle
et transperça de ses cornes le roi des Imandwa.
Les Banyarwanda aiment à rattacher au souvenir de
Ruganzu II la plupart des événements historiques et l’ori­
gine de nombre d’usages et de coutumes. Que faut-il
retenir de la légende ci-dessus résumée? L ’interprépation
des faits est loin d’être aisée. Le règne de Ruganzu II est
relativement récent; d’un autre côté, le culte de Ryan­
gombe existe dans les pays voisins, bien q u’avec des
variantes. Il reste difficile d’accepter comme historiques
tous les détails du récit. Le groupement religieux paraît

tN

ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQU E

3G3

être de beaucoup antérieur au règne de ce grand
monarque (*)•
Les personnages honorés par les tenants de cette société
secrète ont rang de demi-dieux. Leur protection passe
pour être efficace dans les différentes circonstances de la
vie publique et domestique. Aussi les disciples s’adressentils à leur intercession pour l’obtention de n ’importe quel
avantage matériel, guérison d’une maladie, possession de
vaches, bonne entente avec les chefs ou les voisins, triom ­
phe sur les ennemis, préservation contre les ensorceleurs
ou les envoûteurs, fécondité, etc.
Pour arriver à ces fins, les initiés s’approchent respec­
tueusement de celui qui joue le rôle de Rvangombe, le
saluent, s’agenouillent à ses pieds, s ’adressent à ses com­
pagnons et leur offrent des cadeaux.
Il y a une façon traditionnelle d’honorer ces esprits de
grade et de rang différents; aucun rite n ’est oublié. Vête­
ments de cérémonie, gestes, paroles, offrandes, tout est
prévu et prescrit par des lois immuables.
Chacun de ces « patrons » a son costume et ses insignes
spéciaux, dont s’inspire de toute nécessité celui qui en
joue le rôle et en tient la place. On leur offre des présents
de nature diverse et on déclame des chants ou « péans »
qui rappellent aux assistants les actions d’éclat de leurs
protecteurs.
1.
Rvangombe est représenté assis sur une chaise indi­
gène, un coutelas suspendu au cou. On dépose à ses côtés
un vase rempli d’eau lustrale et une grande cruche de
pombe, bière faite de sorgho ou de jus de bananes.
Les dames qui veulent l’honorer, prennent dans les
mains une spatule de ménage (umwuko). Pour l’exalter,
ses adeptes imitent le cri de la hyène (2).
(!) Ryangom be n ’était peut-être, lui aussi, que le continuateur de ces
rites et ne les accomplissait q u ’en vertu du droit de succession, si l ’on
adm et q u ’il était roitelet (um uhinza), ou d ’une délégation de la part
des potentats hamites.
(2)
Est-ce u n souvenir des anciens totem des tribus ? Nous ne pouvons
l ’affirm er.

364

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l/AFRIQUE

2. Rinego, fils de Ryangombe, est surnommé le « Libé­
rateur », parce q u’il sauva son père de la ruine et du
déshonneur.
Celui qui en joue le rôle porte une lance, un bâton et
possède une pipe (urwika en termes d’initiés), avec une
petite calebasse remplie de bière de bananes.
Son cri particulier a ba ba ba... prononcé d’une voix
virile rappelle que Binego était d’une forte constitution
et d’un courage à toute épreuve.
3. Mugasa est le gendre de Ryangombe.
Ses adeptes l ’imitent en jetant sur leur corps deux peaux
de chèvres et en adoptant comme insigne particulier une
spatule de ménage contenant un morceau de pain de
sorgho. Mugasa avait un faible pour la viande de chèvre
et le pain de sorgho. Pour l’honorer, ses disciples adoptent
les mêmes usages et les mêmes habitudes que le maître.
Ils font résonner, on ne sait pourquoi, un collier formé
de petits bouts de bois secs, que l’on met habituellement
an cou des enfants pour les amuser ou les empêcher de
pleurer (inkondo z’ ibichuma).
Son cri spécial est vee yee ve...
4. Nyabirungu, fils de Byangombe, était chasseur.
Le sosie qui le représente agite une clochette (de celles
qu’on met au cou des chiens), symbole de chasse, et
fait i i i..., pour rappeler que Nyabirungu revenait content
de la forêt, avec une bonne provision de viande de gibier.
5. Luhanga, fils de Ryangombe.
Il symbolise l’amour filial, parce q u’il retira de la
misère sa mère abandonnée de Ryangombe, lui bâtit une
belle case et subvint à ses besoins.
On le fait figurer dans les cérémonies avec un vase à
lait, rempli de bière, pour rappeler peut-être que, grâce
à lui, l’heureuse mère ne manqua plus de rien.
6. Nyakiriro, fils de Ryangombe.
7. Kajroro, comme son frère Nyabirungu, aimait la
chasse, d’où la présence de chiens à ses côtés. Il avait

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

365

l ’habitude de se couvrir la tête d’un pan de « mpuzu »,
étoffe faite d’écorce de ficus, de boire en se servant d’une
demi-courge évidée, préparée à cet usage (uruho), et de
se servir d’une baguette (umutozo) pour bien mélanger
le lait caillé, avant de le prendre. Ses invocateurs croient
l ’honorer en l’imitant, c’est-à-dire en reproduisant ses
faits et gestes.
8. Muzana figure comme servante-esclave dans les
cérémonies.
Cette dernière est honorée par les Batutsi, qui la repré­
sentent à côté d’une vache n ’ayant jamais perdu de veau
(inka y’ issugi), d’une courge à baratter et d’une petite
motte de beurre rance (isimbo y’am avuta).
9. Nkonjo, autre servante-esclave, qui, la première,
vint apporter la triste nouvelle de la mort de Byangombe.
On lui offre en cadeau un balai, symbole de son travail
d ’esclave, un petit grenier à provision ou des produits du
sol pour rappeler qu’elle était chargée de surveiller les
récoltes et de vaquer aux soins du ménage.
10. Mashira.
Les Banyarwanda, oublieux de leur histoire, le donnent
comme fils de Byangombe. Nous avons les meilleures
raisons de croire qu’il s’agit en sa personne du célèbre
roitelet-magicien, reconnu comme l ’un des plus puissants
parmi les sorciers.
Ses figurants, dans les séances rituelles, prennent un
maintien majestueux et tiennent à la m ain une lance de
fer, toute d’une pièce (igihosho), attribut de sorcier et
symbole de la force. Ses clients lui offrent une cruche en
terre, d’une facture spéciale, avec deux ouvertures et à
chacune d’elles un chalumeau pour permettre aux assis­
tants de boire l’hydromel qu’elle contient en l ’honneur du
magicien.
Son cri particulier est shi shi shi...
11. Mutwa, un des compagnons de Byangombe, est.
invoqué particulièrement par les Batwa.

36 6

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Ce personnage paraît avoir été inventé pour les Batwa.
On lui donne en présents des haricots, de la viande, du
lait et du pain de sorgho que se partagent avec délices les
membres de cette race méprisée.
Le choix de cette nourriture, offerte d’abord en sacri­
fice à Mutwa, a pour but de lui faire plaisir en le rassa­
siant parce que les Négrilles, dont il représente1 le type
(ou l’ancêtre), ne mangent pas toujours à leur faim et que
ces sortes de mets excitent leur convoitise comme étant
l’aliment idéal, recherché des Batwa.
De nouveaux comparses ont été ajoutés après coup dans
cette galerie de demi-dieux. Nous ne donnons ici que les
plus connus.
1. Le Libérateur Kibogo, fils du roi Ndahiro, est invo­
qué souvent pour la pluie.
2. A Mwungeri, fils de Nyankaka, qui périt dans la
catastrophe du lac Kivu, les Bagoyi, riverains du lac, font
des libations de bière.
3. Les habitants du Bwana-Mkali honorent, à leur tour,
Rumana, Mulengetwe, anciens personnages historiques,
qui firent peut-être parler d’eux.
4. Le type de « Munyoro » a été inventé pour les besoins
de la même cause superstitieuse qui pousse les Noirs à
honorer les mânes des défunts et plus particulièrement
les mânes de ceux qui se distinguèrent en mal ou en bien
durant leur vie mortelle.
Le personnage de Munyoro a figuré dans les cérémo­
nies, probablement après la défaite des Banyoro.
5. Les habitants des îles Nkombo rendent un culte par­
ticulier à M uhima et à Nyirangenge.
Muhima, synonyme de Mututsi, symbolise les vain­
queurs Batutsi qui s’emparèrent des îles, et Nyirangenge
type fém inin représente les dames Batutsi ou personnifie
l'intelligence des Hamites.
6. Nyarwambari,

fils

de

Mulema

et

petit-fils

de

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

307

Ngwegwe, est rangé parmi les suivants de Ryangombe.
Les initiés parlent peu de ce personnage.
7.
Bukiranzuki est classée parmi les filles du fondateur.
Les femmes qui s’adonnent à son culte portent sur la tête,
durant les cérémonies, la queue d ’un animal connu sous le
nom de igiharangu.
Nombreux sont les hôtes de ce Panthéon religieux, qui
comprend, avec les personnages précédemment nommés,
le père et le grand-père du fondateur lui-même, Babinga,
Nyundo; ses épouses, Kajumba, mère de Rinego, Karyango, mère de Rukiranzuki, Gachubya, mère de Nyabirungu;
Nyirakabali, sa fille, q u’il donna en mariage à l’un de
ses compagnons; Lubindankim a (l’homme qui se ceint
les reins d’une peau de singe). Les habitants du Bugoyi
ont fait de ce dernier personnage, créé probablement de
toutes pièces, le confident et l’ami d’une des grandes vic­
times de Ruganzu II, le fameux Gatabirora, surnommé
Bilikunkom o, dont les faits et gestes ont été romantisés
et dramatisés 0).
Il est également question dans les réunions des initiés
de Gassankomo, c’est-à-dire l’homme qui se drape de
peaux de colobe (ou colope). C’est le nom d’honneur
donné à Kagoro, dont le figurant doit, on ne sait pour
quel motif, se procurer des myriapodes (mille pattes) qu’il
fait dessécher au soleil pour pouvoir les enfiler et s’en
parer comme d’un insigne, quand il va quêter du sorgho
ou des régimes de bananes, lors des processions rituelles.
Les disciples de Ryangombe honorent encore la
mémoire de la mère du maître, dont le rôle fut assez
médiocre, si l’on s’en tient à la légende.
On ne parle de Ntam utim uchum yi que pour dire q u’il
est la cause des premiers malheurs de Ryangombe, q u’il
était sur le point de déshonorer en le privant de ses, biens
et de ses droits. Il fut, enfin, tué pour le bien et l’honneur
(*) Cf. Livre troisième.

368

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

de tous par Binego, qui vint au moment le plus critique
Le nom de Ntam utim uchunyi est synonyme de félonie,
de traîtrise.
Quant à Nkonjo, l’esclave, elle personnifie la lâcheté,
la grossièreté. On n ’en parle q u’avec mépris 0).
Pour désigner les chiens de chasse du maître, les initiés
se servent d’appellations et d’épithètes pleines d’allusions.
Les unes rappellent les aptitudes de ces animaux, les
autres les qualités et les travers des humains. On cite
volontiers les noms des bêtes suivantes :
1° L’homme (sérieux) qui ne rit jamais de son pro­
chain (Ntamugab’ usek’ undi);
2° Celui qui conserve (en propriétaire soigneux) une
provision de viande fumée (Nyamubikan’ um uranz’ uruguma) ;
3° Celui qui paie la dot d’une fille que ses parents
n ’ont pas su élever (Bakoska hatahana);
4° La plante potagère à tel point odorante, bien q u’elle
ne soit pas arrivée à maturité, q u’elle fait manger (en une
seule fois) tout le beurre de la maison (Urunyegeri rutoto);
5° Sa mère la connaît bien (ainsi que tous ses défauts),
aussi ne fera-t-elle aucun effort pour la raisonner, parce
q u’elle saiI que sa fille esl incorrigible (Nvina aramuzi,
ntazamumpora).
6° Le chien qui court comme le vent (Nyakayaga);
7° Le chien à franges (au long poil) Nyagayonga.
Des types ou personnages de la légende en question,
Ryangombe est le plus honoré.
On le donne comme une sorte de roi-chasseur, qui,
après sa mort, fit des volcans son séjour d ’élection.
D ’après le même récit, il continue, avec ses fils, ses
compagnons et ses élus, à se livrer aux plaisirs cynégé­
tiques dans ces hautes régions montagneuses et boisées.
Les Batutsi, les Bahutu et les Batwa en grand nombre se
sont adonnés à ce culte et en pratiquent fidèlement les
(i)

Cf. Livre cinquièm e. La légende de Ryangombe.

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

369

rites, tout en observant la loi de l’arcane. Les cérémonies
ont lieu surtout de nuit. Chacun des adeptes s’adresse à
l’esprit ou aux esprits pour lesquels il a une dévotion parti­
culière. Les Batutsi ont jeté leur dévolu sur ceux dont la
vie se rapproche le plus de la leur.
Les chefs n ’aiment pas se mêler à leurs sujets pour
honorer ces puissants esprits, mais ils font appel au con­
cours des Bahutu et des Batwa initiés à ce culte, pour les
faire danser et chanter en l’honneur de Byangombe et de
ses compagnons. Les Bahutu et les Batwa prennent seuls
part aux processions et aux collectes rituelles qui se font
à travers les villages à la saison d’été.
Les actes de ce culte sont remplis avec un sérieux con­
vaincu et impressionnant. Initiation, confirmation, aga­
pes rituelles, engagements et exécutions des vœux, collec­
tes et processions, tout se passe en cachette, à l’abri des
regards indiscrets. Les profanes ne peuvent approcher de
leurs séances; les moqueries et les insultes à l’adresse des
initiés étaient autrefois gravement punies. Une ex-reine,
Nyiramulema (femme du roi Mutara), fut crucifiée, à
même le sol, dans la cour de son habitation, par les
(( imandwa », pour avoir ridiculisé leurs cérémonies. La
tombe de cette malheureuse existe à Save, au quartier de
Nvarigina.
II. — E m p l o is

a

t it r e

o f f i c ie l

revêtant

une

GRANDE IMPORTANCE TANT AU POINT DE VUE DE LA
COURONNE (iNGOMA) QUE DU POUVOIR EXECUTIF.


G énéraux

B o u rre au x ;

f.t

t a m b o u r in e u r s

e x é c u tio n s

c a p it a l e s

o f f ic ie l s .

et

«



g o u f­

f r e » du B ugessera.

1° Les généraux ou commandants des corps d’armée.
Un général se dit « umugabe »; un corps d’armée
« umutwe » et une armée en marche « igitero », du verbe
« gutera » attaquer.
Voici à titre documentaire le nom des corps d’armée,
MÉM. I n s t . R o y a l c o l o n ia l B e l g e .

24

370

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

celui du pays où ils se recrutent et les généraux-nés qui les
dirigent :
C o r p s d ’a r m é e .

Ndala.
Imvejuru.
Nyaruguru.
U Ru yange.
A-Bashumba.
Nyakale.
Impamakwicha.
Inzirabgoba.
Abashakamba.
Intaganzwa.
Impara.
Issumo.
Abakembanyi.
Abiru.
Abakemba.
Abahirika.
Abarassa.
Abadahigwa.
Indengabanizi.
Abalima.
Abalito.
Ndushabandi.
Abadahemuka.
Imitari.
Ibisiga.
Abashakamba.
Abatalindwa.
Abakemba.
Abarangamyambi.
Abangogo.
Abatanyagwa.
Etc.

P ays.

Burwe.
Bwana-Mkale.
Buyenzi et Bungwe.
Diverses régions.
Une partie du Bungwe.
Nyakale.
Busanza.
Buhanga.
Bwana-Chambge.
Diverses régions.
Kinyaga.
Nduga, Lukiga.
Bugarama.
Kinyaga Sud-Ouest.
Bugessera et Buganza.
Migongo.
Gihumya.
Mirenge.
Diverses régions.
Mututu.
Nduga et Buganza.
Buganza et ailleurs.
Gisseke.
Mayaga-Est.
Mutara-Ndorwa.
Bugoyi (Abagwabiro).
Bugoyi, Bgishaza.
»
Bumbogo, Bussigi.
Kingogo.
Budaha.
Etc.

G énéraux.

Lwasamanzi.
Chyitatire.
Sebagangari.
Lwabutogo.
Kabera.
Sezikeya.
Luharamanzi.
Lugerinyange.
Lwabusisi.
Nturo.
Lwakataraka.
Rwidegembya.
Gisazi.
Birassenyeri.
Mafene.
Muligo.
Kanuma.
Gashamura.
Mudukikwa.
Gamakwandi.
Nyakassaza.
Lukarakamba.
Machari.
Buzizi.
Zimulinda.
Lwangeyo.
Bushako.
Mugemanshuro.
Gashamura.
Luvuzandekwe.
Lwamanywa f1).
Etc.

Tel est le régime militaire encore en vigueur, mais
d’une façon purement théorique.
(') Les Batwa comme les Bahutu sont divisés en plusieurs corps
d’armées.
Les quatre principaux sont les suivants :
Le corps d’armée appelé « Rwiririza » qui comprend les Batwa de
Gihogwe, dans le Nduga, au delà de la rivière de la Kayumbo; les
« Biniga » qui comprend les Batwa du Bwana-Mkalé et a pour chefs,
deux Batwa, Senkobga et son fils, Kanyamubare; « Abagiga » ou Batwa

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

371

Jusqu’en 1900 les rois hamites, pour la plupart, avaient
su tirer parti du système à tel point qu’on cite des clans
qui furent décimés à la suite des trop nombreuses expédi­
tions de l ’ancienne époque.
2° Les gouverneurs de province (Abatware b’intebbe),
presque toujours présents à la Cour.
3° Les petits chefs indépendants (Abanyabikingi), ne
relevant que du roi, tout en occupant un modeste gouver­
nement dans les provinces soumises à un grand chef. Il
est rare q u’un chef de province n ’ait dans ses terres une
enclave ou plusieurs enclaves de ce genre dont les titu­
laires sont placés directement par le souverain, qui retire
ainsi de la misère un parent pauvre ou récompense un
favori. L ’heureux bénéficiaire surveillera à l’occasion les
agissements de son collègue, le gouverneur de province,
pour le dénoncer auprès du roi et se faire valoir auprès de
ce dernier.
4° Les gardiens attitrés du fameux tambour-palladium,
dit Kalinga, sur lequel veille de jo ur et de nuit une équipe
particulière choisie dans le clan des Abiru.
Le tambourin de ce nom a une longue histoire et les
péripéties qui se déroulèrent à son occasion ont fait le sujet
de nombreux récits. Le plus important est celui qui se rap­
porte à sa conservation prodigieuse et à sa découverte
inespérée au début du règne de Ruganzu II. On pense
qu’il fut brûlé en 1896, lors de l’affaire de Ruchunchu;
Kabale. l’instigateur de la révolte et oncle du nouveau
roi, en fit faire un autre semblable au premier.
Il esl le tambour sacré par excellence, l’emblème de la
souveraineté et le palladium du royaume. On ne le frappe
pas habituellement. En principe, il doit suivre le roi dans
du grand chef Kayondo et enfin les soldats Batwa appelés « Impunyu ».
Ceux-ci ne sont autres cpie les Négrilles de la forêt, désignés communé­
ment sous le nom de « Impunyu » dont le sens étymologique signifie
« hommes de petite taille », c.-à-d. Négrilles ou Pygmées, que le mot
vernaculaire indigène traduit exactement.

37 2

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

ses déplacements. Il est porté dans un hamac et les autres
tambours battent en son honneur. Il a droit aux mêmes
égards que le roi et les gens frappent trois fois les mains
l ’une contre l’autre quand ils défilent devant lui. On l’oint
de temps à autre, pour le conserver, de beurre et de sang
de bœuf dont les entrailles ont « blanchi », c’est-à-dire
dont le sacrifice a été reconnu favorable par les devinssacrificateurs.
Les dépouilles sanglantes (ibikondo) des principaux
ennemis sont fixées aux lanières de peau tendues sur les
côtés de l’instrument.
La plupart de ces lugubres trophées disparurent dans
l’incendie de Ruchunchu, mais les habitants de la capitale
citent avec orgueil le nom des malheureux princes dont
la défaite et la mort sont encore inscrites d’une façon
macabre sur le tambourin-palladium 0).
Ce tambour est jalousement gardé dans l’enceinte du
palais royal, sur le côté Est dans une hutte qui est dési­
gnée sous le nom d’ « im ilinga », c’est-à-dire « objets de
cuivre ».
Cette manière de parler est tout à la fois une métaphore
et un euphémisme fort bien compris des gens. C’est une
métaphore pour ne pas attirer l’attention des ennemis sur
la destination de la hutte et c’est un euphémisme en même
temps pour prouver aux habitués de la Cour l’importance
du palladium que l’on assimile, par cette image, aux fils
et aux bracelets de cuivre, considérés autrefois par les
Ranyarwanda comme des objets précieux. La même hutte
sert de musée et de dépôt. On y conserve les autres tam ­
bours royaux qui ont joué un rôle dans le passé, avant le
Kalinga, à sa place ou en même temps que lui.
(!) Ce sont entre autres, Kanyoni, fils de Gatibamenya, et Rubunda,
princes du pays du Ndorwa; Nyagaketchuru, la cheffesse cpii gouvernait
une partie de Huyi, dans le Nyaruguru; Mutaga, le roi de l ’Urundi, tué
sous le règne de Mutara I; Nyirabihoro, une autre princesse des environs
de l’Uswi; Kabego, le roi de l’île d’Idjwi (dans le lac Kivu), et son fils
Nkundiye.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

373

Us portent des noms caractéristiques. Peut-être ne fautil voir en eux que des symboles ou des trophées, pour
rappeler le souvenir des victoires remportées autrefois par
les rois hamites sur les princes autochtones. Les terres et
les tambours de ceux-ci passèrent de leurs mains à celles
des monarques Batutsi.
On y trouve aussi des carquois énormes (imitana), des
flèches, des lances et autres armes de formes et de dimen­
sions variées. Un certain goût a dû présider au choix de
ce butin, car les objets qui en font partie se distinguent
presque tous par une certaine richesse, beaucoup d’origi­
nalité et une fabrication relativement soignée, au dire de
ceux qui ont pu les approcher et les voir. La plupart de
ces armes et de ces objets, ajoutent ces derniers, ont
appartenu en propre aux princes et aux rois vaincus, d’où
la valeur et le prix qu’y attachent les vainqueurs.
Les monarques hamites font encore recueillir soigneu­
sement le crâne des vaches dont le sacrifice a été reconnu
propitiatoire et les calebasses dans chacune desquelles ont
été déposées au préalable la vésicule biliaire (igisabo),
les turgescences du gros intestin (ishira) et certaines autres
parties (ibiranga) des mêmes animaux immolés. Ces cale­
basses, hermétiquement fermées, constituent des talis­
mans très efficaces.
Noms des principaux tambours : '
Kalinga, le tambour-palladium;
Chyimamugezi, l’ancien tambour-palladium du roi
Gihanga;
yamigezi, le tambour-palladium de Yuhi-Mazimpaka;
Butare (fort comme le roc);
Gissabarwanda (qui retentit dans tout le pays);
Sinkangimilyango, je ne fais pas peur aux clans (du
pays); Mpatsibihugu, j ’ai pris la défense du pays;
Kiragutse, il est étendu (pour dire q u’il est de dim en­
sions (-normes);
Ndamutsa, je le (roi) salue, du verbe « kulamutsa »,

374

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

saluer, parce qu’on le frappe dans la matinée, vers les
neuf heures environ, au moment où le roi se montre à
ses sujets pour recevoir leurs vœux et entendre leurs
doléances. Il donnait aussi le signal de l’exécution des
condamnés, spectacle auquel s’intéressait autrefois une
bonne partie de la Cour.
5° Les tambourineurs officiels, qui, comme les gardiens
dont on vient de parler, sont pris dans le clan des Abiru.
Ce sont eux qui frappent le Ndamutsa, d’où leur titre
d’Abalamutsa. Ils habitent la hutte qui est dédiée au feu
roi Lwabugiri (mort en 1895). C’est là que sont les tam­
bours ordinaires, que l ’on commence à battre dès quatre
heures du matin, en vertu d ’une coutume immémoriale.
6° Les chroniqueurs ou annalistes de la Cour. Ils s’ap­
pellent du nom de leur profession Abachurabgenge,
fabricants d’intelligence, et forment une sorte de clan
fermé dont les membres se relaient à tour de rôle, auprès
du roi, pour le mettre au courant de l’histoire du pays et
des faits et gestes de ses aïeux. Ils sont chargés de conser­
ver avec les actions du passé, les noms des rois, de la
reine-mère, de ses ascendants immédiats et de la tribu à
laquelle ils appartiennent.
Inutile d ’ajouter que le sens de la critique n ’a pas encore
fait son apparition dans le pays. Il arrive quelquefois que
les historiens de la Cour et les gardiens des traditions ne
s’entendent plus sur l’exactitude de tel détail oublié ou
contesté. On offre alors des sacrifices divinatoires pour
savoir ce qu’il faut dire au roi (*).
Les épopées toutefois, malgré les défauts et les imper­
fections qui leur sont inhérents, ne manquent pas d’inté­
rêt, ni de charme. Grâce à elles nous pouvons saisir sur le
vif les pensées des Banyarwanda, leurs sentiments, le
(i)
voir dans Fondation du Royaume hamite du Rwanda ce qu’il
faut penser de l’authenticité des premiers souverains. Pour ce qui con­
cerne les premières années de cette fondation, les documents tradition­
nels qui existent sont plus précieux pour l’ethnologie que pour l ’histoire.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

375

concept qu’ils se font de la vie, l’amour du sol natal, l’atta­
chement aux coutumes et aux souvenirs du passé. On y
trouve l’expression pathétique des tristesses causées par les
invasions étrangères et l’enthousiasme inspiré par le
triomphe final.

7° Les gardiens des traditions appartiennent à l’impor­
tant clan des Abiru. Leur rôle est de maintenir l’unité et
la continuité des coutumes à la capitale et dans le
royaume. Le chef suprême de cette corporation est le chef
des Batsobe, qui, par le fait même, a des attributions
nombreuses et variées.
Il est, suivant une tradition populaire, personnellement
chargé de recueillir le cordon ombilical (umukungwa) de
chacun des fils du roi, ainsi que leurs dents y compris les
dents de lait. Puis quand vient le moment de connaître
l’héritier du trône, c’est au susdit personnage que revient
l’honneur de présider à l’élection à l’intronisation qui se
fait, d’après la crédulité populaire, d’une façon très origi­
nale. Les cordons ombilicaux des petits princes sont
enfouis séparément dans des pots en bois de ficus (umwuko) avec tout autour des graines de courge, de sorgho,
d’éleusine et de l’épinard indigène dit «issogi » (*). La
plus belle récolte indique le futur détenteur du tambour.
Les cordons ombilicaux, au dire des gens simples, sont
t1) Ces graines sont désignées sous le nom de « mbuto nkuru », c’est-àdire les graines principales. L’éleusine et le sorgho, en fournissant une
sorte de pain indigène, jouent un grand rôle dans l’alimentation. L’épi­
nard est aussi très estimé, à cause de la saveur qu’il donne aux haricots
avec lesquels on le fait cuire. Les Banyarwanda rangent encore dans
cette catégorie les grains d’une courge spéciale appelée « inzungwane »,
qui, apiès avoir atteint sa maturité, est évidée. On s’en sert pour con­
server la bière et c’est cette relation avec le pombe si apprécié des indi­
gènes qui donne tant d’importance à sa graine.
D’après une autre croyance populaire le successeur au trône est parmi
les enfants du roi celui qui vient au monde avec les graines principales
dans la main droite.
C’est en exploitant la crédulité des Bahutu que les Hamites assurèrent
l’obéissance des Bahutu après les avoir subjugués par la force.

376'

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

dès lors abandonnés, à l’exception de celui du dauphin,
qui doit être conservé 0).
8° La corporation royale des employés des pompes
funèbres dits Abanyamugogo. Ils se donnent à tort ou à
raison comme les descendants de ceux qui s’occupèrent des
funérailles de Ruganzu II Ndori.
Nous en reparlerons plus loin quand il sera question
des rites funéraires.
9° Les exécuteurs des hautes œuvres.
Ils sont généralement pris parmi les Ratwa.
Pour les criminels ordinaires, l’exécution se fait à la
capitale. Les condamnés de haute marque sont souvent
confiés à un chef, pour être conduits dans les provinces
du Buberuka ou du Bugessera.
D ’abord étranglés ou abattus à coups de lance, les m al­
heureux sont ensuite jetés dans le gouffre (urwobo) de
Bavanga ou dans le marais mouvant de Nkonde. Outre la
strangulation et la noyade, les Banyarwanda connaissent
aussi le dépeçage, autrement dit le supplice des cent
plaies.
On commence par découper la chair du visage, des bras,
des mollets, du dos, etc., pour faire souffrir la victime
le plus longtemps possible. Ce raffinement de cruauté est
surtout de mise dans la vendetta (guhôra).
L’empalement est réservé aux voleurs de vaches. On
cite le cas d’un malheureux dont le pal allait sortir sur le
côté. L’opération fut recommencée... mais le patient
(i)
En pratique, c’est le roi lui-même qui désigne son héritier directe­
ment de son vivant, ou indirectement par l’intermédiaire d’exécuteurs
testamentaires, qui, après sa mort, font connatre les dernières volontés
du monarque.
Souvent à la vacance du trône, il se produisit des compétitions, d’où
naquirent des complications et. des tragédies sanglantes qui en furent la
conséquence.
.
Le chef mututsi du clan le plus puissant choisissait quelquefois luimême parmi les fils du défunt et imposait l ’élu. Il en fut ainsi en 1896,
quand Kabale se révolta contre l ’héritier de droit, Mibambge IV Rutalin­
dwa et fit nommer à sa place le roi actuel Yuhi IV Musinga, son propre
neveu.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

377

expira bien avant q u’elle fut terminée. Le supplice le plus
fréquent pour les gens de condition moyenne est celui qui
consistait à leur couper les mains et les pieds et à les aban­
donner dans cet état sur le lieu de leur martyre, où ils
périssaient de froid, quand les hyènes tardaient à venir
les dévorer. On en a vu attendre la mort deux et trois
jours, parce que le sang s’étant coagulé, l’hémorragie
s’était arrêtée.
Quelques-uns de ces malheureux, hurlant leur tourment
et leur soif, se traînant lamentablement sur les coudes et
les genoux, tentèrent vainement de se rapprocher de»
habitations pour implorer la pitié des humains. Leurs cris
lugubres s’entendaient durant la nuit.
La crainte refoulait toute commisération. Le moindre
acte de miséricorde à leur égard aurait été considéré
comme un crime de lèse-majesté. Il y allait de la vie i
faire montre d’indulgence ou de quelque compassion. La
mort à coups de bâton, de lance ou de serpe et le fait de
trancher l’artère carotide étaient considérés comme la
peine la plus douce et la plus rapide pour les victimes
dignes d’un certain intérêt. Étaient compris dans cette
catégorie les vieillards, les femmes, les ex-favoris, certains
employés de la Cour. La condamnation à la perte des
yeux, pour un grand que l’on ne veut pas « achever »
(gusonga), a été maintes fois appliquée.
Avant l ’arrivée des Européens il ne se passait presque
pas de semaine, à la capitale, où il n ’y eut d’exécution
sanglante. Et si durant plusieurs semaines il n ’v avait pas
eu de victime, le fait paraissait tellement extraordinaire
que l’expression suivante se répétait partout : « La paix
(ou le calme) règne à la capitale » (N’ubuhoro ibgami).
Le motif de condamnation le plus souvent invoqué était
celui de l’ensorcellement. S’agissait-il d’un ennemi dont
on voulait se venger ou d’un homme riche dont on convoi­
tait les possessions et les biens, les adversaires et les envieux
n ’avaient pas besoin de faire de grands efforts d’im agina­

378

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

tion pour prouver la culpabilité de ceux dont ils complo­
taient la mort. Conduits devant le roi, à la suite d’une
telle dénonciation, le jugement ne se faisait pas attendre :
« Nakukijije », c’est-à-dire « je t’ai gracié », disait le
monarque, si l’inculpé avait eu la bonne fortune de se
trouver des protecteurs puissants ou de réfuter péremp­
toirement les accusations de ses ennemis. « Mumujane
ku kivum u », « emmenez-le (l’accusé) près du ficus »,
criait aux bourreaux le prince, quand il prononçait une
condamnation.
« Viens donc, nous allons te gracier » (Guino twakukijije), ajoutaient en ricanant les exécuteurs, qui entraî­
naient leur proie. L’infortunée créature implorait en vain
la pitié du roi et des assistants. Le regards se détournaient
d’elle. On l’emmenait rapidement dans un bas-fonds,
auprès du ficus (ikivumu) de sinistre augure, pour y
subir la peine portée contre elle, sous les yeux de la m u lti­
tude, qui aimait à assister à ces terribles spectacles (l).
Les gémissements, les plaintes, les cris et les hurlements
des suppliciés n ’empêchaient pas les bourreaux d’aller
jusqu’au bout de leur œuvre de mort. Les souffrances des
condamnés n ’émouvaient aucunement leur sensibilité :
« Y a-t-il longtemps q u’un tel a été exécuté? » leur deman­
dait-on quelquefois. « Les hyènes l’ont mangé et l’ont
même digéré » (zamuliye, zamuneye), répondaient-ils
grossièrement sans changer de ton.
On a vu des bourreaux prolonger à plaisir le tourment
de leurs victimes ou les engager à fuir en les déliant de
leurs liens, afin d’avoir le plaisir de les abattre à la course.
Nous n ’insistons pas sur les mutilations honteuses que
l’on faisait subir tout d’abord aux malheureux individus.
Nombre de « tempestaires » furent tués pour n ’avoir pas
réussi à attirer la pluie. Aux époques de grande sécheresse
on conduisait à la Cour ceux qui avaient eu la malchance
(i)
Les exécutions capitales attiraient des foules nombreuses remplies
de curiosité malsaine et avides d’émotions cruelles.

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

370

de se laisser prendre. Attachés et exposés des journées
entières aux brûlants rayons du soleil, la populace les
accablait d’insultes.
« Faites donc pleurer le ciel, si vous voulez trouver un
remède à vos maux! » leur criait-on par manière de plai­
santerie (l). « S’il ne pleut pas dans tant de temps, si vous
ne faites pas reverdir nos prairies, vous mourrez »... Et
l’exécution suivait de près la menace.
Les grands chefs Batutsi, à l ’instar du roi, jugeaient et
condamnaient dans leurs provinces quand ils s’y trou­
vaient en résidence ou de passage. Tous ne se ressem­
blaient pas. Parmi eux il y en avait de justes et d’humains
et l’on aime à croire que ce fût le grand nombre. Quelquesuns toutefois ont laissé une mauvaise réputation, à cause
de leur cruauté. On raconte que deux d’entre eux se plai­
saient à faire lier leurs victimes, les bras derrière le dos,
au moyen de fil de fer que l’on serrait à tel point que les
deux coudes se rejoignaient et que le fil pénétrait dans
les chairs... Plusieurs moururent de cet unique et atroce
tourment. Un autre grand faisait immobiliser et coucher
sur le dos ceux dont il avait résolu de tirer vengeance.
Puis, par le moyen d’une courge disposée en forme
d ’entonnoir, il faisait avaler aux patients une cruche d’eau
ou de bière. Un troisième, appuyant fortement sur sa
lance, perçait le pied de ses victimes, qui étaient ainsi
clouées au sol. Un haut personnage usait de représailles
vis-à-vis de ceux qui lui avaient déplu en leur prenant les
deux doigts de la main q u’il écartait ensuite de toutes ses
forces l’un de l’autre, en déchirant les tissus qui les réu­
nissaient. Ce ne furent heureusement que des exceptions
q u’il faut mettre sur le compte du paganisme, de la
rudesse des mœurs, de la cruauté du temps, de la procé­
dure criminelle alors en vigueur, des passions soulevées
par les querelles de clans, les disputes d’influence ou les
révolutions et aussi quelquefois de l’infatuation orgueil­
leuse et farouche de chefs trop jeunes pour gouverner.
(>) Izuba libaririre !

380

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Pour se faire une juste idée des mœurs de l’époque, le
lecteur doit se rappeler que la vie d’un homme comptait
pour peu de chose en regard du roi et des grands chefs.
Les survivants du règne de Lwabugiri (mort en 1895) rap ­
portent que pour montrer son habileté ou pour juger de
la force de son arc, le souverain tirait sur le premier venu,
en cours de route, aux applaudissements béats de sa suite.
Une fois il voulut même essayer sa lance sur l’un de ses
principaux lieutenants. Ce dernier ayant eu l’audace de
se dérober, ramassa l’arme et la lui renvoya avec non
moins d’adresse. Le roi put se garer et ne s’en montra pas
choqué, au moins ce jour-là. Il le félicita même de sa
hardiesse el de son courage, en lui disant que c’était un
« homme » (umugabo).
La scène précédente se reproduisit plus d’une fois, sous
le même règne; mais les malheureux visés par le fougueux
monarque n ’eurent ni la même audace, ni surtout la
bonne fortune de s’en tirer... avec d’aussi aimables
paroles.
Sous le sceptre du prince actuel, Yuhi IV Musinga, dès
son avènement et avant la pénétration européenne, le
fameux tambour « Ndamutsa » donnait souvent le signal
d’une ou de plusieurs exécutions. Outre le crime de sor­
cellerie, il suffisait d’avoir été dénoncé à tort ou à raison,
comme ayant mal parlé du roi et de la reine-mère. Justice
était bientôt faite de ces crimes, et l ’on y allait rondement.
La rumeur publique assure que le jeune roi fit l’essai
de son premier coup de fusil sur un dément. Il le tira à
bout portant.
Ce fut de la part des courtisans qui assistaient à cette
scène de meurtre des bravos frénétiques pour applaudir
à la suprême habileté de Sa Majesté.
Il n ’a fallu rien moins que l ’influence et la surveillance
européenne pour faire cesser cet état de choses et cette
façon d’agir, qui, dans la mentalité indigène, ne faisaient
q u’accuser davantage la grandeur et la puissance royale.

LN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

381

11 n ’est pas dit non plus que les Noirs païens s’en estiment
plus heureux, tant leur en imposaient les coutumes du
passé et ce déploîment sanglant de la force brutale.
La justice, en principe, était celle du roi, car selon
l’adage bien connu, le roi c’est la loi. Pour rester dans la
vérité, il est loyal d’ajouter q u’il existe une législation.
Celle-ci n ’est certes pas un code complet, mais elle com­
prend toutefois un ensemble de lois et d’usages formant
un vrai droit coutumier, qui, s’il avait été appliqué rigou­
reusement, aurait évité bien des exactions et des cruautés.
Peu à peu, dans le cours des siècles, il s’était formé toute
une procédure pour les litiges concernant les droits de
propriété, les droits d’héritage, — le droit matrimonial,
la dot à payer, — les torts matériels causés au prochain,
vol, incendie, destruction de récoltes, — les droits de
pacage ou de pâturage, — l’imposition des tailles, des
corvées, etc. Les coupables de haut lignage et les riches
s’en tiraient souvent à prix d’argent et les innocents
payaient quelquefois pour les délinquants, surtout quand
on subornait les faux témoins.
Le g o u f f r e

du B u ge ssera.

Des différents lieux de supplice, le marais dit de
Nkonde, dans le Buberuka, celui de Nshimbo près de
Lukaza, celui de Ruboneve près de Nvanza, l’endroit dit
du « ficus » (ku Kivumu), certains rapides de l ’Akanyaru
et de la Nyabarongo, etc., c’est le gouffre du Bugessera
qui a laissé le plus mauvais souvenir. Sa réputation est des
plus sinistres, à cause des condamnés de marque qui y
ont été précipités et en raison aussi des légendes qui cou­
rent sur cet endroit maudit.
11 est situé dans la contrée du Bugessera, non loin d ’une
ancienne résidence de Lwabugiri, qu’on n ’est pas peu
étonné de trouver là, en plein pays désert.
Le décor est sévère, sauvage même et assombri par le
souvenir des exécutions tragiques qui s’y déroulèrent.

382

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

C’est une sorte de dépression dans un terrain (ibuye
ryasamye) rocheux, d’une profondeur de trois ou quatre
mètres. Elle est plus ou moins remplie, selon les saisons,
d’eau de pluie stagnante et se trouve envasée à demi (1).
Des bouquets d’arbres de diverses essences y forment des
îlots de verdure et coupent la monotonie de cette vaste
plaine que parcourent seulement les pasteurs et les
chasseurs.
Un Mututsi, ajoute la tradition, habitait autrefois non
loin du gouffre et y conduisait ses troupeaux à l’abreuvoir.
Son nom de Bayanga y est resté attaché (urwobo rwa
Bayanga). Maudit p aro n ne sait plus quel roi, l’endroit fut
dès lors abandonné.
Il semble toutefois que la nouvelle et tragique utilisa­
tion du gouffre ne commença q u’avec le roi Lwabugiri,
quand, vers 1886 ou 1889, il vint s’installer avec sa cour,
en plein désert du Bugessera, pour se rapprocher de
l’Urundi dont il espérait faire la conquête. L’existence et
la proximité du gouffre lui suggérèrent vraisemblable­
ment l’idée d’y jeter les criminels et les condamnés
politiques. Du projet à l’exécution il n ’y eut q u’un pas à
faire. Les premières victimes, celles du moins dont on a
conservé le nom, ne remontent q u’au règne de Lwabugiri.
Comme c’est un endroit retiré qui inspire la terreur, il
n ’est connu que des bourreaux et des rares habitants du
Bugessera. L ’imagination s’est emparée du lieu maudit
et a brodé sur ce sujet des choses fantastiques, acceptées
avec crédulité par le menu peuple.
f1) Les Noirs tiennent à expliquer les particularités que présentent les
rocs et les rochers. Leurs formes ou leurs cavités éveillent chez eux des
comparaisons, d’où leur tendance à les attribuer à l ’influence de l’homme
ou des demi-dieux. Ils ont désigné sous le nom de barquette à bière
(umuvule) de Bayanga, une autre dépression voisine de la précédente
qui à leurs yeux revêtait cette image. Tout autour de la « barquette »
sont des cavités ou petites excavations sur lesquelles le Mututsi Bayanga,
d’après la même tradition, déposait les cruches de bière (ibiteleko by’ibibindi by’ inzoga).
Les lieux de supplice ont quelquefois emprunté leur nom à celui de la
première victime qui y fut immolée : Nkonde, Ruboneye, Nshimbo, etc.

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

383

.Nul ne peut boire de cette eau, sans m ourir à l ’instant.
Celui qui s’y laverait les mains ou même ne ferait q u’y
toucher aurait le même sort. On raconte qu’un chasseur
étranger au pays, ayant voulu se désaltérer, contracta la
lèpre sur-le-champ et expira après avoir enduré d’atroces
souffrances. Cette même eau passe pour être mortelle aux
oiseaux et aux animaux, buffles, gazelles, sangliers,
chiens. Et même si ces derniers n ’en crevaient pas aussi­
tôt, leurs maîtres eux-mêmes devraient les achever de
peur d’être frappés par contre-coup.
Toutes les nuits il se dégage de ce site abhorré de la
fumée et des flammes dont on aperçoit au loin la lueur
rougeâtre (*).
Les eaux ont une couleur de sang (atukura, assa
n ’amarasso). Chaque fois qu’on y conduit un condamné
le niveau des eaux augmente subitement comme pour
venir prendre la victime (ngw’ abon’ umugome, akassama). Les eaux, après avoir aspiré leur proie se retirent
Du fond de l ’abîme sortent alors de longues plaintes et
des gémissements (akaboroga, akater’ induru).
Le gouffre est tellement profond, raconte-t-on dans le
public., que ses eaux communiquent avec celles du lac
Kivu (ngw’ aja hasi, afatanye n ’i Kivu).
On comprend si avec de telles données les gens parlent
avec terreur de ce lieu maudit.
En réalité, les victimes étaient étranglées ou tuées à
coups de lances avant d’être jetées à l’eau.
On essayait bien de les y plonger, mais les cadavres
revenaient à la surface. Les hyènes se chargeaient bien
vite de les faire disparaître. En quittant le théâtre du
supplice, les bourreaux se dirigeaient à quelque distance
de là, vers une autre dépression, habituellement remplie
d’eau, pour y nettoyer leurs armes et laver leurs mains
tachées de sang.
(*) L’incendie des hautes herbes à la fin de l ’été ne doit pas être
étrangère à cette association de pensées et d’images.

384

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a ERIQUE

Traîtres et ennemis, ensorceleurs et criminels politiques
de marque ne furent pas les seules victimes du gouffre
maudit. Étaient encore voués à la mort dans cet endroit
sinistre les monstres (ibimara), les filles-mères (ibinyandaro), les enfants né durant le deuil de leur père (inda
y’amabi) et quelquefois leur mère, les jeunes filles aux
seins non développés (impenebere) 0 )... et les veaux nés
d’une façon « vicieuse » (ubufuti), comme ceux dont les
jambes se sont présentées... en premier lieu.
Ces êtres anormaux ou jugés tels étaient infailliblement
condamnés, avant la pénétration européenne. On n ’avait
aucune pitié pour eux. Il fallait s’en débarrasser en
cachette et de nuit, pour ne pas se voir opposer le passage
dans le pays que l’on devait traverser. D ’après la croyance
populaire, rien que la présence ou le séjour accidentel
d’un de ces êtres peut déchaîner la famine ou d’autres
malheurs sur la contrée.
CHAPITRE II

Fonctions à titre purement utilitaire et fonctions d’un carac­
tère utilitaire supposé, dont les unes sont à titre privé et les
autres à titre public et national. — Sorciers et devins de
toutes catégories.
F o n c t io n s

purem en t

u t il it a ir e s .

A.
— Les employés de la <( Bouche » et du <( Gobelet »
de Sa Majesté, c’est-à-dire les cuisiniers et les servants
(Abahanga, les Habiles; Abozi, les Laveurs) furent consi­
dérés de tout temps comme les moins bien partagés parmi
les nombreux employés de la Cour. La hutte dans laquelle
les servants rangent les jattes de lait réservées au roi est
(!) Les jeunes filles qui arrivaient à l ’âge nubile avec cette particularité
physique, étaient autrefois considérées comme un malheur et un danger
pour le pays. On leur imputait à crime le peu de développement de leurs
seins. On les appelait les filles « aux seins non développés », impene­
bere, du verbe guhenebera, qui signifie se restreindre, être réduit à rien.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

385

désignée sous le nom de kiryana, la maison qui dévore
ses habitants parce que bien rares étaient ceux qui survi­
vaient à leurs fonctions. Presque tous finissaient après un
laps de temps plus ou moins considérable par encourir le
soupçon de vouloir empoisonner le roi et périssaient de
mort violente au moment où ils s’y attendaient le moins.
Ce fut pendant longtemps une épée de Damoclès qui
finissait presque toujours par s’abattre sur la tête de ceux
qui avaient le malheur d’être choisis pour cette charge peu
enviée.
On en verra plus loin quelques exemples.
B. — Les échansons (abanyanzoga) pratiquaient aussi
un métier dangereux comme leurs collègues de la laiterie
et des cuisines royales. Ils étaient de par leurs fonctions
chargés de se procurer les meilleures bières, de les garder
et de les présenter au moment voulu. Ils forment encore
une équipe nombreuse dont les uns vivent auprès du roi
et les autres rayonnent au loin pour réquisitionner le miel,
la bière elle-même ou les régimes de bananes qui servent
à la fabrication de la précieuse boisson (*).
Les employés de cette catégorie n ’avaient pouvoir origi­
nairement et en principe que sur les régimes de bananes
et le miel (imitsama) et parcouraient le pays pour se les
procurer (gutorana). Peu à peu, ils prirent l’habitude de
se conduire en vrais chefs et d’exiger des habitants des
contributions en nature, haricots, sorgho, vaches, etc., et
imposèrent certaines corvées dites du « buletwa », qui
leur permirent non seulement de vivre grassement, mais
de se constituer de beaux troupeaux.
C. — Il y a plusieurs équipes pour la culture et la prépa­
ration du tabac qui sert à l ’usage du prince. Le tabac qui
lui est destiné vient entre autres régions du Bugoyi, de
t1) Le chef des échansons, un certain Mutagikwa, est de par sa charge
capitaine du corps d'armée des Indengabaganizi, titre purement honori­
fique, mais qui lui permet de lever des impôts dans les territoires où il
■exerce sa charge d’officier du « Gobelet ».
Il habite à Nyarugenge de Gassagara dans le Buhanga.

MÉM. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

25

38G

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

Mata dans le Marangara, de Ruyanza et de Mussarnbiro
dans le Nduga. Les feuilles sont préparées à la capitale par
des employés spéciaux, hommes ou femmes, qui y ris­
quaient aussi de temps à autre leur tête, pour les mêmes
motifs précédemment cités.
D. — La préparation du jus de tabac, réservée à un
usage original et aussi profane que possible (m ukibuno),
est confiée à un groupe de servantes ou de jeunes filles,
attachées au service de la reine-mère. Les feuilles de tabac
sont plongées dans un liquide d’une saveur piquante et
acre tout à la fois (inkari) dans lequel on les laisse séjour­
ner pendant quelque temps.
Le liquide seul est ensuite utilisé par la reine-mère et
les grandes dames, qui estiment que le jus de l’herbe
médicée ainsi préparée est le remède infaillible contre
l’infirm ité désignée dans le pays sous le nom de « imisuzi ».
Cette solution à odeur prononcée porte le nom d’une
plante (umugabagaba) qui sent très fort, de laquelle les
odalisques chargées de ce travail tirent aussi leur nom
d ’ « abanyamugabagaba ». L ’appartement dans lequel se
donne la curieuse médication est désigné à la Cour et chez
les grands chefs qui connaissent tous la fameuse recette
par des termes spéciaux dont seuls les initiés comprennent
la signification. Ce sont les noms d’ <( im ikinga », cabi­
nets secrets (de gukinga, fermer), et « ubugonyi », chalet
de nécessité.
E. — Une catégorie de serviteurs de tout ordre, connus
sous l’appellation d’ « Abanyakambere », se tiennent à la
disposition du souverain, qui passe presque toute la jo u r­
née dans la hutte désignée sous le nom d’ « Ikambere »
la première, parce q u’elle occupe le fond de la cour d’h o n ­
neur. Le rôle de ces valets est de veiller sur les différents
objets qui composent l ’ameublement des pièces. Ils exé­
cutent aussi les ordres du roi et vont avertir les autres
gens de service

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

387

F. — Il y a aussi les gardiens du trésor. On les appelle
« Abanya-byuma ».
Par ce mot « byuma », les Banyarwanda désignent tout
ce qui est en fer. Serpes, haches, râpes, couteaux, brace­
lets et pioches surtout constituent par leur nombre et
leur valeur réelle une vraie richesse pour leurs proprié­
taires.
Cette façon de comprendre et de concevoir les richesses
a fait donner aux gardiens du trésor l’appellation de
« gens préposés à la conservation des objets en fer
(abanya-byuma) ». Le trésor lui-même porte le nom
significatif d ’ « intore », du verbe gutora, choisir, parce
q u’il se compose d’u n choix de pièces très originales. Il
comprend la garde-robe (imyambar’ abami) des anciens
rois et leurs bijoux. Étoffes de toute variété, peaux de
colobe, perles, colliers, bracelets et autres objets de ce
genre constituent la majeure partie du trésor proprement
dit, qui est exposé deux fois par an, comme nous le ver­
rons plus loin quand il sera question des fêtes de la Cour.
G. — Un groupe de jeunes filles est chargé de nettoyer
!a hutte qui sert de chambre à coucher au monarque.
C’est à elles qu’incombe le soin de renouveler les herbes
fines qui composent la couche royale, d’v étendre les
nattes et les fourrures précieuses (ibvahi), c’est-à-dire les
peaux de loutre, de lion, de léopard, sur lesquelles le
souverain prend son repos. Ces femmes de chambre se
nomment en langue vernaculaire « Abashashi », celles qui
étendent les nattes, du mot gusasa, étendre les nattes. Une
autre de leurs fonctions, et non la moins importante,
consiste à « chauffer », tous les soirs, le lit royal. Pour
atteindre ce résultat elles s’étendent sur la couche succes­
sivement ou même toutes à la fois, jusqu’à l ’arrivée du
monarque.
Les femmes ou filles qui ont un emploi à remplir à la
Cour sont sous la haute surveillance de la reine-mère,
auprès de laquelle elles vivent.

388

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

H. — Les « Irrésistibles » (Intalindwa) tirent leur appel­
lation du corps d’armée de ce nom. On comprend sous ce
nom d’une série d ’employés et de gens à tout faire, choisis
dans les différents rangs de la société. Entre autres travaux
de leur ressort, ils veillent la nuit sur le roi et ses enfants
et entretiennent le feu qui doit brûler durant ce temps
dans le foyer, selon la coutume du pays, suivie aussi par
les grands chefs. Ils renouvellent les huttes en les recon­
struisant régulièrement tous les trois ans. Comme les cases
qui forment l’ensemble du palais royal sont nombreuses,
ils partagent cette tâche avec les chefs de certaines pro­
vinces.
C’est parmi les « Irrésistibles » q u’on choisit les porteurs
de hamac (abahetsi b’ ingobyi), quand les grandes dames
du harem royal s’aventurent à l’extérieur. Ils font partie
du corps d ’armée dont ils portent le nom. Les membres de
ce groupement militaire passaient pour être les plus
braves (Intalindwa, ceux auxquels on ne résiste pas). On
les employait quelquefois, de préférence aux autres servi­
teurs, pour conduire au loin les condamnés de marque
destinés à être exécutés aux lieux de supplice habituels
(Buberuka, B ugessera).
I. — Le nom d ’ « Impara » sert à désigner un autre
corps d’armée qui se recrute parmi les habitants de la
province du Kinyaga. Il a été donné aussi par extension
à un groupe d’individus, initiés à la société secrète de
Ryangombe, et qui sont obligés par devoir d’état à vivre
auprès du roi, pour attirer sur lui les faveurs des mânes
de tous ceux qui ont fait partie de cette association
religieuse.
Au lever du souverain, ils doivent se présenter, portant
sur la tête en guise de coiffure, des queues de lièvre
(amashira y’ inkwavu) ou d’un autre carnassier du genre
fouine (ibiharangu), q u’ils font balancer de droite à
gauche, en chantant et en dansant. Ils tiennent à la main
des clochettes ou des sistres (ibinyuguri) q u’ils agitent en

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

389

invoquant à haute voix la protection de Ryangombe et de
ses compagnons. En plus de ce rôle d ’impétration, ils rem­
plissent d’autres fonctions à l’intérieur de la maison du
roi.
A cause de leur fonction de suppliants et d’interces­
seurs, qui est de beaucoup la principale pour eux, on
aurait pu, à aussi juste titre, les ranger dans la catégorie
suivante.
F o n c t io n s

d ’u n

caractère

u t i l it a i r e

supposé,

DONT LES UNES SONT A TITRE PRIVÉ ET LES AUTRES
TITRE PUBLIC ET NATIONAL. --

SORCIERS

ET

DEVINS DE TOUTES CATEGORIES.

A.
— On a déjà longuement parlé dans YHistoire d'un
règne, du clan des Bakoma, descendants directs des roite­
lets autochtones du pays de Marangara, qui passaient
autrefois pour être avec Mashira de puissants sorciers. On
les considérait comme pouvant conserver ou ôter la vie
par des moyens cachés connus d’eux seuls.
La réputation du premier de ces princes autochtones,
de son vrai nom Sekibakanyi, était immense. On dit
encore aujourd’hui que : « Nkoma Sekibakanyi, roi de
Marangara (fils) de Nkondogoro, ensorcelait autrement
q u’on ne le fait aujourd’h ui » (Nkoma ya Nkondogoro
ikilozi cho m u Marangara kitaloger’ ubussa n k ’ aba none!)
L ’expression est passée en proverbe.
A cause de cette renommée, les Rakoma ont été chargés
de la préparation d’un élixir de longue vie, appelé
(( issubyo », du nom de la plante q u’ils utilisent à cet effet,
d’où leur nom d’« Abanyissubyo », les gens au breuvage
de vie, nom et fonction dont ils s’estiment très honorés.
Pour fabriquer leur élixir, les Rakoma ou gens du pays
de Nkoma vont chercher au loin dans la forêt une sorte
de mousse ou moisissure (urugombyi) que l’on trouve sur
les arbres. Après en avoir fait une bonne provision, ils

390

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

font brûler le tout. La cendre est soigneusement recueillie
et mise en lieu sûr. Ils utilisent encore les racines de la
plante appelée « issubyo » q u’ils font sécher au soleil pour
la réduire en poudre sur leur m oulin à farine.
Une espèce de lvcoperdon dit « agatumura », qui rap­
pelle la vesse de loup, est le troisième élément qui entre
dans la composition de cette eau de Jouvence.
Cendi 'es et poudres sont mélangées en petite quantité
dans de la bière, que présentent journellement au roi deux
descendants de cette ancienne famille. Le prince hamite
aspire quelques gouttes au moyen du chalumeau (umuseke
ou umuheha) et s’en rince la bouche une fois pour rejeter
aussitôt le liquide.
Les gens qui appartiennent au clan des Bakoma sont
en principe exempts de corvée et ont gardé une indépen­
dance relative 0).
Ils n ’ont pas d’autre fonction que celle de se relayer à
la Cour pour présenter au monarque le breuvage forti­
fiant dont ils sont les inventeurs (2).
B.
— Poi ir ce qui est de la catégorie des sorciers du
genre devin et sacrificateur attachés à la Cour ou à la per­
sonne du roi, on peut dire que c’est la plus importante
et la plus considérable. Le roi fait appel à leurs services à
titre privé, ou à titre public et national. Leurs noms et
leurs fonctions se subdivisent presque à l ’infini. Nom­
breux sont les clans parmi lesquels se recrute ce person­
nel. La tribu des Bega fournit les devins-sacrificateurs
les plus célèbres, connus sous le nom d’Abakongori ou
(>) Le chef hamite qui a été mis à leur tête, ces dernières années, ne
devait s’occuper que de l ’observation des lois ou ordonnances euro­
péennes.
(2) Les Bakoma sont avec les Basozo ceux qui ont joui le plus long­
temps de privilèges et d’immunités. Dans le « Règne de Ruganzu II »
nous avons longuement parlé des Rasozo et de l’origine des franchises
dont ils Jouissent encore.
La corporation royale des employés des pompes funèbres est dans le
même cas.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

391

Abanyambuto. Parmi les Basinga se recrute la corporation
des Abachumbi, qui, en plus de leur rôle de devin, ont le
pouvoir de mettre en fuite les esprits, et celle des Abosha,
qui se donnent comme les descendants directs du grand
sorcier Lunukamishyo, c’est-à-dire l’homme aux couteaux
de sorcier, originaire du pays du Ndorwa. Il vint, on l’a
déjà dit, chercher fortune au Bwanda, où il fut bien
accueilli par les princes hamites qui ennoblirent sa famille
et la comblèrent de biens. Le nom de l’ancêtre conservé
dans l’histoire vient de deux mots : « kunùka », sentir, et
« imishvo », couteaux, à cause de l’habitude q u’il avait
de se servir de son couteau de devin-sacrificateur pour
s’orienter.
Font encore partie de la catégorie des sorciers du genre
devin ou sacrificateur : les Abanyantondwe, les Abanyankarago, les Bihungamutwe, les Abanvanzuzi qui sont les
plus communs, et bien d’autres.
Le R. P. Arnoux en parle longuement dans son tra­
vail (l).
Nombreux sont les clans qui, comme les Bazigaba, les
Batembe, les Bahigo, de race M uhutu (Bantu), fournissent
à la Cour des devins et des sacrificateurs, mais plus nom ­
breuses encore sont les familles où, depuis un temps plus
ou moins éloigné, les fonctions susdites se transmettent,
selon les cas, de père en fils ou de mère en fille.
Les Bahigo et les Batembe habitent dans la région du
Bugoyi. Les ancêtres de ces deux familles émigrèrent dans
le royaume, sous le règne de Yuhi III Gahindiro, aux
environs de l ’année 1800. Les membres de ces deux grou(!) « La divination au Rwanda », Anthropos, 1918. L’auteur traite dans
cette étude de la personne des devins y compris les Rakongori et des dif­
férentes. façons de procéder dans cet art.
Le même individu est devin et sacrificateur tout à la fois.
Les Abakongori sont encore désignés sous le vocable d’Abanyambuto
parce que dans leur mode de divination ils utilisent la salive de leurs
clients, d’où le nom de mbuto donné à ces humeurs visqueuses, dans le
cas particulier qui nous occupe.

392

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

pes durent leur fortune à un chef mututsi, qui ayant eu à
se louer de leurs pratiques divinatoires, les fit connaître
à la Cour du roi Yuhi III Gahindiro, où ils furent
appelés (l).
Leur mode de divination diffère de celui des autres.
On les appelle Abanyamihundwa, c’est-à-dire les devins
aux os de mâchoire, parce que, au lieu de se servir de
n ’importe quels osselets comme les Banyanzuzi ordinaires,
ils n ’utilisent que les os de mâchoires provenant du m ou­
ton, du bœuf et de l’antilope (2).
A ces mêmes osselets (im ihundwa y ’ urwasaya), qui
doivent être au nombre de six, ils ajoutent trois petits
bouts de fer (imbaba), trois grins de la courge dite
inzungwane et un bout de bois d’une longueur de dix cen­
timètres, garni de perles à une extrémité et sur l’un des
côtés, que l’on appelle igichum bi.
Les devins lui attribuent une grande importance et le
placent au m ilieu des maxillaires, trois à droite et trois à
gauche, pour consulter l’avenir. Un autre détail les distin­
gue de leurs collègues. Alors que ceux-ci jettent d’un
geste brusque leurs dés magiques sur la palette (impinga),
les Banyamihundwa laissent simplement tomber les leurs
sur la peau d’un des animaux précédemment nommés.
Les osselets jouent un grand rôle à la Cour et dans le
pays. On recourt à leur emploi pour des circonstances
journalières. Le rôle du jeteur d’osselets est d’interpréter,
par le moyen de ses connaissances, la disposition relative
des os. Le nombre des dés ou des osselets varie selon la
qualité ou le titre du devin. Chacun de ces mêmes dés ou
osselets possède sa signification, laquelle à son tour est
modifiée suivant la manière en laquelle ils s’éparpillent
sur le sol... Il faut, en effet, considérer : le côté sur
lequel tombent les astragales, la direction vers laquelle ils
(1) Les événements et les incidents de cette émigration dans le Rwanda
ont été conservés par ses descendants et forment un récit original.
(2) Les os de chèvre sont exclus de leurs pratiques divinatoires.

CIN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

393

regardent, puis la position qu’ils prennent les uns par
rapport aux autres. On conçoit combien grand est le nom ­
bre des combinaisons possibles, lorsqu’on tient compte de
tous ces éléments...
Si l’on n ’obtient pas du premier coup la réponse cher­
chée, on recommence... une fois, deux fois, dix fois...
ju squ’à ce qu’elle vienne (Levy-Bruhl) (*).
C.
— En plus des aruspices, devins, sacrificateurs dont
on vient de parler, le roi a auprès de lui les représentants
attitrés de tous les genres possibles et imaginables de
sorcellerie.
Nécromanciens (Abashyitsi ou abahamagazi), magiciens-conjurateurs (Abahuzi), fabricants de philtres ou
de charmes (abanyanzaratsi), faiseurs d’amulettes (abachunyi), etc.; c’est tout un monde de sorciers qui travaille
pour le monarque et la Cour.
Les étrangers venus du Bunyabungu, du Buhunde,
contrées situées au Nord et à l ’Ouest du lac Kivu, de
l’Uswi, de l’U jinja (sur les bords du Victoria), etc., n ’ont
pas moins de vogue que leurs collègues autochtones et
l ’emportent quelquefois sur eux par la nouveauté ou l ’ori­
ginalité de leur art.
U y a même eu une officine pour les charmes et les
poisons (ubulozi, au pluriel amarozi ou ibirozi), que l ’on
faisait venir de loin ou que l ’on essayait de fabriquer sur
place, mais sans beaucoup de succès, semble-t-il.
Les plantes, dont on utilisait le suc, l’écorce ou la
feuille, n ’étaient pas des plus vénéneuses, comme nous le
dirons plus loin.
Ajoutons que la réputation de ces magiciens précités
paraît avoir été plus terrible que leurs actes ou les effets
de ces mêmes actes.
Pour rester juste et vrai il faut excepter de ce jugement
les magiciens-conjurateurs dits abahuzi dont les crimes
i1) La Mentalité primitive. Libr. Félix Alcan, 1922.

394

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

et les méfaits ne se comptent pas 0). On ne peut pas
imaginer comment ils ont pu abuser, et cela impunément,
durant tant de siècles, de la crédulité publique. L’expres­
sion populaire « avoir du sang sur les mains » peut leur
être appliquée intégralement. Ils passent pour avoir le
pouvoir de découvrir les envoûteurs, les ensorceleurs et
puis encore de faire sortir du corps des patients ce qui est
supposé avoir produit la maladie, l’empoisonnement ou
l ’ensorcellement.
C’est par le moyen d’une petite corne ou d ’une cale­
basse formant ventouse ou même avec leur propre bouche
q u ’ils extirpent la cause du mal et q u’ils présentent aux
yeux des spectateurs émerveillés des os, des cailloux, des
crapauds, des têtes de serpent et autres objets inim agi­
nables retirés par la ventouse. Les Banyarwanda ont une
confiance illimitée en la toute-puissance de ce procédé
et citent des cas de guérisons extraordinaires obtenus par
ce moyen.
« On perd son latin » à vouloir raisonner avec eux, sur
ce sujet. Les anciens surtout sont intraitables.
Pour démasquer les jettatori et autres compères de cette
qualité, nos thaumaturges (abahuzi) se servent d’une autre
corne remplie de choses hétéroclites ou même innom ­
mables.
Ils s’en vont, en costume adamique, ajoute la rumeur
publique, et la corne en m ain. Cette corne s’agite et se
démène, disent les gens, comme si elle était animée par
un esprit invisible, indiquant ainsi le chemin qui conduit,
chez les envoûteurs ou chez les ensorceleurs présumés.
Ceux-ci, avant l’arrivée des Européens, étaient massacrés
sur l’heure, sans autre forme de procès.
Les matières propres à ensorceler ou à produire l’envoû­
(!) « Chercher » se dit en kinyarwanda guhura, d’où le nom de umuhuzi, chercheur, donné à cette catégorie redoutable de sorciers. « Guhu
rish’ ihembe » signifie chercher avec la corne, « guhurish’ umunwa »
chercher avec la bouche (dans le corps des patients).

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

395

tement, q u ’elles fussent enfouies ou cachées dans les cases,
étaient découvertes de la même façon, ajoutent les Noirs
crédules 0).
Ces mêmes chercheurs, en leur qualité de magiciensconjurateurs, ont le pouvoir de prévenir les effets des
sortilèges et des maléfices. Moyennent finances, ils vont
fixer des limites physiques et morales au pouvoir néfaste
des autres sorciers et cela par le moyen de remèdes (imiti)
de leur cru, d’amulettes (ïmpigi) et de branches d’arbres
à propriétés magiques enfouies ou fixés en terre. Les ter­
rains ainsi « fermés » à la malfaisance des sorts devien­
nent pour longtemps comme des asiles inviolables. Les
propriétaires des terrains immunisés n ’ont dès lors plus
rien à craindre du fait des ensorceleurs.
Les Banyarwanda parlent beaucoup, au coin du feu, de
ces magiciens-conjurateurs et de leurs hauts faits.
Pour découvrir les objets volés, les Banyarwanda font
appel aux Banyerango (2). Ceux-ci n ’inspirent pas autant
de crainte que leurs collègues précités, tout en usant de la
même corne magique. Les Bachunyi ou fabricants de
gris-gris ont surtout la spécialité de donner la fécondité
aux femmes stériles.
Ils vendent, moyennant finances, des amulettes et des
breuvages magiques. Les mauvaises langues ajoutent que
les charlatans de cette catégorie ont abusé de leurs clientes
plus d’une fois, pendant que le mari crédule, une clochette
à la main, était chargé de faire à pas lents, une promenade
autour de l’habitation du sorcier.
D.
— Grande estime est encore faite des sorciers-maudisseurs (Abahenyi), qui, comme le faux prophète Balaain,
(1) On cite le cas de plusieurs Individus chez lesquels on a trouvé
tout un lot d’ossements divers et avouant eux-mêmes leur profession
à l ’autosaggestion aient cru à l ’efficacité de leurs opérations maléfiques.
(2)
« Abanyerango ». Ce substantif est tiré du mot kulangira, qui veut
dire montrer, découvrir, et indique le métier du sorcier, d’où le nom
d’irango donné à la corne dont ce dernier se sert dans ses recherches.

396

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

ont pour mission de maudire les ennemis et d’annihiler
leurs forces de résistance. Lelur chef, un nommé Agakwande, jouit d’une grande considération à la Cour. Ses
aïeux n ’étaient que de simples Bahutu. C’est en raison
de l’exercice de leurs importantes fonctions qu’ils sont
entrés peu à peu dans la caste noble des Batutsi, avec
lesquels ils n ’ont cessé de contracter des alliances m atri­
moniales. Ils habitent dans le Ndiza, à Bidembo, et for­
ment une corporation puissante et redoutable. Leurs
incantations passent pour être très efficaces. Pour ce faire
ils doivent se réunir la nuit dans un petit bosquet qui est
le lieu habituel de leurs opérations magiques et dont il
porte le nom « ihenero », du mot guhena, maudire 0).
A cette occasion, on tue une chèvre noire dont la peau
est suspendue à un buisson.
Ils portent au cou les fruits d’un arbuste épineux
(intobo) et vont semer des charmes sur le chemin que
doivent suivre les ennemis. C’est ainsi q u’ils firent pour
les premiers Européens, mais sans grand succès d’ailleurs.
E.
— Parmi les grands dignitaires de la Cour, on a déjà
nommé les généraux (abagabe). Au-dessus d ’eux se trouve
un autre personnage considérable q u’on pourrait appeler
le Commandeur (Umugaba). Il joue le rôle d’une sorte de
général en chef honoraire à sens et à titre superstitieux,
qui passe pour donner le succès aux troupes. Comme signe
distinctif de sa supériorité sur le général effectif, il se ceint
le front d’un bandeau (ikamba), qui rappelle un peu la
couronne royale. II est choisi par les devins (yarelejwe)
et peut être pris parmi les Bahutu.
Le plus souvent toutefois ce rôle échut aux Batutsi, fils
ou parents de roi. C’est ainsi que Karara avait suivi son
(') La signification étymologique et précise du verbe Guhena est plus
forte que celle que l ’on vient de donner. Elle désigne un geste symbo­
lique et expressif qui sert à montrer le peu de cas que l ’on fait d’une
personne ou le mépris manifesté à son égard. En d’autres termes, les
magiciens-maudisseurs, dans l ’exercice de leurs fonctions, tournent le
dos à l’ennemi, d’où le nom de leur métier.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

397

père, le roi Lwabugiri, au Bunyabungu, en cette qualité
de général porte-bonheur. Lors de l’expédition d’Ishangi
ce fut un autre fils de Lwabugiri, Nshozamihigo, qui rem­
plit ce rôle. Ces sortes de généraux portent des amulettes
au cou et se peignent le visage avec de la craie blanche ou
eau lustrale (amazi y’ingwa).
Ils sont encore détenteurs de charmes et autres talismans
(inzaratsi, insinzi), qui doivent aider à vaincre l’ennemi,
lis restent au camp pendant que les troupes combattent.
On leur rend des honneurs presque souverains. Les tam­
bours sonnent pour eux le réveil (akabikirwa) comme
pour le roi. Ils ont tout pouvoir pour faire des lois, tran­
cher les différents et leurs jugements sont sans appel (ikyo
bavuze ntikisubir’ invuma) (’).
A

utres

f o n c t io n s

PRÉCÉDENTES.

--

de

m êm e

D es

caractère

ENSORCELEURS

que

les

ET

DES

ENVOÛTEURS; DES PURIFICATEURS OU EXORCISTES
DE

TOUS

RITES;

DES

FABRICANTS

DU

POISON

d ’é p r e u v e .

Les fonctions de ces personnages sont presque de tous
les jours, partant donc assez connues et leurs œuvres sont
aussi célèbres que celles de leurs collègues, le* devinssacrificateurs, les magiciens-conjurateurs, etc.
Nous en parlons ici à part à cause des détails relative­
ment abondants donnés sur chacun d’eux.
Disons que tous ces <( docteurs ès-sciences occultes,
mystiques et magiques », bien loin d ’avoir honte de leur
métier s’en font gloire et se considèrent comme des êtres
(!) U m u g a b a est u n s u b s ta n tif dérivé d u verbe ku g ab a, q u i sig n ifie
d is tr ib u e r ou d on n e r g ra tu ite m e n t. Ce term e ne s’a p p liq u e en p rin c ip e
q u ’a u roi; son s y n o n y m e R u g a b a , q u i v ie n t d u m ê m e verbe, a été réservé
h D ie u (Im a n a ).
Q u a n d le ro i se c h o is it u n re m p la ç a n t, autre que le g é n é ra l en chef
app elé u m u g ab e , p o u r le m ettre à la tête des arm ées, il lu i d onne en
conséquence de son titre des p o u v o irs étendus et les h o n n e u rs dus à son
ra n g .

398

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

importants et nécessaires. Ils ont conscience de leur
dignité et de la noblesse de leurs fonctions q u’ils affichent
publiquement 0). Les émoluments de leur profession
deviennent, pour quelques-uns d’entre eux, fort appré­
ciables. Le profit suit la gloire.
Les professionnels de la magie et de la sorcellerie en
tous genres ont, dans leur orgueil et leur vanité, essayé
de donner à leur art une noble origine, en le faisant
remonter jusqu’au grand roi Ruganzu II. C’est lui qui,
d ’après la légende, a tout inventé et tout organisé.
Artisans, forgerons et cultivateurs se réclament de lui.
Les sorciers théurges, medecine-men, etc., mis en
demeure d’expliquer leurs pouvoirs et poussés jusque dans
leurs derniers retranchements, se sont donnés, à leur tour,
comme les simples dépositaires des dons et des talents dont
l’illustre monarque fut le premier détenteur et possesseur.
C’est lui qui en a fait bénéficier leurs prédécesseurs, dont
ils continuent la chaîne et la série.
Les rois hamites, après avoir soumis les petits princes
autochtones qui s’étaient partagé le Rwanda, utilisèrent
les services de leurs descendants. Certains de ces roitelets,
comme ceux de Marangara et du Rgishaza, avaient la répulation d’être les plus puissants d’entre les sorciers et de
jo uir de talents exceptionnels. Aussi leurs successeurs
furent-ils confirmés dans leurs fonctions d’ordre pure­
ment mystique.
Et conséquemment ils restent toujours en service com­
mandé tant auprès de Sa Majesté noire que de ses fidèles
sujets, à la Cour, à la capitale et dans tout le royaume.
(!) Il n ’est pas question de ceux qui, agissant pour leur compte privé,
se font ensorceleurs ou envoûteurs d’une façon occasionnelle et passa­
gère.
C’est par voie cachée et détournée qu’ils opèrent et cela pour exercer
une vengeance purement personnelle. Aussi prennent-ils toutes les pré­
cautions afin de cacher leur jeu, car ils s’exposent à la mort si leurs
agissements sont découverts.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

399

A.
— Des ensorceleurs, des envoûteurs, des sorts et des
maléfices. — Les sorciers de cette catégorie se subdivisent
en plusieurs groupes et ont diverses façons d’opérer.
Pour les désigner in globo, on se sert du terme géné­
rique um ulôzi (au pluriel Abalôzi), ensorceleur. Kuloga
veut dire ensorceler, jeter un sort et aussi empoisonner;
ubulôzi (au pluriel amalôzi) signifie ensorcellement, malé­
fice, sortilège et empoisonnement. Ce sont des mots con­
nus dans la région des Grands Lacs.
Plusieurs exercent publiquement leur métier, ainsi
q u’on le verra plus loin, à la capitale, au service du roi
pour le délivrer de ses ennemis et dans les villages, où ils
se mettent au service de leurs semblables.
Les autres, plus ou moins connus, n ’agissent q u’en
secret.
D ’aucuns, ainsi qu’on le comprendra, n ’ont q u’une
existence fictive et n ’existent que dans l ’imagination des
gens crédules.
1. « Abashitsi » ou « les preneurs », tel est le nom de
ceux qui, par leurs opérations magiques, peuvent obliger
le voleur à se découvrir de lui-même.
Le nom de leur fonction est emprunté au verbe gushika,
prendre (le voleur), d’où le mot « urushiko », qui désigne
l’opération. Pour ce faire le magicien remplit un récipient
(imbehe) d’un liquide préparé par ses soins. Au moyen
d’un chalumeau q u’il porte à la bouche, pendant que
l’autre extrémité plonge dans le vase en bois, il souffle
pendant quelque temps, jusqu’à ce que l’écume (urufuro)
déborde, obligeant par cette opération mystique et sym­
bolique le voleur malgré lui à venir dévoiler son larcin.
Telle est du moins la croyance populaire.
2. « Abaheretsi » (du verbe guhereka, tendre des pièges
par ensorcellement) sert à désigner un deuxième groupe
de sorciers qui ont la spécialité d’enfouir en terre, dans
les bananeries et dans les champs cultivés, des charmes

400

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

et des amulettes de leur fabrication, d’où le nom d’uruhereko donné à leurs maléfices.
Malheur à ceux qui viennent marauder sur les terrains
ainsi ensorcelés. Ils restent immobiles sur place et
deviennent complètement paralysés (baragangara), sans
pouvoir faire le moindre mouvement. Le sorcier seul peut
les délivrer en prononçant des paroles cabalistiques. Le
maître d’un champ, pour sauvegarder ses récoltes,
emploie souvent la pratique suivante qui consiste à dépo­
ser sur le terrain à garder, la pierre à aiguiser, une
poignée de cendres du foyer et des lannières de cuir prises
sur un vieux tambour. S’il s’agit d’une récolte de sorgho,
notre homme lie à côté du dépôt mystique quatre tiges de
sorgho, comme pour simuler une hutte dédiée aux esprits.
Le profane qui se risquera sur la propriété sera réduit à
l’impuissance ou contractera une maladie qui le conduira
au tombeau 0).
Dans la province du Bwana-Mkali les opérateurs de ce
genre portent le nom d’ « Abakagizi » (de gukagira, empê­
cher) et leur procédé se dit urukago, empêchement.
Comme leurs autres collègues, ils cachent sous terre, à
l’entrée de la cour ou derrière la hutte, des amulettes, des
plantes à propriétés magiques, une vieille spatule de
ménage ou même la petite pierre qui sert à écraser le grain.
Celle pierre dite « ingasire » est surnommée en termes de
sorcellerie « ikinane », c’est-à-dire l’obstacle, le préserva­
tif par excellence. L ’emploi de la spatule usagée ou hors
de service a un sens mystique et une vertu magique tout
à la fois. Le voleur, qui tentera de pénétrer dans l’habita­
tion ainsi préservée, verra ses efforts réduits à l ’im puis­
sance (2). Les professionnels de ce genre se font payer
(!) Nous nous mettons à la place de l ’indigène et nous n ’entendons
nullement confirmer ses dires. Et même si l’événement venait les justi­
fier, il faudrait sans doute l ’attribuer à l’émotion, à l’autosuggestion ou
à une pure coïncidence.
(J) Cette façon d’agir rappelle l ’envoûtement par analogie.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

401

assez cher et ne réclament rien moins, comme prix de
leurs services, qu’une chèvre, un bœuf ou même une
génisse.
3. Au Gissaka, les gens croient q u’il existe des serpents
apprivoisés qui gardent les champs et les demeures de
leurs maîtres. Ces reptiles s’enroulent au cou des voleurs
pour les étouffer. Ils se mettent aussi sur les traces des
receleurs ou des larrons qu’ils suivent ju squ’au logis.
4. Les « batezi » (du verbe gutega, tendre des pièges)
sont estimés capables, d’après la crédulité publique, de
découvrir les malfaiteurs et les voleurs par le moyen d’une
méthode curieuse, qui n ’est autre que l’envoûtement par
analogie. Le volé se présente chez l’envoûteur et lui fait
cadeau d’une chèvre qui est aussitôt égorgée. Le magicien
prend alors la vessie et la gonfle d’air, pour la suspendre
ensuite au bout d’une corde fixée sous le plafond de la
hutte. Veut-on faire mourir celui qui s’est rendu coupable
de larcin, le sorcier perce la vessie ou bien coupe la corde
qui la retenait. Si le sac membraneux s’écrase à terre, le
voleur ne peut manquer de trépasser à l’instant. Il suffira
d ’aller aux nouvelles dans les environs. Toute mort subite
sera interprétée dans ce sens et attribuée au fait de l ’envoû­
tement. Le ventre de la victime doit enfler démesurément.
C’est ce que l’on appelle gubang’ agaheto, tendre un arc,
ainsi que s’expriment quelquefois les Banyarwanda quand
ils veulent faire allusion à cette manière d’ensorceler.
Si le propriétaire de l’objet volé veut faire montre
d ’indulgence, il demandera au sorcier de ne frapper que
légèrement sur la vessie, pour ne provoquer que des maux
d’entrailles chez le coupable. Inutile d’ajouter que les
Noir? ajoutent une foi absolue à ces opérations magiques
et croient avoir vu se réaliser l’événement dans un grand
nombre de cas.
5. « Abachuraguzi ». Ce mot vient du verbe guchuragura et sert à désigner une espèce de danse. Les amateurs
m èm

. in s t . r o y a l c o l o n ia l b e l g e .

26

402

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQU E

de ce genre de danse piétinent sur place. Les gens de cette
catégorie sont les vrais <( jettatori » dont le but est de
jeter un sort, « jettatura », sur leurs semblables, parce
q u’ils jalousent leur bonheur ou parce q u’ils veulent en
tirer vengeance, pour une injure vraie ou supposée. C’est
pendant la nuit q u’opèrent ces hommes néfastes. Afin de
mieux réussir dans leurs noirs desseins, les jeteurs de sorts
ne doivent avoir pour habit qu’une vieille natte, hors
d’usage (umûsâmbi). Ils vont ensuite se procurer un tibia
ou un péroné hum ain (um urundi) avec lequel ils exécu­
tent une danse macabre (guchuragura) dans la cour de
celui auquel ils veulent nuire. Ils ont à la m ain une petite
cruche remplie de charbons ardents, symbolisant la vie
de leur ennemi qui va s’éteindre. Après avoir brisé le vase
d’argile et répandu les charbons, ils jettent sur la hutte
du propriétaire une poignée de terre recueillie sur une
tombe, en prononçant à voix basse les paroles suivantes :
(( Ce ne sont pas des haricots que je veux, mais bien ta
propre vie » (Sinshak’ ibishyimbo, ichvo ndashaka n ’amagara yawe). C’est là un des maléfices réputés les plus
nocifs.
6.
« Gutam bikir’ um utam bikiro », c’est-à-dire « creu­
ser transversalement un petit fossé » dans le chemin par
où doit passer un ennemi abhorré, que l ’on veut ensor­
celer, est une autre sorte d’envoûtement par analogie.
Pour ce faire l’opérateur doit autant que possible se pro­
curer un nerf de cadavre hum ain et une lanière de bambou
ou de tout autre bois ayant servi à porter un défunt.
Il en fabrique un arc minuscule q u’il va déposer dans
le fossé préparé sur le passage de son adversaire qu’il sait
devoir venir bientôt. Le tout est recouvert de terre et de
gazon, pour n ’éveiller les soupçons de personne. Au
moment où la personne exécrée met le pied sur l’arc ainsi
disimulé, l’envoûteur caché dans les buissons ou les haies
d’alentour prononce à voix basse le mot fatidique r
« Fahva », soit pris. C’en est fait du malheureux voyageur.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

403

Pris de violentes douleurs d’entrailles, gonflé, ballonné,
il ne tardera pas à succomber dans d’horribles souffrances,
théoriquement parlant.
Cette façon d’agir est encore désignée sous le nom de
<( kubang’ agaheto » ou « guteg’ um untu agaheto », dres­
ser l’embûche de Parc.
7.
« Guteger’ um untu inkôkô », faire l ’ensorcellement
du petit poussin (sous-entendu celui dont les entrailles
n ’ont pas blanchi, iteze neza, yabay’ urutunda), est consi­
déré avec le guchuragura comme l’un des sortilèges les
plus malfaisants.
Pour l’emploi de ce sortilège, on s’adresse habituelle­
ment aux spécialistes de la divination passés maîtres en
cet art. Dans le cas où le devin, grassement payé, accepte
d’agir, son client se met en devoir de recueillir en cachette,
— car les Noirs sont soupçonneux et se défient de leurs
semblables, — un peu de salive expectorée par celui dont
il veut tirer vengeance. Précieusement recueillie dans une
feuille, cette matière visqueuse est portée au sorcier, qui
l’introduit, au moyen d ’un peu d’eau, dans le bec du
poussin q u’il va égorger.
Le devin tient tout d’abord une conversation au volatile,
afin que lui, poulet, s’arrange de façon que ses entrailles
ne « blanchissent » pas, mais deviennent « noires », afin
qu’on puisse se servir de la malfaisance attachée à cette
circonstance-là. Après avoir longuement parlé, l’opéra­
teur égorge le poulet à la façon habituelle des devins et
lave soigneusement les entrailles pour distinguer la cou­
leur spécifique (blanche ou noire) d’où dépend le sorti­
lège. Y distingue-t-on la couleur noire, l’heureux client
prend des mains du devin ce qui reste du poussin, va le
jeter subrepticement dans la hutte ou l ’enclos de son
ennemi, ou va l ’enfouir à l ’endroit préféré où ce dernier
vient s’asseoir et goûter du repos. Les effets du maléfice
ne tarderont pas à se faire sentir, le malheureux ensorcelé

404

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

mourra presque subitement, après quelques instants de
malaise.
Ce maléfice, ajoutent les Noirs, est redouté de tous;
mais ce sont surtout les nobles (Batutsi) qui l ’utilisent,
et si l’on veut réussir sûrement, il est préférable, disentils, d’employer un poussin qui soit resté l’unique survi­
vant (yonyine, ikinege) de la couvée.
Si ses entrailles noircissent au cours de l’opération divi­
natoire, il doit infailliblement « avaler » (gusama) et
« perdre » (gulata) celui dont on souhaite la mort.
8. Citons l’ensorceleur qui se sert d’une corne de vache
pour jeter le mauvais sort sur un ennemi (ihembe umulo/i alogesha).
La corne est évidée par le sorcier, qui sculpte sur la
pointe une tête de serpent. Il la remplit de toutes sortes
d’objets et d’ingrédients, crottes de différents oiseaux ou
animaux et de lambeaux de chair ayant appartenu aux
victimes q u’il a déjà faites.
9. Les monstres (ibimara), les jeunes filles aux seins
non développés (impenebere) et autres malheureux de ce
genre, sont considérés par les Banyarwanda comme « tra­
hissant en eux la présence d’un principe malfaisant ou
d’une force mystique dont l’action sera mortelle » O , tels
les « monstra » et les « portentâ » et autres porte-malheur
du temps des Romains.
Aussi pour arrêter une invasion ennemie, les Ranyarwanda avaient-ils l’habitude autrefois d’exposer ces êtres
anormaux aux coups des envahisseurs. L’effusion de ce
sang ou même seule la présence des individus de cette
catégorie était considérée comme une malédiction.
Nous n ’en finirions pas à vouloir énumérer les divers
procédés d’envoûtement et d’ensorcellement. L’im agina­
tion des Noirs est féconde au delà de toute mesure quand
il est question de ce sujet. On jugera de leur richesse en
(i) La mentalité primitive, par Levy-Bruhl, pp. 158 et ss.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

405

parcourant le récit du célèbre épisode de VInvasion des
Banyoro, aujourd’h ui devenu Chanson de gestes. On parle
dans ce récit de nombreuses incantations et de multiples
maléfices, auxquels fut attribuée la défaite finale des enva­
hisseurs.
10. Des noueurs d’aiguillettes. On ne sera pas peu
étonné d’apprendre que les Noirs aussi croient à l ’influence
néfaste des gens auxquels on attribue ce genre de méfaits.
Les opérations de cette catégorie s’appellent dans la lan­
gue du pays « kum anikir’ undi ngw ’atabyara », nouer ou
suspendre la fécondité, ou encore « kubang’ ingata », tres­
ser un coussinet d’herbes.
Ainsi que l'indique le sens étymologique de ces mots,
les noueurs d’aiguillettes essaient de se procurer chez les
gens auxquels ils veulent nuire une poignée d’herbes, de
celles (isbinge) dont on jonche le sol de la hutte.
Ils en tressent une sorte de coussinet (ingata), qui est
ensuite caché et suspendu dans la case.
Aussi longtemps que l’herbe reste nouée (dans le cous­
sinet) la maîtresse du logis n ’aura aucun espoir de devenir
mère.
Beaucoup de jeunes femmes attribuent leur stérilité à
ce maléfice.
Une poignée de cheveux dérobée à la voisine et tressée
en forme de couronne aurait le même effet. C’est ce q u’on
appelle « kum uzingirahw ’amasunzu », enrouler les che­
veux de quelqu’un.
Il suffirait encore, disent les indigènes, que les malveil­
lants aient la possibilité de s’emparer d’un de ces anneaux
de fibre végétale que les dames ou femmes de condition
portent aux jambes et le froissent entre les mains, pour
que la malheureuse devienne stérile ou meure en couches.
11. Pour tirer vengeance de l’épouse infidèle qui a
quitté le domicile conjugal, son m ari se procure la plante
connue sous le nom d ’ « uruburam adjo », dont le sens éty­

40(j

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

mologique (kubura kujya) « n ’avoir pas où aller », c’està-dire ne pas trouver de logis, indique l’emploi qu’en fait
le conjoint irrité et l ’effet q u’il en attend. Celui-ci s’en sert
pour tresser une sorte de coussinet sur lequel il doit met­
tre du beurre ou verser de l’huile de ricin, de celle qui a
appartenu à la femme infidèle. Le coussinet mystique est
caché sous une pierre; il faut l ’en retirer un mois après,
pour le déposer sous une autre pierre. Le moyen, ajoutent
les indigènes crédules, est infaillible pour créer des diffi­
cultés entre la fugitive et ses maris d’occasion. Elle sera
congédiée autant de fois que son premier époux déplacera
l’herbe magique.
B.
— Des purificateurs ou exorcistes de tous rites et des
exhumeurs ou mutileurs de cadavres. — Pour se préserver
du mauvais sort, des effets funestes qui pourraient être la
conséquence de certains événements, tels que la violation
d’un tabou, l ’incendie d ’une hutte, un assassinat, la ren­
contre d’un cadavre, d ’un animal tué ou pour échapper
aux fureurs d’un esprit déchaîné, le roi, sa Cour et ses
sujets font appel aux services de gens désignés sous le
nom d’ « Abashumburuzi », « Abahanyi b’am achum u »,
« Ababuzi », etc. Comme leurs autres collègues ès-sciences
occultes mystérieuses et magiques, ces derniers ont une
existence officielle et légale.
1.
Des Abashumburuzi, sorciers auxquels ont recours
les violateurs de tabou.
« Abashumburuzi », tel est le titre donné par les gens
du Lukiga (c’est-à-dire de la montagne) à une catégorie
de purificateurs dont la fonction est souvent la même que
celle du mugangahuzi ou préservateur de la foudre, avec
lequel on les confond souvent.
Le m ushum buruzi, si l’on s’en tient à la signification
étymologique de sa profession, passe pour avoir le pouvoir
de chasser les esprits du corps d’un malade (l). Pour ce
(l ) Umushumburuzi est le substantif du verbe gushumburura.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

407

faire il se livre à de véritables exorcismes, fait des passes
magiques sur le corps du patient, appelle les esprits par
leur nom, les supplie d’abandonner leur victime. Armé
d ’une poignée de branches d’arbustes à propriétés m agi­
ques, il les promène sur le corps du malade.
L ’esprit cause de la maladie se réfugie dans le balai sym­
bolique. Il ne reste plus à l’opérateur que d’aller déposer
au loin sur un carrefour son instrument chasse-esprit...
Mais malheur au passant qui n ’aperçoit pas à temps la
demeure ambulante de l ’esprit malfaisant toujours en
quête d’une nouvelle victime. Ils ont en outre, d’après la
crédulité populaire, le pouvoir de détourner le malheur
ou le châtiment qui suit la violation, tout involontaire
soit-elle, d’un tabou quelconque, d’une dérogation aux
usages reçus, d’un manquement aux traditions et même
l ’apparition de toute chose ou événement extraordinaire.
La naissance d’un monstre, la croissance prodigieuse
d ’un fruit ou d’une plante, etc., peuvent nuire à celui qui
en est le père ou le propriétaire.
Ce qui est insolite est une révélation pour le Noir; il n ’y
a rien de fortuit et ce qui sort tant soit peu de l ’ordinaire
manifeste l ’action des puissances occultes. Après la ren­
contre ou l’observation de tels présages porte-malheur le
Munyarwanda éprouve le besoin, pour qu’il ne lui arrive
point malheur, de subir une purification comme pour une
violation de tabous. Et c’est dans ce sens q u’il assimile la
rencontre des présages défavorables à une dérogation aux
usages ancestraux.
Nombreuses sont les prescriptions et les coutumes dont
l’infraction purement matérielle entraîne avec elle des con­
séquences fâcheuses, par exemple, une maladie détermi­
née ou même la mort. Parmi les interdictions et les pro­
hibitions il en est qui s’adressent à tout le monde, à un
clan ou à l’autre, aux femmes seules ou au roi. Les per­
sonnes qui sont en deuil ou celles qui se trouvent dans
d ’autres circonstances particulières doivent respecter

408

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

maints tabous, en s’abstenant d ’un grand nombre d’actes.
L ’interdiction porte fréquemment sur un objet, un ani­
mal auquel ou ue peut toucher ou dont on ne peut manger
et sur lequel le regard ne doit pas se poser.
Il y a aussi des tabous de jours, c’est-à-dire des défenses
de se livrer à certaines occupations et cela à des dates déter­
minées.
Multiples sont les tabous à la violation desquels est expo­
sée une femme durant sa grossesse. La vue d’une barque
l’expose à mettre au monde un enfant dont les lèvres seront
en pointe comme la proue de l’embarcation.
La rencontre d’un anim al tué, chien, sanglier, loutre,
l’expose à donner le jo ur à un enfant mort ou couvert de
plaies, comme celles q u’elle a remarqué sur les cadavres.
La vue d’un homme mis à mort ou simplement lié l’expose
au même malheur, ainsi que l’incendie d ’une hutte.
L ’aspect de l ’arme qui a servi à tuer entraîne les mêmes
conséquences.
II est facile de voir par ces cas combien le recours à ces
sories de purifications est fréquent (*).
Les rites de purification varient selon les cas, les per­
sonnes et le sorcier lui-même. Mais presque toujours
celui-ci verse à boire sur la m ain de l ’intéressé quelques
gouttes d’un liquide (issubjo) dans lequel il a mélangé le
jus de certaines plantes à vertu magique qui ont la pro­
priété de guérir de tous les maux.
(!) Les violateurs de tabou, dans certains cas, n ’ont pas besoin de
s’adresser aux hommes de l ’art, ils peuvent se purifier eux-mêmes par
un moyen bien simple.
Dans le cas où une femme en état de grossesse aurait rencontré une
arme meurtrière, un prisonnier lié, un serpent tué ou tout autre objet
tabou, elle doit se procurer aussitôt quelques-unes de ces herbes ou de
ces feuilles à propriété magique, qui sont d’un usage courant. Elle leur
fera toucher le cadavre, le lien et les écrasera ensuite pour boire le jus
ou respirer le parfum qui s’en dégage. A défaut même de plantes, elle
met d’abord la main sur ce qui fait l’objet du tabou et la porte ensuite
sur son front, esquissant une sorte de signe de croix. C’est ce que l ’abbé
A. B ros appelle des « opérations de magie imitative » (Beligion des
Peuples non civilisés, p. 72).

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Tabous

et

409

présages.

Les tabous (imiziro) et les présages bons ou mauvais
sont innombrables. Il faut se lim iter à quelques échantil­
lons que nous donnons ici sans tenir aucun compte de leur
classement rationnel, estimé difficile à juste titre.
L ’apparition d’un présage mauvais ou la violation d’un
tabou expose les Banyarwanda à des malheurs plus ou
moins grands selon l’importance de l’infraction, q u’elle
soit volontaire ou non.
On sait qu’il n ’est pas facile de donner une définition
exacte du tabou tant la matière qui en fait l’objet est vaste
et étendue.
Le tabou n ’est pas seulement le respect à caractère obli­
gatoire dû aux coutumes et aux usages reçus, ni l ’obser­
vance des prescriptions sacrées, il désigne encore un
ensemble de prohibitions et d’interdictions prononcées sur
un objet ou un animal, auquel on ne peut toucher, dont
on ne peut pas manger et sur lequel le regard aussi ne doit
pas se porter (1).
Ce qui est tabou pour l ’un, ne l ’est pas pour l ’autre.
Pour ce qui est des tabous d’animaux dont la chair est
impure et ne peut être mangée, la règle n ’est pas la même
pour tous.
La chair de tous les animaux — à la seule exception des
vaches — est interdite aux femmes.
Le mouton est tabou pour quelques clans, tandis que
c’est la chèvre qui l’est pour d’autres.
Les poissons, les sangliers sont défendus aux Banyar­
wanda, à l ’exception des riverains et des chasseurs. Les
lièvres, les perdrix, les canards, les pintades rentrent dans
la catégorie des animaux impurs (2).
(!) Ajoutons que, dans certains cas, présages et tabous se confondent
dans l ’esprit des Noirs, comme il a été dit plus haut.
(2) Les enfants en mangent quelquefois en cachette.

410

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

La mort d’un membre de la famille rend tabous les
vivres qui sont restés dans la case, ainsi que les objets ou
ustensiles qui lui appartenaient en propre. Ceux-ci peu­
vent être purifiés par le moyen de l ’eau lustrale.
Même le veuf ou la veuve deviennent tabous par la mort
du conjoint et doivent subir les rites de la purification.
Le cohabitation entre époux devient tabou à la mort
d ’un parent rapproché, du roi, de la reine-mère, et cela
durant un laps de temps qui varie selon l’importance du
défunt.
Ces mêmes relations conjugales sont interdites dans cer­
taines circonstances prévues par l ’usage ou la tradition, à
l ’occasion, par exemple, d’une demande subreptice en
mariage (*).
Dans les deux cas qui précèdent la règle exige q u ’on isole
des troupeaux domestiques, le taureau, le bouc, le bélier et
même le coq !
Tout travail de culture est interdit à l’occasion des funé­
railles, ainsi que dans les cas suivants : quand la foudre
est tombée dans la cour ou sur la hutte, à la naissance d ’un
fils, à la mort d’un chien, à l’incendie d ’une case, à la
chute de la grêle. Le travail n ’est prohibé que durant un
jour, dans ces circonstances-là.
Une femme et un vacher ne peuvent toucher à la bouil­
lie de sorgho, quand celle-ci est encore sur la spatule
(umwuko) de ménage. A vouloir enfreindre cette prohibi­
tion une femme s’exposerait à n ’avoir que des filles.
Quant au gardien ou propriétaire d’un troupeau, il souf­
frirait aussi dans ses biens de cette infraction aux cou­
tumes (2).
f1) Pour obliger les parents à céder leur fille en mariage, il suffit
qu’un individu s’introduise dans la case en prétextant un motif quel­
conque et dépose en cachette un de ses bracelets. Après avoir pris congé
des gens de la maison il crie de loin : « Prenez soin de l'objet que j ’ai
laissé ». Les parents de la jeune fille se croient obligés de la lui donner,
pour s’éviter des malheurs.
(2) Ses vaches ne lui donneraient que des veaux mâles.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

411

Un mari, pour battre sa femme, ne doit pas se servir de
ce même ustensile de cuisine ! Il courrait le danger d’y
perdre la vie.
L ’inobservance de la plupart des coutumes qui sont de
règle, lors de la célébration d’un mariage, expose les
parents des deux conjoints à la maladie ou à la mort.
Questionnés sur leur nom, les enfants, les jeunes gens
et les jeunes filles ne répondent pas ou donnent un faux
nom, de crainte que l’étranger ne leur jette un mauvais
sort et les empêche de grandir.
Une femme qui a ses époques ne doit pas s’aventurer
dans la hutte où se trouve un nouveau-né, sinon elle fait
contracter la gale à ce dernier. D ’où l’habitude de mettre
au cou des bébés un bracelet en fil de cuivre (urunyerere,
ou urw injiri) comme talisman et remède préventif.
Le roi ne doit jamais plier les genoux, pour ne pas expo­
ser son royaume à dim inuer d’étendue.
Le père ne peut enjamber la peau qui sert de berceau
portatif (ingobyi) à son enfant, ni un fils la ceinture de sa
mère.
Une femme ne peut passer par-dessus une lance, ni
traire les vaches, ni recouvrir le toit d ’une hutte, ni im i­
ter (!) le chant du coq, etc.
Il est interdit de s’asseoir sur un panier de nourriture.
S’il tonne, il ne faut pas fumer la pipe quand on est
assis sur une chaise.
Nul ne peut se reposer sur une peau de mouton, sous
peine de contracter la gale (ngo badahumana). Il y a dan­
ger de mort à transporter dans la demeure d’autrui la
pierre à aiguiser (itvazo).
Il y a défense expresse de tuer certains oiseaux et cer­
tains reptiles, non seulement parce que totem, mais aussi
parce q u’ils sont considérés tantôt comme porte-bonheur
pour le pays, telle la bergeronnette (invamanza), et tantôt
comme porte-malheur, tel le pangolin, dont le cadavre
pourrait attirer de grands maux sur le territoire.

412

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Le voyageur qui heurte le pied gauche contre un obsta­
cle ou qui fait la rencontre d ’un rat à la peau légèrement
bigarrée (umushushwe), doit retourner à la maison, sinon
il lui arrivera malheur.
Si l’on trouve des fourmis noires (intozi) sur son che­
m in, il faut passer la m ain sur le pied, comme pour faire
le geste de les enlever, sinon elles envahiront la case de
l ’individu.
Une femme en état de grossesse ne doit pas voir un
Européen, ni s’exposer à entendre tirer un coup de fusil,
sinon l’enfant qui naîtra d’elle en souffrira 0).
Une mère qui n ’a enfanté que des garçons ne doit pas
donner le sein à la fille d’une autre, sinon elle s’expose
désormais à n ’enfanter que des filles.
Un fiancé ne doit pas se rencontrer avec sa fiancée ni
avec sa belle-mère avant le mariage (2). Le roi, autrefois,
ne pouvait voir ses fils, du moins en théorie, car il est
prouvé que les derniers princes ont souvent manqué à
cette règle.
Si le fabricant de vin de bananes vient à souffleter quel­
qu’un, pendant qu’il est en train d’écraser ces fruits,
il peut courir le risque de contracter la maladie des dartres
(guhum ana).
Une femme occupée à pétrir le pain de sorgho, doit
garder le silence. Un chien ou une poule viendraient-ils
à souiller le sol de la hutte, il lui est interdit de quitter son
travail pour nettoyer la place, sous peine de voir diminuer
le pain.
Si le régime de bananes commence à m û rir par le bas,
le propriétaire de la bananerie s’en émeut. C’est signe
qu’un danger le menace.
(1) Pour neutraliser cette influence il suffit qu’elle puisse se procurer
une douille de fusil, un bout de papier ou même un morceau de tuile,
de brique, de n ’importe quel objet de provenance européenne et de le
porter au cou en guise d’amulette ou de talisman. L’enfant naîtra
indemne de tout mal.
(2) Cf. « Cérémonies du mariage », par le P. Pagès (Anthropos. 1925).

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

413

Une grue huppée qui se perche sur le sommet de la
case, un chien, une chèvre, un mouton qui réussiraient à
grimper sur la hutte sont l’annonce certaine de malheurs
prochains.
11 est rigoureusement défendu de tuer la grue huppée,
le corbeau, la bergeronnette, le lézard, la grenouille, le
crapaud.
Les parents d’un nouveau marié ne peuvent partager
ses repas, s’ils ne commencent d ’abord par faire cuire un
régime de bananes dans la maison du jeune homme. La
maladie des dartres est le châtiment de cette transgression.
Une femme qui vient de mettre au monde un enfant,
doit veiller à ne pas laisser se perdre le cordon ombilical
du nouveau-né. S’il y avait de la nourriture dans la hutte
au moment de l’enfantement, il n ’est pas permis à la mère
d ’y toucher. Elle payerait la violation de ce tabou par
l’atteinte d’une maladie (guhumana).
Le père d’un bébé dont les dents n ’ont pas encore
poussé, ne peut prendre une nouvelle épouse, sans faire
courir le risque à l’enfant de contracter la maladie des
terribles dartres (amahumane).
Un enfant veut-il occuper la chaise que vient de quitter
l ’auteur de ses jours, doit y mettre d’abord un peu de
paille. A vouloir agir autrement, il s’exposerait à la malé­
diction de son père.
11 n ’est pas permis aux enfants de s’appuyer sur le pilier
qui est réservé au chef de la famille et cela aussi pour
raison de convenance.
Le propriétaire d’un veau dont le sabot ne compte qu’un
doigt, à la suite d ’une déformation congénitale, ne peut
égorger la bête que chez lui. Il est interdit de manger la
viande ailleurs; elle doit être consommée sur place, avec
du pain de sorgho q u’apporte chaque convive. A la fin du
repas les invités se lavent les mains dans la cour et non
en dehors.
Une chèvre qui s’assied... sur son séant doit être égorgée

414

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

ou vendue aussitôt, pour q u’il n ’arrive pas malheur aux
occupants de la hutte.
Un chasseur de « feli-cervaline » (chat-tigre) se garde de
faire trop de victimes parm i ces carnassiers, pour ne pas
s’exposer à quelque chose de fâcheux. Le paysan qui bat
des haricots en gousse s’arrange de façon que personne ne
vienne au-dessus de son aire pendant q u’il est occupé à son
travail.
Il éprouverait la surprise de voir sa provision de haricots
dim inuer si un passant s’arrêtait intempestivement face à
lui.
Une jeune fille ne peut prendre le chem in que suivent
les vaches pendant que se déroulent les pourparlers des
fiançailles. Il faut q u ’elle suive un autre sentier, pour ne
pas s’exposer à la stérilité.
La case une fois terminée et couverte de chaume,
il appartient à la femme du propriétaire du logis d’y
apporter de ses propres mains la spatule de ménage, qui
d’après les coutumes du pays est son arme symbolique à
elle, sa sauvegarde. L ’observation de ce rite lui vaudra de
ne pas être expulsée de la hutte et de vivre en bons termes
avec son mari.
Oublier son bâton chez un voisin devient une source
d’ennuis; il est à craindre qu’on ne s’en serve pour faire
des opérations de magie dont pâtira le propriétaire de
l'ob jet oublié.
Votre cœur bat-il à se rompre dans la poitrine, c’est
signe qu’on parle mal de vous quelque part.
Êtes-vous oppressé, ressentez-vous un malaise à l ’esto­
mac, c’est signe que votre belle-sœur se trouve dans un
état intéressant et deviendra mère.
Une démangeaison à la place où fut prise la goutte de
sang qui servit à sceller le contrat d’amitié, est l’annonce
certaine de la mort du frère de sang.
Pour faire gagner son procès à un plaideur, les parents
de celui-ci entourent sa chaise d’une tige de « mwishwa ».

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

415

Durant l'instruction de sa cause, un membre de la famille
prend place sur le siège et se met à balayer tout autour,
comme pour écarter le mauvais sort. Pour être plus sûr
de la réussite de l ’affaire, on place encore sous le même
siège la pierre à aiguiser (itvazo), qui, en termes de sor­
cellerie, se dit « obstacle » (ikinanira). Cet acte symbo­
lique a la propriété d’enlever toute valeur aux témoi­
gnages et aux dépositions de la partie adverse. « Leurs
paroles passeront comme le vent » (amagambo yabo azahita n k ’ umuyaga), ajoute la croyance populaire.
Le plaignant doit de son côté s’abstenir de la bière faite
des bananes de l’espèce dite « iginyam biba » ou « igihuna ». Grâce à ces précautions il peut réunir toutes les
chances de succès.
11 existe aussi des plantes et des arbustes tabous. Le
mwange (umwange) est un végétal au nom symbolique
et significatif dérivé d’un verbe (kwanga), qui veut dire
haïr, détester, ne pas aimer. Les jeunes filles ne doivent
jamais y toucher quand elles vont cueillir des brindilles
sèches ou du bois mort pour l ’entretien du foyer, sous
peine de... coiffer sainte Catherine. Seules les vieilles
femmes n ’en ont plus peur et ne se font pas faute de les
utiliser pour les besoins de la cuisine 0).
2.
— « Des purificateurs de lance » (abahanyi b ’ amachumu) et de leurs exorcismes.
Le mot um uhanyi, au pluriel abahanyi, vient du verbe
guhana, qui veut dire punir, réprimander, dans le sens
strict. Ce n ’est q u’au sens figuré qu’il signifie purifier.
On se sert du mot guhanula pour désigner l’accomplisse­
ment des rites de la purification.
(i) Les Noirs font grand cas des plantes à propriétés magiques. Il
serait facile d’en dresser une liste longuement chargée. On pourrait en
faire une étude à part, vu le nombre et l ’importance des croyances popu­
laires en rapport avec le monde végétal. « Les herbes les plus humbles,
dit P. Siébillot, jusqu’aux arbres géants jouent un rôle qui depuis de
longues années a préoccupé les savants. » [Le Folklore.)

416

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Le purificateur de lance exerce ses fonctions à l’occasion
d ’un meurtre ou d ’un assassinat.
Il est appelé par les parents de la victime pour
donner satisfaction au mort et aux membres de sa famille,
afin de les aider par ses pratiques mystérieuses à obtenir
justice pour le sang versé.
Il purifie la lance ovi l’arme meurtrière, dans le but de
prévenir ou d’arrêter les conséquences funestes que le
meurtre ne manquerait pas d ’entraîner pour les proches
du défunt. Ceux-ci, en effet, craignant de subir le même
sort que leur parent tué, font appel au sorcier. Ce dernier
opère souvent en même temps, quand il ne se confond
pas avec lui, avec l’évocateur d ’esprit (umushyitsi, umuhamagazi), qui a pareillement un rôle à remplir à cette
occasion. Entre autres rites, car nous n ’avons pas la pré­
tention de les développer tous, ils seraient mieux à leur
place dans une étude exclusivement réservée aux céré­
monies des funérailles, nous ne citons que ceux qui appar­
tiennent au rôle et à la fonction du purificateur de lance.
L’arme doit être « punie » et « purifiée » tout à la fois.
S’agit-il d’une lance que l ’on a réussi à se procurer, le
sorcier la démanche. Le fer de lance est mis de côté, on
brise la pointe ferrée (umuhunda) et l’on détache quelques
raclures de bois de la hampe (uruti); on dépose ces débris
dans une petite calebasse du genre dit idegede 0). A défaut
de l’arme meurtrière, le purificateur opère sur une autre
arme semblable, mais usagée. On remplit ensuite de bière
la gourde, qui, à cause de l ’usage mystique qui en est fait
et des raclures qui y ont été mises, porte le nom d’« akabatongera » en termes de sorcellerie. Les parents présents
boivent une gorgée de ce pombe. La calebasse où se
trouvent les raclures et le fer de lance est ensuite confiée
à un étranger (umuse) au clan ou à la famille, qui va la
(!) La famille ne pourra désormais plus manger de cette espèce de
courge. (« La Mentalité primitive », op. cit., p. 293.)

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

417

cacher dans un endroit écarté, dans un fourré, une grotte
ou excavation quelconque. On agit de même avec tout
autre instrument : flèche, sabre, couteau, qui aurait servi
à perpétrer le crime.
... (t Une pratique de ce genre, dit M. Levy-Bruhl, est
à peu près universelle dans les tribus africaines.
» On accomplit ces cérémonies parce qu’on a l’idée que
l’arme porte avec elle le malheur ou la fatalité; il en est
ainsi chez les Akamba. Selon eux, l ’arme qui a une fois
servi à un meurtre continue à être l’instrument de nou­
velles morts; mais il n ’y a ni cérémonie, ni charme, ni
magie qui puisse venir à bout de sa vertu funeste : elle
continuera indéfiniment à tuer par la main de son maître,
quoi qu’il fasse. Puisqu’il n ’y a pas moyen de se débar­
rasser de cette malédiction, le Mkamba a recours à la ruse;
il posera l’arme sur un sentier ou une place où un passant
aura des chances de l’apercevoir. Une fois qu’il l’aura
ramassée, l’influence funeste de l'arme tombe sur lui et
son premier possesseur en est délivré... (’) ».
Dans certains clans le sorcier-purificateur introduit les
raclures dans une patate douce qu’il donne à manger à
une chèvre. Celle-ci est vendue au loin, à des étrangers
auxquels on laisse la malédiction attachée à l’arme qui
avait servi à perpétrer le meurtre. Le prix de la bête, qui
était autrefois payé en nature (pioches, pois, haricots,
sorgho, etc.), était abandonné ou jeté. La famille de la
victime estimait par là se délivrer complètement du m au­
vais sort qui lui était échu de par la mort violente d’un
de ses membres.
Pour calmer l’esprit du défunt, durant les cérémonies
des funérailles, un jeune homme de la parenté est choisi
pour le venger. 11 doit se procurer une lance neuve que
(i) Un Munyarwanda se gardera bien de recueillir ces armes maudites,
dont il ne peut ignorer l ’origine ni l ’usage qui en a été fait. La malédic­
tion qui leur est attachée et la crainte qu’elles lui inspirent, lui fera
passer «on chemin sans qu’il jette sur elles un regard de convoitise.

MEM INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

27

418

UN

ROYAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

le sorcier-purificateur ou son collègue l’« évocateur des
esprits » lui prend des mains, pour couper en deux une
plante à vertu mystérieuse dite irago ou umurago : « J ’ai
« coupé » la tribu des meurtriers, ajoute-t-il; qu’ils en
meurent tous. » Puis s’adressant au défunt ; « Voilà la
lance qui te vengera, donne-lui l’occasion et la facilité
d ’exercer la vendetta. »
Le cadavre est, selon les coutumes propres à chaque
clan, exposé sur une colline déserte ou enfoui au loin
dans la brousse, dans les anfractuosités de rocher ou
enterré près du village ou môme dans la cour.
Dans ce dernier cas, on plante avec ses racines l’« irago »
ou à son défaut le « murago » qui pousse dans les marais.
Au bout d’un an environ, le sorcier revient couper cette
plante, comme il avait déjà fait une première fois. On
immole ensuite une chèvre.
Le purificateur prend du sang de cette oblation et en
asperge la fosse en disant : « Que ce sang fasse périr toute
la famille de l ’assassin. »
Le meurtrier, à son tour, se préoccupe des conséquences
de son acte. Aussi fait-il appel, lui aussi, aux mêmes
opérateurs de ce genre, pour détourner la vengeance et la
malédiction qu’il a attirées sur sa personne et sur sa
parenté.
Le rival du sorcier précédent prend un roseau q u’il
fend sur toute sa longueur, sans toutefois séparer com­
plètement les extrémités. Il en écarte les deux branches
qui sont fixées en terre. Le coupable et les membres de sa
famille passent sous ce pont d’un nouveau genre. L’opéra­
teur reprend le roseau dont il rejoint les deux parties et le
rejette au loin en disant : « J ’ai chassé l’esprit (du défunt)
qui te poursuivait. » Conduisant ensuite son client à un
carrefour, il l ’asperge de quelques gouttes d’un liquide de
sa fabrication, dans la composition duquel entre le jus de
certaines plantes.
Se tenant ensuite dos à dos avec son protégé, le sorcier

UN

ROYAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

419

lui glisse dans les mains des amulettes q u’il devra porter
au cou : « De même que nous ne pouvons nous voir,
ajoute le préservateur des maléfices, puisse l’esprit de
celui que tu as tué ne jamais t’apercevoir (te rencontrer). »
11 le l'ait ensuite coucher de tout son long. Prenant une
sorte de balai (urutsiro) où sont réunies des plantes à.
propriétés magiques, il le promène sur le corps de l’in d i­
vidu : « Ndagushumburuye, j ’ai fais partir l’esprit de
celui qui te poursuivait », ajoute-t-il.
L’opération a toute chance de réussite si le meurtrier
arrive par ses présents à utiliser les services du sorcier
qui a « travaillé » pour la victime et ses parents.
3.
— Des « exhumeurs et mutileurs de cadavres »
(ababûzi), du mot kwabûra, exhumer un cadavre.
On a recours à eux dans deux cas; quand il s’agit d’un
criminel qui a été exécuté et dont on veut empêcher
l ’esprit de nuire aux vivants, c’est-à-dire à ceux qui l’ont
immolé. 11 en sera parlé plus loin, dans le cours de ce
même travail.
Le deuxième cas est le suivant : Le meurtrier, un
homme du commun, q u ’il ait assassiné volontairement ou
involontairement, veut, à son tour, se prém unir contre
l’irascibilité de l’esprit de sa victime. Pour cela il fait
appel à un de ces exhumeurs de cadavres, qui lui aide à
se procurer le corps du tué, ce qui n ’est pas toujours
facile. Il s’agit alors de mutiler le cadavre pour en chasser
l’esprit. Le sorcier mutilateur coupe une infime partie
(isonga) de la langue, du cœur, du petit doigt (umuhera)
et de la peau, que l’on fait dessécher au-dessus du foyer.
Le tout est ensuite renfermé dans une petite corne de
couleur noire, si possible, que l’assassin porte au cou
comme un talisman, qui le mettra non seulement à l ’abri
des coups de sa victime, mais aussi de ceux de ses parents.
Il y a avantage aussi à s’emparer de l ’herbe dite « irago »
ou « umurago », plantée sur la fosse du tué.

420

UN

ROYAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

En l ’ajoutant aux autres débris macabres que contient
la corne, le talisman devient plus puissant.
Ajoutons que les services rendus par ces sortes de per­
sonnages se paient très cher, un taureau pour le moins.
C.
— Des sorciers qui président aux ordalies et qui pré­
parent les poisons d’épreuve. — Les sorciers de cette série
portent le nom d ’« Abashozi », d’où les verbes « gushora »,
faire subir l’épreuve à quelqu’un et « guslioka » (verbe
neutre) pour désigner l’épreuve elle-même.
Il semble bien q u’ici, dans le Rwanda, les ordalies ne
soient employées q u’en matière criminelle et que leur
seul objet est de démontrer l’innocence ou la culpabilité
de ceux qui s’y soumettent, comme il en était autrefois au
moyen âge. Nos Noirs ont une telle foi, une telle confiance
dans ces sortes de procédures judiciaires, q u’ils croient à
leur efficacité absolue. Ils n ’ont jamais songé à l ’absurdité
de ces épreuves divinatoires dans lesquelles le hasard et
la fraude jouent un rôle prépondérant.
Nombreuses sont ces épreuves, mais la plus courante
est celle qui consiste à boire ou à fumer l’« urwizilinga »,
espèce d’arbuste qui paraît avoir une certaine ressem­
blance, au moins extérieure, avec le datura C). En tous cas
leurs effets se ressemblent.
Le fabricant du poison d’épreuve l’utilise habituelle­
ment, sous forme de poudre q u’il fait boire avec de l’eau
ou q u’il mélange au tabac d’une pipe. Les accusés, hom ­
mes ou femmes, doivent tirer deux ou trois bouffées de
cette dernière. Le résultat ne se fait pas attendre; l ’un ou
l ’autre des fumeurs, ou même plusieurs à la fois, sont
atteints presque aussitôt d’une vraie folie (kussàra) qui
leur enlève l ’usage de la raison et qui peut durer quelque­
(i)
Presque dans tout le reste de l'Afrique on administre comme
poison d’épreuve le « moavi ». Il ne semble pas que cette plante existe
dans le Rwanda. La chose toutefois vaudrait la peine d’être tirée au
clair.

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421

fois près d’un mois, comme nous avons constaté le cas.
Le malheureux mange ou porte à ses lèvres tout ce qu’il
trouve sur son passage, sans en voir le côté incompatible
ou même répugnant (amabyi !).
Il se dépouille de ses vêtements, une mère jette son
enfant et s’en va déraisonnant ou gesticulant comme une
vraie démente.
L’intoxiqué se met ensuite à dormir, mais d’un som­
meil rempli de cauchemars. Il rêve tout haut et parle des
fantômes ou des animaux sauvages q u’il croit voir... Bref,
il se rend fort pénible à son entourage. N’y aurait-il pas
là un simple cas d’autosuggestion, dont les exemples sont
fréquents parmi les Noirs?
Si dès le début de son mal, le patient avoue sa culpa­
bilité et demande grâce, le même sorcier lui administre
un contrepoison, une autre poudre végétale mélangée à
un peu de « chlorure de sodium liquide » (inkari!), qui
neutralise aussitôt les effets funestes du rwizilinga. Les
Batutsi savent aussi q u’en pareil cas il est bon de faire
prendre du lait frais à ceux qui ont bu le poison.
Nous avons connu un cas où près de dix personnes se
soumirent bénévolement à cette épreuve. Deux seulement
en subirent les atteintes. Elles furent jugées coupables
séance tenante. Or, le vrai coupable fut découvert quelque
temps après. Il n ’avait pas été soumis à l ’ordalie.
N’empêche, le public continue à vanter les avantages
du procédé judiciaire. On a même, à cette occasion,
raconté des choses surprenantes, mais totalement fausses,
qui ne font que relever le prestige des sorciers (x).
t1) « L’Européen ne peut pas s’empêcher de tenir compte, avant tout,
des effets physiologiques du poison. Par suite, les résultats de l ’épreuve
varieront pour lui en fonction de la violence et de la quantité de la
drogue introduite dans l ’organisme. Suffisamment forte, la dose aura
toujours raison de celui qui l ’avale, qu’il soit coupable ou innocent; insi­
gnifiante, elle ne fera aucun mal au pire scélérat. Le Blanc trouve extra­
ordinaire que l ’indigène ferme les yeux à des truismes si simples.
» Mais le point de vue d’où les Noirs jugent est tout différent. L’idée de

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Plein de confiance, sûr de son innocence et crédule à
l ’excès, l’indigène ferme totalement les yeux sur les super­
cheries de l’opérateur, qui appelle les accusés à tour de
rôle, les uns après les autres, dans une case ou dans un
endroit un peu écarté. Que de crimes et d’injustices ont été
commis par ces docteurs ès sciences occultes !
A utres

épreuves

j u d ic ia ir e s .

A.
— L'épreuve du tambour. — On frotte de bouse
de vache la surface d’un tambour et l’on y verse un peu
d ’eau que l’inculpé reçoit dans les mains pour la porter
à ses lèvres, pendant que celui qui préside l’ordalie crie à
haute voix : « Que les ombres des défunts et que les esprits
des initiés (à la secte de Ryangombe) restent à l’écart du
jugement; quant à toi, sois soumis à la seule influence de
l ’épreuve ! »
L’accusé est-il coupable, il doit, « en principe », souffrir
et mourir dans d’atroces douleurs d’entrailles, après s’être
soumis à l’épreuve.
ce que nous appelons poison n’est pas nettement définie dans leur esprit.
Sans doute ils savent par expérience que certaines décoctions peuvent
tuer qui les boit. Néanmoins ils ignorent le mécanisme de l’empoisonne­
ment, et ils ne cherchent pas à Te connaître; ils ne soupçonnent même
pas qu’il existe. Selon eux, si ces décoctions peuvent être mortelles, c’est
parce qu’elles sont le véhicule de forces mystiques, comme les remèdes
qu’ils emploient dans les maladies, et dont toute l ’efficacité s’explique
ainsi... Les Noirs ne conçoivent pas les propriétés positives du poison
d’épreuve; ils ne pensent qu’à sa vertu mystique et immédiate... C’est une
sorte de réactif mystique, et comme tel, infaillible.
» L’indigène en est si convaincu que souvent il ne prendra aucune pré­
caution avant de subir l ’épreuve. Il n ’usera pas du droit qu’il a de sur­
veiller la préparation du poison, il n’examinera pas la dose pour voir
si elle n’est pas trop considérable, le liquide trop épais, etc... A quoi bon
puisque le breuvage n’agit pas matériellement, pour ainsi dire, mais
spirituellement ? Qu’on en avale un peu plus ou un peu moins, il
n'importe. Ce n ’est pas de cela que dépend le résulat de l ’épreuve.
... » Telle est la foi que l’on a dans l’ordalie, que les indigènes regar­
dent comme un détail sans importance que le poison soit broyé par
celui-ci ou celui-là. » ( L e v y - B r u h i., La Mentalité primitive, pp. 250 et 251.)

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B. — L’épreuve de la clochette. — Cette épreuve consiste
à faire boire aux inculpés l’eau dans laquelle on a plongé
une sonnette un instant : « Puisse ce breuvage, prononce
le juge, vous donner la mort, si vous êtes accusés à juste
titre. » — « Que j ’expire, dit à tour de rôle chacun des
prévenus, si j ’ai menti! » Une maladie pareille à la lèpre
couvrira le corps du parjure.
C. — L ’ordalie dite du « panier de joncs » (urutete). —
Il s’agit d’une sorte de panier fait de joncs ou de tiges de
papyrus laissant entre les grossières mailles des intervalles
d’un à deux centimètres. L’accusé s’assied à même sur le
panier, ayant en m ain le sabre, insigne usuel de Ryan­
gombe. Les assistants fixent leur lance en terre, la tige
en bas, autour de l’homme et du siège improvisé. On
apporte une poignée d’herbes du genre « ishinge », que
l’on range auprès du panier : « Si je suis coupable, dit
l’homme, que je devienne la proie de ces lances; j ’en
appelle à toi, Byangombe le roi des initiés! Je m ’engage
si mon innocence n ’est pas reconnue, à t’offrir autant de
vaches qu’il y a d ’ouvertures (d’yeux) dans ce panier et
de brins d’herbe dans ce bouquet. »
D. — L’ordalie de la serpe chauffée à blanc. — L’inculpé
met de la salive sur l’instrument, que l’on place au-dessus
d ’un foyer installé dans la cour.
Les assistants, pour aviver la flamme du brasier, se
servent d’un van. Celui qui préside l’épreuve demande,
comme précédemment, aux esprits des défunts de ne pas
se mêler de l’affaire et de laisser l’épreuve suivre son
cours. Si la serpe passe au rouge, l’innocence de l’individu
est proclamée.
E. — L’épreuve du « bout de fer ». — Deux lances sont
fixées en terre, sur la place publique. Dans l’intervalle
qui les sépare on place une cruche en terre cuite ou un
vase en bois dans lequel on prépare un breuvage composé

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d’ingrédients disparates et répugnants. Bouse de vache,
crottes d’oiseaux et d’animaux (grue huppée, corbeau, etc.),
miel et bière, feuilles de certaines plantes (l’arbre à ricin,
isenyanguzi), etc., hachées dans le liquide, tels sont les
éléments de la boisson préparée pour ce jugement de
Dieu.
On jette dans le récipient un petit bout de fer,
« kadigi », auquel 011 prête un effet magique. La gravité
et la solennité sont de règle dans ces sortes de séances. Un
chalumeau est présenté aux inculpés qui s’ingurgitent le
poison. Les uns en sont incommodés et deviennent sérieu­
sement malades, landis que les autres peuvent se « soula­
ger » presque aussitôt, ce qui prouve leur innocence.
F. — L ’épreuve du poussin. — On donne aux inculpés
un petit poussin qui vient de naître. Chacun d’eux doit le
conserver à la m ain, sous la surveillance de gardiens, qui
doivent empêcher les supercheries et les infractions à la
procédure. Le poussin qui résiste le plus longtemps au
manque de nourriture (un jo ur et une nuit environ) pro­
clame « à sa façon » l ’honnêteté de son heureux posses­
seur.
G. — L'épreuve de l'eau bouillante, si connue et si pra­
tiquée au moyen âge. — Le procédé est le même. Le nom ­
bre et la qualité des ordalies varient dans les provinces du
Bwanda. Nombre d’entre elles ont été empruntées aux
pays voisins, avec lesquels les Banyarwanda entretiennent
des relations fréquentes.
Jusqu’ici plaignants et plaigneurs y recouraient fré­
quemment. L’introduction des tribunaux européens a
porté un coup mortel à ces sortes d’épreuves que l’on
trouve au début de toute civilisation.

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425

CHAPI TRE III
Des faiseurs de pluie ou tempestaires (ababvubyi). — Des
préservateurs de la foudre (abagangahuzi). — Des dévas­
tateurs des récoltes et des champs (abahoryo).

Les services de ces personnages sont des plus appréciés
et des plus lucratifs aussi, grâce à la crédulité des gens.
Ils vivent rarement à la capitale, ou n ’v viennent que par
intermittence, quand ils sont expressément convoqués.
Les dangers dont ils étaient autrefois menacés, en temps
de sécheresse, n ’étaient pas faits pour les y attirer.
Avant de parler de leurs fonctions, nous estimons utile
de donner les mois et les saisons indigènes avec les expli­
cations succinctes qui s’y rapportent. On comprendra
mieux alors l ’importance de ces personnages parmi leurs
compatriotes qu’ils grugent sans vergogne.
PREMIERE PARTIE
T a b le a u

des

m ois,

des

sa ison s et des p rin c ip a le s p lu ie s.

I. — Mois







Nzeri ............
Okwakira . . .
Ogushingo . .
Okuboza . . . .
Mutarama . . .
Gashantare . .

.
.
.
.

.
.
.
.

. Octobre.
. Novembre.
. Décembre.
. Janvier.

in d ig è n e s .

Werurgwe............
Mata .................... Mai.
9» Gichurassi ........... Juin.
10 ° Kamena ............ . Juillet.
11 » Nyakanga .......... . Août.
12 ° Gatumba gatoya . . Septembre.
»
Gatumba kanama
70



.

Nzeri, octobre, est le premier de la série (imfura y’
amezi). Les Banyarwanda comptent, en effet, à partir
d’octobre et considèrent ce mois comme le plus important,
à cause de la culture des haricots qui commence à cette
époque.
Okwakira, novembre, vient du verbe kwaka (ou kwakira), qui veut dire briller, parce que le soleil se fait sentir
assez vivement.

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Ogushingo, décembre, est réputé comme un mois fort
pluvieux.
Okuboza, janvier, vient du mol « kuboza », faire pour­
rir. Il arrive, en effet, assez souvent, que les pluies du mois
précédent persistent encore et endommagent gravement
les récoltes.
Le mot (( Mutarama », qui vient du verbe gutarama,
grignoter (comme le verbe guhekenya, dont il est syno­
nyme) a été donné au mois de février, parce que à ce
moment, dans certaines régions du Rwanda, on rencontre
de-ci de-là, quelques épis de sorgho mûrs, que les enfants
ne se font pas faute de couper, pour les manger.
« Werurgwe », avril. Ce mot sert à désigner des insectes
microscopiques qui s’attaquent de temps à autre aux grains
de sorgho q u’ils détruisent rapidement. D ’où l’expression:
« Voyez donc si les (susdits) insectes n ’y (dans le sorgho)
ont pas pénétré » (Mulebe ngo Werurgwe itayajamo).
« Gichurassi ». C’est le mois néfaste (ukwezi kubi)
durant lequel a lieu à la Cour le deuil annuel qui dure
quinze jours. C’est le temps aussi des rhumes et des bron­
chites, d’où l’expression courante : « Celui qui se couche
avec un rhume, le mois de ju in l’emportera (le fera m ou­
rir) » (Uryamye ibichurane, igichurassi kizamutwara).
« Ramena », juillet. Ce mois est ainsi appelé du mot
« kumena », briser ou arracher, parce que dans les pro­
vinces du Rwanda, où l’on ne cultive le sorgho qu’une fois
l'an, les gens enlèvent les épis mûrs, pour en écraser le
grain et faire du pain (umutsima) dont ils n ’ont plus
mangé depuis longtemps.
« Nyakanga », août, vient du mot « gukanga » faire
peur. On le désigne ainsi parce q u’il est souvent fatal aux
vieilles vaches (amabuguma, ibibugum a), d’où l’expres­
sion usitée : « Nyakanga ikanga amabuguma, le mois
d’août fait peur aux vieilles bêtes », c’est-à-dire les fait
crever.
Les deux termes « Gatumba gatoya » et « Gatumba

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427

kanama » servaient autrefois à désigner deux mois, c’està-dire août et septembre, avant la création du mois de
« Mata », mai. Ils indiquent aujourd’hui les deux q u in ­
zaines du mois de septembre, ainsi nommées du mot
gutum ba, enfler, parce que les nuages commencent à se
rassembler dans le ciel et la pluie à tomber.
Quant au mois de Mata, il a été introduit, sous le règne
de Lwabugiri, à l’instigation des sorciers.
Mata, au sens propre, veut dire lait et, au sens figuré,
abondance. C’est en même temps le nom d’une colline de
Marangara, où, comme on l’a déjà dit, Mutara et son fils
Lwabugiri fixèrent leur résidence, parce que ce pays a la
réputation de porter bonheur à ceux qui l’habitent. On
raconte que plusieurs années de suite les pluies faisant
défaut, les récoltes ne purent arriver à maturité. Pour
remédier à ce grave inconvénient il fut décidé que désor­
mais on ajouterait un mois à l’année et que ce mois précé­
derait le mois du deuil (igichurassi) pour donner ainsi aux
récoltes le temps de m ûrir. Et ainsi fut fait. Le nom de la
colline, nom à heureux présage, fut donné au nouveau
mois.
Les mois indigènes correspondent à peu près à nos mois
de l ’année solaire, à cause de l’élasticité que les Banyar­
wanda donnent à leurs divisions lunaires. Ils se basent, en
effet, sur la petite saison des pluies pour faire leurs cul­
tures et leurs semailles. Cette époque prend le nom de
Nzeri et correspond assez bien à notre mois d’octobre (x).
Nous avons entendu dire que les Batutsi, pasteurs vivant
en plein air, ont obtenu une connaissance pratique du
temps en se basant sur les plantes et les fleurs qui poussent
(!) Dans quelques régions du grand centre africain, les Noirs se ser­
vent du mot « ’masika », qui veut dire saison de pluie et appartient au
vocabulaire kiswahili. On fait précéder ce terme des qualificatifs petite
ou grande pour désigner les deux saisons de pluie. La petite masika
commence en octobre pour se terminer habituellement en décembre. La
grande masika comprend les mois de février, mars, avril et une partie
de mai.

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à des époques régulières et q u’ils font profiter les cultiva­
teurs de leur expérience.
II. — S a is o n s .
Les Banyarwanda distinguent aussi quatre saisons :
1° « Uruhira » du verbe gushya, à l’applicatif guhira,
brûler, désigne la fin de l’été, parce q u’on met partout le
feu aux herbes. On se sert d’un autre terme synonyme
ku O « Muyonga » (ivu), qui signifie l ’époque de la cen­
dre. On dit encore « isekera » du verbe gusekera, cultiver,
parce qu’on prépare les terrains, à la fin de l ’été, mais sans
planter ou semer, d’où la différence avec le mot guhinga,
qui veut dire aussi cultiver, mais pour planter aussitôt.
2° « Urugaryi ». Cette dénomination indique tout
d’abord l’époque de la culture des haricots (mw’ itabira
ry’ ibishimbo), puis celle où les haricots donnent des
gousses (imishogoro) assez tendres pour être mangées
(gashogoro). Cette même saison comprend environ un
mois de beau temps, ce qui lui a fait donner le nom de
petite saison d ’été et permet aux gens de cueillir les hari­
cots. Cette première récolte a lieu ordinairement en ja n ­
vier ou février.
3° « Itum ba ». Cette saison correspond à peu près à
notre hiver. Le mot qui sert à désigner cette saison vient
du verbe « gutum ba », enfler, pour dire que les nuages ne
cessent de s’amonceler et la pluie de tomber. D ’où encore
le synonyme « Urushyana », époque des grandes pluies.
4° « Ichyi » ou bien « Mpeshi » servent à désigner la
saison d ’été où se font les récoltes, d’où les deux synonymes
« m w ’ (*) itema » de gutema, couper et <( m w ’ isarura » de
gusarura, récolter.
Pour ce qui est de l’origine des mois et des saisons, la
t1) ku ou kw’ devant une voyelle, mu ou mw’ devant une voyelle
n ’est autre que la préposition à, dans.

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l ’a

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429

légende raconte que le roi Gihunga envoya deux de ses
fils à un personnage important qui commandait à la pluie
et au beau temps, pour lui demander les divisions (ibihe)
de l’année. Cet homme extraordinaire s’appelait du nom
de Kibariro, celui qui sait compter. Grâce aux cadeaux qui
lu i furent offerts, il consentit à régler ainsi l ’année. On
voit que les Noirs à l’esprit imaginatif arrivent à tout expli­
quer. On s’aperçoit aussi que dans leurs nombreux récits,
le grain de sel n ’y fait jamais défaut. Car il est vrai de dire
q u’ils ne sont pas tous dupes de leurs légendes et q u’ils n ’y
ajoutent pas une foi absolue, bien que le com m un du peu­
ple soit un peu porté à la crédulité.
Une autre légende explique l ’origine de la corporation
des Bashara ou faiseurs de pluie attitrés.
On était alors, dit la chronique, sous le règne de Y uhi I.
La sécheresse sévissait sur le Rwanda et menaçait de tout
détruire. Le roi, très inquiet, appela son fils Rushura et
lui ordonna de se rendre au Kinyaga, chez Nyamukama,
sorcier émérite, qui commandait à la pluie.
Le prince avait pour mission de connaître du pluviateur
le secret d’attirer sur la terre l’élément bienfaisant. Très
flatté dans son orgueil par la démarche royale, Nyamu­
kama donna à l’envoyé un pot de bois bien fermé, avec
ordre de le remettre à Sa Majesté : « Garde-toi bien, lui
recommanda-t-il, de l ’ouvrir en cours de route, et remets-le
tel quel à ton père ». Rushara, arrivé au m ilieu du chemin,
se sentit poussé par la curiosité : « On m ’a confié un dépôt
et je ne sais même pas ce dont il s’agit. Voyons, que
j ’ouvre... ». Il défait le lien qui retenait la couverture
d’herbe. Ses yeux plongent à l’intérieur du pot; il ne voit
rien... L’eau s’était évaporée à travers son visage. De retour
chez son père, Rushara lui remet le précieux vase. Yuhi le
découvre à son tour et le trouve vide à son grand étonne­
ment. « Est-ce donc là tout ce que t’a donné Nyamu­
kama ? » demanda le roi. « Oui, père, c’est tout. » « En ce
cas, mon fils, il te faudra retourner chez le pluviateur pour
lui demander le pourquoi de ce vase vide. »

430

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Rushara sort de la hutte royale, très ennuyé de sa mésa­
venture. Il lève en soupirant les yeux vers le ciel. Au même
instant les nuages s’amoncellent et versent sur la terre une
pluie abondante.
Intrigué par cet étrange phénomène, Yuhi rappelle son
fils et lui demande de dire la vérité, car il comprend q u’il
s’est passé quelque chose d ’inusité. Rushara, confus, con­
fessa à son père son acte de curiosité et ce qui s’ensuivit.
Il a voulu voir, malgré les recommandations du sorcier, et
c’est à travers son visage que l’eau s’est évaporée, d ’où sa
vocation imprévue et subite de faiseur de pluie.
Yuhi, qui aimait beaucoup son fils et aurait voulu lui
donner le trône, dut se choisir un autre héritier et laisser
Rushara à sa nouvelle destinée. C’est ainsi que le jeune
prince devint sans le vouloir le père de la lignée actuelle
des Bashara ou faiseurs de pluie, qui ont hérité de sa
vocation.
Veulent-ils faire pleuvoir, ils sortent, regardent le ciel
et étendent les bras. S’ils ne veulent favoriser que la col­
line qu’ils habitent, ils doivent s’asseoir. Dans le cas où ils
veulent faire bénéficier le pays entier de leur étonnante
puissance, ils doivent se coucher de tout leur long et éten­
dre les bras en même temps. C’est ainsi que les descendants
de Rushara agissent depuis cette époque, ajoutent les
conteurs.
Jusqu’à ces dernières années, les pluviateurs étaient
exposés à des dangers sérieux; il n ’était pas rare d’entendre
dire que l ’un ou l’autre de ces malheureux ait été tué ou
jeté clans le fleuve, pour n ’avoir pas su donner à temps
la pluie dont on avait besoin.
D ’après une autre interprétation de la même légende,
fort en cours dans la province centrale du Nduga, c’est
après avoir passé la Nyabarongo que Rushara, poussé par
le démon de la curiosité, désobéit aux ordres du sorcier.
L’eau s’échappa du pot et se répandit à terre. Mis au cou­
rant de l’événement, Nyamukama fit répondre que pour

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

431

avoir de la pluie, il n ’y avait q u’à bâtir à l’endroit où l’eau
du vase s’était répandue et à creuser sur la colline (mubuz’
imvura, mwubake, m uhafukure). Et de fait, les rois du
Rwanda ont, en grand nombre, fait de cette colline l’une
de leurs capitales préférées.
Il est de coutume, en temps de sécheresse, d’y fouiller
légèrement le sol, comme pour y chercher une source, et
les prédictions de Nyamukama, se réalisent toujours,
assure-t-on. Aussi la région porte-t-elle justement le nom
de Bgeramvura (kugera imvura), c’est-à-dire l’endroit d’où
sort la pluie.
C’est pour ce même motif et pour obtenir le même
résultat, qu’à Maia, dans le Marangara, on creuse sur les
deux versants de la colline.
Le premier des deux trous est appelé « la fontaine du
lait » (iliba ry’amata) et figure l’abondance. Les vaches
donnent alors plus de lait. L’autre est désigné sous le nom
de « source de la pluie » (iliba ry’imvura). Pour peu qu’on
y donne quelques coups de pioche, on exercera une
influence heureuse sur les nuages qui laisseront échapper
une pluie bienfaisante.
III. —

Noms

d e s p r in c ip a l e s p l u ie s

d e l ’a n n é e .

Le terme générique de pluie est le mot « imvura ». Faire
tomber la pluie se dit « kubvuba », d’où le nom de la
fonction « um uvubyi », faiseur de pluie, qui est surtout
la spécialité des membres du clan des Rashara.
1° Imvura y’ um uhindo, la pluie du tonnerre, du mot
guhinda, tonner, parce que c’est une pluie d’orage accom­
pagnée d’éclairs et de tonnerre (en octobre).
2° Amahole v’ imvura, pluie persistante du mot
guhora, persister, durer. Ou encore « imvura y’ indoha »
(du verbe kuroha, noyer).
3° Amahuhezi, du mot guhuha, souffler, sert à dési­
gner les tornades quand le vent chasse la- pluie.

432

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

4° Amassuri la pluie à torrents (x).
5° Ou encore « Im ivum bi », pluie qui commence de
grand m atin et tombe une bonne partie de la journée.
6° Amaliindu, quand il pleut et grêle (urubura, grêle).
7° Urushyana sert à désigner la grande époque des
pluies, mars, avril et une partie de mai.
8° « Im pungira mirara » ou « inyagira mirara », la
pluie qui tombe sur les épis de sorgho coupés et laissés
au champ, est une pluie accidentelle du mois de juillet.
9° « Intsindagir’ ibigega », la pluie qui tasse (le sorgho
entassé dans) les greniers, parce qu’elle tombe un jour
ou deux, à la fin d’août, alors que les greniers n ’ont pas
été couverts à temps.
10° « Imvura y’ impangukano », la pluie de la fin de
l’attente, c’est-à-dire les premières pluies, après lesquelles
on soupirait pour pouvoir cultiver (guhanga, soupirer
après et son contraire, guhanguka, voir l’espoir réalisé).
11° « Inkaza bigunda » de gukaz’ ibigunda, faire rever­
dir les prairies, sert à désigner les quelques pluies plus ou
moins imprévues à la fin de l’été.
12° Im vura y’ igisanura (2), la pluie qui abreuve (les
terres desséchées), c’est-à-dire les premières ondées de la
saison des pluies.
IV. — R it e s

s a is o n n ie r s .

A l’époque des semailles (mu kubiba) pour le sorgho,
la maîtresse du logis prend une poignée de grain qu’elle
se met en devoir de moudre. Avec le peu de farine obtenu
elle façonne un petit pain dans lequel elle introduit quel­
ques fruits de l ’arbuste appelé intobo. On glisse ensuite le
pain et une spatule de ménage (umwuko) dans un petit
(>) « Umuvu » sert à désigner le lit des torrents subitement creusé par
la pluie.
(2)
Gusanura est une sorte de verbe auxiliaire pris au sens figuré et
à multiples significations, comme le verbe gukaza.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

433

panier (interero ou chyibo). Pendant ce temps les enfants
de la maison enferment la braise du foyer dans un paquet
d’herbes, qui, autant que possible, doit contenir du son ou
de la baie de sorgho. Ils vont l’enterrer dans le champ prêt
à être ensemencé.
Il ne faut pas oublier d’ajouter au contenu du panier
un morceau de scorie de forge. 11 ne reste plus q u’à dépo­
ser le tout dans le grenier à provision (ikigega), qui, à la
suite de ce procédé symbolique et superstitieux, ne m an­
quera pas d’être rempli jusqu’au bord, au moment de la
récolte.
Les propriétaires île la hutte doivent s’arranger de façon
que nul des voisins ne puisse aller chercher du feu (kulnliura) et pénétrer dans la case jusqu’au jo ur où le sorgho
lèvera.
Si l’on négligeait cette précaution, on s’exposerait à
avoir une mauvaise récolte (ngo batabak’ umugisha).
Au moment de la culture des haricots, le propriétaire du
champ fixe sa lance en terre et met sur la pointe de l’arme
une gousse de haricots non écossés qu’il y enfonce légè­
rement. Ses enfants lui apportent une demi-courge évidéc
(urulio) qui sert d’écuelle. Il la remplit d’eau.
Il place sur un coussinet d’herbes une pierre roulée
(ibuye rv’ intosho), on dépose un instant une poignée de
haricots avec leurs gousses sur le coussinet et on les
écosse.
Les haricots sont versés sur le dos d’un van retourné.
Le propriétaire retire alors, à l ’entrée de la hutte, une des
longues herbes qui ont servi à la couvrir et dépose la tige
desséchée sur le van dont la face concave regarde le sol.
Il prend le van, le soulève et le secoue fortement des deux
mains, pour pouvoir recevoir les haricots sur l’autre face
de son instrument à nettoyer le grain.
Cette pratique superstitieuse porte le nom de « créa­
tion » ou « multiplication » des haricots S’il vient un
m em

. in s t . r o t a i Co l o n ia l b e l o » .

28

434

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

étranger durant l’accomplissement de ce rite, il ne doit
pas tourner autour du van, mais passer sur le côté.
On pique ensuite les haricots dans le terrain cultivé,
dans l ’espoir d’une riche récolte. C’est un procédé courant
pour obtenir le beau temps.
Les Banyarwanda, dans leur crédulité et leur confiance
dans les pratiques superstitieuses, espèrent pouvoir exer­
cer line influence sur le soleil.
Au moment de la récolte du sorgho, quand les Banyar­
wanda sont extrêmement désireux de se procurer de la
bière de cette plante (amarwa) dont ils ont été privés
depuis longtemps, ils exposent au soleil la pierre à écraser
(ingasire), croyant par là « retenir » le soleil. Ajoutons
que leurs connaissances astronomiques sont nulles. Ils
n ’ont q u’un terme générique, inyenyeri, pour désigner
les étoiles et un autre nyakotsi pour les comètes (*).
Le soleil (izuba), la lune (ukwezi) la planète Vénus
(nyamuhiribona) sont les seuls astres qu’ils désignent
d ’un terme particulier.
D EU XIÈM E PARTIE
Des sorciers q u i passent p o u r exercer une in flu e n c e s u r la p lu ie ,
la fo u d re et les récoltes.

On peut les ranger en trois catégories, comme l’indique
le titre, à savoir : les faiseurs de pluie, les préservateurs
de la foudre et de ses funestes conséquences et ceux, enfin,
qui président aux récoltes.
D es

f a is e u r s

de

p l u ie

(A b a b v u b y i ).

On vient de voir précédemment que les membres du
clan des Bashara naissent faiseurs de pluie, à la suite de
leur prétendu aïeul Bushara, qui se vit attribuer ce rôle
bien malgré lui.
t1) Nyakotsi veut dire « celle à la fumée, c’est-à-dire à la queue ».

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE »E LAFRIQUE

435

En dehors des Bashara il existe d’autres faiseurs de
pluie, comme ceux du Bukunzi, dans le Kinyaga, et ceux
de Bussigi, au Nord de Kigali.
Le métier s’y transmet de père en fils.
De-ci de-là on en rencontre d’autres qui se sont impro­
visés pluviateurs plus ou moins connus.
Ce sont généralement de pauvres gens, hommes ou
femmes, venus du dehors, car ici comme partout ailleurs
<( nul n ’est prophète en son pays », qui se sont donnés
comme tels, pour ne pas m ourir de faim.
C’est, en effet, une profession lucrative, mais dange­
reuse aussi. Pour obtenir la pluie, les gens doivent offrir
un cadeau, désigné sous le nom d’amasororo (gusorora)
et qui se donne au moins une fois par an. Le roi et les
chefs vont jusqu’à faire présent d’une ou même plusieurs
vaches aux dispensateurs de la pluie. Mais malheur à eux
si cette onde bienfaisante fait défaut. Nombreuses furent
les victimes de cet art si difficile à pratiquer, quand les
éléments en cause refusent leur concours. La plupart de
ces malheureux étaient noyés ou périssaient sous les coups
de 1);iton, pour n ’avoir pas su exercer leur métier, en pro­
voquant ou en arrêtant les orages selon la saison (kubvuba
no kvvich’ imvura).
L es

préservateu rs

de

la

foudre

et

de

ses f u n e s t e s e f f e t s .

Ils sont désignés sous le nom d’ « abagangahuzi » (du
verbe kugangahura). Leur profession honorable et lucra­
tive ne les expose à aucun danger.
Leur rôle est de purifier, comme l’indiquent leur nom
(umugangahuzi) et leurs fonctions (kugangahura), puis
de prévenir dans l ’avenir les effets de la foudre. Voici les
différentes circonstances dans lesquelles interviennent les
sorciers de cette catégorie et la manière dont ils opèrent.
1° Le foudroyé est un être hum ain. —

D ’après la

43 6

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

croyance indigène la foudre est considérée comme le roi
du ciel, qui vient de temps à autre se choisir des sujets
parmi les hommes. On dit alors que le foudroyé est
« l’impôt vivant » (inkuke) q u’il s’est prélevé ou bien son
sujet, son page (intore). Aussi les pleurs sont-ils interdits.
Les parents et les amis de la victime, pour ne pas mécon­
tenter le roi du ciel, qui est le maître de ses actes, doivent
danser et pousser des cris de joie, pendant q u’on frappe
les tambours.
Le sorcier-purificateur fait alors son apparition. Les
personnes présentes reçoivent de lui, sur le revers de la
m ain, quelques gouttes d ’un liquide qu’elles doivent
laisser tomber à terre. Le sorcier leur en verse une deu­
xième fois dans le creux de la m ain et chacun des assis­
tants boit ce qui lui a été donné.
Ils vont ensuite respirer à tour de rôle le parfum d’une
autre substance liquide (issubyo) de la fabrication du puri­
ficateur.
La hutte de la victime et toute l’assistance sont asper­
gées d’un mélange d’eau et de craie. Le foudroyé en reçoit
aussi sur le front et la poitrine. Dès lors on peut s’occuper
de sa dernière toilette, ce que les parents n ’auraient osé
faire avant l’intervention du sorcier.
Les invités se passent autour du cou une herbe spéciale
(umwishwa), qui joue, on l’a vu, un grand rôle dans les
cérémonies rituelles, comme si elle avait la vertu de puri­
fier. Le mort en reçoit une aussi et le cortège funèbre se
met en route vers le lieu où doit être exposé le cadavre.
En principe, on ne peut pas le mettre en terre. Autant
que possible il faut le porter sur une montagne, une hau­
teur ou un endroit élevé, face à face avec le roi du ciel qui
a voulu l’honorer (Yamukujije) en l ’appelant à lui. Dans
la province du Gissaka, la dépouille est abandonnée sur
une ancienne termitière.
Durant le temps que dure la cérémonie, les réjouissances
sont de rigueur. Les proches doivent s’associer malgré leur

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

437

chagrin par des danses et des cris de joie à cette fête d’un
nouveau genre. On dit du foudroyé, si c’est un homme,
que le roi du ciel en a fait son sujet, son élu. Si c’est une
femme ou une jeune fille, elle a été choisie comme épouse.
Cette croyance était à tel point passée dans les mœurs que
si la malheureuse en réchappait, nul autre que le roi ne
pouvait l’épouser. Dans les provinces éloignées elle était
considérée comme ayant été de fait l’épouse de la foudre.
On la traitait alors comme une veuve ou une divorcée,
c’est-à-dire que son deuxième mariage (guchùra) se pas­
sai I le plus simplement du monde, sans aucune des céré­
monies qui accompagnent l’hymen (kulongora) d’une
jeune fille.
Avant de se retirer, le sorcier-purificateur fichait en
terre, sur le lieu de l’accident, une branche de ficus, une
autre d’erythrinée à fleurs rouges (umwuko), un roseau,
une tige d’ishoza, d’umurembe, d’ifubge, d’ilalire, d’urubamba, etc., pour assainir l’endroit et préserver des effets
à venir.
2° Rôle de sorcier-purificateur quand il s’agit d’ani­
maux domestiques foudroyés. — Les cadavres des ani­
maux en question, vaches, chèvres, moutons, restent sur
place. Nul ne peut y toucher avant l’arrivée du sorcier.
Si l ’accident a eu lieu dans la soirée et qu’on ne puisse
recourir à temps à ses bons offices, des gardiens passent
la nuit auprès des victimes pour en écarter les hyènes et
les rôdeurs.
Le lendemain, dès q u ’il fait jour, on se rassemble sur
le théâtre de l ’accident et l ’on frappe le tambour en signe
de réjouissance. Comme dans le cas précédent le sorcier
offre, à deux reprises, à chacun des assistants, une sub­
stance liquide de sa composition et leur en fait respirer
une autre.
Les maris doivent s’en procurer quelques gouttes, pour
les apporter à leurs femmes qui sont restées au logis. Les

438

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

cadavres des
aspergés.

victimes

en

sont

aussi

l ’a FRIQUE

abondamment

Il est alors permis aux propriétaires de dépecer les
bêtes sur place et d’en distribuer les morceaux; mais il
faut éviter de prononcer les mots de vente et d’achat,
pour ne pas offenser la foudre, dont ce serait violer les
droits de propriété. Les acheteurs s’engagent tacitement
à indemniser le propriétaire. Vient-on à le payer, les inté­
ressés lui remettent en m ain le prix de la viande estimée
à sa valeur, mais sans en parler autrement. Pour obliger
un client récalcitrant à l’indemniser, le vendeur ne pourra
pas le lui dire en termes explicites.
Tout au plus se rendra-t-il chez lui avec un parapluie
indigène (issinde), lequel est censé par l’usage qu’on en
fait en temps de pluie et d’orage, rappeler au délinquant
le contrat tacite qui avait eu lieu à la suite d’un de ces
orages. Il est parfaitement loisible au débiteur de faire le
sourd et l ’aveugle et de ne pas comprendre. Son créancier
n ’a aucune prise directe sur lui. Pour éviter les méfaits
de la foudre dont le vendeur a beau le menacer par la
présence du parapluie, notre homme récalcitrant n ’a q u ’à
jeter au loin les os du morceau de viande q u’il s’était
choisi en s’écriant : « C’est le roi du ciel qui m ’en avait
fait cadeau » (n’um w am i yangabuliye). Ces paroles, pro­
noncées à haute et intelligible voix, sont bien comprises
du créancier, qui n ’en peut, mais... Elles lui signifient
clairement son congé et lui opposent un refus définitif.
Pour une vache foudroyée, le propriétaire et les gens
de sa maison doivent observer, dans certaines provinces,
un deuil de huit jours (okwirabura). La cohabitation entre
époux est interdite, pendant ce temps, comme cela se
passe à l’occasion de la mort d’un membre de la famille.
On sépare des troupeaux le taureau, le bouc et le bélier.
Le lait de vache est mis à part, nul ne peut en boire. Les
huit jours écoulés, le maître de la bête bâtit une petite

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQUE

439

hutte de circonstance à l’endroit où l’animal est tombé.
On y trait les autres vaches ou l’on se contente d’utiliser
la crème qui a été recueillie les jours précédents pour la
battre séance tenante. Le beurre obtenu, les assistants
s’en oignent le corps, pendant que les femmes et les
enfants chantent et poussent des cris de joie (bakavuz’
im p undu ).
La bière est offerte aux invités et la journée se termine
dans l’espoir que le roi du ciel (la foudre) ne viendra plus
se chercher d’autres victimes.
Les sorciers-purificateurs peuvent ne pas assister à cette
dernière cérémonie. Leur rôle et leur présence n ’avaient
de raison d’être qu’au jour de la purification. Ils se retirent
toujours grassement payés, non sans avoir laissé sur place
des herbes préservatrices ou des amulettes (impigi za
Biheko) porte-bonheur.
3° Dans quelques localités, les particuliers font encore
appel aux services de ces docteurs ès sciences mystiques
à l’occasion de la mort d ’un lépreux et de l ’incendie d’une
hutte.
a)
Les indigènes ont une vive répulsion pour les mala­
dies contagieuses et en particulier la lèpre. Le malheureux
atteint de l’une de ces terribles affections, une fois mort,
on appelle le sorcier-purificateur pour qu’il accomplisse
diverses cérémonies. Celui-ci jette de l’eau lustrale sur la
hutte du défunt et finit par y mettre le feu. Les assistants
fuient au loin pour éviter la fumée, comme si elle pouvait
leur faire contracter la maladie du propriétaire décédé.
Dans la province centrale du Nduga, le sorcier fait
bâtir une petite case, dans laquelle il installe le fils du
mort. D ’une main il incendie la hutte pendant que de
l ’autre il en retire précipitamment l’enfant.
La lèpre est censée avoir disparu à jamais et nul autie
de la parenté n ’en deviendra la victime. Le sorcier s’en
porte garant.

440

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

b)
Pour éviter les malheurs que peut attirer sur le pro­
priétaire ou même sur ses voisins l ’incendie d’une case,
011 recourt aux bons offices du même sorcier, qui fait
boire à ses clients la substance liquide dont il a été parlé
précédemment.
L’emplacement de la hutte est arrosé d’eau lustrale; les
assistants en sont aspergés à leur tour.
Trois roseaux fichés en terre et recouverts de feuilles
de bananiers figurent une hutte provisoire, dans laquelle
le propriétaire et sa femme doivent séjourner un instant
(baryamana). Le mauvais sort est enlevé; il n ’y a désor­
mais plus rien à craindre (bamaz’ umuriro ou encore
bamaze ishyano, c’est-à-dire ils ont écarté tous les
malheurs). Les maladies qui auraient pu, à la suite de
cet accident, atteindre les personnes présentes et les
enfants à naître, sont à jamais écartées.
Au Bugoyi, au Nord-Est du lac Kivu, ce rôle de préser­
vateur du feu et de ses funestes conséquences est réservé
à une catégorie spéciale de sorciers désignés sous le titre
d’« Abahozi » ou « Abashumburuzi » (*).
D es

s o r c ie r s

qui

pa s s e n t

pour

exercer

une

in f l u e n c e

s u r l e s r é c o l t e s en l e s f a v o r is a n t o u e n l e s c o m p r o ­
m et t an t

PAR LEURS MALÉFICES.

On les désigne sous le nom d’<( Abahinza », c’est-à-dire
rois et descendants des anciens rois aborigènes, ce qui
expli que leur origine au moins pour la plupart d’entre
eux.
Dans YHistoire d’an Règne il a été question à maintes
t1) Umuhozi (au pluriel abahozi) signifie littéralement l ’extincteur
ou l ’éteigneur. C’est le substantif du verbe actif guhoza, éteindre ou du
même verbe neutre guhora, se refroidir.
Les gens du commun qui ne possèdent pas à fond leur langue verna­
culaire,, en ignorent les richesses et les finesses, confondent souvent dans
la pratique les noms ou professions des nombreux sorciers qui grugent
le pauvre peuple.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE UE L AFRIQUE

441

reprises de ces roitelets autochtones qui cumulaient les
pouvoirs du sacerdoce et de la magistrature civile et m ili­
taire.
Mashira, le fameux roi-sorcier du Nduga; Nkoma, le
roitelet de Marangara; Rutoke, du Buhanga, sont comptés
parmi les plus connus de ce type roi-devin, roi-magicien.
Leurs sujets pouvaient recourir à eux en toutes choses,
ils avaient une réponse à tout. Lire et prévoir 1avenir,
découvrir les choses cachées, ensorceler et charmer leurs
ennemis en les réduisant à l’impuissance, n ’étaient pas
les moindres de leurs prérogatives royales. On s’adressait
encore à eux au moment des semis et des cultures, pour
en obtenir une poignée de graines, gage assuré d’une
riche récolte. De là, sans nul doute, est venue la profession
de « préservateur et de défenseur des récoltes » qu’ont
gardé les baliinza actuels, presque tous descendants des
anciens roitelets soumis par Ruganzu. Ils n ’ont jamais
porté ombrage aux rois hamites, qui les ont non seulement
maintenus, mais les ont même protégés, dans la pensée
q u’eux-mêmes et leurs sujets pouvaient y trouver profit.
Nombreux sont les professionnels» de cette catégorie,
mais les plus renommés d’entre eux ont été jusqu’ici ceux
de Lubengera, dans le Rgishaza, et ceux de Suti, dans le
M unyambiriri, parce que plus rapprochés de la province
centrale du Nduga et en relations suivies avec la Cour
hamite.
Leurs compères du Kingogo, du Rushiru, du Ruhoma,
du Bugamba, etc., n ’ont pas eu grande notoriété en
dehors de chez eux.
Ces maîtres ès sciences occultes peuvent, d’après la cré­
dulité publique, jeter l’interdit (kuvuma) sur les oiseaux
et les insectes qui ravagent les récoltes. Les chenilles sont
les plus redoutées parce que les unes (ingungu) s’attaquent
aux tiges des patates q u’elles détruisent jusqu’à la der­
nière, pendant que les autres dévorent, en été, les feuilles
des arbres.

442

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Ces dernières se nomment « bahema ». Les sauterelles,
les charançons et les autres vers ou insectes qui s'attaquent
aux récoltes ne sont pas moins craints. Aussi les indi­
gènes s’adressent-ils fréquemment aux bahinza pour
implorer leur protection. Celle-ci s’achète par des cadeaux
eu nature que les chefs eux-mêmes prélèvent sur leurs
administrés pour provoquer l’intervention des puissants
sorciers. On a vu quelques bahinza ajouter à leurs fonc­
tions celles de faiseur de pluie.
C’est ainsi que, dans la province du Bugoyi, l’un des
sorciers de cette catégorie, un nommé Nvamitwe, installé
au sommet d’une montagne (Chungeri), a eu l’idée de
creuser, dans la cour qui précède son habitation, un petit
puits d’environ un mètre cinquante centimètres de pro­
fondeur.
Le terrain étant imperméable, l’eau de pluie y séjour­
nait un temps plus ou moins long, ce qui permettait au
rusé compère de faire et de laisser croire tju ’il avait toutepuissance sur les nuages. Façon ingénieuse d ’amener une
plus grande quantité d’eau à son m oulin!
Les sorciers qui ont la réputation de déchaîner les
insectes et autres fléaux sur les récoltes, sont désignés sous
le nom d’« Abahoryo », qui a le sens d’« Hommes
néfastes ».
La crédulité popidaire, en effet, va encore jusqu’à leur
prêter cette puissance occulte qui les fait redouter de tout
le monde.
On les croit capables des plus mauvaises intentions.
Reconnus comme tels, on les évite et on les fuit autant
que possible.
Les indigènes se garderont d’avoir des relations m atri­
moniales avec eux; ce serait s’attirer tous les maux, y com­
pris la stérilité, qui n ’est pas celui q u’on appréhende le
moins.
Ces hommes dangereux passent pour jeter le mauvais

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

443

œ il (guter’ uimvaku) et sont mis sur le même pied que les
membres du clan des Abahenyi, des Abatcbaba et des
Abungura, qui inspirent, eux aussi, la même défiance et
la même répulsion. Aussi, le nom d’« Abahoryo », hommes
néfastes, est-il considéré comme une injure par les inté­
ressés eux-mêmes.
Les bahinza de la province du Bgishaza ont eu de tout
temps la réputation d’exceller dans l’exercice de ces pou­
voirs supranaturels. Quels prodiges ne leur attribue-t-on
pas? L’un d’entre eux, raconte une tradition, avait été
condamné à mort pour 011 ne sait quel méfait.
Pendant qu’on le conduisait au supplice il fit appel à
sa puissance occulte. A l’instant les vautours, les éperviers, les aigles, les corbeaux accourent de tous les coins
du ciel et fondent à coups de bec et à coups d’ongles sur
les bourreaux et sur les assistants.
Émerveillé, le prince Mututsi lui fit grâce de la vie.
Une autre fois, deux frères de la même famille se dispu­
taient, après la mort de leur père, la succession de sorcier.
Pris pour arbitre, le roi décida qu’elle appartiendrait à
celui qui se distinguerait par son habileté.
Or. les terribles chenilles à cette époque dévoraient les
patates. L ’un d’entre eux se met en devoir de pratiquer son
art pour les faire disparaître. L ’autre aussi, usant de son
pouvoir, agit à l’encontre de son frère et les m ultiplie à
l’infini. Les chenilles sortaient de terre et couvraient le
sol: <1 Voulez-vous, s’écria-t-il en s’adressant au monarque,
que je vous en délivre maintenant? »
A l’instant le pays en fut débarrassé, à la stupéfaction
des spectateurs. Le prince le confirma dans sa charge.
Il ne nous reste plus en terminant ces lignes qu’à ajouter
avec le proverbe italien : « Se non è vero, è bene trovato ».
Les Noirs se font une haute idée de leurs sorciers et de
leur puissance.
La confiance invétérée des Noirs dans l ’habileté des sor­

444

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE U’AFRIQUE

ciers et dans l’efficacité de leurs pratiques magiques est
pour quelque chose dans l’état stagnant de leurs civilisa­
tions.
Quelle est à cet égard la culpabilité des docteurs ès
sciences occultes et divinatoires?
« Il serait injuste, dit Maurice Delafosse, de rendre les
magiciens responsables de cette situation, car ils partagent
la croyance de leurs congénères en la vertu de leur art et
s'ils se livrent à la magie, c’est assurément parce qu’elle
est rémunératrice, mais c’est également parce q u’ils sont
aussi crédules que leurs clients. » (Les Civilisations négroafricaines.)

CHAPITRE IV

Charges à titre récréatif et littéraire. — Danseurs, pages et
musiciens. — Impositions diverses des sujets et des clans;
servitudes sanglantes; privilèges et faveurs de la Cour.
C harges

a t it r e

r é c r é a t if

et

l it t é r a ir e .

a)
Nombreux sont les groupes de danseurs aux évolu­
tions originales et variées.
Les pages ont une danse spéciale, connue sous le nom
de « guhamiriza ». Le « kwiyereka » et le « kulambira »
sont propres aux montagnards (abakiga) et surtout aux
Bagoyi.
Le renom q u’ont ces derniers pour cette sorte de danse
en rejaillit sur leur grand chef Bushako.
Les gens du Gissaka ont la spécialité du « kubyina
urushara ». Quand les danses sont accompagnées de
l’instrument à cordes connu sous le nom d’ « inanga »,
elles prennent le nom de « gutam bir’ inanga ». C’est le
d gutam bir’ ingoma », si elles se font au son du tambour.
Le « kubyin’ um udiho » est propre aux hommes et aux
femmes, qui se rangent en cercle et battent des mains en
cadence pendant que leurs pieds foulent le sol.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’ a FRIQUE

445

Le mot danse traduit imparfaitement les amusements
dont nous parlons.
Ce sont plutôt des jeux de guerre ou des jeux de chasse.
L ’imitation el la m im ique des combats et de la poursuite
du gibier sont très expressives. Les Noirs passent des
heures entières à simuler une bataille, à provoquer et à
terrasser des ennemis imaginaires. De temps à autre, ils
déposent leurs armes ou les présentent au roi, avec un
ensemble parfait, pour chanter les hauts faits du monar­
que, et recommencent la lutte fictive.
Le « m udiho » des hommes et celui des femmes ou
jeunes filles se rapproche davantage de la danse.
Ces dernières s’avancent tout d’abord lentement au
chant d’une élégie, puis quelques-unes d’entre elles se
détachent du groupe et viennent exécuter des mouvements
gracieux, dirigés par les chants et le claquement des mains
de leurs autres compagnes.
Leurs danses sont plus esthétiques et moins sauvages.
b)
Le corps des pages (intore, du mot gutora, choisir),
qui se recrutent parm i les fils de chefs, n ’est pas le moins
intéressant parmi les autres groupes qui entourent la per­
sonne du roi et ne vivent que pour son service et son
plaisir.
Avec les danseurs, ils ne contribuent pas peu par leurs
ébats et leurs évolutions à donner un cachet spécial aux
réjouissances publiques qui se célèbrent de temps à autre
à la Cour, à la fête des « Prémices » et au lendemain du
grand deuil du mois de ju in (igichurassi).
Ils ont des danses particulières pour lesquelles ils font
un apprentissage presque quotidien durant plusieurs
années.
Chaque grand chef Mututsi, tout comme le roi, confie
ses pages à des coryphées largement payés pour apprendre
à leurs élèves des mouvements et des rythmes nouveaux.
C’est pour cette raison que les exercices se font en cachette,

446

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

afin que les « ballets » restent inédits. Un chef trouve hon­
neur et plaisir à entendre dire que ses pages sont les mieux
dressés. Aussi règne-t-il une grande rivalité sur ce point
entre les différents corps de pages et leurs chefs respectifs.
L’espoir d’obtenir un jo ur des vaches, les acclamations
des spectateurs et la présence du roi soutiennent le cou­
rage des jeunes gens.
Aux grands jours de fête les nobles damoiseaux se cei­
gnent les reins d’une peau de colope ou de veau avec des
franges en peau de loutre; la tête est coiffée d’un bonnet
fait de fibres de bananiers ressemblant à une longue che­
velure, le buste est orné de perles ou de bandelettes; les
jambes et les chevilles sont garnies de grelots, tous tien­
nent en m ain une lance et un arc. Ils forment des groupes
de quarante à cinquante unités, qui se distinguent les uns
des autres par la richesse ou la forme du costume et des
parements.
Sur l ’ordre des chorégraphes ils exécutent à tour de rôle
des contorsions entremêlées de sauts et de cris, allant et
venant avec une cadence impeccable, faisant tourner la
tête comme s’ils voulaient la détacher du tronc. Les Noirs
apprécient fort ces danses guerrières, qui, en fait, sont
des prodiges d évolution.
Ce q u’ils admirent le plus et ce qui attire davantage
leur attention, ce sont les mouvements rythmiques des
pieds.
Nous donnons à titre documentaire le nom des princi­
paux groupes de pages y compris les corps de danseurs
appartenant à la race m uhutu et à la race mutwa :
P a ges

et

dan seu rs.

Inchogozabahizi.
Intangamuganzanyo
Urugangazi.
Ibirushya.
Ishyaka.
Inkerarugamba. '

R

aces.

Abatutsi.
»
»
Abahutu.
Abatwa.
»

Chefs.

Yuhi-Musinga.
»
»
»
»
»

UV ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE
P

a g es et

dan seu rs.

Indinzi.
Inkeramihigo.
I mbasharugamba.
Inkorabahizi.
Urwintwari.
Ingeri.
Imbabazabahizi.
Intagwabira.
Inkwaya (du Bgana-Chambge).
Amakuza (de Lukaragata).
Impambara (du Bgishaza).
Inkaranga (du Bugoyi).

R

a ces.

Abatutsi.
»
Abatwa.
Abatutsi.
»
»
»
»

447

C hefs.

Sebagangari.
Kayondo.
»
Chyitatire.
Nturo.
Rukarakamba.
Lwagataraka.
Lugerinyange.
Lwabusisi.
Rwidegembya.
Bushako.

« Comment, dit Chalux (*), décrire ces danses aussi
belles, aussi étudiées et réglées que les meilleurs ballets
russes ? Elles sont évidemment guerrières et évoquent les
combats épiques d ’autrefois. Elles oui du style et de la
grandeur; mais ce qui fait leur essentielle beauté, c’est
que, malgré la science des mouvements, la recherche des
effets, l’art de l’entrée, de la sortie, des groupements, toute
cette chorégraphie conserve un caractère libre, éclatant,
spontané et comme inappris. Chaque danseur (il n ’y a que
des hommes), observé individuellement, exprime dans ses
bonds, ses pas et ses attitudes, l ’âpre joie de provoquer son
ennemi et de le battre : la tête reste toujours en arrière et
parfois elle est littéralement jetée sur le dos et tourne,
tourne comme si le danseur lui donnait de l’élan pour la
lancer dans l’espace, le plus loin possible, contre une horde
détestée; le poitrail est bombé avec arrogance, les poings
se crispent sur l ’arc et la lance, au bout des bras rigides,
menaçants, tendus en deux lignes parallèles; les pieds nus,
martelant la terre nue, scandent le rythme avec un bruit
de gifles retentissantes; les bonds, qui sont prodigieux,
défient la pesanteur; l’homme semble rester suspendu en
l’air, tandis qu’il se retourne d’un coup de rein irrésistible,
et quand il touche le sol, c’est pour rebondir plus haut
(*) Un An au Congo belge (Libr. Albert Dewit, Bruxelles), pp. 487 et ss.

448

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

encore, ou pour simuler par des gestes d’une saisissante
vérité le combat à mort, la gloire guerrière, la fierté de
savoir lutter, de posséder de bonnes armes, d’être un mâle
et un héros, et toute la certitude de vaincre et toute
l’ivresse de la victoire !
Et c’est si naturel, si parfaitement vrai, qu'il faut s’arra­
cher à l ’homme qu’on observe et contempler l ’ensemble
des danseurs qui, tous, font exactement et simultanément
les mêmes mouvements, pour se rendre compte que leur
danse fut longuement étudiée, q u’elle est de l’art et non
une improvisation, virile, inspirée et superbement p ri­
mitive !
Prunelles ardentes, bouches ouvertes et dents serrées,
éblouissantes, sursauts de carnassiers, déhanchements à
faire pâlir une gitane de jalousie, ondulations des muscles,
pieds tapageurs, grelots des chevilles, halètement farou­
che et sombre des grands tambours, torsions des corps
luisants et nus, sauf une peau d’antilope, balancement des
coiffures de longs poils blancs, visages hardis, saccades
rythmiques, précision magistrale, grâce et vigueur, jeu­
nesse frénétique et pourtant maîtresse d’elle-même... quel
spectacle unique et inoubliable !
Les danseurs de Kayondo (un grand chef) furent remar­
quables. A la grande surprise et à la secrète mortification
de Musinga (le roi), les siens le furent un peu moins.
Un pli vertical raya son front noir. Quand Jupiter
fronce le sourcil, dit le divin Virgile, l ’Olympe tremble.
Nyanza ne trembla pas, mais je sais de jeunes Batutsi
qui, ayant vu l’expression de leur demi-dieu, furent saisis
d’inquiétude.
Les meilleurs danseurs furent les Batwa.
Eh oui, les pygmées !...
La palme de ce concours mémorable qui dura plusieurs
heures fut méritée par un enfant, par un gam in de douze
ans à peine, haut comme une botte et qui éclipsa tous les
autres par la perfection suprême de sa danse.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

449

11 se m it à pleuvoir à torrents, comme il pleut toujours
près de l’Ëquateur. Les Batwa dansaient.
L’eau agressive les cinglait, arrachant les coiffures et
collant; la peau d ’antilope aux cuisses et aux genoux
ju squ’à paralyser les mouvements. Tous continuèrent,
mais le feu sacré s’éteignit sous la tornade. Seul l’enfant,
plus beau d ’être rageur, se surpassa.
On ne regardait que lui. Se sentant le point de mire de
tous, même de son roi et de Blancs auprès de lui, il se
livra tout entier, saoul de fierté, donnant et parant des
coups fabuleux, bombant son petit torse à le faire écla­
ter, éclaboussant tout de ses pieds endiablés qui claquaient
les flaques d’eau, emplissant de sa minuscule personne,
soudain démesurément grandie, la vaste enceinte inondée.
Et sa voix suraiguë, déchaînée, domina toutes les autres
quand, ayant achevé leur danse, les Batwa, selon la cou­
tume, leurs bras levés vers Musinga, hurlèrent chacun, et
en même temps, une des phrases traditionnelles : « Moi,
je me fais tuer pour mon roi ! » « Je tue vingt hommes
quand je me bats. » « Je ne compte plus ceux que j ’ai
vaincus. » « C’est moi qui fais couler le plus de sang ! »
c)
Les joueurs d’instruments de musique réputés pour
être les plus habiles sont retenus à la Cour ou y sont du
moins souvent appelés. Leurs instruments sont des plus
primitifs; ils ont la flûte (umwironge), l’instrument à
corde ^i répandu dans l’Afrique équatoriale (inanga), et
un autre instrument plus p rim itif encore, 1’ « isenge »
(genre ocarina), dont ils tirent des sons désagréables. Des
gens originaires de l’Usui ont introduit dans le pays de
petits tambourins q u’ils frappent avec les doigts et qui
ont obtenu le plus grand succès auprès du roi.
Les joueurs de cithare sont les musiciens préférés de
la foule.
Us chantent en s’accompagnant de leur instrument.
Le thème de ces chants est varié. Il consiste à rappeler
les exploits des héros, les luttes nationales ou même divers
BTTLL. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

29

45 0

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

faits communs de la vie ordinaire. Le sujet est quelquefois
emprunté à des drames dont le fond et la forme sont vul­
gaires, mais il attire toutefois l ’attention des auditeurs
parce q u’il correspond à leur mentalité.
On trouvera ici un de ces morceaux. Nous l ’avons
entendu débiter par un joueur de cithare placé au milieu
d’une dizaine de ses compagnons qui pinçaient tous à la
fois leurs instruments à cordes, pour répéter ensuite en
chœur certaines paroles à la fin de chaque phrase. Le
soliste chantait : « Un léopard sort du bois bien longtemps
après le coucher du soleil.
» 11 traverse le ruisseau de la Goko près du village de
Murunda (dans la région du Kanage).
» 11 arrive dans le pays du Gishwati au commencement
de la nuit.
» 11 approche de la hutte de celui q u’on appelle : « .le
» suis celui qui sait se tirer d ’affaire (Nziguye). »
» Le fauve d ’un coup de patte heurte ia porte.
» La fille du logis (reconnaît et) interpelle l ’animal.
» Son père lui dit : « Mon enfant ce que tu as fait est
» mal. »
» Il va nous arriver malheur.
» Le carnassier cogne sur la porte pour la deuxième
fois.
» Il pénètre dans la hulte et se cache près de la paroi en
joncs (qui divise en deux compartiments l’intérieur de la
case).
» La femme se lève et veut prendre un tison au foyer.
» Le léopard se jette sur elle et l’emporte au dehors.
» D ’un coup de griffe il lu i déchire les entrailles
(im ushing’ urwara m u nda, hava m w ’ umwana).
» Le père se lève à son tour et veut porter secours.
» L ’animal a entraîné sa proie pantelante dans la bananerie.
» Le mari, après recherche faite, ne retrouve que des
bracelets de cuivre ensanglantés.
» Le félin revient après un laps de temps.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

451

» 11 n ’arrive pas à trouver en défaut le maître du logis.
» L’intelligence de celui-ci avait travaillé depuis l ’acci­
dent.
» Le léopard avait eu beau venir avec Jean Lapin (le
type du m alin et du débrouillard qui a mille tours dans
son sac).
» 11 s’approche de la case.
» Nziguye (je sais me tirer d’affaire) (*) avait creusé un
trou profond (recouvert de légères branches d’arbres).
» Le léopard disparut dans la trappe et y mourut. »
d)
Avec les bardes et les annalistes officiels dont il a
déjà été parlé, il y a encore, à la Cour, des jouteurs litté­
raires au langage élevé, attitrés auprès du roi et qui se
relaient sans cesse auprès de lui.
V V

V V

On les appelle « Abasizi » du mot gusiga, qui signifie
parler un langage élevé. Ils présentent les événements du
jo ur sous une forme plaisante et littéraire, qui n ’est pas
comprise des profanes.
V

V

Aussi le contraire du verbe « gusiga » est-il « gusigura », qui veut dire expliquer. Ce sont des gens qui ont
une grande facilité d’élocution, toujours prêts à im pro­
viser. Le roi prend plaisir à ces joutes littéraires qui ne
manquent pas de charme. Leur langue, fort riche, se prête
V V

volontiers à ces jeux d’esprit dont les Abasizi ont fait leur
métier et leur gagne-pain. Un grand chef est habituelle­
ment chargé de leur recrutement. Les titulaires actuels
de cette fonction font, les uns, partie du clan des Basinga
et des aBene Katambi, et les autres, des Bakobga (Nyaruguru, près des monts Bisi).
Comme les annalistes officiels, ils se tiennent à la dis­
position du souverain, prêts à charmer ses loisirs et à lui
faire goûter les plaisirs littéraires.
Pour donner une idée de leur genre et de leur talent
i1) Nziguye est le substantif du verbe kwizigura qui signifie se tirer
d’embarras, échapper au danger par ses propres moyens.

452

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

nous transcrivons trois petits morceaux de leur cru, choi­
sis parmi les plus simples et les plus faciles :
PREMIER EXEMPLE.
V

Agasigo ka Rumanur’ imbâba.

Ibyo bitag’ imitsima.
Mitsindo yarabitsinze.
Intoke ziraruhutse.
Ibyo twaryaga.
Ngaho wabay’ umutsima.
Mitsindo yarabitsinze.
Tulek’ intoke.

Petit morceau littéraire sur ce (la
famine) qui a fait descendre (de
leur cachette) les bouts de pioche
(pour en acheter de la nourri­
ture).
Ce qu’on appelait pain (à savoir
les racines de bananiers).
Le (roi) Victorieux nous en a déli­
vrés (à jamais).
Les bananiers sont (désormais) en
repos.
Ce que nous mangions (autrefois).
Voilà que c’est devenu du (vrai)
pain.
Le (roi) Victorieux nous en a déli­
vrés (de ces maux).
Laissons (en paix) les bananiers
(leurs racines) (>).

DEUXIÈME EXEMPLE.
Akasigo ko gutur’ umwami.

Nd’ uwawe, nd’ uw’ imanzi.
Nkazibgira, Muzima.
v

Nivugire, nd’ uwinganji.
Witwa Ndabagize.

Petit morceau littéraire (sur la
façon de se présenter quand on
vient faire des cadeaux au roi).
Je suis à toi, je suis (l’homme) du
Héros.
Je lui parle (à ce Héros), ô le (roi)
parfait I
Que je me réjouisse, je suis (l’hom­
me) du Victorieux.
Tu t’appelles (ô roi !) le maître de
leur sort.

t1) Les disettes son malheureusement fréquentes vu le peu de pré­
voyance des Noirs. Ils ne cultivent que pour leur consommation person­
nelle. Aussi une récolte vient-elle à manquer, par suite de la sécheresse
ou de l ’abondance des pluies, ils se trouvent à bout de provisions. Le
conteur décrit une de ces disettes, en lui donnant le nom de « Celle qui
fait descendre (de leur cachette) les petits bouts de pioche » tout usés
soient-ils, pour être vendus aux forgerons. On essaie alors d’acheter de la
nourriture dans les provinces voisines avec ces maigres ressources.
Il
est question de racines de bananiers que l’on fait sécher au soleil,
après les avoir battues à coups de manche de pioche, pour en retirer la
potasse. Ecrasées ensuite sur la pierre à moudre le grain, elles donnent
une nourriture indigeste, qui ne rassasie pas et ne retarde pas le dénoûment, qui est la mort, à moins que ce semblant de farine ne soit mélangé
à autre chose de plus substantiel.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

453

Ajoutons que pour observer les règles de l ’euphonie,
les Noirs littérateurs peuvent user de licences poétiques et
faire délibérément des fautes de syntaxe, de construction,
de conjugaison, etc.
TROISIÈME EXEMPLE.
Akaganiro k’ umubyeyi w’ umwana.
U m u g o r’ a tin y ’ um u g ab o .
U m u g a la ’ a tin y ’ u m w a m i.
U m w a m ’ a g a tin y ’ in k u b a .
In k u b ’ ig a tin y ’ u m u g a n o .
U m w a E ’ a tin y a n y in a .
U m u g a n ’ u g a tin y ’ u m u lir o .
U m u r ir ’ u g a tin y ’ am a zi.
A m a z (i)’ a tin y ’ ifu.
I f ’ it in y ’ am enyo.
A m e n y 1 a tin y ’ um u h o ro .

Conversation d’une mère avec son
enfant (pour l’amuser).
La femme craint son mari.
L’homme craint le Roi.
Le Roi craint la foudre.
La foudre craint le bambou (*).
Un enfant craint (respecte) sa
mère.
Le bambou craint le feu (2).
Le feu craint l ’eau.
L’eau craint la farine (3).
La farine craint les dents (4).
Les dents craignent la serpe (le
fer) (*).

C’est à la capitale q u’on entend le beau parler.
Les habitués de la Cour, seigneurs, courtisans, employés
s’expriment dans un langage impeccable, se servent du
mot juste, ont des expressions choisies et y mettent
l ’accentuation voulue, car le runyarwanda est une langue
phonétique. Les hommes de lettres, conteurs, bardes,
généalogistes et historiens attitrés surveillent soigneuse­
ment leur diction. Chez eux la conversation n ’est jamais
f1) Les Banyarwanda, ceux surtout qui habitent dans la montagne, ont
l’habitude d’élever un long bambou dans la cour, près de leur case,
pour se préserver de la foudre. Ils croient que celle-ci, en fendant le
bambou, est par le fait même emprisonnée et devient inoffensive.
(2) « Le bambou craint le feu » parce que les gens qui sont à proximité
de la forêt brûlent surtout des bambous.
(3) « L’eau craint la farine », c’est-à-dire le pain ou la « bouillie »
dans lesquels elle disparaît.
(4) « La farine craint les dents » de celui qui la mange.
(5) o Les dents craignent la serpe », comme tous les autres corps durs,
surtout quand ils sont en fer, comme la serpe, un des instruments qui
leur est le plus utile.
Les Noirs du Rwanda ont une littérature orale, riche et variée. Ils
aimeni; les choses de l ’esprit, et comme leur langue possède toutes les
formes; et toutes les nuances, ils savent la manier avec beaucoup d’art.

45 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

languissante; les plaisanteries et les jeux d ’esprit sont à
jet continu.
Avec le bon goût qui distingue les familiers du roi et
les habitants de la province centrale du Nduga, il ne faut
pas s’étonner de les voir se choquer et rire du jargon des
montagnards et de ceux qui habitent sur les frontières du
royaume. Le langage de ces derniers est loin d’être sélect;
il fourmille de fautes contre la syntaxe ou l’accent et con­
tient un mélange de ternies étrangers empruntés aux
idiomes des peuplades voisines.
Plus versés que les autres dans les questions de langue,
les gens de la Cour discuteront volontiers entre eux sur
la valeur ou l ’étymologie des mots existants et en forge­
ront volontiers d ’autres plus adéquats, en s’inspirant du
génie de leur langue.
Le terme pluriel « im iduha » veut dire cactus; son sens
littéral est « celles (plantes) qui nous donnent ». Comme
ces sortes de plantes qui ressemblent au « quelqual » ou
kwelkol abyssin ne sont d’aucun rapport pour les Banyar­
wanda, les gens de lettres proposent, au moins théori­
quement, de le remplacer par le mot « imyiha » ou
« ichviha », substantifs de pure convention qui excluent
une signification mensongère.
C’est dans le même esprit que les académiciens noirs
désirent substituer le vocable « ikyiyone », c’est-à-dire
gros oiseau au mot usuel « igikona », dont le sens littéral
est « ce qui ravage » (les récoltes). Nos « immortels »
africains souhaitent encore que le terme « um uguta >>
serve exclusivement à désigner le squelette (ou cadavre
desséché) et que son synonyme « umwite » soit réservé
au mot peau.
Dans leur terreur superstitieuse, les Noirs évitent de
prononcer le nom des personnes, des animaux et des
choses dont ils ont peur. Ils s’inspirent en cela du sens et
de l’esprit q u’on a mis dans le proverbe français :
Quand on parle du loup, il sort du bois.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

45 5

Au lieu de désigner le léopard de son vrai nom
« iugwe », les vachers, les pâtres, les voyageurs, tous ceux
qui fréquentent les zones infestées par ces fauves, emploie­
ront les expressions suivantes :
Celui dont on tait le nom. Nyiramahole.
Le vent (rapide comme le vent). Muyaga.
La griffe par excellence. Rwara.
L’anim al à la peau tachetée. Rugondo.
Le vorace. Kimizi.
Pour ne pas s’exposer à la rencontre du lion (intare),
s’ils viennent à causer de lui, ils se serviront de l’expres­
sion suivante : le glouton (lwabgiga).
Les Noirs ne sont jamais à court de termes, leur langue
est riche et se prête aux nuances et au développement des
nouvelles idées introduites par la pénétration européenne.
Les membres de la société secrète de Ryangombe ont
imaginé pour correspondre entre eux une sorte de dialecte
dont nombre de mots fréquemment employés sont connus
des profanes, mais prêtent au rire quand on veut s’en
servir dans le langage courant.
Nous donnons quelques mots de ce dialecte rumandwa :
Rumandwa.
Ameza.
Ubgihirga.

Sens littéral.
Choses bonnes.
Chose difficile à
cultiver.
Choses qui rassa­
sient.
Choses qui ram­
pent.

Ibihimlaza.
Amaranda (>).
Umubonanya.
Inganda.
Akayoba nzara.
Imirundi y’ inkuba.

V

V

Runyarwanda.
Amata.
Uburo.

Signification.
Lait.
Êleusine.

Ibishimbo.

Haricots.

Amateke.

Taraud.

Urnutsima.
Inzoga.
Ce qui trompe la Itabi.
faim.
Jambes de la fou­ Ibijumba.
dre (c’est-à-dire
ce qui a la for
me d’un éclair).

(') Ou amabya y’ abak ungu.

Pain de sorgho.
Bière.
Tabac.
Patates.

456

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

Urwiko.
Uruhuriga.
Isakara.

l ’a FRIQUE

Le silencieux.

Inkono y’ itabi.
Inzoga y’ urwagwa.
Ce qui a une toi­ lnzu.
ture.
Gakungu.
Ce qui n’a pas de Imbga.
cornes.
Inguruka.
Ihene.
Ihangi.
Inka.
Gukoroga.
Gukama.
Gutanyara.
Gutabara.
Gutakura.
Gukinga.
Gaminga.
Gahinga.
iKinyamusenyi.
Ikinyamunyu.
Umusenyi.
Umunyu.
Sable.
Serukanaga f1).
L'homme qui lie. Umutware.
Ibifunga mwoyo (2). Ce qui porte pan­ Abazungu.
talon.
Umumputu.
Umugabo.
Umumkari.
Umugore.
Umwere wa giti.
Umwana.

Pipe.
Bière de bananes.
Hutte.
Chien.
Chèvre.
Vache.
Traire.
Aller à la guerre.
Cultiver.
Sommet de colline.
Bégime de bananes.
Sel.
Chef.
Européens.
Homme.
Femme.
Enfant.

Le langage cabalistique des initiés n ’est pas des plus
châtiés. Une plume honnête ne peut pas reproduire indis­
tinctement tous les termes de leur vocabulaire.
Im

p o s it io n s

d iv e r s e s

des

s u je t s

et

des

clans.

Outre les majordomes, les intendants, les courriers-estafettes (intumwa), on rencontre encore à la Cour la foule
innombrable des fournisseurs de Sa Majesté.
Architectes, constructeurs de métier, armuriers, forge­
rons, fabricants de nattes, vanniers, potiers, tanneurs,
tailleurs pour les costumes faits de peau de colobe, four­
nisseurs de bois de senteur (3), vétérinaires, saigneurs de
(') G u k a n a g a , le verbe d o n t dérive le s u b s ta n tif Se-rukanaga, c’està-dire l ’h o m m e q u i lie est u n sy n o n y m e du m o t k u b o h a , lier.

(2) Le sens étymologique de l’expression indigène est plus fort que
celui de la traduction française et montre le peu de cas qu’on faisait
des Blancs au début.
(3) Le bois de senteur « umugeshi », débité en copeaux dits « imibavu »,
sert à parfumer le beurre.
Lors de la dernière éruption volcanique, en 1912, le roi en fit brûler de
grandes quantités pour purifier l’atmosphère que viciaient les dégage­
ments sulfureux.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

457

vaches, bouchers et autres artisans en tous genres, on
peut dire d’une façon générale que tous les sujets tra­
vaillent pour le roi.
11 n ’est pas jusqu’aux « preneurs de rats » officiels qui
ne viennent régulièrement exercer leurs fonctions, comme
les membres des autres corporations. Au lieu de les dési­
gner sous la dénomination ordinaire de « tendeurs de
pièges » ou « preneurs de rats », il est convenu de les dési­
gner sous le terme euphémique de « gendres » (abakwe),
qui viennent pour se marier (ngo baje kulongora). C’est
pour que l’attention des rats ne soit pas éveillée, quand
ces importants personnages pénètrent à la Cour.
Le miel dont le Roi et les grands font un fréquent usage
pour l’hydromel, leur boisson préférée (inkangaza), vient
surtout des contrées montagneuses, riches en arbres et
en fleurs.
Les habitants du Bugoyi, du Mulera, du Russigi, du
Rgisha, du Bufumbiro, etc., fournissaient autrefois cette
substance par manière d’impôt, sous le nom d’ « umutsama » (au pluriel imitsama).
Les gens du Kinyaga, riverains du lac Kivu, confection­
naient pour la Cour, des nattes solides (ibisunyu) faites
d’herbes lacustres.
Ceux du Bgishaza, du Kingogo, du Budaha, etc., parce
que proches de la forêt, où se trouvent les matériaux
nécessaires à leur art, fabriquaient des palanquins, des
corbeilles et des paniers de différentes formes.
Les nécessaires de toilette, les peignes, les pots à beurre,
les assiettes, les cuillers, les cruches, les pipes, les blagues
à tabac, les arcs, les flèches, les boucliers, les carquois, les
bois de lance, les massues, les fourreaux, les étuis de
couteaux et de chalumeaux, les tambours, les chaises, etc.,
étaient fabriqués ou travaillés par des professionnels qui
payaient ainsi leurs impôts.
Le roi, d’après une coutume immémoriale, se choisis­
sait une épouse dans chacun des clans hamites suivants ;

458

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQUE

Rega, Basinga, Bakono, Baha et quelquefois aussi chez les
Bagessera, sans parler de celles qui lui étaient signalées
pour leurs qualités morales et physiques. Il entretenait
des relations matrimoniales avec les princes voisins de
l’Uswi, du Karagwe, du Bunyabungu, mais on n ’a pas
entendu dire qu’un fils de ces princesses étrangères soit
monté sur le trône. Rares furent les épouses royales qui
purent conserver indéfinim ent les faveurs de leur mari.
Beaucoup d’entre elles retombaient au rang de servantes
(abaja), quand elles n ’étaient pas renvoyées dans leurs
familles 0).
Quelques chefs étaient, de par la coutume, tenus d’en­
voyer régulièrement à la Cour des fillettes que l’on élevait
dans l’entourage de la reine-mère. La condition de ces
enfants était plutôt malheureuse. Devenues adultes, on
recrutait parmi elles des servantes, des bonnes à tout faire
et des épouses symboliques offertes aux esprits des rois
défunts (2).
D ’autres étaient chargées de la confection des paniers,
corbeilles, nattes et autres fins ouvrages de vannerie.
Sebugrigri (décédé en 1925), le mandataire du grand
chef Rwidegembya pour la province du Rigogo, devait
fournir annuellement deux ou trois de ces enfants que
par euphémisme on désignait sous le nom de <( pages »
(intore) ou de « sortants » (émigrants) désignés par le sort
(inkuke).
Nyiramurici (décédé en 1927), un muhunde, originaire
du Gishari et proche parent de la reine de ce dernier pays,
qui était venu faire la cour au prince hamite du Rwanda,
reçut en récompense de ses services de sorcellerie trois
villages (Gassovu, Gatoke, Nyaruchundura) situés dans le
Kanage, à seule charge de donner à la reine-mère les
(>) Cette éventualité était la meilleure qu'elles pussent souhaiter, parce
qu’elles recouvraient alors toute leur liberté.
(2) Cf. chapitre VII sub. Rites funéraires.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQÜE

459

fillettes q u’il pourrait avoir ou q u’il arriverait à se procu­
rer parmi ses sujets (*).
Certaines familles, pour gagner les bonnes grâces du
roi ou de sa mère, envoyaient spontanément leurs enfants,
garçons et filles. Le sort des adolescents était de beaucoup
préférable à celui de leurs sœurs, parce que devenus
grands, après un stage dans le corps des pages, ils recou­
vraient leur liberté et recevaient souvent, en récompense
de leur séjour à la Cour, le gouvernement d ’une colline.
Parmi les autres familles jouant un rôle à la Cour, nous
citerons encore les aBasingo, les Batchaba et les aBagessera. Les Basingo, fraction du clan puissant des Biru, ont
la spécialité d’exercer leur métier en temps de guerre, en
même temps que les Maudisseurs (Abahenvi).
Ils sont chargés de « fermer le chemin » à l ’ennemi
(gukingir’ ababisha) en réunissant tous les monstres
fictifs ou réels, considérés chez les Noirs comme portemalheur et désignés pour cela sous le nom d’ « intsiro ».
Ce sont tout particulièrement les chèvres noires, les pous­
sins noirs dont les entrailles scrutées par les devins ont
« noirci », c’est-à-dire ont été jugées défavorables aux
ennemis, les mères dissolues (ibinyandaro), les enfants
nés hors mariage, ceux qui sont nés durant le deuil d’un
de leurs parents (umwana w ’amabi), les jeunes filles aux
seins non développés (impenebere), les vieilles femmes
qui ont passé leur vie dans la stérilité (umugetchuru
w’igicha mbyaro) et autres vrais monstres aux défauts
réels et apparents, q u’ils désignent sous le nom générique
d’ « ibimara » ou « ibimazi ».
Les aBatchaba, une autre branche de la grande famille
(J) Cette contribution est restée toujours odieuse. Les parents en géné­
ral consentaient difficilement à livrer leurs rejetons et n’obéissaient qu’à
la contrainte. Ils réussissaient quelquefois à se soustraire à cet impôt
exorbitant en payant au chef une ou même plusieurs vaches. Le
seigneur abusait aussi de son autorité en imposant uniquement ses enne­
mis ou en leur extorquant plusieurs têtes de bétail, sous ce révoltant pré­
texte.

460

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

des aBiru, choisissent et mesurent l ’emplacement des
cases royales. Ils suspendent dans l ’intérieur de la hutte
et fixent ensuite à l’extérieur des branches d ’arbres à
propriétés magiques (x) qui exercent, d ’après les croyances
populaires, une influence salutaire sur les habitants ou
propriétaires des cases. Il appartient à leurs femmes et à
leurs filles d’aller en dansant et en chantant au-devant des
vainqueurs pour les féliciter de leurs prouesses. Elles
participent encore aux réjouissances traditionnelles qui
ont lieu quand le roi prend officiellement possession d’une
case nouvellement construite et y pénètre pour la première
fois avec une épouse de circonstance (2).
Aussi a-t-on donné à cette gent fém inine le qualificatif
d’ « abaterampundu », c’est-à-dire les jeteuses de cris
joyeux.
Les attributions des aBatchaba se confondent souvent
avec celles de leurs frères, les aBasingo, q u’ils aident à
ensorceler l’ennemi, par le moyen d’êtres tératologiques
que l ’on pousse devant l’armée adverse. Comme les aBiru,
ils s’occupent aussi de la fabrication des tambours.
Les aBagessera ont pour totem la bergeronnette,
oiseau porte-bonheur, considéré par le fait même comme
un membre de la famille. De là le pouvoir qu’ont les
Bagessera d’appeler ce volatile, quand on a besoin de lui.
Il existe à la Cour et dans tout le pays une coutume en
vertu de laquelle nul ne peut entrer dans une nouvelle
hutte si la bergeronnette n ’a fait son apparition. Il faut
que cet oiseau vienne au moins voltiger ou sautiller sur
le terrain aplani où doit s’élever la case ou sur l ’habitation
elle-même. On attendra même plusieurs jours, s’il le faut,
(!) Parmi ces plantes ou arbres à propriétés magiques citons le ficus
(umuvumu), l'érythrina à fleurs rouges (umuko), la plante dite
irarire, etc.
(2) La prise de possession d’une nouvelle hutte se fait en principe et
cela dans tout le Rwanda, au nom d’un esprit (parent défunt) dont on
veut s’attirer les faveurs. C’est en son nom aussi qu’on prend femme
(kumulongorer’ abazimu)

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ' a FRIQUE

461

plutôt que de s’exposer aux malheurs réservés infaillible­
ment à ceux qui ne voudraient pas tenir compte de cet
usage traditionnel. Les Bagessera sont donc chargés à la
capitale, pour chaque bâtisse royale, de provoquer l’arri­
vée de « leur parent » (mwene wabo), le sympathique
volatile.
Ils emportent dans ce but de la braise de chez eux, afin
d’allumer un feu devant la nouvelle hutte.
Ils s’asseyent tout auprès et sifflent d’une façon parti­
culière pour se faire entendre de leur totem.
La bergeronnette est respectée des Banyarwanda. Dans
les contes et les chants, elle est appelée l’oiseau (inyamanza) du pays de Mabera, village célèbre dans le passé,
habité par les Bagessera 0). Il se trouve près de la colline
de Lwoga, non loin de Nyanza, la capitale actuelle.
Les Bagessera se donnent comme le clan m uh u tu le
plus important et se disent les plus anciens habitants du
Bwanda. A les en croire, ils étaient les premiers maîtres
du sol.
(!) Le respect dont on entoure la bergeronnette a fait l ’objet d’un
conte charmant. C’est pour avoir rendu un jour un service signalé qu’elle
a obtenu une place de choix parmi les oiseaux favoris. Un roi, dont on
a oublié le nom, se mourait d’amour. Ses courtisans ne savaient que
faire, malgré leurs nombreuses tentatives pour donner au monarque
une compagne de choix...
Or, vers ce même temps, deux époux élevaient dans un village éloigné
de la capitale, une fille de toute beauté, nourrie de lait de vache... La
bergeronnette, qui connaissait la langueur du souverain, vint voltiger
au-dessus de la cour où la jeune fille faisait sa toilette. Il s’empare d’une
des principales pièces d’habillement et vole dans la direction de la capi­
tale. Surprise, l ’aimable personne suit l ’oiseau, en le suppliant de lui
rendre son bien : « Ne crains pas, répond l ’oiseau, je te restituerai ton
habit, quand nous entendrons résonner les tambours (de la capitale) ».
Et tout en parlant, le messager ailé laisse tomber des perles dont il avait
fait une provision. La jeune fille avide de nouveautés, se baisse pour
les recueillir. On arrive ainsi à la Cour... On s’étonne d’abord d’un fait
si prodigieux, mais l ’attention est attirée par l’harmonie des traits de la
belle inconnue. Le roi est averti. C’est elle qu’il attendait. La bergeron­
nette reçut en récompense pour sa race et à perpétuité le privilège
appelé « ubulenga nzira » comprenant l’immunité et une sorte de dîme
prélevée sur les récoltes dans l ’étendue du royaume.

462

Se r v

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

it u d e s

sanglantes

im p o s é e s

a

quelques

f a m il l e s

.

Les Bakono, les Banyabyinshi et les Bakunzi du Kinyaga
en furent longtemps les victimes.
Ajoutons toutefois que la brutalité et la cruauté qui
présidaient à l’accomplissement de ces coutumes in h u ­
maines, aujourd’hui supprimées, avaient perdu de leur
rigueur primitive, durant les deux derniers règnes.
1. — La créance expiatoire à laquelle étaient asservis
les Bakono pour avoir combattu Ruganzu II, avait été
complètement transformée.
A l’avènement d’un nouveau roi, ces mêmes Bakono,
de concert avec les gens d’un autre clan ayant fait partie
autrefois du groupe des Banyabyinshi dont il est tant de
fois question au début du règne du grand roi, devaient
députer, les uns et les autres, un ou deux de leurs m em ­
bres à la capitale.
Les gens de la Cour, au lieu de les égorger comme
autrefois, se contentaient de les asperger d’eau lustrale
(eau de craie) et de les pousser un instant dans la hutte
aux esprits, comme pour les offrir en sacrifice à ces der­
niers, et tout en restait là. D ’autres chroniqueurs assurent
q u ’il était d’usage de leur donner quelques coups de bâton,
pour empêcher que la coutume ne perde complètement
son sens pénal.
2. — Un autre progrès sur le passé a été la suppression
pure et simple, durant les deux règnes précédents, de
l ’odieuse habitude q u’avait chaque nouveau prince, à
l’occasion de son arrivée au trône, d’envoyer ses troupes
guerroyer à Russokovu, entre le Bugamba et le Kingogo,
comme pour y recevoir le baptême de feu.
On appelait cela « faire boire du sang à la lance du roi »
(guhir’ icchumu rv’ um w am i).
De même que les Banyarwanda ont l ’habitude de mener
leurs troupeaux à l’abreuvoir (guhir’ inka) au commen-

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

463

cernent de la journée, il fallait aussi que, d ’après un usage
traditionnel, le roi, à son avènement, fît boire du sang à
sa lance (kunywesh’amarasso icchumu ry’ umwami).
Après avoir tué quelques malheureux, les guerriers vic­
torieux rentraient dans leurs foyers.
Le début du règne ne pouvait s’annoncer sous de plus
heureux auspices.
Ruganzu II Ndori amorça le premier l ’expédition deve­
nue traditionnelle clans la suite.
C’était pour punir les meurtriers de son père. D ’après
une version, qui a été donnée déjà 0), le vieux roi Ndahiro
avait été tué à Russokovu, par les Rakongoro (fraction du
grand parti des Ranyabyinshi), qui s’étaient révoltés
contre lui et qu’il était allé soumettre.
L ’expédition se termina par un désastre. Ndahiro, ajoute
la même tradition, y périt avec un grand nombre de ses
partisans. Les révoltés s’emparèrent des tambours du roi,
q u’ils firent brûler. Seul, le palladium du royaume, le
Kalinga, échappa aux mains des vainqueurs. Aussi,,1e lieu
de la défaite est-il désormais connu sous le nom de
« Rubi rw’inyundo », c’est-à-dire « le mal du marteau »,
pour rappeler que les armes forgées par les marteaux des
forgerons eurent en cet endroit des résultats funestes pour
Ndahiro et ses guerriers (2).
3.
— Heu reuse abolition encore que celle qui consistait
pour le jeune roi à tuer de ses propres mains un de ses
oncles maternels (nyirarume), acte superstitieux autant
f1) CL Livre troisième. Histoire du règne de Ruganzu II.
(2) Nombreuses sont les variantes sur ce point d’histoire. Les habitants
du Bugamba racontent à qui veut les entendre que Ruganzu II a été
enfumé dans la grotte de Kirengo par les Banyabyinshi. De là vint,
d’après eux, la coutume qui consistait à conduire deux habitants du pays
à la capitale, pour y être frappés, en souvenir et en punition de ce for­
fait. D’autres croient que c’est Chyilima-Rugwe qui fut blessé mortelle­
ment par les Bakongoro et qu’il vint mourir, poursuivi par ses ennemis,
près de Gasseke, où son squelette fut retrouvé. Ces circonstances tra­
giques expliqueraient les quinze jours de deuil annuel au mois de juin,
si le désastre fût tel que le laissent supposer les chroniqueurs.

464

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

que politique, que suivait souvent de près le meurtre des
princes apparentés au monarque.
La prospérité du royaume était censée dépendre de
l’accomplissement de cruels usages.
L’omission de ces pratiques barbares aurait été tout à
l’honneur des Banyarwanda si, en 1895, lors du détrônement de Mibambge-Rutalindwa, le parti des Bega,
victorieux et maître du pouvoir, n ’avait exercé sur les
vaincus les atrocités sans nombre que les indigènes se
racontent quelquefois en cachette, le soir, près du .feu,
non sans frémir.
4. — Le châtiment des Bachuku et des Bayumbo du
pays du Bukunzi, rattaché à la province du Kinyaga, est
de tous le plus connu.
Le récit de la faute qui provoqua cette peine est raconté
dans YHistoire du Règne de Ruganzu II
C’est pour avoir égorgé le taureau d’un des troupeaux
du grand roi que celui-ci commença lui-même par en
tirer sur place une vengeance éclatante, en faisant égor­
ger deux jeunes gens et deux jeunes femmes, dans la
vallée dite de Nyakafunzo.
« Ma lance, s’était écrié le monarque irrité, je vais
désormais la laisser au milieu de vous, pour que vous lui
donniez des enfants. A chaque changement de règne, vous
livrerez en expiation du forfait que vous avez commis un
jeune homme et une jeune femme. » Les émissaires
royaux se présentaient donc à chaque nouvelle succession
au trône pour prendre possession du tribut hum ain.
Le jeune homme était massacré à Nyakafunzo même.
On lui plongeait un poignard sous l’aisselle. Le sang était
recueilli dans une jarre de bois que l’on portait ensuite,
d’après les indications reçues de la capitale, en pays
ennemi.
Par l ’effusion de ce sang m audit, on escomptait la
défaite des habitants qui avaient offensé le roi ou étaient

UN BOYAUME HAMITE AU CIENTRE DE L’AFRIQUE

465

en guerre avec lui. Le cadavre du malheureux était aban­
donné sur place, où les hyènes ne tardaient pas à le faire
disparaître... Quant à la jeune femme que devaient four­
nir les Bachuku, il était convenu de la choisir parmi les
mères qui allaitaient une fillette. Son sort était moins
terrible. On la mariait au Bumbogo, pour s’y occuper de
la culture du sorgho et de l’éleusine, dont on portait les
prémices à la Cour, pour la grande fête annuelle, qui s’v
célèbre à cette occasion. C’est pour aider à la pratique de
cet usage que les Bachuku fournissaient encore le m oulin
à farine qui devait servir à moudre le sorgho et l’éleusine.
Une cruche en terre et la grande cuiller de ménage ou
spatule (umwuko) propre à faire le pain (umutsima)
accompagnaient l’envoi des pierres meulières.
Les Noirs assurent que lors de l ’avènement du roi actuel
au trône, c’est-à-dire en 1896, la coutume ne fut pas
suivie. Les événements sanglants qui se déroulèrent à cette
époque la firent perdre de vue.
11 n ’est pas dit aussi que les Bakunzi, ou gens du
Bukunzi, s’y seraient prêtés de bonne grâce, vu l ’odieux
de la chose et l’indépendance qu’ils commençaient à m ani­
fester vis-à-vis du roi hamite.
P

r iv il è g e s

et

faveurs

de

la

C

o u r

.

Dans le cours de ce travail il a été question à plusieurs
reprises d’exemptions, de franchises et d’immunités con­
cédées à des particuliers et à des familles. Que le lecteur
veuille bien se reporter à ce qui est dit dans la Fondation
du Royaume hamite et dans YHistoire du Règne de
Ruganzu //, pour se faire une idée sur ce su jet.
On y verra l’époque approximative de la concession de
ces franchises et les motifs pour lesquels elles furent
accordées. On ne sera pas peu étonné d’y trouver des
exemples d’autonomie régionale.
Nous ne voulons parler ici que de certaines faveurs ou
MEM. INST.

KO Y AL

COLONIAL

BELGE.

30

466

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

privilèges d’un caractère original, octroyés pour un temps
déterminé ou même à perpétuité.
L ’anoblissement entre dans la dernière de ces deux
catégories.
1° De l’anoblissement
Les Batwa, avons-nous dit plus haut, forment une caste
méprisée aussi bien des Bahutu que des Batutsi.
Et l’on croirait se déshonorer, non seulement en con­
tractant des unions matrimoniales avec eux, mais encore
en se faisant leur commensal. Il y eut pourtant des excep­
tions à cette sorte d’ostracisme. En remontant dans le
passé, on trouve des Batwa anoblis et mis sur le même
pied que les Batutsi.
D ’autres acquirent avec le temps une noblesse de fait.
L’exemple le plus connu est celui du Mutwa Busiete,
auquel Yuhi III Gahindii ■o donna sa propre fille, Mulangamirwa, en mariage, pour le récompenser de son dévoûment et de ses services. Les descendants de ce couple ont
formé le clan des Basiete, qui jouissent encore d’une
grande influence à la Cour et possèdent de nombreux
territoires (fiefs).
Ce n ’était pas là un fail sans précédent, car les rois
hamites, tout en maintenant les différences sociales que
l ’on connaît, usèrent fréquemment de ce moyen pour
récompenser les roturiers bien méritants.
Il en a été de même ju squ’à ces derniers temps.
Parmi les Bahutu admis dans la caste des Batutsi, avec
lesquels ils ont contracté des alliances matrimoniales, on
cite le chef du clan des maudisseurs (abahenyi), Agakwande, ainsi que les descendants du grand sorcier Lunukamishyo. Ceux-ci forment un clan fermé, connu sous le
nom d’Abosha, et ont rang à la Cour des devins-sacrificateurs.
Les gardiens du trésor (abanyabyuma) ou abanvori du
village de Mpanda ont été pareillement anoblis, ainsi que

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE 1)E L’AFRIQUE

467

Bunyereri, le commandant de l ’armée des « Irrésistibles »
(Intalindwa).
On en fit autant pour nombre d’étrangers originaires
de l’Uswi, du Bunyabungu et d’autres contrées lim i­
trophes.
Les gens de service (abanyagikali, abanyanzoga, etc.)
qui, avec la faveur du roi, ont obtenu l’ennoblissement
et le gouvernement de quelques provinces ou villages, ne
se comptent plus. Des prisonniers de guerre, après avoir
gagné la confiance de leurs vainqueurs, prirent également
rang parmi les Batutsi. Le chef Lusera, enlevé tout enfant
au Nkole, durant une expédition, fut élevé par le roi
Lwabugiri, qui lui donna plus tard, avec le village de
Gitongati, dans le Nduga, sa propre fille Kalungerwa en
mariage.
Le clan des Badiga doit son anoblissement à une
curieuse circonstance, sans que les rois hamites aient eu
besoin d ’intervenir directement.
L’ancêtre de cette tribu, un nommé Bidiga, était de
race Mutwa et ses parents, Sabulegeya et Rwiru, étaient
originaires de la province du Bufundu. Ces derniers
étaient venus s’installer au village de Gahogo. dans le
Nduga. Bidiga, leur fils, v continua le métier paternel
de potier. Durant une famine, un jour qu’il pleuvait à
torrents, une femme Mututsi, nommée Nyirandoba, cher­
cha un abri dans la hutte de Bidiga dont elle ignorait la
condition sociale. Très galant, le potier offrit à manger
à la noble dame éprouvée par la faim.
Nyirandoba accepte avec empressement. Sur ces entre­
faites, le beau temps revint et la dame, restaurée, prit
congé de son hôte après l’avoir remercié avec beaucoup
de grâc«.
Chemin faisant, elle entend une voix invitant Bidiga
à profiter de ce moment d’éclaircie pour descendre au
marais et y quérir de l’argile. Nyirandoba reconnaît sa
méprise. Elle est déshonorée à jamais. Tout le monde

468

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

saura qu’elle, femme mututsi, est entrée sous le toit d’un
Mutwa et y a pris de la nourriture de la m ain de ce paria.
Dans sa caste désormais personne ne voudra d ’elle.
Bidiga, qui comprend son trouble et ses hésitations, se
fait secourable en lui offrant sa m ain. La noble personne,
toute heureuse de l’issue, devint l’épouse de Bidiga.
Non loin de là se trouvait le clan des Batutsi, dit les
Babambanganzi, auxquels était confié un des troupeaux
de la Cour, connu sous le nom de « vaches noires » (inka
z’imikara, inkuke z’ibgami). Les pasteurs, qui n ’avaient
q u ’à se louer du voisinage de Bidiga, en firent leur vacher
et lui confièrent la garde du troupeau royal. Bidiga et sa
famille entrèrent peu à peu dans l’intim ité des Hamites
et contractèrent avec eux des unions matrimoniales qui
leur valurent à la longue la qualité de Batutsi (*).
2° Autres faveurs et privilèges.
a)
« Le cadeau de la vache du feu » (inka y’ umuriro)
consiste dans l ’envoi, de la part du roi, d’une vache, à un
chef dépouillé de ses biens ou disgracié depuis quelque
temps. Cela équivaut à une réconciliation.
Celui qui était devenu l’objet de l’ostracisme ou du
bannissement, obtient, par l’octroi de ce privilège, la
permission de s’installer définitivement sur un terrain
concédé et d’y bâtir comme les autres.
Le don de cette vache, qui est le signe et la preuve de
la rentrée en grâce, est, de plus, l’annonce de nouvelles
faveurs.
Les deux derniers bénéficiaires de la clémence royale
furent les oncles maternels de Musinga, Lukangamiheto
et Luhinankiko, dont l’am bition et la politique avaient
t1) Ces renseignements fournis, on comprend pourcpioi le type hamite
a plus ou moins perdu sa pureté primitive dans quelques-uns des clans
qui appartiennent à ce groupe ethnique. Disons aussi que les Batutsi
pauvres ne se font pas faute d’épouser des femmes Bahutu.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQUE

469

souverainement déplu à la Reine-Mère et au régent
Kabale, auteur de la révolution sanglante de Ruchunchu.
Ils ont repris leur rang et leur place à la Cour.
b) Droits d’entrée (ilembo). C’est une faveur très appré­
ciée de ceux qui en sont l’objet. Elle consiste à recevoir,
à la place du roi, les présents en nature et en troupeaux
qui sont offerts journellement au prince. D ’où l’expression
« se rendre ou se poster à l’entrée de la Cour » (kuja
kw’ilembo ry’ibgami), afin de s’approprier les cadeaux et
les vaches que les sujets viennent présenter au souverain.
C’est un privilège temporaire qui ne se concède que pour
la durée de quelques jours et jamais plus de deux ou trois
mois au même individu.
c) « Ubulenga nzira » est une sorte de droit de dîme
que le roi et les grands chefs accordent à un individu
qu’ils veulent récompenser. Le titulaire de ce droit peut
aller prélever chez les habitants du territoire sur lequel
s’étend la juridiction du chef ou du monarque. Des
vaches et des produits du sol, tels sont les avantages qu’il
en retire aussi longtemps que la concession n ’est pas
révoquée.
d) Le droit de prélever une vache partout où l’on passe
une nuit (knrar’inka) est surtout concédé en temps de
guerre, à l’aller et au retour.
C’était un bon moyen de s’attacher les guerriers, qui
faisaient grand cas du privilège et en tiraient profit en
territoire ami ou ennemi.
e) Ubutumwa (message). Le droit de message vaut à
l ’envoyé du roi la permission de demander une vache au
destinataire du message. On cite des gens qui ont réussi,
grâce à cet emploi de courrier royal, à se constituer de
beaux troupeaux.
/) « Ceux qui ne sont pas pillés » (abatanyagwa). C’est
une sorte de privilège d’inviolabilité conféré par le prince
à des chefs q u’il prend spécialement sous sa protection. Il

470

XJN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

leur promet son aide et jure de ne jamais les livrer à leurs
ennemis.
g) « Le droit d’aller se procurer des vivres durant la
n uit » (oguhaha n ’ ijoro) est une métaphore polie ou
mieux un aimable euphémisme pour dire que les béné­
ficiaires auxquels est octroyé ce privilège peuvent aller
voler impunément de nuit. On raconte que cette curieuse
permission fut donnée pour la dernière fois au clan des
Bakoma, les descendants du roitelet de Marangara, qui
surent l’exploiter au mieux de leurs intérêts.
Les faveurs de ce genre ne pouvaient étonner les Noirs,
qui savaient bien que les biens des sujets appartiennent
au roi et qu’en les prenant (lui-même directement ou par
intermédiaire), il ne prenait que ce qui était à lui.

CHAPITRE V
Des garanties dont le roi s’entoure de la part de ses employés.
Dangers auxquels étaient journellement exposés ces derniers.
Usages et formalités auxquels s’astreignent le roi et ses sujets.
I. —

P

r é c a u t io n s

de

la

em ployées

f id é l it é

de

ses

pa r

le

employés

roi
et

po u r

s ’a s s u r e r

s e r v it e u r s

.

Avec le dévouement le plus absolu, le roi exige aussi
le secret le plus rigoureux de la plupart de ses gens. Ce
sont surtout les cuisiniers, les servants de table (abozi,
abahanga), les échansons, les préparateurs du tabac et les
préposés à la pipe du prince (abanyaruhago), qui ont le
plus à se surveiller, pour ne pas s’exposer à sa colère et à
ses soupçons.
Les devins-sacrificateurs et principalement ceux qui
sont connus sous le nom d’Abakongori ou Abanyambuto,
parce qu’ils utilisent la salive du roi dans leurs opérations,
se livrent à leurs occupations dans le plus grand mystère.
Il en est dé même des historiens officiels (abachu-

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

471

rabgenge), des gardiens des traditions (abiru), des
employés de la corporation royale des pompes funèbres;
n ul profane ne peut être admis dans leur intimité. Pour
s’assurer de leur zèle, de leur attachement et de leur dis­
crétion, le souverain les soumet, à leur entrée en charge,
à une sorte de poison d’épreuve (igihango), qui, dans la
pensée des Noirs, est à effet nocif, suspensif et subséquent.
Pour ce faire les aspirants ou successeurs aux emplois
précités étaient autrefois conduits à Gihinga, dans le
Nduga, sur le bord d’une source célèbre, pour y boire le
breuvage garant de leur fidélité dans l ’avenir. Les prépo­
sés à ces sortes d’épreuves y jetaient dès la veille, des
feuilles, des plantes et des branches d’arbustes jouant un
grand rôle dans ce genre de cérémonies. On devait encore
se procurer, pour la plonger dans l’eau, la corne d’un tau­
reau et autant que possible celle d’un de ces animaux qui
aurait tué au moins une personne, comme si le souvenir
d u sang versé devait désormais hanter le cerveau des nou­
veaux candidats et les remplir de terreur. L’acte s’accom­
plissait avec un grand sérieux. Après avoir bu de cette eau
magique, défense expresse était faite aux participants à
l’épreuve, de cracher, de fumer ou de boire de la
bière durant les premiers jours, afin que le breuvage
puisse exercer en eux toute sa vertu. Les Noirs sont, en
effet, très méticuleux dans l’accomplissement de leurs
rite? et de leurs superstitions (imihango n ’imigenzo). Les
héros de l ’épreuve étaient désormais censés ne plus pou­
voir manquer à leurs obligations d’état. Ils s’étaient enga­
gés à jamais et la moindre infidélité, le moindre manque­
ment à leurs devoirs ne pouvaient avoir que des consé­
quences désastreuses entraînant la perte de la vie. Comme
pour les initiés à la société secrète de Ryangombe, le poi­
son d’épreuve avait désormais sur eux un effet suspensif
et subséquent. C’était comme une sorte d’épée de Damoclès toujours prête à les frapper en cas de désobéissance
ou de violation du secret.

472

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

En buvant le breuvage magique, ils prenaient l’engage­
ment implicite de servir le roi comme le comporte la
nature de leurs fonctions et d’observer vis-à-vis des pro­
fanes le silence sur ce qui se passe à la Cour.
Malheur à eux s’ils allaient à l’encontre du secret pro­
fessionnel.
On a vu que, pour conserver au breuvage (igihango)
sa vertu supranaturelle, il était interdit aux candidats de
fumer, de boire et de cracher. Comment faire pour éviter
les effets désastreux que, d ’après la croyance populaire,
pouvait avoir sur la santé le poison d’épreuve ?
Coutumiers, comme le sont les Primitifs, des choses les
plus étranges et les plus incroyables, les Banyarwanda
estimaient que, pour être quitte de tout danger à cet égard,
il suffisait de commettre aussitôt une faute honteuse.
En vertu et en conséquence de cette croyance, les
parents des nouveaux débutants pensant leur être utiles,
les entraînaient au loin, en dehors du clan, avec quelques
amis. Là on se mettait à l’affût et l’on s’emparait d ’un
jeune homme ou d’une jeune fille, selon que le candidat
était de l’un ou de l’autre sexe, et on lui faisait violence.
Il faut ajouter que, depuis l’arrivée des Européens, les
Noirs connaissant la répugnance de ces derniers en pareille
matière, n ’ont plus osé accomplir cette dernière partie du
programme.
II. —

D

angers

auxquels

ont

été

exposés

DE T OU T T E M P S L E S D I G N IT A I R E S , L E S E M P L O Y E S ET LES
F A M I L I E R S DE LA C O U R .

On peut dire que, ju sq u ’à ces dernières années, le secret
de certaines coutumes et traditions avait été bien gardé,
par crainte des effets du poison d ’épreuve et par peur du
roi, qui n ’aurait pas hésité à punir les délinquants à la
première annonce de leur indiscrétion. Il est également
vrai de dire que, jusqu’à notre époque, la plupart des ser­

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

473

viteurs ou employés subalternes ont vécu dans le danger
et sous la menace perpétuelle d’une mort violente, les
guettant à chaque instant. Le monarque, ne comptant pas
exclusivement sur l’efficacité du poison d’épreuve, ayant
probablement de très bonnes raisons pour ne pas trop s’y
fier, usait malheureusement souvent de ses prérogatives
tic souverain et de son pouvoir discrétionnaire sur toutes
choses pour sévir à outrance. Rien ne comptait à ses yeux
que son intérêt, ses caprices et ses passions. Celles-ci se
donnaient fréquemment libre cours. 11 suffisait d’un sim­
ple soupçon ou moins encore pour que de pauvres m alheu­
reux fussent frappés sans miséricorde.
Quelques exemples éclaireront les lignes précédentes.
Ajoutons qu'ils ferment la série sanglante et q u’ils ne peu­
vent plus se renouveler à l ’heure actuelle.
Les serviteurs les plus exposés ont été sans contredit
ceux qui étaient préposés à la cuisine ou à la table du roi,
ainsi que ceux qui étaient chargés de la garde de la bière
ou du lait et les préparateurs du tabac. Pour ne pas allon­
ger outre mesure la liste nécrologique, car les autres
employés étaient bien loin d’être à l ’abri du danger, on ne
parlera que des victimes appartenant à ces dernières caté­
gories de servants.
Kiryana (du mot kurya, manger) ou la « Maison qui
dévore » ses habitants, tel est le nom de triste augure
donné à la hutte où sont rangées les jattes de lait réservées
au prince.
Deux ou trois gardiens sont affectés à ce service, qui
consiste à nettoyer les jattes, à recevoir le lait que doivent
apporter les chefs et à le présenter au roi, une fois par
jour.
C’est de tous les métiers le plus redouté et le moins
envié. Nombreuses en ont été les victimes et nombreux
aussi ceux qui, pour refuser ce dangereux honneur, se
sont enfuis au loin dans les pays limitrophes.
Aussi l’impose-t-on presque toujours de force. Rares,

474

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

peut-on dire, furent ceux qui quittèrent leur emploi, sans
y avoir laissé la vie. Les souverains, vivant, eux aussi,
sous la crainte perpétuelle du poison ou de l’ensorcelle­
ment, nullem ent avares de par ailleurs du sang- de leurs
sujets, qui comptaient si peu à leurs yeux, ne se faisaient
aucun scrupule de maintenir leur entourage dans une
crainte salutaire, en frappant aveuglément dans les rangs
de leurs serviteurs. Ceux qui tombaient servaient d’exem­
ple à ceux qui restaient. Il s’agissait de leur inspirer la
terreur et les inciter au zèle. Le roi, grâce à sa haute intel­
ligence, à ses devins et à ses sorciers, passait pour ne rien
ignorer de ce qui pouvait sc tramer dans l’ombre contre
lui.
Quelques cas concrets.
Un jeune homme était attaché depuis une quinzaine
d’années à ce service spécial. Maintes et maintes fois, son
souverain lui avait assuré qu’il était content de ses ser­
vices et q u’il ne lui arriverait jamais malheur.
Ses aides et ses collègues disparaissaient, presque tous
emportés par la fatalité sanglante qui s’attachait à eux et
à leur emploi; lui seul demeurait inamovible. Pour se
l ’attacher davantage, le roi le comblait de biens et de
vaches.
Une pensée inquiète venait-elle effleurer son âme, il
songeait à ce q u’il possédait, à la faveur du monarque et
à ce q u’il en attendait encore. Vint un temps où la reinemère, influencée par des rivaux et des jaloux, commença
à le persécuter. Notre homme avait beau se défendre, fai­
sant appel à la garantie q u’il avait donnée en buvant le
poison d’épreuve et manifestant de la façon la plus tou­
chante les sentiments de loyauté qu’il nourrissait à l’égard
de la famille royale, les soupçons qui pesaient sur lui ne
firent que s’aggraver. La rein^-mère, qui avait toujours
un sabre à la m ain, en vint bientôt aux coups. Pendant
que notre infortuné remplissait ses fonctions auprès du

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

475

roi, en lui servant à boire, il sentit plusieurs fois la pointe
du sabre effleurer son corps : « Traître, empoisonneur,
fils de chien » (umwana w’imbga), telles étaient les épithètes qui accueillaient son arrivée. Le prince d’abord
parut le défendre. Il lui dit même en particulier q u’il ne
croyait pas aux calomnies portées contre lui, que tout
s’arrangerait, que ses ennemis seraient démasqués et que
la reine-mère finirait par lui rendre sa confiance.
Les jours se passaient, l’animosité de la mère ne d im i­
nuait pas et le roi n ’intervenait plus que pour la forme.
Un soir, à la nuit tombante, le malheureux habitant
de la « hutte qui dévore » se sentit vigoureusement
empoigné.
Seul et surpris, il ne fit aucune résistance. On le con­
duisit dans une autre case.
Couché à terre, il fut solidement garrotté, les mains liées
derrière le dos. Il eut beau faire appel à la pitié de ses
geôliers en jurant de son innocence.
Ceux-ci lui ripostèrent q u’ils ne faisaient q u’exécuter
les ordres royaux et qu’il y allait de leur tête.
C’était un langage compris du prisonnier. Bientôt il fut
laissé à lui-même et à ses réflexions. Trop serré dans ses
liens, incapable de se mouvoir, l ’infortuné se lamentait,
anxieux du sort qui l’attendait. Il était en proie aux pen­
sées les plus amères, quand du milieu de l’obscurité sur­
girent dans sa prison trois ombres lugubres qui s’appro­
chèrent de lui... Il pouvait être près de huit heures. Deux
bâtons frôlèrent son cou, comme pour l ’enserrer dans un
étau. On allait l’étrangler. Dans une convulsion de déses­
poir, l’homme qui allait mourir réussit à briser les liens
qui lui emprisonnaient les bras et les mains. En moins
d ’un instant, il s’empare des deux bâtons par un des bouts
et oppose une résistance farouche aux efforts de ceux qui
voulaient faire œuvre de mort, non sans pousser des
appels déchirants, criant à l’aide et clamant son innocence
aux échos d’alentour. L’immense agglomération formée

476

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

par l’ensemble des huttes royales retentissait des clameurs
de l ’homme qui se cramponnait à la vie... Nul ne pouvait
ignorer ce dont il s’agissait.
On connaissait ces plaintes aiguës et déchirantes qui
avaient frappé l ’air plus d’une fois. Le cœur de tous se ser­
rait d ’émotion, mais chacun par crainte du maître ou des
envieux, conservait un masque impassible ou moqueur,
comme il convient à des gens qui vivent dans l’incertitude
du lendemain.
La victime se débattait énergiquemnet contre ses adver­
saires, qui n ’arrivaient pas à lui faire lâcher prise. Pen­
dant que deux d’entre les bourreaux s’efforçaient de déga­
ger les bâtons en le frappant sur la tête ou sur la poitrine
et en lui donnant des coups de pied, le troisième roulait
en sens divers la victime couchée à terre. Les exécuteurs
qui en étaient à leur premier coup et qui n ’avaient encore
fait m ourir personne, comprenant l’odieux de leur acte,
tremblaient de tous leurs membres devant la désespérance
du malheureux q u ’on leur avait livré.
La lutte pour la vie touchait à son point extrême, mais
il était évident que force devait rester enfin au groupe des
adversaires libres dans leurs mouvements. Le hasard ou
mieux la divine Providence voulut qu’un Européen, de
passage à la capitale, eût affaire au roi à ce moment-là.
Entendant des clameurs désespérées s’élever dans l’inté­
rieur de l’enceinte royale, le Blanc, ému, s’adressa vive­
ment au prince... Celui-ci, feignant la surprise et l’étonnement, se précipite à la hâte dans la direction de la cour
d’où viennent les cris, arrête les étrangleurs et vient aussi­
tôt rassurer son interlocuteur.
L’individu qui allait passer de vie à trépas, épuisé par
tant d’efforts, avait presque perdu connaissance, quand il
s’entendit interpeller par une voix qui voulait être com­
patissante. C’était le roi lui-même qui jouait la commisé­
ration. 11 donne à boire à son ex-favori un peu de bière,
le fait lever et l’engage à le suivre, en lui promettant

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQUE

477

son élargissement. Il n ’a jamais cru à sa culpabilité,
ajoute-t-il, aussi le rendra-t-il bientôt à la liberté. Ses
biens lui seront rendus et il reprendra son emploi à la
Cour.
Il ne s’agit plus que d’une couple d’heures. Le pauvre
captif, chancelant presque à chaque pas sous le coup de
l ’émotion et de la faiblesse, est conduit à une sorte de bâti­
ment en briques qui servait de prison. La porte est
refermée sur lui.
Il se retrouve avec un compagnon, captif comme lui et
qui compatit à son infortune. Plus heureux que lui, l’autre
reçoit du dehors des vivres et du pombe, qui sont aussitôt
partagés. Le courage et les forces nécessaires pour tenter
une nouvelle lutte pour la vie reviennent au prisonnier,
qui se sent à sa dernière heure.
Les paroles mielleuses du monarque ne l’ont pas
trompé. Il sait que la partie a été remise et qu’on ne tar­
dera pas à revenir. Son compagnon, bien au courant, lui
aussi, des mœurs de la capitale, ne cherche pas à le
détromper, loin de là. Ne craignant rien pour lui, parce
que de race noble et trop connu pour q u’on puisse se
débarrasser de lui en cachette, il est plein de commisé­
ration pour celui qui va bientôt mourir. Sûr de la discré­
tion de son codétenu et encouragé de ses conseils, le servi­
teur malheureux essaie de secouer la porte et pèse sur elle
de tout son poids. Il n ’y a rien à faire de ce côté-là; elle
est trop bien fermée. Ses efforts sont inutiles, les plan­
ches, solidement clouées, résistent à ses assauts et à la
pression de ses genoux. Le temps presse pourtant, car les
bourreaux peuvent arriver d’un moment à l’autre.
S’aidant des pieds et des mains, l ’incarcéré, chez qui le
désir de vivre est plus fort que la mort qui plane sur lui,
réussit à grimper sur le m ur fait de briques sèches. Le
bâtiment date déjà de quelques années, la terre qui a servi
de mortier s’est effritée sous l ’usure du temps, offrant
çà et là prise à des doigts et à des ongles que commande

478

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

une volonté de fer. La tête du grimpeur touche le toit de
chaume. L’homme se l'ait bien vite un passage à travers
les bois et les bambous qui forment la charpente. Il était
temps. La porte de la prison s’ouvrait au même instant
et les exécuteurs entraient pour s’emparer du condamné.
Celui-ci prend son élan et se jette dans le vide. Le m ur
était heureusement de hauteur moyenne. Le fugitif se
foule toutefois un peu en retombant sur les pieds. N’ayant
pas eu le temps de la réflexion, il n ’avait fait q u’obéir à
l ’instinct de la conservation. L’imminence du danger lui
donne des jambes, car sa chute au dehors a attiré l’atten­
tion de ceux qui le cherchaient vainement à l ’intérieur.
L ’alarme est donnée. On se met à la poursuite du
fuyard. Celui-ci ne perd pas la tête. Au lieu de s’exposer à
être rattrapé, ce qui ne manquerait pas d’arriver, s’il met
uniquement son salut dans la fuite; notre homme, ayant
un peu d’avance, se réfugie à la capitale même, chez un
ami, dont il est absolument sûr. On pouvait s’attendre
aussi à ce que des fouilles fussent organisées dans les cases.
Afin de parer à ce nouveau danger, un de ces longs paniers
qui servent à conserver les haricots dans l’intérieur des
huttes, est apprêté pour recevoir le fugitif et lui fournir
une cachette introuvable.
Pour plus de sûreté, on lui verse encore sur la tête une
quantité de haricots, qui tout en le laissant respirer sur le
côté, défieront les recherches des inquisiteurs. On eut
beau inspecter et perquisitionner chez les habitants, ce fut
en vain. La surveillance s’étant un peu relâchée, l ’heureux
évadé profita un beau soir des ténèbres de la nuit pour
quitter à jamais ce lieu tragique qui avait failli devenir
son tombeau. Sa retraite fut encore découverte quelque
temps après. Le chef de l ’endroit, sur des instigations
venues d’en haut, fit cerner la hutte. Le propriétaire put
échapper à temps.
L ’affaire avait été ébruitée; de par ailleurs le pays s’orga­
nisait fortement sous l ’administration européenne. Celle-ci

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

379

eut vent de la chose. Un jugement eut lieu qui ne fut pas
en faveur de ses persécuteurs.
Aussi le rescapé ne fut-il désormais plus inquiété.
Bon nombre d’années se sont écoulées depuis cet émou­
vant épisode. Le souvenir de ces terribles émotions n ’en
est pas moins resté pénible au héros de la tragédie, qui
n'aime pas à revenir sur le passé. Les cicatrices obstinées
qui lui labourent le visage, la poitrine et les bras corrobo­
rent la gravité des événements dont il faillit devenir la vic­
time. Il a depuis lors rencontré plus d’une fois ses bour­
reaux novices, qui n ’ont pas manqué, non sans quelque
gêne, de le féliciter, tout en s’excusant de l’odieuse tâche
qui leur avait été confiée : « Tu en as eu de la chance ! »
lui ont- ils déjà dit (wagiz’ Imana). Le roi nous avait quand
même chargé d’une vilaine affaire.
« Tant mieux pour toi, puisque tu as réussi à te tirer
d’un si mauvais pas. » On le présenta même un peu plus
tard au monarque, qui fut tout d’abord interloqué. Se
reprenant vite, il le complimente à son tour : « C’est Dieu
qui t’a sauvé » (N’Im ana yagukijije), ajouta-t-il. Par
reconnaissance pour Dieu, qui l’avait tiré d’un si m au­
vais pas, l’heureux rescapé a transformé son nom de
« Ngirimandwa » (Les esprits des initiés sont pour moi),
en « Ngirimana », c’est-à-dire « J ’ai Dieu (pour moi) ».
Après toute une série de circonstances aussi mouvemen­
tées et aussi dramatiques les unes que les autres, le dénoûment avait fini par tourner en faveur de Ngirimandwa.
Mais pour un rescapé qui a pu narrer par le détail les
péripéties du drame dont il faillit devenir la victime, que
d’infortunés disparurent dans l’antre tragique sans laisser
aucune trace.
Les anciens, dont les lèvres étaient, autrefois, fermées
par la loi du secret et la crainte des supplices, citent volon­
tiers, aujourd’hui, les temps ayant bien changé, les noms
des malheureux exécutés qu’ils ont connus. Ils se rappel­
lent, parmi beaucoup d’autres, un jeune homme qui avait

480

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

été page. Son intelligence, son savoir-faire et sa vivacité
avaient attiré sur sa personne l ’attention du souverain,
qui en fit son favori et ne pouvait se passer de lui. Comme
pour l’autre, des années s’écoulèrent, puis la faveur du
prince passa à d’autres.
Amitié de roi, amitié d ’un jour, dit le proverbe.
Plus ou moins délaissé, on ne s’occupait presque plus
de lui, quand il fut un jour invité à prendre du service
dans la fameuse hutte sanglante.
Q u’avait-il fait pour que son sort fût fixé sans retour ?
On l’ignore ou à peu près.
Environ huit jours après avoir reçu son nouvel emploi,
il est mandé en toute hâte, comme pour une commission
pressante. C’est la reine-mère qui l’a convoqué. Elle désire
avoir des nouvelles d'une dame de la Cour qui vient
d’accoucher.
Celle-ci habite à une petite distance de la capitale. La
nuit tombe. Le messager se met en route. Il est accompa­
gné d ’un chef et d’un homme à tout faire.
Ils arrivent sur le bord d’un marais de sinistre mémoire
où avaient lieu autrefois les exécutions sommaires.
Le jeune homme, insouciant, n ’ayant rien à se repro­
cher, marchait en tête. Il est frappé par derrière... et
depuis on n ’en a jamais plus entendu parler.
Un autre habitant de |la même hutte au nom de triste
augure, tout aussi paisible que le précédent, mais plus
âgé, fut à son tour brutalement saisi, après avoir été dési­
gné par les osselets des devins, au moment où il s’y atten­
dait le m oins... Il réussit d’abord à s’enfuir et se cacha
chez un ami. Ayant voulu gagner son village, il fut
reconnu et repris en cours de route par un chef qui le
ramena à la capitale. Jeté dans un cachot, il y est rejoint
dans la nuit par des gens à la figure sinistre. Ils avaient
à la main de grosses jarres à lait dont ils se servirent pour
lui fracasser les mâchoires et la figure. Le prisonnier,
étroitement lié, comme savent le faire les Noirs, était

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

481

étendu à terre, dans l’impossibilité de faire le moindre
mouvement. Les coups de pied et les coups de poing tom­
bent en môme temps dru sur la poitrine et le ventre du
malheureux dont le corps ne fut bientôt qu’une plaie.
On l ’étrangla pour en finir.
Plusieurs groupes de jeunes filles furent également
tuées, les unes sous le prétexte fallacieux d’avoir empoi­
sonné le tabac q u’elles préparaient, les autres pour avoir
volé des colliers de perles. Ces dernières, après avoir
avoué, furent d’abord jetées en prison. Un jour ou deux
après, elles en sont tirées et conduites chez la reine-mère,
qui, feignant la réconciliation et le pardon, les reçoit avec
de grandes démonstrations de joie. L’hydromel leur est
servi à flots. Un profond sommeil s’empare d’elles. Sur­
viennent alors les exécuteurs des hautes œuvres, qui les
étranglent...
Pour donner une idée de la fréquence des exécutions et
de la variété des supplices, voici une sorte de tableau
nécrologique, comprenant le nom des victimes et les cir­
constances de leur mort.
Ce tableau, incomplet, s’étend sur une vingtaine
d ’années, juste avant la prise officielle de possession par
les Européens.
C’est sous toute réserve évidemment que nous donnons
les renseignements ci-inclus. Nous ne garantissons pas
l ’authenticité de toutes les victimes et encore moins des
détails touchant leur exécution. On ne fait que reproduire
ce qu’en dit la rumeur publique dont les jugements et les
affirmations sont quelquefois, sinon souvent, sujets à
caution.
Victimes de la « maison du lait ».
1° Lwandenzi, de race Mututsi, originaire du BganaCliambge, fut conduit dans la forêt du Bugessera.
Ses bourreaux l’attachèrent à un arbre et lui coupèrent
les pieds (kumusongor’ ibirenge).
M ë m . in s t . R o y a l Co l o n ia l B e l g e .

31

482

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

2° Lutindamateme, Umututsi, du village de Ntenyo
(Nduga), d’abord lié, fut tué à coups de lance et jeté dans
le marais de Ruboneye.
3° Lwanyonga, Mututsi, subit le même sort, en môme
temps que le précédent.
Son cadavre fut découpé en morceaux par les sorciers,
qui voulaient empêcher que son esprit ne nuise au roi.
4° Minega, fils d’un certain Bushakiro, Mututsi de
Mwendo (Nduga), fut égorgé dans la forêt du Bugessera.
5° Gahima, fils de Nyarwambari, Mututsi de Gassaka
(près de Gisseke), fut assommé à coups de bâton dans la
cour intérieure du palais.
6° Munyagishari, Mututsi, fut abattu à coups de lances
et jeté dans le marais de Ruboneye.
7° Gakwise, de race Muhutu, eut le même sort.
8° Karara, M uhutu, subit la même mort.
9° Ntagwabira, M uhutu, mourut comme le précédent.
10° Ibingira, Mututsi, périt de même.
11° Butama, M uhutu, fut assommé à coups de bâton.
12° Majanjo, Mututsi, s’étrangla lui-même dans sa
prison, pour échapper au supplice qui l’attendait.
13° Kajigiri, Mututsi, du pays du Gissaka, fut d’abord
lié. Ses bourreaux le soulevèrent à plusieurs reprises et le
laissèrent retomber sur la tête. 11 fut achevé à coups de
bâton.
14° Lwamiheto reçut de nombreux coups de bâton.
Délivré presque aussitôt, il mourut trois mois après, des
mauvais traitements subis, ajoute la rumeur publique.
15° Kayonga et son fils, après maintes péripéties, furent
égorgés à coups de lances et jetés dans le marais de
Ruboneye.
Victimes pour d'autres motifs.
1° Bigutu et Balikage, ce dernier fils de Bisango et chef
de la province du Bgishaza, furent tués, pendant que la
Cour était à Kamonyi, après avoir été accusés d’être les
ennemis du nouveau régime.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

483

2° Le grand chef Mututsi Lutishereka, ses fils et quelques-nns de ses gens, furent égorgés, pendant que la Cour
séjournait à Mukingo, sur les instigations de Luhinankiko,
qui reprochait à ce haut personnage d’avoir poussé au
meurtre de son ami Baryinyonza, un des fils de Lwabugiri.
3° Serukenyinkware, du clan Mututsi des Bachumbi,
fut accusé du même crime. On le coupa en morceaux,
durant un séjour de la Cour à Mwima.
4° Trois employés de la Cour, à Nvanza, furent surpris
à égorger une vache q u’ils avaient volée au roi.
On les condamna à mourir sous les coups de lance; ils
mirent leur point d’honneur à ne pas laisser échapper le
moindre gémissement.
5° Un jeune Mututsi, après avoir été lié et fustigé, à
coups de baguettes durant le cours d’une journée, fut
traîné encore vivant, par les pieds, jusque dans le marais,
pour y être achevé par les Batwa.
6° Deux habitants du village de Musumba (Nduga), les
nommés Lukesha et Lugingabahizi, eurent les mains et les
pieds coupés, pour crime d’ensorcellement. Lwibishenga,
le propre frère de la reine-mère, ayant failli perdre les
yeux, à la suite de la maladie du pian, on en rendit res­
ponsables les deux pauvres hères.
7° Deux Bahutu furent fusillés à bout portant, dans la
cour du palais, pour crime d ’espionnage.
8° Une esclave (umuja) fut assommée, en cours de
route, pendant la nuit, alors q u’on lui avait conseillé de
quitter la Cour et d’aller chercher fortune ailleurs. Elle
était punie pour n ’avoir pas surveillé d’assez près la con­
duite morale de deux jeunes princesses de sang royal.
9° Luhinankiko, frère de la reine-mère Nyirayuhi,
avait été dépouillé de ses biens pour avoir fait tuer
Lutishereka. 11 dut même s’enfuir à l’Urundi, où il passa
une quinzaine d’années.
Kabale, le régent, ne pouvant se venger sur lui comme
il le souhaitait, s’en prit à ses amis et à ses partisans.

484

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Chaka, le gendre de Luhinankiko, Sebuliarara et
Rulinda, ses protégés furent attaqués dans le Buganza,
par les gens du puissant ministre. Vaincus et ne pouvant
s’enfuir, ils s’enfermèrent dans une hutte, y mirent le feu
et périrent ainsi dans les flammes.
Kaningo, qui était de leur parti, fut dépouillé de ses
biens. Sur le point d’être pris et songeant à ce qui l’atten­
dait à la capitale, il se brûla à son tour dans sa case.
10“ Les Banyarwanda se souviennent encore du sup­
plice des six (( empoisonneurs » (l) que le chef Kanuma
conduisit à Nyanza.
Les malheureux eurent les pieds et les mains coupés.
11° Nyantanyi, fils de Semakamba, fut livré par
Musinga à Gashamura, fils de Lukagirashamba. Lwamwa,
un des fils de ce dernier, avait été tué à Ndolandi, pays
dont il voulait s’emparer, par les gens de Nyantanyi. Les
Batsobe, ses parents, portèrent plainte au roi, qui leur
donna satisfaction en leur remettant le chef local de
l’endroit.
Nyantanyi fut lié et conduit par Gashamura et ses par­
tisans en dehors du palais. Le fils de Lwamwa lui porte un
premier coup de lance sur le flanc et presque aussitôt
vingt, trente coups de lances l’étendent à terre. Ou lui
coupa la tête et la m ain droite, pour les montrer aux autres
partisans, comme cela se faisait dans la vendetta. Détail
à noter : Gashamura était l’oncle par alliance de Nyan­
tanyi et son propre beau-père.
Sentashonga, le cousin de la victime, obtint dans la
soirée la permission de faire inhum er le cadavre de son
parent.
Les vieux et les anciens habitués de la Cour ne tarissent
pas en récits de ce genre q u’ils débitent à la façon d’une
leçon, sans trop s’en montrer scandalisés. Tel est le milieu,
telles sont les moeurs et les idées.
(i)
On désigne ainsi les individus qui sont soupçonnés du prétendu
crime d’ensorcellement.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

485

« Le roi est le maître, disent-ils, il fait ce q u’il veut.
Les décisions prises par lui sont sans appel. Il est le juge
souverain. On n ’a qu’à obéir et s’incliner. » Les parents
des victimes étaient quelquefois les premiers à venir le
saluer en feignant une impassibilité absolue, obligés qu’ils
étaient de refouler dans le plus profond du cœur la peine
amère q u’ils ne pouvaient pas ne pas éprouver.
Plaintes, gémissements, récriminations n ’auraient fait
qu’enflammer la colère du monarque et auraient donné
m otif à de nouvelles hécatombes.
Tout en veillant à sa propre sécurité, chacun doit encore
songer à la vie des siens. Ceux-ci, en effet, peuvent être
rendus responsables des faits et gestes, même les moins
peccamineux, de n ’importe lequel de leurs membres.
L’extermination d’une famille comptait fort peu, autre­
fois, dans la balance de la justice royale.
Aussi pour ne pas s’attirer des désagréments qui pou­
vaient devenir mortels, faisait-on bon visage contre m au­
vaise fortune. Les exécutés, quelle que fût leur innocence,
ne pouvaient être que des maudits (ibichibga) ou des
révoltés, clamait-on tout haut. Verser des larmes ou dire
son chagrin devenait un crime de lèse-majesté : « Un
simple caprice du maître suffisait pour être envoyé au
supplice. Que ne fallait-il donc pas faire pour éviter un
sort si cruel? » Cette réflexion d’un favori de la Cour de
l’avant-règne, en dit long sur les mœurs de l’époque.
« Arrivait-il au roi, ajoutait le même individu, de se fou­
ler le pied, de heurter contre un obstacle ou un caillou
quelconque, il n ’aurait pas fait bon se rencontrer avec
lui, à ce moment-là. »
Dans sa colère, le monarque pouvait accuser n ’importe
qui de l’avoir ensorcelé et en tirer sur-le-champ une ven­
geance éclatante.
On ne recourait pas toujours aux bourreaux de métier.
Le roi s’adressait pour cela aux premiers venus de son
entourage. Il fallait s’exécuter, quel que fût le dégoût

486

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

inspiré par cette terrible profession. Les mains inhabiles
à faire œuvre de mort s’en ressentaient quelquefois, mais
l'œil du maître était là et il fallait aller ju squ’au bout. Le
fait d’être ami de la victime ne dispensait personne de ce
travail odieux.
D ’une façon générale et à part de rares exceptions, on
peut dire que les sujets ne s’en épouvantaient pas outre
mesure, tant c’était chose reçue à l’époque.
Les Banyarwanda ne s’en estimaient pas moins supé­
rieurs aux autres Noirs, q u’ils croyaient surpasser en intel­
ligence et en civilisation. Malgré les tares et les taches du
passé, ils rejettent avec hum eur le terme de « Shenzi »,
exclusivement réservé aux non-civilisés, comme ne s’appli­
quant nullem ent à eux et à leurs pères. On est heureux de
fermer la page sur ces mœurs cruelles, en songeant que le
rideau du temps est à jamais tiré sur le passé.

III. —

E

m p o is o n n e m e n t

et

ensorcellem en t

;

emploi

DES C H A R M E S ET DES P H I L T R E S .

Que faut-il penser au juste des victimes dont la mort a
été attribuée à l’ensorcellement ou à l’empoisonnement P
Il est certain que les Noirs en parlent beaucoup. Leur cré­
dulité à ce sujet est extraordinaire et universelle.
De nombreux exemples de morts sont cités comme
ayant été la conséquence de l ’une ou de l’autre de ces
accusations.
Ajoutons que les indigènes connaissent une foule de
méthodes pour ensorceler leurs ennemis et que les sorciers
et sorcières de cette catégorie malfaisante abondent dans
le pays. Ce qui est sûr, c’est que la réputation surchargée
de ces derniers est plus mauvaise que leurs actes.
Quant aux crimes d’empoisonnement, on peut tenir
pour assuré q u’il y a eu des tentatives et q u’on a utilisé
pour cela des matières toxiques, tirées les unes du pays
lui-même, les autres achetées dans les contrées lim i­

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

487

trophes, l’Uswi et le Bunyabungu. Quelle est la nocivité
de ces poisons ? 11 n ’est pas facile de le dire, parce que,
d ’une part, 011 n ’a jamais pu constater de visu un vrai cas
d ’empoisonnement, bien que les Noirs en soient absolu­
ment persuadés et en citent de nombreux exemples.
D ’autre part, on ne connaît pas encore assez bien les ingré­
dients qui entrent dans leur composition.
Tout au plus entend-on, d’après la rumeur publique,
parler de serpents, de crapauds, de cadavres humains
(im irundi y’ abapfuye, n ’ ingobyi z’ abana), de croco­
diles, etc., dont on utilisait les chairs putréfiées. Les Noirs
sont encore convaincus qu’on emploie les poumons des
tuberculeux pour communiquer aux autres cette mala­
die o .
D ’après la croyance populaire, ces poumons, une fois
desséchés, sont réduits en poudre, pour pouvoir l’intro­
duire plus facilement dans le chalumeau qui sert à boire
la bière indigène. Le sang des règles (irungu), dont ils ont
une peur extrême et une vive répugnance, passe, d’après
l ’opinion publique, pour déterminer un empoisonnement
lent quand on a réussi à le faire absorber à un ennemi.
On mélange en cachette cette substance aux aliments. Il
est également question de sucs vénéneux, tels que le
lait de différentes variétés d’euphorbes (imiyenzi, imiduha, etc.) et de certaines plantes, par exemple, le
« muhoko », qui sert aussi pour l’avortement. Pour que
le lait de cactus et le suc du « muhoko » puissent entraî­
ner jla mort, il en faudrait une quantité telle que l ’inté­
ressé 11e manquerait pas de s’en douter en en buvant. Il
est donc difficile de s’en servir fréquemment.
Les Banyarwanda connaissent encore comme toxiques
(!) Cette maladie est fréquente parmi les Batutsi, qui en ont grande
peur.
Ils savent fort bien qu’elle ne pardonne pas. D’où aussi leur grande
imprécation : « Puisses-tu mourir de la tuberculose ! » (uragichwa n’ igituntu).

488

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQUE

les plantes suivantes : « urwizilinga », « umutambasha »
et « igisura ». L ’ « urwizilinga » est l’arbuste, avons-nous
dit, qui rappelle un peu le datura. C’est celui dont le suc
ou l’écorce réduite en poussière est employé dans les orda­
lies. L ’ « umutambasha » est un autre arbuste dont on
écrase les feuilles pour en retirer le jus. Les Banyarwanda
l’utilisent pour tuer les rats. Pour cela ils le mêlent à la
nourriture qui sert d’appât aux rongeurs.
L’ « igisura » appartient à la famille des urticacées.
Cette plante atteint près d’un mètre cinquante de haut.
Les malades du pian en boivent le jus comme remède; ils
doivent veiller à ne pas en prendre une trop forte dose,
pour ne pas s’exposer à une intoxication grave.
Le bruit a couru que des gens malintentionnés ont
essayé de l ’une ou de l ’autre de ces plantes et tout particu­
lièrement du « mutambasha » ou mort aux rats, pour se
venger et se défaire de leurs ennemis.
De petits paquets d’herbes ont été retrouvés chez des
gens soupçonnés de pratiquer le métier d’empoisonneur.
Dans quel but avait-on recueilli ces plantes? Peut-être
le sorcier avait-il essayé de leur conférer une nocivité
qu’elles n ’avaient pas d’elles-mêmes. Les mauvaises lan­
gues du pays assurent que des mains royales auraient, au
moins une fois, malaxé ces matières réputées nocives dans
du lait, du miel et du beurre, destinés à des Européens de
passage. La personne en question en avait été pour ses
frais, ce qui lui avait fait dire qu’il était impossible de
se débarrasser des Blancs, que les poisons, les sortilèges
et les ensorcellements n ’avaient aucune prise sur eux. Nous
inclinons à croire q u’il s’agissait dans le cas en question
de charmes et de philtres et non de produits intoxicants.
On assure que l ’avant-dernier roi de l ’Uswi. Gasusuro,
l’un des fournisseurs habituels de ces sortes de produits,
aurait un beau jo ur répondu aux émissaires de la Cour,
venus dans ce but, que, désormais, il ne leur en livrerait
plus, q u’il en avait fini avec tous les poisons. Il est fort

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

489

possible aussi que la crainte d’être surpris dans ce métier,
lu i ait dicté sa réponse. Ajoutons, pour rester dans la
vérité, que bien loin sont les temps où de pareilles choses
pouvaient être dites et tramées contre les Européens (x).
L’emploi des charmes, pour se concilier les bonnes
grâces des Européens, n ’a survécu que de quelques années
à l’utilisation des poisons précités. Ces derniers ayant été
réputés inutiles ou tout au moins dangereux quant aux
conséquences, on recourut aux charmes (inzaratsi). Les
fabricants de charmes désignés sous le nom générique
d’ « Abanyamihango », hommes des traditions, exercent
un métier qui est considéré comme lucratif et honorable,
quand les professionnels ne sortent pas des limites de leur
art.
La rumeur publique les accuse, en effet, mais à tort
très probablement, de tromper les gens et de donner du
poison au lieu de charmes inoffensifs. Ce sont surtout les
femmes qui usent du secours de leur art et font appel à
leurs poudres pour attirer sur elles l ’attention et les faveurs
d’un mari infidèle ou oublieux. Les sorciers de cette caté­
gorie utilisent dans ce but des plantes et des arbustes sui­
vants : 1’ « umukunde » au nom significatif d’arbre
d’amour, 1’ « umutanga », 1’ « umugobora », l’ « umukeri », sorte de ronce sauvage, le « nkurim onga ».
1’ « um uhire », le « burvoher’ imfizi », c’est-à-dire la
« plante qui convient au goût des taureaux », etc. Les
fabricants de philtres en prennent l’écorce, la feuille ou
les racines pour les faire sécher au soleil. Le tout est
écrasé et réduit en poussière. Il sviffit ensuite de mettre un
peu de cette poudre dans de la bière ou du beurre ou
(*) Les Noirs vivent sous la crainte presque continuelle de l ’ensorcelle­
ment et de l ’empoisonnement.
Rachitisme, tuberculose, mort subite et étrange, surtout quand le
cadavre enfle aussitôt, ne peuvent avoir pour eux d’autres causes que
celles-là.
Que de pauvres gens on payé de leur vie pour avoir été accusés faus­
sement de ces méfaits supposés !

49 0

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

encore d ’en frotter un bâton ou une lance, afin d ’obtenir
l ’effet désiré. L’épouse délaissée qui réussit à faire boire
de celle bière à son mari, reprendra infailliblement la
première place dans le cœur de celui-ci. Le résultat est le
même si ce dernier oint ses membres et son corps avec le
beurre qui a reçu la précieuse poudre.
L’usage d’un bâton de voyage ou le port d’une lance,
frottés avec l’une des susdites poudres, portera bonheur à
son possesseur. Ses paroles et ses demandes seront toutes
agréées et ses interlocuteurs ne pourront lui nuire.
Aussi le roi et les grands de la Cour tinrent-ils, à leur
tour, à user d’un moyen si simple et si efficace pour
gagner le cœur des Européens et les influencer dans le
sens de leurs besoins et de leurs désirs. Au début de ses
relations avec les Blancs, Musinga se présentait souvent
ayant à la m ain une petite baguette dont il tournait la
pointe d’abord de son côté pendant q u’il parlait et ensuite
du côté de ses interlocuteurs, afin d’influencer leurs
réponses. La baguette a été désignée sous le nom d’ « uruchubyo », du mot « guchubya », qui indique l’action
de refouler dans la marmite l’eau entrée en ébullition et
cela par le moyen d’une baguette ainsi appelée. Les Noirs
ont trouvé une certaine similitude entre les deux faits.
De même que marmitons et cuisiniers empêchent le
liquide de se répandre en le refoulant au fond du pot-aufeu, ainsi fait celui qui détient la baguette magique en
détournant de lui le mal que pourraient lui faire ses inter­
locuteurs (ngo atsind’ amagambo mabi). Heureuse et
inoffensive crédulité, qui ne fait de mal à personne!

IV .



U

sages

et

f o r m a l it é s

le

roi

et

ses

auxquels

sont

a s t r e in t s

su jet s

Les rapports qu’ont les sujets avec leur souverain sont
empreints d’un profond respect, respect superstitieux et
craintif tout à la fois. Les Banvarwanda ne connaissaient

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

491

autrefois pas d’autres sentiments, à l’égard du monarque,
que celui de la crainte révérentielle. La majesté dont
s’entourait le roi et les exécutions sanglantes qui corrobo­
raient sa puissance absolue sur toutes choses, ne contri­
buaient pas médiocrement à maintenir ce sentiment,
accompagné pour beaucoup d’une attitude de servilité. Le
monarque était un vrai demi-dieu, bien supérieur aux
autres hommes, d’où les usages et les formalités suivantes,
réglant les rapports de sujet à souverain.
1. — Le roi est réveillé par les tambours que l’on
commence à frapper à partir de quatre ou cinq heures du
m atin. En réalité, le prince ne se lève pas avant 7 h. % ou
8 heures. Au moment où il quitte sa couche, des femmes
viennent moudre une poignée de sorgho ou d ’éleusine,
pendant q u’une jeune fille secoue la grosse courge (igisabo) qui sert à baratter.
L’observation de ces coutumes a pour effet d’attirer sur
le roi et le royaume la prospérité figurée par la présence
du sorgho, de l’éleusine et du beurre. Les « Impara » ou
groupe d’initiés à la société secrète de Ryangombe font
ensuite leur apparition.
Balançant de droite à gauche la grotesque coiffure dont
ils sont affublés, ils entrent en dansant et en chantant, en
faisant résonner les grelots et les sistres q u’ils portent à
la main.
Ils appellent sur le souverain la protection de Ryan­
gombe et des autres initiés défunts.
2. — Pour parler du roi et de ses actions les plus com­
munes comme les plus ordinaires, l’usage veut qu’on se
serve de termes imagés et nobles, comme, par exemple,
les suivants : kubikirwa ou kwisasira au lieu de kuryama,
qui signifie se coucher.
igisasiro pour u b u riri........................= couche royale.
kubamburwa pour kubyuka . . . . = se lever,
kuj’ ijabiro pour kuboneka . . . . - - apparaître.
inyundo pour am aguru.................... -■ jambes.
ingoro pour inzu................................ = maison.

492

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE
ingoro irakamwa pour inzu irava . . = il pleut dans la hutte,
ingoro irahonjoka pour inzu iragwa . = la hutte tombe de
vétusté (>).

Pour parler de la mort du roi, on se sert d’expressions
figurées :
gu ta b ara.................... =
g u t a n g a .................... =
k u n y w a .................... =
g u s s a z a .................... =
gusezera.................... =
ijuru ryaguye . . . . =

aller au secours, partir en guerre.
céder (le tambour au successeur).
boire (le poison).
vieillir.
prendre congé.
le ciel est tombé.

3. — Il serait on ne peut plus irrespectueux de faire
allusion à tout ce qui touche à sa mort future. Le roi, en
voyage, doit éviter de passer trop près des cimetières ou
même des simples « halles de nuit » (ilaro, amalaro), où
reposèrent autrefois les cadavres de ses prédécesseurs
durant leur transfert aux nécropoles royales.
Il ne lui est pas davantage permis de passer la nuit dans
les villages habités par les employés des pompes funèbres.
Ceux-ci également doivent éviter de paraître en sa
présence et se servir d’un intermédiaire s’ils ont affaire
avec le roi.
Comme si la pensée, le souvenir et l’image de la morl
pouvaient abréger ses jours ou lui attirer des malheurs!
4. — Autant que possible Sa Majesté doit éviter de
ployer les genoux (guhina), afin que son royaume ne
puisse pas subir d’amoindrissement de territoire (2).
(!) Kubikirwa vient du mot kubika, serrer un objet, le mettre à sa
place; kwisasira signifie étendre les nattes par terre; igisasiro, l’endroit
où sont étendues les nattes; kubamburwa, être éveillé; kuj’ ijabiro, aller
à l’endroit de la hutte où l’on cause avec les invités; inyundo, marteau
en fer; ingoro, palais; ingoro irakamwa, le palais se trait, pour dire qu’il
y pleut; ingor’ irahonjoka, le palais s’engraisse (c’est-à-dire s’enfle),
parce qu’il s’écroule de vétusté.
(2)
Surpris par un orage ou le mauvais temps, le roi ne doit pas
presser le pas; il faut qu’il aille posément se mettre à l’abri. La pluie est
considérée comme une bénédiction due à l ’influence du prince. Une
marche hâtive de sa part pourrait arrêter l’ondée bienfaisante.
Nous pensons que cette croyance populaire sera bientôt reléguée au
dernier plan et que le monarque ne sera plus aussi disposé à se sou­
mettre à toutes les exigences de sa charge.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQU E

493

5. — Dans certains cas et pour certains objets le roi doit
se servir lui-mème directement. Veut-il jouer du tambour,
ainsi q u’il aime à le faire, ses suivants au lieu de lui offrir
les baguettes dans un mouvement naturel et spontané, les
déposeront à terre devant lui. Le prince les prendra luimême.
Ce geste de présentation, que nous trouvons si simple,
s’il était exécuté, pourrait le faire mourir (gukenya).
6. — C’est pour le même motif que les gens de service
affectés à la garde du lait dans la fameuse hutte qui dévore
(ikiryana) ses habitants, suivent la même coutume. Deux
ou trois grandes jarres remplies de lait sont apportées
dans la case où le roi se fait servir. Elles sont soigneuse­
ment fermées au moyen d’un couvercle tissé de fibres
végétales.
De petits vases en bois, connus sous le nom de
« ichyantsi » (au pluriel ibvantsi), sont déposés devant Sa
Majesté. Il y en a deux, quatre ou même huit, peu
importe, mais ils doivent être d’une propreté immaculée.
Le servant remplit un premier récipient que le roi prend
lui-même sans le secours de personne.
Si le lait est à son goût, il continue à boire, mais en
se gardant bien d’aller jusqu’au bout.
Il doit en laisser la moitié, sinon le lait pourrait devenir
rare (ngw’amata atagabanuka) dans le royaume. Pendant
ce temps-là, le serviteur remplit un autre vase dont le
roi s’empare directement comme il a fait pour le premier.
Celui-ci est de nouveau rempli. Le service de table se
continue ainsi jusqu’à ce que le roi soit rassasié.
7. — L ’usage exige que, quand on se présente à la Cour,
il faut frapper trois fois les mains l’une contre l’autre
(gukom’amashi) en se servant des formules accoutumées
avec la seule qualification de roi (umwani) ou de Sire
(Nyagasani). C’est à peu près la seule marque extérieure
de respect que se soient réservée les souverains.

49 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

8. — Le roi ne doit jamais de nuit se séparer du
marteau indigène surnommé « Nyarushara ». Cet instru­
ment l’accompagne dans ses déplacements.
Il
est placé sous l’herbe fine qui sert de traversin et
d’oreiller au monarque (barayisegurir’ um w am i).
C’est une sorte de talisman ancien, qui, en théorie, n ’a
encore rien perdu de sa puissance mystique. Il fut forgé
autrefois, d’après les indications de Mashira, le roiteletsorcier, par un habile forgeron, Gihu, fils de Muhinda,
sur la colline de Mpanda (mu Buhigiro, i Kizibaziba),
dans le Nduga, pour permettre au roi hamite avec lequel
ce prince autochtone avait fait alliance, de refouler les
Banyoro qui avaient envahi le Rwanda Le marteau, à
forme octogonale (im igong’ umunane), symbolisait un
être symbolique tout-puissant; l’artisan, sur les indica­
tions de Mashira, lui avait forgé deux seins 0). Mutabazi.
le fils du monarque, n ’eut q u’à s’asseoir et tenir sur ses
genoux le « terrible » engin magique dirigé face à l’enne­
m i. Celui-ci fut taillé en pièces.
Deux autres petits marteaux, ayant la même origine
et ayant aussi joué le même rôle, sont rangés à côté du
Nyarushara. On les désigne sous le nom d’ « ubushingo »
ou « abagaragu bayo », c’est-à-dire ses « compagnons ».
Tous les matins, vers les neuf heures environ, quand on
frappe le tambour dit « Ndamutsa » (je salue) annonçant
le lever et l’apparition du monarque, celui-ci doit toucher
le marteau talisman, comme si le bonheur de la journée
en dépendait.
9. -— « Inyundo ya Barenge », le marteau des gens
appelés Barenge.
On ne sait pas au juste la raison pour laquelle ce mar­
teau ainsi nommé est conservé à la Cour.
f1) Ces détails montrent l ’importance attachée à cette arme mystique
redoutable. Rien n’est oublié des particularités concernant sa fabrication,
la date, le lieu, l ’artisan, l'inspirateur du projet, etc.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

495

Appartient-il réellement aux Barenge, qui ont vécu, il
y a plusieurs siècles, dans le pays? Il est difficile de le dire.
Comme il est très lourd et pèse deux ou trois fois plus
q u’un marteau ordinaire, les hommes de peine du roi s’en
servent quelquefois de masse pour enfoncer les pieux
(imiganda) en terrain rocailleux (1).
10.
— Appareil dont s’entoure le roi en voyage; coutu­
mes suivies à cette occasion.
Les princes hamites, en cours de route, à travers les
provinces du royaume, doivent, en vertu d’une tradition
séculaire, camper autant que possible chez les Bagessera.
On se souvient que le totem de ces derniers est la berge­
ronnette et qu’un Muyarwanda, Mututsi ou Muhutu, ne
peut entrer dans une habitation nouvellement construite
avant que le volatile n ’ait, fait son apparition sur la case
ou dans les environs immédiats.
i1) L’existence de pierres ayant la forme de marteau a donné lieu
à plusieurs récits.
Les Banyarwanda se figuraient autrefois que la voûte du ciel était
une sorte de croûte rocheuse (urutare).
Aussi dans la légende de Kigwa expliquent-ils de la façon suivante la
chute du premier roi hamite et son établissement dans le Rwanda.
« Kigwa, disent-ils, étant au ciel, voulait savoir ce qu’il y avait au pays
d'en bas.
» Prenant un marteau, il frappa à coups redoublés sur la voûte céleste.
Une légère ouverture s’y fit et le marteau lui échappant des mains, tomba
au Mulera, à l’endroit dit Gifuna. Avec un deuxième marteau il voulut
élargir l ’orifice. Il s’y prit avec une telle violence que la voûte s’effondra
sous lui. Kigwa tomba du ciel, mais se releva sain et sauf au pays sacré
du Buhanga, dans la plaine du Muko. Le marteau s’enfonça près de
Ntenyo, à l’emplacement désigné sous le nom de Nyundo (marteau).
» Celui-ci s’y voit encore », ajoutent les Noirs. A la place indiquée, on
trouve une pierre ressemblant de loin à un marteau indigène.
Les indigènes l’entourent d’un culte superstitieux mêlé de crainte. On
ne peut y toucher. Si l’on portait une main sacrilège pour la faire
remuer, la grêle ne tarderait pas, d’après les croyances locales, à venger
l’affront fait à l’outil sacré.
La même légende ajoute que la mère de Kigwa se pencha aussitôt audessus du trou pour savoir ce qu’était devenu son fils. La coiffure d’orne­
mentation (urugore) qu’elle portait sur la tête s’échappa et resta suspen­
due dans les airs.
On croit que cet ornement (originairement fait d’une large tige de
sorgho) est l ’origine de la lune !...

496

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

Les Bagessera ont, d’après la crédulité publique, le pri­
vilège d’entrer en relations avec l’oiseau porte-bonheur.
Les Noirs invitent les membres de ce clan à utiliser leur
savoir-faire pour attirer la bergeronnette.
Le roi fait appel à leurs services comme le dernier de
ses sujets. C’est peut-être à cause de ce rôle joué par les
Bagessera que le souverain choisit leurs villages pour y
passer la nuit.
L’autre motif pour lequel le monarque loge de préfé­
rence chez eux vient peut-être de la considération atta­
chée aux membres de cette tribu que l’on croit être la plus
ancienne du Rwanda. Ils ont donné leur nom à la province
dite du <( Bugessera » dont se réclament tous les Bagessera.
Ils sont de plus les protecteurs nés choisis par les princes
hamites pour écarter le mauvais sort qui les menace en
certaines circonstances. Les Banyarwanda ont, en effet, de
ces sortes de défenseurs mystiques pris parmi les membres
d ’une tribu étrangère à la leur.
Ces individus passent pour avoir le pouvoir d’éloigner
les dangers imaginaires qui atteignent les humains. On
les appelle « abase » (au singulier umuse). Les Banyar­
wanda font appel à leur toute-puissance, lors d’un
décès (1), d’une perte de fortune, du pillage d’un troupeau,
de la construction d ’une hutte, de l ’imposition d’un nom
à l’enfant et de sa dentition, de la célébration d’un
mariage, etc.
Les Bagessera étant les protecteurs des princes hamites,
on conçoit que les monarques aillent leur demander
l’hospitalité.
Si les membres de cette famille font défaut, le roi
campe chez les Bazigaba, dont l’ancêtre Kazigaba était le
t1) Au Bugoyi, le muse ou protecteur est chargé d’enlever de la hutte
du défunt le pilier principal sur lequel aimait à s’appuyer le proprié­
taire décédé, le bois (umusego) qui est à la tête du lit, le rondin qui
servait de chaise et le petit bois qui surmontait le toit de la case. Le
tout est déposé sur la tombe.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

497

propre frère de Kagessera, le fondateur du clan des B a i s ­
sera. Si les uns et les autres n ’habitent pas la région que
traverse le monarque, celui-ci s’adresse successivement
aux Banyiginya, aux Bega et en dernier lieu aux Bakono.
Le potentat, en voyage, est accompagné d’une garde
d ’honneur composée de Batutsi, de Bahutu et de Batwa,
qui couchent durant la nuit autour de la hutte royale.
Cinq ou six tambourineurs marchent en tête du cortège
et frappent de temps à autre sur leurs instruments. Les
tambours résonnent encore à l’entrée de la nuit et au pre­
mier chant des oiseaux.
Des vachers attitrés poussent devant eux un petit trou­
peau de vaches laitières pour subvenir aux besoins du roi.
Le passage d’un prince équivalait autrefois à un désastre
pour les habitants de l ’endroit qui avaient à héberger les
membres du cortège.
La suite ne comprenait pas seulement les courtisans, la
garde royale, les sorciers et les employés habituels. Les
seigneurs qui tenaient à conserver les bonnes grâces du
souverain se faisaient un devoir de l’accompagner avec
leurs nombreux serviteurs. A l ’escorte se joignaient aussi,
en cours de route, des oisifs et des hommes à tout faire,
rançonnant les indigènes qui avaient le malheur de rece­
voir leur visite.
C’était en fait une véritable armée, qui n ’épargnait
amis ni ennemis, foulant sur leur passage les récoltes sur
pied, dépouillant les voyageurs et prenant de force chez
l’habitant ce qui n ’avait pu être caché à temps.
Les gens qui composaient la suite habituelle de
Kigeri IV Lwabugiri furent surnommés les Pilleurs (l) à
cause de leurs exactions.
11.
— Par acquit de conscience, nous citons les deux
coutumes suivantes que les gardiens des traditions assu­
rent avoir été suivies autrefois
(!) Leiur surnom indigène « Ibitsimbanyi » est un substantif dérivé du
verbe g-utsimba, qui veut dire piller, rançonner.
m ém . i n s t . r o y a l c o l o n i a l B e lg e .

32

498

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Le roi, à l’annonce de la mort d’un souverain voisin, de
l’Uswi, de l’Urundi ou du Karagwe, devait quitter sa rési­
dence et se faire construire une nouvelle habitation (l).
A chaque avènement au trône, un envoyé spécial allait
puiser à une source appelée « Zina », située dans la vallée
de la Russizi. Il emportait un peu de cette eau pour la
faire boire au jeune monarque.
On ne se rappelle plus la raison de cette pratique qui est
tombée en désuétude.
CHAPITRE VI

Des deux grandes fêtes de la Cour; de l’exhibition des troupeaux
sacrés et de l’exposition des objets du trésor royal.
I. —

D es

d eu x gran d es fêtes

de l a

Cour.

Les deux plus grandes solennités (ibirori) ont lieu à
l ’occasion de la présentation officielle des <( Prémices » et
au lendemain du deuil annuel que doivent porter le roi
et sa Cour.
Cetle dernière fête, qui clôture le mois de ju in , se célè­
bre avec la même pompe et la même affluence. Comme il
en sera parlé dans le chapitre où il esl question des hon­
neurs rendus aux mânes royaux, nous ne traiterons ici
que de la fête dite des « Prémices ».
Les Banyarwanda, dans leur admiration et leur enthou­
siasme pour Ruganzu II le Victorieux, vont jusqu’à lu i
faire honneur de presque tout ce q u’ils ont en fait de
plantes ou graines nourricières. Une mention spéciale est
faite pour le sorgho, l’éleusine et une sorte de plante pous­
(■) Les temps ont changé. Le choix d’un emplacement et la construc­
tion d’un nouveau « palais » offriraient aujourd’hui trop de difficultés.
Lors du décès du prince de l ’Urundi, le roi se contenta sur les conseils
de son entourage de passer huit jours en dehors de sa demeure habi­
tuelle, dans une case qui s’élevait à proximité. Les sorciers lui assu­
rèrent qu’il n’y avait plus rien à craindre de la part des esprits auxquels
toute satisfaction avait été donnée par ce truquage.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

499

sant à l’état sauvage, connue sous le nom d’ « issogi » (1),
à cause de l’importance q u’ils tiennent dans l ’économie
domestique.
Leur introduction dans le Rwanda par le grand
monarque fait l’objet de multiples récits plus ou moins
contradictoires.
On ne citera que les plus connus.
(( Un chef du pays du Bumbogo, raconte-t-on d’après
une tradition, avait enlevé et épousé la sœur de Ruganzu,
an grand mécontentement de celui-ci, qui avait juré d’en
tirer une vengeance éclatante. Pour apaiser le courroux
de son royal beau-frère, le ravisseur crut bien faire de lui
députer une ambassade avec des cadeaux. Parmi ces der­
niers se trouvaient plusieurs paniers de sorgho et d’éleusine, graminées alors inconnues dans le Rwanda.
» Le roi en apprécia l ’importance, pardonna dès lors à
l ’offenseur, mais en lui imposant l’obligation annuelle
d’apporter à la capitale un panier de chaque espèce. Le
roi distribua les premiers envois aux chefs en leur recom­
mandant de les planter et d’en surveiller la croissance. »
Ruganzu, d’après une autre interprétation, parcourait
le Rumbogo, quand il vit sur le chemin une fourmi
(imonyo) entraînant avec elle un beau grain. Il montre
la chose à un de ses suivants : « Vois cette fourmi, lui
dit-il. Examinons ce qu’elle porte à la bouche. » Les
Banyarwanda n ’avaient jamais vu un grain pareil à
celui-là.
Le roi ordonna de le conserver avec soin.
De retour à la capitale, il le fit mettre en terre. Six mois
après, on recueillit un bel épi dont les graines furent de
nouveau ensemencées. Deux années après la récolte fut
telle que la distribution du précieux grain put être faite
à nombre de gens. La culture de cette céréale, à laquelle
(i)
Les Banyarwanda préparent la tige et les feuilles d’issogi comme
les épinards.

500

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

on donna le nom de sorgho, ne tarda pas à se répandre
dans le Rwanda.
Une autre fois que Ruganzu voyageait à travers ce
même pays du Bumbogo, il s’arrêta soudain devant une
case d’où se dégageait une bonne odeur de cuisine :
<( Quelle est donc la nourriture qui répand un si délicieux
arôme ? » s’écria-t-il. La femme du logis en question invite
le prince à pénétrer dans l’intérieur, découvre la marmite
et lui montre la fameuse plante « issogi » (épinard) q u’elle
faisait cuire avec des haricots. Heureux de la découverte,
Ruganzu complimenta la cuisinière. On lui montra quel­
ques plants, il en fit recueillir les graines.
D ’autres ajoutent que la femme dont nous parlons lui
présenta à cette même occasion le premier pain de sorgho
q u’il eût jamais vu, d ’où l’idée d’introduire la culture de
cette graminée dans son royaume.
Quoi q u’il en soit de l ’authenticité de ces détails, tou­
jours est-il que pour commémorer le souvenir de l’intro­
duction du sorgho, de l ’éleusine et de la plante genre épi­
nard dans le Rwanda, on célèbre chaque année à la
capitale la fête dite des « prémices » (umuganura, kuganuz’ u m w am i). Elle se solennisait généralement en février
ou mars pour l ’éleusine et en mai pour le sorgho; à chaque
fois on y ajoute la fameuse plante. Depuis ces dernières
années l ’éleusine, le sorgho et l’épinard sont portés en une
fois à la capitale, pour une seule et même cérémonie. Une
famille spéciale est chargée, dans le Bumbogo, de culti­
ver le champ où l’on récolte le grain qui est destiné à la
Cour.
C’est une fonction qui se transmet de père en fils. Au
moment des semailles, le gardien attitré du champ va
demander au roi la pioche qui servira à préparer le terrain.
Lorsque l ’envoyé se présentait à la Cour, le prince
devait, d’après la coutume, le faire frapper trois fois.
On ignore la raison de ce curieux usage.
L’homme partait de nuit avec sa houe. La récolte une

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

501

fois terminée, les mêmes gens retournaient à la capitale,
pour y prendre le panier (igitenda ch’ imikondo) spécial
dans lequel on transportait le sorgho ou l ’éleusine. On
mettait la corbeille sur une litière (ingobyi). Ceux qui fai­
saient partie du cortège jouissaient du privilège de
dépouiller et de piller ceux q u’ils rencontraient en cours
de route.
L ’histoire raconte qu’ils ne se firent pas faute d’en user
autrefois, mais q u’ils étaient de meilleure composition
depuis quelque temps et pour cause. Les chefs, sur le ter­
ritoire desquels ils passaient, la nuit, avaient le devoir de
les traiter honorablement, en tenant compte de leur qua­
lité d ’hommes du roi. Inutile d’ajouter que les gens de
cette catégorie étaient toujours prêts à faire ripaille,
quand cela leur était loisible. Une fois arrivés à la capi­
tale, la coutume leur permettait, paraît-il, d’y maltraiter
les Batutsi et de leur jeter à la tête des os de vaches. Il n ’en
est plus de même aujourd’hui, les temps ont évolué.
L’évolution des idées sous l ’influence européenne a fait
son chemin. Leur personne n ’étant plus inviolable, leurs
mœurs se sont forcément radoucies.
Ils étaient immédiatement reçus par le roi, qui les intro­
duisait dans sa case, à l ’exclusion de son entourage habi­
tuel. Le grand chef du Bumbogo (umutware w’ intebe),
du clan des Batsobe, pénétrait seul à sa suite. C’est lui qui
présentait officiellement au souverain les prémices. Des
précautions étaient prises pour que personne ne put appro­
cher des graines destinées au roi. Des esclaves ou servantes
triées sur le volet battaient les épis de nuit, loin de tout
regard profane. Elles avaient ensuite pour tâche d ’écra­
ser le grain sous les yeux du monarque; elles travaillaient
avec la propreté la plus méticuleuse, c’est-à-dire sans cra­
cher dans leurs mains, ni toucher à la farine de leurs
doigts profanes.
Les princes et les grands vivent toujours dans la crainte
du poison ou des sortilèges, d’où les multiples mesures

502

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

et la surveillance étroite dont ils s’entourent dans ces cir­
constances. Après avoir obtenu la farine suffisante pour
faire un pain (umutsima), une autre esclave s’en emparail pour l’apprêter à l’instant même.
La pâte était alors apportée cérémonieusement au roi
qui en détachait un morceau avec les doigts. Il le portail
d ’abord à son front, puis à la poitrine et le mettait ensuite
à la bouche. Le chef présent faisait de même. La cérémo­
nie s’accomplissait en silence. Les porteurs des prémices
offraient aussi au monarque des tiges d ’issogi, qui
comptent, on l’a déjà vu, parmi les plantes les plus im por­
tantes (imbuto nkuru).
Il faut se rappeler que les Banyarwanda ne peuvent pas
manger seul le pain de sorgho ou d’éleusine, parce que
trop sec.
Aussi l’accompagnent-ils habituellement d’une bouchée
de haricots q u ’ils font cuire avec cette sorte d’épinard.
Celui-ci donne aux haricots une saveur très estimée dés
indigènes. C’est ce qui a valu à cette plante une place de
choix parmi les autres mets.
Il est d ’habitude que les gens qui ont fait partie du cor­
tège soient payés de retour. Un baquet (umuvule) est rem­
pli de lait; dans un autre 011 verse des haricots à moitié
cuits seulement.
On jette par-dessus du beurre rance comme pour un
régal de choix.
Le but recherché est do gaver les porteurs des prémices.
Cette nourriture mal cuite se digère plus lentement et
pendant ce temps-là les mangeurs prouvent aux specta­
teurs, par la forme arrondie de leur ventre, q u’ils oui été
traités royalement (ngo n’ ishimo).
On raconte que les convives ne pouvaient autrefois
quitter l’enceinte royale sans avoir achevé leur panta­
gruélique repas; ils mangeaient sous les yeux amusés
d’une foule en délire qui les poursuivait de ses la/zis et de
ses quolibets. Il ne leur était pas davantage permis de se

U ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’ a FRIQUE

503

retirer à l’écart pour satisfaire aux nécessités naturelles.
« Aussi, ajoutent les narrateurs, la Cour ressemblait-elle
davantage à une litière d’animaux. »
Bienheureux encore s’estimaient les invités quand on
n ’ajoutait pas les coups pour aiguiser leur appétit. Il sem­
ble q u’à l ’heure actuelle ces coutumes aient perdu de leur
grotesque et de leur brutalité.
A ces réjouissances prennent part non seulement les
habitués de la Cour, les habitants du voisinage, mais
encore les grands chefs et leur suite. Les sacrifices y suc­
cèdent aux danses et aux spectacles donnés par les pitres
et les charmeurs de serpent.
On y fait aussi l’exhibition des vaches sacrées (inyam bo),
ce qui est pour beaucoup de gens la partie importante de
la fête. Pour qui connaît les Batutsi, pasteurs de métier,
cette partie du programme n ’a pas de quoi étonner.
II. —

E x is t e n c e

et e x h ib it io n

d es t r o u p e a u x

sacrés.

Notre étude serait incomplète si, en parlant des vaches
sacrées, nous ne disions quelques mots sur l’attachement
que les Banyarwanda, Bahutu et Hamites ont pour les
bovidés.
La vache est choyée de tous sans exception; on l’entoure
de soins méticuleux et souvent ridicules. Les Noirs du
Bwanda ne reculent devant rien pour s’en procurer. Un
M uhutu fera la cour à son chef, de longues années s’il
le faut, pour en obtenir une; il supportera les intempéries
du climat, s’imposera de longs voyages, s’astreindra à
nombre de corvées, fera le sacrifice de ses récoltes pour
arriver à ce résultat. La perte d’une vache est considérée
à l ’égal d’une perte de famille. Nombreux sont les suicides
de la part des Batutsi qui ne croient pas pouvoir survivre
à une disgrâce royale ou à une épizootie qid leur enlève
leurs troupeaux.
Tout ce qui vient de la vache est également très appré­

50 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

cié, sa chair, sa peau, son lait et même la bouse que l ’on
emploie à maints usages.
Une femme qui se respecte et qui en a les moyens, ne
peut avoir pour habillement q u ’une peau de vache. Cette
jupe fait partie du trousseau à l’occasion du mariage et se
lègue de mère en fille, aussi longtemps que le permet
l’usure du temps. Pour ce qui est du lait, il est la nourri­
ture presque exclusive des fils de chefs. Il est considéré
comme une gourmandise par les pauvres, qui ne peuvent
que l ’envier aux riches. Il se boit surtout caillé; le lait
frais n’est pas digne des hommes, il est tout au plus bon
pour les enfants.
Avant la pénétration européenne les Banyarwanda
n ’auraient jamais pu penser q u ’on pût le faire bouillir et
ce fut une véritable révolution dans les idées du pays
quand ils virent les Blancs le faire cuire avant de le boire.
L ’énigme suivante montre le cas que font les indigènes
du lait et en quelle estime on l’a. Donc : quelle est la chose
inconvenante par excellence et qui met le plus dans la
gêne et l’embarras P On répond : une mouche noyée dans
du lait ou posée sur le front du Boi. La parité d ’inconve­
nance est la même dans les deux cas. Ce serait inévitable­
ment la mort pour le serviteur qui s’oublierait jusqu'à
présenter à Sa Majesté noire du lait où se trouve une im p u­
reté quelconque, si légère fût-elle. Les gens de service,
chargés d ’offrir cérémonieusement au Boi les sept ou huit
petites jarres q u’il doit porter successivement à ses lèvres,
en savent quelque chose... Combien de ces malheureux
n ’ont-ils pas, jadis, payé de leur vie un simple soupçon
d’impureté ! Il est vrai que la crainte du poison motivait
le plus souvent ces rigueurs draconiennes.
La viande de vache est un morceau de choix, une vraie
gourmandise pour les pauvres gens, surtout qui n ’en ont
que rarement à se mettre sous la dent. C’est aussi à peu
près la seule viande permise aux femmes; les autres leur
sont tabou. Il n ’est pas ju squ’à l’urine de vache qui n ’ait
son emploi journalier et courant.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

505

Elle sert à laver les pots ou jarres à lait. Quant à la
bouse, on la consacre à maints usages : à boucher les
trous et les fentes des ustensiles en bois qui forment la
batterie de cuisine, à enduire les parois des cases pour se
préserver du vent ou du froid, à s’en frotter le corps dans
certaines maladies de la peau, etc.
Expressions pastorales.
Le vocabulaire riche et varié dont se servent les Banyar­
wanda montre l’intérêt q u’ils portent à leur bétail.
Ils ont des termes spéciaux pour désigner la vache de
couleur noire (inka y’ umukara), la vache de couleur cho­
colat (igitare), la grise (ik iju ju ), la violette (issine), la
rouge (umusengo), les vaches tachetées de blanc, de noir
ou de jaune, sur un fond roux ou gris (ubugondo, la
cendrée (rwirungu), la jaune foncée (inumba), inka y’
inyombya, la vache couleur de merle dont les Batutsi ont
une crainte superstitieuse.
Un berger se dit um ushum ba ou umwungeri.
Les vaches du roi, autres que les vaches sacrées, s’appel­
lent « insanga », c’est-à-dire les trouvées, du mot gusanga,
qui veut dire trouver, parce que c’est un des premiers rois
du Rwanda, Gihanga, qui les découvrit. On les désigne
encore sous le nom d’ « ibigarama », du mot kugarama,
s’étendre, parce q u’elles ont de longues cornes, etc.
« Inka » est le nom générique de toutes les bêtes à
cornes, vaches ou taureaux. Ink ung u = vache sans cornes;
inkungu z’ amalegelege = vache dont les cornes sont
branlantes.
La forme des cornes, leur direction et l’arc de cercle
qu’elles forment donnent lieu aux noms suivants : inkondogoro, inyabulegelege, ibibinda, impotore. Certains pas­
teurs Batutsi brûlent au fer rouge les cornes de leurs bêtes,
quand celles-ci sont encore jeunes, pour obtenir la forme
voulue.

O06

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Inka y’ imbata (kwihata, faire des efforts), vache
acquise ou achetée grâce au fruit d ’un travail personnel.
C’est une vache inaliénable sur laquelle les chefs n ’ont
aucun droit.
Inka y' igiti, vache de la propriété (de la colline) reçue
du chef.
Inka y’ impetano (guheta, ... pour la deuxième fois).
Deuxième vache obtenue du chef.
Inka y’ ubuntu, vache de générosité ou inka y’ ineza,
vache de bienfaisance dont se font cadeau entre eux les
parents ou les frères de sang.
Inka y’ ingwate (kugwatiriza), vache qui doit se rache­
ter (irichungura). Le propriétaire d’un taurassin passe
avec le possesseur d’une vache un contrat d’après lequel
il lui cède sa hôte moyennant promesse de donation du
premier veau femelle qui naîtra de la vache en question.
Il peut même emmener cette dernière et la garder
ju sq u ’au jo ur où le premier veau sera sevré, quitte à par­
tager durant ce temps le lait avec le maître de la bête.
Le terme umukangara sert à désigner la première
génisse qui fait l’objet de ce pacte.
Inka y’ inkungurano (kugurana, échanger), vache ache­
tée. L’échange se fait moyennant une vache stérile ou
deux taurassins, une vingtaine de chèvres ou une tren­
taine de paniers de haricots.
Inka y’ inkwano (gukwa, acheter une fiancée), vache
donnée en dot pour l’acquisition d’une épouse.
Inka y’ indongoranyo (kulongoranya, aider à entrer en
ménage). Ce terme sert à désigner la bête que les parents
aisés donnent à leur fille, le jour de son mariage. Ils lui
fournissent en même temps son trousseau, qui consiste
en une peau de vache tannée et beurrée, enfermée dans
une corbeille, avec des anneaux en fibre végétale, deux
nattes pour le lit, une provision de beurre, etc., pour sub­
venir aux premiers besoins du jeune couple.
Inka y’ ichari (umwari, jeune mariée). Cette expression

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

507

désigne la vache donnée par les beaux-parents à l’occasion
de la naissance de leur premier petit-fils. Le gendre doit
présenter aux parents de sa femme, en même temps que
son fils, quelques cruches de bière. Il reçoit en retour une
vache ou une génisse.
Le beau-père tient habituellement compte de ce q u’il a
reçu au moment du mariage de sa fille. Si son état de for­
tune est modeste, comme c’est le cas pour la plupart
des Bahutu, il ne donne q u’un taurassin ou quelques
pioches (1).
Inka y’ indundu (kurundura, donner sans condition)
sert à désigner une vache donnée sans condition, par
opposition à inka y ’ ingwate.
Inka y’ ilembo veut dire la vache d’entrée (en ménage),
parce que la nouvelle mariée la reçoit en cadeau de ses
beaux-parents, quand elle pénètre pour la première fois
sous le toit conjugal.
Inka y’ indabukirano (kurabuka, kurabukir’ umutware,
payer un don d ’avènement au nouveau chef) signifie la
vache donnée au chef à l’occasion de son entrée en charge.
Inka v’ inyiturano (kwitura, kwiturana, payer une dette
de reconnaissance) indique la vache cédée en remercîment
d ’un bienfait.
Inka y’ inturano (gutura, faire un cadeau, offrir un pré­
sent) sert à désigner la vache que les administrés doivent
donner aux chefs, par manière d’impôt.
Inka y’ intundano signifie vache de commerce. Le verbe
gutunda veut dire faire le commerce ou acheter par un
échange de marchandises, d’où l’expression de vache de
commerce.
Inka y’ ingororano (kugororera, récompenser) veut dire

t1) Le taurassin est alors désigné sous le nom d’igishito ou uluhanderw’ inka, le côté (c’est-à-dire la moitié) d’une vache.
Le cadeau donné dans ces circonstances revient de droit à la jeune
mère qui a enduré les douleurs de l’enfantement, (umuruho w’ umubyeyi). Ses parents la dédommagent de ses peines et de ses souffrances.

SOS

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

une vache donnée en récompense à l’occasion d’un service
rendu.
Inka y’ inyibano (kwiba, voler) vache volée.
Inka y’ ibihembo, vache donnée en paiement par
manière de salaire, par exemple, pour payer un travail
consécutif de deux ans.
Inka y’ am ahugu (guhuguza, tromper) vache obtenue
par la ruse.
Inka y’ umuheto (arc) vache obtenue par la violence.
Inka y’ isaso (balle de fusil) sert à désigner in genere
les vaches des Européens qui se sont introduits en maîtres
dans le pays.
Inka z’ indemano (kulema, créer) vaches données par le
roi ou un grand chef à celui q u’ils veulent honorer ou
élever au-dessus des autres, en lui constituant un troupeau
qui le met à l’abri du besoin.
Inka z’ inkuke (gukuka = sortir de ... venir de) sert à
désigner les vaches dont on a la garde seulement.
Les vaches laitières sont toujours mises à la disposition
du chef, qui ne manque jamais de lait.
Inka z’ intarama (terme propre au Bugoyi), vaches que
l ’on trait tard dans la matinée et dans la soirée.
Inka z’ imigogoro (im iruho), vaches (qui sont cause
d’ennui) parce q u’elles crèvent souvent ou occasionnent
d’autres soucis au propriétaire taxé pour leur lait.
Inka z’ inyambo (indende), vaches de taille imposante.
Inka z’ ingegene, vaches ordinaires.
Inka z’ inyagisanze, vaches qui paissent dans des pâtu­
rages toujours verts.
Inka z’ intahira (gu-ta-hira ou gu-ta-gemura), vaches
dont le propriétaire a la jouissance complète et ne subit
aucune servitude de la part du chef, du fait de leur pos­
session.
Inka z’ imilizo, vaches à (courte) queue. Les Batutsi
raccourcissent quelquefois la queue de leurs génisses pour
raison de beauté.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

509

Inka z inkuku, vaches de petite taille.
Ikimasa = bœuf; im pfizi = taureau; ubukombe = tau­
reau dans toute la force de l ’àge ou dont les services sont
appréciés, d’où le souhait et l’expression : Ukagir’ ubu­
kombe ! Puissiez-vous avoir un beau taureau !
Inyana=veau; ishashi = génisse; imbyeyi = vache mère;
inka y’ issave ou uruibereri = vache qui n ’a jamais vêlé;
ingum ba = vache devenue stérile; inka y’ issugi = vache
qui n ’a jamais perdu de veau; iliza — vache qui a vêlé au
moins une fois; ijig ija = vache qui a vêlé maintes fois;
inka y’ ubusuri = vache qui a perdu son veau; insindirano
= vache à laquelle on a fait accepter le veau d ’une autre;
am abuguma = vieilles bêtes, etc.
Lait frais se dit amata y’ inshyushyu; lait caillé = ikivuguto; lait d’une vache qui vient de mettre bas = umuhondo; lait d'une vache redevenue pleine = amasitü; lait
frais mélangé d’eau = umwerera; lait d’une nuit = umubanji; petit-lait = amachunde, amenda, etc.
Des vaches sacrées.
On fait remonter ju squ’à Ruganzu l’idée de cette sélec­
tion. Ces troupeaux spéciaux sont connus sous le nom
d ’ « inyambo » ou vaches à longues cornes, toujours choi­
sies parm i les plus belles du pays. Leur couleur n ’est pas
uniforme.
Entre autres teintes, on y distingue surtout la rousse
cendrée (ibihogo by’ issine), la rousse-violette (ibihogo
by’ igaju), la rousse tachetée de blanc (ibihogo bv’ imyeru)
et la noire et blanche, qui sont les pelages que préfèrent
les Batutsi.
Des vachers propres sont préposés à la garde de ces
troupeaux, qui paissent habituellement dans le Buganza.
On les conduit à la capitale à l’occasion des fêtes ou des
réjouissances publiques. Les plus belles d’entre elles,
désignées sous le nom d’ « inyamibga » ou « indatwa »

51 0

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

(du mot kurata, faire admirer), sont mises en avant du
troupeau.
11 n ’y en a q u’une ou deux généralement pour chacun
des troupeaux et elles sont habituées à marcher en tête des
autres. On garnit leurs cornes, leur front et leur cou de
rangées de perles et de petites cornes d ’antilopes en guise
d’ornements (imitako n ’ imiheha). On n ’a garde d ’oublier
les tiges de l ’herbe sacro-sainte « umwishwa » que les
vachers aussi portent sur la poitrine et sur la tête dans
nombre de circonstances. C’est alors q u’ont lieu les danses
spéciales organisées par les gardiens du troupeau ou
même par les Batwa et auxquelles s’associent les bêtes par
leurs mugissements.
Assez familiarisées avec ces sortes de jeux, ces dernières
semblent s’y intéresser et suivent les évolutions des dan­
seurs. Pour les exciter davantage, ceux-ci poussent en
même temps des cris gutturaux particuliers.
Ces sortes d’exhibitions sont très estimées des Banyar­
wanda et attirent beaucoup de monde.
Ap rès la fête, les vaches sacrées retournent dans les
pâturages du Buganza. Leurs pasteurs les entourent de
beaucoup de soins et sont les seuls à pouvoir les traire,
tout comme ils sont les seuls à boire leur lait.
Les veaux gorgés de lait ne sont sevrés q u’assez tard.
Alors que les Banyarwanda sont excessivement friands
de viande et mangent même les bêtes crevées, il leur est
absolument interdit de goûter à la chair des ndatwa ou
vaches à longues cornes, qui marchent en tête du trou­
peau sacré (inyambo).
L ’exception à la règle que l ’on vient d’énoncer montre
le cas que l’on fait des bovidés de cette catégorie.
Afin de m aintenir cette prohibition, les gardiens lais­
sent courir le bruit que l ’on se sert de sang de crocodile
(ingona), qui est considéré comme un poison violent, pour
en frotter les vaches préférées (indatwa).

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

511

III. — D e l ’e x p o s itio n des o b je t s d u t r é s o r r o y a l .
Notons encore q u’à l’occasion de ces deux importantes
solennités, on fait l’exposition des objets du trésor (intore)
royal. Celui-ci comprend des perles de toutes variétés, des
colliers, des bracelets, des étoffes, des petits osselets
(intimba) ouvragés et des peaux de colobus (inkomo) fine­
ment travaillées. Il paraît qu’avant le désastre de Ruchunchu (1896), où disparurent dans l ’incendie nombre de
pièces composant le fameux trésor, on n ’arrivait presque
pas à le dénombrer, tellement il se distinguait par sa
richesse (toute locale) et sa variété. Il a fallu le renouveler
pièce par pièce.
Seules quelques peaux de colobus et quelques pièces
d ’étoffes ont survécu au sinistre. Les plus anciens
« pagnes » remontaient au roi Gahindiro dont le règne
s’est terminé peut-être entre 1840 et 1850! On les avait
toujours conservés avec un soin jaloux, comme représen­
tant une grande valeur pour l ’époque.
Ils furent alors désignés sous le nom d’ « im pw ijim a »
à cause de la qualité de l’étoffe rayée et bigarrée.
Les rois du Rwanda les avaient eus par l’intermédiaire
des princes du Karagwe et de ceux de l ’Usui, avec lesquels
ils entretenaient des relations amicales depuis un temps
immémorial.
Des échanges fréquents de fiancées de Cour à Cour ne
contribuaient pas peu à entretenir une certaine amitié
entre eux. On se souvient que Ruganzu s’enfuit chez sa
tante paternelle, Nyirabunyana, mariée au potentat du
Karagwe, qui s’appelait alors Ndagara et avait succédé à
un certain Luhinda. Les rois du Karagwe et surtout ceux
de l’Usui furent des premiers, à cause du voisinage du lac
Victoria, à entrer en rapports avec les Arabes et à en rece­
voir des étoffes. Ils en firent profiter leurs amis du
Rwanda. Comme ces pièces d’habillement étaient rares,
ils furent les seuls à les porter et 011 leur donna aussi le

512

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

nom d’ <( imyambarabami », les vêtements de roi. A la
mort du monarque ses habits étaient remisés et faisaient
partie du trésor. Tout en portant des étoffes à partir de
cette époque, les rois du Rwanda ne délaissèrent pourtant
pas le costume national désigné sous le nom d’ « inkindi »,
fait d ’une ou deux peaux de « colobe » ( inkomo), bien
tannées et finement travaillées. Ces peaux étaient recueil­
lies et confiées aux gardiens du trésor (abanyabyuma),
gens de confiance choisis de préférence parmi les chefs
ou les favoris du prince; ces employés devaient veiller à
l ’entretien de ce qui avait appartenu aux défunts rois. Ces
accoutrements commençaient à s’accumuler dans la garderobe, quand survint la révolution qui renversa le roi
Mibambge-Rutalindwa, successeur nommé de LwabugiriKigeri.
L ’incendie, qui dévora les huttes où avait été entassé
l’ameublement royal, consuma presque tout.
On a tenté depuis lors de reconstituer un nouveau tré­
sor en choisissant, ce qui était désormais facile, de nou­
velles pièces d’étoffes achetées chez les commerçants.
Des peaux de colobe ont été tannées pour remplacer les
premières. Le roi actuel s’est procuré de nombreuses
variétés de perles, bracelets, colliers, etc., q u’on ne
manque pas d’exposer solennellement, à l’occasion des
deux grandes fêtes, devant la case royale, qui occupe le
fond de la première cour d ’entrée.
Q u’on se garde bien de croire à une simple ostension, à
un simple étalage de richesses.
Sans doute les rois sont loin de rester insensibles à cette
vaniteuse exhibition de friperie et de verroterie désuète,
qui, pour eux, représentaient le sum m um de la richesse
en fait d’objets d’art. Il y a autre chose encore. Cet étalage
a encore pour but de se concilier les bonnes grâces des
princes défunts. Dans ce but on choisit quelques individus
parm i l ’assistance pour commémorer leur souvenir. On
leur fait revêtir les peaux de colobe anciennes et nouvelles

U ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

513

ayant appartenu ou qui sont censées appartenir aux
monarques décédés. Ils parcourent alors la place qui
s’étend devant la maison du roi et dansent en l’honneur
des « mânes » royaux. Tout en évoluant, ils répètent en
chœur et à l ’unisson : « Ce sont vos trésors (intore), ceux
qui vous ont appartenu. Ils sont bien à vous, ces habits,
ces étoffes, ces armes, ces perles, etc. C’est en votre nom
que nous organisons ces réjouissances. Nous restons tou­
jours vos sujets, vos hommes-liges, vos serviteurs »...
(Toi’ ibintu bvavve, intore zawe; n ’ ibirori byavve,
n ’ abagaragu bawe...) La cérémonie terminée, les gar­
diens du trésor remisent les objets ju squ’à la fête
suivante (*).
Les fêtes et les réjouissances sont presque toujours à
caractère sacrificatoire, dans ce sens q u’on y fait mémoire
des « mânes » et qu’on leur offre des présents d’une façon
fictive ou même réelle, comme nous allons le voir dans
les pages qui suivent. On y traite des coutumes funéraires,
de celles seulement qui concernent la mort du roi, puisque
dans ce travail restreint nous devons essayer de nous en
tenir autant que possible aux us de la capitale. Le con­
traste ne laisse pas que d’être un peu piquant à cause du
rapprochement purement matériel entre les réjouissances
que l ’on vient de décrire et les rites funéraires observés à
la mort du souverain. Mais pour les Noirs il n ’en est pas
ainsi, vu les relations constantes q u’ils entretiennent avec
(>) Parmi les pièces originales que contient le musée royal figure le
vêtement (inkindi) du roi de l’Urundi, Mutaga, tué dans un combat, près
rie la colline de Mwurire, dans la province du Bwana-Mkali. Il s’agit
d’une peau, car on ne portait pas d’autres habits en ce temps-là, presque
méconnaissable, malgré le beurre rance dont on le frotte constamment
pour la conserver. C’est un des rares trophées de victoire qui a survécu
à l ’incendie qui suivit le désastre de Huchunchu. On le désigne sous le
nom de « ntizihishw’ amabuno », c'est-à-dire « celui (l’habit) qui est trop
court (pour la taille) ». L’expression indigène est plus forte et montre
que l ’esprit des Banyarwanda n ’est jamais en défaut dans les situations
tragiques ou comiques.
M é m . in s t . r o y a l Co l o n ia l b e l g e .

33

51 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

leurs morts et la place q u’ils leur donnent dans la vie du
foyer (l).
CHAPITRE VII.

Rites funéraires. — Tombes royales et bosquets sacrés. —
Momification des cadavres sous l’action du feu. — Honneurs
rendus aux mânes. — Hiérogamies. — Institution d’un jour de
repos en souvenir d’un prince royal.
I. —

C outum es

s p é c ia l e s

s u iv ie s

a

l ’o c c a s io n

DES FUNÉRAILLES ROYALES.

Le décès d’un roi dans le Rwanda donne lieu à un céré­
monial compliqué comprenant de nombreuses prescrip­
tions qui paraissent remonter très liaut dans le passé. Il
semble que les monarques Ratutsi aient emprunté aux
anciens princes autochtones (abahinza) la plupart de leurs
rites funéraires, tout particulièrement la momification
ou <( boucanage », car, en réalité, c’est de cette opération
q u’il s’agit, ainsi que le choix de la sépulture et le soin
jaloux avec lequel on veille sur les cimetières royaux (2).
Voici donc le court aperçu que donnent les profanes sur
ces matières, car les employés spéciaux des pompes funè­
bres royales (abanyamugogo) gardent un silence jaloux
sur ce sujet.
(*) Les cérémonies funéraires sont très compliquées, même pour les
autres membres de la société, et varient selon l’âge, le sexe, la qualité
de l’individu et les circonstances de sa mort.
Elles sont une preuve du souci qu’ont les Banyarwanda de rester en
contact avec leurs défunts, souci inspiré « par le sentiment du pouvoir de
ces esprits, de qui dépendent la santé, la prospérité et la vie même »...
(Levy Bruhl, La Mentalité primitive, p. 76.)
(2) Les cimetières royaux où furent ensevelis les roitelets aborigènes
Bahutu sont encore apparents dans maintes provinces du Rwanda et
spécialement dans le Kingogo. Les Hamites ont fait d’autres emprunts
aux autochtones vaincus et soumis. On a vu que les tambours de la capi­
tale rappellent le souvenir des principautés minuscules soumises par les
Hamites, qu’ils sont considérés comme trophées de victoire et comme
gages de la conservation du royaume actuel. Ces mêmes instruments ont
conservé leur rôle et leur importance chez les Batutsi.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

515

1° Comment, d’après la tradition populaire,
meurt un roi.
Un monarque, dans le Rwanda, est un être tellement
supérieur et à tel point respecté q u’il ne peut, dans la
pensée de maints Bahutu, naître, vivre et mourir comme
le com m un des humains.
D ’où les croyances suivantes auxquelles le bas peuple
avait ju squ’ici ajouté foi.
En principe, autrefois, le Souverain ne pouvait voir son
héritier. L ’enfant, confié à la garde d’hommes sûrs, était
élevé loin de son père, auquel on apportait de temps à
autre des cordelettes qui avaient servi à mesurer la taille
et le tour de ceinture du futur successeur. Pour juger de
la croissance et des forces du jeune prince, le roi mettait
1 empreinte de son pied dans un panier de farine de
sorgho. Celle-ci était portée au « dauphin », qui devait y
imprimer le sien. La corbeille retournait au roi, qui ne
cessait de s’intéresser au développement physique de
l’enfant.
Des arcs lui étaient ensuite envoyés pour lui permettre
d ’essayer ses forces. Le jour où l ’héritier réussissait à rom ­
pre le propre arc du monarque, il était dès lors jugé digne
du trône, puisqu’il était devenu aussi fort que son père.
On faisait les dernières constatations. Il fallait s’assurer
que l'habit du monarque lui convenait à merveille, que
l’empreinte de ses pieds correspondait exactement à celle
de l’auteur de ses jours. D ’autre part, celui-ci devenu
vieux, s’apercevant que sa barbe et ses cheveux avaient
grisonné (yamez’ imvi), estimait lui-même que son temps
était fini. Appelant aussitôt ses confidents, il leur faisait
connaître ses dernières dispositions : « Je vais partir
(gutabara), il ne me reste plus que quelques instants; vous
ferez régner (kwimika) mon fils à ma place. Vous lui
obéirez en tout »...
Dès le soir, les sorciers attitrés lui présentaient de

5IG

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

l ’hydromel (inkangaza) dans lequel ils avaient au préa­
lable versé un violent poison, acheté, croit-on, sur les
bords du lac Victoria, où on le prépare avec des chairs
putréfiées de crocodile.
Le roi s’endormait et ne se réveillait plus. « Il a bu »
(yanyoye), disait-on en style officiel, ou encore : <( il est
parti » (yatabaye), il a rejoint ses ancêtres, les Libérateurs,
qui ont sauvé le pays. « Il a cédé le trône » (yatanze),
« le ciel est tombé » (ijuru ryaguye), car telles sont encore
les expressions consacrées par l ’usage et dont on se sert
pour annoncer un aussi grave événement.
Rares ont dû être les monarques qui ont bénévolement
quitté la vie d’eux-mêmes.
La crédulité populaire a accepté de trop nombreuses
fables sur ce sujet. On racontait encore récemment que
la reine-mère Nyiramavugo, grand’mère du roi Lwabu­
giri, morte peut-être en 1860, aurait été la première à
refu ser, aux approches de la vieillesse, de boire le poison,
bien qu’elle y fût obligée par les coutumes et les tradi­
tions. « Depuis ce jour, disent les gens du peuple, les
Abiru ou gardiens des coutumes qui sont chargés de cette
commission et de cet office, n ’osent plus en parler aux
rois et aux reines. »
2° Le corps du royal défunt est « boucané ».
« Un roi vient-il à mourir, racontent les mêmes narra­
teurs, on prend deux Batutsi de grande famille qui sont
égorgés séance tenante à côté du cadavre. >>
C’est ce qui s’appelle « faire l ’oreiller du roi » (gusegurir’ iimwami). Ces gens lui sont donnés pour l’accom­
pagner et le servir dans le monde des esprits.
I J n sujet ne compte pas, tandis que le roi est tout.
Aussi est-il de bon ton de lui en expédier au moins deux
choisis dans le milieu social le plus élevé.
« On n ’a pas osé, ajoutent les conteurs, accomplir ce
rite à la mort du dernier roi Lwabugiri ( f 1895). »

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

517

À l’occasion du trépas de la reine-mère on immolait
deux grandes dames de même race (Mututsi). Ce sont les
« Banyamugogo » ou hommes à la grande huche (de
deuil), qui sont chargés des cérémonies funèbres. Ils for­
ment la corporation royale des ensevelisseurs, mais sans
en porter crûment le nom et le titre. Ils sont appelés
<( Hommes à la grande bûche » (de deuil), à cause de la
coutume qui exige qu’on fasse brûler une souche de bois
et cela durant trois ou quatre jours, après le décès d’un
individu. On choisit à dessein pour cela une bûche verte
V

V

d’érythrina à fleurs rouges (umuko), arbre symbolique
qui rappelle la mort de Ryanqombe, le fondateur présumé
de la fameuse société secrète des initiés (imandwa).
Le corps du royal défunt est transporté de son dernier
domicile, qui désormais s’appellera « Gisozi » (grosse
colline) O , dans l ’un des bois sacrés (2) réservés par
l’usage ou par la tradition aux sépultures royales. Les
Banyamugogo, devenus les maîtres de l ’heure et du pays,
font bâtir une grande case, pour la construction de
laquelle ils mettent à contribution les voisins du lieu
funèbre.
On y abrite les restes du souverain que l’on dépose sur
une claie installée au milieu de la hutte, à environ un
mètre cinquante au-dessus du sol. Les membres de la cor­
poration font du feu durant de longs jours, sous la couche
pour dessécher le cadavre et l’empêcher de se putréfier.
Le corps, placé sur un lit de peaux, est sans cesse
retourné pour que la chaleur du foyer en atteigne toutes
les parties.
f1) Cette expression de « grosse colline » est parfaitement comprise
des indigènes, parce qu'elle sert à désigner l ’endroit où un prince
régnant a rendu le dernier soupir.
(2) L’expression de « bois » ou « bosquet sacré » devant revenir sou­
vent sous notre plume, nous devons une explication au lecteur. Le mot
sacré est pris ici dans un sens large et tout à fait spécial, pour dire que
ces bosquets sont réservés et interdits aux profanes, qui ne peuvent y
pénétrer. Leur surveillance est confiée à des gardiens attitrés, qui font
respecter leurs domaines.

518

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Les gardiens de la hutte se relaient sans cesse, nuit et
jour, auprès du feu q u ’ils doivent entretenir. Durant ce
temps, nul profane ne peut, sous peine de mort, appro­
cher de l ’endroit.
Les employés des pompes funèbres continuent leur
travail ju squ’au moment où, d’après la crédulité popu­
laire, le cadavre donne naissance à un léopard, qui n ’est
au début q u’un petit ver (*). On creuse alors une fosse
dans la même case. Ce qui reste de la dépouille royale est
déposé au fond de la tombe sur un nouveau lit d ’herbes
recouvertes de peaux précieuses, peaux de lion, de léo­
pard, d ’antilope.
Le corps est complètement isolé de la terre, qui ne doit
pas le souiller. Le tout est encore recouvert de nattes spé­
ciales (ibirago by’ ibisunyu) faites d’herbes lacustres. La
fosse est, enfin, comblée (2).
3° Croyances populaires sur la survivance du roi.
« Les fossoyeurs, continue le narrateur, ne peuvent
encore s’éloigner du lieu de la sépulture.
» 11 ne leur est pas permis de le quitter avant la fin du
deuil, qui dure au moins quatre mois. Le ver, dont on a
(*) On voudra bien nous permettre de répéter encore une fois que
nous nous mettons à la place de l’indigène. On ne fait que citer ses dires
et ses croyances.
(2)
D’après une autre croyance populaire quand un « Yuhi » vient
à monter sur le trône, les employés des pompes funèbres ont à remplir,
en plus de ce qui a été déjà dit sur ce sujet, un autre devoir vis-à-vis du
roi défunt.
Après avoir été boucané, le corps (umwite), entièrement desséché, est
porté dans le bois sacré de Muhima, en dessous de Kigali. Les porteurs
creusent à l’endroit dit de Nyamvura (l’endroit de la pluie), où se trou­
vait autrefois une source également sacrée, et y déposent le cadavre un
instant.
C’est ce qu’on appelle faire boire (guliira) le roi.
Le corps est ensuite ramené au cimetière royal. Son successeur peut
désormais vivre en paix, l’abondance régnera dans le royaume, les
diverses formalités de l’accomplissement desquelles dépend la prospérité
du pays ont été remplies.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

51 9

parlé précédemment, « doit » sortir au bout de quelque
temps de la m ain droite du cadavre. Il est aussitôt
recueilli par les gardiens, qui le mettent dans un vase
rempli de lait.
» L ’ustensile devenant trop étroit pour sa taille, l’ani­
mal est ensuite logé dans une grande jarre où l’on verse
du lait tous les jours. Le ver ne tarde pas à « pousser des
jambes », il va bientôt se transformer; la jarre ne lui
suffit plus, on lui procure un bassin (umuvule) que l’on
remplit également de lait. Il devient léopard. On continue
à le nourrir de lait jusqu’au jour où ses instincts sangui­
naires se réveillant il se met à griffer. On lui donne alors
de la viande fraîche. Il faut le lier, car il est devenu
« méchant » (irakaliha). L’anim al réussit à briser ses pre­
miers liens tressés avec des écorces de bananiers. Il est
attaché avec de nouvelles cordes de ficus, qui sont bientôt
rompues à leur tour.
» De la Cour royale (ibgami), où les messagers ne
cessent d’aller rendre compte de leur mission, est apporté
un fil de fer (umukwege) pour enchaîner la bête.
» Arrive le jour où le fauve blesse un des gardiens. Un
deuxième ne tarde pas à avoir le même sort, un troisième
meurt de ses blessures.
» La situation est devenue intenable, elle ne peut plus
se prolonger.
» Le léopard, impatient de conquérir sa liberté, devient
furieux. Arrive, enfin, l'autorisation de lui donner la clef
des champs, délivrant ainsi les Banyamugogo d’une
garde impossible.
» Un homme de bon sens, ajoutait le narrateur, qui
terminait son récit, ne peut croire à de pareilles choses.
Pour ma part, je ne fais que répéter ce que j ’ai entendu
dire autour de moi. »
Les (( bois sacrés » servent souvent de repaire aux léo­
pards, qui profitent de la saison des pluies, au moment
où le sorgho est déjà haut, pour parcourir le pays, en

520

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

quête de proies à dévorer. De plus, le léopard est le totem
du roi, qui pour ce m otif s’en réservait autrefois toutes
les peaux pour son usage personnel. Aussi parmi les gens
du peuple s’en trouvent-ils beaucoup qui ajoutent créance
à ces fables. A la capitale, où personne n ’est dupe de ces
enfantillages, on ne fait rien pour détromper le public.
Les employés des pompes funèbres, qui gardent le silence
absolu sur ce qui fait l’objet de leurs fonctions, ont plutôt
intérêt à exagérer le côté merveilleux de la chose pour se
donner une plus grande importance aux yeux de leurs
compatriotes. On devine le prestige qui environne la per­
sonne du roi, prestige auquel se mêle beaucoup de super­
stition et qui le fait vénérer à l ’égal d’un demi-dieu par
nombre de ses sujets.
4° Obligations et privilèges des employés
des pompes funèbres.
Le soin d’inhum er ou mieux de momifier (gwosa,
gwosereza) le souverain est réservé, avons-nous dit, à une
corporation spéciale désignée sous le nom de Banyamugogo, c’est-à-dire les hommes à la grande bûche (de deuil)
et qui font partie du clan des Abiru, le clan par excellence
dont les membres sont chargés de conserver le souvenir
des coutumes et des traditions. Les ensevelisseurs royaux
n ’ont pas d’autre fonction que celle-là et ils jouissent de
précieux privilèges. Nul chef ne peut les attaquer ou les
piller, la protection royale s’étend sur eux.
Ils ne sont astreints à aucune corvée et ne paient pas
d ’impôt. Par contre, il leur est rigoureusement interdit de
se présenter à la Cour et de paraître en présence du prince.
S’ils ont affaire à lui pour un procès, tout au plus peuventils se rendre sur le chemin de la capitale, mais en s’arrê­
tant à une bonne distance. Arrivés là, ils allument un
grand feu dans lequel ils jettent de la bouse de vache
encore fraîche pour faire monter des tourbillons de

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

521

fumée, afin d’attirer l’attention. Ils députent en même
temps des gens pour exposer leurs plaintes et leurs griefs.
Le roi désigne alors un ou deux chefs pour aller tran­
cher leurs difficultés.
Ces mêmes fossoyeurs ne pouvaient autrefois fréquenter
leurs semblables, ni boire, ni manger avec eux. Même
encore aujourd’hui, invités à festoyer chez les voisins,
ils doivent emporter avec eux leur propre chalumeau. On
assure q u’ils ne mangent pas avec leurs enfants. Et si le
cas se présentait que ceux-ci, à leur tour, enterrassent un
nouveau roi, ils devraient se séparer de leurs parents et ne
plus le voir.
Quand on veut parler du monarque et de certains de
ses actes, on se sert d’un vocabulaire spécial. Il serait on
ne peut plus irrespectueux de dire que le roi dort, boit,
mange, etc., comme tout le monde. Nous avons vu plus
haut comment il faut s’exprimer pour parler de ses mala­
dies et de sa mort (yaberamve, vanyoye, yatabaye, etc.).
C’est pour la même raison que les ensevelisseurs royaux
portent un nom qui ne rappelle leur fonction que d’une
façon très indirecte. De même qu’il est, absolument inter­
dit à ceux-ci de se présenter à la capitale, la coutume ne
permet pas davantage au roi de passer ou de camper
dans les pays habités par des membres de cette corpora­
tion. 11 doit éviter les bois sacrés où reposent les mânes
de ses ancêtres, comme si le souvenir de la mort pouvait
abréger la vie du souverain. Il est de règle autour de lui
d’écarter cette image et cette pensée de ses yeux et de ses
oreilles qui sont celles d’un demi-dieu bien au-dessus des
profanes.
Il faut q u’il puisse jo uir en paix de cette vie et de toutes
les jouissances qui en découlent.
5° Deuil suivi à la mort du prince.
Le deuil du roi est porté durant quatre mois, c’est-à-dire
ju squ’à l’avènement officiel de son successeur. En prin­

522

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

cipe, durant ce temps, la cohabitation entre époux est
interdite. On sépare aussi les taureaux des troupeaux, à
l ’occasion de ce malheur sans pareil, qui fait dire aux
Banyarwanda que « le ciel est tombé » (ijuru ryaguye).
Les hommes et même les enfants se rasent la tête en signe
de deuil.
Tout travail de culture est rigoureusement défendu; les
chefs y avaient la m ain et n ’auraient pas hésité pour faire
du zèle, de tuer séance tenante le malheureux qui se serait
laissé aller à enfreindre la coutume. Tout au plus
pouvait-on, si les champs étaient déjà préparés, y piquer
les graines ou les plants, mais sans le secours de la houe.
Il fallait se servir d ’un bâton pour arracher les patates
douces du sol. Il n ’est pas inouï d’entendre dire que la
famine ait été quelquefois, dans le passé, la conséquence
de ce chômage forcé.
II. —

Tom bes

royales

et

b o is

sacrés.

(Cimetières et anciennes capitales.)
1° Composition et formation des bois sacrés.
Lors du décès d ’un roi son cadavre, avons-nous dit, est
porté dans un des bois sacrés, où l’on bâtit une grande
hutte en vue d’y abriter sa dépouille et de la momifier par
dessiccation avant de l’inhum er.
On construit aussi une cour fermée par des branches île
ficus, qui prennent bientôt racine et donneront plus tard
naissance à un vrai bosquet. Le travail de boucanage une
fois terminé, les gardiens de la case donnent la sépulture
à ce qui reste du cadavre, dans l ’intérieur même de l’habi­
tation.
Ils y séjournent encore quelque temps pour empêcher
une profanation qu'ils croient toujours possible. Les qua­
tre mois de deuil écoulés, la maison est abandonnée et lu
porte soigneusement barricadée à l’extérieur.
Elle pourra résister trois, quatre et même cinq années

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE ^AFRIQ U E

523

et finira par tomber de vétusté sans q u’on s’en préoccupe
autrement. Avant de s’éloigner, les ensevelisseurs royaux
plantent dans l’intérieur de la cour une branche d’érythrina (umwuko) en l’honneur de Ryangombe, le fonda­
teur supposé de la société secrète des initiés (imandwa),
et une branche de ficus (um uvum u), qui, par l ’élévation
de son tronc, l’étendue de ses branches et de son feuillage,
rappelle la majesté royale (ngo n ’ umw ami). Le bosquet
funèbre est dès lors créé ou s’il existait déjà, il s’augmente
d ’une nouvelle unité, qui ne tardera pas avec le temps à
faire corps avec les autres.
Nombreux sont les bois sacrés que l’on n ’est pas peu
étonné de rencontrer un peu partout et même dans les
endroits les plus déserts.
Les cimetières et les anciennes résidences royales sont
légion. Il n ’est pas une province du Rwanda qui n ’en pos­
sède au moins plusieurs.
On en trouve jusque dans les pays limitrophes qui
furent plus d ’une fois envahis par les Banyarwanda. Leur
m ultiplicité s’explique quand on se rappelle la vie errante
des rois guerriers, qui, comme Ruganzu et Lwabugiri, ne
couchaient pas souvent sous le même toit. Il suffisait que
le souverain eût passé la nuit dans une case en cours de
route, pour que l ’emplacement devint désormais sacré.
Les propriétaires devaient dès lors abandonner leur
demeure, se retirer ailleurs ou bâtir à côté. Les branches
de ficus qui formaient l’enceinte de la cour continuaient
à pousser et formaient un nouveau bois sacré (ikigabiro).
Ces bosquets se composent de différentes essences
d ’arbres où dominent généralement les ficus dont on con­
naît plusieurs espèces : les « imigobge », les « imilehe »,
les L’écoree des deux derniers arbres sert à faire une sorte
d’étoffe qui s’use rapidement (impuzu). La présence de
ces bouquets d ’arbres, presque toujours verts, qui émer­
gent çà et là, contraste avec le déboisement de la contrée,

52 i

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

surtout dans le Nduga, et lui donne 1111 certain cachet qui
ne manque pas de pittoresque.
Parmi les bois sacrés, dont les uns s’élèvent sur les plus
hautes collines, on n ’en connaît que huit ou neuf tout au
plus qui aient servi aux sépultures royales. Les autres mar­
quent les emplacements des anciennes capitales royales
et rappellent les déplacements successifs auxquels don­
nèrent lieu les nombreuses expéditions qui se firent sous
quelques règnes. Us sont désignés sous le nom générique
d’ « ibigabiro » ou « lieux de distribution », du mot kugabira, qui signifie distribuer ou donner en cadeau. Comme
on le voit, le terme d’ibigabiro ou lieux de distribution
convient fort bien de par son étymologie aux bouquets
d ’arbres qui déterminent la place des anciennes habita­
tions royales dont les possesseurs, en vertu de leur
domaine et de leur pouvoir absolu, pouvaient dispenser à
leurs sujets toutes sortes de faveurs. Ce n ’est que par
extension que le même nom a été appliqué fort impropre­
ment aux cimetières royaux. L’usage, en effet, ne permet
pas q u’on se serve pour désigner ces lieux funèbres des
appellations vulgaires et communes d’ « ikibira », cime­
tière, « imva » et « igituro », tombe. Dans certaines par­
ties du Rwanda, les Noirs emploient un autre terme,
beaucoup plus juste que le précédent, en raison du respect
qui entoure la personne du roi et de la crainte révérentielle
q u’on a pour lui. On les entend souvent parler de musezero (au pluriel misezero), c’est-à-dire l ’endroit où le
monarque « a pris congé » définitivement de ses sujets,
du verbe « gusezera », qui veut dire prendre congé.
Le mot <( umusezero » est désormais employé couram­
ment dans le sens de « lieu réservé », « lieu préservé »,
parce q u ’en été, au moment où les gens mettent le feu
aux hautes herbes, on commence par nettoyer les abords
des cimetières, en les débarrassant de la brousse, pour
préserver de l’incendie les tombes royales.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

525

2° Principaux cimetières royaux.
C’est à Gasseke, dans le Nduga, à environ quatre heures
de la mission de Kabgavi, au Nord-Est, q u’on rencontre
un de ces premiers bosquets « tumulaires », où fut enterré
un prince du nom de Chyilima.
On en connaît deux de ce nom. C’est sous le règne du
plus récent q u’eut lieu la célèbre im m igration dans le
Rwanda, des Muets ou Hommes étrangers au langage
incompréhensible. Celui dont on parle ici est, d’après la
tradition, le frère et le successeur immédiat de Ruganzu I,
surnommé Bwimba (x), de beaucoup antérieur à son
illustre homonyme.
Pour le distinguer de l’autre Chyilima, la postérité a
donné à celui qui est inhum é à Gasseke, le surnom de
« Rugwe », qui veut dire « le léopard », parce que le léo­
pard dans le corps duquel il a transmigré après sa mort,
passe pour résider encore dans l’épais fourré qui a poussé
autour de son tombeau. Aussi les sacrifices s’y font-ils
presque continuellement et le gardien attitré de l’endroit
y frappe souvent le tambour. Ce même roi Chyilim a
n ’aurait régné que quelques mois, disent les uns, quelques
jours seulement assurent les autres, d ’où les honneurs
qu’on ne cesse de lui rendre pour apaiser son esprit... et
son vorace alter ego.

D ’aucuns ajoutent que c’est à cause de sa fin malheu­
reuse q u’on agit ainsi vis-à-vis de lui pour calmer sa
colère et son chagrin (agahinda gasliire).
Refoulé de l’Ouest, où il avait été faire la guerre, ses
ennemis le poursuivirent ju squ’à Gasseke.
(i)
La mère de ce Ruganzu, disent les indigènes, avait épousé sur le
tard un de ses courtisans, nommé Clienge, d’où naquit Chyilima-Rugwe.
Elle le fit au plus grand mécontentement de son fils aîné, Ruganzu I;
c’était aller à rencontre des usages qui exigent que la reine-mère vive
uniquement auprès du prince régnant.
La même légende ajoute que Ruganzu-Rwimba se jugeant déshonoré,
profita d’une guerre, à l ’Urundi, pour se jeter au milieu des ennemis.
Il y trouva la mort.

52 6

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Blessé par eux d’un coup de lance et atteint mortelle­
ment, il réussit à se cacher dans les broussailles, où il ne
tarda pas à succomber des suites de ses blessures, aban­
donné des siens. De longs mois s’écoulèrent sans q u’on
entendit parler de lui.
Un beau jour des pasteurs découvrirent son cadavre
(umurangara) complètement desséché. Us annoncèrent la
nouvelle à la capitale et réclamèrent une récompense.
Pressés de faire connaître leurs désirs, ils obtinrent le
privilège de pouvoir désormais faire paître im puném ent
leurs troupeaux dans les récoltes des gens, en été, quand
l’herbe fait défaut. Quoi q u’il en soit de l’origine d ’une si
curieuse faveur, toujours est-il que les Batutsi et leurs
vachers ne se firent pas faute d’en user et d ’en abuser
ju squ’à la pénétration européenne, aux dépens des pau­
vres Bahutu, qui n ’en pouvaient, mais...
Au cimetière royal de Luhanga, qui occupe le sommet
du plateau de ce nom, les habitants du pays s’accordent à
dire q u’on y enterra sinon le roi Gihanga lui-même, c’està-dire le Créateur par excellence, ou au moins sa femme,
Nyirakabogo. Il est probable que maints autres monarques
y dorment de leur dernier sommeil à côté de la reine,
mais les gens ne s’entendent plus très bien sur leur nom.
Ils ne s’accordent pas davantage sur les noms de ceux
qui ont été inhumés sur le plateau voisin de KayenziBussigi, où l’on compte quatre de ces cimetières.
On connaît mieux les noms des princes enterrés dans
celui des cimetières qui est situé le plus au Nord. Les habi­
tants du pays sont presque unanimes à désigner KigeriMibambge et Nyiramavugo comme y ayant été inhumés.
Lors de la dernière guerre européenne, qui eut son contre­
coup dans le pays, les indigènes, apeurés et pour cause,
élevèrent des huttes (indaro) sur leurs tombeaux et y
offrirent de nombreux sacrifices. Pour ce qvii est de la
reine Nyiramavugo, les vieux se souviennent d ’avoir,
durant leur première enfance, vu porter son cadavre, qui

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

527

passa la nuit au pied du plateau, avant d’être transporté
sur le sommet, où il fut enseveli. C’était la mère de
Lwogera-Mutara, c’est-à-dire l ’aïeule du roi actuel.
Malembo, fille de Nyamajinya et mère de Yuhi-Mazimpaka, a été inhumée sur l’un ou l ’autre des deux plateaux,
on ne sait au juste lequel. On parle encore de Yuhi-Mazimpaka lui-même et d ’une sœur de Ruganzu, Nyirangabo,
que les indigènes disent avoir été ensevelis dans l’un des
cimetières nommés. Ce qui est sûr, c’est que le bosquet,
qui fait suite au premier en partant du Nord, possède les
restes de Kilongorô, fille d’un certain Magoma et mère de
Chyilima-Ludjugira, qui succéda à Yuhi-Mazimpaka.
Les bois sacrés de Luhanga et de Kayenzi-Bussigi sont,
d’après l’opinion actuelle, réservés exclusivement à la
sépulture des reines-mères (abanyambuto, celles aux
grains), c’est-à-dire celles qui ont donné l’héritier du
trône et ont régné avec lui.
Le plus connu des cimetières royaux est celui de Rutare,
dans le pays montagneux du Buvaga, non loin du lac
Mohazi, presque sur les confins du Rwanda.
On fait remonter l’existence de ce lieu de repos à tort ou
à raison jusqu’à Ruganzu II, qui y aurait été le premier
enterré.
D ’après une tradition, c’est lui-même qui avail désigné
l ’emplacement de son tombeau sur cette hauteur, pour y
être encore, après sa mort, un obstacle infranchissable
aux ennemis du Rwanda. Cette tradition est gravement
contestée par les habitants de la province centrale du
Nduga O . Les deux derniers rois qui y ont été ensevelis
et dont on se souvient le plus volontiers sont Lwogera et
Lwabugiri, les prédécesseurs immédiats du prince actuel­
lement régnant.
Il est assez difficile de dire à combien de monarques
le bois tumulaire de Rutare a servi de dernière demeure.
(*) Cf. Livre troisième, Le Règne de Ruganzu II.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

lies arbres des bosquets, dont quelques-uns sont déjà
anciens, autrefois juxtaposés, se sont plus ou moins entre­
mêlés à la longue. De-ci de-là de vieux troncs marquant
l’emplacement des cours dans lesquelles avaient été bâties
les huttes ont disparu, ce qui fait q u’on ne peut compter
les enceintes funéraires d ’une façon exacte. Il ne semble
pas q u ’il y en ait plus de huit à dix.
Trois autres cimetières royaux se trouvent à Musenyi,
dans le Nduga, au Sud de la mission de Kabgayi, à une
distance d ’environ deux heures. Le premier occupe le ver­
sant d ’une colline désignée sous le nom de Mayebe. Il se
compose d’un petit bois d’acacias à épines, dont les arbres
ont atteint leur plus grande croissance et entremêlent
leurs longues branches, donnant un air mystérieux au
bosquet où pénètre à peine un demi-jour. Quelques autres
arbres au feuillage plus compact dépassent la futaie. Ce
sont des « inganzamarombo » (1).
Un village indigène dont les bananeries touchent au
bois est à proximité. Les gens qui l’habitent sont chargés
de veiller sur le cimetière, qui, d’après l’opinion des
Banya-Nduga (habitants de la province du Nduga), ren­
ferme le tombeau de Ruganzu II Ndori. Ceux qui préten­
dent que son corps a été enterré à Rutare, maintiennent
leur opinion en soutenant q u ’il n ’aurait été que boucané
à Mayebe. Les habitants de ce dernier pays assurent, de
leur côté, q u’après avoir été m om ifié il a été bel et bien
inhum é sur place, comme cela se pratique, ajoutent-ils,
habituellement. On désigne assez communément l ’endroit
sous le nom de cimetière de Ruganzu.
D ’après la même interprétation ce prince aurait été le
seul à y être enterré.
Non loin de Mayebe s’élèvent deux autres petits bos­
quets que séparent à peine 300 mètres et où l ’on distingue
(!) On les appelle ainsi de kuganza, dépasser et marombo, essaims
d’abeilles, parce que les indigènes aiment à s’en servir pour y placer
leurs ruches.

UX ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

529

surtout des ficus. D ’après les uns, on y aurait m om ifié
les cadavres de. plusieurs reines ayant porté le nom de
Nyirakigeri et de Nyirayuhi. Les autres, et ce sont les gens
de l’endroit qui affirment q u’on les y a aussi enterrés et ils
appuient leur dire en ajoutant que le lieu où l’on boucane
un roi ou une reine est également celui où ils sont in h u ­
més. Les deux futaies ne formaient autrefois q u’un seul et
même bois sacré, ce qui fait que les indigènes ne les dési­
gnent que sous une même dénomination.
Le dernier de ces cimetières se trouve à 2 kilomètres
plus loin. 11 est formé de beaux ficus, mais l’emploi qui
a été fait de ce lieu funèbre donne lieu aux mêmes contro­
verses que précédemment. On l’appelle le cimetière des
reines ayant porté le nom de Nyiramavugo.
Il n ’est pas facile de donner des précisions sur ce sujet.
Les gardiens des bosquets, les employés des pompes funè­
bres (abanyamugogo) et les annalistes officiels (Abachur’
ubgenge) ne sont pas encore disposés à livrer tout ce q u’ils
connaissent sur ce chapitre. Les dires des autres sont sujets
à caution.

On rencontre encore dans le pays des enceintes funé­
raires désignées sous le nom de ilaro (au pluriel amalaro),
c’est-à-dire haltes de nuit.
Elles marquent l’emplacement des huttes qui servirent
d ’abri aux restes mortels des rois et des reines, lors de leur
transfert dans les cimetières.
Après leur passage les habitations devaient être aban­
données, comme lors du séjour d’un prince voyageant à
travers son royaume.
« Gisozi » (grosse colline) sert, on l’a déjà dit, à désigner
la résidence où meurt un roi.
C’est l’augmentatif du mot « musozi », qui veut dire
colline et par extension village. Ce terme appartient à la
elasse dont le préfixe est la consonne ki.
Cette classe est réservée aux mots auxquels on attache
une idée de grandeur, de crainte, etc.
MEM. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

3i

53 0

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Nombreux sont les bosquets de cette catégorie, tels que
ceux de Kigali, Musumba, Kaganza, etc.
Pour prouver la vérité d’un jugement ou d’une assertion
quelconque, les indigènes se servent de la formule sui­
vante, dans laquelle ils font allusion en termes métapho­
riques, à la mort de l ’un ou de l ’autre de leurs souverains :
<( Mb’ ali jye wakuye Lwogera i Kaganza ! ».
u Que ce soit moi (sous-entendu, si je ne dis pas la
vérité) qui aie arraché (le roi) Lwogera de Kaganza (nom
de la résidence où mourut ce souverain) ! »
On a remarqué dans les pages précédentes q u’il n ’a été
question que des rois et des reines-mères. Les simples
épouses n ’ont droit à aucun honneur spécial après leur
mort. Elles sont enterrées comme le commun des mortels.
Les reines-mères, c’est-à-dire celles qui ont donné l ’héri­
tier du trône et régné ensuite avec lui, partagent les
mêmes honneurs funèbres que les souverains.
Outre les bosquets dont nous venons de parler, on cite
encore celui de Bugarama-Ntare (i Buhurura), non loin
de Rukoma; il passe pour être l’endroit où les employés
des pompes funèbres se livrèrent à leurs occupations habi­
tuelles à l ’occasion de la mort d’une reine de nom Nyirakigeri. Le bois sacré de Butare, qui ne comprend plus que
quelques arbres fort vieux, est, croit-on, l’endroit ou mou­
rut Nyagihaga, la fille de Ruyenzi et mère d’un Chyilim a
ou d’un Mutara (1).
La colline de Kaganza, non loin de Musenyi, passe pour
avoir été le théâtre de la mort de Nyiramavugo, mère de
Lwogera-Mutara.
Ayant refusé de boire, à la première apparition de ses
(!) Les annalistes officiels donnent bien une liste généalogique des
rois du Rwanda, avec le nom de la mère et du clan auquel appartenait
cette dernière, mais il faut bien se garder de l ’accepter dans toute sa
teneur. On a vu que les noms des premiers étaient des créations de pure
fantaisie. L’ordre chronologique manque pour plusieurs autres et les
chroniqueurs ne s’entendent plus très bien entre eux pour indiquer la
filiation de ces princes.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

531

cheveux blancs, le poison qui devait, d’après la coutume,
mettre fin à ses jours, le roi Lwogera-Mutara en référa à
son oncle maternel, Nyamushanja, qui la fit étrangler.
Elle fut momifiée à Musenyi pour être ensuite inhumée
sur le plateau de Kayenzi.
3° La garde des cimetières et les honneurs rendus
aux mânes royaux.
a) La garde des cimetières royaux. — L’entrée des
cimetières était rigoureusement interdite aux profanes,
qui ne pouvaient même pas en approcher, comme si leur
présence était une souillure ou une profanation.
II n ’y a pas bien longtemps encore qu’à Rutare, les gar­
diens chargés de la surveillance des tombes royales, trou­
vaient avantageux de piller et même de tuer les voyageurs
qui avaient le malheur de s’aventurer dans leur voisinage.
Les fonctions de gardien des cimetières royaux sont
presque toujours exercées par des membres de la tribu des
Abiru ou des Abatsobe, avec lesquels on les confond. En
été, au moment où l’on met le feu aux hautes herbes, ils
doivent veiller à ce que les flammes ne puissent atteindre
l ’enceinte réservée.
En principe, il est rigoureusement interdit d’y aller cou­
per du bois et l’on ne doit jamais y pénétrer avec la hache
Depuis quelques années les gardiens et les voisins sem­
blent s’être relâchés un peu sur ce point. Le bois mort dont
ils pouvaient user, ne suffisant plus à leurs besoins, ils
s’en prennent aux arbres et aux branches vertes. La con­
science des humains s’accommode à tout. Les surveillants,
qui en profitent largement, ferment les yeux. Aussi
parents et amis usent largement de leur permission tacite
en faisant des coupes discrètes à travers les bosquets.
b) Honneurs généraux rendus aux mânes royaux. —
Les morts ne sont pas oubliés ni abandonnés. La crainte
superstitieuse n ’est pas étrangère au culte des défunts. La

53 2

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

peur q u’en éprouve le Noir les rappelle constamment au
souvenir îles vivants (*). De temps à autre et dans les
grandes circonstances, à l’approche de calamités réelles
ou supposées, on frappe le tambour en leur honneur.
On élève sur leurs tombes des huttes (indaro) plus ou
moins considérables dans lesquelles se font des sacrifices
pour apaiser leurs mânes et se les rendre favorables.
A certaines époques, on expédie de la capitale de jeunes
taureaux que les sacrificateurs im m olent avec pompe et
solennité.
Ce que l’on envoie plus volontiers, ce sont de petits
vases en terre cuite de forme arrondie et assez gracieuse
(uruherezo, imperezo) remplis de vin de bananes que les
gardiens offrent en libation aux rois défunts en vue de se
concilier leur appui.
Pareils sacrifices se faisaient et se font encore de temps
à autre sur maints emplacements des anciennes demeures
royales, à Lwamaraba près de la mission de Kabgayi, à
Mwurire près de la mission de Save, à Lussagara près de
Nyaluhengeri, en l’honneur de Lwabugiri, de Lwogera et
d’un autre Mutara, fils de Ruganzu II, pour n ’en citer que
quelques-uns (2).
t1) Le muzimu conserve « les passions, les goûts, les tendances, les
rancunes qui le caractérisaient lors de la vie matérielle de l’être qu'il
continue moralement au delà du trépas ». ( M a u r ic e D e l a f o s s e .) Cette
croyance explique et justifie chez l ’indigène le culte des esprits.
(2)
Bon nombre de ces anciennes résidences royales rappellent des
faits historiques qui se déroulèrent sur leur emplacement ou dans leur
voisinage.
C’est à Mwurire, que Mutara I, fils de Ruganzu II, vainquit le roi de
l’Urundi, un Mutaga, dont les possessions s’étendaient alors jusque-là.
Sur la colline de Ruchunchu, non loin d’une ancienne résidence de
Lwabugiri, à Rubugurizo, c’est-à-dire d’après le sens étymologique du
mot, à l ’endroit où les fils du roi jouaient au tric-trac, les indigènes
montrent la place où l’héritier nommé de Lwabugiri, Mibambge-Rutalindwa, se brûla, en 1896, avec les siens, dans des huttes d’emprunt quand
il se vit sur le point d’être pris par les partisans de la puissante famille
des Rega, qui s’étaient révoltés contre lui. Dans le Bumbogo, aux endroits
nommés Mbilima et Matovu, de grands ficus indiquent l’emplacement

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

533

Le roi entoure des mêmes égards les autres membres
défunts de sa famille; il suit cette ligne de conduite visà-vis des individus qui lui sont parfaitement étrangers,
mais dont il craint le courroux. Musinga a déjà fait offrir,
à plusieurs reprises, des victimes de propitiation à Kabale,
son oncle maternel, décédé en 1912. Pour apaiser plus
facilement son esprit, les sacrifices ont eu lieu à Mbuye,
dans une des anciennes demeures favorites du puissant
ministre. Karara, un des nombreux frères consanguins du
roi actuel, mort à Ruchunchu, ayant donné des signes de
mécontentement, a obtenu les mêmes honneurs.
A la suite de cette croyance, à savoir que les morts peu­
vent nuire aux vivants, il s’est formé une catégorie de
sorciers, auxquels le roi fait appel, quand un condamné
politique de marque est exécuté. Ces sorciers sont appelés
« exhumeurs » ou mutilateurs de cadavres (ababuzi), qui
dérive du verbe kwabura, exhumer un cadavre parce
q u’aussitôt après le supplice du condamné, ils coupent à
celui-ci le petit doigt de la m ain (umuhèra) et du pied
droit (akajanja). Ils enlèvent des lambeaux de chair sur
le corps de la victime, qui désormais ne peut plus nuire.
Ce qui fait l’objet de cette mutilation posthume est appelé
« urukagiro », c’est-à-dire l’obstacle, l’empêchement (du
verbe gukagira, empêcher).
Les sorciers de cette catégorie m anipulent longuement
ces lambeaux humains et finissent par les enfouir dans un
trou de fourmilier (umulerajuru).
d’une demeure occupée autrefois par un chef important du clan des
Batsobe, qui avait épousé la propre mère du roi Lwabugiri.
Celui-ci, devenu grand, voulut tirer vengeance de ce qu’il considérait
non seulement comme un grave manquement aux coutumes de la Cour,
mais aussi comme un crime de lèse-majesté.
Ses guerriers entourèrent la colline un beau jour.
Dans l ’impossibilité de s’échapper, le chef Seruteganya se brûla (aritwika) avec la reine-mère et ses deux fils, Mulangire et Sebugigi.
Une autre tradition ajoute que Lwabugiri aurait voulu épargner sa
mère, mais qu’au moment où celle-ci réussissait à s’enfuir, elle fut
égorgée par l ’un des fils de son second mari.

534

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

c)
Honneurs spéciaux rendus aux rois défunts ou hiéro­
gamies. — Les Noirs sont persuadés que les esprits d ’outretombe conservent leurs haines et leurs passions. Les
vivants ont donc intérêt à se les ménager. Les moyens
employés à cet effet sont naturellement analogues à ceux
par lesquels 011 se concilie les hommes avec lesquels on a
des rapports. On leur présente des offrandes agréables, on
les nourrit, on a des façons ingénieuses de gagner leurs
bonnes grâces.
En un mot, on les considère, après leur mort, comme
des humains ayant conservé leurs facultés de jouissance.
Nous avons déjà vu que pour s’attirer leurs faveurs on
leur fait des libations, on leur offre des sacrifices, on bat
le tambour, afin de leur rappeler leur royauté et leur prou­
ver en même temps q u’on les considère toujours comme
rois. Cela se fait non seulement sur leurs tombes, dans les
grands cimetières, mais aussi sur l ’emplacement de leurs
anciennes résidences favorites. Par ce dernier choix, 011
pense leur être plus agréable.
Par m otif de crainte et de respect les Banyarwanda évi­
tent en général de bâtir trop près des anciennes capitales
et se tiennent à distance. Dans le Bwana-Mukali, au vil­
lage de Lussagara, pour ne pas souiller le sol q u’avaient
souvent foulé Lwogera et Lwabugiri, les habitants de la
colline vont enterrer leurs morts au loin, dans la forêt.
En plus de ces précautions et de ces attentions, les
princes régnants voidant honorer leurs prédécesseurs
défunts et s’attirer leur protection ont constitué à chacun
d’eux, un vrai home fam ilial, avec une épouse et des ser­
viteurs, sans oublier le petit troupeau traditionnel.
On se souvient que Chyilima-Rugwe passe pour n ’avoir
régné que peu de temps. Aussi est-il réputé avoir conservé
un mauvais souvenir de son passage sur le trône.
Il a de plus refusé de quitter le pays (yanze kuva m u
Bwanda) et y continue son existence dans le corps d ’un
léopard souvent visible, disent les indigènes. Pour calmer

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

535

son esprit, toujours mécontent (yarushije abandi gukaliha), 011 lui a élevé une grande hutte, à l’endroit même
où il a été enterré. Un gardien l’entretient et veille à la
conservation du troupeau de vaches qui est censé apparte­
n ir en propre à Chyilim a. Une femme est à son service.
De temps à autre, une jeune fille est désignée par les
sorciers-devins pour devenir sa nouvelle épouse. C’est le
gardien qui prend la place du roi défunt.
Les jeunes filles sont ordinairement renvoyées dans
leur famille après un court séjour dans la hutte de l’esprit,
mais une femme attitrée doit toujours rester sur place.
A Id juru, à peu près à mi-chemin sur la route qui va de
la mission de Kabgayi à Kigali, s’élève un bouquet
d ’arbres qui indique l’emplacement de l ’ancienne rési­
dence du roi Yuhi-Mazimpaka. Ce lieu, raconte la légende,
devint le théâtre d’un prodige, après la mort du prince.
11 venait à peine d’être m om ifié et enterré au cimetière
de Rutare que la terre se m it aussitôt à trembler à Idjuru.
Pendant que tombait une forte pluie, des bruits de cornes
qui s’entre-choquent (amahembe arakomangana) se firent
entendre distinctement. Yuhi-Mazimpaka faisait savoir
par là q u’il tenait à ce q u’on s’occupât de lui et qu’on
entretînt son habitation. Ses volontés furent exécutées.
En plus d’une grande case, on lui a constitué sur place un
petit troupeau de vaches dites « indoha », parce q u’elles
ont des mugissements harmonieux; une femme y demeure
en permanence à sa disposition, sans parler des épouses
d ’occasion.
A la capitale, dans l ’intérieur de l’enceinte royale, nom ­
breuses sont les huttes dédiées aux mânes des anciens rois.
Rien q u’affectées aux différents services que suppose le
train de vie royal, ces cases sont en même temps consa­
crées au souvenir de chacun des monarques défunts. Les
femmes qui les occupent, tout en faisant partie du harem,
sont considérées comme les épouses des souverains dont
elles habitent la butte. Pour les moins connus d’entre les

53 6

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

princes décédés, on se contente d’élever à la Cour des
fillettes que l’on fait entrer de temps à autre dans les
huttes (indaro) dédiées aux esprits. Les petites y sont
aspergées d’eau lustrale (ingwa, eau crayeuse). Les royaux
époux (défunts) se contentent de cette cérémonie.
Dans la grande hutte qui est consacrée au roi Gihanga,
un feu est entretenu nuit et jour, dans une immense
cruche (intango) en terre cuite, qui est remplacée au fur
et à mesure de son usure.
Le roi Gihanga, inventeur ou créateur supposé du feu,
l’avait légué à son fils Kanyarwanda. En souvenir de cet
inappréciable bienfait, on continue à faire du feu dans sa
case. Nul autre que le roi ne peut, en principe, y aller
chercher des tisons pour allumer sa pipe.
Il y avait autrefois péril de mort à le laisser s’éteindre
ou à le laisser dérober par des mains profanes. Une équipe
d ’individus choisis dans le clan des Abiru est chargée de
la garde de ce foyer.
d)
Culte de Kibogo et observance d’un jo u r de repos. —
Quant à Kibogo, frère de Ruganzu II et fils du roi Ndahiro,
bien q u’il ne soit pas monté sur le trône, il est honoré
d’une façon spéciale à cause de son rôle de Libérateur. On
se rappelle q u’il fut désigné par les devins pour sauver
le pays et faire cesser une sécheresse. Il fut emporté au
ciel, enveloppé dans un nuage et son ascension eut d’heu­
reuses conséquences pour le Rwanda. Chaque prince
nouvellement élu lui élève une demeure distincte et en
dehors de l’enceinte royale, pour que Kibogo soit vrai­
ment « chez lui ». La hutte qui lui est consacrée est
entourée d’une grande et belle cour. Une femme l ’habite
et prend soin avec ses serviteurs du troupeau traditionnel
de vaches affecté aux « besoins » purement théoriques des
esprits.
Le monarque actuel s’est conformé à la coutume en lui
constituant, comme l ’avaient fait ses prédécesseurs, un

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

537

home entièrement séparé des autres habitations et que l’on
désigne toujours sous le nom de « chez Kibogo ». Il a
même un tambour spécial, ce qui souligne encore l’impor­
tance du rôle q u’il a joué dans le passé.
On rattache à l’épisode de Kibogo l’origine d’une
curieuse observance,' qui se pratique encore aujourd’hui
dans quelques provinces. Elle consiste à s’abstenir de
cultiver une fois tous les cinq jours, mais durant la
matinée seulement. De cette pratique est venu le nom si
connu de « chumweru », qui inclue le sens de blanc et
de blancheur, et que les chrétiens ont adopté aujourd’hui
pour désigner le dimanche.
A quelle occasion, à quelle époque les Banyarwanda
ont-ils choisi ce jour? Les uns font remonter la coutume
ju squ’à Gihanga le Créateur. Il n ’est pas rare, en effet,
d’entendre sur les lèvres des païens ce mot de « C hum ­
weru cha Gihanga », le jour blanc de Gihanga.
D ’autres font de chumweru un homme de la suite de
Kibogo. 11 appartenait au clan des Basindi, ajoutent-ils, et
il habitait à Buhina, non loin de la mission actuelle de
Kabgavi. Il était attaché au service de Kibog-o, dont il
surveillait les cultures (guhingishiriza). Il accompagna
son maître, au jour de son « ascension », portant suspen­
du au cou le sachet (uruhago) en fibres de bananier qui
contenait le tabac et la pipe de son chef.
Le nuage les prit tous ensemble.
Les origines de cette observance sont obscures, comme
on le voit. N’y aurait-il pas là une réminiscence du repos
sabbatique ou dominical?
La supposition serait assez plausible, surtout si l’on
admet que les Batutsi sont originaires d’Egypte ou
d’Abyssinie.
Quoi q u’il en soit des commencements de cette pratique,
elle était fidèlement observée autrefois. Nombre de païens,
éloignés des stations européennes, en tiennent compte
encore aujourd’hui; ils y attachent, comme leurs aïeux,

538

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

un sens superstitieux. Si la grêle vient à tomber ce jour-là,
ils ne manqueront pas de l’attribuer à un châtiment surna­
turel et d ’en rejeter la responsabilité sur ceux qui sont
surpris à enfreindre la défense. « On ne se faisait pas
faute, racontent les anciens, d ’insulter les délinquants, de
les piller ou même de les frapper aii besoin, et il n ’était
pas rare de se voir rappeler à l’ordre tant était reçue cette
coutume. »
Ce que fait le roi pour ses ancêtres, les grands chefs
le font aussi, proportions gardées, pour les membres
défunts de leur famille (*). Chacune des huttes dont se
composent leurs habitations, car ils en ont habituellement
plusieurs, est consacrée à un esprit en l’honneur duquel
ils épousent une femme, qu’ils gardent ou délaissent
ensuite au gré de leurs caprices et de leurs fantaisies.
Les Bahutu aisés essaient d’imiter les grands, mais le
nombre de leurs cases est généralement restreint. Pour
ne pas rester inférieurs à leurs émules en superstition, ils
bâtissent autour de leur demeure des huttes minuscules
(indaro) consistant souvent en deux ou trois bouts de bois
fichés en terre et réunis à peine au sommet par un petit
lien.
f1) Les Bega portent leurs morts de préférence dans la région du
Budaha, qui est un de leurs fiefs. Le régent Kabale et une de ses épouses
favorites, Kirumwero, ont été enterrés au village de Ngoma, près de la
colline de Gatare. Son père Lwagara avait été inhumé à Gleunzu, non
loin de Munzanga, et son frère Lwibishengo à Nyamutukura. Son fils
Nyantabana et l’un de ses petits-fils ont été ensevelis à Lwasankuba.
Les Banyiginya choisissent leur lieu de sépulture en pays ennemi,
pour arrêter les invasions et porter malheur aux étrangers (Abanyamuhanga).
L’île d’Idjwi, avant d’être réunie à la Couronne, servit de dernière
demeure à quelques membres influents de ce clan.
D’autres Banyiginya ont été enterrés à l ’Urundi et dans la province
du Bugessera, qui touche à ce pays. Les fils de Musinga qui sont décédés,
au nombre d’au moins cinq ou six, y dorment de leur dernier sommeil.
Le défunt est enterré d’ordinaire dans une hutte. Au Budaha, le pro­
priétaire de la case qui a servi de tombeau à un Mwega, ne peut quitter
son habitation qu’après une année environ. On l ’oblige à y rester pour
empêcher que les ensorceleurs ne viennent exhumer le cadavre.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

539

4° Deuil annuel qui dure quinze jours,
pendant le mois de ju in , et qui se termine
par une grande fête.
Durant la deuxième quinzaine du mois lunaire désigné
sous le nom indigène de Gichurassi et qui correspond à
peu près à notre mois de ju in , a lieu le célèbre deuil
annuel qui dure quinze jours. Le roi seul est en principe
obligé de porter le deuil; toute la Cour s’y associe par
esprit de solidarité. Le prince, à cette occasion, doit se
dépouiller de ses ornements et ne conserver que des vête­
ments ordinaires. Nulle cérémonie de mariage ne peut
avoir lieu. Les jeux et les danses sont interdits. Des tam ­
bours on n ’entend que le « Ndamutsa », vers les neuf
heures du matin.
Lorsque le deuil est sur le point de prendre fin, les chefs
font venir de la bière des différents points du Rwanda,
en vue de la fête de clôture (gukur’ igichurassi, faire
partir le mois de deuil). La veille du jour fixé pour les
réjouissances, le tambourin (ishako) se fait entendre à
quatre reprises durant la nuit pour annoncer la grande
solennité. Dès le m atin les autres instruments se mettent
de la partie. Des cris joyeux s’élèvent de toutes parts, la
foule se précipite sur l’immense esplanade où va se dérou­
ler la fête.
Ce sont des danses ininterrompues, où prennent part les
pages et d’autres spécialistes. Les initiés qui font partie
de la société secrète de Ryangombe, le visage gribouillé de
blanc, se livrent à leurs cérémonies habituelles. Des
sacrifices ont lieu.
Les vaches sacrées font leur apparition sur la place et
ne contribuent pas peu à donner à la fête une physiono­
mie originale. Inutile d’ajouter que la bière coule à flots.
Quant à la question de savoir en l’honneur de qui se fait
le deuil, il n ’est pas facile d’y répondre clairement. Les
chroniqueurs ne s’entendent pas sur ce point.

540

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Les uns disent q u’il a lieu pour honorer tous les rois;
d’autres ajoutent q u’il se fait en l’honneur d’une reine
dont on a oublié le nom . Les plus nombreux assurent que
le deuil est pris en souvenir de Ndahiro.
La mort de ce dernier aurait eu lieu précisément durant
le mois de Gichurassi et dans les circonstances que l’on
connaît. Nous laissons aux gens mieux informés le soin
de trancher ces nœuds gordiens.

LIVRE CINQUIEME
Episodes et légendes à base historique.

CHAPITRE PREMIER.
Existence d'une peuplade primitive connue sous le nom d’ « Abarenge »
au « Abagereka ».
CHAPITRE II.
Incursion des Banyoro dans le Rwanda.
CHAPITRE III.
La conquête du Nduga, épilogue de l ’épisode précédent.
CHAPITRE IV.
Un épisode de la guerre contre l ’Urundi. Le dévoûment et la mort de
Gihana, fils de Chyilima II Ludjugira.
CHAPITRE V.
Immigration dans le Rwanda d’une peuplade étrangère désignée sous
les deux noms significatifs de « Muets » et de « Couvreurs de toits en
terre ».
CHAPITRE VI.
Le petit royaume hamite du Gissaka. Sa conquête par les Hamites du
Rwanda.
CHAPITRE VII.
La légende de Ryangombe.
APPENDICE.
Histoire de la province du Bugoyi. Vie et marche d’une province sous
le gouvernement des chefs et princes hamites.

542

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Les Episodes et les légendes à sens historique forment
la suite logique des quatre livres précédents. En d’autres
termes, ils servent de complément à ce que nous avons
intitulé Histoire d'un Règne et à Fondation du Royaume
hamite du Rwanda. De fréquentes allusions y ont été
faites dans ces dernières études, où il en a été donné un
résumé par trop imparfait. Il convenait donc de les expo­
ser plus au long à cause de leur importance au point de
vue historique et ethnologique. Tout en relevant de temps
à autre quelques détails, on n ’a fait que suivre textuelle­
ment la légende et la tradition, sans s’inquiéter des incon­
séquences et des contradictions inhérentes à ces sortes de
récits.
Ce sont pour la plupart des « morceaux littéraires » très
goûtés des Banyarwanda, qui s’y reconnaissent avec les
qualités et les défauts de leur race. Aussi ne se lassent-ils
pas de les écouter. Les deux épisodes qui relatent l'inva­
sion et la défaite des Banyoro, puis le Dévoûment et la
mort du Libérateur Gihana sur les frontières de l’Urundi,
sont de beaucoup les plus populaires. La légende s’en est
emparée et en les défigurant, les a agrémentés de nom ­
breux prodiges extraordinaires.
Les bardes ou aèdes qui s’accompagnent de l’instrument
à cordes (abachuranzi b’ inanga), les jouteurs littéraires
(abasizi) et les historiens officiels de la capitale (abachurabgenge) en ont fait leur thème favori. Les autres récits,
quoique bien imparfaits et fort incomplets, aident à com­
prendre un peu l’histoire de l’époque où se déroulèrent les
événements q u’ils racontent.
Nous donnons en appendice l ’histoire de la province du
Bugoyi. On verra ce q u’est l’organisation familiale, sociale,
administrative et militaire d’une province sous le gouver­
nement des chefs et princes hamites.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

54 3

CHAPITRE PREMIER

Existence d’une peuplade primitive connue sous le nom
d’Abarenge ou Abagereka.
I. —

L ’É p is o d e

l u i -m ê m e t e l

q u ’i l

est

rapporté

PAR LA TRADITION.

Dans le pays de Save, qui fait partie de la province du
Rwana-Mkali, il y avait autrefois, disent les vieux, un
peuple qu’on appelait les « Rarenge ». Ces derniers étaient
très nombreux.
On ne sait d’où étaient venus leurs ancêtres et l’on igno­
rait tout de leur passé. Ils avaient pour chef un certain
Kimari, fils de Rulenge, d’où le nom de Rarenge ou gens
de Rulenge donné à ses sujets. Or, il arriva qu’à cette
même époque, une grande famine s’abattit sur la contrée.
Les pluies firent défaut (imvura yari yarahangamye) ; les
récoltes, qui n ’avaient pas eu le temps de m ûrir, séchèrent
sur pied. Les hommes, après avoir épuisé leurs dernières
provisions, mouraient en foule, faute de nourriture. Les
survivants allèrent trouver Mashira, le célèbre roi-sorcier,
qui régnait dans le Nduga et le Ndiza, sur le peuple des
Ababanda. Le roi-sorcier considta le sort, d’après les
méthodes en honneur chez les magiciens et les devins de
ce temps-là C), pour savoir comment on ferait cesser la
sécheresse.
Pour l ’intelligence de la chose, il faut se rappeler que
les Ramyarwanda attribuent tous les malheurs qui fondent
sur eux ou sur le pays, aux esprits des défunts (abazimu)
ou aux maléfices des ensorceleurs. Les fléaux peuvent être
aussi la conséquence d’un crime volontaire ou même non
volontaire (ishvano).
(M Cf. « La Divination au Rwanda », Anthropos, XII-XIII, par le
P. Alexis Arnoux.

544

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

L ’inobservance des rites (imihango, imiziro) est égale­
ment considérée comme pouvant déchaîner des maux sans
nombre. La présence d’ennemis ou d’étrangers sur le
territoire national donnent lieu aux mêmes suites désas­
treuses. D ’où l’habitude q u’ont les Noirs de consulter les
sorciers et les devins pour savoir ce q u’il y faut faire en
pareille circonstance. D ’où aussi le choix que font ces
derniers de « Libérateurs » (abatabazi) pour délivrer le
pays et ramener l’abondance. Dans YHistoire du Règne de
Ruganzu et dans la Fondation du Royaume hamite du
Rwanda il a été parlé de plusieurs de ces Libérateurs.
Nous reviendrons longuement sur l ’un de ceux-ci dans
l ’un des récits suivants.
Mashira, ayant affaire à un peuple rival, s’y prit un peu
autrement que d’habitude. Après avoir longuement con­
sulté les entrailles des poussins, il fit dire au chef des
Barenge qu’il devait creuser profondément dans le sol
jusqu’à ce q u’il rencontre une source. C’était, d’après lui,
le seul moyen de provoquer la pluie, qui ne manquerait
pas de tomber, s’ils venaient à trouver de l ’eau.
Kimari rassembla ses hommes, qui vinrent avec des
pioches, et leur désigna, d ’après les conseils du sorcier,
l’endroit où ils devaient commencer leurs recherches.
Ils passèrent de longs mois, assurent les chroniqueurs,
à faire ce travail et quand il fut terminé, le trou était
devenu tellement profond q u’il fut impossible de trouver
une échelle assez longue pour en sortir. C’est alors que le
magicien, — car, d’après quelques-uns, il se serait rendu
lui-même sur les lieux, — fit couler d’un récipient, q u’il
avait apporté avec lui, une eau lustrale dont il aspergea
les Barenge, pour les conduire à leur perte. Il entendait
par là sauver son propre pays et se débarrasser de ses
rivaux qui étaient en même temps ses ennemis. C’était
tout à la fois un « sortilège de salut » (urutsiro) pour lui
et les siens et un « sortilège de défaite » (intsinzi) pour les
Barenge.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

545

De t'ait, au même instant, apparurent de tous côtés des
nuages qui crevèrent et la pluie se répandit en abondance
dans le pays. Quant aux Barenge, ils étaient restés au
fond de leur excavation. Ne pouvant en sortir, ils y furent
surpris par les eaux qui s’y précipitaient de toutes parts;
ils y périrent tous.
Le chef Kimari, qui était resté chez lui, disparut avec
les quelques rares compagnons qui formaient son entou­
rage sans qu’on sut où il trouva un refuge. D ’autres con­
teurs ajoutent q u ’ayant survécu au désastre avec sa mère,
il resta sur place avec les survivants. On était alors à
l ’époque où les Hamites n ’avaient pas encore pénétré dans
la province centrale du Nduga. Leur roi Mibambge I, sur­
nommé Mutabazi (le Libérateur), habitait le pays du Bumbogo, sur le fleuve de la Nyabarongo.
Apprenant la catastrophe que venaient d’éprouver les
Barenge, il résolut aussitôt la perte de leur chef. Pour ce
faire, il appelle une de ses jeunes esclaves : « Va-t’en, lui
dit-il, chez Kimari; fais-toi accepter comme servante dans
sa famille et quand l’occasion s’en présentera tu lui feras
boire, à son insu, du lait im pur. »
Les Barenge, comme les Basinga d’aujourd’hui, auraient
cru s’exposer aux plus grands malheurs en buvant le lait
des vaches qui ont la peau roussâtre et noirâtre tout à la
fois. Ces dernières sont désignées sous le nom d’un oiseau
(inyombya) qui a cette couleur et qui ressemble un peu
au rossignol.
La jeune fille fut agréée sans aucune difficulté et se
rendit utile aux gens de la maison. 11 arriva un jour que
la domestique qui s’occupait de la laiterie tomba malade.
La nouvelle arrivée fut chargée de la remplacer dans ses
fonctions. L’attente n ’avait pas été longue. L’esclave de
Mibambge prend aussitôt du lait de vache « tabou » (umuziro) et le sert à Kimari, à son heure accoutumée. Celui-ci
est aussitôt pris de vomissements. Sa mère, attirée par les
efforts q u’il fait, accourt à son secours et ne trouve plus
MEM. INST. ROYAL COLONIAL BEL&B.

35

546

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

qu’un cadavre. Sa surprise et sa douleur sont tellement
grandes q u’elle en meurt à l ’instant.
Mashira, le roi-sorcier, qui avait présidé à la première
phase de la tragédie, s’empara du pays q u’il ajouta à ses
autres possessions. Il régna ju squ’au jo u r où Mibambge
réussit, à son tour, à se débarrasser de lui.
II. — N o m b r e u s e s

v a r ia n t e s

du

m êm e

f: p is o d e .

Le court épisode tel q u’il vient d’être raconté comporte
de nombreuses variantes selon les conteurs et selon les
pays. Le fond reste le même, mais les détails sont diffé­
rents.
D ’après une première interprétation, la sécheresse s’était
étendue sur la majeure partie du Rwanda actuel. Les
Barenge en furent considérés comme les auteurs pré­
sumés, par leurs maléfices. Le temps et les choses ne
reprirent leur cours normal q u’après leur châtiment et
leur disparition.
Le sorcier, disent les autres, aurait adressé aux Barenge
victimes de la famine le langage suivant : « Si vous voulez
avoir la pluie, réunissez-vous sur le sommet de la colline,
grimpez les uns sur les autres et allez vous-mêmes dans
les nuages. Vous l’y prendrez de vive force. » Ce sont les
gens qui habitent sur les plateaux de Luhanga et de
Bussigi qui prêtent au sorcier ce petit discours. Au lieu
de situer l’événement dans la province du Bwana-Mkali,
ils le placent à Tlemera, c’est-à-dire dans leur propre pays.
« Les Barenge, ajoutent les mêmes, se mirent donc en
devoir de grimper les uns sur les autres, ainsi que cela leur
avait été conseillé. Ils étaient déjà arrivés à une certaine
hauteur quand ceux qui formaient la base de la pyra­
mide vivante faiblirent sous le poids. La grappe humaine
s’écroula et tous s’écrasèrent dans leur chute. Nul n ’en
réchappa. »
Les gens du Bugoyi, au Nord-Est du lac Kivu, racontent

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

547

le fait un peu différemment. Comme les riverains du lac
sont assez éloignés du pays q u’habitait cette peuplade
primitive, ils ont conçu autrement le récit qui leur en a
été fait, mais dont ils ont conservé les grandes lignes.
« Un roi du Rwanda, disent-ils, poursuivait les Barenge
d’une haine violente qui se traduisait par des massacres
fréquents. Les sujets du tyran se concertèrent un jour en
vue de se soustraire à cette sanglante inim itié. Ils ne trou­
vèrent rien de mieux que de faire la courte échelle pour
s’élever dans le ciel et y aller chercher un lieu plus sûr. »
Ce moyen tourna malheureusement à leur perte.
Les Bagoyi, ainsi que les gens de Bussigi ont donné aux
héros de la catastrophe un nom très significatif, celui
d’ « Abagereka », c’est-à-dire ceux qui s’élèvent, du mot
kugereka, ktigerekerana, qui a le même sens.
Pour se dérober aux atteintes du despote les Barenge,
d’après une autre variante, se mirent à construire un abri
en bois très élevé, dans le genre des greniers à provision
(ikigega) à forme ronde que les Noirs aiment à bâtir auprès
de leurs habitations. Ils entassèrent bois sur bois, arbres
sur arbres. Ou était arrivé à peu près à mi-chemin, entre
ciel et terre, quand soudain les matériaux, mal agencés,
s’écroulèrent et les ouvriers moururent dans leur chute
et sous les décombres.
On insinue ailleurs que ce fut un grand vent qui fit
chanceler l’édifice que de hardis ouvriers avaient construit
pour aller piller les richesses entassées, d ’après ce qu’ils
avaient entendu dire, dans le pays d’en haut où habitait
un roi opulent. Les tenants de cette dernière version
placent la scène de l’événement à Kabagare, sur le deu­
xième bras de la Nyabarongo, en face du pays de Munyambiriri. Peut-être faut-il voir dans ce dernier détail une
indication à savoir que les Barenge étaient assez répandus
dans le pays et qu’ils habitaient ailleurs encore que dans
la province du Bwana-Mkali.
Pour donner une idée de la transformation que subis­

548

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

sent peu à peu les laits à base historique en passant d’un
pays ou d’une bouche à l’autre, nous présenterons au
lecteur un exemple typique. Il s’agit du môme épisode
précédent auquel ont été ajoutés des détails empruntés à
d’autres récits : « Les Barenge — c’est un vieux à barbe
grise qui parle — étaient répandus dans tout le pays.
Il arriva un jo ur (igihe kimwe) que la pluie fit défaut.
Les Barenge eurent beau descendre dans les vallées, l’eau
en avait complètement disparu. S’emparant aussitôt de
leurs marteaux et de leurs houes, qui étaient très solides
à cette époque, ils se mirent à faire sauter les roches et à
creuser, mais en vain. Ils forment alors le projet de faire
la « courte échelle » (kugerekana) en vue de monter en
haut (mw’ idjuru) et de percer (kupfumura) la voûte du
ciel. Ils se rassemblent; les plus forts offrent leurs épaules
pour former la base de la pyramide; les autres, s’aidant des
pieds et des mains, grimpent en haut. Le dernier était à
peine arrivé dans les nuages qu’il touchait et étreignait à
pleines mains (kukabakaba) que la terre céda et s’entr’
ouvrit subitement sous le poids de cette multitude d’hom ­
mes entassés sur un aussi petit espace. Celui qui était
monté le dernier eut tout juste le temps de sauter dans
le ciel. Ses compagnons disparurent dans le gouffre qui
s’était formé sous leurs pieds et il n ’en survécut pas un
seul.
» Quant à l’heureux survivant, il est resté dans le pays
d ’en haut et l’on croit que c’est lui qui commande à la
foudre. L’abîme où furent engloutis ses compatriotes n ’est
autre que le fameux « trou » (urwobo) du Bugessera, que
l’on désigne communément sous le nom de gouffre de
Bavanga; il se trouve non loin d’une ancienne habitation
du roi Lwabugiri. C’est un lieu maudit où l ’on jette les
criminels. L’eau n ’y fait jamais défaut, mais nul ne peut
en boire sans en m ourir à l’instant. 11 en est de même
pour les oiseaux et les animaux.
» Toutes les nuits il s’en dégage, continue le narrateur,

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

549

(le la fumée el des flammes dont on aperçoit de loin la
lueur rougeâtre.
» Chaque fois q u’on y conduit un condamné, le niveau
des eaux s’élève subitement comme pour venir happer la
victime.
» Dans leur agitation les eaux produisent un bruit qui
ressemble à des plaintes et à des rugissements (akaboroga,
agater’ induru). »
Le drame se déroula, d’après une dernière version, dans
le trou que les Barenge avaient creusé eux-mêmes, sous
l’inspiration du terrible magicien. C’est pour essayer d’en
sortir q u ’ils firent la courte échelle. La profondeur était
telle (pie ceux d’en bas ne purent supporter l’énorme poids
qui ne faisait que croître à chaque instant. Il ne resta
que des cadavres.
II I . —
sio v s

R a iso n s
;

q u i e x p l iq u e n t

la m u l t ip l ic it é

l e f o n d h is t o r iq u e de l ’ é p is o d e des

des v e r -

Ba r e n g e .

Raisons qui expliquent les nombreuses variantes
d’un même récit. — Il ne faut pas s’étonner de trouver
tant de versions différentes sur le même sujet. Elles sont
inévitables chez les Noirs, où les faits du passé ne se trans­
mettent que par le seul moyen de la transmission orale.
Les légendes, les épisodes historiques et les autres récits
ne sont légués aux générations suivantes que par cette
unique voie. Avec un pareil mode de transmission pure­
ment traditionnelle on comprend aisément que les faits
réels qui en forment la base historique aient perdu peu à
peu de leur intégrité première. Il se fait alors simultané­
ment des additions, des soustractions et des m ultiplica­
tions pour parler le langage de l ’arithmétique. Les récits
primitifs subissent de vraies déformations dont il n ’est pas
toujours facile de tirer parti pour l ’histoire.
Dans une précédente étude (*) on a déjà eu l’occasion de
a)

(!) « Légendes et Récits » (Au Rwanda, sur les bords du lac Kivu),
Anthropos (1919-1920).

55 0

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

parler de la tendance qui porte les Banyarwanda à s’appro­
prier les récits étrangers ou les événements qui se sont
déroulés ailleurs. Ils sont très ingénieux à les adapter à
leur propre m ilieu, en y ajoutant de nouveaux person­
nages, ou en y insérant des détails empruntés aux cou­
tumes locales et à l’histoire ancestrale. C’est pour cela que
les habitants de la province du Bugoyi, au Nord-Est du lac
Kivu, font intervenir dans le récit de la création des pre­
miers hommes un quatrième individu du nom de
Gahunde, dont la création, d’après eux, aurait suivi celle
de Gatwa.
Ils le représentent comme ayant été l’objet de la même
malédiction que Gatwa et pour la même faute.
Étant donnée la présence au Bugoyi d’une quatrième
race dite des « Bahunde », originaires du Nord et du NordOuest du lac, il fallait bien leur trouver un ancêtre dans
le passé comme pour les trois autres groupes ethniques.
S’ils lui ont fait partager le sort de Gatwa et des Négrilles
qui en descendent, c’est que les Bahunde, dont il est censé
être le père, sont méprisés à l’égal et à peu près au même
titre que les Batwa. Rien de plus facile à un cerveau nègre
que de trouver une explication à tous les grands problèmes
de l’humanité. Disons encore que leurs concepts, tout pri­
mitifs soient-ils, n ’excluent pas la finesse et le « grain de
sel » dont ils sont coutlimiers.
Un autre m otif de la m ultiplicité des versions et des
détails, c’est que les conteurs sont souvent des vieux à
barbe grise, quand ce ne sont pas les bardes attitrés ou les
chroniqueurs officiels (abachurabgenge). Or, les chansons
de gestes se chantent ou se débitent dans les grandes occa­
sions, les jours de noces ou de réjouissances. En pays
noir, comme partout du reste, une fête ne se comprend
pas sans bière ou vin indigène. « Le ventre doit y avoir sa
part », pour employer une de leurs expressions favorites.
Sous le coup de la boisson fermentée les têtes s’échauffent,
les esprits s’exaltent, les langues se délient. Les libations

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE 1/AFRIQUE

551

succèdent aux libations. Les débits récitatifs finissent par
s’en ressentir. Les troubadours subissent l’influence des
rasades, d’où le mélange des faits, la confusion des dates
et des personnages et quelquefois le manque de logique.
De plus, pour faire plaisir au chef ou à ceux qui paient
largement à boire, les trouvères ne manqueront pas aussi
d ’intercaler dans les légendes ou d’y mêler à propos des
détails de pure circonstance. Les choses se passent fré­
quemment de cette manière chez les grands chefs (abatware b’ intebbe), dont l’opulence peut se payer une petite
Cour et qui, dans leurs nombreux déplacements, car ils
ont toujours plusieurs habitations, font une large part
aux réjouissances qui durent fort avant dans la nuit.
Dans ces conditions, il devient on ne peut plus difficile
de faire la part du vrai et du faux et de démêler parmi les
enchevêtrements et la broussaille de ces produits de l’im a­
gination, le fait historique qui a servi de base au récit ou
à la légende.
Il serait impossible de citer les différentes interpréta­
tions de tel ou tel récit. Ce serait on ne peut plus fasti­
dieux. Il peut arriver parfois que l’une ou l’autre des
variantes ait son utilité propre et présente quelque intérêt,
par l’apport d’un détail qui jette exceptionnellement plus
de lumière sur l’épisode en question. Il peut aussi faire
connaître des usages ou un concept particulier à un clan.
C ’est ainsi que pour ce qui est de l’épisode des Barenge,
on est amené à croire q u’il s’agissait d ’une peuplade assez
répandue dans le pays. La désignation de plusieurs loca­
lités données par les versions précédentes semble autoriser
cette déduction. Le détail fourni par une autre de ces
variantes et qui parle d’un travail de construction gigan­
tesque, où les troncs d’arbre s’amoncellent les uns sur les
autres, est tout à fait significatif. Les Noirs n ’ont trouvé
rien de mieux que de le comparer à un grenier à provisions
(ikigega), dans le genre de ceux qu’ils utilisent pour leurs
récoltes. Ce détail nous révèle l’idée que se font les in d i­

55 2

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

gènes d’une construction inusitée. L ’image q u’ils s’en font
est la même; seules les proportions diffèrent.
Ils ne pouvaient se représenter autrement l’ouvrage édi­
fié par les Barenge. Quant à cette haute et massive bâtisse
elle-même, on est presque tenté d’évoquer à son occasion
le souvenir de la tour de Babel, tant le détail d’une con­
struction de ce genre paraît inédit parmi les Noirs et
étranger à leur mentalité. N’y aurait-il pas là comme un
écho lointain du fait biblique défiguré dans les traditions
indigènes?
Si l’on admet que les Batutsi sont originaires de l’Égypte
ou de l ’Abyssinie et que leur arrivée dans le Rwanda est
de date relativement récente, la supposition n ’aurait rien
d’absurde. Qu’en est-il au juste? Comment faut-il inter­
préter le détail de l ’ouvrage élevé par les Barenge? La porte
reste largement ouverte aux hypothèses.
b)
Fond historique de l'épisode des Barenge. — Il n ’a
pas été possible malheureusement d’obtenir jusqu’ici plus
de précision au sujet de cette tradition si intéressante sous
plus d’un rapport. Il semble toutefois qu’on puisse en con­
clure à l ’existence d’un groupe qui vivait à part et jouis­
sait de l’indépendance. Les récits, malgré leurs embellis­
sements et leurs obscurités, disent assez clairement qu’ils
étaient nombreux et qu’ils occupaient le Bwana-Mkali et
les districts d’alentour.
Il est facile de lire entre les lignes du récit qu’on s’en
débarrassa, en les exterminant, pour prendre leur place.
Mibambge I, le roi des Hamites, qui n ’avait pas encore
pénétré dans le Nduga, fit, dit-on d’après une autre version
sur ce sujet, m ourir Kimari, le chef des Barenge, lequel
avait pu échapper au désastre précédemment raconté.
La défaite des Barenge, en tous cas, est attribuée aux
sortilèges de Mashira, le roi-sorcier du Nduga. Agissait-il
pour son propre compte ou sous l’instigation du roi
hamite, dont il devint l’allié, ainsi que nous allons le voir

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

55 3

dans le récit suivant? Les deux hypothèses peuvent se
soutenir. Ce qui est sûr, c’est que Mashira fut, dans la
suite, vaincu à son tour par Mibambge, qui vint s’installer
dans la province centrale du Nduga, au milieu des
Babanda ou habitants du pays.
La colline de Mara, située près de la mission de Save,
passe pour avoir été le théâtre de la catastrophe. On v
montre une crevasse appelée la « Source du Sorcier », dans
le massif rocailleux dit de « Luhasha ». C’est donc là que
dût se jouer la partie décisive. Le chef Kimari, après le
drame sanglant, se serait, d’après la légende précédente,
en fui dans le Nduga, où il aurait habité à Gihogwe et à
Mussambira près de la rivière de la Kayumbo. Il ne devait
pas y séjourner longtemps, sa mort ayant été résolue.
Les indigènes, en creusant le sol ou en travaillant la
terre, ont souvent mis à jour des débris de poteries et des
fragments grossiers de pipes q u’ils attribuent, on ne sait
pourquoi, aux Barenge. « Ibibindi bvarakomeraga ».
Leurs cruches étaient solides, plus solides que celles de
l’époque actuelle, ajoutent-ils. Les Banyarwanda croient
encore reconnaître certaines pierres qui auraient servi,
autrefois, aux mêmes individus, à écraser le grain. Pareille
origine est prêtée à de vieux morceaux de houes. Ces
dernières offrent la particularité d’être un peu plus petites
que les pioches actuelles, mais, par contre, elles sont plus
longues du côté de la pointe qui s’engage dans le manche.
Pour ce qui est de ces dernières, disons tout de suite q u’il
paraît difficile de les faire remonter jusqu’aux Barenge.
Comment, en effet, auraient-elles pu résister si long­
temps, étant donnée la mauvaise qualité du minerai, à
la rouille qui n ’aurait pas manqué de les ronger durant
les quelques centaines d’années qui se sont écoulées depuis
cette époque (J). Le sol du Rwanda est autrement humide
(i) Les Banyarwanda rencontrent souvent, au moment des cultures,
dans le sol, les scories (inkumba z’ ibyuma) des anciennes forges des
Barenge.

55 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

que celui üe l’Ëgypte; l’hypothèse de la destruction des
objets de fer par l ’oxydation n ’est pas dénuée de tout
fondement. Il est donc bien malaisé avec le peu de rensei­
gnements que l’on possède de porter un jugem ent piécis
sur cet événement. Quoi q u ’il en soil des problèmes qui
peuvent se poser à cette occasion, il n ’en reste pas moins
assuré q u’il y avait autrefois une peuplade politiquement
distincte des populations voisines (*).
Dans quelques récits, on donne Kimari comme l’oncle
de Mashira. Ce nom de « Kimari », c’est-à-dire l’Extermi­
nateur (de kum ara= achever), ajoutent les conteurs, lui
fut donné, parce q u’une maladie contagieuse décima la
population et que la peste bovine ravagea les troupeaux
de son pays. Aussi pour le punir, lui la cause de tous ces
maux, les Batutsi ou d’autres chefs, ses voisins et ses
compatriotes, lui crevèrent les yeux.
Des légendes à base historique, c’est peut-être la plus
difficile à interpréter avec celle de Ryangombe, roitelet du
pays de Kibinefo et fondateur supposé de la société secrète
dite des imandwa.
CHAPITRE II
Incursion des Banyoro dans le Rwanda.
I. —

É tat

p o l it iq u e

de

l ’é p o q u e

.

On a vu dans le récit précédent que Mashira joua le
rôle principal dans le drame des Barenge que la légende
a fort amplifié. Le fît-il de sa propre initiative ou sous
(i) Dans le récit suivant on verra que la province du Nduga était
habitée, avant l ’arrivée des Batutsi, par une population autochtone con­
nue sous le nom d’Ababanda, que gouvernait le fameux Mashira.
Aujourd’hui, en plus de leurs descendants, on y trouve un grand
nombre d’autres clans, parmi lesquels les Bazigaba et les Bagessera sont
les plus connus. Ils sont répandus un peu partout dans le Rwanda et la
tradition veut que les premiers soient originaires du Ndorwa et les
seconds du Bugessera, d’où ils émigrèrent dans l ’intérieur du Rwanda.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

555

l ’instigation du roi hamite, avec lequel il entretenait, au
début, des relations de bon voisinage?
On ne peut le savoir au juste. Quelques-uns des narra­
teurs se contentent de dire que le chef des Barenge,
Kimari, — ainsi q u’on vient de le dire, — après avoir
échappé au désastre, périt ensuite sous les machinations
du prince mututsi Mibambge I Mutabazi, qui devait se
rendre si célèbre par la victoire qu’il remporta sur les
Banyoro, avec l’aide du même Mashira.
Il
semble que le désastre que subirent les Barenge eut
lieu quelques années avant ce dernier événement, sous le
règne de Kigero I Mukobanya, père de Mibambge. Les
Hamites ou Batutsi venus par le Nord-Est, c’est-à-dire le
Ndorwa et Mutara, où ils séjournèrent assez longtemps,
n ’avaient pas encore conquis tout le Bwanda actuel. 11
s’en fallait de beaucoup.
La province du Mulera échappait à leur influence. Les
habitants de ce pays, montagnards fiers et belliqueux,
leur avaient résisté victorieusement.
Tout au plus la plaine du Muko, qui longe la rivière de
la Mukungwa, paraît-elle avoir été occupée de bonne
heure par les Batutsi.
C’est dans cette plaine que se trouve le pays sacré du
Buhariga, considéré comme le berceau et la première
résidence du roi Gihanga. A l’époque dont nous parlons,
les Batutsi occupaient le pays du Bumbogo, le Buliza, le
Buyaga, le Buganza, puis le Gissaka, qui devait former
un petit royaume indépendant de celui du Bwanda, le
Bugessera et, enfin, le Bwana-Chambge.
L’émigration hamite se faisait sur deux voies parallèles.
Pendant que les uns se dirigeaient par le Gissaka et le
Bugessera sur l’Urundi, les autres s’avançaient sur le
seuil de la province centrale du Nduga, par le Bumbogo
et le Bwana-Chambge. Nous ne nous occupons ici que de
ces derniers. Le chef et le roi de ce deuxième groupe
s’appelait alors Kigeri 1 Mukobanya et avait pour fils

556

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Mibambge I. Sa résidence principale était à Mwurire, près
de Kigali, non loin du fleuve de la Nyabarongo.
Le reste du Rwanda, au Sud, à l’Est et à l’Ouest, était
gouverné par des roitelets autochtones, indépendants les
uns des autres. Le plus puissant de tous était le fameux
Mashira, qui régnait sur la province centrale du Nduga et
du Ndiza habitées par une peuplade que l’on désigne
encore aujourd’hui sous le nom d’Ababanda. Au NordOuest du Nduga vivait un autre prince indépendant dont
les possessions formaient le petit royaume de Marangara
et qui devait survivre à celui de Mashira, son puissant
voisin. A ce moment-là il n ’était question que du roi du
Nduga, qui avait aussi la réputation d’être le plus grand
sorcier de l ’époque. Les princes aborigènes, en effet, exer­
çaient en même temps, et en vertu de leur royauté, les
fonctions de sorcier, magicien, devin, etc. Mashira,
d’après la tradition, était passé maître en fait de magie et
de sorcellerie. Les Noirs recouraient à lui de tous côtés.
On connaît de ce prince au moins quatre habitations
principales, à Nyanza, à Gisali et à Kibanda, au sommet
de la chaîne du Muhanga, et, enfin, à Chubbi, dans le
Ndiza. Au sommet de la butte de Gahogo. près de la mis­
sion de Kabgayi, les habitants du pays montrent l’endroit
où il chercha en vain de l’eau, pour y abreuver ses trou­
peaux. Les relations q u’il entretenait avec le roitelet de
Marangara, un certain Nkondogoro, devaient être excel­
lentes. Peut-être étaient-ils parents. 11 est possible aussi
que Nkondogoro se considérât comme le vassal de
Mashira.
Des ancêtres de Mashira l’histoire n ’a retenu que le nom
de deux d’entre eux, Nkuba et Sabugabo. Depuis com­
bien de temps leur famille régnait-elle sur le Nduga? La
tradition n ’en dit absolument rien.
Les récits légendaires qui courent sur la personne de
Mashira sont nombreux, mais l’histoire ne peut en retenir
grand’chose tellement les faits y sont défigurés. Nous n ’en
citons q u’un pour l’exemple.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

557

<( Kimari, dit la légende en question, était le roi du
pays situé au Sud du Nduga. Mashira alla le trouver pour
lui faire la cour (kum uhakw aho). Il fut agréé du monar­
que; peu de lemps après ils se brouillèrent.
» Mashira se rendit alors chez Nsoro, le roi du Buges­
sera. A peine arrivé dans ce dernier pays, le nouveau
venu empêcha la pluie de tomber (yich’ imvura). Pour ce
faire, il s’était mis à téter (yonk’ umugore we) comme un
nourrisson et à porter des joujoux enfantins (inkondo).
Assis à la manière d’un rameur dans une petite barque,
il tenait à la m ain des tiges de papyrus (imifunzo). La
pluie fit complètement défaut. Intrigué, le roi Nsoro
s’adressa à un devin célèbre du nom de Rubambo. Celuici, après avoir consulté les entrailles de poulets, répondit,
enfin : « C’est un bébé qui a « tué » la pluie. Il est à la
)> mamelle et s’amuse comme un enfant. Il s’assied dans
» une barque à la mode des rameurs et porte à la main
» des tiges de papyrus. » — « Comment pourrons-nous le
» retrouver? » s’écria le prince. « Fais appeler les fem» mes, reprit le devin, ordonne-leur de s’aimer et de se
» fréquenter (ni bwuzure, bagenderane), plus q u’elles ne
» l’ont fait jusqu’ici. » Les femmes obéirent à l’ordre du
roi ; elles entretinrent bientôt les meilleures relations.
C’étaient des causettes à n ’en plus finir... Un beau jour,
la femme de Mashira, qui trouvait que son mari avait des
habitudes bizarres et singulières, confia son chagrin à une
amie : « Est-ce que ton mari ressemble au mien? »
Curieuse, la voisine lui demande des explications et l ’autre
de lui raconter que Mashira prend le sein comme un
nouveau-né, etc. Or, Mashira, au même instant, consul­
tait l’avenir et il apprit à son tour que les femmes possé­
daient son secret... Il n ’y avait pas de temps à perdre.
Il y allait de sa vie. Il appelle son épouse : « Fuyons, nous
sommes trahis; retournons dans le Nduga, chez nous, à
Gisari. » C’était au moment où les Barenge souffraient de
la famine et de la sécheresse. La catastrophe racontée plus

55 8

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

haut ne tarda pas à se produire, sous l ’instigation de
Mashira. »
Il est facile de le constater, les faits concernant le séjour
du célèbre roi-sorcier dans le Bugessera ont été forgés
après coup. Ce qui est sûr, c’est que Mashira régnait en
maître sur le Nduga et le Ndiza, où il avait succédé à ses
ancêtres.
II. — D e s c r ip t io n

des

Ba n yo ro ,

ravages

q u ’il s

font

DANS L E P AYS ; C R A IN T E Q u ’lL S IN S P IR E N T A U X B A T U T S I.

Kigeri I, le roi des Batutsi, d ’une part; Mashira, le roi
autochtone du Nduga, de l’autre, vivaient dans un état de
paix relatif.
C’est alors que se produisit un grave événement qui les
rapprocha. Surpris et débordés par l ’invasion des Banyoro,
les Batutsi firent appel à leurs voisins du Nduga, les
Babanda. La légende ne parle que de Mashira, de sa qua­
lité de sorcier et des sortilèges ou manières de vaincre q u’il
indiqua à l’envoyé de Kigeri I.
Les choses durent se passer un peu différemment sans
doute. Les Babanda du Nduga se réunirent aux Batutsi et
à leurs gens et c’est ainsi que les Banyoro furent repoussés.
D ’après la chanson de geste que nous allons reproduire
dans ses moindres détails, la victoire fut le résultat des
sortilèges de Mashira.
Les Banyoro, venus du Nord, envahirent le Bwanda par
le Nord-Est, en détruisant tout sur leur passage 0).
f1) On ne sait pourquoi ce nom de Banyoro a été donné aux envahis­
seurs. Il ne peut être question, en effet, que d’une expédition muganda
ou d’une sorte de razzia faite par les habitante de l ’un des petite
royaumes tributaires de l ’Uganda. Le Nkole est celui dont la frontière
est commune aux deux pays.
Les Batutsi des deux régions ont de tout temps entretenu quelques
relations. Il est plus vraisemblable que ce soient les Banya-Nkole qui, de
leur propre mouvement ou sous l’impulsion des Baganda, aient tenté
de s’emparer du Rwanda.
Les Banyoro (ou gens de l ’Unyoro) sont à plus de 220 kilomètres au
Nord et auraient dû soumettre au préalable les principautés qui se trou­
vaient sur leur passage, ce qui aurait demandé de longs mois et de forts
contingents militaires.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

559

C’étaient de puissants guerriers (bar’ abantu b’ amaboko). Ils avaient déjà vaincu les peuplades qui s’étaient
rencontrées sur leur route quand ils firent irruption dans
le pays. Us étaient si nombreux, dit la légende, qu’il aurait
été plus facile de compter les grains de m il ou d’éleusine
après une bonne récolte que de vouloir essayer de les
dénombrer.
Leurs lances en fer étaient d’une seule pièce, ainsi que
leurs boucliers, sur lesquels les flèches n ’avaient aucune
prise et ne faisaient que rebondir du côté où elles avaient
été lancées.
Partout, sur leur passage, les Banyoro se montrèrent
d’une rapacité extrême, emportant ou ravageant tout. Ils
mangèrent les grains et les tiges d’éleusine. Les patates
ne suffirent pas à apaiser leur faim, ils en dévorèrent jus­
q u’aux feuilles. U en fut de même du sorgho et des feuilles
qui croissent sur sa tige.
Les fruits insipides et indigestes des arbustes épineux
ne suffirent pas davantage à les rassasier. Après les der­
niers régimes de bananes, les Banyoro s’en prirent aux
troncs eux-mêmes. « Leur voracité était telle, ajoutent les
narrateurs, qui, pour « brosser le tableau », ne dédaignent
pas les hyperboles, qu’ils mangèrent jusqu’au bois vert.
Le bois sec seul était respecté, parce qu’ils en avaient
besoin pour cuire leur nourriture et se chauffer (barya
uburo ni mihekenya; bararya ibijum ba ni m ijum bajumba, amasaka n ’ ibishakashaka; bararya ubuhoko, ubuhanga (imbuto z’ iminyonza), insina n ’ ibitoke; bararya
agati kabissi, akumve baragachana. »
Certains conteurs affirment que les Banyoro faisaient
leur pâture de feuilles de bananiers. Le détail peut avoir
sa valeur. On sait que les Baganda, les Baziba, les Bahaya
et leurs voisins sont excessivement propres pour ce qui
touche de près à la nourriture. Ils font un fréquent usage
des feuilles de bananiers en guise de plats ou d’assiettes
pour y déposer les mets.

56 0

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a ERIQUE

D ’où l ’exagération des Banyarwanda, qui, dans leur
haine contre les envahisseurs, ont tout interprété dans un
sens qui ne pouvait être que défavorable aux Banyoro et
n ’ont pas voulu comprendre autrement l’emploi que fai­
saient ceux-ci des feuilles de bananiers.
« Les vaches, continue le narrateur, ne trouvèrent pas
grâce à leurs yeux. Ils s’étaient d’abord réservé les plus
belles; ils furent bientôt obligés de les abattre pour satis­
faire leur gloutonnerie.-Inutile d’ajouter q u’ils firent un
grand carnage de celles qui n ’avaient pu se sauver à temps.
Ils allaient en poussant devant eux une cohue de femmes
et d ’enfants qu’ils avaient réduit en esclavage. C’étaient de
vrais hommes de guerre, acharnés au combat (bar’ intwari
zikabije kurwana). Ils ne laissaient partout que des ruines.
C’était le comble de la désolation; le pays q u’ils traver­
saient ne respirait (sentait) que l’odeur de la désolation
(igihugu bachagamo basigaga k in u k ’ ubutsindwa). Nul
n’osait les affronter; c’était une fuite éperdue à leur
approche, tant on les redoutait. Chacun prenait « ses
jambes à son cou » (amaguru bayata m u nzira) (*),
ajoutent les chroniqueurs, qui ont à peu près la même
expression dans leur langue. Les Banyoro ne rencontraient
presque aucune résistance. Ils étaient venus à travers le
Ndorwa, par le chemin de Mutara. Ils avaient déjà par­
couru et ravagé les villages de Ntete, Ntende, Runda,
Gasetsa, Urwara, Migongo (Gissaka), Ngungu, Munyaga,
Ju g u ju g u , Jugam iram bo, d’où la faim les faisait partir.
Les chefs du Buganza et de Mutara, Lugendababiri et
Ruganintwari, avaient bien essayé de s’opposer à leur
marche victorieuse; ils essuyèrent une défaite complète.
Les Banyoro étaient arrivés au seuil de la province du
Bwana-Chambge (baj’ uturambi twa Bwana-Chambge) et,
ô abomination sans nom! ils étaient sur le point d’aller
C1) Le sens littéral est le suivant : ils jettent leurs jambes dans le
chemin.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

561

boire à la fontaine sacrée de Midiima (près de Kigali)
(baraniganira m u maliba va Muhima — ishyano — litabaye) !
III. —

A

ppel

f a it

au

s o r c ie r

M

a s h ir a

. Ses

in c a n t a t io n s

ET SES MALÉFICES ; INSOUCIANCE ET LEGERETE DU PRE­
MIER ENVOYÉ.

Dans une si grande calamité, le roi Kigeri se mit en
devoir de réunir de son côté les chances de succès pour
s’opposer à l’avance des ennemis.
Recours aux aruspices, sacrifices aux esprits, tout fut
mis en oeuvre. C’est eu vain encore qu’il s’adressa aux
sorciers de son entourage; les sorts ne lui étaient pas pro­
pices. En désespoir de cause, il se résolut à consulter
Mashira, dont la réputation était arrivée jusqu’à lui.
Il appelle un de ses gens, connu sous le nom d’Ituragara. C’était le fils de Nyankaka et appartenait au clan
des Baturagara, qui passaient pour bien manger et bien
dormir (bakundaga kurya no kuryama) : « Un pays, lui
dit le roi, ne peut être sauvé que par celui qui le gouverne
(ingoma isanzwe itabarira beneyo). Va donc chez Mashira,
le magicien, fils de Nkuba (le tonnerre), et demande-lui le
succès (urutsiro ou insinzi) de notre entreprise. Racontelui les malheurs qui ont fondu sur le royaume. Les enne­
mis me cessent d’avancer. Dis-lui que les Banyoro ont déjà
ravagé les collines de Ntete, Ntende, Runda, etc. Q u’il
vienne donc au secours de celui qui est en danger, qu’il
assiste celui qui se défend. Rappelle-lui que les Banyoro
ont tout dévoré. Ils ont mangé les poules et leurs poussins,
les sauterelles et leurs œufs, les troncs de bananiers, ainsi
que le bois vert. Q u’il se hâte de nous venir en aide. S’il
nous refuse le secours de son art, dis-lui que l ’Homme aux
couteaux de sorcier (Lunukamishyo), celui qui est origi­
naire du pays du Butum bi, d’où sortent les meilleurs
sorciers, nous donnera ce qu’il faut pour remporter la vicBUIiL. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

36

Ô62

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

toire. S’il se dérobe à nos sollicitations, cela ne lui portera
pas bonheur (niba atarumuhaye urutsinzi, Lunukamishyo
wi Butum bi (Ndorwa) azarumuha, kandi nawe ntibizamugwa ubuhoro). »
Itüragara, le fils de ceux qui ont la réputation de savoir
bien manger et bien dormir, se m it aussitôt en route.
11 trouva Mashira à Bidima de Nyakabungo, non loin des
pays chauds (ku Mayaga) qui se trouvent au Nord-Est du
Nduga. Arrivé à l’entrée de la cour qui précède la hutte
du sorcier, il salue et s’annonce comme l’exige la politesse
indigène. On lui dit d’entrer :
« D ’où viens-tu, ô homme? » demande le roi-devin.
L’autre de répondre : « J ’arrive du pays de Gassabo
(colline longtemps habitée par les premiers rois Batutsi).
Kigeri m ’envoie te demander le moyen de vaincre les
Banyoro. Ils ont déjà parcouru le Ndorwa, le Buganza et
le Gissaka. Ils viennent à marches forcées et ne tarderont
pas à venir boire, ce qui ne s’était encore jamais vu, à la
source sacrée de Muhima (none bagiye guhira Muhima,
ntaho lyabaye). C’est au nom de mon souverain que je
viens te demander des charmes et des sortilèges pour
ensorceler l’ennemi et le réduire à néant. Si tu refuses,
j ’irai chez Lunukamishyo (l’homme aux couteaux de sor­
cier), qui ne manquera pas d’agréer ma demande. »
Le sorcier, voidant faire honneur à son hôte, l’accueille
avec distinction et lui offre sa case pour y passer la nuit.
Une vache grasse est amenée séance tenante; il s’agit de
régaler le royal messager. On la frappe entre les deux
cornes et la bête roule sur le sol, les quatre pieds en l’air
(amaguru ab’ amahembe, nay’ amahembe ab’ amaguru).
Elle est égorgée et dépecée à l ’instant.
Les meilleurs morceaux en sont offerts à l’envoyé et à
ses compagnons, qui les font griller sur les charbons
ardents. Le maître de la maison fait ensuite apporter les
meilleures bières de la contrée. On leur sert en premier
lieu une boisson faite avec du miel recueilli sur l’arbre aux

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

563

fleurs de senteur (umukepfu) très estimées des abeilles.
On leur présente ensuite de l’hydromel fabriqué avec un
miel de choix qui « la boisson par excellence des hommes mûrs » (mushoka
bagabo). Ils eurent encore à discrétion la liqueur dans la
fabrication de laquelle entrait le suc que les abeilles avaient
puisé sur leurs fleurs préférées (nkuruba) du pays de
Mugamba, où l’on récolte 1111 miel délicieux. Tout était de
la meilleure qualité, vivres et boissons. Le messager du
prince hamite, qui ne reculait pas devant la bonne chère,
puisqu’il appartenait à un clan où elle était de tradition,
fut le meilleur convive du festin. Mashira lui « prêta »
aussi des esclaves, pour faire les honneurs de sa maison
« gaiement et grandement », selon les coutumes de l ’hos­
pitalité 0).
Il était près de m inuit quand le magicien congédia ses
familiers. Resté seul avec l’envoyé, il se met en devoir de
consulter le sort, en jetant les osselets sur sa planchette à
sorcier (2), sous les regards plus ou moins distraits de
l’unique témoin fortement échauffé par l’hydromel.
Mashira dut s’y reprendre à plusieurs reprises, car une
force secrète, invisible et malfaisante, semblait s’opposer
au succès de la consultation. Le sorcier devait comprendre
plus tard l’hostilité des osselets, qui, forcés pour ainsi dire
par lui de présager la défaite des Banyoro en faveur des
Batutsi, ne le firent pour ainsi dire que malgré eux.
On verra, en effet, plus loin que les Hamites, victorieux
des Banyoro, tourneront ensuite leurs efforts contre
Mashira lui-même, qui perdra la vie avec le trône.
(•) Comme au temps des Romains. Plaute, Mercator I, I, 100 (hilare
nique ampliler).
(2) C’est une sorte de planchette à bords arrondis, légèrement creuse
sur une de ses faces. Le devin s’en sert en y jetant de la main droite un
certain nombre de dés. Les multiples dispositions que prennent ces dés
sur la palette permettent au sorcier de prédire l ’avenir et de répondre
aux questions posées par les clients. C’est surtout en cas de maladie et
de décès qu’on vient les consulter pour en connaître la cause ou l’auteur.

-564

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

C est sous forme d’oracles à forme elliptique que le
magicien com m uniqua le résultat de ses opérations divi­
natoires et indiqua les différents moyens (insinzi) de
vaincre les Banyoro :
1° « Coupure sur blessure vaincront les Banyoro (igisale na gasale bizatsinda Abanyoro) », annonça-t-il solen­
nellement.
2° « Jumeaux de Nyirassuna, nés avant terme (impanga,
ibyenda), vaincront les Banyoro ».
3° « Nyiragasi de Nsoro, la fille aux seins non déve­
loppés (umukobga w’ impenebere), vaincra les Banyoro ».
4° « Ensorcellement de poule (urutunda rw’ inkoko
ikab’ isake) vaincra les Banyoro. »
5° « Vieilles nattes, paille pourrie de hutte, veuve de
son propriétaire (imisambi n ’ isamburiro n ’ akasamburiro) vaincront les Banyoro. »
6° « Serpent et petit serpent (Mpiri na ruhiri rwayo)
vaincront les Banyoro. »
7° <( Vache blanche et taureau blanc (igitare na rutare)
vaincront les Banyoro. »
8° « L’ami de la paix (le mouton) de Mibambge, le
bélier à couleur rouge que l’on a caché dans la fosse à
bananes, en dessous de l ’habitation du propriétaire, vain­
cra les Banyoro. »
9° « La pluie qui coule à torrents (imvura y’ im ivum bi)
vaincra les Banyoro. »
10° « Mibambge-Mutabazi (le Sauveur) vaincra les
Banyoro. »
« Tels sont, dit le sorcier quand il eut fini de les énu­
mérer, les moyens (insinzi) qui permettront à Kigeri de se
défaire de ses ennemis. » Comme on le voit, il les avait
donnés sous une forme brève et imprécise qui demandait
une explication. Ituragara, qui avait bien bu, bien mangé
et bien dormi, fidèle en cela aux traditions de sa race, n ’en
demande pas davantage. Par suite de l’insouciance de son
âge, de la légèreté de son caractère et aussi des effets de

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

565

la bonne chère, il ne se préoccupe pas autrement de l ’objet
de sa mission. Ses yeux et son esprit sônt plus qu’appesantis par le vin de bananes et le sommeil. 11 retombe sur sa
couche et s’endort profondément.
IV. — E n v o i

d ’u n d e u x iè m e

m essager

plus

s é r ie u x ;

EXPLICATION DES ORACLES MALEFIQUES.

Croyant en être quitte avec le message qui lu i avait été
confié, le joyeux compagnon q u’était notre homme prend
congé de Mashira. Celui-ci ne peut s’empêcher de rire
intérieurement de l ’étourderie de son client, qui s’en va
avec des formules vides de sens, incompréhensibles aux
profanes.
Content de lui-même, lturagara reprend le chemin de
la capitale, pour rendre compte au roi de l’heureux résul­
tat de son voyage. Il détaille par le menu ce q u’il croit
devoir intéresser son souverain, l’accueil q u’il a reçu
auprès de Mashira et les oracles q u’il a rendus.
Quand le monarque demande l’explication de ces for­
mules magiques, pour savoir comment on pourra les uti­
liser contre les Banyoro, le messager avoue ingénum ent
qu’il n ’a pas du tout songé à en demander l’interprétation.
Kigeri reconnaît aussitôt qu’il a eu tort de se servir pour
une si importante mission d ’un individu aussi peu sérieux.
La réputation de joyeux viveurs, méritée à juste titre par
les membres de la tribu des Baturagara, « qui aiment à
bien manger et à bien dormir », aurait dû le mettre en
garde contre ce premier choix.
Sans perdre de temps, car les Banyoro ne cessent de
s’avancer, Kigeri fait appeler sur-le-champ Muguruka, un
homme dont il est sûr. C’était le fils d ’un certain Nkona,
Umwenemugunga (nom du clan). Le roi lui explique ce
dont il s’agit et l ’invite à se hâter. Muguruka eut bien vite
parcouru la distance qui séparait les deux capitales.
Mashira le reçut avec honneur, comme il l’avait fait pour
le premier messager.

566

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

Conscient de l’importance de sa démarche, Muguruka
goûte à peine à ce qu’on lui offre. Il désire connaître au
plus vite le sens q u’il faut attacher aux formules m agi­
ques. Le sorcier répond q u’il le lui dira à m inuit, que c’est
l'heure à laquelle il se livre habituellement à l’exercice de
son art.
Tous allèrent se coucher. Le messager seul, repoussant
le sommeil, s’assied, préoccupé de l ’objet de sa mission.
Voyant que Mashira s’était endormi profondément, il
prend une poignée d’herbe qui servait de litière aux
vaches 0) et la jette intentionnellement sur le feu. Comme
elle était fortement imprégnée de purin, il s’en dégage
aussitôt une odeur nauséabonde et une épaisse fumée qui
réveillent le sorcier : « Qui est-ce donc, s’écria-t-il, qui
m ’empoisonne P » Et l ’autre de répondre : « C’est moi,
Muguruka, ton hôte; lève-toi et donne-moi bien vite
l’explication des oracles maléfiques dont l’accomplisse­
ment doit nous délivrer des Banyoro. Le royaume
(ingoma) de Kigeri est en danger. Hâte-toi de nous venir
en aide. »
Bien que maugréant, Mashira se met sur son séant,
reprend ses esprits et se met en devoir d’expliquer au nou­
vel envoyé, qui était tout yeux et tout oreilles, le sens
caché des formules magiques :
1° « Coupure sur blessure », tel est le premier moyen
de vaincre les Banyoro. Pour cela, cherchez une femme
stérile (igichambyaro), faites-lui sur le corps une piqûre
et mêlez son sang avec celui d’une vache noire. De ce sang
ainsi mélangé aspergez les ennemis quand ils viendront

(*) Les Banyarwanda quand ils n’ont qu'une ou deux vaches, les
logent dans leur hutte pendant la nuit. Ils font de même pour les vaches
malades et les petits veaux. Quand les bêtes sont nombreuses, elles
restent en plein air dans la cour, qui est clôturée de toutes parts, sous
la garde des vachers, qui passent la nuit dans une case ouverte sur le
parc à bestiaux. Chez les grands chefs, les gardiens jouent de la flûte,
pour se tenir éveillés et se garder des nombreux voleurs de vaches.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

567

vous attaquer; dès lors ils seront incapables de brandir
leurs lances contre vous. »
2° « Pour ce qui est du deuxième sortilège, faites venir
les deux enfants jumeaux de Nyirassuna, l’esclave du
prince. Exposez-les avec leur mère, de façon q u’ils soient
tués par les envahisseurs. Cela fait, ces hommes étrangers
ne pourront plus vous vaincre. »
3° <( Nyiragasi de chez Nsoro, la fille aux seins non
développés, vaincra les Banyoro. Demandez à son père de
vous la livrer. S’il refuse, emparez-vous de sa personne.
Au moyen d’une flèche, blessez-la légèrement au sein
gauche.
» Quelle prenne ensuite elle-même de son propre sang
pour le répandre sur les Banyoro (ngo muzater’ akambi
m w ’ ibere y’ ibumoso, akore m u l’ ayo marasso, ayatere
m u Eianyoro). »
4° <( Prenez un coq, égorgez-le. Ses entrailles ne « blan­
chiront pas » (iteze neza). C’est alors q u’il deviendra bon
pour ensorceler (yabay’ urutunda). Mettez-le dans un pot
à lait. Versez-y en même temps de l ’eau lustrale blanchie
par le moyen d’une poignée de craie (ingwa).
» Mélangez le tout avec quelques feuilles à propriétés
magiques 0). Faites-vous précéder de ce vase en bois et
vous êtes sûrs de la victoire. »
5° « Vieilles nattes et vieux débris de paille vaincront
les Banyoro. » Il s’agit ici d’une maison abandonnée et qui
tombe en ruines, parce que son propriétaire est décédé.
<( Mettez-y le feu, continue le devin, et arrangez-vous de
façon que la fumée arrive jusqu’aux ennemis. »
6° « Serpent et petit serpent vaincront les Banyoro. »
« Emparez-vous d’un serpent et de son petit. Tuez-les et
(‘ ) Ce sont, pour n’en citer que quelques-unes, des feuilles de plusieurs
variétés de ficus, de l’érythrina à fleurs rouges, puis les plantes, tel
que 1’ « ishoza », qui sont fréquemment employées par les indigènes.
Elles passent pour exercer une grande influence dans presque tous les
actes de la vie.

568

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

coupez-les en tranches. Mettez-en les morceaux dans une
cruche neuve qui n ’a encore jamais servi (inyagura) et
laites cuire. Vous exposerez la cruche sur le chemin.
» Quand les Banyoro la découvriront, ils croiront que
c’est de la bonne viande et en mangeront. Par le fait
même, ils seront ensorcelés. »
7° « Vache blanche et taureau blanc vaincront les
Banyoro. » « Choisissez dans les troupeaux qui vous
restent une vache et un taureau de cette couleur. Condui­
sez-les sur le sommet d ’une montagne, bien en vue de ces
pilleurs, qui vous ont fait tant de m al. Abattez les deux
bêtes sur place et retirez-vous ensuite. Les vautours, les
éperviers et les corbeaux ne tarderont pas d’être attirés
par l ’odeur de la viande. Tout en se posant à terre pour
dévorer les cadavres, ils planeront souvent dans les airs.
Les Banyoro, à leur vue, seront frappés de stupeur et
d'étonnement. Ils craindront ces nouveaux guerriers
venus du ciel et inconnus d’eux : « Nous savons combat­
tre, diront-ils, avec les habitants qui foulent le sol, mais
comment nous y prendre pour lutter contre ceux qui
volent dans les airs au-dessus de nos têtes ? Nos flèches
peuvent atteindre les premiers. Comment ferons-nous
pour tirer sur les autres qui voltigent et tourbillonnent en
tous sens au-dessus de nous? »
8° « L’ami de la paix (') de Mibambge, en d’autres
termes, le bélier de couleur noire, que son propriétaire
(qui n ’est autre que le propre fils du roi) a caché dans la
fosse à bananes (2) en dessous de la hutte d« Mibambge
(Nyabuhoro ya Mibambge, rugina nv ’ intama ili mu rwina
musi v’ ulugo rwa Mutahazi) vaincra les Banyoro.
(*) Le mouton est ainsi appelé parce qu’on s’en sert chez les Batutsi,
dans les sacrifices, pour calmer les esprits et disposer en sa faveur les
événements futurs.
(2) Tout indigène creuse auprès de sa hutte une fosse dans laquelle
il dépose, durant un jour ou une nuit, les régimes de bananes en vue
de hâter leur fermentation pour faire la bière.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

569

» Vous l’égorgerez, ses entrailles blanchiront (*) (izera),
vous le déposerez ensuite sur le lieu du combat, près du
fils de Kigeri et vous remporterez la victoire. »
9° « La pluie à torrents vaincra les Banyoro. » Au
moment où vous aurez fini d’accomplir ces prescriptions
magiques, la pluie tombera à flots, rendant inutilisables
les arcs des Banyoro. Vous pourrez alors vous servir avan­
tageusement de vos lances contre un ennemi désarmé.
10" <( Mibambge-Mutabazi, le fils de Kigeri, vaincra les
Banyoro. » C’est ma dernière prédiction et voici comment
vous devez l’entendre : Le fils du roi doit aller se mesurer
avec l’ennemi. C’est lui qui deviendra le libérateur de
son pays. Il sera légèrement atteint d’une flèche au front.
Q u’il prenne alors du sang de sa blessure pour le répandre
dans la direction des Banyoro. Et tout se terminera en
votre faveur. »
Comme on peut le constater par les détails qui pré­
cèdent, les Noirs sont passés maîtres en fait de magie et
de charlatanisme. Les sorciers et les devins du moyen Age
ont leurs émules et leurs rivaux chez les primitifs dans
la race africaine, et la célèbre pièce de Shakespeare,
Macbeth, n ’est pas la seule dans son genre où il soit ques­
tion de chaudrons et de sorcières.
Y. —
D

Be t o u r

d u s e c o n d e n v o y é ; e m p l o i d es s o r t il è g e s .

é f a it e e t m a s s a c r e d es

Banyoro;

théâtre de l e u r

ARRÊT FINAL.

Muguruka remercia chaleureusement le devin-magicien
qui l’avait si bien renseigné. Il ne perdit pas de temps en
cours de route, car le roi, impatient, guettait chaque jour
t1) Quand le sacrifice est agréé par les esprits, c’est-à-dire quand le
devin-se.crificateur croit reconnaître aux entrailles une certaine couleur
blanche qui atteste que les esprits sont contents ou que le malheur
redouté n ’arrivera pas, on dit alors que la victime du sacrifice a
« blanchi » (yeze).

570

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

le retour de son messager. Sa confiance avait été bien
placée. Il recueillit bientôt de sa bouche ce q u ’il importait
de savoir. Sûr de vaincre, Kigeri fit commencer aussitôt
la campagne par ses troupes.
Dès le début de l’action, ils mêlèrent le sang d’une
vieille femme à celui d ’une vache de couleur noire et le
répandirent dans la direction des agresseurs. Vint ensuite
l’accomplissement du deuxième acte. Le sorcier avait
parlé de jumeaux nés avant terme qui appartenaient à une
esclave du roi. Les gens de Kigeri reconnaissaient bien là
l’habileté du devin qui avait la réputation de tout savoir et
de tout connaître, hommes et choses, personnes libres et
esclaves. Les malheureux furent exposés, comme cela avait
été recommandé par le magicien, et ils succombèrent sous
les coups des terribles pillards. On fit une légère blessure
à la jeune fille aux seins non développés qui leur avait été
nommément désignée.
Prenant un peu de son sang dans les mains, elle en
aspergea elle-même les Banyoro. Les guerriers se pro­
curent ensuite un jeune coq et font comme Mashira leur
avait dit.
Les entrailles du coq « devinrent noires » (yirabura) et
aptes, par conséquent, à ensorceler (yabaye urutunda) les
ennemis. Ce genre d’opération est un maléfice fréquem­
ment employé par les indigènes, qui lui attribuent une
efficacité et une nocivité sans pareille. Quand ils ont une
vengeance à exercer, c’est dans la cour de leur ennemi ou
même dans la hutte que l ’opérateur ira en cachette dépo­
ser la victime. C’est ce qu’ils appellent « l’ensorcellement
du poussin dont les entrailles considtées n ’ont présagé que
des malheurs (inkoko y’ impuhe) ». Les gens de Kigeri s’y
prirent d’une façon plus originale et qui, dans leur pensée,
devait avoir beaucoup plus d ’effet.
Restait à trouver une maison veuve de son propriétaire
(umusaka) et pour ce tombant en ruines, ce que le devin
avait recommandé quand il avait dit : « Vieilles nattes,

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

571

paille pourrie de hutte abandonnée vaincront les
Banyoro. »

Les Banyarwanda eurent vite fait d’en découvrir une,
par ce temps de désolation. Elle fut portée sur le sommet
d’une colline et l’on y m it le feu, dont la fumée fut dirigée
par le vent du côté des ennemis.
D ’autres narrateurs racontent qu’un oracle différent de
celui-ci avait été donné par le sorcier. Ils l’interprétèrent
comme il suit.
On découvrit les cases de la paille qui leur sert de cou­
verture pour la transporter sur la plus haute montagne,
bien en vue des Banyoro. Les bottes d’herbes pourries
furent rangées en plusieurs tas, afin de faire croire aux
ennemis q u’il s’agissait de nombreuses troupes réunies en
cet endroit et prêtes à combattre. Les miliciens se mirent
ensuite en quête d’un serpent et d’un de ses petits, de
l’espèce connue sous le nom de « m piri ». Une fois décou­
verts, ils les découpèrent en morceaux pour pouvoir les
mettre au fond d’une cruche à cuire (inkon’ iteka). On
installe la marmite sur un foyer ardent. Ce pot-au-feu
d’un nouveau genre est abandonné sur la route par où
doivent déboucher les assaillants. Les Banyoro ne tardent
pas à venir, trouvent la marmite encore fumante et enten­
dent les cris de ceux qu’ils croient avoir mis en fuite par
leur approche. Heureux d’une si bonne aubaine, ils ne se
font pas prier et mangent d’un bon appétit.
Presque en même temps les opprimés égorgent non loin
de là, sur le sommet de la montagne, un taureau et une
vache de couleur blanche, et se retirent pour laisser la
place aux oiseaux carnivores. De fait, éperviers, vautours,
corbeaux, etc., arrivent de toutes parts pour prendre part
à la curée, à la grande terreur des Banyoro, qui, à dis­
tance, croient avoir affaire à une nouvelle espèce de gens
inconnus d’eux.
Ils n ’osent plus avancer. On égorge le bélier noir, qui
fut trouvé à l’endroit désigné, et la pluie se met à tomber

572

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

à torrents, rendant inutilisables les arcs des ennemis.
Mibambge, le fils du roi Kigeri, que le sorcier avait
désigné pour sauver le pays, se met à la tête de ses fidèles
et va hardiment au-devant des pillards, qui sous l ’influence
des opérations magiques précédentes, hésitaient à com­
battre et tremblaient de tous leurs membres. Le fils de
Kigeri est légèrement frappé au front, au moment où il
entre en contact avec les troupes des Banyoro. 11 porte
aussitôt la m ain à sa blessure d’où coule un peu de sang;
il le recueille et en asperge les ennemis. C’était le dernier
acte de la tragédie.
Le dénoûment approchait. Les Banyoro annihilés, sans
courage, ne savent reculer ni avancer. Ils sont cernés et
perdent la tête. Les Banyarwanda avec leurs lances les
pressent de tous les côtés à la fois et en font une boucherie.
Mibambge, au premier rang, se distingue par les coups
qu’il leur porte. C’est une véritable émulation parmi ses
hommes, c’est à qui immolera le plus d’ennemis à sa
haine. Les quelques Banyoro qui ont survécu, hébétés,
éperdus, essaient de s’enfuir. De quelque côté que leurs
regards se tournent, ils n ’aperçoivent que vautours et
éperviers aux ailes déployées, noircissant l’iiorizon et
planant au-dessus de leurs têtes : « Nous sommes perdus,
s’écrient-ils dans leur désespoir. Nous ne pouvons pas
combattre dans le ciel et sur la terre. Est-il possible
d’échapper aux traits qui sont lancés d’en haut? » Ils
tentent de se jeter dans la forêt de Rugaryi qui commence
près de Nyarugenge (Kigali) ; les guerriers de Mibambge
les y poursuivent. Ceux qui avaient échappé au massacre
furent faits prisonniers. Les oracles prophétiques et les
opérations magiques prêtés à Mashira par la légende
varient à l ’in fin i (*). Les conteurs sont intarissables grâce
f1) Dans le Livre quatrième, le lecteur a vu le rôle important que
joua dans l ’expédition le fameux marteau symbolique et mystique dit
« Nyarushyara ».
Le roi hamite ne peut pas s’en séparer.
Le « précieux » instrument doit le suivre dans ses déplacements.
On le met dans le lit du monarque, sous le traversin.

LN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

573

à leur imagination et à leur verve; ils s’en donnent à
cœur joie sur la chanson de gestes des Banyoro, qui est
un de leurs sujets favoris. Le peuple ne se lasse pas de
les écouter.
Les cœurs vibrent à l’unisson. Ils se reconnaissent tous
dans leurs héros.
Il est difficile de donner des précisions historiques tou­
chant l’arrêt final des Banyoro et le théâtre de leur défaite.
Les uns assurent qu’ils traversèrent le fleuve de la Nyabarongo, en dessous de Nyarugenge (Kigali), qu’ils péné­
trèrent dans la province du Nduga et parvinrent ju squ’aux
collines (villages) de Kanyundo, Munzenze, etc., c’està-dire à peu près à mi-chemin entre la mission catho­
lique de Kabgayi el la résidence de Kigali. Il semble bien
que, d’après l’opinion la plus probable, il furent vaincus
avant d’avoir pu franchir le fleuve, à Nyamirambo même,
tout près de Kigali, ou auprès du bois sacré dit de Muhima,
qui passe pour être le berceau de la famille princière des
Banyiginya d’où sont sortis les rois Batutsi du Rwanda.
A entendre les récits qui sont sur les lèvres des Banyar­
wanda, on pourrait croire que les Banyoro ont parcouru
le Rwanda dans toute son étendue actuelle. Ce n ’est là
qu’une croyance basée uniquement sur le retentissement
q u’eurent leur invasion et leur défaite dans les petites
principautés indépendantes qui couvraient alors le sol du
Rwanda.
VI. — S o u m is s io n

e t t r a n s f o r m a t io n

P o p u l a r it é

du

roi

et

de

des s u r v iv a n t s .

son

f il s .

Pendant que les troupes luttaient avec tant de succès,
un héraut des armes (imvuzi y’ amacchumu), c’est-à-dire
un messager de la bonne nouvelle, est envoyé au roi qui
attendait, au loin, anxieux de l’issue du combat.
Il se fait répéter les phases et les détails de l’action enga­
gée. Le courrier est harcelé de questions. On lui laisse à

57 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

peine le temps de respirer et de répondre. C’est ainsi qu’on
apprend les actes de bravoure de Mibambge et de scs
compagnons. Les Banyoro sont, enfin, vaincus. Les
Banyarwanda les ont taillés en pièces. Il y a des monceaux
(imigina) de cadavres. Quant aux fuyards, le chemin du
retour leur a été complètement fermé. L’entourage de
Kigeri se livre à une joie délirante. Ce ne sont plus des
cris, mais des acclamations enthousiastes que pousse la
foule exubérante. Les échos (nyiramubande) d’alentour en
ont vite transmis la nouvelle, qui se répand comme
l’éclair jusque dans les coins les plus reculés, où s’étaient
réfugiés les vieillards, les femmes et le enfants. Les
réjouissances succèdent au deuil et à la tristesse. Kigeri
fait aussitôt dire à son fils, qui n ’avait été que légère­
ment blessé, de cesser le massacre. Il revint (aratabaruka),
suivi de ses guerriers, qui firent une entrée triomphale,
brandissant leurs lances sur lesquelles ils avaient fixé les
dépouilles sanglantes de leurs ennemis. Les jours sui­
vants se passèrent dans l’allégresse et la bière coula à flots
au milieu des danses et des chants.
Le vieux prince Kigeri fit grâce de la vie aux survi­
vants que les vainqueurs avaient traqués dans les bois et
ramenés prisonniers. Il leur confia même la défense des
frontières du Rwanda. Ils en devinrent les défenseurs et
les gardiens attitrés (abanyankiko b ’ abatassi). On leur
fixa comme lieu de séjour le pays connu sous le nom de
« Campement » (Ndala), de Rukugera, du nom, croit-on,
d’un de leurs chefs capturé avec eux. Le lieu qui leur fut
fixé s’appelle Campement, parce q u’ils furent tout
d’abord obligés de se bâtir des huttes de branchages,
comme le font les voyageurs surpris par la nuit en pays
désert ou inhabité. Le roi leur fit épouser des jeunes filles
prises dans la population du Rwanda. Leur nombre s’ac­
crut rapidement et ils devinrent bientôt un clan puissant.
Ils devinrent membres de la grande famille des Banyar­
wanda au même titre que les aborigènes. Leurs descen-

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

575

liants perdirent avec le temps le souvenir du pays d’où
leurs pères étaient venus et adoptèrent à tel point la lan­
gue et les coutumes de leur nouvelle patrie q u’on ne les
distingua plus des autres; on ne sait même pas exacte­
ment le lieu qui fut assigné à leurs ancêtres. Ce dont on
se souvient seulement, c’est q u’ils méritèrent la confiance
de Kigeri et de ses successeurs et q u’ils se distinguèrent
d ’entre les plus braves pour la défense des frontières du
royaume.
Quel pourrait être au juste le pays désigné sous le nom
de Ndala (Campement) de Rukugera selon les uns, de
Rukurigira, selon les autres? On pense que c’est au Sud
du Nduga, dans le pays du « Burwe », connu aussi sous
le nom de « Ndala », lequel sert à désigner le corps
d’armée qui s’y recrute.
D ’après un deuxième sentiment, on croit q u’il s’agit de
la région située non loin de l’endroit où l’Akanyaru prend
sa source. Les tenants de cette opinion ajoutent que les
descendants des Banyoro ne s’y trouvent plus, mais q u’ils
se sont mêlés à la longue à la population du Nduga.
On fait encore remarquer que dans le ’Kinyaga, il y a un
village appelé Rukunguri, mais nul n ’ose affirmer avec
certitude l’endroit qui leur fut originairement assigné.
Comme on peut le constater aisément, au fond his­
torique ci-dessus relaté, les narrateurs et les historiens
officiels (Abachurabgenge) ont mêlé nombre de détails
fataisistes, non exempts d’anachronismes et d ’inexacti­
tudes, reflétant bien leur mentalité crédide et supersti­
tieuse. Les épisodes guerriers sont presque tous racontés
de cette manière; une âme de Noir ne les conçoit pas autre­
ment. Le sens de la critique est dans ces récits une chose
totalement inconnue et qui n ’a pas encore fait son appa­
rition. Il arrive quelquefois que les gardiens des tradi­
tions et les annalistes de la Cour ne s’entendent plus sur
l’exactitude de tel ou tel détail oublié ou contesté. On
fait alors des sacrifices divinatoires pour savoir ce qu’il

576

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

faut dire au roi. Leurs épopées, cependant, malgré ces
défauts et ces imperfections, ne manquent pas d’inlérêt,
ni de charme. Grâce à elles il est possible de saisir sur le
vif leurs pensées et leurs sentiments, le concept q u’ils se
font de la vie, l’amour du sol natal, l’attachement aux tra­
ditions et aux souvenirs du passé. On y trouve l’expression
pathétique des tristesses causées par les invasions étran­
gères et l’enthousiasme inspiré par le triomphe final.
Les Banyarwanda n ’ont pas encore perdu la mémoire
des exactions et des cruautés commises par les Banyoro.
Ils racontent à ce sujet q u’un chef, dont ils ont oublié le
nom, avait voulu leur résister au début de l’invasion.
Mal lui en prit, il fut battu et fait prisonnier. Ses vain­
queurs lui firent subir un traitement barbare. Ils lui enle­
vèrent sur le dos et sur la poitrine une lanière de peau
continue, c’est-à-dire deux bandes sanglantes, chacune
tout d ’une pièce, et le renvoyèrent ensuite dans cet étal
chez les siens.
Depuis ce temps le nom de Kigeri 1 Mukobanya est
resté populaire. Son souvenir reste mêlé à celui des
Banyoro, qui furent écrasés sous son règne, grâce aux
sortilèges du puissant sorcier qu’était Mashira. Mi­
bambge I, son fils, qui se distingua à la tête des troupes,
n’est pas moins en faveur. La postérité lui a conservé en
plus de son nom de naissance, le glorieux titre de Libéra­
teur (Umutabazi) q u’il partage avec quelques autres
princes.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

577

CHAPITRE III

La conquête du Nduga, épilogue de l’épisode précédent.
Le

v a in q u e u r

des

R

an yoro

,

M

ib a m b g e

I

M

u t a b a z i,

RÉUSSIT A SE DÉBARRASSER DU SORCIER MASHIRA
ET A

s ’e m p a r e r

DE SES POSSESSIONS.

Kigeri I m ourut quelque temps après cet heureux événe­
ment. Son fils, Mibambge, qui, depuis longtemps, avait
atteint l’âge d’homme, lui succéda sur le trône. Son
influence et son pouvoir s’arrêtaient sur le fleuve de la
Nyabarongo. Il ne laissait pas de jeter des regards d’en­
vie sur les possessions de Mashira, qui, outre la province
du Nduga et celle du Ndiza, gouvernait encore quelques
districts un peu au delà à l’Est et au Sud. Du désir au pro­
jet il n’y eut q u’un pas. Il semble que Mibambge l ’em­
porta sans difficulté sur son rival. Voici, d’après la
légende, comment les Noirs ont expliqué et interprété les
faits :
a)
Une première version. —• Mibambge-Mutabazi se
prit à réfléchir : « Comment vais-je m ’y prendre pour
vaincre Mashira? Il s’y entend plus que moi en matière
de sorcellerie ». Après avoir demandé conseil aux vieux
et aux sorciers de son entourage, le roi eut une idée
géniale : « Nous sommes sauvés, s’écria-t-il. Je vais lui
envoyer sur-le-champ une de mes filles pour q u’il la
prenne en mariage. Devenue son épouse, ma fille me
mettra au courant des faits et gestes de son mari. Q u’elle
me fasse surtout connaître les sortilèges que le sorcier
pourrait utiliser contre moi. Nous déjouerons ainsi tous
ses pièges ». Il lui fit aussitôt porter en hamac (ingobvi)
celle des princesses dont le nom « Ntobge », c’est-à-dire
La Souillure (du mot indigène gutoba-souiller), était un
présage à lui tout seul. C’était de plus une de ces malheu­
reuses que l’on désigne dans le pays sous le sobriquet
m bm

. in s t . r o t a i, c o l o n ia l b e l g e .

37

57 8

UN

ROYAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

T)E

l ’a

F R IQ U E

injurieux d ’ « impenebere », c’est-à-dire « les vierges aux
seins non développés » (x). Mashira n ’y vit qu’une marque
de déférence de la part du roi hamite, dont il ne soupçon­
nait pas encore les noirs desseins. Il la reçut sans aucune
défiance et en fit son épouse. Sa perte était dès lors cer­
taine. Le magicien, en effet, faisait ses sorcelleries au
grand jour, ne songeant pas à se cacher de la nouvelle
venue. Un jour que Mashira avait pris la palette de sor­
cier (impinga) pour connaître l’avenir, sa femme l’en­
tendit s’écrier : « Je triompherai de Mibambge dès le jo ur
où je m ’installerai à la « Capitale des Charmes » (Murwa
w’inzaratsi) ». Le roi en fut averti sur-le-champ par sa
fille, qui lui conseilla d’aller s’y établir le premier : « Vous
retournerez ainsi, fit-elle ajouter par le messager, les sor­
tilèges contre le sorcier, qui sera pris dans ses propres
embûches ». Mibambge se fait aussitôt porter à l’endroit
désigné. Parvenus sur le terrain convoité, ses gens se
mettent à l ’œuvre. On nettoie la colline pour y construire
la résidence royale, pendant que les tambours qui accom­
pagnent le roi annoncent aux échos d’alentour la nou­
velle de son arrivée et sa prise de possession. Le sorcier
s’était également mis en route, quand du sommet d’une
colline (à Kabere de Gihinira) le bruit des instruments
arriva jusqu’à lui : « Mais n ’est-ce pas, s’écria-t-il sou­
dainement, le tambour de la capitale (umulishyo w’ibgam i)? » « Non, lui répondent ses porteurs, ce ne sont
t1) Pour l ’intelligence du récit, il faut se rappeler qu’une jeune fille
qui arrive à l ’âge nubile avec cette particularité physique est considérée
comme un malheur est un danger pour la contrée qu’elle habite. Avant
l’arrivée des Européens, ces pauvres jeunes filles, que l’on assimilait aux
monstres (ibimara), bien qu’elles n’eussent aucune ressemblance avec
ces derniers, étaient invariablement vouées à la mort. Le peu de dévelop­
pement de leurs seins (ibere, amabere) leur était imputé à crime, comme
pouvant avoir une répercussion dans la région. Le « trou » du Bugessera
doit sa réputation tragique à ces sortes d’exécutions. Pour ensorceler
leurs ennemis, les Banyarwanda estimaient aussi pouvoir s’en servir
dans ce but, en exposant aux coups des assaillants ces infortunées
victimes.

UN

ROYAUM E

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AU

CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

379

probablement que les fabricants de ces instruments
(abiru), qui travaillent à leur métier dans la forêt, où ils
ont été chercher les troncs d’arbre pour en faire des caisses
de tambour ». Mashira n ’était pas rassuré. Après un bout
de chemin, le doute n ’est plus possible : « J ’en suis sûr,
dit-il, ce sont les tambours du roi Mibambge qui m ’a
devancé à la « Capitale des Sortilèges ».
Il fait aussitôt entr’ouvrir la terre sous ses pieds et il y
disparaît (aligitira) à jamais. Restaient encore son fils et
sa femme Ntobga ou La Souillure, qui l’accompagnaient :
« En avant! » cria aux gens cette dernière, qui voulait
jouer son rôle jusqu’au bout. « Continuons notre che­
m in ». On venait d’atteindre Nyagisenyi. Le fils du sor­
cier, jouant, lui aussi de malheur, glisse par mégarde
sur une de ces... « horreurs sans nom » (amabyi) que l’on
rencontre quelquefois le long des sentiers. « Donnez-moi
une serpe », hurla-t-il. Et sans hésiter un instant, il se
coupe le malencontreux pied, préférant le perdre plutôt
que de le garder contaminé.
Il expire sur-le-champ et les oiseaux de proie eurent
vite fait de dévorer son cadavre. L’épouse au nom à m au­
vais présage, voyant que tout réussissait à souhait, se
réjouissait dans son cœur, escomptant un accueil chaleu­
reux de la part de son père. Elle n ’avait plus q u’une rivière
à traverser et elle allait se trouver en présence de celui
dont elle avait si bien rempli les recommandations et
sauvegardé les intérêts.
Elle ne se doutait pas que son nom, son infirm ité et
l’intim ité q u’elle avait eue avec le sorcier, en partageant
sa vie, l’avaient déjà depuis longtemps rayée du nombre
des vivants. Les envoyés du roi se trouvaient au passage
de la rivière en question: « Mibambge-Mutabazi, s’écrientils, te défend de mettre les pieds dans le Rwanda. Il t’est
absolument interdit de boire au lait des vaches du pays,
pour q u’il n ’arrive pas malheur à ces dernières. Ne souille
pas l’eau et l’air du pays par ta présence ». Ils font en

580

UN

ROYAUME

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AU

CENTRE

DE

^ A F R IQ U E

même temps signe à ses gens de la ramener ailleurs que
dans le Rwanda. Il fallut rebrousser chemin au grand
désappointement de l’infortunée princesse. C’est en vain
q u’elle s’adressa à la pitié de ceux dont elle traversait le
pays. On connaissait partout la malédiction qui pesait
sur sa tête. Non seulement les habitants lui refusaient
l ’hospitalité, mais on allait ju squ’à lui refuser de l’eau
pour apaiser sa soif. Repoussée de tous les côtés, elle attei­
gnit la province du Buganza, où elle supplia les gens de
lui donner à boire. Elle était presque mourante.
Touché de compassion, un habitant du pays lui pré­
senta sa cruche. C’est pour cela, ajoutent les gens, que le
Buganza est devenu si sec et q u’on n ’y trouve presque
plus d’eau. La princesse fut ensuite conduite sur les fron­
tières de l ’Urundi, où elle tomba d ’inanition.
b)
Deuxième version. — Les faits se passèrent un peu
autrement, d’après les tenants d’une deuxième interpré­
tation de la légende. Ce qui perdit Mashira, ce fut la que­
relle qui s’éleva entre lui et un de ses neveux (mwishwa),
qui s’appelait Munyanya. Ce dernier était sorcier comme
son oncle. Leur dispute naquit à propos d’un détail
infime. Ils étaient en voyage, Munyanya vient à heurter
un caillou (arasitara) et montre son pied blessé à Mashira,
qui répond : « C’est n ’est rien : il n ’en est sorti que quel­
ques gouttes de sang; il t’arrivera sans doute plus tard de
te blesser plus grièvement ». Le neveu se fâche : « Com­
ment, s’écria-t-il, tu me réponds ainsi! Eh bien, moi
aussi, je te prédis d’avance qu’on te détrônera (bazakuzunguia) ».
Quittant aussitôt son oncle, il se rend à la Cour de
Mibambge, qui résidait au Bumbogo. Il met celui-ci au
courant de ses démêlés avec Mashira et lui demande son
aide et sa protection pour pouvoir le renverser. Quelque
temps après, Mibambge se mit à la tête de ses hommes
et vint attaquer le puissant devin.

UX

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l ’a

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581

Celui-ci avait un chien terrible (Mugina = couleur de
sang) qui m it en pièces nombre de gens.
Munyanya réussit à le tuer, mais il tomba à son tour,
frappé d’une flèche. Ses compagnons l ’enterrèrent à
Kiburazina (la colline qui n ’a pas de nom), non loin de
Mukumguri. Mashira ayant consulté les sorts, reconnut
aussitôt l’endroit où il avait été inhum é : « C’est ici la
tombe de mon neveu, dit-il à ses hommes, exhumez son
corps et emportez-le à Gichikira, dans le Bumbogo, où
réside Mibambge ». Ses ordres furent exécutés; le roi
hamite l’apprit presque à l’instant : « Prenez-le, s’écriat-il, et rapportez-le dans le Nduga, chez Mashira, à Mashoza ». Le sorcier est averti à son tour; le cadavre fut
pour une deuxième fois reconduit par delà la frontière au
Bumbogo.
Mibambge le fait encore reprendre par ses gens et porter
au Ndiza que gouvernait Mashira. Le lieu où furent dépo­
sés les restes de Munyanya était une termitière (um ugina).
Il en sortit une antilope (uzamo impongo). Le fait pro­
digieux arriva à la connaissance du sorcier : « Ne chas­
sez plus, à cet endroit, dit-il à ses fils, et ne mettez pas le
feu aux hautes herbes, car il nous arriverait malheur si
l’antilope qui est sortie du tombeau de Munyanya venait
à être égorgée ou périssait dans les flammes par notre
faute ». Du Ndiza, où il était allé, Mashira revint dans le
Nduga à sa résidence préférée. Ses enfants, après son
départ, ne tinrent aucun compte de ses recommandations.
Emportés par la passion de la chasse, ils partirent dans la
montagne et réussirent à tuer deux antilopes. Pensant
faire plaisir à leur père, ils voulurent le rejoindre dans le
Nduga, pour lui remettre les deux peaux. Or, au moment
où les deux antilopes tombaient sous les coups des chas­
seurs, Mashira, qui était en voyage, glissa sur une de
ces... horreurs dont il a été précédemment parlé. Affolé
par ce nouveau malheur, il prend une serpette (umuhoro)
et se coupe le pied. Arrivés aux deux villages appelés

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UN

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Gichuri et Mbeba, les malencontreux chasseurs apprirent
la mort de l’auteur de leurs jours. Le Nduga et le Ndiza
passèrent dès lors aux mains de Mibambge.
c)
Troisième version. — Mashira, d’après une troi­
sième légende, possédait plusieurs habitations sur la
Butte (Kigina), dans le Ndiza, près de Sabusaro, puis à
Muhanga, non loin des sources où l’on abreuve les trou­
peaux.
Celle q u’il fréquentait le plus était à Kivum u de Nyarenga.
11 y faisait de longs séjours parce qu’il y retrouvait son
épouse préférée. Ce fut la fille de cette femme qui devint
la cause de tous ses malheurs.
On l’appelait Bgiza, c’est-à-dire la Beauté par excel­
lence. Elle avait été demandée par un prince autochtone,
Rugayi, du pays de Buzi (au Nord du lac Kivu) : « Donnemoi ta fille en mariage, avait dit le prince à Mashira, puis­
que nous régnons de concert dans le Bwanda, où nos
sujets vivent en paix! » Les noces devaient bientôt se
célébrer.
Un jo ur que Bgiza était allée avec ses compagnes faire
la cueillette d’herbes fines pour tresser des nattes, elle
fit la rencontre de Mibambge-Mutabazi, le roi hamite dont
les possessions étaient limitrophes de celles de son père.
A la vue de la jeune fille, il éprouva le violent désir de
la posséder (aramulola aramubengukwa). Incapable de
continuer sa chasse, Mutabazi repasse le fleuve avec sa
suite et rentre au Bumbogo. Faisant aussitôt couper dans
ses bananeries les régimes les plus mûrs, il ordonne q u’on
lui prépare de nombreuses cruches de bière : « Q u’on
m ’avertisse aussitôt qu’elles seront prêtes! » avait ajouté
Mutabazi. Les serviteurs avaient reçu la recommandation
expresse de ne pas y verser une goutte d’eau. Quant le
pombe eut atteint la fermentation voulue, le roi hamite
se mit en route avec ses gens pour aller trouver Mashira.
Parvenu à son habitation de Kivumu, il se fit annon­

UN

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l ’a

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583

cer (baravunyisha). « Qui est là? » demande le princemagicien. On lui répond que le personnage qui demande
à le voir n ’est autre que « Celui en l’honneur duquel 011
bal le tambour royal » (Semubambuzu’ishakwe) et q u ’il
vient du Bumbogo. Mashira lui fait dire aussitôt q u’il est
le bienvenu. Mutabazi entre avec les porteurs de bière.
On lui offre un siège. Les saluts s’échangent... Mutabazi
enjoint à ses compagnons d’enlever les écorces et les
feuilles de bananes dont les cruches ont été enveloppées
et en fait goûter, selon la coutume, à l’un de ses servi­
teurs : « La bière est à point », affirme celui-ci. Mutabazi
en prend à son tour et invite Mashira : « C’est une boisson
vraiment royale », répond le sorcier, qui remet le chalu­
meau au roi hamite. « 11 11c faut pas, reprend ce dernier,
que j'oublie de te dire le but de m on voyage. Je désire
me marier et c’est dans ta famille que je veux me choisir
une épouse ». Je suis à ta disposition, répond Mashira,
mais il me faut à mon tour des vaches (comme prix d’achat
de la fiancée).
« Sois sans crainte, reprend Mutabazi. Je te prie de ne
pas avoir d’autre souci, je t’en donnerai. Mais la femme
que je désire, ce n ’est pas telle ou telle d’entre tes filles,
c’est Bgiza que je demande. » « Hélas! Elle ne m ’appar­
tient plus, ajoute le sorcier, son mari est déjà choisi. »
A ces mots « le vent du m atin souffle avec violence, les
deux bouts de l’arc de Mutabazi se rejoignent, la colère
le prend dans le dos » (l). Le roi hamite jette au loin le
chalumeau dans lequel il venait de boire. Mashira essaie
de le calmer. « Ne te fâche pas, je t’en supplie, ô toi le
maître du pays où coule le lait frais! (mwami wo m u
butem b’ inshyushyu...) » « Comment, réplique celui-ci,
paurrais-je conserver la paix, puisque Bgiza ne peut plus
m ’appartenir et que c’est elle seule qui a pris m on cœur ».
(l )
Umuvumbi uvumbira mw’ ivumbiro, uburake abukubira mu mugara... Le conteur emploie une métaphore pour dire la surprise et la
déception du roi.

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Le prince-sorcier revient à la charge : « Ne te mets pas en
colère, j ’ai d’autres filles. Je vais les faire venir, tu feras
ton choix parmi elles ». « Je les connais, riposte Mutabazi,
elles sont plus âgées que Bgiza. Je n ’en veux pas d’autre
qu’elle... »
Et sur ce il sort de la case de Mashira, bondit par-des­
sus la marche d’escalier (gitabo) et ordonne à ses gens
de le suivre. Mashira les engage par politesse à repren­
dre les cruches de bière, pour qu’ils les remportent chez
eux. « Nous avons d’autres potiers chez nous », s’écrie
Mutabazi, irrité. Les serviteurs du sorcier veulent lui faire
un pas de conduite, le roi hamite se dérobe à tout essai
de conciliation. Il traverse au pas de course les villages
de Nyarenge, Mpushi, Gasseke, passe le fleuve de la Nyabarongo et arrive en fou furieux dans le Bumbogo...
Le chagrin de n ’avoir pu décider Mashira à lui donner
sa fille Bgiza, fut cause q u’il rompit les relations qu’il
entretenait avec le sorcier. La guerre éclata entre les deux
princes. Mashira, vaincu, se donna la mort pour ne pas
tomber entre les mains de son ennemi.
Les choses durent se passer beaucoup plus simplement.
Le roi Mututsi, se sentant plus fort, ayant peut-être
déjà un pied dans la place où il s’était fait des amis, pro­
fita probablement d’une occasion favorable pour faire la
conquête du Nduga et l’ajouter à ses possessions du NordEst.
F a it

s ig n if ic a t if

Banyarw anda

on t

m ontrant
attachée

l ’im p o r t a n c e
au

rôle

de

que

les

M a s h ir a .

Les faits et gestes attribués par la légende à Mashira,
considéré comme le plus grand des sorciers-devins, lui
ont valu une place de choix dans les récits et les tradi­
tions. On y rencontre souvent son nom. On l ’honore pour
ce motif dans la société secrète de Byangombe O ; il en
(') On pense que ce culte original est d’origine hamite et qu’il a été
importé par les Batutsi dans le Rwanda. Une tradition indigène ajoute
qu’il serait venu des pays d’au delà du Ndorwa (Nord), de chez les Rach-

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est considéré comme l’un des fondateurs, et non des m o in­
dres, parmi les compagnons de Ryangombe.
Celui qui représente et joue le rôle de Mashira, durant
les cérémonies qui se célèbrent en son honneur, tient à la
m ain une sorte de baguette en fer (igihosho), qui rappelle
son pouvoir de sorcier. La pointe de cette baguette ressem­
ble vaguement à un sabot de vache (imbâri). On dépose
auprès de lui une cruche à bière, ayant deux ouvertures,
avec un chalumeau à chacune de celles-ci. La cruche du
sorcier ne doit contenir que de l’hydromel. A quels souve­
nirs du passé veut-on faire allusion? Peut-être est-il vague­
ment question dans ces figures symboliques de la
demande en mariage de Mibambge-Mutabazi, qui apporte
à Mashira de la bière du meilleur cru et lui promet des
vaches. Celui qui veut honorer Mashira doit faire shi! shi!
shi ! comme s’il tremblait de froid ou de peur. On a oublié
le sens de ce geste. C’est peut-être dans la fin malheureuse
du roitelet q u’il faut en chercher l’inspiration et l’inter­
prétation.
wezi. Il est vraisemblable que ces Bachwezi, que l’on croit avoir habité
le Nkole ou l ’Unyoro, ne soient autres que les premiers Hamites de
l ’Uganda. Ajoutons que les Banyarwanda se sont appropriés la société
secrète des initiés.
Des fondateurs et des grands personnages honorés par les adeptes, ils
ont fait des êtres réels et vivants, qui auraient vécu dans le Rwanda
même. C’est ainsi que Ryangombe passe pour avoir été tué par un buffle
dans le Rwana-Mkali, un peu au Sud de la mission de Nyaluhengeri.
L’endroit est désigné sous le nom de Nyabikenke de Kavumu; on y trouve
encore un énorme « ficus » que les indigènes croient être l’arbre sous
lequel Ryangombe mourant se serait appuyé quelques instants. Personne
n ’habite sur cette colline, qui est considérée comme un lieu maudit. Le
pays a la réputation de porter malheur à ceux qui s’y aventurent. Il est
absolument interdit aux initiés de s’y livrer à leurs cérémonies habi­
tuelles.
Au bas de la colline coule un petit ruisseau
(je n’ai pas d’eau), qu’il n’est pas permis à ces
ser, sinon quand ils reprennent leur condition
qu’ils rentrent dans la vie commune. (Cf. Livre

appelé « Mbur’ amazi »
mêmes initiés de traver­
d’hommes ordinaires et
quatrième.)

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CHAPITRE IV

Un épisode de la guerre contre l’Urundi.
La mort de Gihana, fils du roi Chyilima II Ludjugira.
L’événement eut lieu sous le règne de Chyilim a II Ludjugira, il y a à peu près deux cents ans. Ce n ’est là q u’un
des multiples épisodes de la guerre contre l’Urundi. Les
rois hamites des deux royaumes furent presque toujours
ennemis et ne cessèrent de se disputer la possession des
provinces limitrophes du fleuve de l’Akanyaru. 11 ne se
passa presque pas de règne sans que Barundi et Banyar­
wanda n ’en vinssent aux mains. Dans le récit en question,
Gihana, le fils du roi Chyilima II, qui était à la tôle des
troupes, est vaincu et tué dans le combat. La légende s’est
emparée du fan et a embelli le héros. Nous ne changerons
rien aux lignes suivantes qui relatent le dévouement du
jeune prince.
I.

UNE PREMIÈRE VERSION.

1° La fam ine; consultation des devins.
Choix d’un Libérateur.
Longue attente et nombreux préparatifs.
Chyilima II Ludjugira régnait sur le Bwanda depuis de
longues années. Il avait quatre fils, Kigeri-Ndabarassa,
qui devait lui succéder, Gihana, Binama et Sharangabo.
On les avait surnommés « Abatangana » (ceux qui ne se
détestent pas), tant la chose était rare dans les familles
royales.
Or, il y eut une grande sécheresse, la famine sévit sur
le pays avec son cortège de maux. Bêtes et gens mouraient
en foule...
Le roi fit appel aux sorciers-devins, pour savoir quelle
était la cause d’une si grande calamité. Après avoir con­

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sulté les sorts (kulaguza), les sorciers découvrirent que
c’était Ntare, le roi de l’Urundi, qui avait déchaîné tous
ces malheurs sur le Rwanda : « 11 faut aller l’attaquer et le
vaincre, disent-ils; l’abondance reviendra dans le pays. »
Les a ugures désignent Gihana, le fils du roi, comme
devant être le Libérateur (Umutabazi).
La mère de ce dernier vient aussitôt trouver le roi : « Je
t’en prie, lui dit-elle, ne laisse pas encore partir Gihana.
Il est trop jeune. Q u’il fonde d’abord une famille et nous
laisse des petits-fils, qui resteront auprès de nous. Chvilim a se laisse toucher. Quatre jeunes filles sont présentées
de sa part au jeune homme pour qu’il fasse choix parmi
elles d’une épouse. Aucune de ces dernières n ’est agréée.
On lui en amène quatre autres q u’il accepte. Deux d’entre
elles ne tardent pas à donner des signes de maternité.
Pour hâter leur délivrance, Gihana leur fait porter des
amulettes et elles mettent au monde deux fillettes, dont
l ’une fut appelée Nyiraminoga (la fille au gros nez).
A cette nouvelle, le roi fait dire à son fils q u’il est
temps de partir en guerre. La mère intervient encore et
supplie Chyilima-Ludjugira de lui donner un peu de répit.
Ses brus n ’ont que des filles et elle voudrait bien des gar­
çons. Chyilim a ne reste pas sourd à ses supplications.
Quelque temps après les deux autres jeunes femmes don­
nent le jour à deux garçons, Munana et Sebishabure (ou
Sclembo). Le monarque insiste de nouveau auprès de
Gihana et l’engage à se mettre en route. « Mais, reprend la
grand’maman, ce ne sont que de nouveaux-nés, permets
à leur père de rester jusqu’au jour où leurs dents commen­
ceront à pousser (bamer’amenyo). » Chyilima, pour en
finir au plus vite, se procure des charmes et les fait porter
chez son fils, en lui recommandant de s’en servir surle-champ pour que ses enfants ne tardent pas trop à avoir
leurs dents. Les philtres sont utilisés et les dents appa­
raissent à l’instant.
Un messager vient annoncer l’heureuse nouvelle au roi,

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qui pense que son fils va dès lors se mettre à la tête des
troupes et commencer l’expédition. Gihana n ’est pas prêt,
il lu i faut des armes et de bonnes armes. Son père lui
envoie son propre arc avec des flèches, des lances et son
sabre (inkota). Le jeune général veut essayer l’arc et le
tend (arayifora), la corde se brise. 11 brandit (gutigissa)
les lances à tour de rôle, elles se brisent entre ses mains,
ainsi que le sabre. Il fait savoir la chose à Chyilima, en le
priant de vouloir bien lui expédier des armes plus solides
que les précédentes. Le prince s’adressa alors à des forge­
rons réputés habiles dans leur métier pour q u’ils lui procu­
rent au plus tôt des armes de bonne trempe. Ils forgèrent
un arc tout en fer, y compris la corde (injishi) et les
flèches (ibigembe ni nti). Serpe, lances, bouclier avec la
poignée toute en fer, furent remis sans tarder au souve­
rain, qui les fit porter chez Gihana. Celui-ci en recom­
mence l’essai comme précédemment. L’arc est tendu si
violemment que les deux extrémités se touchent (irtipembe
zirakomana), mais ne se rompent pas : <( Voilà ce qu’il
me faut, s’écria-t-il 'd’un ton joyeux, c’est l’arme d’un
guerrier ». Les lances à hampe en fer forgées d’une seule
pièce lui donnent la même satisfaction. Il prend la serpe
et passe la m ain sur le tranchant (ubugi) : « Le fer est
bon, mais on ne l ’a pas aiguisé ». Il renvoie la serpe à son
père. Il ne fallut pas longtemps pour le contenter. L ’in­
strument revint aiguisé à fond, comme savent le faire les
forgerons habiles. Tout était prêt. Il n ’y avait plus de
raison pour retarder l’entrée en campagne dont dépen­
dait le salut du Rwanda.
2° Le départ de Gihana. Sa rencontre avec le roi de
l’Urundi. Un duel est engagé. Le dénouement et la
mort du Libérateur.
Gihana réunit une dernière fois sa famille. Une vache
grasse (ingumba) est égorgée; on boit force cruches de
bière, non sans les avoir offertes d’avance aux esprits,

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afin de se les rendre favorables. Le Libérateur quitte les
siens et se met à la tête de ses troupes, pour partir vers
rU rundi.
Arrivés dans la forêt qui avoisine le fleuve de l ’Akanyaru et qui les sépare du pays ennemi, les Banyarwanda
s’y bâtissent des huttes de branchages (bach’ ibilaro), en
vue d’v passer la nuit. Ntare, le roi de l’Urundi, avait juré
que nul Munyarwanda ne passerait la frontière sans qu’il
lui en coûtât. Dès le lendemain, les hommes du général
munyarwanda traversent le fleuve et vont incendier les
villages qui étaient à proximité. Mis au courant de l’enva­
hissement de son teritoire, Ntare accourt et demande à
parler au chef ennemi. Il apprend qu’il a affaire au fils
de Chyilima. Gihana tout d ’abord ne veut pas se présenter.
Il envoie un de ses familiers auquel il prête ses vêtements
royaux, afin de donner le change à Ntare. Celui-ci décou­
vre la supercherie et refuse de discuter avec lui. Un deu­
xième personnage se présente; Ntare l’oblige à confesser
q u’il n ’est que l’oncle de Gihana. Le cousin (mubyara) de
ce dernier vient ensuite se donner comme étant le prince
royal en personne. Il est impossible de surprendre la
bonne foi du roi de l’Urundi, qui, lui aussi, a ses devins
et ses sorciers pour le renseigner et le mettre en garde
contre les agissements et les embûches de ses ennemis.
A bout d’expédients, Gihana traverse le fleuve à son
tour et vient au-devant de Ntare, qui lui propose un
combat singulier, c’est-à-dire un duel à deux : « Tu es
jeune, lui dit le roi de l’Urundi, engage la lutte, je te laisse
porter les premiers coups (simbanz’umwana) ». Gihana
décline l’offre qui lui est faite : « Non, commence donc
toi-même ». Ntare prend sa lance, la brandit au-dessus de
son épaule et vise son partenaire qui l’évite en bondissant
sur le côté (arayizibukira). Une deuxième lance n ’a pas
plus de succès que la première. Gihana, moqueur, l ’évite
avec la même dextérité : « Begarde donc comment un
vrai guerrier sait se garer. Quant à toi, Ntare, place-toi

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bien, afin que je ne te manque pas (umere neza, nguhe). >
El ce disant, il brandit à son tour sa lance, qui frappe
en plein Ntare. Celui-ci s’écroule à terre, en gardant toute
sa connaissance. Gihana s’approche de lui pour l ’achever :
k Attends donc un peu, lui dit le blessé. Deux combattants
après la bataille ne sont-ils pas comme des frères (abavuye
m w ’ itabaro, bavuy’ ind’ imwe) ». D ’après les uns, il lui
lègue sa femme et ses enfants, afin q u’il les prenne sous
sa protection après sa mort. Les autres lui prêtent le
langage suivant : « Avant de me tuer, montre-moi ton
sabre, afin que je voie comment on forge les armes dans
ton pays ». Le vainqueur, sans aucune défiance, lui pré­
sente son arme en demandant au blessé de lui offrir la
sienne, afin q u’il l’examine pareillement : « La tienne est
bien forgée, ajoute Ntare, mais son tranchant n ’est pas des
plus effilés ». « On ne forge pas mal chez vous autres,
répond Gihana, ton sabre est mieux travaillé que le mien.
Allons, mets-toi comme il faut (mera neza) que je te
coupe les bras. » « Rends-moi mon sabre, reprend Ntare,
et sers-toi du tien. » Le prince munyarwanda venait de
se pencher pour amputer le bras droit de son ennemi
quand celui-ci soudain, jouant de son arme, lui transperce
la poitrine. Gihana tombe à son tour à la renverse. Avant
de m ourir il porte la main à sa blessure et en prenant du
sang il le répand du côté de l’Urundi : « J ’ai vaincu ce
pays, s’écrie-t-il et je le maudis ». Une deuxième fois il
fait le même geste de puiser à sa blessure. 11 en sort alors
du lait q u ’il verse du côté du Rwanda : « Que le lait coule
à flots dans le Rwanda! », voulant par là attirer les béné­
dictions sur sa patrie. Il meurt en prononçant ces dernières
paroles.
La sécheresse prend aussitôt fin dans le Rwanda. Les
nuages réapparaissent répandant sur le pays leurs ondes
bienfaisantes... Les récoltes furent abondantes, les pâtu­
rages reverdirent et les habitants se reprirent à vivre. Le
Libérateur Gihana avait sauvé le pays.

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L ’Urundi pâtit de la mort vengeresse du prince ennemi.
Des maux sans nombre l’assaillirent après la malédiction
de Gihana. Celui-ci, en effet, s’était transformé en buis­
son (igihuru). Les Barundi, furieux, y mettent le feu.
L’incendie se propage à l’instant dans toute la contrée,
consumant les récoltes et anéantissant les pâturages.
Gihana se change alors en bâton (inkoni) Les Barundi
le brisent, le bâton résiste à leurs efforts, en remplissant
la contrée de ses clameurs (ikavuz’ induru). Se croyant
attaqués par des ennemis imaginaires, les Barundi se
jettent sur leurs armes, se précipitent dans toutes les
directions et s’entr’égorgent sans se reconnaître. Gihana,
enfin., se change en vache. Les Barundi la tuent et en
mangent les chairs; ils en meurent jusqu’au dernier.
D ’après une autre version, Gihana, au lieu de mourir
de sa blessure, disparut soudain aux yeux de ses compa­
gnons (araligita), qui ne virent devant eux q u’une sorte
de tumulus (umugina) comparable aux nids de fourmis
blanchefe que l’on rencontre dans la région.
Bref, la mort du Libérateur remplit d’effroi les
Barundi. Aussi pour calmer son esprit ses ennemis lui
élevèrent-ils une habitation sur le lieu du combat, à Muharuro. Pour gagner ses bonnes grâces, ils lui constituèrent
sur place un petit troupeau de vaches avec des serviteurs
chargés de garder l’habitation. Le nom de Muyange, son
village natal dans le Rwanda, fut donné à sa nouvelle
demeure. La légende ajoute q u’on n ’a pas cessé ju squ’à
ces dernières années d’entretenir sa résidence et d’y offrir
des sacrifices en son honneur, tant il était redouté des
Barundi.
Ses compatriotes ne l ’ont pas davantage oublié. Tous
les Banyarwanda connaissent, au moins de nom, l’empla­
cement de sa demeure à Muyange, non loin de Butare, sur
la route qui va de Kabgavi à Nyanza. Ses descendants,
Ndibyaliye et Nturo, qui appartiennent au clan des
Banviginya, lui ont élevé chacun une demeure, le pre­

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mier à Mututu, dans le Mayaga (pays chaud, situé à l ’Est
du Nduga), et l’autre à Mukingo, où l’on ne cesse de lui
offrir des sacrifices à l’heure actuelle.
II. — D e u x iè m e

v e r s io n .

Cette deuxième interprétation du dévouement et de la
mort du même Gihana est aussi populaire que l’autre
Nous la donnons telle que nous l’avons entendu raconter.
1° Les préliminaires.
Ludjugira venait de faire son testament (kuraga). Il
avait partagé ses biens entre les trois aînés de ses enfants
et semblait avoir oublié le plus jeune, Ndabarassa. « Com­
ment se fait-il, demande Gihana à son père, que vous
n ’ayez rien donné à Ndabarassa, alors que nous avons tous
reçu quelque chose? » « Chacun de vous, répond le roi
n ’aura q u’à lui offrir une vache. » « A quoi pourront-elles
bien lui servir, reprend Gihana, s’il ne possède en même
temps aucune colline, aucun pâturage? » « Eh bien! cha­
cun de vous lui donnera un village, »
Gihana quitte son père. En rentrant chez lui il trébuche
(arasitara) sur le tas de fumier desséché (ku gitabo)
entassé devant la cour.
Son faux pas lui fait retourner la tête en arrière (akebuka), ce qui lui permet de voir le roi en tête à tête avec
Ndabarassa.
Ludjugira, aussitôt après le départ de ses fils aînés,
avait pris à part le plus jeune et l’avait fait asseoir auprès
de lui. Prenant le tambour palladium : « Voici, mon
enfant, le tambour royal, je te le lègue, tu me succéderas
sur le trône. Pour ce qui est de ton frère Gihana, c’est lui
qui doit se dévouer pour le bien du royaume (gutabara),
on allant faire la guerre à l’Urundi. Ce sera à toi de l’aver­
tir, le jo u r où il comptera quatre garçons dans sa
famille ». Ils se quittèrent après ce colloque.

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Gihana ayant vu que son plus jeune frère avait eu une
entrevue secrète avec le roi, vient le trouver. « Que t’a-t-il
raconté? » Ndamurassa veut se taire; l’autre menace de se
tuer sous ses yeux à l’instant s’il ne rompt pas le silence.
Effrayé, le jeune homme explique que Ludjugira a déposé
le tambour-palladium sur ses genoux (ibibero). « Il m ’a
annoncé de plus, ajoute-t-il, q u’il t’a désigné pour aller
combattre les Barundi, le jour où tes enfants seront au
nombre de quatre. » Sous le coup de cette nouvelle,
Gihana s’approche du tambour sacré et en frappe trois
fois. Étonné de ce bruit, le roi Ludjugira accourt s’infor­
mer : « Quel est donc l ’homme assez téméraire qui a fait
résonner le tambour royal? » « C’est moi, répond Gihana;
je donne le signal du combat, je veux aller à l’Urundi
combattre nos ennemis héréditaires. »
Lud jugira, qui aurait voulu garder le secret de l’expé­
dition, se montre irrité : « Le moment n’est pas encore
venu ». Le fils ne veut rien entendre et insiste tellement
que son père finit par lui accorder la permission : « C’est
bien, tu peux partir ».
Gihana fait ses préparatifs. On lui apporte ses vêtements
et ses armes de guerre, avec les charmes et les amulettes
employées en pareil cas. Les gens qui font partie de son
armée appartiennent au clan des Abalima.
Le Libérateur (umutabazi) se met en route avec eux et
se dirige vers le territoire ennemi.
De son côté, Ntare, le roi de l’Urundi, avait fait le
choix d’un Libérateur pour combattre celui du Rwanda.
Il s’appelait Rulinda, fils de Gakanda. Ntare lui donne
l’ordre de se mettre en marche : « Je viens à peine de me
marier, dit Rulinda, je ne puis pas encore partir ». Quel­
que temps après, le roi le presse de nouveau. Rulinda
répond q u’il est prêt. Il fait part de son dessein à sa
femme. Celle-ci le supplie de n ’en rien faire. Sans se
laisser émouvoir, Rulinda prend ses armes et son bouclier
et quitte la maison : « Je vais me battre ». Il venait juste
MEM. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

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de sortir quand son épouse lui demande en grâce de ne
pas la laisser, sans avoir dansé (kwiyereka) au moins une
dernière fois devant elle. Le mari ne se fait pas prier;
il s’exécute de bonne grâce. « Attends encore un peu, lui
crie-t-elle, moi aussi je vais danser comme savent le faire
les jeunes femmes (nkwiyereke gikobga) ». Tout en par­
lant ainsi elle se donne la mort d’un coup de sabre.
Voyant cela, la mère de Rulinda se pend à son tour
(yiyahuj’ umugozi) de désespoir. Devant ce spectacle
navrant, près de ces cadavres inanimés gisant à ses pieds,
Rulinda s’écrie : « L ’homme fort ne recule pas devant le
malheur » (Urugombve umugabo ruram ujana). Et il part
au-devant de l ’ennemi.
2° Lu lutte et le dénouement.
Les deux Libérateurs se trouvèrent bientôt en face l’un
de l’autre : « Commence donc, lui crie aussitôt Gihana, et
frappe-moi de ta lance (uter’ icchumu, umbanze) ». de porter les premiers coups », répond l’antagoniste.
Gihana prend son arme et la brandit dans la direction de
Rulinda, qui roule à terre. Mais il n ’est nullement blessé,
il n ’a été atteint que par le choc du bois de lance.
C’est la violence du choc qui l’a renversé On était sur
le soir, la nuit commençait à tomber et le combat touchait
à sa fin. Rulinda, en effet, se relève et jette sa lance sur
Gihana qui tombe, la poitrine transpercée.
Il ne lui reste que quelques instants à vivre. Mourant,
il a encore la force de recueillir (avora) le sang de sa
blessure q u’il répand du côté de l’Urundi. Son cadavre
disparaît soudainement sous un tum ulus (intum bi y’ iraiigita, hahinduk’ um ugina). Rulinda n ’ayant plus d’adver­
saire avec qui il puisse lutter, se donne la mort parce
q u’il avait été choisi, lui aussi, pour se dévouer et délivrer
son pays (ariyicha kv’ ar’ umutabazi atari bugarukeyo).
Gihana n ’avait pas répandu son sang en vain. La famine

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se répandit dans l’Urundi, y causant des ravages (amapfa
arahatsemba, c’est-à-dire la lamine détruit tout). Le roi
fait aussitôt consulter les devins pour savoir ce qui mettra
fin à pareille calamité. Les sorciers se mettent en devoir
de questionner 1’ « esprit » de Gihana et le font parler par
le moyen de la petite courge aux osselets révélateurs
(baslior’ um uzim u we, baramushika m u kinyege) (*).
« C’est moi, répond l’esprit de Gihana, qui ai déchaîné la
famine et fais mourir vos bêtes. » « Que veux-tu donc,
reprennent les sorciers, pour que tu restes en paix? »
« J ’exige que vous me bâtissiez une demeure à l ’endroit où
je suis tombé. Cherchez-moi aussi une épouse, ainsi que
des serviteurs et constituez-moi un troupeau de vaches qui
m ’appartiendront en propre (Nshak’ ulugo rwanje i
Muyange, n ’inka zanje Nyamumpe, n ’ingabo zanje Abalima, nuko mundongolera). » Le roi de l’Urundi fit exécu­
ter ses volontés. On lui constitua sur place un home fam i­
lial comme il l ’avait demandé. L ’endroit fut appelé
Muyange, du nom de son pays natal; ses serviteurs se nom ­
mèrent Abalima, du nom des gens qui l’avaient accom­
pagné, et les vaches Nyamumpe, c’est-à-dire « celles qui
m ’appartiennent en propre ». A l’instant les fléaux cessè­
rent. l ’abondance revint dans l’Urundi.
Le roi du Rwanda, ayant appris que le calme et la paix
régnaient dans l’Urundi, appela à son tour les gardiens des
traditions (Abiru) et leur demanda ce qu’il fallait faire
pour ramener le désordre et la famine chez les ennemis.
L’un d ’entre eux, qui appartenait au clan des Abatsobe,
répondit : « Je vais me dévouer et me faire tuer. Mon
sang me vengera et mon esprit ne cessera de leur attirer
des malheurs (Ndatabaye, amarasso yanje azampôra, n ’iy'
azatsind’ U burundi n ’ um uzim u wanje). Le roi consentit
à son sacrifice. L’homme s’appelait Rubona.
Il pénétra dans l’Urundi, sans être suivi d’aucun guerf 1)

Voir la Divination au Rwanda, par le P.

A rn oux .

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lier. Dans la forêt il rencontra un Murundi qui l'égorge,
sans q u’il oppose aucune résistance. Son esprit rencontra
aussitôt celui de Gihana, qui lui demande le m otif qui l’a
amené dans le pays : « Je suis venu déchaîner tous les
maux », répond-il. Réunissant leurs efforts, ils réussissent
à attirer sur leurs ennemis des fléaux sans nombre.
La famine, en effet, revint avec son cortège d’épidémies.
0 malheur sans pareil et chose qu’on n ’avait jamais vue!
« les bergeronnettes vinrent en foule percher sur les cornes
des vaches » (inyamanza nyinshi zija ku mahembe y’
inka). Les Barundi recoururent aux aruspices et aux m agi­
ciens. L’esprit de Rubona se découvre : « C’est moi le
maître de vos villages (Ni nje Nyamihana), c’est moi qui
parcours vos villages ». Les Rarundi ne purent absolu­
ment rien sur lui, il ne cessa de leur faire du mal (ababera
m ubi). On essaya de choisir d’autres Libérateurs; leur
sang fut répandu inutilement. Le mal était sans remède.
A bout de ressources, les sorciers avouent au roi Ntare que
c’est lui-même qui doit -offrir sa vie : « Le royaume a
besoin de toi, de ton sang (ingoma yakugombve) ». Le
prince n ’hésita pas. Il passa la frontière et s’avança au
milieu des Ranvarwanda, qui le tuèrent. Son cadavre fut
abandonné sur place par les siens. Les Ranvarwanda, qui
en redoutaient les conséquences désastreuses pour leur
propre pays (ngo itazabater’ amarasso mabi), le portèrent
de l’autre côté. Les Rarundi le ramenèrent secrètement
pendant la nuit et pour le dérober aux recherches de leurs
ennemis, ils le suspendirent à un acacia à épines (umunyinya), au plus épais de la forêt.
C’est ainsi que son sang vengea l ’Urundi et que les
habitants de ce dernier pays purent vivre en paix durant
des « milliers de règnes » (ingoma ibihum bi!) sans être
inquiétés par les Ranvarwanda.

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CHAPITRE V
Immigration dans le Bugoyi d’une peuplade étrangère
connue sous le nom significatif de
« Muets » et de « Couvreurs de toits en terre » O).

Les Muets (Ibiragi), c’est ainsi qu’ils furent appelés
parce q u’ils parlaient une langue inconnue à laquelle les
Banyarwanda n ’entendaient absolument rien.
On les désigna encore sous le nom de Couvreurs de
toits en terre (Abassakaza-taka, en langue indigène), parce
que les nouveaux venus avaient une façon spéciale de
couvrir le toit de leurs cases (2).
Ces détails, ainsi que celui du prétendu teint blanc de
leur visage, de l’habitude qu’ils avaient de fumer dans de
grosses pipes d’argile et d’autres particularités remarquées
chez cette étrange peuplade, frappèrent vivement l’atten­
tion et l’imagination des contemporains. Aussi le souvenir
des curieux immigrants est-il resté vivace dans le pays.
Les missionnaires ne furent mis au courant de cet épi­
sode que quelques années après leur arrivée. Les habitants
de la contrée, croyant voir en eux, bien à tort, les descen­
dants de ces étrangers, s’étaient tout d’abord abstenus de
tout retour et de toute allusion sur ce passé sanglant. Ils
redoutaient ces nouveaux Blancs, qui, pensaient-ils, ne
manqueraient pas de se venger, s’ils venaient à apprendre
que leurs ancêtres avaient été autrefois massacrés dans la
région.
________
f1) La province du Bugoyi s’étend au Nord-Est du Kivu. Elle est en
m ajeure partie volcanique et renferme de nombreux cratères. Elle se sub­
divise en districts : Rwerere, Byahi, Masizi, Gahondo, etc. Lors du par­
tage de l ’Afrique et de la dernière délim itation belgo-allemande, le
Bugoyi avait été am puté du Kibati, dont les habitants étaient d ’origine
« m uhunde » et avaient été soumis, il y a à peine deux siècles, par les
princes hamites du Bw anda.
(2) Le Bugoyi, à cause de ce détail, est quelquefois désigné sous le nom
de « Pays où l ’on couvre les toits en terre » (i Busakaza-taka). C’est le
terme qui lu i est consacré dans les récits et les légendes.

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I. — A r r iv é e des « M uets » dans la p r o v in c e du B u g o y i .
L e u r s s in g u l a r it é s et l e u r s d é m ê lé s avec les h a b i ­
tants

DE LA CONTRÉE.

L’événement se déroula au Nord-Est du lac Kivu, dans
la petite petite province du Bugoyi, où se trouve la mis­
sion de Nyundo, fondée en 1901.
Les premiers Bayarwanda qui vinrent s’y établir au
m ilieu des rares habitants installés dans la plaine, étaient
orignaires de Suti (de Banega), village situé dans le
Munyambiriri. Ils avaient comme chef de famille Macchum u (l'Homme aux lances) que l ’histoire locale a sur­
nommé Magoyi (l’homme par excellence du Bugoyi).
Leurs descendants forment un clan encore puissant et
s’appellent Abagwabiro, du nom du père de Macchumu,
Migwabiro.
Les ancêtres de Macchumu, du clan des Basinga, étaient
venus du Ndorwa (1) , à une époque reculée. Ils se fixèrent
à Suti, en qualité de « pluviateurs » ou faiseurs de pluie
et préservateurs des récoltes. Ils prirent le nom ou plutôt
les Banyarwanda leur décernèrent le titre de « abahinza »,
fi cause de leur pouvoir sur les saisons, considéré par les
indigènes comme un privilège et un attribut de la royauté
des princes autochtones (2). Les titulaires du « tambour »
de Suti prennent, comme le font les rois hamites de
f1) Le Ndorwa, comme le NUole qui lu i fait suite, est connu sous le
nom de « R u liim a », c’est-à-dire le pays par excellence des B a h im a (ou
Batutsi).
Un autre membre de ce même clan des « Basinga » du Ndorwa, appelé
Rugabo, s’était égaré à la chasse, au pied du Mikeno, dans la région
au jo urd’h u i appelée Bgisha, alors déserte et couverte d’arbres. Le pays
lu i plut, il quitta son village natal et vint s’y installer avec les membres
de sa fam ille, à une époque reculée, où il n ’était pas encore question,
croit-on, des Batutsi, qui ne vinrent en prendre possession que plus tard.
(2) Tous les bahinza, nous en avons là un exemple, ne sont pas des
descendants authentiques des roitelets Bahutu. I l en est qui se décla­
rèrent eux-mêmes « créateurs ou dispensateurs de la pluie », prirent de
l ’influence sur leurs voisins et form èrent officiellem ent souche avec
l ’approbation ou la tolérance des rois ou chefs hamites.

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599

l’Urundi et la plupart des autres bahinza du Rwanda, un
des quatre noms suivants : Gisulera, Tegera, Lukambura,
Batsinda-Gisulera, le dernier titulaire de ce nom fut tué
d ’un coup de pioche par Ruganzu II, à Suti même, sur
le champ où il surveillait les travailleurs.
Le prince avait pris ombrage de son influence (1). Les
Bahutu en foule venaient lui faire la cour et lui appor­
taient des cadeaux.
En d’autres termes, il avait trop de clients (abagaragu).
Le Rwanda était devenu trop étroit pour le sorcier et son
souverain. L’un devait laisser la place à l’autre. Kigeri IV
se débarrassa pour le même motif de Lukambura (2), le
père du m uhinza actuel, Batsinda. Les Bagwabiro du
Bugoyi, descendants des bahinza de Suti, font partie de
la grande tribu m uhutu des Basinga, tous originaires du
Ndorwa.
Il ne reste à l’heure actuelle à Suti que trois ou quatre
familles de ce groupement indigène, mais le possesseur
du « tambour » y exerce toujours ses fonctions lucratives
de « pluviator » et entretient des relations confiantes avec
ses proches du Bugoyi.
On ignore les motifs qui poussèrent Macchumu et ses
compagnons à venir se fixer au Nord-Est du Kivu.
Étaient-ils sous la menace d’une vendetta? Trouvaientils le M unyambiriri peu fertile ou trop peuplé? Leur
esprit aventureux les poussait-il à la conquête de nou­
velles terres ou avaient-ils entendu parler de la richesse
du sol du Bugoyi et de la bonté exceptionnelle du climat?
Nous en sommes réduits aux hypothèses. Quoi q u ’il en
soit, Macchumu, accompagné de parents et d’amis, s’in­
stalla au Bugoyi.
(!) Les « coups de pioche » mortels donnés par le fougueux prince
dépassent l ’invraisemblance. Le fait a p u se produire une fois, deux fois
tout au plus
(2)
La Cour était alors à Gashirabgoba, près de Kam onyi, dans le
Nduga. L ukam bura y avait répondu à l ’appel du potentat qui le fit exé­
cuter séance tenante.

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Le pays était alors en partie à l ’Est couvert par la forêt
de bambous, qui se continuait sans interruption sur la
côte orientale du lac, et dont il reste encore un fort tron­
çon, en dépit des incendies volontaires et des coups de
hache que ne cessent de lui porter les indigènes, toujours
en quête de champs plus productifs. Pour permettre de
situer l’événement dans le temps, les narrateurs racontent
qu’il s’est écoulé sept générations depuis ce jour et citent
pour appuyer leurs dires les noms des sept chefs de famille
qui se sont succédé à la tête du clan des Bagwabiro. Ce
sont Macchumu, l’émigré du Bugoyi, Makombe, Rugaba,
Mukiza, Muhumuza, Ngamije et Lubanzabigwi.
Quand Macchumu arriva au Bugoyi, il trouva dans la
plaine de laves et dans la bande de terre déjà déboisée,
les meilleurs coins occupés par des étrangers venus d’on
ne sait où. Ils parlaient un langage incompréhensible,
construisaient en terre et fumaient dans de curieuses
pipes, assurent les conteurs. Dans la chaleur du récit on
entend même dire que les pipes étaient en cuivre. Les
historiens, trop diserts, ont confondu sans nul doute avec
les bracelets que ces individus portaient aux bras. L’abon­
dance de ce métal a fait prendre un objet pour l’autre
chez leurs dénigreurs, qui en possédaient peu eux-mêmes
et en avaient vu rarement. Leurs houes ne ressemblaient
pas à celles des Banyarwanda. Elles étaient mieux forgées,
plus grandes et différaient des autres quant à la forme (*).
Macchumu et ses gens ne furent pas sans remarquer
q u’elles étaient plus solides et défiaient les pierres de lave
éparses sur le sol.
Ce qui frappa le plus de la part des étrangers, ce fut
la couleur de leur visage.
On n ’avait jamais vu rien de pareil sous le rapport du

(!) Les houes du R w an da ont la forme d ’u n cœur et s’adaptent au
m anche par la partie la plus longue et la plus effilée que l ’on enfonce
à l ’extrémité du dit manche, troué à cet effet. Les houes, forgées sur
place, sont m al travaillées, s’usent et cassent facilement.

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601

teint. Pour cette raison on les appela encore « Hommes
rouges » (Ibituku) et « Hommes blancs » (Abera), dési­
gnations dont se servent fréquemment les Noirs, aujour­
d’hui pour désigner les Européens.
Les Muets étaient nombreux; ils s’étaient divisés en p lu­
sieurs groupes, qui occupaient les collines de Rubavu,
Nkama, Kinigi, Ilemera, Murambi (Kizi), Mahoko,
Nyundo, etc., assez éloignées les unes des autres. Comme
on le voit, l ’une de leurs colonies s’était installée à l’em­
placement de la mission actuelle et avait pour chef un
individu que les Bagoyi, on ne sait pourquoi, surnom­
mèrent Kayumbu.
D ’où venaient ces émigrés? Très vraisemblablement de
l’intérieur du Congo. Ils fuyaient sans doute les Warega
(abaryoko), ces terribles anthropophages qui mirent à feu
et à sang, durant plusieurs siècles, les régions situées au
Nord et à l’Ouest du Kivu. Les ancêtres des Bagoyi, à quel­
ques exceptions près, sont presque tous originaires de ces
malheureuses contrées, q u’ils abandonnèrent pour fuir
les mangeurs d’hommes (*).
Les Muets furent les premiers immigrants, ou tout au
moins venaient de plus loin que les autres, mais leur
nombre fit peur aux nouveaux arrivés de l ’intérieur, qui
ne virent en eux que des ennemis. L’ignorance de leur
(!) Au Nord-Ouest du Kivu s’étendent à perte de vue de vastes espaces
au décor féerique, d ’une végétation luxuriante, riches en essences fores­
tières et en pâturages, coupés et traversés par des ruisseaux lim pides,
où l ’homme est presque une exception. Les W arega en avaient fa it u n
désert.
M. K andt les rencontra dans ces parages en 1900.
Ils furent m is à la raison, en 1911, par le capitaine Brossard, qui s’in ­
stalla à demeure chez eux pour les empêcher de nuire à leurs voisins
et de recommencer leurs tristes exploits. Les rares Bahunde qui ont sur­
vécu à, la broche ou à la marm ite, ont gardé le souvenir de l ’officier
dont ils respectent la m émoire et q u ’ils ont surnom m é A ngalia, du mot
k isw ahili kuangalia, qui veut dire observer, examiner.
Les terribles anthropophages poussèrent une ou deux randonnées sur
les frontières du Bwanda, avant 1900. Ils essayèrent de pénétrer dans la
province du Bgisha, puis dans celle du Bugoyi (à Ngoma et Kibati),
d ’où ils furent heureusement refoulés par les Batutsi.

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langue et leur supériorité accrurent la défiance à leur
égard.
L’imagination des Banyarwanda s’est donnée toute
license sur le thème des Congolais. La réalité est plus
simple.
Pour pénétrer dans le Bugoyi, les Muets q u’accompa­
gnaient des femmes et des enfants, suivirent la voie de
terre et traversèrent le Buyungu, où se trouve la mission
de Pélichy Saint-Joseph, le Kamuronsa et le Nsuro, qui
leur fait suite au Nord du lac. Ils étaient de haute taille
et portaient des bracelets aux bras et aux jambes.
On peut supposer que leur pays d’origine était riche
en minerai, car ils apportaient avec eux de nombreux
instruments et outils en fer. Les Bagoyi ont conservé le
souvenir de leurs grandes houes, de coutelas énormes et
de lances tout d’une pièce en fer forgé O , ainsi que de
longs bâtons aiguisés en pointe (ibiti bisongoye) qu'ils
avaient en mains. Les matrones étaient chargées de
grosses cruches (ibikono) en terre cuite.
Les Bagwabiro ont certainement exagéré en comparant
les Muets aux Blancs.
Ils les ont confondus après coup avec ces derniers à
cause de leur teint légèrement bronzé ou rouge. Les types
de ce genre (inzobe) sont nombreux parmi les Bahutu et
surtout parmi les Hamites. L’existence de toits en terre
ne mérite pas plus de créance. Là encore les Banyarwanda
ont dépassé la mesure et se sont trompés quand ils ont
f1) Les termes kigoyi dont se servent les Indigènes pour désigner ces
armes qui leur firent impression sont : ibiriga, ib ich um u b y ’ im istiito
(au lieu des mots ordinaires, am acchum u, indiga). Ils m arquaient par
là l ’idée q u ’ils se faisaient de leur grandeur ou du m épris q u ’ils y atta­
chaient, par le fait qu’elles appartenaient à des étrangers.
En plus de cette façon de parler peu littéraire qui est fréquem m ent
usitée parm i les Bagoyi, on rencontre chez eux des tournures, des
formes verbales et des termes étrangers au k in y arw and a vg. m w ira =
fiancé, gusam ba = plaider, gukalagira = cultiver ou nettoyer les bananeries, etc., q u i décèlent une origine étrangère et leur parenté avec les
Bahunde du Nord-Ouest du Kivu.

UN R O Y A U M E

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603

vu dans les « tembe » arabes un souvenir des anciennes
constructions des Muets 0).
Il est probable que ceux-ci pour couvrir leurs huttes se
servirent exceptionnellement ou d’une façon habituelle
de légères « mottes de terre » (ibisinde), ainsi que sem­
blent le dire les Bagoyi dans leur idiome vernaculaire.
De là est sortie l’interprétation erronée qui s’est répandue
peu à peu dans le Rwanda et a pris place dans les légendes
el les traditions.
Quant à Macchumu, il ne fut pas peu surpris et mécon­
tent de trouver la place déjà prise. Il avait quitté son pays
natal faute de place peut-être. Il s’établit tout de même
dans la contrée, mais il n ’eut pas à se féliciter du voisi­
nage des Congolais. Des démêlés s’élevèrent entre ces
derniers, ses propres gens et les rares autochtones de la
contrée, surtout au ruisseau de la Sebeya, où l’on allait
puiser de part et d’autre. Les Muets en profitèrent même
pour enlever des femmes.
Se disputer à la fontaine ou à l ’abreuvoir et faire des
rapts sont des détails typiques qui entrent bien dans les
mœurs des peuples primitifs. L’enlèvement des Sabines
par les premiers Romains, à l ’époque de Remus et de
Romulus, est un de ces mille faits communs que l’on
retrouve un peu partout.
Ce dernier a eu toutefois la bonne fortune, si fortune
il y a, d’être mis en vers par un poète.
Il n ’en fallait pas davantage pour mettre le feu aux
poudres. De pareils affronts ne pouvaient rester impunis.
Deux individus, Lugenge et Mabanga, furent aussitôt
députés par Macchumu, pour aller se plaindre au roi
Chyilima II.

(i)
Le « tembe » est une sorte de petit hangar dont toute l'ossature est
en bois. Les parois sont enduites de boue. Le toit lui-même est recouvert
d’une forte couche de terre souvent ravinée par la pluie et que l ’on
renouvelle après chaque orage. Les Arabes semblent avoir été les pre­
miers à utiliser ce mode de construction.

604

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

En plus des griefs déjà cités qui avaient soulevé les
esprits au Bugoyi, les envoyés firent observer au monar­
que que les rebelles dont il s’agissait étaient des sauvages
(abanyamahanga, abashi), donc des êtres méprisables,
les derniers de l’espèce humaine, et qu’ils parlaient non
la langue nationale, mais un idiome inintelligible.
Ces immigrants, par leur présence, souillaient le sol,
l’eau et l ’air du Bwanda et pouvaient d’un jo ur à l ’autre
devenir un danger pour le reste du royaume.
L ’argument ultime dont se servirent les messagers
pour indisposer Sa Majesté Noire contre les Muets était
que ceux-ci ne payaient aucun im pôt et q u’ils refusaient
de se soumettre à l’autorité royale.
Aussi le prince hamite adressa-t-il aux émissaires ses
encouragements et ses plus chaudes recommandations :
« Rentrez vite dans vos foyers, leur dit-il en les congé­
diant, et dites à Maccliumu q u’il n ’ait pas de repos avant
d ’avoir exterminé ces dangereux ennemis ».
IL —

D

é c l a r a t io n

DE LA LUTTE.

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LeS

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de

ces

sur

le

d e r n ie r s

clan

des

.

On attaqua donc les étrangers. Les débuts ne furent pas
heureux pour Macchumu, qui avait trop compté sur luimême. Les forces en hommes dont il disposait étaient
insuffisantes, il avait à lutter contre des gens valeureux.
11 laissa dans la mêlée beaucoup de monde, y compris un
de ses principaux serviteurs dont la bravoure était con­
nue. Sans perdre courage il fit appel à ses voisins et à ses
amis.
Ses parents de Suti répondirent à son appel. Il lui vint
de l’aide de tous côtés, tant paraissait odieuse aux Banyarwanda l ’intrusion des Muets. Un certain Kibogora, fils
de Matambo, dont le pays d’origine était le Gissaka, croit-

UN

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DE L ’A F R IQ U E

605

on, lui offrit ses services, ainsi qu’un autre personnage
du Nduga, un nommé Serutarira, fils de Maguru.
Les petits chefs des environs se mirent dans les rangs.
Parmi eux, les Bagoyi d’aujourd’hui citent avec orgueil
Gasigabuguma, venu du Gishari et installé depuis peu
dans la plaine volcanique, puis les nommés Lugenge,
fils de Nkuba, INteranya, son père et bien d’autres.
Les membres du clan des Bakora se réunirent aux com­
battants.
Les noms des individus, précieux pour l’histoire locale,
se suivent à n ’en plus finir, tant il est vrai que « la bouche
parle de l’abondance du cœur ».
Les habitants du pays, qui comptent à l’heure actuelle
une centaine de clans ou sous-clans, en parlent avec fierté,
parce q u’ils se donnent comme les descendants des guer­
riers qui prirent part à cette lutte. Macchumu, en homme
avisé, s’était mis à la tête des troupes composées d’élé­
ments divers et dirigeait les opérations. Il fut vaillam­
ment secondé dans sa tâche par deux de ses serviteurs
(abagaragu), qui s’étaient attachés à la fortune de leur
maître. Le premier, du clan des Bayovu et qui avait ém i­
gré avec lui, s’appelait Gashiha; l’autre, du clan des
Bagasha, avait quitté le M unyambiriri en même temps que
son compagnon et se nommait Gashi.
Ainsi appuyé, Macchumu reprit l’offensive. On ne se
souvient plus des péripéties de la nouvelle lutte engagée
entre les deux parties, sinon que les Bagwabiro, habiles
chasseurs de tout temps, avaient des chiens qu’on lâcha
au combat.
Les Muets furent, enfin, vaincus. Il en périt un si grand
nombre, car tel est le refrain qui revient dans tous les
épisodes, qu’il fut impossible de les compter (ntibabarika).
Les survivants quittèrent définitivement le pays et s’en
fuirent vers le Nord-Ouest du lac, par le même chemin
q u’ils avaient pris à l’aller, dans une direction inconnue.
On n ’en a plus entendu parler. Leur séjour dans le

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Bugoyi avait été de cinq années. Le triomphe fut exploité
et le bruit s’en répandit dans les provinces du Bwanda.
Les aèdes et les bardes en consacrèrent le souvenir dans
des chants et des récits arrivés ju squ’à nous. Le nom de
Macchumu devint inséparable de celui des Muets et de
leur défaite. Cette brillante action valut au chef victo­
rieux et à ses descendants, les Bagwabiro, un grand crédit
à la Cour des princes hamites.
On profita de cette circonstance pour nommer le pre­
mier gouverneur du Bugoyi dans la personne de
Macchumu.
Le Rwanda, avons-nous dit, avait été divisé en pro­
vinces ou fiefs de mouvance octroyés le plus souvent à
des Hamites qui vivaient habituellement à la Cour et se
faisaient représenter sur place par des intendants ou m an­
dataires (ibisonga) (1). Nommé par le prince et révocable
par lui, le gouverneur ne relevait que de sa juridiction.
Tel un préfet romain, il groupait en son pouvoir la direc­
tion des affaires administratives, judiciaires et fiscales.
Il levait ou faisait lever sur ses gens les impôts en nature,
grains, miel, bières, nattes, chèvres, vaches, etc., pour
les présenter lui-même au roi, après en avoir prélevé au
moins un dizième, comme le veut la coutume indigène.
Possesseurs d ’un large territoire, il fut loisible aux Bag­
wabiro d’occuper les meilleurs champs et de s’enrichir.
Ils n ’y manquèrent pas.
Migwabiro, le grand-père de Macchumu, et Kajugiri,
son père, avaient été tout d’abord chercher fortune dans
le Kinyaga. N’avant pas trouvé ce qu’ils souhaitaient, ils
rejoignirent leur descendance au Bugoyi.
Migwabiro reçut en partage le pays de Masizi (près des
(>) On connaît des étrangers, des roturiers et des gens de condition
m oindre encore auxquels fut confié le gouvernement de provinces.
Bien que fiefs de mouvance en principe, il est telle province ou tel
ancien royaume annexé dont le gouvernement était en fait devenu héré­
ditaire entre les m ains des titulaires.

UN

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607

sources d’eaux chaudes) et y mourut à l’endroit dit de
Butsiro, près du village de Lwenga. Kajugiri fut installé
par son fils à Ruvum bu, près de Kizi. Après y avoir vécu
quelques années, il mourut et on l’enterra sur place.
A partir de ce moment les habitants de cette région
éloignée firent officiellement partie de la grande famille
des Banyarwanda. Les Bagwabiro groupèrent sous leur
autorité les familles éparses venues de tous côtés se tailler
un coin dans le sol si fertile, parce que volcanique, de la
plaine basse du Bugoyi. On vit dès lors affluer de nou­
veaux immigrants qui s’adressaient à eux pour obtenir la
permission de tailler dans la brousse et s’y créer un
domaine fam ilial (x).
Les clients et partisans de Macchumu devinrent nom- '
breux et formèrent un monde à part où le vainqueur des
Muets régnait sans conteste, n ’ayant de comptes à rendre
qu’au roi.
La victoire de Macchumu lui valut un tel renom de
popidarité que le roi Chyilima, croyant à l’étoile de ce
vaillant guerrier, l ’envoya à l’Urundi, où il fut surpris et
tué par les Barundi.
Les Banyarwanda, qui aiment à idéaliser leurs grands
hommes, ajoutent que le vainqueur des Muets, après avoir
été grièvement blessé, disparut subitement sous terre
(yiligita) et échappa ainsi aux ennemis héréditaires qui
lui auraient fait subir d’ignominieux traitements.
Makombe, fils et successeur de Macchumu, tua un fils
d’Yuhi II Mazimpaka, Gichuko. Le prince était venu
avec ses gens s’établir au Bugoyi et avait fait choix de
deux collines, Bgiza et Murambi, où il éleva des huttes,
sans rien dire à Makombe. Ce dernier, craignant pour
son influence, vint attaquer le nouvel arrivé. Gichuko
n ’ayant qu’une poignée de gens, tomba accablé sous le
nombre. Pris de remords, le meutrier se rendit aussitôt
f1) Gusab’ um uhoro, dem ander (la permission de se servir de) la serpe,
tel était le terme consacré par l ’usage.

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à la capitale pour se disculper et s’excuser avant que la
nouvelle du crime ne fût colportée par les envieux. Le
roi écouta ses explications et lui donna gain de cause (*).
Les Hamites profitèrent de cet événement pour faire
nommer l’un des leurs comme gouverneur de la province
à la place îles Bagwabiro, qui conservèrent toutefois une
large bande de territoire entre la rivière Sebeya, le mont
Rubavu et même au delà. On choisit le premier gouver­
neur parmi les princes du sang. Ce fut à Sharangabo, le
propre fils de Chyilim a II Ludjugira, q u’échut le fief du
Bugoyi (2).
Les Bagwabiro réussirent toutefois à se faire concéder
les immunités et les franchises auxquelles ont droit ceux
qui obtiennent l ’octroi du pilier (igikingi) (3).
L’autorité du gouverneur hamite ne pouvait s’exercer
sur leurs terres que sur un point particulier et lim ité. Ils
restaient, en effet, soumis à l’impôt dit de l’arc (umuheto),
en leur qualité de réservistes (ingabo) susceptibles d’être
mobilisés dans le corps d’armée (umutwe) que doit fournir
(!) Les Batutsi, surtout quand ils sont de haute lignée, pardonnent d if­
ficilement. Les parents et alliés de la victime, les B anyigiginya, ne ces­
sèrent d ’intriguer à la Cour, pour demander vengeance. Y uhi I I I Gahindiro leur donna, enfin, satisfaction en leur liv ran t le petit-fils de
Makombe, Mukiza, qui paya de sa vie pour son aïeul.
(2) Le Bugoyi est devenu depuis cette date u n fief des Batutsi-Banyiginya. Des neuf gouverneurs qui se sont succédé dans l ’adm inistration
do la province, u n seul, Bissangwa fa it partie du clan des Baslgari,
alliés des Bega.
(3) Le m ot « ig ik in g i » est une sorte de substantif d’augm entation,
dérivé du terme in kingi, qui veut dire pilier et sert à désigner les
colonnes en bois qui supportent le toit des cases.
Le rapport que voient les indigènes entre ces deux choses est assez
subtil. Ils veulent dire que le bénéficiaire d’u n ig ik in g i est m aître de
son district, tout petit soit-il, autant q u ’un propriétaire l ’est à son tour
de sa case et de ce q u ’elle contient.
Ces petites enclaves étaient nombreuses et form aient de vrais îlots
dans l ’intérieur des provinces. Les princes hamites, auxquels la posses­
sion du sol conférait tout pouvoir, usaient largement de leurs préroga­
tives de souverains absolus et ne cessaient de distribuer des terres
« franches » à leurs favoris et à leurs serviteurs. Les Bahigo et les
Batembe du Bugoyi obtiendront plus tard le même privilège.

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chaque province et dont le chef est souvent lui-même le
commandant (umugabe).
Les descendants de Macchumu réussirent à briser ce der­
nier lien de vassalité.
Les habitants du Bugoyi fournissaient originairement
un corps de troupes appelé « Abakemba », dont faisaient
partie les Bagwabiro et leurs partisans.
Les Bagwabiro ayant eu à se plaindre gravement de l’un
de ces gouverneurs, réussirent à se soustraire à son obé­
dience et obtinrent de former avec leurs fermiers et leurs
alliés un autre corps dit des « Abashakamba », auquel le
prince hamite donna comme chef militaire un autre
Mututsi étranger au pays, Rugaju, fils de Mutimbo.
L ’occasion de cette division naquit d’une dispute, qui
se termina comme toujours par un combat où il y eut des
morts et des blessés.
Un Mututsi, nommé Rugenge, demeurait au village de
Nyakabungo. Se sentant le plus fort, il prit des vaches
aux Banyago, parents et amis des Bagwabiro, et tenta de
les chasser eux-mêmes de la colline voisine de Rubavu,
où ils habitaient. Les Bagwabiro prirent fait et cause
pour leurs proches. L’offenseur fut tué par Gishungwa,
un fils de Makombe. Nyirandaganji, la veuve du mort,
porta plainte au gouverneur de province, Nkusi, un
Hamite de descendance royale, qui était en mauvais termes
avec les Bagwabiro, et leur donna tort.
On croit même que Gishungwa fut immolé par ordre de
Nkusi. Irrités de ce déni de justice, les Bagwabiro s’adres­
sèrent à Yuhi III Gahindiro, qui, pour les affranchir de
l ’obédience militaire du gouverneur, leur donna provi­
soirement un autre Hamite comme commandant.
L ’étoile des Bagwabiro commença à pâlir sous le règne
de Kigeri IV Lwabugiri, surtout à partir du jour où Muhumuza, leur chef, fut précipité, après avoir eu les mains et
les pieds coupés, du haut du rocher de Nkuri, dans la
plaine de Lwankeri. Le drame dut se passer à la fin de 1894
MÉM. INST. ROYAL COLONIAL BEI/JE.

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ou au commencement de 1895, quelque temps après le pas­
sage du comte von Gôtzen. Cette sentence barbare fut exé­
cutée sous les yeux mêmes du monarque, qui n ’en était pas
à son coup d’essai, mais à la suite de dénonciations graves
el fondées qui justifiaient le châtiment.
Muhumuza était cruel. Il avait fait dévorer pour son
amusement, par ses chiens de chasse, des gens q u’il avait
rencontrés en cours de route. Un certain Sebinyenzi
l’accusa auprès de Kabale, qui poussa le roi à agir contre
le coupable (1).
L ’influence des Bagwabiro ne cessa dès lors de décliner.
Voyant tomber leur crédit à la capitale, ils se montrèrent
moins zélés à soutenir les intérêts des princes hamites.
A la mort de Mibambge-Rutalindwa (1896), il y eut
même une période de désordre et de confusion. Un cer­
tain vent d ’indépendance soufflait aussi sur les habitants
du Bugoyi, dont la plupart étaient originaires des con­
trées limitrophes et ne s’étaient pas encore complètement
fondues dans la grande famille munyarwanda (2).
Frondeurs et têtus, réfléchissant peu aux conséquences
de leurs actes, les Bagoyi cessèrent de payer les impôts et
de fournir les prestations à la capitale. A l’avènement
d ’Yuhi IV-Musinga, durant la régence de sa mère et de son
oncle Kabale, aux environs de l ’année 1898, il fallut orga­
niser une expédition pour mettre les montagnards à la
raison. Les Bagoyi, loin de se mettre d’accord et d’opposer
un semblant de résistance qui eût fait réfléchir les enva(!) Après la m ort du gouverneur Bissangwa (1896), quand il fut ques­
tion à la Cour de lu i trouver u n successeur, les Bagwabiro, qui avaient
gardé u n m auvais souvenir des agissements de Kabale, protestèrent
contre le choix qui avait été fait de sa personne et firent nom m er
Hushako, un M unyiginya.
(2)
Les clans B ahutu du Bugoyi comme ceux du M ulera et de tout le
pays situé au Nord-Est du Kivu, sont restés juxtaposés sans se mêler
beaucoup entre eux. Les vendetta y sont terribles et tenaces entre les
différents groupes. N’eût été la pénétration européenne, il ne se serait
pas passé de jour où le sang n ’eût coulé.

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liisseurs et les eût peut-être engagés à parlementer,
n ’eurent rien de plus pressé que de se cacher ou de s’en­
fuir. Les Batutsi, sous la conduite de Bwidegembya, eurent
beau jeu. La répression fut sévère et sanglante.
Le gouverneur du Bugoyi, qui est presque toujours à
Nyanza, continue à y exercer son autorité par des manda­
taires (ibisonga), qui administrent le pays en son nom.
Les Bagwabiro y forment encore un clan puissant et
riche.
Les Batutsi ne dédaignent pas de s’unir à eux par des
relations matrimoniales, ce qui ne contribue pas peu à
maintenir leur prestige. Aussi il n ’est pas rare de rencon­
trer parmi eux des vrais types hamites.
Il est facile aujourd’hui de connaître, au moins dans les
grandes lignes, les divers éléments dont se composent la
littéral lire orale et les quelques bribes d’histoire conser­
vées par la tradition. 11 n ’en fut pas ainsi dès le début et
tout particulièrement en ce qui concerne l’épisode qui
vient d ’être raconté.
Les Bagwabiro éprouvèrent les plus vives craintes quand
ils aperçurent les missionnaires (Pères Blancs) pour la pre­
mière fois, le 29 avril 1901 : « Voilà, se dirent-ils, les Blancs
qui viennent venger leurs frères (bene wabo), les Muets,
dont nos pères ont jadis répandu le sang ».
Ils étaient les jouets d’une étrange aberration; c’était
aussi l’indication que leur conscience n ’était pas à l’aise.
La stupeur des gens monta à son comble quand les nou­
veaux venus se mirent à construire sur la colline de
Nyundo, d’où leurs ancêtres avaient expulsé les étrangers.
Pour des gens superstitieux comme les Noirs, il y avait là
plus qu’une coïncidence; c’était de plus un présage de m au­
vais augure. L’avenir leur paraissait sombre. Quelques
années plus tard, en 1911, les Pères apprirent fortuitement
le fait qui s’était déroulé d’une façon tragique et que l’on
tenait à cacher soigneusement.

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Ayant réussi à découvrir le malencontreux conteur, les
Bagwabiro, peu rassurés, le chargèrent de malédictions,
tant ils craignaient des représailles... qui ne sont jamais
venues du côté où ils les attendaient.

CHAPITRE

VI

Le petit royaume hamite du Gissaka. — Court résumé d’histoire.
Conquête du Gissaka par les Hamites du Rwanda.

Pas plus que pour le Rwanda, on ne connaît l’époque
exacte où commença le petit royaume hamite du Gissaka.
Bien que les deux monarchies semblent avoir débuté à peu
près en même temps, nous ignorons tout des premiers rois
du Gissaka. Les onze derniers de la série seuls sont connus.
En plus du Gissaka proprement dit, divisé en trois dis­
tricts, le Mirenge, le Gihumya et le Migongo, compris entre
le fleuve de la Kagera à l’Est et le lac MugesSera à l’Ouest,
cette principauté hamite renferma encore dans ses limites,
pendant assez longtemps, la province du Buganza au Nord
et une bonne partie du Bwana-Chambge à l’Ouest.
La plupart des villages et des collines situés dans le
Buganza el un peu au delà portent encore aujourd’hui le
nom des chefs Banyagissaka qui en furent autrefois les
possesseurs.
Tel est le cas pour les villages de Kamuzizi (Intsinda),
Nyamahunde (Iruhunda), Igichacha, Igikomero, Bitsibo,
Janjagiro, Lwamagana (de Nyamagana), Inyarusange
(de Lusange), Kalitutu, Gikava, Fumbgwe, Nyarubira (de
Rubira), Sasabirago (de Rirago), Sovu, Sibagire, Munyaga,
Rubona, Mabare, Shenga, etc. Les deux personnages sui­
vants : Gakira, fils de Kimenvi I, et Kirenga, fils de Kimenvi II, ont donné leur nom aux villages q u ’ils ont habité
autrefois et qui se trouvent près d’Ikawangire et Kalange.
On n’en finirai! pas, ajoutent les Banyagissaka, qui parlent

LN

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G13

du passé avec orgueil, à vouloir citer tous les autres. Le
petit royaume avait débordé au delà de ses frontières et
s’était étendu même jusqu’aux rives Nord-Ouest du lac
Mohazi.
Les lignes suivantes 11e sont que la traduction d’un petit
travail fait sur ce sujet par Joseph Lukamba, de la mission
de Zaza, dans le Gissaka. C’est l’arrière-petit-fils de Bazimya, un des anciens rois du Gissaka et contemporain de
Kigeri II Ndabarassa, qui gouvernait le Rwanda.
I.



L

e

règne

de

K im e n y i

II

Getula.

Des huit premiers rois de cette série dont les noms sont
arrivés ju squ’à nous, l’histoire n ’a rien conservé. Le pre­
mier d ’entre eux, Kimenyi, régnait à la même époque que
Ndahiro, le père du célèbre Ruganzu II. On ne se souvient
pas d’aucun fait notable de leur vie et de leur règne. 11 faut
en arriver à Kimenyi II dit Getula pour avoir quelques
précisions.
Le silence de l’histoire au sujet de ces monarques peut
fort bien s’expliquer par le fait que rien de saillant n ’est
venu troubler leur repos habituel.
Son contemporain au Rwanda était à ce moment-là
Mibambge 111 Sentabyo. Un des parents de celui-ci,
Lwamaherwa, petit-fils, croit-on, du roi Ludjugira, réunit
une armée pour aller attaquer le Gissaka. Il s’était fait
donner la charge de général « porte-bonheur » (umugaba),
ayant et réunissant en lui tout ce qu’il fallait, c’est-à-dire
amulettes, charmes, sortilèges, pour vaincre les ennemis.
Ses troupes étaient à peine arrivées à Rundu et à Gasetsa
q u’il tomba subitement foudroyé (akubitwa n ’ inkuba
arapfa).
Les Banyarwanda, y voyant un mauvais présage,
rebroussèrent chemin et rentrèrent chez eux sans aucun
butin. Quelque temps après, Mibambge III fait lever de
nouvelles troupes, se met lui-même à leur tête et se dirige

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vers le Gissaka, pour venger la mort de son général et
parent. Il accuse Kimenyi II de l’avoir ensorcelé et d’avoir
ainsi provoqué la foudre. Kimenyi fut vaincu, mais il put
échapper à la mort et le roi du Rwanda dut se retirer sans
avoir savouré sa vengeance. Il s’empara toutefois de la
province du Ruganza. La frontière du Gissaka était alors
au Nord du lac Mugessera, à Kabirizi, dont les habitants
furent chargés de veiller à la sécurité du royaume.
Les Ranyarwanda s’étaient à peine retirés que Kimenyi
lit aussitôt irruption dans le Ruganza et s’empara d’un
grand nombre de troupeaux q u’il ramena chez lui. A cette
nouvelle, les Banyarwanda se rassemblèrent de nouveau
et marchèrent sur le Gissaka. Craignant pour lui et pour
son pays, Kimenyi fit appeler Muhutu, le général q u ’il
avait mis à la tête de ses troupes, et lui dit de se faire tuer
(ngo atabare) pour sauver le royaume. M uhutu se met en
route avec son fils Sekamana et gagne Kabirizi où il avait
donné rendez-vous aux guerriers. On en vint aux mains
avec les Ranyarwanda. M uhutu se jette au milieu des
ennemis et tomba percé de coups, avec son fils, qui avait
voulu le suivre. Leur sacrifice toutefois demeura stérile,
car les Banyarwanda furent vainqueurs. Kimenyi dut
s’enfuir à Nvamuganda. De là il envoya dire à Mibambge :
« Tu m ’as vaincu, tu m ’as réduit à un état tel que tu no
m ’as laissé en toute propriété que des singes, dont j’ai
pourtant une crainte superstitieuse comme tous les Bagessera (clan de la famille royale du Gissaka). Je suis ton
oncle maternel, tu m ’as dépouillé de tout, ne crains-tu
pas q u’il ne t’arrive malheur? » (Ko wantsinze, ukaba
wanyangirive, ukangabiz’ inkende zikanvarira, kandi
nzizira, nd’ Umugessera. Ndi nyokorume, ko wanyaze,
ntibizakugwa nabi?) Mibambge lui fit tenir la réponse
suivante : « Si tu veux que désormais nous vivions en bons
termes, consens à ce que je conserve le Buffanza et le
Bwana-Chambge. C’est entendu finissons-en et réconci­
lions-nous, puisque nous sommes parents; considère les

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provinces que je t’ai prises comme la valeur représentant
l’habillement et les ornements que tu devais donner à ta
sœur (ma mère) quand tu l’as fiancée » (*). Kimenyi accepta
ses conditions. Les Banyarwanda quittèrent le Gissaka et
le roi, qui avait dû passer de longues journées dans la
petite forêt de Nvamuganda, put réintégrer son royaume.
Les derniers jours de Kimenyi furent remplis de cha­
grin. Ses enfants le firent grandement souffrir. De ses
nombreuses femmes il eut beaucoup d’enfants. Celle qui
lui en donna le plus s’appelait Nyabarega; c’était son
épouse préférée (inkundwakazi). Or, cette dernière ne
cessait de lui dire : « Désigne-donc ton successeur pour
q u ’on le connaisse (Utang’ umwami, amenyekane) ». Le
roi choisit enfin celui de ses fils qui se nommait Lwan­
jara. Mais la reine n ’en voulait pas, bien q u’elle fut sa
propre mère. Elle haïssait souverainement la femme de
son fils : « Prends un autre successeur, disait-elle à
Kimenyi, parmi tes nombreux enfants et laisse Lwan­
jara ». Le roi s’y refusa, il tenait au choix qu’il avait fait.
Quelques jours après, Nyabarega prépare deux petites cru­
ches (inywero) de bière, dont l’une était légèrement
ébréchée (luhongotse) et l’autre toute neuve. La première
contenait du poison mélangé au vin de bananes. Appelant
un de ses serviteurs, elle lui confie les deux cruches pour
q u’il les porte de sa part à son fils Lwanjara et à sa bru.
<( La cruche ébréchée, lui dit-elle, est pour ma belle-fille,
l’autre est pour son mari. » Le domestique remplit la
commission, arrive chez Lwanjara, qui était allé surveiller
la culture d’un champ. 11 remet son dépôt à la jeune
(') Mibambge fait ici allusion à la coutume des B anyarw anda qui
veut que toute jeune fille reçoive à l ’occasion de son m ariage, soit de
ses parents, soit de son frère aîné (musaza), un habillem ent convenable,
c’est-à,-dire une jupe faite de peau de vache, de nombreux bracelets et
autres ornements (im ilinga, im iham a, ubutega). C’est ce qu’on appelle
(gutang’ uluhande rw ’ inka chang ukuboko) « donner u n côté ou une
épaule de vache », ce qui représente à peu près la valeur d ’un taurassin,
prix habituel de ce que coûte une toilette de jeune mariée.

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femme : « Ta belle-mère m ’a chargé de te dire que la
cruche ébréchée est pour toi et l’autre pour son fils »,
ajoute l’homme qui se retire aussitôt. « C’est après tout
la même bière, se dit la femme, peu importe que je boive
de l’une ou de l’autre. » Et mettant de côté la cruche qui
lui était destinée, elle se met à boire de l’autre. Au retour
de son mari, elle lui présente la cruche qu elle avait mise
de côté : « Voici de la bière qui vient de chez ta mère ».
Lwanjara la prend entre ses mains et boit. Mais à peine
a-t-il fini q u’il se sent très mal. Les vomissements ne lui
laissent aucun repos. Le roi Kimenyi est mandé en toute
hâte. Il arrive et s’informe auprès des personnes présentes
de la cause qui avait provoqué un aussi grave malaise. On
lui répond : « C’est après avoir bu de la bière envoyée par
Nvabarega que ton fils a éprouvé cette violente indisposi­
tion ».
*
« Je comprends maintenant, s’écrie le prince. Je con­
nais l’antipathie de la reine et je sais ce q u’elle a m achi­
né. » Sur-le-champ il fait donner des médicaments au
malade qui fut bientôt sur pied tout en ayant perdu pour
la vie l’usage de la parole et de l’ouïe (agoby’ ururim i,
apfuy’ amatwi). Pour punir sa femme, Kimenyi la maudit
et la voua à tous les malheurs, ainsi que les enfants qu’il
en avait eus. Les guerriers vinrent entourer la demeure
qu’elle habitait et mirent à mort tous ceux q u’ils rencon­
trèrent sur leurs pas. Les fils de Nvabalega purent s’enfuir
pour la plupart et se révoltèrent contre leur père. Ils
revinrent bientôt le narguer et se vantaient publiquement
q u’ils n ’avaient rien à craindre de lui, qu’il était vieux
(ngo ntachyo azabatwara, arashaje). Dans son malheur le
souverain manda un de ses neveux, Sebakara, un des fils
de M uhutu qui avait donné sa vie pour le pays : « Vengemoi, lui dit-il, mes fils se sont révoltés; ils m ’ont dépouillé
de tout ce qui m ’appartenait ».
Sebakara était le chef du district connu sous le nom de
Mirenge. Il avait pour voisin Lwamigongo, son protégé,

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

617

auquel il avait fait donner autrefois par le roi le pays de
Rubago et le Bgiriri, au Sud du lac Mugessera. Les deux
chefs amis s’entendirent pour subvenir aux besoins du
malheureux roi. Ils lui fournissaient des vaches et du
miel, pendant que les autres chefs du pays se désinté­
ressaient complètement du vieux monarque.
Les fils du prince infortuné s’en aperçurent bien vite.
Ils firent garder les chemins qui menaient à la capitale et
leurs gens s’emparèrent des vivres et des cadeaux adressés
au souverain. Ils ne cherchaient rien moins qu’à le faire
m ourir de faim. Sebakara dut envoyer désormais de nuit,
pour dépister les pillards apostés sur la route. Cette situa­
tion se prolongeait depuis longtemps, quand le roi
Kimenyi prit la résolution d’envoyer à l’Urundi l’autre
reine Nyiramagwegwe, qui était sur le point de donner
le jour à l’héritier du trône, celui qui devait s’appeler
Rugeyo dit Zigama. Le jeune prince passa donc dans
l’exil son enfance et sa jeunesse. Quant à Kimenyi, se
voyant prêt à mourir, il manda son fidèle sujet Sebakara
et lui adressa ses dernières recommandations : « Mon suc­
cesseur viendra bientôt. Reste-lui soumis et offre-lui le
secours de ton bras, afin que lui aussi puisse me venger ».
Le vieux roi disparut bientôt dans la tombe. Ses fils se
proclamèrent aussitôt rois et se partagèrent le pays.
Lugeyo-Zigama, l’héritier nommé, quitte à son tour
l’Ururidi, où il avait été élevé, et vient réclamer le trône
de son père.
Lwamigongo, du Rgiriri, l ’ami de Sebakara, alla à sa
rencontre à Mazane. Sebakara les rejoignit à Musumba,
près de Munege. Ils se rendirent ensemble à Kabale, la
capitale du petit royaume du Gissaka. Le jeune roi fut
ensuite conduit à Rugazi, à la fontaine sacrée, pour y
puiser neuf fois, selon la coutume. De là il alla se faire
proclamer à Mnrarama. Ses sujets ne tardèrent pas à faire
leur soumission (baramuvoboka). Le roi qui régnait à
cette époque sur le Rwanda était Yuhi ITI Oabindiro. Les

618

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

(Jeux princes vécurent en paix. Le jeune souverain n ’eut
donc aucune difficulté de ce côté-là. Par contre, ses frères
consanguins, ceux qui avaient créé tant d ’ennuis à leur
père, n ’avaient pas voulu le reconnaître. Lugeyo leur
décla ra la guerre et se m it à leur poursuite. Quelques-uns
d ’entre eux furent atteints et tués; les autres durent s’en­
fuir avec leurs partisans à l’étranger, ce qui rendit Lugeyo
seul maître dans son royaume.
Arrivé à un âge avancé, il connut quelques-uns des
déboires qui avaient attristé la vieillesse de son père.
Devenu malade, Mushongore, un de ses neveux, qui était
sorcier-devin, s’offrit pour consulter les sorts (kumulaguriza) et trouver un remède à ses infirmités. Voyant
que son oncle n ’en reviendrait pas, il profita de son crédit
à la Cour pour s’emparer de deux grands troupeaux de
vaches et s’enfuit au Migongo d ’où il était venu.
Un autre neveu du roi, Ntamwete, apprenant le fait, prit
ce qui restait. Lugeyo mourut sans avoir désigné officiel­
lement l’héritier.
Les membres de sa famille, méprisés et abandonnés de
tous, durent quitter le royaume et l’on ignore ce qu’ils
sont devenus.
II. —

L e r è g n e d e N t a m w e t e , l e d e r n i e r r o i d u G is s a k a .
L a f in

du p e tit roy aum e.

Ap rès la mort du roi Lugeyo, les habitants des deux
districts, dits de Gihumva et de Migongo, se donnèrent
pour roi Ntamwete.
Il était le petit-fils de la fameuse Nvabare^a que
Kimenvi avait livrée aux bourreaux pour la punir d’avoir
tenté d’empoisonner l’héritier du trône. Mushongore, son
cousin germain, refusa de le reconnaître et une guerre
acharnée s’éleva entre les deux partis (bashvamerana).
Cette lutte fratricide (les princes étaient cousins germains)
n ’eut d’autre résultat que d’ouvrir le pays à l’invasion dos
Banvarwanda.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

619

Ntamwete avait trois favoris : Nshikiri, Ntamavuga et
Gasabo. Les deux premiers étaient originaires du Gissaka
et le troisième venait du Rwanda. Ils en voulaient à
Rushènyi, le chef du district de Mirenge, q u’ils jalou­
saient. Aussi poussaient-ils le roi à le dépouiller à leur
profit. « Tu vois bien, lui disaient-ils, q u’à Gatare (un
village) le chef Rushènyi trouve une bière sans eau (inzoga
v’ impanga) que lui prépare un nommé Bangababo et toi
tu n ’en as pas. Tu n ’as pas davantage de ce fameux tabac
de Chyizihira que cultive Rukeri (un autre indigène). Et
la bière de chez Nduzi et toutes les autres bonnes choses
dont Rushènyi dispose et dont il ne te laisse pas profiter! »
Gagné par leurs discours insidieux, le roi Ntamwete fit
appeler Rushènyi, qui vint le trouver au village de
Birenga : « Je t’ai appelé, lui dit le prince, pour te signi­
fier que je veux prendre possession de ton pays, le
Mirenge >>. Des hommes étaient postés à l’entrée de la case
pour s’emparer de Rushènyi dans le cas où il refuserait
de se soumettre. Se voyant victime des intrigues des con­
seillers intimes du prince, le chef du pays de Mirenge
répondit par les paroles suivantes: « Laisse-moi chercher
un arbitre pour faire un partage à l’amiable ». « Je
désigne Nshikiri, ici présent, reprend le roi, pour aller
en mon nom choisir parmi tes villages ».
Nshikiri était l’ennemi personnel de Rushènyi. Il prit
ce q u’il y avait de plus avantageux dans le pays, c’està-dire les villages de Gatare, Kibare, Nvaminaga, Zaza,
Chyizihira, Bare, Sangaza. De plus, il soustrait à l’auto­
rité du malheureux chef les détenteurs de ruches (abavumvu) du Mirenge : « Ce ne sont pas quelques collines
que tu m ’as prises, vint dire au roi Bushènyi, tu m ’as
dépouillé de tout ». « Telle est ma volonté, répondit le
monarque, va-t’en, tu n ’as q u’à faire ton deuil des vil­
lages qui ont été choisis (genda, ahongaho utowe uhahebe) ». Il ne restait au plaignant qu’à se soumettre. Il
prit congé du prince et se retira.

620

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

La mère du souverain, ayant appris ce qui se passait,
mande son fils et essaie vainement de le faire revenir sur
sa décision.
Elle eut beau se servir des arguments les plus frap­
pants, le roi n ’en fut pas ébranlé : « Si c’est pour cela que
tu m ’as appelé, c’est inutile ». « Laisse donc, reprend la
mère, Rushènyi en paix, ne t’attire point son inim itié ».
Ntamwete ne voulut rien entendre, il resta sourd aux sup­
plications de Gishagira, la reine-mère 0). Et sans perdre
de temps il envoya une armée au Mirenge pour en pren­
dre définitivement possession.
Les hommes vinrent camper dans les villages de Zaza,
Sangaza, Gatare, Kibare, Chyizihira, Nyaminaga et Bare.
Leurs chefs allèrent trouver Rushènyi, à Ntaga, pour se
faire donner des logements (ngo abachumbikire). Rushènyi désigne son frère Gwiza et un autre homme nommé
Kirangwa, pour les conduire sur les collines de Kibare,
Bare et Kalemba. Arrivés aux villages de Ruhira, Mafubo,
Ruhabùra, les chefs de l’armée refusent d’aller plus loin :
« Nous sommes libres de camper où nous voulons »,
s’écrient-ils. Et sur-le-champ, la lutte commence entre
les deux partis. Ce furent les Rarassa, c’est-à-dire les gens
de Ntamwete qui furent vaincus, ce jour-là, par les Radahigwa ou habitants du Mirenge.
Les vaincus font aussitôt demander du secours au roi
qui les avait envoyé : « Tout va mal, lui mandent-ils, viens
vite à notre aide ». Ntamwete se mit en route avec sa suite
et vint passer la nuit à Mpembge, près de la frontière du
Mirenge. Il commence par s’emparer des troupeaux de
vaches que Rushènyi possédait non loin de là, dans le
(>) Nyina amubgira ati : « Ngwino turyamane ».
Ntamwete aratangara, ati « Umpamagaliye kuntuka’. Hal’ ubgo wabony’ umwana ulala na nyina ? » Nyina Gishagira aramubgira ati :
« TJtinye kulala nanje ? »
Ntamwete ati : « iyaba wasaze ! Ibyo ntawundi wabigize ».
Maze Gishagira amubgir’ ati : « Uk’ untinye, ukanga kulala nanje, ab’
aliko utinya Rushènyi’ ».

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L ’AFRIQUE

621

Bgiriri. Il établit ensuite son camp à Kalemba, puis à
Sangaza et, enfin, à Zaza. L’habitation que Rushènyi avait
à Chyizihira fut brûlée. Le demi-frère du précédent, qui
s’appelait Muhoza, vit aussi détruire la sienne.
Rushènyi, comprenant q u’il n ’y avait plus de salut (nta
makiriroye) pour lui dans son pays, alla réclamer la pro­
tection du roi du Rwanda. Il traversa le lac du Mugessera
au passage de chez Rugaju et se fit conduire par deux
grands chefs Ranyarwanda (Nyakahinga et Rwihimba) à
la Cour de Lwogera-Mutara.
Admis en sa présence, après l’avoir salué : « Viens à
m on secours, on m ’a dépouillé de tout », lui dit-il. Il
raconte longuement au prince ce qui s’est passé entre lui
et Ntamwete.
Lwogera l’écouta avec beaucoup d’intérêt et désigna
un de ses hommes, Giharamagara, pour aller lui faire
rendre son pays; il retint auprès de lui Rushènyi. Les
Rarassa ou gens de Ntamwete, ne voulant pas en venir aux
mains avec l’envoyé du roi Mutara, se retirèrent du
Mil’enge.
Quelque temps après Lwogera fit partir une armée
q u ’accompagnait Gwiza, frère de Rushènyi, que suivaient
quelques-uns de ses gens, Lwamuhumuza, Kirangwa, etc.
Ils vinrent par le village de Karwimo.
Ntamwete, le roi du Gissaka, apprenant que les Banyar­
wanda approchaient, s’enfuit de sa capitale et se rendit au
Sud, à Murwa. Il avait l’intention d’aller à l’Urundi,
mais en cours de route il rencontre un éléphant. Cet
animal lui inspira une telle frayeur q u’il revint sur
ses pas. L’idée le prend d’aller, lui aussi, trouver le
roi du Rwanda, pour lui faire la cour et en obtenir
sa protection. Il était déjà arrivé à Kirwa, au Nord du lac
Mugessera, quand il se trouva en présence de l’armée des
Barnyarwanda. La bataille s’engage aussitôt entre les deux
troupes et Ntamwete fut tué durant le combat, avec beau­
coup de ses gens.

622

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

Rushènyi revint aussitôt pour reprendre l’administra­
tion de son pays, sous l’autorité du roi du Rwanda.
Un mois après, les Banyarwanda continuèrent leur
marche en avant et pénétrèrent dans le pays dit de
Migongo, que le cousin de Ntamwete, Mushongore, gou­
vernait en son propre nom. Mushongore n ’attendit pas
I ennemi et s’enfuit a l’Usui, où il ne vécut que quelques
mois.
Ses fils revinrent dans la suite et allèrent faire leur sou­
mission à la capitale du Rwanda, chez le prince LwogeraM 11tara.
Ainsi finit le petit royaume du Gissaka. Le roi Lwogera,
après s’être emparé de tout le pays, n ’évinça nullement de
parti pris les chefs Banyagissaka, qui continuèrent à
administrer le pays sous la haute surveillance des hauts
commissaires Banyarwanda auxquels ils payaient les
impôts en nature. Lwogera ne vint jamais au Gissaka 0).
Un des nombreux petits-fils de Kimenyi II, appelé
Lukura, essaya à deux reprises, entre 1900 et 1903, de
gagner à sa cause les Banyagissaka. Ses efforts échouèrent
complètement et il dut retourner dans le Kiziba, non loin
du lac Victoria, où il avait trouvé un refuge.
L is t e

g é n é a l o g iq u e

des

Bois du Gissaka (2).
Kimenyi I Kimenyi (3).

onze

d e r n ie r s

r o is

du

G is s a k a .

Bois du Rwanda contempo­
rains.
Ndahiro.

(!) On ne sait pas exactement l ’année où se fit la conquête du nouveau
fief. D’après les données obtenues, on estime qu’elle eut lieu entre 1840
et 1850.
La mère de Mutara-Lwogera était encore en vie, le roi hamite, qui était
atteint de la tuberculose, n’eut pas le temps de visister le domaine que la
division de ses maîtres venait de lui donner. Il mourut après un règne
assez court.
(2) On ne connaît pas les premiers rois de la dynastie.
(■
’ ) Kimenyi-Kimenyi. On redouble son nom pour attirer l’attention sur
lui et le distinguer des autres de même nom.
C’était le « roi » par excellence, célèbre par son savoir et son habileté.
Kimenyi vient du verbe kumenya, savoir.

U N ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

Mukanya.
Mutwa.
Muturninka.
Kwezi.
Lulegeya.
Muhoza (*).

Chyilima II Ludjugira.
Kigeri II Ndabarassa.
Mibambge III Sentabyo.
Yuhi III Gahindiro.
Mutara II Lwogera.
Kigeri III Lwabugiri.
Mibambge Rutalindwa.
Yuhi IV Musinga.

Bazimya.
Kimenyi II Getula.
Lugeyo-Zigama.
Ntamwete.

N oms
au

des

chefs

G is s a k a

623

B anyarw anda

d e p u is

la

qui

conquête

se

son t

j u s q u ’a

succéd é

nos

jo u r s .

I. — Dans le Mirenge.
1. Gatchinya, petit-fils du roi Gahindiro. Très popu­
laire et d’un physique agréable, il fut en butte à la jalou­
sie de Lwabugiri, son cousin, qui lui perça la poitrine.
Rushenyi administrait la province au nom de Gat­
chinya.
2. Nkundakozera fut simultanément chef du Migongo.
Il fut tué, lui aussi, par Lwabugiri.
3. Sharangabo, fils de Lwabugiri et demi-frère de
Musinga, le roi actuel. Il ne conserva que quelques mois
le gouvernement de cette province.
4. Grihana, fils de Gatchinya, fut dépossédé. Il vit retiré
à Idjari.
5. Lunyange, simple Muhutu que sa bravoure à la
guerre avait fait élever à cette dignité. Mort depuis.
(i) Muhoza donna sa fille en mariage au roi du Rwanda, Chyilima II
Ludjugira.

62 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

6. Mugugu, se voyant disgracié, se brûle dans sa hutte.
7. Lukagirashamba, mort à un âge avancé.
8. Gashamura, fils du précédent, vivait tantôt au Rumbogo, tantôt à Nyanza. Il faisait administrer sa province
par un subalterne. Il dut être déporté à cause de ses agisse­
ments, à Gitega (Urundi), où il mourut d ’hydropisie,
en 1927.
9. Kagango, fils du précédent.
II. — Dans le Gihumya.
1. Nyamwesa, fils
Lwabugiri, qui le fit
sa place. Balema, fils
administrait au nom

de Mutara-Lwogera, demi-frère de
tuer, craignant qu’on ne le fît roi à
de Lwamigongo, un Munyagissaka,
de Nyamwesa.

2. Kabaka fut une autre victime de Lwabugiri. Ses
deux fils, Muyogoma et Murunganwa, vivent à Rukoma,
près du lac Sake.
3. M ugugu administrait également le Mirenge. Dépos­
sédé par Mibambge-Rutalindwa, il se suicida à Bulima,
dans le Nduga.
4. Lutishyereka fut inhumainement tué à Mukingo
avec son fils Rutalindagira et son neveu Luzindaza, lors
de l’avènement du roi actuel.
5. Luhinangiko, oncle de Musinga et frère de Kabale,
qui le déposséda. Il vit aujourd’hui (1929) à Rubona, sur
un petit terrain.
6. Kanuma, le chef actuel, qui administre par l’inter­
médiaire de son fils Lukara.
III. — Dans le Migongo.
1. Nkoronko, fils du roi Gahindiro, fut tué par son cou­
sin Lwabugiri.
2. Nkundakozera, le même que nous avons vu au
Mirenge.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE LAFRIQUE

625

3. Nzigiye, fils d’un certain Lwishura, des Bashambo,
m ourut de mort naturelle. Son sous-chef fut Sheramanzi.
4. Lwatangabo, fils du précédent, mourut en 1917,
comme son père de mort naturelle. Mpiga a succédé à
Sheramanzi, son père, comme chef subalterne.
5. Mpetamaccliumu, des Bega, est mort en 1918.
6. Mulingo, son fils, ne fut chef que peu de temps.
Révolté contre Musinga, il est passé au Karagwe.
7. Lukarakamba a pris la succession en 1923.
D

escendance

connue

de

K im e n y i

II

Getula.

i

Gakira

I

Mugotanyj.

I

Mushongore (2)

Lwangara

Mukerangabo

I

Seburiri

Bigondo

Mutaga

Mutahembya

I

Lukura (3)

Muhangu

I

I

Magato

Fumbeje
1

2

Lugeyo ('

I

Lukikampunzi

|

Ntamwete (4) Mbakazi |

'

Lwagaju

I

Kabaka

Cliamwa

Kadogo

I

1

Ishamunda
1

I

Mpumbika (5)

2

Lwakarundi Lwagaterura
2

Mwambari Musine
(!) Lugeyo est celui qui succéda à son père Kimenyi et qui mourut
sans avoir désigné de successeur.
(2) Mushongore se posa en rival de Ntamwete et garda le Migongo.
L’un et l’autre furent vaincus successivement par les Banyarwanda.
Ntamwete fut tué à la bataille de Kirwa; Mushongore s’enfuit dans
l'Uswi. Chamwa, fils de Ntamwete, fut tué par Lwabugiri. Ses deux
petits-fils, Mwambari et Musine, habitent, le premier à Birenga, le
second à Kibare.
(3) Lukura a essayé, en 1900 et 1903, de reprendre le Gissaka; ses
sujets, instruits par les leçons du passé, ont préféré demeurer sous la
domination des Banyarwanda. Son fils Magato reçut, en 1921, l’admi­
nistration du petit pays de Mutara.
{*) Ntamwete se fit élire par les habitants de Gihumya et du Mirenge
dont il devint roi.
(s) Mpumbika, qui vient -de mourir, s’était enfui à l’Urundi, chez
Busokoza, ainsi que Lwakarundi, le premier de ses fils. Le second,
Lwagaterura, végète à Nyaminaga dans le Mirenge.

MEM. IN8T. ROYAL COLONIAL BELGE.

40

626
D

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE
escendance

de

M

uhutu

0 ),

frère

l ’a FRIQUE

K im e n y i

de

II.

Sebakara

I

Rushenyi (2)

1

2

Lushababisha

Rubambana

I

I

Karakawe

1

Lukamba Joseph

Kagenza

2

.

Sekaziga Charles

Gatamba

1

Kimanuka

CHAPITRE

2

Lwabagabo

VII

Légende de Ryangombe.
Ryangombe, fils de Babinga et petit-fils de Nyundo,
avait pris sous sa protection un m uhutu de nom Ntamutim uchunyi, q u’il avait comblé de biens en lui donnant des
vaches et des collines. Il invita un jo ur son protégé à
jouer avec lui, à cette sorte de jeu de tric-trac, un des
amusements préférés des indigènes, dit « ikibuguzo » ou
« igisoro », si répandu dans toute l’Afrique.
Ryangombe perdit la première partie.
Ils eurent beau recommencer, Ryamgombe avait tou­
jours le dessous.
L’enjeu consistait en vaches et en collines. Le roitelet
se sentait profondément hum ilié d’être vaincu par un
m uhutu. Il s’appauvrissait de plus en plus en jouant ses
biens. Dans sa tristesse il se m it à chasser pour dissiper
son humeur noire. Suivi de huit chiens, il tua gazelles,
antilopes, chats-tigres, etc.
(') Muhutu fut désigné par Kimenyi pour arrêter les Banyarwarda
qui marchaient sur le Gissaka. La bataille eut lieu à Kabirizi. Muhutu,
accompagné de son fils Kamana, se jeta au milieu des ennemis et mou­
rut en brave.
(2) Lushenyi, était chef du Mirenge quand Ntamwete, poussé par un
mauvais conseiller, lui enleva la plus grande partie de son domaine.
Mécontent, il alla trouver Lwogera, qui fit la conquête du Gissaka.

UN ROYAUME IIAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

627

11 arriva ainsi dans le pays de « Buragur’ abana », où,
selon l’étymologie du mot, tous disaient la bonne aven­
ture, hommes, femmes et enfants. C’était à Gikoro, près
de Save. L ’individu auquel il s’adressa consulta les sorts
et lui dit : « Écoute, Ryangombe, je vais t’indiquer le
moyen de faire cesser tes humiliations et tes malheurs ».
D ’après une variante, un étranger q u’il avait arrêté et
interrogé lui dit : « Je ne suis pas devin, mais continue ta
route, coupe huit bâtons dans la forêt, tu rencontreras
plus loin quatre jeunes gens qui t’adresseront la parole :
« Donne-nous tes bâtons, te diront-ils, et nous te prédi­
rons l’avenir ». Tout se réalisa comme le lui avait dit le
voyageur. Voici ce que ces jeunes devins lui annoncèrent :
« Quand tu arriveras à la rivière de Limuza 0), tu
apercevras quatre jeunes puiseuses d’eau. Demande-leur
à boire.
» Quant à celle qui te présentera de l ’eau, suis-la dans
sa famille. On t’offrira des cadeaux et des vivres; refuseles ju squ’au moment où ils te seront offerts par la main
de l’adolescente.
» Quand elle s’avancera avec la jarre de lait, invite-la
à s’asseoir; tu prendras une gorgée de lait, tu la lui crache­
ras sur la poitrine.
» Elle deviendra ainsi ta femme (2); tu lui donneras le
nom de Kajumba et l’enfant qu’elle aura de toi devra
s’appeler Rinego. »
Ryangombe se remit en route, arriva à la rivière dési­
gnée et rencontra effectivement quatre jeunes filles. Il
leur demanda à boire. Ayant apaisé sa soif, il suivit la
puiseuse d’eau et vint demander l’hospitalité aux parents
t1) Limuza est une localité de la province du Bgishaza où se trouve
une source d’eau minérale à laquelle on conduit les troupeaux du pays.
(2) C’est une des cérémonies usitées au jour du mariage. Le jeune
homme se met à danser et à prononcer une sorte d’épithalame, dans
laquelle i: chante ses exploits ou ceux de sa famille, et dit sa joie aux
échos d’alentour.

028

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

de cette dernière. Le père et la mère de l’intéressante per­
sonne le prièrent de s’asseoir auprès du foyer et lui firent
offrir des vivres par les garçons. Ryangombe, suivant de
tout point la ligne de conduite qui lui avait été tracée,
restait debout à la porte, refusant d’entrer. Les parents
députent alors leur fille pour inviter l ’étranger 0).
Ryangombe, prenant la m ain que lui tendait son
hôtesse, la suivit aussitôt sans difficulté.
La jeune fille lui ayant ensuite présenté du lait, Ryan­
gombe lui demande de s’asseoir, prend une gorgée de ce
liquide et la rejette sur son introductrice. C’était d’après
les coutumes du pays en faire sa femme. Celle-ci se met
aussitôt à pleurer.
Ses frères entrent en colère et veulent faire un mauvais
parti à Ryangombe, qui grimpe sur un arbre. Les efforts
des assaillants n ’eurent aucun résultat. Ryangombe des­
cendait et remontait sur son perchoir avec une célérité
qui surprenait les habitants de la hutte. La poursuite tour­
nait au comique.
De guerre lasse, on scella la paix avec lui; il fut accepté
pour gendre. Il vécut pendant quelque temps sous leur
toit. L’envie le prit un jour de retourner chez sa mère.
Avant de quitter le pays il fit ses recommandations à son
beau-père et à sa femme Kajumba, par rapport à l ’enfant
qui devait bientôt naître : « Vous l’appellerez Rinego,
je le veux ».
De retour à la hutte maternelle, Ryangombe se remet à
jouer avec Ntamutim uchunyi, pensant être plus heureux
que par le passé.
t1) Les Banyarwanda sont fidèles à exercer les lois de l’hospitalité,
surtout quand ils croient avoir affaire à un homme riche.
Quel rapprochement avec le passage de la Genèse (XXIV, 12 à 29; 42
à 54) ! Éliézer, chargé par Abraham d’aller en Mésopotamie chercher une
femme pour son fils Isaac, prie Dieu dans son embarras : « Fais, je t’en
prie, que la jeune fille à laquelle je dirai : « Incline ta cruche pour que
je boive... soit précisément celle que tu as destinée à ton serviteur
Isaac. »

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L AFRIQUE

6'29

Il fut encore vaincu par lui et perdit tous les enjeux.
Il ne lui resla bientôt plus que quatre vaches et le panache
qui indiquait sa qualité de chef des initiés.
Sa mère, Nyiraryangombe, était au désespoir...
Kajumba, son épouse, venait de mettre au monde un
fils. Celui-ci grandit vite. Au bout de quelques années,
bien que fort jeune encore, il devint suffisamment fort
pour garder les vaches.
11 y avait un jour à peine qu’on lui avait confié le soin
de faire paître les veaux qu’il en assomme trois. Ses oncles
maternels se contentèrent de le gronder. Le deuxième jour,
deux autres veaux perdirent la vie, à la suite des mauvais
traitements infligés par le jeune vacher. On le m it sous la
surveillance d’un de ses cousins. Il se prit de querelle avec
ce dernier, qui voulait l’empêcher de maltraiter une des
bêtes. D ’un fort coup de bâton, l’irascible jeune homme
lui brisa une jambe. D ’autres assurent qu’il alla jusqu’à
tuer son parent. « C’est un vaurien (ikirara), dirent les
oncles. » Voyant q u’il ne s’amendait pas, ils cherchèrent
le moyen de se débarrasser de leur neveu. Ils l ’invitèrent à
l’accompagner dans un voyage q u’ils firent aux eaux
minérales pour y abreuver le bétail. Le taureau du trou­
peau était d’une force démesurée et s’attaquait aux gar­
diens et aux passants. Ils résolurent d’exposer le jeune
homme à ses coups.
Binego et ses oncles se rendirent, au jour désigné, à
l’abreuvoir... Pendant que le fils de Byangombe s’occupe
de faire boire les vaches, le taureau se précipite sur lui;
sans s’effrayer, le jeune vacher lui donne de la m ain un
fort coup sur la nuque, la bête roula inanimée sur le sol,
à la grande surprise des oncles, qui s’écrient : « Cet avor­
ton fait périr tous nos bestiaux. Il faut en finir avec lui
une fois pour toutes. Tuons-le, à son tour! »

630

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Devant cette menace, Binego prend une lance, égorge
ses oncles, leurs gens et transperce toutes les bêtes. Il
regagne la demeure maternelle, met à mort ses tantes et
ses grands-parents. Appelant ensuite sa mère, il l ’engage
à prendre ses quelques effets, qu elle met dans un panier :
(( Allons, dit-il, à la recherche de mon père ».
Arrivé près d’une bananerie, il voit un homme en train
de la nettoyer : « Donne-moi, lui dit-il, quelques bananes,
pour ma mère et pour moi ». Le propriétaire refuse et lui
adi’esse des insultes : « Ohé! fils de chien, as-tu donc quel­
que droit sur mes bananeries? » Binego lui fracasse la
tête d’un coup de massue. Il continue sa route et aperçoit
plus loin un individu qui tirait des patates : « Donne-moi
quelques patates pour ma mère », lui dit-il. « Je n ’en ai
pas », lui répond le piocheur.
Binego prend sa lance et en transperce le malheureux.
Il demande ensuite à plusieurs autres indigènes qu’il ren­
contre en route, la demeure de Ryangombe. Blessé par les
réponses peu séantes q u’il reçoit, il s’en venge par autant
de coups de lance. Il se trouve, enfin, en présence d’une
troupe de gens qui sarclaient dans un champ. Question­
nés par lui, ils lui montrent l’habitation de Bvangombe.
S’v rendant aussitôt, il trouve sa grand’mère paternelle
assise sur le devant de la case : « Eh donc! la vieille, lui
dit-il sans la connaître, nous avons faim, donne-nous à
manger, nous venons d’un long voyage. » — « Crois-tu
donc, répond la mère de Ryangombe, q u’il reste ici de
quoi apaiser sa faim ; le maître du logis est devenu le plus
pauvre des hommes. »
« Mais qui donc, reprend Binego, l’a dépouillé de ses
biens? » — « Un de ses gens, q u’il a tiré de la misère, est
cause de ses maux, reprend l’interlocutrice. Il a tout
perdu, ses troupeaux, ses collines et même son habitation.
Ce misérable, qui s’appelle Ntamutim uchunyi, l’a vaincu

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

631

à tel point au jeu q u’il est en train en ce moment de lui
gagner son panache même (insigne de sa dignité de roi
des initiés). » « Où sont-ils donc? » Craignant d’être m al­
traitée, elle ajoute : « Ne me tue pas, je vais te les m on­
trer. » Elle indique à Binego la cour intérieure où se
tenaient les joueurs. Ntamutim uchunyi allait gagner une
nouvelle partie. Binego, qui avait deux lances à la main,
s’approche de Byangombe et lui indique la façon de placer
les dés. « Ton partenaire ne sait pas jouer, lui dit-il, jette
tes dés à cet endroit-ci, au troisième rang, et tu vaincras
ton adversaire. » Byangombe ne savait pas que c’était son
fils; il suit néanmoins ses indications et arrive à l’emporter
sur Ntamutimuchunyi.
Ils continuèrent à miser; Binego, de son côté, ne cessa
d ’aider Byangombe.
Vaincu, Ntam utim uchunyi s’emporte contre Binego sur
qui il jette des regards courroucés : « D ’où vient donc ce
vaurien de Mututsi? Qui est-ce qui t’a conduit ici? Je ne
t’ai pas appelé, va-t-en. » Binego se rejette en arrière,
brandit une de ses lances et en frappe Ntamutimuchunyi,
qui tombe à la renverse, blessé à mort. La mère de ce der­
nier subit le même sort. « Ohé! ohé! ohé! s’écrie alors
Binego en pirouettant sur lui-même, je suis vraiment un
homme, je m ’appelle Binego; ma mère se nomme
Kajumba; j ’ai tué mes oncles et mes tantes, j ’ai égorgé
mes grands-parents et je n ’ai aucune crainte des repré­
sailles; j ’ai assommé le propriétaire d’une bananerie et je
suis sûr que désormais il ne pourra plus la cidtiver.
» J ’ai mis à mort le maître d’un champ de patates et
j ’ai la certitude que ces tubercules ne lui seront d’aucune
utilité.
» Je suis l’espion de l’avant-garde du Libérateur, qui
s’avance pour s’occuper de sa propre défense (et de celle
de son père) sans l’aide de personne, pour tuer et faire du
butin.
» Je suis l’homme qui travaille par lui-même, pour son

632

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

compte et sans aucune crainte avec tout son courage de
Libérateur (*). »
Ryangombe comprend alors que c’est son fils qui est
venu le sauver de la honte et de la ruine...
Le roi des initiés rentra en possession de ses biens et
n ’eut désormais pas d’autre préoccupation que celle de
la chasse, qui était son sport favori. Il se livrait à ces plai­
sirs cynégétiques en la compagnie habituelle de ses fils,
de ses gendres et de ses familiers. On connaît les circon­
stances de sa mort tragique (2). Le buffle avait une enco­
lure puissante et de fortes cornes. Les chiens l’entourent
et le mordent à belles dents.
L’animal, les yeux injectés de sang et fasciné par la
présence de Ryangombe, fonce sur lui. Les compagnons
de celui-ci, craignant pour la vie de leur maître, veulent
attirer l’attention de la bête sur eux et le couvrent de traits.
Le bœuf sauvage des forêts, que rien ne détourne, atteint
le roitelet, se jette sur lui et lui transperce la poitrine de
ses deux cornes. Le buffle tombe à son tour sous les coups
de ses adversaires qui s’acharnent sur lui.
Ryangombe est relevé mourant. On le dépose au pied
de l’érythrina à fleurs rouges qui s’élevait sur le lieu de
l’accident. Le pays est dès lors devenu célèbre dans les
chants et les récits. On le désigne sous le nom de Nyabikenke de Kavumu, c’est-à-dire la colline du ficus, parce
qu’il s’y trouve un de ces arbres. Les bardes ne parlent
de l'endroit que pour regretter l’événement et dire q u’il
fut le théâtre du plus grand malheur qui pouvait arriver
au pays. Nyabikenke est situé près de Kansi, dans la pro­
vince du Bwana-Mkali.
(1) Alivug’ ati : Ninjye Rinego bya Kajumba I Nishe rnarume, nishe
mukaka sinahorwa; nishe nyiragatoke kabura gikalagira, nishe nyirakajumba kabura gikura.
Ndi Bitati bya Mutabazi bitabalira kwicha, kunyaga no kuronka.
Nd’ umugabo witatiye agatera atatutwa, n’ umutima wa Mutabazi.
(2) Livre quatrième, chap. I.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

033

La colline est de moyenne grandeur et n ’a rien qui
attire spécialement les regards. Il est de bon ton parmi les
indigènes de l’éviter sur leur passage. Les pâtres et les
bergers n ’osaient pas autrefois y conduire leurs troupeaux.
Les emfants, à la recherche de brindilles et de bois sec,
fuyaient l’endroit maudit.
L’érytrina y a, par contre, gagné sa gloire et son renom
à cette tragique circonstance.
Les cérémonies d’initiation en l ’honneur de Ryangombe
et de ses compagnons doivent se faire sous son feuillage,
en souvenir de la mort du maître, qui expira sous un de
ces troncs.
Les dernières paroles du roitelet avaient été celles-ci :
« Je m ’adresse à tous, Batutsi, Bahutu et Batwa.
» Qu’ils s’engagent dans ma corporation! Je n ’exclue
personne. »
Les volontés suprêmes du mourant furent recueillies
et le message transmis à travers le royaume.
Il est dit dans la légende que les fils, les gendres et les
familiers ne voulurent pas survivre à la douleur d’avoir
perdu leur père et leur maître. N’ayant pu le disputer au
trépas, ils se jetèrent l’un après l’autre sur les cornes du
buffle dont le cadavre gisait à côté de celui de sa victime.
Après avoir partagé durant la vie les peines et les joies
de leur maître, ils voulurent encore à la fin s’associer à
sa mauvaise fortune et choisirent à l’instant le même genre
de mort que lui, pour l’accompagner dans ses nouvelles
pérégrinations d’outre-tombe.
Seule, m anquant de courage, l’esclave-servante Nkonjo
ne suivit pas l ’exemple des suivants du roitelet.
Elle se détourna des cornes meurtrières et ensanglan­
tées, mais s’empara des trophées que les Primitifs ont
l’habitude de prendre sur un ennemi vaincu 0).
f1) Les Noirs emploient d’ordinaire un euphémisme ppur désigner ce
genre de butin. Dans le cas présent le terme consacré par l’usage est
« ichebe », c’est-à-dire l’appareil glanduleux pour la sécrétion du lait.

63 4

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Munie de ces dépouilles, fruit d ’une victoire facile,
Nkonjo regagna le logis familial. Elle se présenta à la
mère de Ryangombe pour lui annoncer la triste nouvelle.
Quelle ne fut la douleur de la pauvre mère. La ser­
vante eut beau brandir son trophée. Ce spectacle ne servit
q u’à déchaîner la colère de sa maîtresse. Le cœur rempli
de dégoût, elle jeta son mépris à la face de l’esclave lâche :
<( Je te maudis, misérable servante, lui cria-t-elle, ne
l’expose plus à mes regards, cache aux humains ta bas­
sesse, fuis loin de nous. Puisses-tu être réduite à ne m an­
ger désormais que des patates et à ne grignoter que du
sorgho, comme les enfants sans raison ». Cette sentence
prononcée, la mère de Ryangombe saisit un coutelas et
s’en perça le sein.
Le récit, on a pu le constater, ne contient que d’assez
médiocres détails dont l’historien puisse tirer profit. Nous
le donnons tel que nous l ’avons entendu raconter par les
habitants du Bugoyi et ceux de Kansi. Ce sont ces der­
niers qui ont localisé dans leur province le détail de la
fin tragique du prince. On peut classer la légende de
Ryangombe parmi les plus difficiles à interpréter.
APPENDICE

Histoire de la province du Bugoyi. — Vie et marche d’une
province sous le gouvernement des chefs et princes hamites.
PREMIÈRE PARTIE

Origines du Bugoyi. Imm igration dans le pays, sous le
règne de Chyilim a II Ludjugira, d’une peuplade étran­
gère connue sous le nom significatif de « Muets » et de
« Couvreurs de toits en terre ». Leurs singularités et leurs
démêlés avec les habitants de la contrée.
Importance que se donnèrent à cette occasion les m em ­
bres du clan des Bagwabiro 0).
(l )
Voir plus haut l ’épisode dit des « Muets » ou « Couvreurs de toits
en terre », sub. V.

UN

ROYAUM E

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

l ’a

F IU Q U E

635

DEUXIÈME PARTIE
O

r g a n is a t io n

f a m il ia l e

M IL IT A IR E

ET

,

s o c ia l e

F IS C A L E

,

DU

a d m in is t r a t iv e

,

B u G O Y I.

Les pages qui suivent sont consacrées à des listes, à des
tableaux généalogiques et à de brèves explications sur
l ’origine des clans, les fonctions de leurs membres à la
Cour et les mœurs ancestrales qu’ils ont importées de leur
pays d’origine.
Ces renseignements, qui font suite aux lignes qui pré­
cèdent, permettront, nous l’espérons, au lecteur de se faire
une idée de la fondation d’une province, des circonstances
qui ont présidé à son organisation et de la marche du
système administratif, sous le gouvernement des chefs et
princes hamites. Peut-être y percevra-t-on aussi, malgré
le décousu des tableaux et des notices, la vie que mènent,
les relations q u’ont entre eux et avec la capitale les habi­
tants d’une province éloignée.
Une province a environ la superficie d’un canton fran­
çais et possède des limites géographiques naturelles ou
purement idéales. Le gouverneur est nommé directement
par la Cour, mais n ’est pas tenu à la résidence. En rece­
vant le gouvernement d’une province, lé titulaire peut
trouver des « servitudes » q u’il ne lui est pas permis
d’écarter : le <( droit de pacage », exercé par le chef du
district voisin, et l’existence au sein de son territoire de
« terres franches » (ibikingi), où il ne peut pénétrer et
faire valoir son autorité, sinon en sa seule qualité de capi­
taine de la milice provinciale, ce qui lui vaut le droit
de lever une contribution annuelle sur les hommes valides.
Il arrive aussi que ce pouvoir de commander le contin­
gent militaire de la région et d’imposer une redevance
spéciale aux réservistes soit exercé par un autre chef.
Les habitants du Rugoyi, dont il est ici question, vin­
rent de pays différents par les mœurs et la langue et ne
frayèrent jamais beaucoup entre eux, surtout au début.

636

UN

ROYAUME

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CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

Ils formèrent des clans juxtaposés, qui s’administraient
eux-mêmes sous la responsabilité d’un ancien, qui répon­
dait de l’ordre devant le chef hamite ou son mandataire
et levait les impôts en son nom. Cette façon de vivre à
part des autres groupes explique le maintien des coutumes
curieuses au sein des clans et la sauvagerie des querelles
q u’éternisait l’atroce vendetta. Les Bashobyo comptent
parmi ceux qui ont conservé le plus de particularités eth­
niques et ethnologiques de leur pays d ’origine.
Quelques familles réussirent par leur «avoir-faire et
leur habileté à obtenir la faveur de relever directement
du roi, tout en vivant au m ilieu des autres. Bagwabiro,
Batembe et Bahigo furent de ces heureux privilégiés.
Les gouverneurs, libres de disposer de leurs collines et
des habitants, en profitaient pour caser leurs parents et
amis.
Aux uns ils confiaient l’administration d’un ou de p lu­
sieurs villages. Les autres recevaient des travailleurs
Bahutu (abahinzi), qui devaient en principe autrefois cul­
tiver pour leur maître quatre jours par semaine. Ce mode
de servage était assez commun. Le roi lui-même usait de
ses prérogatives de souverain pour imposer cette servi­
tude à nombre de gouverneurs auxquels il confiait ses
protégés pour être entretenus de cette manière.
Les changements de gouverneur avaient des consé­
quences heureuses pour les uns, malheureuses pour les
autres. Les mandataires pouvaient être congédiés sans
forme de procès et remplacés par les créatures du nouveau
titulaire.
C

aractères

générau x

des

h a b it a n t s

du

B

u g o y i.

Le Mugoyi d’avant-guerre était relativement sédentaire
et vivait du produit de ses cultures. 11 s’est depuis lors livré
au commerce du tabac et on le rencontre sur toutes les
routes du Bwanda et bien au delà avec une charge de ce
précieux produit sur la tête.

UN

ROYAUM E

H A M IT E

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CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

637

L’esprit mercantile se développe de plus en plus. La faci­
lité avec laquelle s’écoule le tabac en feuilles et les cigares,
dont l’arome est prisé des connaisseurs, n ’a fait que pous­
ser les Bagoyi dans cette voie.
Ils se sont aussi transformés en marchands d’anneaux
de femmes. Ces ornements, très estimés des dames noires,
sont tressés avec des fibres végétales et se fabriquent au
Nord-Ouest du Kivu, chez les Bahunde, qui les cèdent
moyennant finance aux Bagoyi. Ceux-ci vont ensuite les
troquer à l ’intérieur contre des chèvres et des taurassins.
Le commerce, entre autres désavantages, a cet inconvé­
nient que les marchands ne cultivent pas et font augmen­
ter peu à peu les vivres sur le marché. Ils ne se privent
habituellement de rien et achètent à n ’importe quel prix
bière, viande, miel et autres « délicatesses » de leur goût.
Les jeunes gens et même les hommes faits avaient
durant ces dernières années une tendance à aller chercher
fortune en territoire anglais, où les salaires, sont plus éle­
vés à cause de la valeur du shelling.
Ils reviennent généralement avec des économies très
modestes, car ils dépensent sur place presque tous leurs
gains en nourriture et en habillement. On cite de pauvres
diables qui sont rentrés au logis fam ilial plus pauvres
q u ’ils ne l’étaient au départ.
La population du Bugoyi est disséminée à travers le
pays. On ne rencontre de villages que dans les endroits
dépourvus de bananeries, sur les limites de la forêt, où
la crainte des fauves groupe les membres de la famille ou
du clan, et dans la vaste plaine du Rwerere, où le bana­
nier ne réussit pas beaucoup à cause du vent et du froid.
Partout ailleurs l’indigène a une tendance à construire
au centre de sa propriété pour être à même de la surveil­
ler. Les régimes de bananes représentent une valeur appré­
ciable en nourriture et en bière.
La population du Bugoyi était estimée à un chiffre
d ’environ 120,000 âmes avant la guerre.

638

UN

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Peut-être arriverait-on à l’heure actuelle (1930) à en
compter 70,000. Nous avons des raisons de croire que le
taux de la natalité est relativement élevé. Les indigènes
tiennent à avoir beaucoup d’enfants. Les vides de la
famine seront bientôt comblés.
Les Batutsi sont peu nombreux, ils forment peut-être
à peine un quinzième de la population. Ils appartiennent
à des familles obscures, venues depuis peu chercher for­
tune dans le pays. Lwakadigi, l ’avant-dernier chef (man­
dataire de Bushako), y avait attiré les membres de sa
parenté pour leur confier l’administration des collines et
des villages. Le népotisme est loin d’être une importation
européenne. On le retrouve et on le constate sous tous
les cieux.
Les Bagoyi de race m uhutu, c’est-à-dire bantu, sont
presque tous originaires du Nord-Ouest du lac Kivu. Les
régions qui fournirent le plus fort contingent d’émigrés
sont le Kamuronsa, le Bunyungu, Shari, Gishari, Masisi
et Bwito, pays divers dont les habitants portent le nom
générique de Bahunde.
L’arrivée des premiers immigrants, on l’a déjà dit, ne
remonte pas au delà de deux cents ans. Ce fut sous la
poussée des terribles Warega anthropophages que les
ancêtres des Bagoyi déferlèrent sous forme de vagues suc­
cessives sur la rive Est du Kivu. Les nouveaux venus s’in ­
stallèrent sur les terres inoccupées et se mirent aussitôt
à travailler le sol pour vivre.
Ils furent rejoints dans leur solitude par les Batutsi,
envoyés par le roi du Rwanda pour les fondre et les amal­
gamer dans le giron de la grande famille munyarwanda.
La population du Bugoyi est relativement saine, si l’on
s’en tient à une vue superficielle. On y rencontre toutefois,
et le fait est commun à tout le Rwanda, un grand nombre
de malheureux atteints et quelquefois même couverts de
plaies. Cela s’explique aisément par la méconnaissance
absolue sinon le mépris total des lois de l ’hygiène. Pian,

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l ’a

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639

fièvres, bronchites, une sorte de diphtérie (gapfura) et
la dysenterie comptent parmi les maladies ou affections
les plus fréquentes.
La lèpre y exerce aussi ses ravages. Peut-être ne s’agit-il
pour la plupart des cas que d’une lèpre bénigne, car les
infortunés qui en sont affectés ne présentent pas les carac­
tères répugnants qu’on remarque dans d’autres régions.
De temps à autre l ’influenza et la coqueluche font leur
apparition dans le pays.
Tout en étant bons enfants, les Bagoyi sont terriblement
terre à terre.
Ils ont, pour nous servir de l’expression populaire, le
gosier fort en pente. Pas n ’est besoin pour satisfaire cette
passion de lever le coude. Le chalumeau dont se servent
les Noirs leur permet de boire à même la cruche le pré­
cieux liquide, sans se déranger, sans même faire un geste.
On leur reproche, à tort ou à raison, dans le reste du
Rwanda, d’avoir bon appétit. Cette qualité, car ce n ’est
pas un défaut pour qui sait travailler, ils la partagent avec
leurs voisins, les Baiera, les Bashiru et autres monta­
gnards.
Les Bagoyi ont habituellement le verbe haut; un sourd
pourrait les entendre à distance. Les gens du pays ne
savent pas dire les choses à demi-voix.
On racontait d’eux autrefois q u’ils étaient querelleurs
et batailleurs. L’établissement d’un poste administratif
et la crainte du bras séculier (européen) les a fait profon­
dément réfléchir.
En règle générale les Noirs sont plus préoccupés de
leurs intérêts matériels et ont une tendance légitime d’ail­
leurs à se soustraire aux anciennes corvées que le Gouver­
nement lui-même laisse tomber peu à peu.
On a dit des Négro-Africains qu’ils sont de grands
enfants. Il faudra de longues années pour transformer ces
natures frustes.
Ajoutons toutefois que malgré leur manque de disci­

640

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pline, on rencontre chez eux beaucoup de docilité. Avec
un peu de patience et de douceur, il est possible d ’obtenir
d ’eux à peu près tout.
Le centre administratif de la province se trouve à
(Jiscnyi, sur le bord du lac. 11 s’y tient un marché quoti­
dien, qui a remplacé les deux autres qui existaient autre­
fois dans l ’intérieur des terres, à Nyundo et à Muhanda,
dans le Rwerere. Les luttes meurtrières qui éclataient fré­
quemment à l’occasion de ces foires publiques obligèrent
les autorités à supprimer les marchés indigènes et à les
transférer à Gisenyi, sous l’œil vigilant de la police.
D u DROIT DE PACAGE.

Les provinces, avons-nous dit, renferment des collines
ou enclaves dites « ibikingi », administrées par des chefs
qui n ’ont aucun ordre à recevoir du gouverneur et dépen­
dent directement du roi.
En plus de ce morcellement des fiefs dans un même
territoire, on trouve d’autres servitudes qui lim itent le
pouvoir du grand chef. Celui-ci ne gouverne souvent que
les Bahutu en vertu de son droit sur les terres et les cul­
tures (ubutaka) (’), ce qui lui permet de leur imposer des
corvées et des impôts en nature. Il y a quelquefois, en
dehors du gouverneur, un « commandant » (umugabe),
qui exerce son autorité sur le groupement d’indigènes, qui
forme, de par la coutume, le contingent mobilisable en
temps de guerre et qui comprend tous les hommes valides
de la province. Nous en reparlerons plus loin.
Un troisième chef peut encore disposer de l’autorité sur
les Batutsi et les pâturages.
Ce droit de pacage les Abega l’ont exercé en vertu d’un
ancien privilège, au Bugoyi et à la périphérie.
Les Bega ont exercé un double droit de pacage dit
(') Ubutaka signifie impôt de la terre et vient du mot igitaka, qui
veut dire terre.

UN

ROYAUME

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CENTRE

DE L A F R IQ U E

641

(ubgatsi bg’inzogera) l ’herbe de la clochette ou encore
(ubgatsi bg’uruyange) l’herbe du corps d ’armée dit
uruyange et (ubgatsi bg’umukende) le droit de pacage
sur la grosse plante d’été.
Ce terme de mukenke sert à désigner une plante qui
résiste au soleil, d’où le nom de droit de pacage concédé
en été seulement sur les pâturages de la province du
Bugoyi. On croit que ce privilège fut concédé, du temps
de Chyilima II Ludjugira, tout d’abord à un Munyiginya, Lugaju, fils de Lwamutimbo.
L ’heureux bénéficiaire de cette faveur était possesseur
de grands troupeaux.
Après sa mort le monopole de l’herbe échut au Nwega
Lwakagara, qui exerça en outre son droit de pacage dans
les plaines verdoyantes de Lwankeri et sur tout le versant
oriental du Karissimbi.
Quant au droit de pacage dit « ubgatsi bg’inzogera »,
il s’étendait, sur le Bigogo et ses environs.
Les habitants du Bigogo expliquent l’étymologie de ce
terme et l’origine du privilège de la façon suivante :
Un Munyiginya pauvre, mais de descendance royale,
d’un Ndahiro, croit-on, s’était installé au Bigogo. Il y
vivait surtout de chasse et possédait une meute de beaux
chiens.
Sur le point de mourir, il appelle son dernier-né, Lugeramanywa, celui q u’il préférait à ses autres fils : « Je te
lègue mes chiens, lui dit-il, ils t’ouvriront le chemin de
la capitale et te conduiront à la fortune » (l). Le jeune
héritier était aussi bon chasseur que son père. Il ne ren­
trait jamais au logis les mains vides.
Lugeramanywa (2) fut bientôt à même d ’offrir au prince
hamite de riches présents consistant en défenses d’élé(J) Z iza k u g e z’ ib g a m i, z iz a k w u b a k ira .
(2)
L u g e ra m a n y w a a fa it souche a u B igogo et com pte p a r ordre de
descendance son petit-fils L w ab ige m b e , N y irin g a n g o et L u g e n e ra encore
en vie à l ’heure actuelle (1929).

MÜM. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

41

642

UN

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DE L ’ A F R IQ U E

pliant et en peaux de léopard. Le roi Gahindiro, qui
régnait à l ’époque, en fut si satisfait q u’il le prit parmi
ses chasseurs attitrés et le m it à la tête des autres Batutsi
du Bigogo.
Les grands de la Cour ne cessaient d’admirer les riches
dépouilles qui venaient de ce pays fortuné.
Ils en vinrent bientôt à les désirer et à importuner le
monarque pour obtenir de sa bienveillance le gouverne­
ment du Bigogo. Lwakagara, du clan des Abega, l’em­
porta sur les autres dans l ’esprit du roi et devint le maître
de l’habile chasseur et du territoire convoité, si riche en
gibier.
Ces explications données, il est facile de comprendre
la signification originelle de ce droit de pacage appelé
« herbe de la clochette », allusion évidente aux chiens de
chasse auxquels on attachait des grelots, pour poursuivre
les fauves et le gibier.
Les Bega, possesseurs du Bigogo, vivaient à la Cour et
déléguaient leurs pouvoirs à un mandataire qui ne cessait
de correspondre avec eux. Chigenza, le père de Rwidegembya, y plaça Sebugirigri (x).
Les Batutsi, installés sur le petit plateau du Bigogo (ou
Bigogwe) en qualité de pasteurs, échappaient aux impôts
dits de la terre (ubutaka) et aux prestations ou corvées
(>) S e b u g irig ri a v a it sauvé la vie à C h ig en za, lors d ’un e c a m p ag n e
d a ns le B u y u n g u . C’est p o u r lu i té m o ig n e r sa reconnaissance que C h i­
g en za le cho isit p o u r m a n d a ta ire .
Le chef ou le délég ué d u B igo go d evait a n n u e lle m e n t fo u r n ir à la
C our des je u n e s fille s (intore), q u i v iv a ie n t sous la g ard e de la reinem ère et lu i re n d a ie n t toutes sortes d ’offices.
Cette c o n trib u tio n est restée to u jo u rs odieuse.
Les parents c o nse n ta ie n t d iffic ile m e n t à liv r e r leurs en fants et n ’obéis­
s aie n t q u ’à la force. Ils réussissaient q u elq ue fois à se soustraire à cet
im p ô t en p a y a n t a u che f u n e o u plu sie u rs vaches.
Le m a n d a ta ir e a b u s a it de son d ro it en im p o s a n t u n iq u e m e n t ses e nne­
m is ou en le u r s o u tira n t p lu sie u rs bêtes.
Les h a b ita n ts d u B igo go fo u rn is s a ie n t encore à le urs chefs d u bois de
senteur (im ib a v u ), des chiens de chasse, des p e a u x de lé o p a rd et de
chat-tigre.

UN

ROYAUME

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CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

643

(ubuletwa). Ils faisaient partie de droit et de fait du con­
tingent militaire ou corps d’armée appelé « uruyange »,
sous le commandement des Hamites-Bega. Les limités
entre le Bugoyi et le Bigogo, qui lui fait suite au NordEst, n ’ont jamais été bien définies et ont donné lieu à de
fréquents litiges.
Les pasteurs Batutsi du Bigongo avaient à leur service
des Bahutu, qui, peu à peu, se mirent à cultiver. Des
étrangers vinrent habiter à leur tour chez les Batutsi et
parmi leurs gens. Les cultures s’étendirent et il se forma
des villages nouveaux.
Arriva un temps où les Blancs de passage réclamèrent
des vivres pour leurs porteurs au camp de la Mutura et où
les administrateurs du poste de Gisenyi exigèrent des tra­
vailleurs. Les gouverneurs du Bugoyi voulurent alors
étendre leur juridiction sur les Bahutu en leur qualité de
chef de la « terre » et des « prestations ». Les chefs Bega,
bénéficiaires du droit de pacage, s’y opposèrent en soute­
nant que les champs cultivés faisaient partie du territoire
du Bigogo, parce que y attenant et habités par des gens
qui s’étaient mis à leur service ou subissaient leur
influence.
Tout chef hamite n ’a qu’un but et un désir, celui d’ar­
rondir par n ’importe quel moyen son district et le chiffre
des habitants. De là les procès que seule peut trancher
l’administration européenne.
Le roi habitait au loin. Les explications q u’on lui don­
nait sur les litiges n ’étaient pas toujours concordantes. Il
fallait aussi quelquefois « ménager la chèvre et le chou ».
Pour ne pas blesser les susceptibilités des chefs puissants et
bien en cour, les princes hamites répondaient par des
paroles équivoques ou renvoyaient les affaires souvent
aux... calendes grecques. Aussi ne faut-il pas s’étonner si
certains procès remontent à une ou deux générations.

64 4

UN R O Y A U M E

C

lans

et

H A M IT E

AU

s o u s -c l a n s

B

CENTRE

a iiu t u

DE L ’A F R IQ U E

du

B

ugoyi

(Vraie mosaïque de groupes fam iliaux juxtaposés).
N oms

des cla n s.

Abagessera.
A b a sig a ri (a b asin d i).
A b a z ig a b a (abagessera).
A babanda.
A banyam bo.
A bassigi (a b a s in d i).
A bahanda.
A b ayo vu.
A batem be (a b a lih ira ).
A b a h ig o (a b u n g u ra ).
A b ash ob yo (abagessera).
A bahum a.
A b a h o m a (aba b a n d a ).
A b a h in d i (ab a b an d a).
A b akora (a b a lih ira ).
A balevu (aba b an d a).
A b a y a g o (abega).
A b a lin d w a (abassigi).
A batabo.
A b a m b a ri (a b a n y u n jo ).
A b a s h a m a (a b a m b a ri).
A b azik o (ab a h o m a).
A b a g w a b iro (a b asin g a).
A b a k a ra (a b u n g u ra ).
A bondo (a b a lih ira ).
A b a n y u n jo .
A basongo (a b u n g u ra ).
A b a c h ira (aba b a n d a ).
A b a k w a (abassigi).
A b a n y o n i (a b a g w a b iro ,
ab asin g a ).
A b a h a n d a (a b a b a n d a ).
A b u n g u ra .
A b a lim b a (ab a g w a b iro ).
A bakananda.
A b a h u k u (a b a lih ira ).
A b a n y a g o (a b a sin d i).
A batem bo (a b a m b a ri).
A b ago n go (abasaso).

V il l a g e s .

L ie u

d ’o r i g i n e .

G issaka et K ingogo.
M u le ra.
K anag e.
M u le ra.
N dorw a, M ulera.
M u le ra, B um bogo.
B w is h a .
G is h a ri.

M u n a n ir a et Rw erere (*).
N y a k ilib a .
L u z ib ir a .
Rwerere.
L u h e n g e ri, M w ari.
B y in iro , M ukon d o.
N yundo.
L u so n g ati.
M u n a n ira .
M ukondo.
N yundo.
L u n a n d e , Keya.
K a ra m b o , Rwerere.
S h o n y i, K a n y a m is u k u .
K a n a m a , L u m b a ti.
G atyazo.
Rw erere (M u h a n d a ).
G atovu.
S h o n y i.
C h a n za rw a .
M u kon d o, N kam a, R u k in g o .
M ahoko.
Gitebe, Gatebe, etc.
K a y a n za , Nengo et B y a lii.
S h o n y i, K azo et G isho ha.
K ig a r a m a , K iv u m u , Mura m b i.
G aho nd o .
K ira g a .
N guri.
N y a m y u m b a et G asonga.

N duga.
R u ta re (B g ishaza).
S uti.

N yundo.
G isa.
N kam a.
L u m b a ti.
H uye.
Rubavu.
R w a za .
K a n y a m is u k u .

B gisha.
B w ito (R u tc h u ru ).
S uti.
V u m b i.
G ikore (N dorw a).
N yangom a.
K a m u ro n s a , G is h a ri.
G issak a et B u s h iru .

»

B w ito.
G is h a ri.
M u le ra.
»

G ikore (Ndorw a).
G isha ri.
»
»

»

M u le ra.
S u ti, M pem bge.
K im e, G a ta n a.
G is h a ri.
»

»

(!) Les Bagessera d u Bw erere fo rm e n t u n g ro upe assez im p o rta n t.
Leurs ancêtres sont o rig in a ire s d u v illag e de K ano go , d a n s la province
d u K ingogo.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE
Noms

des cla n s.

Abahangara (abahenyi).
Abahaclia (abahanda).
Abozi.
Abakyaba (abanyambo).
Abavuna.
Abakôko.
Abaherege (abalioma).
Abazogera.
Abasagara (abahoma).
Abarashi (abatchaba).
Abasinga.
Abariengene.
Abaziranyama.
Abungura (abakara).
Abassogo ;abakara).
Abahango (abambari).
Abaguyane.
Abateme (abaguyane).
Abasindi (abanyiginya) (*).

V il l a g e s .

Mukondo.
Nyundo.
Byahi, Luhengeri.
Mwari.
Lumbati.
Lugerero.
Lumbati.
Lunande.
Kizi.
Muhato, Byahi.
Bwerere..
Byahi.
Lugerero.
Gisa, Bgitereke.
Muhwewhe.
Bisizi.
Mugara (Rwerere).
Ruvunda.
Nyakiliba, Luhengeri.

l ’a f r i q u e
L ie u

045
d ’o i u g i n e .

Bulembo.
Bgisha.
Kinyaga.
Ndorwa.
Mulera.
Gishari.
Mulera.
Bgisha.
Mulera.
»
Mulera (Bugarura).
Kime (Buyungu).
Bwito (Rutchuru).
Gishari.
Kime (Gatana).
Kamuronsa.
Nguri (Mulera).
' »
»
Bumbogo (Bwanda).

Les Noirs ont de l’hum our et savent s’exprimer d’une
façon ingénieuse quand il s’agit de faire valoir leur force
ou leurs mérites respectifs.
Les Banyoni et les B anyunju eurent de fréquents démê­
lés dans le passé. Ils se firent souvent la guerre. Il y eut
de part et d’autre des actes de bravoure. Le nombre de
combattants étant le même, nul d’entre les deux groupes
ne réussit à l’emporter. O n en resta au statu quo. Il en

(’ ) La liste est incomplète. Nous n’avons pas la prétention d’épuiser
la série.
Ajoutons que les indigènes sont à même de citer les noms de leurs
ancêtres, depuis leur premier établissement au Bugoyi. Bon nombre de
ces fondateurs de clan sont les contemporains de Machumu, l’ancêtre
des Bagwabiro.
Presque chaque groupe a son histoire particulière, souvent précieuse
pour l’histoire locale et même générale. Nous n’infligeons pas à ceux
qui parcourent ces lignes la lecture d’annales fastidieuses.
Ab uno disce omnes. La description des faits et gestes des Bagwabiro,
le récit que nous allons faire de l ’établissement au Bugoyi des Batembe,
des Bahigo, des Bashobyo, etc., de leur bonne fortune et de leurs mœurs
particulières nous renseigneront amplement sur le contenu des autres
chroniques.

646

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE

résulta une rivalité de bon ton, qui s’est muée à la longue
en amitié, ce qui a donné lieu au récit suivant :
« L ’arbre protecteur 0) des Banyoni et celui des Bany u n ju descendirent dans la plaine pour un combat singu­
lier. La lutte fut longue et acharnée. Les deux champions
étaient d’égale force. Ils se retirèrent sans avoir pu s’entretuer. L’arbre des Banyoni reprit sa place, celui des
B anyunju fit de même. Tout en est resté là. Je vous ai
narré ce que j ’ai entendu, ajoute le conteur, mais je n ’y
étais pas (sous-entendu, quand le combat eut lieu; en
d’autres termes, je ne l ’ai pas vu) » (2).
La finale est charmante, le narrateur tient à faire remar­
quer q u’il s’agit d’une fable ou d’un apologue.
Les Bagoyi se servent de la même image que précédem­
ment pour dire que les Bambari formaient une famille
puissante.
Ils racontent que l ’arbre protecteur (imana) des m em ­
bres de ce clan va boire régulièrement toutes les nuits à
la rivière de la Sebeya et remonte à sa place par ses propres
moyens (chigarura).
Il s’agit d’un grand ficus planté par l’ancêtre de la
tribu, un nommé Shagwete, originaire du Kamuronsa.
L’arbre est situé près de la colline de Bwaza, au-dessus du
poste de Gisenvi (s).
C’est à cause de cette tournure d’esprit que les Noirs ont
de propos délibéré et par manière de plaisanterie per­
sonnifié les forces de la nature, les rochers, les cours
d’eau, etc.
f1) Chaque village possède un de ces grands arbres, ordinairement un
ficus, planté par le fondateur du clan.
(2) Niko nabyumvise, aliko sinari mpari.
(3) Les habitants du village de Lusagara, dans le Rwana-Mkali, disent
la même chose du grand arbre, un autre ficus, qui s’élève sur l’empla­
cement d’une ancienne résidence du roi Mutara. Le ficus prend une
forme animale, se transforme en taureau et va de nuit se désaltérer à la
Migina, qui baigne le pied de la colline. Le prince avait laissé dans le
pays la réputation d’un grand roi.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

647

Les Bagoyi ayant remarqué que les deux ruisseaux, la
Pfunda et la Sebeya, qui arrosent une partie de leur
région, forment à leur confluent, durant la saison des
pluies, un courant rapide, ont imaginé la fiction sui­
vante :
(( Un jour, racontent-ils, les deux rivières entrèrent en
conflit et se disputèrent avec acharnement. Un buveur de
bière attardé passait en ce moment. Il s’appelait Kibiribiri
et appartenait au clan des Abaherege (ou Abasindi). D ’un
commun accord, les deux cours d’eau le prirent pour
arbitre. Il s’agissait de déterminer la préséance de l’un sur
l’autre et de décider lequel d’entre eux laisserait son nom
à la rivière à partir de son confluent.
» Kibiribiri donna la préférence à la Sebeya : « C’est
» la plus forte, prononça-t-il, elle doit donner son nom à
» la rivière formée par les deux cours d’eau. »
» La Sebeya manifesta sa reconnaissance au juge bien­
veillant en lui concédant le privilège de lever désormais
une sorte de dîme (ubulenganzira) sur les récoltes. »
C lans q u i avaient des m o r t s a v en g er
(vendetta ) en 1910.
Abalevu
Abalindwa
Abahindi
Abahigo
Abahindi
Abatembe
Abambari
Abaziko
Abagwabiro
Abashobyo
Abagwabiro
Abakara
Abondo
Abanyunjo
Abasongo
Abachira
Abakwa

contre
»

Abatabo.
Abayago.
Abakora.
Abalindwa
Abahuma.
Abahigo.
Abakora.
Abambari.
Bambari.
Abagwabiro.
Abambari
Abahuma.
Abagwabiro.
Abahoma.
Abananira.
Abalindwa.
Abahindi.

648

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE l ’aFRIQUE
Abanyoni
Abalimba
Abalemeri (l )
Abahoma
Abashobyo
Abazizi
Abaziranyama

contre

»

Abahindi
Abahango
Abasigari
Abagambo
Abaligira
Abadaha

»

Abungura.
Abahindi.
Abarassano (l ).
Abazogera.
Abasigari.
Abashobyo.
Ahaharara.
Abashobyo.
Abalimba.
Abaguyane.
Abagwabiro
Abambari.
Abasegi.
Abahindi.
»

Abahoma.
Abalevu
Abumva
Ahanyago
Etc.

»

Abakora.
Abungura.

Etc.

La vengeance était un droit reconnu aux particuliers,
qui se faisaient justice eux-mêmes, sans que les rois ou
les chefs eussent à intervenir d’une façon habituelle.
L’exercice de la vendetta se pratiquait quelquefois d’une
manière atroce.
L’objet de la vendetta ne s’étendait pas au meurtrier
tout seul. A défaut de sa personne, les vengeurs de la
victime jetaient leur dévolu sur n ’importe quel membre
mâle de la famille, même les enfants à peine arrivés à l’âge
de raison. Heureux encore quand l’individu poursuivi
mortellement atteint, tombait durant le combat. Fait pri­
sonnier, on savourait et l ’on épuisait sur lu i les plaisirs
de la vengeance.
11 était gardé à vue, fortement lié de façon que les
cordes entrent dans les chairs et cela ju squ’au jo ur où les
membres du clan et de la parenté eussent le temps de se
rassembler.
La plume se refuse à décrire ces scènes d’horreur. La
décence n ’était pas respectée.
(!) Il s’agit de deux branches (ibitsina) du même clan des Bashobyo.

G é n é a l o g ie

des

B a g w a b ir o .

UN

Machumu l'émigré eut quatre fils
3

Sebirente
d’où est venue
la famille
des Abalende.

Rugaba

Nzuki
d’où est venue
la famille
des Abayuki.

Ruhima
d’où est venue
la famille
des Abahima.

Baliame

Ngamije

Makobe

Sebatware

Lubanzablgwi

Ndamyumugabe

CENTRE

Lawmpiri

AU

Muhumuza

HAMITE

Rurayi

Mukiza

ROYAUME

Makombe l ’alné et le successeur

Parents et alliés des Bagwabiro
3

Kabeja (oncle maternel de Macchumu) est l ’ancêtre
-des Abishaza f1).
Bakeri
Gatutsi
Mukuli

649

(!) Kabeja avait accompagné son neveu. Il quitta, pour le suivre, son village de Mpeinbe (près de Suti).
L’ancêtre s’appelait Gishaza, d’où le nom d’Abishaza donné à sa descendance.
Les membres de clan habitent à Gitebe et à Bulehe (Masizi).

l ’a FRIQUE

Kalimba
(frère de Macchumu) est
l’ancêtre des aBalimba.

DE

2
Gakuru
(oncle paternel de Macchumu)
est l’ancêtre des aBakurukuru.

650

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

Le malheureux se voyait déchiqueté ou coupé en mor­
ceaux, au m ilieu des cris et des insultes Chacun des
spectateurs armé d’un coutelas, d’une serpe ou d’une
lance, apaisait sur la victime sa soif de vengeance, sans
aucune pitié pour ses plaintes ou ses hurlements déchi­
rants. Un bras et une jambe étaient ensuite détachés du
tronc du supplicié. Les assistants les brandissaient ou en
usaient en guise de baguettes pour frapper les tambours...
Ces cas n ’étaient malheureusement pas une exception
autrefois. Le don de sept ou huit vaches et l’apport d’une
fiancée pouvait payer le prix du sang, mais ce compromis
était rarement accepté.
Les natures farouches se calment difficilement. « Le
sang appelle le sang. » On connaît des exemples de ven­
detta pour l ’exercice desquelles les parents lésés durent
attendre plus de vingt ans, faute d’avoir trouvé une occa­
sion plus tôt.
Gouverneurs

h a m it e s

de l a p r o v in c e

v o is in e

DITE DU B g ISHA OU GlSIGARI.

1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.

Lugaju, fils de Mutimbo.
Gaga (umwega).
Lwakagara, son fils.
Nyamushanja, fils de Lwakagara.
Sekarubera (1).
Muhigirwa, fils de Lwabugiri.
Lubega, fils de Nkusi, fut dépouillé de ses biens.
Bayibayi, fils de Buki et petit-fils de Muhabga, du
clan des Basinga.
9. Segore (2), fils de Nshizirungu (du Nduga), fut évincé.

(») Sekarubera était l ’épouse du roi Mutara-Lwogera, qui lui donna
la province en apanage. Elle prit comme mandataire, pour administrer
la région, un Muhutu, Lutamo, père de Ntamuhanga.
(2)
Le fils de Segore, Munyanshongore, obtint par la suite un petit
gouvernement dans la province du Bufundu.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

651

10. Chaka (*), fils de Bihutu, petit-fils de Nkusi et arrièrepetit-fils d’Yuhi Gahindiro.
11. 1Irvvabusisi, fils de Chigenza, du clan des aBega.
La province du Bgisha a été cédée au Congo belge lors
de la délimitation belgo-allemande, en 1912.
Elle comprenait autrefois quatre petits districts : Gisigari (Ntamuhanga) (2), Mugora (Boshwenda), Bugari
(Rulenga) et Kibumba (Burunga).
Chacun de ces districts était gouverné par un manda­
taire du grand chef.
G ouverneurs

h a m it e s

du

K a m u r o n s a (3).

Le Kamuronsa est situé au Nord du lac Kivu; il est
couvert de laves sur presque toute sa superficie. La popu­
lation, clairsemée, cultive des terres à laves désagrégées
d’une grande fertilité.
1. Munana, fils du prince Gihana (4).
2. Marara, fils du précédent.
3. Nyirimigabo, fils du précédent.
4. Nturo, fils du précédent.
(1) Après avoir détrôné Mibambge IV Rutalindwa, les aBega dépouil­
lèrent les Banyiginya de leurs possessions. Chaka dut quitter le Bgisha.
Accompagné de Sebuharara, de Chabukombe et de quelques autres
parents, il s’enfuit au Ndorwa. Ses ennemis l’y poursuivirent.
Pour ne pas tomber vivant entre leurs mains, Chaka mit le feu à la
hutte qu’il habitait et s’y brûla avec les membres de sa suite.
(2) Les mandataires connus pour le Gisigari appartenaient au clan
muhutu des Abungura et s’y succédèrent durant six générations. Ce sont :
1. Nkunzinduga.
2. Chibukiro.
3. Nyamwanga, né au Gishari.
4. Maheshi, le mandataire de Lugaju.
5. Lutamo.
(!. Ntamuhanga, qui fut dépossédé en 1923 par le Gouvernement à cause
de son incapacité et de son mauvais vouloir.
(3) On désigne encore cette petite province sous le nom d’Ubgambari,
c’est-à-dire le pays des Bambari.
(4) Giliana est le libérateur dont on célèbre le dévouement et la mort
dans une légende fameuse.

052

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

5. Ruhunga (1), un m uhutu, mandataire de Nturo.
6. Bazungu, fils de Ruhunga.
Gouverneurs

h a m it e s

de

la

p r o v in c e

du

B u g o y i.

1. Sharangabo, fils de Chvilima II Ludjugira, alors
régnant.
2. Biyange, fils de Ngomiraronga.
3. Nkusi, fils d ’Yuhi III Gabindiro.
4. Kabaka, fils de Gàvotwa.
5. Lwihimba, fils de Kabaka.
6. Lutebuka, fils de Lwihimba.
7. Ndagivihango, frère du précédent. (Il eut pour manda­
taire Buki, fils de Muhabga.)
8. Bissangwa, tué à Ishangi, en 1896 (x).
9. Bushako dont l’ascendance généalog-ique arrive jus­
q u’à Sharangabo, par Lutambuka, Semugeshi et
M unda, propre fils de Sharangabo. Il eut pour
mandataires Lvvakadigi cl Mbishibishi, fils du pré­
cédent.
G ouverneurs

h a m it e s

de

la

p r o v in c e

de

J omba

ET DU DISTRICT DU BuSANZA.

1. Shongoka, fils de Gahindiro.
2. Mvuningoma.
3. Bigandura.
(*) Luhunga (ou Ruhunga) n’était tout d’abord que le mandataire du
chef hamite Nturo.
Lors de la délimitation belgo-allemande le gouverneur mututsi fut
évincé et remplacé par un de ses mandataires, Ruhunga, auquel a
succédé son fils, Bazungu.
Ruhunga était le fils de Chambari et le petit-fils de Bikali. Ces deux
derniers étaient à leur époque au service des chefs hamites.
(2) Bissangwa appartenait à l’humble clan hamite des Basigari.
Il fut pris en affection par Lwabugiri, qui le traita comme un de ses
fils.
Bissangwa a reçu les surnoms de « Rugomb’ ituri » et de « Rugomb’
amashashi », c’est-à-dire Celui auquel il faut la plante par excellence,
ituri ou issogi, et Celui pour lequel les génisses ont été créées; en d’au­
tres termes, l’homme qui peut se nourrir grassement et possède de nom­
breux troupeaux, allusions évidentes à la faveur royale.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

653

4. Mil imo (umwega), fils de Mparayi.
5. Rwidegembya, qui eut pour sous-chef Mahame, père
de Ntabyera.
6. Nshizirungu (Umwuha), qui fut d ’abord mandataire du
précédent. Il mourut à la Rutchuru en 1920 (*).
C hefs

h a m it e s de l a

p r o v in c e

du

B u f u m b ir o (2).

Muraganshyuro, fils du roi Yuhi.
Buk i.
Kabale (3), décédé en 1912.
Nvindo, décédé en 1926.
N. B. — Le district du Bukamba, qui faisait autrefois
partie du Bufumbiro, a été réuni, depuis l’occupation
anglaise de ce dernier pays, à la province du Mulera.
O r ig in e

des

Ba t e m b e .

Ntembe et son frère Byondo quittèrent le Gishari pour
le Bagoyi et vinrent tout d’abord s’établir à Kayove, après
en avoir obtenu l’autorisation des Bagwabiro.
Ils avaient déjà bâti des huttes provisoires (ibilaro)
quand une grue couronnée se posa sur le toit de la case
principale pour s’envoler de là à Munanira, qui a pris
depuis lors le nom du clan Butembe, parce que Ntembe,
confiant dans les présages, alla aussitôt s’v installer avec
les siens.
(1) Le gouverneur actuel des deux provinces du Bgisha et de Jomba
est Daniel Ndeze, du clan muhutu des Basinga. Il a été intronisé offi­
ciellement en 1920 et porte le titre de roi.
Son pouvoir s’étend sur le territoire de la Rutchuru, qui comprend
ces deux régions, et le pays de Shari, situé au Nord-Ouest.
(2) Le Rufumbiro comprenait encore autrefois les districts suivants
Busanza et Rutchuru, administrés par le même titulaire.
(3) Kabale, l ’oncle du roi Musinga et l’auteur du coup d’Ëtat de
Ruchunchu, était trop grand seigneur pour prendre l’administration
directe de cette région éloignée. Il délégua, pour le remplacer à la tête
de la province, Nyirinkwaya, un de ses partisans, qui vit encore à
l’heure actuelle (1930), au village de Zivu, dans le Rwana-Mkali.

654

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

Les émigrés, qui avaient suivi des yeux le vol de l’oi­
seau, y virent, en effet, une indication précieuse.
Recueillant leurs nippes et leur modeste matériel de
cuisine, ils vinrent se fixer à l ’endroit désigné par le sort.
Au début de leur établissement, Ntembe, pour faire
vivre sa famille, fabriquait des blagues à tabac q u’il échan­
geait contre des vivres. Byondo, moins habile, devint
jaloux de l’aisance relative de son frère. Un jour que ce
dernier était parti à la recherche de la nourriture néces­
saire aux siens, il coupa les pieds de toutes les lianes
(imise) qui servaient à la confection des blagues. Ntembe,
ayant découvert le coupable, le congédia sans retour.
Rvondo dut prendre ses pénates et alla chercher fortune
ailleurs.
Fidèle à une habitude de son pays, Ntembe fixa en
terre une branche de ficus (um uvum u) et d’erythrina
(umuko) qui grandirent et devinrent les « protecteurs »
(imana) du village et du clan 0). C’étaient les deux m on­
tants de la porte d’entrée qui donne passage dans la cour
intérieure. Un Mututsi, Muchankunda, de passage dans
la région, demande à Ntembe, quelles sont ses occupa­
tions. « Je suis, lui répond-il, un étranger (umunyamahanga), je viens du pays de Gishari. On m ’a appris à faire
des blagues à tabac (impago). Je sais de plus prédire l’ave­
nir, je suis devin. » « Fais-moi le plaisir, reprend le
voyageur, de me dire ce qui m ’attend à tel endroit et dans
tant de temps. » Le sorcier s’exécute et se livre à ses opé­
rations divinatoires.
(') Cet acte est connu sous le nom de planter les piliers à l ’entrée de
la cour (gushing’ igikingi ch’ ilembo). On donne à ces arbres le nom
d’ « imana », c’est-à-dire dieux ou protecteurs.
Chaque groupe familial vénère, au village où s’installèrent les ancê­
tres, deux ou trois de ces arbres protecteurs, dont quelques spécimens
sont, devenus immenses. C’est au pied de ces arbres entourés de respect
que s’élèvent les huttes dédiées aux « esprits » (indaro z’ abazimu) et
que se font les sacrifices (intelekerano).
Il
n’est pas rare de rencontrer de gros erythrina à fleurs rouges
(umuko) auprès de chaque village. Ils sont pour la plupart consacrés au
culte et au souvenir de Ryangombe.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE

055

Les événements se réalisèrent à la lettre, comme l ’avait
prédit l’immigré.
Muchankunda ayant dû se rendre à la capitale, fait part
au roi Yuhi III Gahindiro de la découverte qu’il a faite
d’un devin habile et puissant dans son art.
Le prince hamite mande l ’individu. « Je suis trop
vieux, répond-il au messager, je suis de plus un Sauvage
(umushi) et j ’ai mangé de la chair de poule O . Je ne puis
me présenter devant le roi, mais puisque Sa Majesté le
veut, je lui enverrai vin de mes fils. »
Ces derniers étaient au nombre de cinq, Gasindikira,
Bigirimana, Byatsi, Kwama, Mwambutsa. Ntembe fait
appel à sa science de devin pour connaître parmi ses
enfants celui qui sera l’élu du sort et qui exercera le pre­
mier à la Cour le métier paternel.
Il dut s’y reprendre à trois fois... Ce fut Byatsi qui se
trouva désigné.
Y uhi III Gahindiro m it aussitôt à l ’épreuve les dons et
les talents de Byatsi. Le jeune devin se montra au-dessus
de sa tâche.
Le prince, pour le récompenser, lui donna les collines
voisines de Munanira avec la permission d’étendre les
cultures du côté de la forêt (Nord-Ouest de Munanira).
La faveur dont jouissaient les Batembe à la Cour,
engagea nombre de nouveaux immigrés à se mettre à leur
service et à leur demander des terres moyennant la pro­
messe d ’un tribut annuel.
A l’époque de leur plus grand crédit leurs possessions
s’étendirent sur les collines de Lunande, Lumbati.
Kayanza, Nyundo, Kanyamisuku, Murambi, Ilemera,
Mwari, Kinigi, etc. Ils comptaient parmi leur clientèle les
clans des Abakora, aBagongo, aBasagara. Abahindi, Aba(!) Manger de la poule était considéré par les Banyarwanda comme
une infamie, une horreur sans nom, une souillure pouvant avoir des
conséquences désastreuses pour la santé de l’individu et même pour
ceux qui le fréquentaient.

656

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

zogera, Abavuna, Abahoma, Abaherege, Abakananda,
Abatara, Abaragi, Abanyunjo, etc. Ces gens n ’avaient
aucune redevance à payer au gouverneur, tout en vivant
sur des terres dont les autres habitants, leurs yoisins ou
amis, étaient soumis aux redevances et corvées habituelles.
On juge du désordre d’un tel état de choses.
Les Batembe ont reçu de plus la colline de Vum bi, près
du Gishwati, et dans le Nduga le village de Bihana, près
Maza. Sengabo, fils de Tabaro le sorcier-devin, en rési­
dence à la Cour, a l’administration du petit village de
Bihana. Son frère Mugabombga gouverne la colline de
Vumbi.
Lors de la cession d’une « terre franche » aux Batembe,
le roi spécifia bien au chef-sorcier le genre de tribut que
ses parents et administrés devraient lui présenter annuel­
lement à la capitale : « Les autres clans, lui dit-il, me
fournissent des haricots, du sorgho, du miel, des cruclies
en terre cuite, des pioches, des lances, des couteaux, des
boucliers, des clochettes (pour pages et chiens de chasse).
» Tes fils et tes petits-fils fileront pour moi des blagues
à tabac (impago).
» Je vous impose désormais l’impôt annuel sous cette
forme » (*).
Les deux arbres plantés par Ntembe existent encore. Les
Batembe avaient autrefois l’habitude de se réunir sous
leur feuillage et de sacrifier aux mânes de l’ancêtre.
Les descendants de Byondo, connus sous le nom
d’Abondo. occupent quelques parcelles de terrain sur les
collines de Shonvi, Kazo et Gishoha. Les Bondo sont
restés solidaires des Batembe. Les deux groupes se prê­
taient une assistance mutuelle.
(>) Les impositions en nature étaient soigneusement déterminées pour
chaque clan.
Dans leur répartition sur le Rwanda, on tenait évidemment compte du
chiffre de la population, de la spécialité des gens, des cultures et autres
conditions locales. Le chef ou gouverneur retirait d’abord sa part, une
part, de lion quelquefois. On offrait le reste au souverain, qui avait les
membres de sa Cour à nourrir.

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE
Ancêtres

de s

657

Batembe

Munyori.
Bgangoma.
Butali.
Gishugunda.
Ntembe, celui qui, avec son frère Bondo, vint s’établir au
Bugoyi et devint le fondateur du clan des Batembe,
auxquels il a laissé son nom.
Sorciers-devins de la capitale :
Byatsi et Bigirimana (x), tous deux fils de Ntembe.
Kayego.
Kwezi.
Tabaro.
Sengabo, qui est au service de Yuhi IV Musinga.
O r ig in e

des

B a h ig o .

Mihigo, leur ancêtre, vint de Bwito et s’installa à
Mu ken do, qui a pris le nom de Buhigo.
Les premiers Bahigo avaient des relations de voisinage
avec les Batembe.
Mahuge, le petit-fils de Mihigo, fit la connaissance de
Bijana, fille de Ntembe et sœur utérine de Bigirimana, et
l ’épousa.
Un fils naquit de cette union. On l’appela Bugenda.
Celui-ci, devenu grand, demanda à son oncle maternel
Bigirimana, qui allait prendre le service (gukuranwa) de
devin à la Cour, de vouloir bien le prendre avec lui et
q u’il se chargerait de sa blague à tabac (uruhago) en cours
de route.
Le jeune homme eut de fréquentes occasions d’assister
aux scènes de divinations.
Une fois qu’il était seul à la hutte, un client de haut
lignage se présenta.
t1) Bigirimana eut un autre fils, Marongo, dont la fille épousa le
sorcier-devin Bugenda, du clan des Bahigo, dont nous allons parler.
BULL. INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

42

658

UN

ROYAUM E

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

Bugenda se m it à sa disposition et fit jouer les os de
mâchoire, comme il l’avait vu si souvent.
Il interpréta leur placement... Les événements se réali­
sèrent comme il l’avait prédit.
Le chef hamite en parla au roi, qui voulut faire la con­
naissance du nouveau devin.
<( Pourquoi, dit le roi à Bvatsi et Bigirimana, me cachezvous la présence de l’autre sorcier ? »
« Nous n ’en connaissons pas d’autre », firent-ils. « Il
habite pourtant sous votre toit. »
« Mais c’est alors notre neveu », répondent-ils avec
étonnement. L’affaire s’expliqua. Le monarque se fit pré­
senter l ’heureux élève et le prit à son service (l)...
Les princes hamites comblèrent de leurs faveurs,
comme ils l’avaient fait pour les Batembe, leurs voisins
et alliés les Bahigo, et leur donnèrent des terres, en les
soustrayant à l’autorité des gouverneurs de la province.
Pendant q u’ils étaient en grand crédit à la capitale, les
Bahigo étendirent leur influence sur les collines de
Mukondo, Kigarama, une partie de Lumbati, Lusongati,
B uhundu près de Nkuna et Lwamigega près de Nkuri.
Leurs parents, alliés ou partisans, qui habitaient ces vil­
lages, étaient considérés comme membres du clan et
n ’avaient rien à payer au chef de la province.
Lwakadigi, le représentant et le mandataire de Bushako
pour le Bugoyi, profita de la pénétration européenne pour
s’emparer de ces villages à l’exception de Mukondo et de
Kagarama.
Bihutu, le sorcier-devin, entreprit vainement un voyage
en 1911 pour venir réclamer ses anciennes posses­
sions auprès des Allemands, qui occupaient alors la plage
célèbre de Gisenyi.
(>) Bugenda, à son tour, épousa une de ses cousines, Batembe, la fille
de Marongo (une petite-fille de Bigirimana), qu’il aimait. On ne lui
demanda aucune dot. Il en eut un fils, Bihutu, qui lui succéda comme
devin à la capitale et ne mourut qu’en 1920, à un âge avancé.

UN

ROYAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

659

Bihutu était venu de concert avec son parent et allié
Sengabo, qui revendiquait pareillement le vieil héritage
des Batembe.
En plus des terres et des privilèges que les devins
Bahigo obtinrent au Bugoyi, ils reçurent encore le gou­
vernement des collines suivantes : Nkore, Musange, Charatsi, Chabugomba, dans le Munyambiriri, et Gihara,
dans le Bgishaza. Munyagishari, le devin actuel, en rési­
dence à la Cour, administre les quatre premières;
Majarigwa, le propre fils de Bihutu, gouverne la dernière.
A ncêtres

des

B a iiig o

et

s o r c ie r s -d e v in s

QUI SE SONT SUCCÉDÉ A LA C oU R DES H a MITES,
A PARTIR DE MAHUGE.

Mihigo (*).
amugaya.
Mahuge, celui qui épousa Bijana, la sœur du Mutembe
Bigirimana.
Bugenda, qui suivit son oncle maternel à la capitale,
gagna comme sorcier les faveurs du roi et épousa
une de ses cousines Batembe.
Bihutu et son frère consanguin, qui lui succéda.
Burumbuke.
Munyagishari.
C outum es

e t h n iq u e s

e t c é r é m o n ie s

du cla n des

s u p e r s t it ie u s e s

B a h ig o .

Une hutte spéciale, et cette particularité leur est com­
mune avec d’autres clans, est dédiée aux esprits des ancê­
tres. On l ’appelle la hutte de Nyakirama, du nom de l ’un
de leurs aïeux; elle est toujours habitée par l’un de ses
descendants (Ndabereye en est le propriétaire actuel).
(!) Mihigo avait pour ascendants dans le Gishari : Mungungu,
Mishungwe et Nyakirama.

660

UN

ROYAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

L ’A F R IQ U E

A l’occasion d’une famine, d’une maladie contagieuse,
d ’un malheur quelconque, d’un départ pour la capitale,
dans le but d’obtenir des faveurs ou la réussite d ’un procès,
les Bahigo se rassemblent à un jour fixé à l’avance autour
de la case.
Les descendants de Nyakirama font le sacrifice d ’une
chèvre, don de la communauté.
La viande de la bête est partagée entre les trois groupes
qui composent le clan des Bahigo, Abagenda, Mvurinka et
Nyamudigi.
Les nombreuses cruches de bière qui ont été apportées
sont rangées autour de la hutte.
Le propriétaire en fait tout d’abord l ’oblation aux mânes
des ancêtres, puis les Bahigo s’attroupent autour du pré­
cieux liqi lide.
La journée se termine par des danses et des cris de joie.
Dans la plupart des clans, les sacrifices se font au pied
des grands arbres qui furent plantés jadis par les ancêtres.
Ces souvenirs laissés par les aïeux existent encore.
Ce sont presque toujours des ficus (im ivum u); la gros­
seur de leur tronc et leur feuillage épais attirent l’attention
du voyageur européen.
Les indigènes se rendent sous ces arbres vénérables, y
font l’oblation d’une chèvre, boivent le pombe apporté,
frappent du tambour et se livrent aux danses habituelles.
Si les esprits invoqués accordent ce que les sacrificateurs
désiraient, les membres du clan immolent une autre chè­
vre et offrent aux mânes de nouvelles cruches de bière
que l’on boit en commun et dont on ne laisse perdre
aucune goutte C1).

(!) Les Bakora, qui se subdivisent en deux groupes, Abenga et
Abahene (ou Abanyenzi), honorent et implorent leurs aïeux, les pre­
miers au pied de l’arbre dit de Lwenga, dans la plaine de Kanama,
et les autres à l’ombre d’un grand ficus, qui s’élève sur la colline de
Lumbati

UN

ROYAUME

M ode

H A M IT E

AU

CENTRE

d e d iv in a t io n p r o p r e
et

aux

DE

l ’a

aux

F R IQ U E

661

B a h ig o

Bat em be.

Au lieu de dés ou osselets ordinaires les sorciers de cette
catégorie utilisent trois paiies de mâchoires ayant appar­
tenu l’une à un taurassin, l ’autre à une antilope (impongo)
et la troisième à un mouton.
Les mâchoires sont désignées sous le nom d’imishari ou
im ihundw a.
Le devin étend à terre une peau de bête; ses aides lui
déposent sur les mains les six mâchoires avec au m ilieu
d’elles une baguette spéciale de 20 centimètres environ
(igichum bi) garnie de perles sur un côté et à une des
extrémités. L’opérateur laisse tomber le contenu de ses
mains (x), l’arrangement et la dispersion des os par rap­
port à la baguette magique donne la réponse... à toutes
les questions.
Les devins appartenant à ces deux clans sont désignés
sous le nom de « devins aux os de mâchoire » (abanyamihundw a).
Cette façon de prédire l’avenir est très probablement
d ’origine « gihunde », c’est-à-dire qu’elle a été importée
des régions sises au Nord-Ouest du lac Kivu.
C outum es

r e l ig ie u s e s d e s

Bashobyo

et d es

Bahuma.

Gashobyo, leur ancêtre, quitta le Gishari avec son frère
Gahuma. Le premier s’installa à Nyundo et l’autre à
Limande.
Les descendants du premier, plus nombreux, ont
essaimé à Muhira et à Kabere, mais le gros du clan occupe
la colline de Nyundo.
En plus de leur manière de parler, qui dénote leur orit1) On ajoute aux osselets deux petites chevilles provenant de
l’arbuste à propriétés magiques appelé mwifuzo, ce qui monte le nom­
bre des dés à jouer au chiffre sacré de neuf.

662

UN

ROYAUME

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AU

CENTRE

DE l ’a F R I Q U E

gine « gihunde », ils ont conservé des coutumes fort
curieuses qui détonnent parm i celles des Banyarwanda.
.
Gashobyo, en quittant son pays natal, emporta avec lui
une corne d’anlilope (m ibungo), que ses descendants ont
précieusement conservée, ainsi qu’une autre, plus petite,
dite « kadende », considérée comme la fille de la première
(umwana wayo), et dont on ignore la raison d ’être. La
grande corne renferme dans sa partie creuse des plantes
à propriétés magiques et... une dent... de la foudre ! ajou­
tent ses crédules adorateurs.
Mirassano, l’un des anciens chefs de la tribu et gardien
du précieux dépôt, eut l’occasion de s’en servir, lors d’une
lutte meurtrière avec ses voisins, il sortit vainqueur du
combat.
L ’attachement des Basliobyo pour leur idole n ’en devint
que plus profond.
L ’idole a son temple, une case ordinaire qui possède
deux entrées, dont le gardien est de la descendance directe
de Mirassano (*).
Un jour de fête est consacré annuellement au culte de
la corne. On convoque les membres du clan, qui, au jour
fixé, quittent leurs villages respectifs et se réunissent à
Nyundo, l’apanage le plus important du clan.
Les Basliobyo se sont cotisés à l’avance pour pouvoir
offrir aux mânes des ancêtres une chèvre et de nombreuses
cruches de bière, qui doivent être dégustées en leur
honneur.
Le sacrificateur fait couler le sang de la bête dans un
vase en bois (imbehe), nettoyé avec le plus grand soin. Le
dieu lare est plongé dans ce bain fum ant pour lui permet­
tre de s’v laver et de s’y désaltérer (boza m ibungo, bakayisiga, bakayishiramo va marasso ngw ’ iyanvwe). On fait
couler goutte à goutte le liquide rouge dans la petite

(!) La hutte consacrée au souvenir des anciens porte le nom
d' « urwushu », un terme de l’idiome ruhunde.

UN R O Y A U M E

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AU

CENTRE

DE ^ A F R I Q U E

663

embouchure du fétiche disposée en forme de trompe. Il
faut le rassasier.
L’animal est ensuite dépouillé; de chacun des organes
intérieurs : cœur, foie, poumons, reins, rate, intes­
tins, etc., on détache un petit morceau (intonorano). Ces
lambeaux sont rôtis sur un feu de braise à l ’intérieur de
Pédicule et distribués aux personnages marquants de la
tribu. C’est un repas rituel. Chacun de» respectables invi­
tés prend sa modeste part et la mange séance tenante.
Le reste de la chèvre est débité en parts raisonnables,
qui sont remises aux principaux représentants des groupes
familiaux. On peut emporter chez soi cette viande. La
peau de la bête devient la propriété du grand-prêtre de
circonstance.
Le conservateur de l ’idole, qid joue en même temps le
rôle de grand-prêtre, est assis sur une chaise indigène, un
rondin à peine dégrossi, et tient la corne sur ses genoux.
Le hiérophante noir a la tête recouverte d’une peau de
m p im b i (sorte de grande civette) qui lui retombe sur le
cou.
Les assistants lui présentent une pipe, une lance et une
gourde de bière, pour lui donner l’occasion d’imiter les
gestes et l ’attitude de son aïeul, qui agissait ainsi à cette
même occasion.
Le représentant de la tribu serre dans une de ses mains
une touffe d ’herbes douces au toucher et appelées ikori.
Il
s’en sert comme de serviette à la mode indigène et
s’essuie longuement le visage et le buste. C’est faire hon­
neur à l’ancêtre Mirassano, que l’on respecte à l’égal d’un
personnage d’importance, d’un vrai noble (Mututsi), qui
tient scrupuleusement à la propreté de sa personne. On lui
prête toutes les qualités de bienséance.
Le digne continuateur des traditions du clan se penche
et souffle sur la corne pour la vénérer et lui offrir ses hom ­
mages. Les autres s’approchent et font de même.

664

UN

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AU

CENTRE

DE

l ’a

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On se présente et l’on se retire en frappant les mains
l’une contre l’autre, comme pour le salut au roi.
Le pombe est versé dans deux énormes cruches
(intango), placées dans l’intérieur de la hutte, où n ul pro­
fane ne peut entrer. Les fidèles se tiennent à l ’extérieur
devant les deux entrées.
On présente au gardien de l'idole, resté im m obile sur
son siège, un des longs chalumeaux qui plongent par
l ’autre bout dans les foudres... en terre cuite.
L ’interprète des esprits aspire une gorgée q u ’il rejette
aussitôt d’après un usage traditionnel, suivi même dans
les circonstances ordinaires. Les premières gouttes du
liquide entraînent, en effet, avec elles des grains de pous­
sière et des débris de farine ou de son (ferment de la bière),
qui obstruent le tuyau de paille; personne ne tient à ava­
ler ces impuretés.
Une deuxième lampée est humée et répandue sur l’assis­
tance, qui la reçoit comme une bénédiction. « Grâces
t’en soient rendues! » (Ukagir Imana!) s’écient d’une
voix commune les heureux privilégiés, qui témoignent
bruyamment leur reconnaissance en frappant des mains
et en faisant des pirouettes.
L’intermédiaire des vivants et des morts de la tribu
remet le chalumeau à ses suivants. Ceux-ci le portent à
leurs lèvres avides et boivent à longs traits la précieuse
liqueur. La foule en fait autant; on se bouscule autour de
la case pour s’emparer des chalumeaux et prendre part à
la fête matérielle. L’odeur de bière se répand dans l’atmo­
sphère. Tout ce monde piétine sur place, se dispute auprès
des cruches, crie et se réjouit.
A un moment donné, l’un des buveurs essuie de ses
mains le chalumeau qui lui a permis de se désaltérer au
bienfaisant liquide et le remet à l’interprète des esprits de
la tribu, au représentant attitré auprès des mânes des
aïeux.
L’homme prend alors un air inspiré, implore les ancê-

UN

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DE

l ’a

F R IQ U E

G65

très et fondateurs du clan, les appelle par leur nom , leur
demande aide et protection pour chacun des membres
présents à la cérémonie : « Si vous nous aidez à échapper
à la vendetta, si vous nous donnez la victoire, si nous
gagnons tel procès, si notre voyage à la capitale se fait
sans difficulté, etc., nous reviendrons vous remercier et
vous offrir un nouveau sacrifice.
» Nous nous réunirons de retour sur l’emplacement de
votre ancienne habitation. »
Les assistants peuvent exprimer à haute voix ce qui fait
l ’objet de leurs vœux ou de leurs désirs : « Donne-nous
des récoltes; fais que nos cultures réussissent; donne la
fécondité à nos familles et à nos troupeaux; guéris-nous
de nos maux, etc. » (*).
Puis, contrefaisant sa voix, le suppliant officiel ajoute :
« Ne craignez pas, mes enfants, je vous exaucerai, je ne
vous abandonnerai pas, je serai avec vous, je vous défen­
drai contre vos ennemis. »
Suivent les chants et les danses, les hommes d’un côté,
simulant des combats et des exploits imaginaires, et les
femmes de l’autre, foulant le sol en cadence et invoquant
le nom du dieu lare protecteur de la tribu.
Les Bashobyo ont des chants spéciaux en l’honneur de
leur idole :
Nous sommes des guerriers virils,
Des guerriers virils, qui avons tué sept fois (souvent).
Nous sommes des guerriers virils,
Ihii, ihii.
O notre idole !
Ceux qui s’enfuient (au combat), ce sont les autres :
O notre idole !
Ceux qui s’enfuient (au combat), ce sont les autres.
(i)
Utuh’ imyaka; utuh’ ukwezi. Tuhinge, tweze. Utukiz’ ibigwagwa
(indwara), etc.

666

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DE

l ’a

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Eli bien ! nous autres, les Basliobyo, est-ce que nous
fuyons ? Nous autres, nous ne fuyons pas.
0 notre idole ! etc. (*).
Les Basliobyo, autrefois, se procuraient aux frais de la
communauté des poules et des moutons que les m anda­
taires de la tribu conduisaient au Gishari, au berceau de
leurs ancêtres éloignés, pour les y offrir en sacrifice.
La présence du dieu lare dans le village inspirait une
telle confiance qu’aux jours d’orage quand la grêle mena­
çait de compromettre les récoltes, le gardien, de lui-même,
sans y être invité par ses compatriotes, sortait l’idole, la
promenait à l’extérieur et ... lui soufflait sur le corps.
En cas de guerre on déposait sur une natte la corne dont
la pointe était tournée du côté de l’ennemi et on la cou­
vrait d’un van (urutaro). Chaque homme devait prendre
son élan à une certaine distance et bondir par-dessus
l'idole. Cet acte était considéré comme un gage de victoire.
Une chute malencontreuse passait pour être un signe
défavorable. L ’individu auquel ce malheur arrivait ne
devait pas prendre part au combat, parce q u’il était mar­
qué par la fatalité (2).
Pour obtenir sa guérison, le malade faisait remettre une
chèvre et de la bière au gardien de la corne pour que
celui-ci les offrît en sacrifice à sa place... Le prêtre de
l’idole, à son tour, venait avec des branches de « mutobot1) Tul’ Inyana (intwari).
Nyana y’ umudende.
Tul’ inyana.
Mibungo we ! Habung’ abo !
Mibungo we ! Habung’ abo !
Mbe Rashobyo mwe ye tutangabunga !
Yee tutangabunga !
Mibungo we 1 Habung’ abo I
(2)
Lors d’un voyage qui s’imposait, au loin, en dehors de la pro­
vince, à travers un territoire ennemi, à l ’occasion d’une demande en
mariage ou pour aller porter le tribut au roi, on faisait une nouvelle
ostension du fétiche. Les personnages intéressés lui demandaient par les
mêmes sauts révélateurs la conduite à suivre.

UN R O Y A U M E

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AU

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DE L ’A F R IQ U E

667

tobo » et d’érythrina, les trempait dans un vase d’eau
lustrale et en aspergeait le corps du patient, pour obliger
les esprits à déguerpir.
« Honneur oblige. » On ne pouvait faire de l’huile de
ricin (*) dans la case où se trouvait la corne-palladium.
La maîtresse du logis se serait exposée à voir le dieu lare...
boire son huile. Aussi devait-elle se rendre ailleurs, en
dehors des atteintes du protecteur de la tribu, pour expri­
mer le jus des graines de cet arbuste.
Les Bahuma, parents et voisins des Bashobyo, suivent
des usages analogues à ceux de leurs frères de race; leur
dieu lare est une corne d’éléphant q u’ils désignent sous
le nom étrange d’ « urumaka ».
Comme celle de leurs alliés, elle est d’un âge respectable
et a été apportée dans les bagages du fondateur, il y a
environ cent quatre-vingts ans.
Elle a une particularité, à savoir qu’elle est percée près
de la pointe d’un petit orifice, ce qui permet à son gardien
d’en tirer des sons puissants, le jour qui est consacré à
honorer le fétiche. A cette même occasion, les membres
de la tribu faisaient résonner toutes les autres trompes en
leur possession, pour ajouter une note de plus à la fête.
L ’instrument que nous avons eu l ’occasion de voir est
recouvert d’une couche de suie noirâtre, preuve d’un long
séjour dans les huttes enfumées. Fendue dans le sens de la
longueur, la corne fut recousue par une m ain d ’artiste.
Les détenteurs de l’objet vénéré ajoutent q u’il fut apporté,
ainsi réparé, au Bugoyi, par les ancêtres de la tribu.
Lors de la grande guerre (1914-1918), le village ayant
été abandonné momentanément, le fétiche fut oublié. On
le retrouva brisé. De larges plaques font défaut sur les
parois qui entourent l’embouchure de la trompe.
(!) Dans la province du Bugoyi, où l’arbre à ricin pousse avec facilité,
les femmes expriment le jus de sa graine et en obtiennent une huile
épaisse qui leur sert de pommade et de cosmétique. Se couvrir le corps
d’huile de ricin ou de beurre rance est une marque de beauté et un signe
de richesse. Ajoutons que cette façon de faire entretient la finesse de la
peau, empêche les gerçures et préserve des chiques (pulex penetrans).

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UN R O Y A U M E

C hefs

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d u cla n des

AU

B ashobyo

CENTRE

DE

L ’A F R IQ U E

et g a r d ie n s s u c c e s s if s

DE LA PRÉCIEUSE CORNE D’ANTILOPE.

Gashobyo.
Mwongera.
Birusha.
Bazindazi.
Mirassano.
Lutabura.
Bachinchuro (frère du précédent).
Byavu.
Bihama (démissionnaire).
Sekabungo.
Les Bashobyo se subdivisent en trois groupes : Abarassano, Abamanuka et Abalemeri.
C outum es

des

Bakora

et

des

Ba h u k u .

Les Bakora sont une fraction du clan des Balihira, qui
habitent le pays de Gikore, dans le Ndorwa.
Quelques familles émigrèrent de ce dernier pays à
Bwito, près de la Rutchuru. Elles essaimèrent ensuite au
Bugoyi, à Muti, près du cratère de Bunyogwe, puis à
Lumbati et à Kanama.
Les membres de cette tribu, disposés à travers la région
des volcans, avaient, eux aussi, pris l’habitude de se
réunir annuellement, à un jour fixé d’avance, à Muti
même. On se cotisait pour l’achat de cinq ou six chèvres
dont l’une était offerte en sacrifice aux ancêtres du clan,
sur le lieu du rassemblement. Les autres étaient conduites
à Bwito et étaient égorgées dans le village des Balihira,
d’où étaient partis ceux qui vinrent s’installer au Bugoyi.
Les Bahuku, qui se sont détachés à leur tour de la
famille des Bakora, vivent disséminés à travers les villages
de Huye, de Bukanda (Kanombe), de Shonyi et de Kinigi.
Ils ne comptent que quelques unités. Ceux de Huye pos­
sèdent une pierre de quartz qui rappelle par son volume

UN

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CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

669

et sa forme le galet arrondi (ingasire) dont se servent les
Noirs pour écraser le grain.
Ce caillou passe pour être la demeure d’un esprit et
jouit de propriétés merveilleuses. Il est placé sur un cous­
sinet d’herbe (ingata), dans la cour, à l’extérieur de la
hutte d’un des membres de cette famille. On dit q u’il
descend toutes les nuits au ruisseau pour apaiser sa soif.
Volée par des gens malintentionnés ou emportée au
loin par des gens qui s’amusent, la pierre revient d’ellemême reprendre sa place habituelle. On craint beaucoup
l ’esprit qui s’est incorporé à elle.
Les habitants du village se croient, grâce à sa vertu
bienfaisante, à l’abri des maux communs aux mortels.
On attribue le même rôle de sauvegarde à une spatule
faite de bois d’érythrina. Ce vulgaire ustensile de cuisine
est désigné à cause de sa forme sous le nom de rame
(ingashya). Les ascendants des Bahuku (Abalihira) habi­
taient peut-être dans le Ndorwa, sur le bord d’une rivière
ou d’un étang. L’emploi de la rame, symbolisée par une
spatule, paraît se rapporter à un souvenir de ce genre.
Toujours est-il que les membres de ce groupe ont l’ha­
bitude de laisser une cuiller de ménage dans le petit
marais qui s’étend au bas du village, en dessous de la
grande bananerie dont les propriétaires retirent de nom ­
breux régimes à pombe.
La présence de cet ustensile les garantit de tout vol.
Le malandrin assez osé qui se risquerait dans la bananerie
serait aussitôt arrêté et empoigné par les esprits incor­
porés à la spatule.
Les Bahuku, qui ajoutent foi à la puissance des
« bazimu » et aux propriétés merveilleuses de la rame
symbolique, descendent de temps à autre au marais pour
élever, près de la spatule, une hutte aux esprits et leur
offrir des sacrifices.
Une explication du culte rendu à la pierre de quartz
paraît plausible.

670

UN

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CENTRE

DE l ’a F R I Q U E

Il
ne serait, pas impossible q u ’un m uhuku, ayant ren­
contré sur son chemin le galet, ait été frappé d ’étonnement à cause de la forme arrondie et de la couleur ja u n â­
tre du caillou. Le prendre et l ’emporter devint l’affaire
d ’un instant. On le déposa à l’entrée de la case; il y resta
et fit causer. L’imagination aidant et les années surve­
nant, les fils et les petits-fils de l’individu constituèrent
peu à peu à la pierre roulée une généalogie fictive et une
histoire romantique. Il ne restait plus q u’un pas à faire
pour lui attribuer une origine mystique et des vertus
magiques. ous donnons l’interprétation pour ce qu elle
vaut.
C outum es

des

B a s in d i

et des

Bungura.

Les Basindi se rattachent à la tribu mère des Banyiginya (de race m uhutu) (1). Leurs ancêtres quittèrent le
district du Bumbogo, il y a cent cinquante ans environ,
et vinrent s’établir au Bugoyi, sur la colline de Nyakiliba.
De là ils essaimèrent peu à peu à Luhengeri, à Kanembge,
à Mukingo, etc.
Nyakiliba était considéré comme le berceau du clan.
Les Basindi du Bugoyi prirent l’habitude de se réunir,
en été, une fois par an, pour offrir un sacrifice aux ancê­
tres de la famille, le chef m uhutu du village en question.
Celui qui était à la tête des Basindi de Nyakiliba faisait
fonction de grand-prêtre et fabriquait une bière indigène
dans la composition de laquelle entraient du jus de
bananes, du miel et des grains de sorgho en fermentation
(amamera). Cette liqueur prenait le nom d’indim buro ou
isemburo.
La cruche de pombe était déposée un instant dans la
(!) Il ne faut pas confondre les Banyiginya de race muhutu avec les
Banyiginya de race mututsi. Il est probable que les premiers se mirent
dès le début de l’émigration hamite au service des conquérants et
reçurent en retour de leur obédience et de leur soumission la permission
de porter le nom du clan des vainqueurs.

UN

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H A M IT E

AU

CENTRE

DE l ’a F R I Q U E

67 i

hutte des esprits. A ceux-ci on offrait quelques gouttes
versées sur le sol de l ’édicule; puis tous les assistants s’ap­
prochaient et aspiraient une gorgée de liquide pour parti­
ciper à l’oblation.
Le reste de la journée était consacré aux beuveries et
aux danses conduites au son des tambours et des trompes.
La souche mère du Bumbogo n ’était pas oubliée. Les
Basimdi du Bugoyi réunissaient des clochettes, des cou­
teaux, des étuis à flèches, des pioches et des anneaux de
femme et députaient quelques-uns des leurs pour offrir
ces présents en hommage au chef des Banyiginya (de race
m uhutu) restés dans le Bumbogo.
Quand un Musindi du Bugoyi est de passage au pays de
ses ancêtres, il est sûr d’être bien accueilli par ses com­
patriotes. Les habitants de l’endroit lui font subir d’abord
l’épreuve dite de la « pénétration » dans la hutte consacrée
aux esprits. On l’engage à s’accroupir un moment dans
l’édicule à côté du tambour du village. Il s’agit, en effet,
de savoir si l’étranger qui se présente est véritablement
un membre du clan.
Si l’hôte accepte bénévolement et ne manifeste aucune
émotion dans ce contact supposé avec les ancêtres de la
tribu, il est reconnu comme membre authentique de la
famille et traité comme tel en parent. On accomplit à son
égard les lois de l’hospitalité (*).
Les? premiers Bungura (Abungura) qui vinrent habiter
au Bugoyi étaient frères. Ils s’appelaient Gase, Kaziranyama et Senyabucha. Leur père les accompagnait; il se
nom m ait Shabunyeri. Quelques proches et amis les
avaient suivis. Leur pays d’origine était Bwito au NordOuest du Kivu.
Shabunyeri mourut à Buhondo, sur les bords du lac,
où il s’était fixé. Gase, l’aîné des fils, qui avait choisi

(!) Les Basinga sont apparentés aux Bastndi et comme ces derniers
appartiennent au groupe des Banyiginya dont ils sont dérivés.

672

UN

ROYAUME

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CENTRE

DE l ’a F R I Q U E

Nyakiliba, y fut enterré sur place. Les autres s’étaient
établis à Luhengeri et à Lugerero et y firent souche.
Gase ayant joué un rôle important dans la communauté
naissante, les Bungura le considéraient comme le fonda­
teur du clan et ne cessèrent pas de sacrifier à ses mânes,
jusqu’à la veille de la grande guerre.
Les représentants des quatre groupes se réunissaient
annuellement au village de Nyakiliba, auprès de l’édicule
consacré au souvenir de Gase, et lui offraient chacun deux
cruches de bière au nom de leurs concitoyens.
L’arrière-petit-fils du défunt jouait le rôle de grandprêtre, se couvrait la tête d’une peau de civette et accom­
plissait le sacrifice habituel. La matière de l’offrande était
un mouton, parce que l ’ancêtre avait, de son vivant, une
préférence pour la chair de cet animal. Deux cruches de
pombe étaient réservées à l’aristocratie de la tribu. Les
autres membres de la famille se partageaient le reste. On
dansait au son des trompes et des tambourins.
Rendez-vous était ensuite donné à Ruhondo, sur la
tombe de Shabunyeri. Les chefs de groupe prélevaient
encore sur leurs compatriotes huit nouvelles cruches de
bière q u’on buvait comme précédemment en suivant le
même cérémonial.
C outum es

et

s a c r if ic e s .

Clan des Basinga.
Les Basinga, on vient de le dire, se rattachent à la
grande famille des Ranyiginya.
Les Rasinga dn Rugoyi tirent leur origine immédiate
des Rasinga du Rugarura (Mulera). Les membres qui com­
posaient ce nouvel essaim se fixèrent dans la petite plaine
de Rwanyakayaga, au Rwerere, puis à Risizi, où ils se
développèrent peu à peu.
Les Basinga de Bisizi avaient l’habitude de se réunir.

UN R O Y A U M E

H A M IT E

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CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

673

à un jo ur fixé d’avance, chez le patriarche de la petite
communauté.
Le représentant de la tribu offrait aux ancêtres, au nom
de ses concitoyens, une chèvre et une cruche de bière,
fournies par les habitants du village.
Les dons étaient déposés un instant dans la hutte des
esprits. La formule sacrificatoire récitée, on im m olait la
bête. Les assistants aspiraient une gorgée de la liqueur
présentée aux âmes des ancêtres et se partageaient, an
cours d’agapes fraternelles, les morceaux de la chèvre.
On buvait et l’on dansait, au son du tambour, le reste de
la journée.
Les Basinga de Bisizi députaient ensuite quelques-uns
des leurs au village de Rwanyakayaga, chez leurs compa­
triotes et leurs voisins, pour participer à un sacrifice sem­
blable auquel étaient convoqués les habitants de la loca­
lité. Les ambassadeurs conduisaient avec eux un taurassin,
acheté en com m un par les membres de leur groupe. Les
habitants de l’autre agglomération se procuraient à leur
tour deux jeunes bovidés que des messagers, choisis dans
le sein de la tribu, devaient emmener avec la bête précé­
dente au Bugarura, au pays de leurs ancêtres immédiats.
L’un de ces trois animaux était abattu en face de l’édicule dédié aux mânes. Les pèlerins du Bugoyi partici­
paient avec leurs concitoyens du Bugarura au repas sacré
et se livraient aux réjouissaces traditionnelles.
Les deux autres taurassins étaient offerts en hommage
aux Basinga du Bugarura, qui en disposaient en toute
propriété.
Ces fêtes et ces cérémonies rituelles avaient lieu, autre­
fois, une fois par an.
La fréquentation des Blancs et la pénétration de la civi­
lisation européenne ont porté un coup mortel à la célé­
bration publique des rites ancestraux.
MKM.

INST. ROYAL COLONIAL BKLUE.

674

UN R O Y A U M E

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AU

CENTRE

DE

l ’a F R I Q U E

L e c l a n des B a h a n d a .

(Crédulité indigène.)
Le clan qui fournit des membres au monde des esprits,
connus sous le nom de « Mpatcha » et dont la demeure est
le volcan de Nyamulagira, est celui des Bahanda.
Quand l’un de ceux-ci vient à décéder, on recouvre la
tombe d’un petit toit en paille (uruhiza). Le défunt désin­
carné se relève presque aussitôt avec les vêtements et les
ornements laissés sur son cadavre et va rejoindre la foule
des esprits. Il prend avec lui quelques-uns de ses nou­
veaux compagnons et rapporte à sa famille les objets qui
avaient été déposés avec son corps dans la fosse. Le voyage
se fait de nuit, pour ne pas porter malheur aux membres
de la parenté, car le spectre des Mpatcha fait m ourir les
vivants.
Les proches ou enfants de celui qui est entré récem­
ment dans le monde de Mpatcha placent une cruche de
bière dans la hutte consacrée aux esprits. Ceux-ci pro­
fitent des ténèbres pour venir boire et se réjouir. Leurs
cris et leurs danses retentissent au loin; les habitants de
l’endroit gardent et pour cause un profond silence.
Quand un membre du clan meurt, on entend les esprits
gémir et pleurer montrant par là la part q u’ils prennent
au deuil de la famille.
On croit que ces sortes d ’esprits se nourrissent des
troncs de bananier que les indigènes abattent après avoir
cueilli leur régime.
Lorsqu’un Muhanda veut s’asseoir dans l ’intérieur de
sa hutte, il doit s’appuyer sur les paravents (insika) qui
partagent l’habitation en deux compartiments, pour que
nul ne puisse passer avec du feu entre la cloison et lui,
ce qui l’exposerait à mourir.
Par contre, désire-t-il cultiver un champ, il prépare
plusieurs cruches de bière q u’il dépose sur le terrain choisi
à cet effet. Les esprits viendront eux-mêmes piocher de

UN

ROYAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

DE l ’a F R I Q U E

675

n uit... et videront les cruches. Le propriétaire de la pièce
défrichée et ensemencée s’y prend de même pour le sar­
clage,. Le travail terminé, les esprits organisent des rondes
autour du pombe 0). Dans la tribu des Bahanda, les
vivants et les morts se rendent des services réciproques.
Les Bahanda inspiraient autrefois autour d’eux une
crainte superstitieuse et pratiquaient l’endogomie. Leurs
fils et leurs filles ne trouvaient pas à se marier en dehors
du clan, par crainte des Mpatcha dont on redoutait les
méfaits. Depuis qu’ils ont noué des relations matrimonales avec les Bagessera (qui exercent une grande in­
fluence sur les esprits), on n ’entend plus parler, disent
les Bagoyi, de ces étranges choses.
I nfluence

des e s p r it s d e s a n c ê t r e s s u r l a v ie

J O U R N A L IÈ R E DES N o i R S .

Cette influence des esprits est continuelle. Bien des
actes de la vie quotidienne sont inspirés par le sentiment
de leur présence et le danger q u’il y aurait à ne pas les
traiter conformément aux usages en vigueur dans le pays
ou dans le clan.
On ne se préoccupe habituellement pas beaucoup des
enfants morts en bas-âge, des femmes du commun, des
individus de médiocre importance. Les chefs, les pères
de famille, les vieillards ayant joué un certain rôle dans
le groupe familial conservent après la mort la même
importance.
Ils occupent une grande place dans les préoccupations
de leurs descendants.
(i) On leur prête le chant et les paroles suivants :
Frappez les mains en cadence ! Que les enfants se livrent à la danse !
Frappez les mains en cadence! Que les enfants se livrent à la danse!
Frappez les mains en cadence !...
Chulira ! Abana babyine !
Chulira ! Abana babyine !
Chulira !

67 6

UN R O Y A U M E

H A M IT E

AU

CENTRE

DE l ’a F R I Q U E

L ’un d ’entre ces derniers, on l’a constaté dans les pages
précédentes, est chargé de représenter le mort, de « jouer
son rôle en chair et en os », de l ’imiter en tout, de le con­
tinuer au m ilieu des siens, durant les cérémonies rituelles,
lors des sacrifices publics ou privés.
Celui qui prend la place du mort s’inspire autant que
faire se peut des habitudes et des goûts du personnage
qu’il fait revivre. Il doit le figurer avec ses défauts phy­
siques, ses passions mêmes et avoir son attitude exté­
rieure.
Le fils d ’un chasseur, voulant se rendre favorable
l’esprit de son père, s’affuble du même costume que l’au­
teur de ses jours. Il se jette sur la tête une peau de civette,
d’après un usage emprunté, semble-t-il, aux gens du
Buhunde (Nord-Ouest du lac Kivu).
Le jeune homme se présente devant l’édicule, ainsi
affublé, armé d’une lance, d’un arc et d’une massue,
comme en portait son père.
Il
est entouré de chiens auxquels on a suspendu de
nombreux grelots. Si le fils est dépourvu de meute, il
peut à cette occasion emprunter à ses voisins ou à ses amis
les animaux dont il a besoin :
« Père, crie-t-il à haute voix, tu aimais le gibier, .le
vais comme toi à la chasse. Regarde, je suis armé, les
chiens me suivent. Fasse que ma course dans la forêt ne
soit pas inutile. Si je suis heureux à la chasse, je t’offrirai
ma venaison en cadeau. » Au retour de la battue cynégé­
tique, le cadavre de l’anim al est déposé à l ’entrée de la
hutte de l’esprit; le fils en fait don à son père. S’il s’agit
d ’une bête dont la chair ne se mange pas, on va la dépouil­
ler plus loin. La peau est ensuite suspendue dans l’édicule.
Dans le cas où le gibier tué à la chasse est une viande
comestible et ne fait pas l’objet d’un tabou, le jeune chas­
seur l’offre en sacrifice à l ’auteur de ses jours, en suivant
les rites habituels. On fait griller sur place quelques lam ­
beaux de chair, comme on l’a déjà dit. Le reste de la bête

UN

ROYAUME

H A M IT E

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CENTRE

DE l ’a F R I Q U E

677

est emporté à la maison pour être préparé comme une
viande ordinaire. Il faut déposer la peau un instant dans
la hutte de l’esprit. Le propriétaire l’utilise ensuite comme
il l’entend.
Le fils d’un propriétaire de vaches agira en pasteur pour
se concilier les faveurs de son père défunt.
Le troupeau est amené devant Pédicule. Prenant la
parole, l’héritier dit : « Père, voici les vaches qui t’appar­
tiennent toujours. Je te les présente. Aucune n ’a été ven­
due. Fais qu elles se développent et que nous ayons de
nouvelles génisses. Écarte d’elles les épizooties ». La plus
belle du troupeau, c’est-à-dire celle qui a vêlé le plus sou­
vent (urusugi) et à laquelle l ’ancien propriétaire attachait
un grand prix, est mise en avant comme pour réjouir le
cœur du possesseur décédé et lui rappeler l’attachement
qu’il portait à la bête.
Le pasteur asperge les animaux d’eau lustrale (eau de
craie) au moyen d’une poignée de branches douées,
d’après la crédulité publique, de propriétés magiques.
Les aides traient les vaches sur place au nom et pour
le profit supposé du défunt. Quelques gouttes de lait sont
en réalité versées dans un récipient hors d’usage et aban­
données dans Pédicule. L’autre quantité du liquide est
employée comme d’habitude pour les besoins du ménage
et chacune des personnes présentes va vaquer à ses occu­
pations journalières.
Le fils d’un forgeron décédé « forge » en l ’honneur de
son père.
S’avançant devant Pédicule construit en souvenir du
défunt, il frappe l’un contre l’aidre les deux marteaux de
l’atelier. Le son de ces outils ne peut être q u’agréable aux
oreilles de celui qui a disparu d’entre les vivants.
A défaut de marteaux personnels, le fils peut en em­
prunter ailleurs ou se procurer de vieilles haches dont il
fait le même usage que précédemment.
Si l’affection qu’il porte a son père est profonde et s’il

678

UN

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AU

CENTRE

DE

l ’a F R I Q U E

se trouve dans un besoin pressant, il transporte l’enclume
lui-même, c’est-à-dire la grosse pierre qui en fait office,
à l’entrée de l ’édicule et se met à forger d’une façon
sérieuse ou imaginaire. L’auteur de ses jours, d’après les
croyances indigènes, n ’y voit aucune différence et prend
u n extrême plaisir à écouter le bruit des marteaux. C’est
un travail fait en son honneur, qui lui rappelle ses
anciennes occupations. Les quémandeurs et les suppliants
offrent toujours, dans ces circonstances, aux esprits de
leurs ancêtres, les mets : viande, pain de sorgho, etc., ou
les liquides : lait, vin de bananes, pombe de sorgho ou
d ’éleusine, hydromel, etc., qui avaient leur préférence
durant leur vie mortelle.
Pas n ’est besoin d’en mettre beaucoup dans l’édicule.
Quelques gouttes de bière ou de lait, quelques bouchées
de viande ou de nourriture suffisent à apaiser les mânes.
Les vivants font ensuite bombance en leur honneur.
Les esprits ne peuvent que s’en réjouir.
La guérison d’un malade, la naissance d’un enfant, la
réussite d’un procès, etc., dépendent de cette conduite,
variable d’après les états et les situations qu’occupaient
les morts de la tribu.
Karenge,

le

voleur

de

gran ds

c h e m in s .

Karenge était de race m uhutu et appartenait au clan
des Banyoni. Il avait établi son domicile dans la forêt du
Kanage, non loin de la rivière Pfunda.
Aidé de ses fils et des quelques gens qui s’étaient mis à
son service, il razziait les passants et vivait du produit de
ses fructueuses rapines.
On le craignait partout à la ronde; nul ne songeait à le
déloger de son repaire, situé en plein carrefour et d’où
il était facile de surveiller les abords.
Karenge dépouilla un jo ur un individu qui lui avait
rendu service et croyait pouvoir compter sur sa bienveil­
lance.

UN

ROYAUM E

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CENTRE

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679

Blessé au plus intime de son être, l’ami lésé refoula
dans son cœur le juste ressentiment de l’injustice com­
mise à son égard et attendit une occasion favorable.
Quelques mois s’écoulèrent. Karenge fut un beau jour
invité à un repas de noces par son ancienne victime.
Accompagné d’un de ses fils, il se rendit sans aucune
défiance à la demeure de celui qui l’avait appelé.
Les bières étaient du meilleur cru, abondantes et sans
eau. L’amphitryon avait d’excellentes raisons pour bien
traiter ses botes. Karenge fit honneur au festin. Il n ’avait
plus tous ses esprits quand il quitta le logis hospitalier.
Le maître de la hutte voulut, selon l’usage, lui faire un
pas de conduite.
L ’ami n ’avait rien oublié, les circonstances étaient pro­
pices. 11 prend sa lance, en perce le voleur redouté et celui
des fils qui l’avait accompagné. Leurs cadavres restèrent
sur le chemin.
Les membres de la famille de Karenge, ne voyant pas
revenir leur maître, allèrent aux nouvelles. Ils furent
bientôt instruits de ce qui s’était passé.
Craignant de subir le même sort, ils abandonnèrent leur
retraite et allèrent se fixer au loin. On n ’entendit plus
parler d’eux.
Il
reste encore quelques arbres, des ficus, qui indiquent
l’emplacement de la demeure du brigand. C’est un lieu
de halte connu sous le nom devenu historique d’« an­
cienne place de la Hutte de Karenge » (rya Karenge).

H

is t o ir e

de

Sentam a

et

du

clan

des

B

ashongo

.

Sentama était de race mututsi et faisait partie du clan
des Bega. Il habitait l’Urundi.
Sa sœur Myariro, d’une grande beauté, plut au roi de
l’Urundi, qui l’épousa.
Les relations entre beaux-frères furent d ’abord excel­
lentes. Les courtisans les brouillèrent dans la suite.

68 0

UN

ROYAUME

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CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

Mutaga conçut à la longue une si vive inim itié q u’il réso­
lut de mettre à mort son ancien favori.
Myariro eut vent de ce projet. Son frère étant venu à
la Cour comme d’habitude, le roi, qui cachait son dessein,
lui fit servir à boire. La jeune femme était réputée bonne
joueuse de cithare. Elle entonna un chant pour prévenir
son frère du sort qui l’attendait : « Bois (avec modéra­
tion); si tu perds la raison, je te maudis; garde-toi bien de
refuser la liqueur. Bois, mais ne finis pas la cruche » (*).
Sentama comprend le langage de sa sœur, se tient sur le
qui vive? et rentre chez lui avec tous ses esprits.
Myariro lui députe aussitôt un serviteur de son entou­
rage chargé d’un petit panier dans lequel se trouvent
deux fleurs de bananes transpercées chacune d’une alêne
et de l’herbe couleur de sang dite « umwisheke », pour
rendre le message plus expressif : « Si l’on te demande,
dit-elle au mutwa porteur de ces fruits-fleurs, ce que con­
tient la corbeille, réponds q u’il s’agit de poussins pour la
divination ». L’homme arrive avec son singulier dépôt.
Sentama voit qu’il n ’y pas de temps à perdre. Il s’enfuit
sur-le-champ, traverse la frontière qui sépare l’Urundi
du Bwanda et vient s’installer dans la province du Gisigari, où il ne resta que peu de temps.
C’était sous le règne de Chyilima, auquel l’émigré
m urundi avait dû tout d’abord demander l’autorisation
de vivre dans son royaume.
A la suite d’une querelle avec les chefs du Gisigari,
Sentama transporta ses pénates à Gahondo, au Nord-Est
du Kivu.
Il
réussit peu à peu à étendre son influence sur les habi­
tants de la contrée. On ne sait plus au juste si le roi du
(!) Usome, uyisinde, nkugaye. Kandi nuyanga, nkugaye. Ntunywe
ng’ ushirire mu kibindi.

Le sens de cette dernière phrase est le suivant : Que la cruche ne soit
pas pour toi l’occasion qu’on cherche de te tuer.
(2) Uti, umulorer’ iyo nkoko.

UN

ROYAUME

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CENTRE

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681

Rwanda lui avait donné le pays ou si c’est Sentama luimême qui prit de l’ascendant sur ses voisins et se m it à
les gouverner. Les gens lui obéirent docilement.
Il avait pris comme aide un indigène de la région,
nommé Gikuni.
Cclui-ci ayant de petites rancunes à satisfaire, imposa
un lourd tribut à un de ses compatriotes, Mushongo,
pêcheur de sou métier. Les cultivateurs devaient fournir
des pois et des haricots pour la capitale. Mushongo fut
invité à remplir un grenier (ikigega) du produit de ses
pêches.
Le gros panier de roseaux était rempli à moitié quand
Mushongo, lassé et irrité des mauvais procédés dont on
usait à son égard, se vengea d’une façon originale. Un de
ses aides se rendit de nuit dans la cour de Gikuni, s’in ­
stalla sur la provision de poissons et... les souilla.
Mushongo, jouant au personnage lésé et insulté, se posa
en victime. « On a souillé les provisions du roi! »
Il alla dénoncer le crime à Chyilima lui-même, qui
envoya un de ses hommes constater le méfait.
Il y eut une deuxième ambassade pour aller aux infor­
mations. Mushongo et ses fils qui l’accompagnaient, ne
se sentant pas la conscience à l’aise et craignant une
enquête approfondie, jetèrent les messagers dans le lac.
Les envoyés du prince étaient au nombre de deux.
Le hardi pêcheur revint sur ses pas, retourna à la capi­
tale et s’excusa auprès du monarque : « Tes gens m ’avaient
insulté gravement, je les ai noyés ». 11 ne fvit pas inquiété
autrement, regagna sa demeure et continua à se livrer à
ses travaux de pêche.
Les descendants, connus sous le nom d’Abashongo (ou
gens de Mushongo), ont peuplé le pays de Gahondo que
les fiils de Sentama gouvernèrent jusqu’à ces dernières
années (1).
(!) On connaît la descendance de Sentama : Sebitangi, Nyabulari,
Burunga et Gafulengwa.

682

UN R O Y A U M E

H A M II'E

H is t o ir e

AU

de

CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

B u s h im in a .

Bushimina était de race m uliutu et appartenait au clan
des B anyunju originaires des pays situés au Nord-Ouest
du Kivu. Les ancêtres de la tribu étaient venus se fixer
au Bugoyi pour échapper aux coups et à la marmite des
Walega anthropophages.
Les Banyunju se sont développés avec rapidité et occu­
pent aujourd’hui un grand nombre de villages.
Bushimina avait de l’audace et du savoir-faire. Il se fit
accepter de ses compatriotes, qui lui payèrent régulière­
ment l’im pôt comme au chef légitime de la contrée. Les
cruches de bière et du miel affluaient au logis de l ’élu du
sort.
Bushimina ne sortait jamais sans se faire porter en
litière; il s’était constitué une petite cour, tranchait les
procès et se conduisait en roi. Les jours se succédaient
sans peines et sans soucis, notre homme faisait bombance
et vivait largement, quand survinrent les troupes dites
des Nkemba, sous le commandement de Rwidegembya (*).
On était en 1898.
Les Batutsi de la Cour de Nyanza, mécontents des
Bagoyi, qui avaient cessé de payer les impôts, voulaient
leur donner une leçon.
Les Nkemba venaient d ’arriver dans le Gishwati, à trois
heures environ de Nyamwenda, village de Bushimina. Le
voisinage était peu rassurant.
Notre homme, pris de scrupules, se rend au-devant des
envahisseurs. Il rencontre au village de Vumbi, Rwidegembva, auquel il se présente.
Il s’excuse auprès de lui d’avoir assumé l’administra­
tion de la localité.
Il fallait, assure-t-il, maintenir l’ordre. Les Bahutu ne
voulaient plus obéir à leurs anciens chefs Batutsi. Ils
attendaient de nouveaux ordres de la Cour.
(!) Livre deuxième, chap. VI.

UN

ROYAUME

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CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

683

Quant à lui, il était prêt à faire tout ce qu’on voudiait,
il se mettait à leur disposition.
Les guerriers l’encouragent dans ses bonnes résolu­
tions : « Prépare-nous des logements, lui répond Rwidegembya, procure-nous des vivres. Nous irons camper
demain chez toi. Tout le reste s’arrangera sans difficulté ».
Bushim ina se retire, croyant avoir gagné sa cause. Il
fait appel à ses compatriotes et sujets. On réunit de nom ­
breux paniers de vivres; il s’agit de bien traiter les arri­
vants. Cruches de miel, pots de bière s’entassent à l’en­
trée du village. On constitue un petit troupeau de chèvres
comme viande de boucherie.
Les troupes se présentent à l’heure de m idi. Bushimina
va au-devant d’elles.
Il est reçu à coups de lances... Son cadavre abandonné
devînt la proie des hyènes.
Les Bagoyi l’ont surnommé dans les récits : « La grosse
porte qui fermait le village de Nyamwenda » (x). On veut
dire par là que nul ne pouvait traverser sans son autorisa­
tion le pays q u’il habitait.
H is t o ir e

de

N é g r il l e s .

Elle est racontée par les Bahutu, qui ne nourrissent pas
habituellement de sentiments très tendres à l’égard des
hommes des bois. Nous donnons le récit tel que nous
l ’avons entendu.
Deux Négrilles avaient aperçu un nid d’abeilles sur les
flancs raides et escarpés du mont Ihembe (ou Ibere) (2).
Bien que fort habiles à se servir de leurs doigts des mains
et des pieds, leurs efforts ne furent couronnés d’aucun
succès. Ils tinrent conseil : « Cherchons une liane, se

(*) Chugi chugariraga Nyamwenda.
(2) Ce pic porte le nom de Corne (en runyarwanda Ihembe) à cause
de sa forme escarpée.

68 4

UN R O Y A U M E

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AU

CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

dirent-ils, et nous arriverons à mettre la m ain sur la
réserve de miel ». La forêt était proche, on n ’eut pas de
peine à se procurer le lien.
Aidé par son compagnon, qui soutenait la corde, l’autre
descendit. Il parvint aisément à l’endroit. Les minutes
paraissaient longues au Négrille, qui, debout au sommet
du pic, tenait le bout de la liane : « Vas-tu me laisser
quelque chose P » cria-t-il à son compère. « Ne crains
rien, mon ami, je suis en train de recueillir la provision
de miel, j ’ai presque fini », répond l’autre. Lassé d’at­
tendre et se doutant bien que son camarade ne lui laissera
rien, le premier Mutwa l’interpelle plus vivement. Le
compère tout entier à son repas de gourmet ne répond pas,
pour ne pas perdre une bouchée. Furieux, notre homme
lâche la corde; le mangeur de miel roule dans le vide et
se rompt le cou.
J

u s t ic e

ro y a le

.

Kigeri IV Lwabugiri était, on le sait, un redoutable ju s ­
ticier. Il laissait partout où il passait des traces sanglantes.
Les Bagoyi se souviennent encore des malheureux qui
perdirent la vie lors des différents séjours que fit le prince
dans la région.
Le Hamite était attiré au Bugoyi par le voisinage du
Buhunde, pays situé au Nord-Est du lac, où il entreprit
plusieurs expéditions. Le monarque habitait à Gisenvi
même, sur les bords du lac, où l ’on voit encore l’un des
ficus qui servait à clôturer l’enceinte royale.
Le prince à l’hum eur batailleuse et voyageuse ne pou­
vait s’accoutumer à un repos prolongé; il parcourait luimême les villages de la contrée. On lui avait signalé un
m uhutu de la colline de Busoro, Mvurivinka, qui rançon­
nait tous les voyageurs qui passaient à proximité de sa
case. Le roi se rendit chez le voleur de grands chemins et
lui fit couper séance tenante les pieds et les mains par les
bourreaux de sa suite.

UN

ROYAUME

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AU

CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

685

Au village voisin de Nyamyumba résidait un autre m al­
faiteur, Sebichuma, qui, lui aussi, arrêtait les passants.
Il eut le même sort que le précédent.
JNkunzi, du clan des Bahuma, vivait également du pro­
duit de ses vols. Lwabugiri alla le trouver à son domicile
du Kibumba et le fit mettre à mort comme ses compères.
Nvamunonoka, le chef m uhutu des Bayungu, qui habi­
tent à Ntsuro, au Nord du lac, fut abattu à coups de sabre,
à Bubona, près de Gisenvi. Chargé de ravitailler la Cour,
il avait eu le malheur d’arriver en retard et d’avoir fait
attendre le prince. On rendit responsables de ce même
crime de lèse-majesté, Mulinga et Nvamulinga, femmes
de la victime. Elles furent brûlées vives dans leur hutte.
Sebissogo, du clan des Bambari et voleur de profession,
avait réussi à soustraire une défense d’éléphant du trésor
royal qui suivait le roi dans ses déplacements. Lwabugiri
le surprit chez lui, au village de la Mutura, et le fit assom­
mer à coups de massue.
Karongano, du clan des Bahorwa, est accusé, le même
jour, auprès du prince, de fournir des renseignements aux
détrousseurs de métier et d’écouler les produits de leur
rapine. L’homme habite à Kilerama, près du ruisseau de
la Mutura. Les Batwa vont s’emparer de sa personne et
reçoivent l’ordre de le tuer à coups de bâton, à Nkuri.
Biche, de la tribu des Bambari et du village de la
Mutura, est dénoncé pour crime d’ensorcellement. Le sou­
verain le livre aux exécuteurs, qui lui font subir la même
peine qu’aux deux autres.
Muhakwa, du village de Kayove et chef des Batembe,
descend à Gisenvi, à un moment où les serviteurs du
prince se plaignent du manque de vivres. Le lait et la
bière vont faire défaut sur la table royale.
Bulahanda, qui, lui aussi, est chargé du service de
ravitaillement, craint pour ses jours. Il profite de la pré­
sence de Muhakwa et de ses gens, qui arrivent avec des
provisions pour détourner de sa personne la colère du

(Î8 6

UN

ROYAUM E

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CENTRE

DE

L A F R IQ U E

souverain. « Muhakwa est en faute, s’écrie-t-il, on l ’avait
averti, il y a plusieurs jours, il faut faire un exemple,
pour que pareil retard ne se renouvelle pas. »
Les courtisans, à leur tour, engageaient le monarque à
prononcer une sentence capitale.
Muhakwa a heureusement pour parent un sorcier-devin,
Kwezi, qui exerce une grande influence auprès du roi.
Cette circonstance lui sauva la vie. Le prince se contenta
de lui faire couper les oreilles parce que, ajouta-t-il, il
fallait donner une leçon au pays. Bulahanda, chargé d’ap­
pliquer la peine, ajoutant la dérision à la délation, ne
sépara pas complètement les deux organes de la tête du
malheureux. Les oreilles, retenues légèrement par l’extré­
mité inférieure, retombaient comme deux loques sur les
épaules de Muhakwa, qui, pour se retirer, dut traverser
les rangs des courtisans, au m ilieu des rires et des moque­
ries. Il fallut q u’à sa prière l’un des gens qui le suivaient
trancha le dernier lambeau de chair qui retenait les deux
pavillons.
Muhakwa dut encore livrer dix vaches au roi.
Mulamira, du clan des Bahara. subit le même sort pour
avoir usé de réticence envers le prince. Un jour que celuici traversait la petite chaîne de Nkama, ayant affaire avec
le chef Mihana, il demanda à un individu q u’il rencontra
au village de Rukum bo, où se trouvait le représentant de
la tribu. Lwabugiri estima que la réponse donnée par
l’homme était dénuée de toute vraisemblance, il le fit
punir de la façon que nous venons d’indiquer.
Un autre Mugovi, Tabaro, du clan des Batembe, mourut
victime des caprices de Lwabugiri.
Tabaro était sorcier-devin. 11 partageait ce métier avec
un autre de ses parents, Matabaro, qui avait passé toute
sa vie à la Cour. L ’intim ité de ce dernier avec la famille
du monarque et son dévouement à la cause royale l’avait
fait choisir autrefois comme tuteur du jeune Lwabugiri,
qui avait gardé un bon souvenir de son ancien maître.

UN

ROYAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

687

Le pupille devenu grand, causait avec son favori quand
vint à passer le cousin de celui-ci, Tabaro. Prenant pré­
texte d’une conversation ancienne ou supposée avec ce
dernier, le roi le prend à partie à haute voix : « ce que
tu m'as dit au sujet des relations coupables de Matabaro
avec la reine est bien vrai, n ’est-ce pas ? »
La stupéfaction de l’interpellé est grande : « Prince,
répond-il, je ne t’ai jamais dit rien de semblable, tu veux
plaisanter sans doute ? » Lwabugiri insiste, veut lui faire
répéter les termes d’une dénonciation q u’il assure être
venue de sa part. L’autre, fort de son innocence, veut se
retirer en lui disant : « Sire, tu radotes comme une vieille
femme ».
Lwabugiri le retient et ordonne à Rutalindwa, son fils
présent à la scène, de le p unir pour s’être rétracté.
L ’héritier du trône avait une massue entre les mains. 11
mania son arme de telle sorte que Tabaro fut assommé du
coiq) et tomba à la renverse. Les chiens dévorèrent le
cadavre sur place 0).
Le roi précédent avait été un prince pacifique (umwami
w ’inteko). Les coutumes en vigueur ne lui permettaient
pas de franchir les fleuves et lui interdisaient tout dépla­
cement de longue durée. Aussi les gens du Rugovi, qui
n ’eurent jamais l ’occasion de voir le souverain dans leur
province, n ’eurent pas trop à souffrir de sa justice et de
son omnipotence.
On ne connaît de ce prince que deux jugements pro­
noncés par lui et suivis d’une sentence capitale dont furent
victimes des Bagoyi.
(!) Les parents de la victime croient que Lwabugiri agit ainsi à
l ’égard de Tabaro par indulgence et en vertu d’un reste d’amitié. Au
lieu d’appeler les Batwa pour faire tuer le sorcier de la Cour, il se servit
de l’intermédiaire de son propre fils, qui fit office de bourreau. La mort
à coup de massue passe chez les indigènes pour être la peine la plus
douce. L’exécution eut lieu loin de tout regard profane, à l’intérieur du
palais royal, sous les yeux du roi, de l ’exécuteur et de Matabaro, devenu
la cause indirecte de la mort de son parent. Singulière indulgence !
dirons-nous. Il ne faisait pas bon d’être l’ami du roi à cette époque.

688

UN

ROYAUME

h a m it e

au

centre

de

l ’a f r i q u e

Lujanga, un Mukora (nom du clan) du village de
Muchondo, dans la vallée de Kanama, avait été accusé par
les siens du crime d’ensorcellement. Conduit à Ruchunchu
auprès du souverain, celui-ci le condamna à avoir les
pieds et les mains coupés.
Ryunga, un M uhum a de Lunande, fut dénoncé au roi
pour le même grief que précédemment par ses voisins, les
Batembe, qui jouissaient d’un grand crédit auprès du roi.
Ses ennemis réussirent à l’entraîner à la Cour, qui se trou­
vait alors à Muganza, dans le Nduga. Il eut beau essayer
de se disculper. Les inculpations de ce genre permettaient
difficilement aux infortunés qui étaient sous le coup de
cette dénonciation de trouver grâce devant leurs juges.
Byunga fut condamné à subir le supplice de l’empale­
ment. Il resta, dit-on, trois jours sur son pal et ne mourut
q u ’après d’atroces souffrances.
O r g a n is a t io n

m il it a ir e .

C orps

d ’a r m é e ,

m il ic e s

PROVINCIALES.

En cas de guerre la mobilisation est réglée suivant un
plan déterminé. La milice provinciale comprend tous les
adultes aptes à porter les armes. Les Bagwabiro et leurs
clients, pour échapper aux vexations du gouverneur
hamite Nkusi, obtinrent de la Cour la faveur et le privi­
lège de former un corps d’armée sous le commandement
d’un autre chef désigné par le roi. On donna à leur milice
le nom d’Abashakamba. Les circonstances ayant changé,
ils reprirent rang dans la milice des Abakemba, sous
l’administration de Bissangwa. Le gouverneur de la pro­
vince est le commandant (umugabe) de la milice (umutwe)
et a le droit de lever sur les membres qui en font théori­
quement partie une petite contribution annuelle appelée
impôt de l’arc (ikoro ry’ umuheto).
Cette redevance varie avec les provinces (1). Au Bugoyi
(■) Dans la province du Bwana-Mkali, tout individu apte à porter les
armes et faisant partie de la milice dite du Mvejuru, doit fournir annuel­
lement à son commandant un panier de sorgho (urutete rw’ amasaka).

UN R O Y A U M E

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

689

L ’A F R IQ U E

les <( ngabo » ou miliciens livrent des anneaux (ubutega)
de femme. Chaque groupe fam ilial (igitsina) est taxé selon
le nombre d ’adultes pour cent, mille ou deux mille de ces
ornements féminins. Les membres du clan doivent four­
nir en même temps des lances, des flèches, des carquois,
des haches, des couteaux, des clochettes (pour les pages
et... les chiens), des alênes qui servent d’aiguille
(im pindu), des cruches de miel, des nattes, etc. Le gou­
verneur désigne quelquefois des Batutsi autres que ses
mandataires habituels pour recueillir à leur profit cette
même redevance. Le Bugoyi a été divisé en districts répar­
tis par le commandant en chef entre plusieurs protégés,
qui profitaient de l’aubaine pour en retirer leur sub­
sistance.
Les Banyago payèrent l’im pôt militaire à Mulangire,
puis à Mafrumba et prirent le nom de milice dite de Nyagamutsindo; les Bahindi et les Babanda relevaient de
Lwandilima et s’appelaient Akaraba.
Les redevances ne faisaient qu’augmenter avec le temps
et donnèrent lieu à des abus criants.
On cite le cas de malheureux individus qui, après avoir
changé de domicile, payaient l’impôt militaire à deux
chefs de milice.
Sy s t è m e

f is c a l .

Le système fiscal en vigueur au Bugoyi était originaire­
ment peu compliqué et ne pesait pas lourdement sur la
population.
Les charges de l’im pôt ayant augmenté sous le règne
de Lwabugiri (’Kigeri IV), les habitants du pays durent
désormais fournir en plus de l’ancienne contribution, des
paniers de haricots, des cruches de miel et des journées de
prestation (*).
(l)
Les journées de prestation étaient pour les Bagoyi un lourd tribut,
parce qu’ils devaient quitter leurs montagnes et se rendre à la capitale
pour y exécuter à la Cour les travaux de bâtisse qu’on exigeait d’eux.
Les frais de nourriture et de séjour étaient à leur charge.
MïiM.

INST. ROYAL COLONIAL BELGE.

44

690

UN R O Y A U M E

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

Nous ne donnons ici dans le tableau que ce qui faisait
l’objet de l’im pôt prim itif offert directement au roi sans
aucun intermédiaire.
Clans :

Impositions :

1. Les Bagwabiro et leurs
alliés les Bisbaza et les
Bavuna donnaient
2. Les Bahigo, les Batembe
et leurs partisans les
Badaha et les Bakananda.
3. Les Bahuma du village
de Kanombe.
4. Les Bashobyo (3).

Des anneaux de femme dits
ibikaka et deux ou trois
jeunes pages (*).
Des blagues à tabac, des
serpes et des couteaux (2).

5.
6.
7.
8.

Les
Les
Les
Les

Batabu.
Bahindi.
Bondo.
Babaji.

9. Les Bachuchu.
10. Les Bageri.

11. Les Basaba.
12. Les Balimba.

Du miel, à cause du voisi­
nage de la forêt.
De la bière de miel dite
Rugina.
Du miel.
Du miel.
Du miel.
Des chaises indigènes faites
de rondins et des plats en
bois (imbehe).
Des nattes.
De la bière de miel dite
insengamihigo
et
des
pioches.
Du miel.
Du miel.

f1) Les pages de la Cour se recrutent annuellement à travers le
Rwanda. Ils passent près de cinq ou six ans à la Cour, où ils sont
exercés aux danses et aux sports pour l’amusement du roi.
(2)
Les Rahigo comptaient parmi leurs alliés et leurs partisans des
forgerons (Abadaha), c’est pour ce motif qu’ils étaient imposés pour des
serpes et des couteaux. Les blagues à tabac font en plus de leur usage
naturel partie de l ’attirail des sorciers-devins.
Ceux-ci se servent de ces sachets pour y remiser les instruments divi­
natoires et les os de mâchoires.
(s) Les Rashobyo sont, depuis le règne de Lwabugiri, taxés pour
quatre cruches de miel et vingt-sept pioches que les forgerons de la capi­
tale utilisent comme minerai afin d’en retirer les grelots dont se servent
les pages aux jours de danse et de réjouissance.

UN

ROYAUM E

H A M IT E

AU

CENTRE

Clans :
13.
14.
15.
16.
17.
18.

19.
20.

21.

DE L ’A F R IQ U E

691

Impositions :

Les Baloto.
Des pots à lait.
Les Bagasha.
Des lances.
Les Bahumade Lunande De la bière de miel.
Les Banyambo et leurs Une bière de miel appelée
alliés les Bakwa.
Musigivu.
Bakangara.
Du miel.
Bagessera.
Des anneaux faits de fil de
fer léger et qui se mettent
aux jambes.
Les Batana.
Des carquois pour flèches.
Les Bashama.
Des courroies et des lanières
de sanglier pour le port
des sabres O .
Les Banyoni.
Du miel (2).
Im

pôts

et

corvées
aux

de

B

nature

d iv e r s e

anyarw anda

communs

.

I. L ’impôt annuel payé au roi se compose de haricots,
petits pois, sorgho, éleusine, etc.
Les membres de chaque clan étaient taxés selon leur
importance pour un ou plusieurs paniers de ce genre de
nourriture.
Ces redevances portent le nom d’ « im pôt de la terre »
(ikoro ry’ ubutaka) ou de « vivres qui peuvent s’emmagasiner », c’est-à-dire se conserver (ibihunikwa).
II. Le prince a droit à quelques têtes de bétail que les
propriétaires lu i présentent habituellement une fois par
an, sous forme d’une vache et de son veau. On se sert du
terme « inkuke » (du verbe gukuka, sortir de, venir de),
qui signifie produit (3).
III. On prélevait autrefois dans quelques familles des
t1) Ces courroies et ces lanières se nomment « imigara ».
(2) Les Ragoyi fournissaient du miel, à cause du voisinage de la forêt
et des vastes espaces broussailleux où les habitants placent leurs ruches
d’abeilles.
(3) Offrir au roi ou à un personnage de marque une belle vache et son
petit taurassin est la plus grande marque d’estime qu’on puisse lui
donner.

692

UN R O Y A U M E

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AU

CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

pages (intore) pour la Cour. Ces enfants séjournaient p lu­
sieurs années auprès du souverain et réussissaient quel­
quefois à gagner ses faveurs, quand ils arrivaient à se faire
remarquer par leur assiduité auprès de lui ou par leur
habileté dans les danses et les sports.
D ’autres fournissaient des fillettes qui vivaient dans
l’entourage de la reine-mère et vaquaient à différents ser­
vices domestiques. Elles faisaient partie de la maison de
la souveraine, qui s’occupait ensuite de leur mariage.
Les malheureuses q u’un mariage bien assorti ne retirait
pas du m ilieu de la Cour, sont désignées sous le nom
d ’esclaves (abaja) et mènent une existence misérable.
IV. Les gouverneurs et les chefs de village, en vertu de
leurs droits sur le sol, exigeaient de la part de leurs adm i­
nistrés des journées de travail.
Ces prestations pouvaient être réclamées, en théorie,
cinq jours par semaine. En pratique, les Bahutu n ’avaient
pas à fournir hebdomadairement plus de seize heures de
travaux, qui consistaient surtout à construire des huttes,
à cultiver, à sarcler et à accompagner le seigneur en
voyage.
Ce genre de corvée s’appelle buletwa ou butaka, c’està-dire impôts de la terre.
V. Les Bahutu fournissent encore, en leur qualité de
sujets, des redevances en nature, un panier de sorgho (dit
urutete) et quelques poignées de pois ou de haricots, enve­
loppés dans des feuilles de bananier, d’où leur nom tra­
ditionnel d’ « enveloppes » (imfukire). Cette sorte de
dîme prélevée sur les récoltes sert à l’entretien des Batutsi
et de leurs familles.
VI. La corvée dite de la « veille de nuit » (okulalira)
était de toutes la plus détestée.
Les gens étaient tenus de passer la nuit à tour de rôle,
deux par deux, chez le chef de la colline, pour écarter les
voleurs. Les hommes de garde devaient rester éveillés et

UN

ROYAUM E

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AU

CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

693

entretenir le feu dans la hutte où dort le seigneur luimême. C’est à eux qu’incombait le soin de se procurer le
bois de chauffage nécessaire pour entretenir le foyer de
nuit.
VII. Les sacrifices divinatoires chers aux Hamites
étaient pour les Bahutu l’occasion d’une autre taxe. Les
administrés en faisaient les frais.
Un chef pouvait, en effet, d’après la coutume choisir
parmi les troupeaux de ses sujets la matière du sacrifice,
d ’où l’appellation de choses d’Imana O (Dieu) donnée aux
moutons prélevés à ces fins.
Les devins lisant l ’avenir dans les entrailles des pous­
sins, il s’en faisait chez les Batutsi de fréquentes héca­
tombes, ce qui était loin de permettre aux paysans indi­
gènes de développer l’importance de leur poulailler.
Ajoutons que les volatiles de cette sorte n ’étaient élevés
que dans cet unique but.
La chair de poule est considérée par les Banyarwanda
comme la viande la plus indigeste et la plus grossière qui
puisse se concevoir.
VIII. La pénétration européenne a apporté dans le sys­
tème fiscal indigène des changements notables dont les
Bahutu n ’ont eu q u’à se louer. Deux nouvelles charges
toutefois dues à cette circonstance de l ’arrivée des Blancs
ont pris la place des anciennes. Les Banyarwanda les dési­
gnent sous le nom de « travail forcé » et « de nourriture
de nuit », c’est-à-dire les vivres nécessaires aux Européens
et aux membres de leur caravane, quand ils sont de pas­
sage dans une région (2).
Bien que les travaux auxquels sont soumis les indigènes
soient largement rétribués, le nom de « travail forcé »
(ubunetsi) est passé dans la langue pour signifier qu’il
s’agit d’occupations créées et imposées par les Blancs.
f1) Amamana.
(2) Ubunetsi de kuneka, travailler de force, et amalali du verbe kulala,
passer la nuit.
'

694

UN

ROYAUME

M a n d a t a ir e

H A M IT E

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CENTRE

et s o u s -c h e f s de

DE L ’A F R IQ U E

B is s a n g w a , 1880 à 1898.

Pour administrer les districts et les villages qui divisent
et subdivisent la province, le gouverneur nomme, avonsnous dit, habituellement un représentant pour le rem­
placer et des sous-chefs q u’il prend d’ordinaire parmi ses
proches et ses amis.
Bissangwa choisit pour le représenter au Bugoyi, son
propre frère Nyamukobga, qui fixa sa résidence à Muhato.
Sous-chefs :
1. Luzimya.
Sa résidence était à
Nganzu. Il fut congédié
par Bushako, le succes­
seur de Bissangwa.
2. Bulahanda.
Il habitait à Gashashi
et fut congédié par Bu­
shako.
3. Bizirakuzama.
Il s’était installé à Keva.
Lwakadigi, le m anda­
taire de Bushako, lui
enleva ses possessions.
Quelques années plus
tard, en 1927, le m al­
heureux se suicida à
Bugina sur la Gako
(Kanage).
4. Biguma.
Son fils Gatorano a hé­
rité de ses possessions.
5. Lubamankiko.
6. Kabgana.
Son fils Nvarubanga lui
a succédé.
7. Luniga.

Villages et collines :
Kigarama, Gahondo, Gasha­
shi et Kanama.

Nyakiliba.

Keya, Gakora, Kizi, Bassa,
Gitebe, Gatebe, Lugarika,
Muhira, Nvarushaki.

Kiroji, Nkama, Chvanzarwe, Luhangiro, Bisizi,
'Kabirizi, Mukingo.
Lukengeri, ’Kinyanzovu,
Muti, Bukingo.
Murambi.

Lugerero, Kabere, Ruvumbu, Kizi et Bukingo.

UN

ROYAUM E

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

l ’a

695

F R IQ U E

Sous-chefs :

Villages et collines :

8. Segachu.ruzi.
Son fils Sebunywero lui
a succédé.
9. Kiromba, frère de Lwakadigi.
Son fils aîné Gashabe a
hérité de toutes ses pos­
sessions (1).
10. Kajuri.

Une partie de Nkama et une
autre de Kinigi et Bgitereke.
Munanira, Nyamiko, Nyam yum ba, Kiraga, Bushagi, Gatobo, Busanamana,
Busoro et une partie de
Ngabo.
Rubavu, Rwaza, Gisa, une
partie de Kabere, Gasayo
et la majeure partie de
Nyabutwa.
Mwufe.

11. Lwakadigi, frère de Ki­
romba.
Ce chef reçut son petit
fief par l ’intermédiaire
de Kiromba, qui avait
du crédit auprès de Bissangwa.
12. Lumenyamilera.
13. Ndeziryayo.
14. Kam ugisha.
15. Sagatwa.
16. Sekaziga.
17. Burunga (d’origine murundi).
M

a n d a t a ir e s

et

s o u s -c h e f s

Byahi.
Bwerere (2).
Rwerere.
Bwerere.
Muhanda, Chanzarwe.
Kabuga (Gahondo).

de

B

ushako

,

1898

à

1929.

Mandataires successifs.
1. Mulangire, propre fils de Bushako.
2. Kiromba, qui se désista en faveur du suivant.
3. Lwakadigi, frère du précédent. On dut l’écarter, en
1926, à cause de son incapacité et de ses exactions.
(!) Les fils de Kiromba sont : Gashabe, Sebakara et Lwagasore.
(2)
Le Rwerere est une plaine située au pied des volcans Mikeno et
Karissimbi.

696

UN

ROYAUM E

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AU

CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

4. Mbishibishi, fils aîné du précédent (*).
Sous-chefs :
1. Mwumvaneza, qui s’est
jeté de désespoir dans
le Kivu, en 1928. Il était
le neveu de Bushako.
Son fils Ngarambe lui
a succédé.
2. Mvuye, dont le grandpère est originaire du
Bunyabungu (côte occi­
dentale du Kivu).
3. Lunigababisha.

4. Ntvvari.
5. Gatorano.

6. Nyarubanga.
7. Gâche, fils de Lwakadigi.
8. Sebunywero.

9. Gashabi (cousin germain
de Mbishibishi).

10. Mafrumba, fils de Mulangire et petit-fils de
Bushako.

Villages et collines :
Kanembge et une petite
partie de Nyabutwa.

Une partie
Gikombe.

du

Byahi

et

r.ui )avu, Rwaza, Gisa, une
partie de Kabere, de Nya­
butwa, Nganza et Gihinga
(Kanage).
Bubona.
’Kiroji, une partie de Nkama, Chyanzarwe, Luhangiro, Bisizi, Kabirizi, Mukingo.
Murambi.
Kinvanzovu, Bulere, Muhanda.
Une partie de Nkama et
de Kinigi, Bugasha et
Busheke.
Munanira, Nyamiko, Nyamyumba, Kiraga, Bushagi, Gatobo, Busanamana,
Busoro et une partie de
Ngabo.
Kigarama, Byiniro, Lusongati, Nguri, Ngirvi, Kabuga, Bubari, une partie
de Lum bati, de Kanama
et de Gahondo.

t1) Les fils de Lwakadigi sont : Mbishibishi, Gâche, Sebahutu, Sebachogoza, Semabenga et Kibuji.

UN

ROYAUM E

H A M IT E

AU

Sous-chefs :
11. Sebakara, Lwagasore et
Yakaronge, tous trois
frères de Gashabi.
12. Sekubumba.
13. Kalumuhinzi.
14. Lwamigabo.
15. Sebachogoza, fils de
Lwakadigi et dont la
mère s’appelle Nyiranturo.
16. Lwagitare.
17. Luhago, neveu de Lwàkadigi.
18. Butare.
19. Nkundiye.
20. Mfuruta, neveu de Lwa­
kadigi
21. K ibuji, fils de Lwaka­
digi et dont la mère
s’appelle Nyiranshuti.
22. Lutabana (*).
23. Kanyarubira.
24. Gasherebuka (2).
25. Lwego, cousin germain
de Lwakadigi.

CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

697

Villages et collines :
Busoro.

Buhoko, Nyundo (Gahondo), Kibirago.
Luhengeri, Shonyi, Boneza
et une partie deGashashi.
Gibinga.
Mwufe et une partie de
Nvamwenda.

Une partie de Ngabo et de
Gashashi.
Gihumba, Lugamba, Buhonongo, Kanyamasiga.
Syiki ou Bunyari, Nyabishongo.
Murambi (Kanage).
Murambi (Kanombe), Ngoma (Kanombe), Luzibira,
Muhingo.
Nkora, Muhwewhe (ou Busogo), Bambura, Byiniro
et une partie de Mukondo.
Gasovu (Kanage).
Marabuye (Kanage).
Gasasa (Kanage) (3).
Gatovu, Kanombe, Kigarama (une partie).

(*) Lutabana reçut, en 1926, de Mugemanshuro, fils de Bushako, ce vil­
lage ([ue gouvernait autrefois un Muhunde, Tamo, mort en 1928.
(2) Kanyarubira a pris la succession d’un chef décédé (Kampayana).
(3) Le Kanage n’a jamais été érigé en province. C’est un coin de forêt
défriché depuis une centaine d’années.
Une partie de la région est rattachée au Bugoyi et l’autre au Bgishaza.
La rivière de la Koko sépare les deux districts.

698

UN

ROYAUME

H A M IT E

Sous-chefs :
26. Lwandilima.
27. Sebaliutu, fils de Lwakadigi et dont la mère
s’appelle Nyiranturo.
28. Muvunandinda.
29. Gashonga a remplacé
un chef m uhutu, Sebikolera.
30. Sengorore.
31. Luvuzandekwe.
32. Lwangeyo
administré
par l’intermédiaire do
Lubumbabigondo, fils
de Kamugisha 0).
33. Kafunengwa.

AU

CENTRE

DE

L ’A F R IQ U E

Villages et collines :
Nyakiliba, Kayove, une par­
tie de Ngabo.
Muhato, Keva, Bassa, Lugarika, Nyarushaki, Muhira,
Gitebe, Gatebe, Limande,
Kayanza, Kagano.
Lugerero, Kizi, Ruvum bu,
une partie de Kabere.
Une partie de Kanama;
de Lusongati, de Busheke; Karambo, Gashasho,
Lwankomo, Nombe.
Rwerere (Abasaho).
Rwerere (Abasinga).
Rwerere (Abatinwa et Abahizi).

Kabuga (Gahondo).

Il peut arriver q u’un village ou une colline soient parta­
gés entre plusieurs chefs. Le cas est fréquent. Citons quel­
ques exemples :
1° Le petit massif de Kinigi est divisé en quatre parties
q u’administrent Sebunywero, Gashabi, Lukaburandekwe
et Sebachuzi;
2° Le district de Gashashi est gouverné par les Batutsi
dont les noms suivent : Lwagitare, Kalum uhinzi, Lutebezambuga, Rubandaho;
3° La modeste colline de Ngabo est administrée par
quatre sous-mandataires : Yakaronge, Lwagitare, Kalu­
m uhinzi et Lwandilima.
f1) Ces trois chefs administrent chacun une partie de la
du Rwerere. Lubumbabigondo n’était que le mandataire
Kamugisha, qui possédait dans le Bgishaza la colline de
résidait habituellement. Le fils de Kamugisha s’appelle
habite au Bgishaza.

grande plaine
de son oncle
Bubazi, où il
Lwangeyo et

UN

ROTAUME

H A M IT E

AU

CENTRE

DE L ’A F R IQ U E

690

Remarque importante. En donnant la liste des souschefs et de leurs domaines respectifs, nous ne nous faisons
pas juge et nous ne nous portons pas garant de la légi­
timité de leurs droits sur les villages qu’ils gouvernent
de facto ou q u’ils ont gouverné dans le passé.
Nombreux sont, en effet, les litiges qui divisent pro­
fondément entre eux les Batutsi pour la possession des
collines et des villages. 11 faudrait tout d’abord un examen
approfondi de chaque cas pour trancher ces différends épi­
neux et ensuite un acte d’autorité pour appuyer la solution
définitive qui serait prise.
On ne doit pas s’étonner du nombre et de la pérennité
des procès de ce genre parm i les Hamites. Pour la plupart
d’entre eux c’était autrefois une question de gagne-pain
et d’avenir. L’issue malheureuse d’un procès de ce genre
a eu pour corollaire et comme conséquence plus d’un
suicide.
E nclaves

et t e r r e s f r a n c h e s .

Il existe au Bugoyi deux sortes d’enclaves.
I.
Ce sont d’abord celles qui ont été concédées directe­
ment par le roi à des favoris, Batutsi ou Bahutu, qui ne
relèvent que de lui. On compte trois de ces « terres
franches » dans la province du Bugoyi :
1° Le clan des Bahigo jouit de ce privilège sur son
territoire, qui ne comprend plus à l’heure actuelle que
deux collines de médiocre grandeur, une partie de
Mukondo et Kagarama.
Le chef actuel se nomme Kalerangabo.
2° Les Batembe et leurs alliés conservèrent longtemps
cette même indépendance à Munanira et sur les collines
voisines;
3° Un autre chef, Mugabombga, de ce même clan des
Batembe, administre dans des conditions identiques le
village de Vumbi et les terres qui en dépendent.

700

UN R O Y A U M E

H A M IT E

AU

CENTRE

DE

l ’a

F R IQ U E

II.
Les deux autres terres franches dites du Bigogo et
du Gishwati appartiennent l’une et l’autre à deux grands
chefs Batutsi, Bwidegembya et Lwabusisi, qui s’y font
représenter par des mandataires.
Le Bigogo est un plateau situé à la périphérie du
Bugoyi, au pied du Karissimbi.
Il est habité surtout par des Hamites pasteurs, qui
vivent presque uniquement de leurs troupeaux.
Le Gishwati est une autre enclave en plein Bugoyi,
située au Sud-Ouest de la province et adossée à la forêt,
aux dépens de laquelle elle s’est formée.
Il existe une servitude dans le district du Bigogo.
Quatre chefs hamites du Nduga et du Bwana-Mukali y
exercent le « droit de l’arc », c’est-à-dire q u’ils ont le
privilège de lever annuellement une redevance militaire
sur les membres du clan mututsi des Bakono, qui habi­
taient autrefois le pays de Lwankeri (au pied du Karis­
simbi) et émigrèrent au Bigogo, au début du règne de
Kigeri IV Lwabugiri. Ce sont les Hamites suivants : Sezikeva, un Munyiginva, gouverneur du Nyakale, et dont
le père Nturo obtint cette faveur du roi précédent; Bunyereri, chef du corps d’armée des Intalindwa et qui habite
Ruyanza sur la Kayombo; Ntibyaliye, un personnage de
moindre envergure, qui vient de m ourir et dont le fils
Murashi a pris la succession et, enfin, Chvitatire, fils de
Lwangeyo, qui vit dans le Nduga.
Les sujets de ce dernier comprennent avec les Bakono
quelques Babanda, établis à Kilerama et B unjuri. On
compte chez eux une vingtaine de huttes. Les <( m ili­
ciens » de Murashi, au nombre d’une quarantaine,
occupent les villages de Nyampanika et de Nyaruteme.
Ceux de Bunyerere, les moins nombreux, puisqu’on n’en
connaît qu’une dizaine, sont établis à Kazenze. Les réser­
vistes de Sezikeva atteignent le chiffre de deux cents
environ. On les trouve sur les collines suivantes : Ndoranyi, Nyampanika et Kanzenze.

TABLE DES MATIÈRES
A v a n t -p

r o p o s

L iv r e

............................... .....................................................................................
p r e m ie r . —

A p e rç u s o m m a ire s u r le R w a n d a
et ses ha b ita n ts.

p r e m ie r . —
Physionomie physique et ethnologique du
Rwanda. — Organisation politique, domestique et sociale des
h a b it a n t s ........................................................................................

C h a p it r e

Organisation domestique et sociale (suite). — Clans;
vie et traditions de fam ille. — Mentalité et psychologie; caractère
et tempérament des Africains. — Intelligence, savoir-faire et per­
fectibilité du Noir. — L ’Afrique, berceau de la civilisation aurig n a c ie n n e .....................................................................................................

C h a p it r e 11. —

111. — Court exposé historique de l ’invasion ham ite à tra­
vers le R w a n d a ........................................................................................

C h a p it r e

L iv r e d e u x iè m e . —

F o n d a tio n du ro ya u m e h a m ite du R w a n d a .
(U n em b ryon d ’histo ire.)

p r e m i e r . — Des origines obscures du royaume ju sq u ’à
1 avènement de Ruganzu 1 .....................................................................

C h a p it r e

11. — De Ruganzu 1 ju sq u ’au roi visionnaire Yuhi II
M azimpaka. — Les princes l i b é r a t e u r s ............................................

C h a p it r e

111. — De Y uhi 11 ju sq u ’à Kigeri IV Lw abugiri. — La propliétesse Nyirabiyoro et le supplice de K a m e g e r i .........................

C h a p it r e

IV. — Le règne de Kigeri IV Lw abugiri. — Ses nombreuses
expéditions. — Prophéties p o p u la ir e s ..................................................

C h a p it r e

C hapitre V. — Derniers épisodes du règne de Lw aburigi. — Entre­
vue du prince ham ite avec le célèbre explorateur allem and, le
comte von G ô t z e n ..................................................................................
VI. — L ’époque contemporaine. — Le coup d ’Etat de
R uchunchu et le triom phe des Bega. — L ’avènement de Y uhi IV
M usinga (1896 ou 1 8 97)......................... ..................................................

C h a p it r e

702

UN ROYAUjME HAMITE AU CENTRE DE L’AFRIQUE
L iv r e t r o is iè m e . —

Le règn e de R u g a n z u II, le p lu s c o n n u

des ro is du R w a n d a . — (S o n C u rr ic u lu m

V itæ .)

— Popularité de R uganzu; raisons qui l ’expliquent.
Etymologie de son nom devenu l é g e n d a i r e ................................

22H

— Evénements qui se rapportent à la naissance
de R uganzu et à la m ort de son p è r e ............................................

233

11. — Accession de Ruganzu au trône. — Multiples péripé­
ties dans lesquelles il se trouve e n g a g é ............................................

251

III. — Ruganzu guerrier. — Ses hauts faits. — Eclat de
son règne. — Succès de ses nombreuses expéditions. — Ses pro­
menades militaires. — Aspects différents de la conduite du prince
vis-à-vis de ses rivaux et de ses v o i s i n s ............................................

276

IV. — R uganzu guerrier. — Ses hauts faits. — Aspects
différents de la conduite du prince vis-à-vis de ses rivaux et de
ses voisins (suite)........................................................................................

298

V. — Ruganzu et l ’agriculture. — Plantes, pierres, rochers,
arbres, etc. auxquels est attaché le nom du prince. — La mort
du dompteur des rois. — Conclusion. — Importance du rôle de
Ruganzu et fondation du royaume hamite sur les ruines des
principautés autochtones...........................................................................

317

— Tableaux généalogiques des roitelets auxquels eut
affaire R u g a n z u ........................................................................................

335

A v a n t -p r o p o s .

C h a p it r e

p r e m ie r .

C h a p it r e

C h a p it r e

C h a p it r e

C h a p it r e

A p p e n d ic e .

L iv r e q u a t r iè m e . — De la C ou r ro yale.

(Ses em p lois, ses p riv ilè g e s, ses m œ urs et ses coutum es.)
p r e m i e r . — Emplois et charges à titre historique et super­
stitieux. — Les gardiens des traditions et le « roi » des initiés
(im andw a). — Emplois officiels revêtant une grande importance
tant au point de vue de la couronne que du pouvoir exécutif.
Commandants des troupes et tam bourineurs officiels. — Rourreaux; exécutions capitales et « gouffre » du Bugessera
. .
.

355

11. — Fonctions à titre purement utilitaire et fonctions
d'un caractère utilitaire supposé, dont les unes sont à titre privé
et les autres à titre public et national. — Griots, sorciers et devins
de tout rang qui forment l ’entourage habituel du roi
. .
.

384

III. — Des faiseurs de pluie ou tempestaires; des préser­
vateurs de la foudre et autres sorciers de cette catégorie
.
.

425

IV. — Charges à titre récréatif et littéraire. Pages, d a n ­
seurs et musiciens. Impositions diverses des clans et des sujets;
servitudes sanglantes. Privilèges et faveurs de la Cour
. . .

444

V. — Garanties dont s’entoure le monarque. Dangers
auxquels étaient journellem ent exposés les employés de la Cour.
Usages et formalités auxquels s’astreignent le prince et ses sujets.
Em ploi des charmes et des p h i l t r e s ..................................................

470

C h a p it r e

C h a p it r e

C h a p it r e

C h a p it r e

C h a p it r e

UN ROYAUME HAMITE AU CENTRE DE

l ’a FRIQUE

703

VI. — Des deux grandes fêtes de la Cour. Vocabulaire des
pasteurs. Exhibition des troupeaux sacrés et exposition rituelle
des objets du trésor r o y a l ..................................................................... 498

C h a p it r e

V II. — Tombes royales et bosquets sacrés. Dessiccation et
m om ification des cadavres royaux sous l ’action du feu. Institu­
tion d’un jou r de repos en l ’honneur d’un prince ham ite .
. .

C h a p it r e

L i v r e c in q u iè m e . —

514

E p iso d es et légendes à base h isto riq u e .

p r e m ie r . —
Existence d’une peuplade prim itive connue
sous le nom d’ « Abarenge » ou « Abagereka » ................................543

C h a p it r e

C h a p it r e

II. — Incursion des Banyoro dans le R w anda .

.

.

.

554

III. — La conquête du Nduga, épilogue de l ’épisode précé­
dent ................................................................................................................. 577

C h a p it r e

IV. — Un épisode de la guerre contre l ’Urundi. Le dévoûm ent et la mort de Gihana, fils de C hy ilim a II L u dju gira . . .

C h a p it r e

586

V. — Im m ig ra tio n dans le R w anda d ’une peuplade étran­
gère désignée sous les deux noms significatifs de « Muets » et de
« Couvreurs de toits en terre » ...............................................................597

C h a p it r e

VI. — Le petit royaume ham ite d u Gissaka. Sa conquête
par les Hamites du R w a n d a ...............................................................612

C h a p it r e

C h a p it r e

V II. — La légende de R y a n g o m b e ............................................ 626

A

p p e n d ic e .

H isto ire de la p ro v in c e de B u g o y i.

V ie et m arche d ’ une p ro v in ce

sous le g ouve rnem e nt des chefs et p rin ce s ham ites.
P

lanches

Tables

I

a

.

.

.

634

X X I X ........................................................................................ 701

d e s m a t iè r e s

............................................................................................................ 701

F IN DU T O M E 1“

Pl . I.

Le roi M usinga devant la grande hutte qui lu i sert de salon de réception
II a, à sa droite, son oncle m aternel kabale, l ’auteur du coup d ’Etat
de Ruchunchu.

Le roi M usinga avec sa mère, à droite, et quelques grandes
Dames de la Cour.

P l . II.

Le Roi à l ’un de ses amusements favoris.

Le roi M usinga et quelques gens de son entourage.

P l . III.

Guerrier m ututsi en costume de danse.

Nkusi, fils de Nturo, en costume de danse.

P l . IV.

Les danseurs de Kayondo.

P l . V.

La danse des Pages.

Réjouissances populaires. — Danse indigène.

Pl . VI.

Cliché du R. P. Van dcn Houdt.

Le lac Kivu, près de Gisenyi.

Pl . Vil.

Les rapides de la Mukurigwu dans la région du Mulera.

Sur les bords de la Nzabarongo.

P l.

Une cascade dans la montagne.

IX.

P l . X.

Un passage en barque.

P l . XI.

Cliché du R. P. Van den Houdt.

Le M uchabura et le Gahinga.

Pl . XII.

Paysage volcanique. — Laves de la dernière éruption qui eut lieu
sur les bords du K ivu (décembre 1912, janvier 1913).

Pl. XIII.

P anoram a de R ulindo. - On aperçoit sur les hauteurs les deux bosquets
qui ont servi de dernière demeure aux reines-mères.

A la frontière du R w anda et du Karagwe.

P l . XIV.

Campement indigène en plein air au pied d’un grand ficus.

Pl . XV.

Les caméléons à cornes.
On ne les trouve que dans la région du Bugoyi.

P l . XYI.

Vaches à longues cornes.

P l . XVII.

Une scène de divination.

P l. XVIIt.

Chefs des environs de Kabgayi.

Pl . XIX.

Les grands chefs du Rwanda.

P l.

Cliché du H. P. Provcost, de Uulenga.

Jeune femme mututsi
portant son bébé sur le dos.

Type mututsi.

XX.

Cliché du II. P. Provoost, de Rulcnga.

Type mututsi
avec ses longs toupets de cheveux.

Type Mututsi.

P l . XXI.

Enfants du type Muhutu.

V l . XXII.

Fillettes de la province centrale du Nduga.
avec leurs costumes d’enfants.

Deux jeunes filles bahutu

P l . XXIII.

Enfants du type Muhutu.
Le costume à longues franges qu’ils portent est fait
de fibres de bananier qu’ils ont tissées eux-mêmes

Femmes du type Muhutu.

P l . XXIV.

Cliché du R. P. Provoost, de Rulcnga.

Jeune fille muhutu portant des tatouages sur le dos.

P l . XXVI.

Parapluie des vachers Isinde.

P l . XXVIT.

Le parapluie de famille.

Un demi-civilisé.

Pl

XXVIII.

Forgerons au travail en plein air.
Le minerai de fer est entassé au-dessus du foyer. Les fondeurs
activent le feu au moyen de soufflets très primitifs.

Forgerons autour de leur haut fourneau.

P l . XXIX.

Soufflet et attirail de forge primitive.

LISTE DES MÉMOIRES PUBLIÉS

COLLECTION IN-4°
SEC TIO N

DES

S C IEN C ES

N ATU RELLES

ET

M É D IC A LE S

T o m e I.

1. Robyns, W., Les espèces congolaises du genre Digitaria Hall (52 p., 6 pl., 1931). fr.
2. Vanderyst, R. P. Hyac., Les roches oolithiques du système schisto-calcareux dans
le Congo occidental (70 pages, 10 figures, 1 9 3 2 )............................................
3. Vanderyst, R. P. Hyac., Introduction à la phytogéographie agrostologique de la
province Congo-Kasai. (Les formations et associations) (154 pages, 1932) . .
4. Scaëxta, H., Les famines périodiques dans le Ruanda. — Contribution à l’étude
des aspects biologiques du phénomène (42 pages, 1 carte, 12 diagrammes,
10 p] anches, 1 9 3 2 ).............................................................................................
5. Fontaims, P. et Ansotte, M., Perspectives minières de la région comprise entre le
Nil, le lac Victoria el la frontière orientale du Congo belge (27 p., 2 cartes, 1932).
6 . Robyns, W., Les espèces congolaises du genre Panicum L. (80 pages, 5 plan­
ches, 1 9 3 2 ) .........................................................................................................
7. Vanderyst, R. P. Hyac., Introduction générale à l’élude agronomique du HautKasai. Les domaines, districts, régions et sous-régions géo-agronomiques du
Vicariat apostolique du Haut-Kasai (82 pages, 12 figures, 1933)......................

20
20
32

26
10
25

25

T o m e II.

J. et d u T r i e u de T e r d o n c k , R., Le gîte d'uranium de ShinliolobweKasolo (Katanga) (70 pages, 17 planches, 1 9 3 3 ) ............................................
2. S caëtta , H ., Les précipitations dans le bassin du Kivu et dans les zones limi­
trophes du fossé tectonique (Afrique centrale équatoriale). — Communica­
tion préliminaire (108 pages, 28 figures, cartes, plans et croquis, 16 dia­
grammes, 10 planches, 1933).............................................................................
3. V a n d e r y s t , R. P. H y a c ., L’élevage extensif du gros bétail par les Bampombos et
Baholos du Congo portugais (50 pages, 5 figures, 1933).................................
1. T h o r e a u ,

SEC TIO N

DES

50

60
14

SC IEN C ES T E C H N IQ U E S
T o m e I.

1. Maury, J., Triangulation du Katanga (140 pages, fig., 1930)...................... fr. 25
2. A n t h o in e , R., Traitement des minerais aurifères d’origine filonienne aux mines
d’or de Kilo-Moto (163 pages, 63 croquis, 12 planches, 1 9 3 3 )......................

50

COLLECTION IN-8 °
S EC TIO N

DES

S C IEN C ES

M O R ALES

ET

P O LITIQ U ES

Tome I.
R. P . Au Buanda, sur les bords du lac Kivu (Congo belge), ün royaume
hamite au centre de l'Afrique (703 pages, 29 planches, 1 carte, 1933) . . fr. 125

P a g ès ,

T o m e III.

R. P. M., Les Jaga et les Bayaka du Kwango (184 pages, 18 planches,
1 carte, 1932)................................................................................................... fr.
g. LouwERSi, O ., Le problème financier et le problème économique au Congo Belge
en 19n (69 pages, 1 9 3 3 ) ...................... ............................................................
1. P lancquaiîrt ,

45
12

SEC TIO N

DES

SC IEN C ES

N ATU RELLES

ET

M É D IC A L E S

T o m e I.

1. Robyns, W., La colonisation végétale des laves récentes du volcan Bumoka
(laves de Kateruzi) (33 pages, 10 planches, 1 carte, 1932)............................fr. 15
2. D u b o is , A ., le D r, La lèpre dans la région de Wamba-Pawa (Uele-Nepoko)
(87 pages, 1932)...................................................................................................
13
3. T.eplae , E., La crise agricole coloniale et les phases du développement de l’agri­
5
culture dans le Congo central (31 pages, 1 9 3 2 ) ............................................
4. D e W ildeman , E., Le port sufjrutescent de certains végétaux tropicaux dépend
de facteurs de l'ambiance ! (51 pages, 2 planches, 1933).................................
10
5. A d ria e n s, L., Castagne, E. et V l a s s o v , S., Contribution à l'étude histologique et
chimique du Sterculia Bequaerti De Wild. (112 pages, 2 planches, 28 figures,
1933)......................................................................................................................24
6. V an N'itsen , R ., L'hygiène des travailleurs noirs dans les camps industriels du
Haut-Katanga (248 pages, 4 planches, carte et diagrammes, 1933) . . . .
45
7. S t e y a e r t , R. et V r v d a g h , J., Etude sur une maladie grave du cotonnier provo­
quée par les piqûres d’Helopeltis (55 pages, 32 figures, 1933)......................
20

»
»
»
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»
»
»

S ous presse.

G., Contribution à l'étude de la végétation forestière de la vallée de la Lukuga
(Katanga septentrional) (in-8°).

D elkvoy,

Hauman, E., Les Lobelia géants des montagnes du Congo belge (in-8°).
o u n a r d , E., Le socle ancien inférieur à la série schisto-calcaire du Bas-Congo. Son étude
le long du chemin de fer de Matadi à Léopoldville (in-4°).

P

M .

H A Y E '/ .,

im p r im e u r

de

l’A c a d é m ie

r o y a le

de

B e lg iq u e ,

rue

de

I.o u v a in ,

112,

B r u x e lle s .

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024