Fiche du document numéro 17105

Num
17105
Date
Mardi December 1998
Amj
Auteur
Taille
269065
Titre
Rwanda. Les Eglises protestantes et le génocide. Un appel à l'Assemblée du Conseil œcuménique des Eglises réunie à Harare
Nom cité
Nom cité
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
Décembre 1998

RWANDA
Les Eglises protestantes et le génocide
Un appel à l’Assemblée du Conseil œcuménique des Eglises réunie
à Harare
L’Assemblée du Conseil œcuménique des Eglises se réunit à Harare en ce mois de décembre. Pour tous
les délégués y assistant, elle doit sûrement constituer un moment privilégié pour réfléchir, pour se pencher
sur les cinquante années passées depuis la création du Conseil et pour se réjouir de la renaissance
spirituelle espérée pour le nouveau millénaire. Nous demandons à tous les membres des Eglises d’inclure
dans leurs pensées et leurs prières les habitants du Rwanda qui ont si récemment enduré un génocide et
qui continuent à être affectés par la violence et les conséquences de ce dernier. Nous demandons en
particulier aux Eglises protestantes de commencer à réexaminer les événements survenus pendant le
génocide de 1994 et de chercher de nouvelles façons de contribuer aux processus de justice afin de
faciliter la guérison de cette nation troublée et une réconciliation en son sein.
Depuis 1994, African Rights enquête sur les massacres qui se sont produits sur tout le territoire
rwandais, entre avril et juin de cette année-là, et sur les origines de cette violence. Notre organisation a
travaillé en étroite collaboration avec les survivants du génocide et les témoins des tueries pour établir
l’identité de certains des principaux organisateurs de ces massacres, qui provoquèrent la mort de près
d’un million de Tutsis et celle de personnalités politiques hutues connues et de leur famille. Aucun de
ceux qui ont vu les corps des hommes, femmes et enfants, tordus de souffrance et reposant par centaines
près des autels et sur tous les terrains des paroisses du Rwanda, ne pourra jamais oublier. Il y a tant
d’aspects de cette catastrophe humaine qui sont absolument incroyables?des parents qui trahissent leurs
enfants, des maris qui se joignent aux assassins pour traquer leurs propres femmes, des oncles qui
frappent à mort leurs neveux et nièces, des voisins qui tuent leurs amis, des médecins qui assassinent
leurs patients et des évêques et des prêtres qui participent au massacre de leurs paroissiens. Le fait que
les Églises n’aient pas pris une position collective contre le génocide et les preuves accablantes de la
participation directe d’une partie du clergé aux massacres constituent les aspects les plus dérangeants de
ce qui est universellement considéré comme l’un des pires crimes contre l’humanité commis au 20ème
siècle.

La piètre réaction des Eglises du Rwanda face aux massacres a été franchement condamnée,
entre autres par d’éminents hommes d’Eglise. Après une visite au Rwanda en mai 1995, l’archevêque de
Cantorbéry, le révérendissime George Carey, a critiqué les Eglises de toutes confessions, affirmant que
“l’Eglise au Rwanda a laissé passer l’occasion d’être prophétique pendant le génocide”. Il a déclaré que
“l’Eglise aurait dû appeler à la justice. Elle aurait dû attirer l’attention sur certaines des atrocités
perpétrées, mais, à quelques exceptions près, elle est restée silencieuse”1. Le très révérend David Birney,
envoyé de l’archevêque auprès de l’Eglise anglicane au Rwanda en 1996, a parlé de la capitulation de
l’Eglise face au génocide. “Une grande partie de l’Eglise au Rwanda est restée silencieuse ; la voix d’une
grande partie des Eglises chrétiennes du monde entier ne s’est pas faite entendre … Certains évêques et
membres du clergé des Eglises anglicane et catholique sont soupçonnés d’être impliqués dans
l‘organisation et l’exécution du génocide…. La confiance des chrétiens dans leurs chefs spirituels est
profondément mise à l’épreuve”.2
Il a fallu attendre le 13 mai, cinq semaines après le début du génocide, alors que la plupart des
Tutsis avaient déjà été tués, pour que les Eglises protestantes et catholique publient une déclaration
commune appelant à l’arrêt des massacres. Il n’y est fait aucune mention du génocide et aucune référence
à la responsabilité centrale portée par le gouvernement concernant ce carnage. Au lieu de cela, elle insiste
sur la guerre entre le gouvernement et le Front patriotique rwandais (FPR) qui suivit le début du
génocide. En lisant ce communiqué à la lumière des massacres, de la profanation des églises et de
l’assassinat de prêtres et de religieuses, on ne peut qu’être frappé par la manifeste réticence de l’Eglise à
appeler le mal par son nom, par la confusion délibérée entre la guerre et le génocide, par la répugnance à
confronter ceux qui ont encouragé la propagation de ces crimes contre l’humanité. Cet appel piètre et
tardif, que l’archevêque anglican n’a pas signé, fut la seule réelle tentative faite par les autorités de
l’Eglise pour diffuser un message de paix. Pire encore, un certain nombre des signataires sont les évêques
partisans du génocide, ou qui ont participé aux massacres, parmi lesquels certains des hommes
mentionnés dans ce rapport. 3 Les sermons en chaire permirent de transmettre à presque toute la
population un message moral sans équivoque, distanciant l’Eglise de toute personne ayant pris part aux
massacres. Si les chefs de l’Eglise avaient fait preuve de la détermination nécessaire, ils auraient sans
aucun doute pu jouer un rôle essentiel pour faire cesser ou du moins pour limiter le génocide. Dans un
pays où la population est, dans sa vaste majorité, chrétienne, où la parole de l’Eglise est encore très
influente, c’est avec le plus profond regret que l’on constate que si peu fut fait.
Cependant, plus inquiétantes encore sont les révélations qui ont émergé depuis sur les attitudes et
le comportement de certains membres du clergé durant le génocide et les années qui l’ont précédé. Les
autorités des Eglises concernées n’ont pas convenablement traité les allégations faites sur la participation
directe au génocide de plusieurs membres importants du clergé et de nombreux laïcs actifs dans les
affaires de l’Eglise. Nous espérons que le COE saisira l’occasion qui lui est offerte à Harare, lors de la
Huitième Assemblée, pour examiner ces accusations et pour se demander pourquoi presque tous les
membres du clergé ainsi accusés, restent membres de leur Eglise et vivent librement, sans risquer d’être
traduits en justice, en dehors du Rwanda.
Grâce à des entretiens avec des survivants et des membres du clergé, African Rights a rassemblé
des renseignements sur les massacres ayant eu lieu dans plusieurs paroisses protestantes. Nous avons
beaucoup appris sur le courage et la compassion incroyables d’un certain nombre de religieux qui ont
risqué leur vie pour sauver celle des autres, ou qui furent assassinés à cause de leur position courageuse
contre les génocidaires. Mais nous avons été profondément choqués par les preuves accablantes
accumulées sur le rôle prépondérant joué dans les massacres par de nombreux membres des plus hautes
autorités de l’Eglise.
La majorité des chrétiens rwandais sont catholiques et nous avons déjà écrit à Sa Sainteté le pape
Jean Paul II, lui demandant d’enquêter sur les allégations faites au sujet de la participation active au
génocide d’un certain nombre d’évêques, de prêtres, de moines et de religieuses catholiques et de rendre
publiques les conclusions de cette enquête. Nous avons notamment demandé au pape de nommer une
commission indépendante de haute instance pour examiner les accusations portées contre chaque
religieux et analyser les critiques générales concernant l’histoire de la participation de l’Eglise catholique
1

Ecumenical News International, 16 mai 1995.
Being Anglican, p.138, compilé par James M. Rosenthal et Nicola Currie, Anglican Consultative Council X
(Xème Conseil consultatif anglican), Panama City, 1997.
3 Parmi ceux-ci : Michel Twagirayesu, président de l’Eglise presbytérienne du Rwanda, Aaron Ruhumuliza, chef
de l’Eglise méthodiste libre et Jonathan Ruhumuliza, coadjuteur du diocèse anglican de Kigali.
2

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à l’idéologie politique qui a étayé le génocide. Cependant, il y a un nombre non négligeable de membres
du clergé protestant qui, à notre avis, ont des comptes à rendre sur leur conduite, soit devant un tribunal
pénal, soit devant un tribunal ecclésiastique. En écrivant cet appel, nous espérons garantir que tous les
membres du COE soient pleinement informés de la nature des accusations portées contre leurs confrères.
Ils sont accusés de participation au génocide. Leur culpabilité ou leur innocence ne peuvent être décidées
qu’après une procédure régulière, mais à ce jour rares sont ceux qui ont fait l’objet d’une enquête. Nous
exhortons le COE à écouter les voix des survivants, certains d’entre eux étant eux-mêmes des membres
du clergé. Leurs témoignages sont de pénibles récits de souffrance humaine et de trahison. Ils doivent être
entendus et demandent une réponse appropriée.

Les massacres à la paroisse anglicane de Shyogwe
Au cours de notre enquête sur le génocide, nous avons accumulé un grand nombre de preuves relatives
aux activités de plusieurs membres de l’Eglise épiscopale (anglicane) du Rwanda (EER) dans la paroisse
de Shyogwe. Nous avons également suivi les réponses de l’Eglise anglicane à ces accusations.
Samuel Musabyimana est l’ancien évêque du diocèse anglican de Shyogwe, situé dans le secteur
de Rwamaraba, commune de Nyamabuye, dans la région de Gitarama. Comme de nombreux évêques de
l’Eglise épiscopale, il a quitté le Rwanda après le génocide et n’y est pas retourné depuis. Cependant les
survivants de Shyogwe n’oublieront pas sa conduite, de même qu’ils ne la pardonneront jamais.
Les nouveaux quartiers généraux du gouvernement provisoire, qui s’était constitué après la mort
du président Habyarimana dans un accident d’avion le 6 avril, étaient situés près de la paroisse de
Shyogwe. Le 12 avril environ, le nouveau régime s’établit à Gitarama, car les combats entre le FPR et les
Forces armées rwandaises (FAR) s’intensifiaient à Kigali. Les sommités de l’Eglise catholique ainsi que
ceux des Eglises protestantes partirent à Gitarama avec les convois qui accompagnaient les ministres du
gouvernement hors de Kigali. Parmi eux figuraient des membres de la hiérarchie de l’Eglise épiscopale,
qui cherchaient à se réfugier là. La plupart d’entre eux étaient parvenus à Shyogwe le 18 avril,
accompagnés par des soldats. L’archevêque Mgr Augustin Nshamihigo et Mgr Adonia Sebununguri,
évêque du diocèse de Kigali, Mgr Onesphore Rwaje, évêque de Byumba, Mgr Augustin Munabanwi,
évêque de Kibungo, Mgr Jonathan Ruhumuliza, évêque coadjuteur de Kigali, ainsi que de nombreux
pasteurs, faisaient partie de ces nouveaux arrivés.
Le pasteur Célestin Hategekimana, secrétaire du diocèse de Shyogwe, accueillit le groupe à son
arrivée. Parmi eux se trouvait le pasteur Nyirimanzi, de Ndera, Kigali rural. Célestin se souvient de ses
mots : “Je fuis, mais je sais que j’ai bien travaillé à Ndera. Il ne reste pour ainsi dire aucun Tutsi à
Ndera”.
Les allégeances politiques de Musabyimana devinrent rapidement évidentes. Certains ministres
nommés par le gouvernement provisoire, d’éminentes personnalités politiques du MRND 4, le parti au
pouvoir d’Habyarimana, des officiers des FAR et des hommes d’affaires vinrent également à Shyogwe.
Parmi eux se trouvaient Eliezer Niyitegeka, ministre de l’Information, originaire de Kibuye comme
Musabyimana et ami intime de l’évêque ; Daniel Mbangura, ministre de l’Enseignement supérieur et de la
recherche scientifique et membre du comité central du MRND ; Edouard Karemera, premier viceprésident et ancien secrétaire général du MRND, qui fut nommé ministre de l’Intérieur pendant le
génocide ; et le commandant Nyirahakizima. Selon certains témoins vivant aux environs ou à l’intérieur
de la paroisse, les politiciens qui orchestraient le génocide se réunissaient régulièrement dans la maison de
Musabyimana.
Matthieu Mutabaruka, âgé de 57 ans, est le directeur de l’école primaire de Shyogwe. Il habitait
près de l’église, dans la cellule Mapfundo. Il n’eut pas à se cacher, car il est Hutu, et eut ainsi de
nombreuses occasions d’observer les véhicules et les personnalités qui fréquentaient la maison de
Musabyimana.
Des ministres et d’autres fonctionnaires responsables du génocide se réunissaient maintes fois dans le
diocèse. Ils venaient dans leurs véhicules et avec leurs escortes, toujours bien accueillis chez Mgr
Musabyimana. Je peux dire que Mgr Musabyimana devenait un politicien comme les autres. Il me semble
qu’il a oublié son métier.

Mgr Samuel Musabyimana ouvrit les portes de sa maison aux auteurs du génocide, mais il ferma
celles du diocèse aux chrétiens terrifiés, craignant de mourir. Aux environs du 13 avril, des groupes de
4

Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement.

3

Tutsis qui vivaient à Shyogwe et dans sa région, cherchèrent refuge à la paroisse, pour échapper aux
actes de violence perpétrés dans cette partie du pays. Ils y rencontrèrent un grand nombre de Hutus qui
avaient fui les combats entre les FAR et le FPR à Byumba. Accompagné par la commandante AnneMarie Kankwanzi et par Eliezer Niyitegeka, Mgr Samuel Musabyimana chassa de nombreux paysans
tutsis de la paroisse de Shyogwe. Il leur assura qu’ils seraient mieux protégés à l’archevêché catholique
de Kabgayi, alors qu’il était de notoriété publique que les miliciens à la recherche de Tutsis à massacrer,
avaient placé des barrages tout au long de cette route. Ce groupe de réfugiés fut tué par les miliciens dans
la vallée de Rusasamigozi, avant d’avoir pu atteindre Kabgayi.
Les récits de l’attitude de Niyitegeka à Shyogwe concordent avec d’autres informations que nous
avons récoltées sur sa conduite. Souvent invité chez Musabyimana en avril et en mai, il parcourut tout le
pays pour s’assurer que la frénésie génocidaire ne diminuait pas. Il parlait à la radio, prenait part à
l’organisation des réunions dans la région de Gitarama ou dirigeait les tueurs à Kibuye ; l’engagement
d’Eliezer Niyitegeka pour le génocide n’a jamais flanché. Le premier représentant juridique diocèse par
intérim, Athanase Ngirinshuti, n’a pas éprouvé la moindre compassion à l’égard des réfugiés et de leur
situation critique. Cependant, grâce à la persuasion d’un jeune pasteur, Jean-Berchmans Mutimura?qui
fut formé à Shyogwe et ne devint pasteur qu’en août 1993?Musabyimana accepta de laisser entrer dans
le diocèse environ 27 d’entre eux. C’étaient, pour la plupart, des hommes instruits : des professeurs, des
fonctionnaires et leur famille. L’évêque les connaissait tous personnellement, certains d’entre eux le
considéraient comme un ami, d’autres enseignaient dans des écoles associées au diocèse.
Les familles que Musabyimana accepta de cacher furent placées dans différents bâtiments et
maisons appartenant au diocèse. Rassurés quant à leur sécurité par l’évêque lui-même, ils ne
s’inquiétèrent pas tout de suite lorsque Ngirinshuti commença à dresser une liste de tous les réfugiés,
notant soigneusement s’ils étaient hutus ou tutsis.
Quatre jours plus tard, Ngirinshuti se rendit dans les cachettes des réfugiés, accompagné par
Musabyimana, Niyitegeka et plusieurs soldats. Ngirinshuti lut le nom des Tutsis de la liste. Ensuite, les
trois hommes se contentèrent d’observer les soldats qui battaient les réfugiés tutsis et les faisaient
grimper dans une camionnette Hilux qui allait les mener à la mort.
Non seulement l’évêque n’intervint pas en faveur de ces hommes qui lui avaient donné toute leur
confiance, mais, selon Claudette Nyiranshuti, il aida la milice à décider de leur sort. Présente lors des
enlèvements, elle se rappelle la réaction de Mgr Musabyimana.
Mgr Musabyimana a dit aux soldats d’aller les tuer à l’extérieur de la paroisse. Les hommes ont beaucoup
crié : “Mgr, sauvez-nous !” mais Mgr Musabyimana rigolait et ne disait rien.

Bien qu’âgé seulement de douze ans à l’époque, Fulgence Mukunzi fut obligé de monter dans la
camionnette avec les autres réfugiés qui devaient être tués. Il réussit à s’échapper. Il raconte comment
Mgr Musabyimana assista à l’enlèvement des hommes sans réagir et se remémore un incident qui révèla
l’influence de Mgr Musabyimana sur la milice.
Mgr Samuel Musabyimana est arrivé avec un homme géant [Niyitegeka] pour regarder les gens que les
assassins faisaient monter dans la camionnette. C’est alors qu’il a indiqué la femme du bourgmestre actuel
de la commune Nyamabuye. Il dit : “Je la connais. Son mari est un Hutu. Laisse-la descendre”. Les
assassins l’ont libérée car l’évêque avait parlé et ils lui obéissaient.

Effectivement, Marguerite Mukanyinda fut épargnée, grâce à l’influence exercée par
Musabyimana sur les miliciens. Elle parle de l’attitude de l’évêque face à la mort imminente de ses
compagnons.
Ils ont aligné les hommes, les uns derrière les autres, dans l’intention de les tuer avec une seule et même
balle. A ce moment-là Samuel Musabyimana et Eliezer Niyitegeka sont arrivés. Ils ont déclaré que ces
hommes devaient être tués ailleurs. Niyitegeka a dit : “Ne les tuez pas ici, à la paroisse”. Alors que
Musabyimana et Niyitegeka étaient encore présents, les Interahamwes ont emmené les hommes, ainsi
qu’un certain nombre de femmes, pour les tuer ailleurs. Ils ont été emmenés dans une voiture le 6 mai,
vers 17h30, et tués quelque part dans la forêt. Musabyimana n’a pas protesté et n’a rien fait pour les
protéger. Une fois encore, quand son ami, Niyitegeka, a dit : “Allez les tuer ailleurs”, Musabyimana n’a
rien tenté pour les sauver. Ensuite, l’évêque est resté et le ministre est parti rejoindre le gouvernement
provisoire à Gitarama. Nous avons été sauvés par un pasteur, Berchmans Mutimura, qui nous a
emmenés chez lui, à la paroisse. 5
5

Témoignage recueilli le 12 novembre 1996 à Shyogwe, Gitarama.

4

Musabyimana ne fit non plus aucun effort pour sauver la famille de Spéciose Bazubagira,
institutrice, et de son mari, Léonard Kayitare, qui enseignait au collège de Shyogwe. La famille avait fui
vers Shyogwe le 10 avril, croyant que Musabyimana, qui avait fait ses études avec son mari et qui le
connaissait bien, serait en mesure de les protéger. Quand ils arrivèrent, Musabyimana leur assura qu’ils
seraient en sécurité. Elle est maintenant persuadée qu’il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour que
les personnes instruites de la région?parmi les principales cibles du génocide?soient éliminées. Son
mari, Léonard, fut emmené par la milice et tué le 6 mai. Spéciose le vit monter de force dans la voiture,
elle vit aussi Mgr Musabyimana. “De mes propres yeux, j’ai vu Mgr Samuel Musabyimana et les
assassins obliger les gens à monter dans la voiture”, témoigne-t-elle.
Elias Nkubito, agriculteur hutu, qui avait essayé de s’occuper de Kayitare et de sa famille, était
en route ce jour-là pour leur rendre visite à la paroisse. Il vit le rassemblement des miliciens de Shyogwe
et l’arrivée du jeune frère de Musabyimana. Il se souvient comment Musabyimana, accompagné d’un
soldat, força Wellars Kamanzi, un instituteur de l’école primaire de Nyamabuye, ainsi que sa femme, à
monter dans la voiture qui allait les amener à la mort. Elias regarda ensuite Ngirinshuti qui apportait de
l’eau et un linge à l’évêque.
Samuel s’est lavé les mains puis s’est essuyé. Il a dit : “Que je ne sois pas poursuivi par le sang de ces
individus”. Il a continué en disant : “Partez avec eux, ils sont dans vos mains”. Eliezer a accompagné les
autres voitures en souriant tandis que Samuel s’est retourné chez lui.
C’est après avoir assisté à cette scène que j’ai réalisé que Samuel a joué un grand rôle dans
l’assassinat de ces personnes et qu’il était en faveur du génocide. C’est évident, puisqu’il sauvait les uns et
livrait les autres aux assassins.

Le pasteur Célestin Hategekimana, secrétaire du diocèse, s’était caché dans la maison de
l’évêque. Il ne considère pas pour autant ce dernier comme son sauveur. Il prétend que le matin du 28
mai, l’évêque le dénonça, ainsi que ses parents, à la milice. Jean-Berchmans Mutimura avait secrètement
caché à la paroisse un petit groupe de réfugiés. Musabyimana vint le voir pour lui demander s’il pouvait
l’aider à évacuer des réfugiés. A cette époque, le FPR se rapprochait de la région de Gitarama, et
Musabyimana se préparait à quitter le pays. Lorsque Mutimura lui amena les réfugiés, dont Célestin, sa
mère et trois de ses nièces, Musabyimana leur dit d’attendre, qu’il allait revenir rapidement. Il partit avec
sa famille, et, presque immédiatement, les Interahamwes arrivèrent. Célestin se souvient :
C’en était fini pour nous car les assassins nous avaient vus. Nous avons couru dans des maisons mais ils
nous ont découverts facilement. Je me suis caché dans les toilettes, les autres dans l’une des maisons des
missionnaires. Les assassins sont arrivés ; certains des réfugiés ont pris la fuite mais les vieux sont restés
là. Les assassins les ont conduits à la fosse communale et les ont tués. Je suis resté dans les toilettes
jusqu’à l’arrivée de Mgr Samuel Musabyimana, après la mort des gens qu’il a mis à la merci des assassins.

Après avoir trouvé Célestin, l’évêque lui demanda de se déguiser et l’emmena avec lui à
Gikomero. Le lendemain matin, ils partirent pour Gisenyi en hélicoptère et entrèrent à pied sur le
territoire de l’ancien Zaïre. Célestin est persuadé que l’évêque voulait se servir de lui, pour augmenter sa
crédibilité à l’étranger, “parce qu’à l’étranger, il était obligé de se montrer avec des personnes qu’il avait
sauvées “.
Les allégations de la participation au génocide de Mgr Samuel Musabyimana proviennent donc
non seulement de ses anciens paroissiens, mais aussi d’hommes qui furent proches de lui, les pasteurs
Célestin Hategekimana et Jean-Berchmans Mutimura. Ce dernier, qui est parvenu à sauver la vie de
plusieurs Tutsis, affirme :
Je condamne Mgr Samuel de n’avoir rien fait pour les menacés, alors qu’il collaborait chaque fois avec les
gens qui tuaient les Tutsis.

Les événements qui ont eu lieu à la paroisse de Shyogwe en 1994 soulèvent également des
questions quant à la compassion d’un autre membre important de l’Eglise anglicane, Mgr Jonathan
Ruhumuliza. Il a séjourné à Shyogwe pendant toute la période où les massacres furent planifiés et
exécutés dans la paroisse. Les témoignages de pasteurs et d’autres survivants suggèrent qu’il a assisté à
de nombreuses réunions entre les Interahamwes et des membres du gouvernement provisoire, et qu’il a
comploté avec eux.

5

Célestin a surpris une conversation entre les deux évêques et des officiels de haut niveau. Les
premiers demandaient que des armes supplémentaires soient apportées à la paroisse. Plus tard, ils
auraient participé à la distribution des armes aux forces responsables du génocide à Shyogwe. Athanase
Ngirinshuti était parmi ceux qui en reçurent.
Lorsque Mgr Musabyimana quitta la paroisse à la mi-mai pour un voyage à l’étranger, il nomma
Ruhumuliza pour s’occuper des affaires de la paroisse en son absence. Avec Mgr Adonia Sebununguri,
Ruhumuliza fit en sorte que la politique de refus d’aide aux Tutsis se poursuivît et que les réfugiés cachés
dans la paroisse fussent découverts. Célestin se rappelle leurs réactions quand ils découvrirent trois
Tutsis cachés par le pasteur Mutimura. Ruhumuliza n’intervint pas quand Sebununguri lui dit de
renvoyer les réfugiés.
Mgr Adonia Sebunungure a dit à Berchmans de ne pas se tracasser, que même Dieu avait accepté que les
Tutsis devaient mourir parce que c’était une race maudite. Il a ajouté qu’il fallait les faire sortir pour que
les “enfants” (les Interahamwes) les tuent tout de suite et qu’il n’y avait pas de pitié pour les méchants. 6

Depuis sa base de la région de Gitarama, Ruhumuliza se rendait fréquemment à Kigali.
Cependant il ne profita pas de sa liberté de mouvement pour aider ceux de ses collègues dont la vie était
en danger.
Espérance Umurungi perdit son mari, Ananie Munana, lors du génocide. Ananie travaillait pour
l’EER et, pendant les premiers jours du génocide, sa famille se cacha à l’église de l’EER à Biryogo,
Kigali. Mgr Adonia Sebununguri et Mgr Jonathan Ruhumuliza se trouvaient au diocèse. Le pasteur
Alphonse Karuhije et Semadimba, le chauffeur de Sebununguri depuis plus de 25 ans, s’y cachaient eux
aussi. Lorsque les deux évêques décidèrent de partir pour Shyogwe le 14 avril, ils les supplièrent de les
aider.
Mon mari Munana, le Pasteur Karuhije et le chauffeur de Sebununguri les ont priés de les évacuer euxaussi, mais Ruhumuliza et Sebununguri ont refusé complètement. Mon mari a demandé à Sebununguri :
“Si vous ne voulez pas m’évacuer, pourriez-vous le faire au moins pour ma femme et les deux enfants ?”.
Sebununguri a accepté, disant aussi que je n’allais pas dépasser le barrage institué par les miliciens à
Muhima [Kigali].

Lorsqu’ils arrivèrent au barrage de Muhima, la prédiction de Sebununguri sembla prophétique.
Les assassins m’ont fait descendre du véhicule, voulant me tuer.

Espérance se tourna vers les deux évêques en quête de protection. Aucun d’eux ne se montra
disposé à l’aider.
J’ai regardé Ruhumuliza et Sebununguri pour qu’ils osent demander pardon pour moi ou donner de
l’argent aux miliciens pour ma libération, mais aucun des deux n’a bougé.
Heureusement, j’avais quelques billets que j’ai donnés au milicien qui s’occupait le plus de moi. Il
m’a autorisée à regagner ma place dans le véhicule. Au barrage de Nyabarongo, je ne saurais pas dire
comment je l’ai passé. C’est un miracle de Dieu. Sinon, les deux personnalités n’avaient rien fait pour
moi. Au contraire, à chaque barrage de miliciens, Sebununguri sortait de son véhicule pour se présenter à
eux en leur disant: “Ne me connaissez-vous pas ? Ignorez-vous que je suis moi-même Interahamwe ?” Les
miliciens convaincus, ils ne le dérangeaient pas. Malgré tout, je suis quand-même arrivée avec eux à
Shyogwe où nous avons été accueillis par les pasteurs.

Malgré les allers et retours réguliers de Ruhumuliza à Kigali et les nombreux appels au secours
du mari d’Espérance, il ne fit rien pour les aider. Espérance éprouve une profonde amertume face au
comportement de Ruhumuliza envers elle et son mari.
Chaque fois que mon mari demandait à être évacué à Ruhumuliza à l’hôtel des Milles Collines (non loin
du diocèse), ce dernier la lui refusait jusqu’au jour où ils sont morts. Ruhumuliza n’est jamais venu me
parler de la mort de mon mari. D’ailleurs, lui et Sebununguri, bien qu’ils habitaient près de ma chambre,
ne sont jamais venus voir comment je vivais ou de quoi je me nourrissais avec les enfants, alors qu’ils
connaissaient ma demeure. 7
6
7

Témoignage recueilli le 21 septembre 1996, à Kigali.
Témoignage recueilli le 18 Septembre 1996, à Kigali.

6

Apologistes du gouvernement provisoire
Au début du mois de mai, lors d’une des nombreuses réunions entre les évêques, l’archevêque Mgr
Nshamihigo et des membres du gouvernement provisoire, il fut décidé d’envoyer des ecclésiastiques à
l’étranger, pour convaincre le reste du monde de la légitimité du gouvernement. L’archevêque Mgr
Nshamihigo, les évêques Mgr Jonathan Ruhumuliza et Mgr Samuel Musabyimana, et Faustin Birikano,
secrétaire provincial par intérim, furent désignés pour partir accomplir cette tâche.
Mgr Ruhumuliza adopta son rôle de propagandiste presque immédiatement. Le 12 mai, de
Shyogwe?où des réfugiés avaient été attaqués et assassinés seulement quelques jours auparavant, par
les miliciens et les soldats du gouvernement?il écrivit dans une lettre : “les rebelles ont tout détruit, tuant
tout le monde sur leur passage, alors que le gouvernement essaie de ramener la paix dans le pays.” Il
donne de la violence l’analyse suivante, hautement partiale.
La violation du cessez-le-feu par le Front patriotique rwandais a semé le désordre dans le pays et la
population s’est entretuée.
Du fait du décès du Président et du Premier ministre, le pays n’avait plus de leader. Suite à la
nomination d’un nouveau gouvernement, nous pouvons constater que les choses s’améliorent. Les
ministres font de leur mieux pour pacifier le pays bien qu’ils soient confrontés à de nombreux problèmes.
Il convient de signaler [que sur] dix préfectures, six ont repris leurs activités ordinaires.

Alors que les massacres se poursuivaient autour de lui, Ruhumuliza demandait au monde de
croire qu’ils étaient perpétrés principalement par une force rebelle d’envahisseurs, le FPR, et il
recommandait de supporter un régime génocidaire qu’il préférait présenter comme un agent de paix.
Cette lettre était adressée à José Chipenda, secrétaire général de la Conférence des Eglises de
toute l’Afrique (CETA), organisation œcuménique basée à Nairobi, au Kenya. Et c’est au Kenya que la
délégation de l’église devait se rendre en juin, porteuse d’un message similaire. Mgr Jonathan
Ruhumuliza et Mgr Nshamihigo donnèrent en juin une conférence de presse destinée aux médias
internationaux.
Leur auditoire ne fut pas convaincu. A partir du mois de juin, le monde avait commencé à réaliser
l’ampleur du génocide au Rwanda. Les écrans de télévision et les journaux du monde entier avaient
maintes fois montré les photos atroces des incroyables massacres, des corps flottant dans l’Akagera ou
entassés près des barrages routiers. Des centaines de personnes?survivants, étrangers résidant au
Rwanda, dont des ecclésiastiques et des religieuses?avaient décrit les tueries dans le détail. C’est là la
réalité que Mgr Nshamihigo et Mgr Ruhumuliza essayaient de nier. Mark Huband est un des journalistes
qui a assisté à la conférence de presse. Voici une partie du récit qu’il en fit pour le journal anglais The
Observer.
Le ton de l’Archevêque s’est enflammé au fil de son refus de plus en plus flagrant de condamner le
génocide du Rwanda et d’en accuser les responsables.
Augustin Nshamihigo, Archevêque anglican du Rwanda, et Jonathan Ruhumuliza, évêque anglican de
Kigali, s’étaient rendus à Nairobi le vendredi “non pour condamner mais pour expliquer un état de fait”.
C’est dans cette optique que les deux hommes d’église... ont entamé leur discours en reprochant la
crise humanitaire que traverse le Rwanda à l’avancée des rebelles du Front patriotique rwandais (FPR).
“Le FPR avait d’ores et déjà prévu de tuer certains de ses adversaires. Il disposait des armes pour le faire.
Sa position est devenu un obstacle majeur aux efforts de pacification entrepris par le gouvernement
provisoire, par l’église et par les autres défenseurs de la paix”, a déclaré Ruhumuliza.

Les journalistes ne furent pas impressionnés. Comme Mark Huband, la plupart d’entre eux
s’étaient rendus au Rwanda et avaient vu, de leurs propres yeux, les preuves du génocide.
Aux quatre coins du Rwanda, l’œuvre de ce gouvernement “défenseur de la paix” peut être contemplée par
ceux qui doivent l’observer. La semaine dernière, dans la mission catholique de Nyarubuye, tout à fait à
l’est du Rwanda, nous avons vu les têtes de jeunes enfants joncher le sol à deux pas de leurs corps
décapités...
Il a été demandé aux deux hommes d’Eglise s’ils condamnaient les meurtriers qui ont transformé les
églises rwandaises en véritables charniers.
Ils ont refusé de répondre. Ils ont esquivé les questions et se sont agités, leur voix devenant de plus en
plus aiguë, tandis que la tragédie de la crise rwandaise était portée au grand jour. Même les membres les

7

plus haut placés de l’Eglise anglicane étaient devenus les garçons de courses des manipulateurs politiques
qui ont incité au meurtre et ont teinté les rivières de sang.
“Je refuse de condamner un groupe sans condamner l’autre” a déclaré l’archevêque Nsahmihigo,
aussitôt après avoir accusé le FPR. “Notre souhait n’est pas de condamner mais plutôt de relater ce qui se
passe dans le pays”. Les journalistes ont quitté les lieux en signe de protestation... 8

Le discours des évêques, diffusé par la télévision kényenne, fut suivi par de nombreux Rwandais
pleurant des êtres chers et désireux d’avoir des nouvelles de leur pays. Wilberforce Murengezi était de
ceux-là. La famille de Wilberforce avait des liens étroits avec la communauté anglicane. Eustache
Kajuga, le père de Wilberforce, retraité, avait été pasteur anglican à Gahini, la première mission
protestante au Rwanda, et sa femme était membre de la chorale d’une église anglicane. Ils furent tous les
deux assassinés le 7 avril avec nombre de leurs parents proches.
Dans cette émission, j’ai vu et identifié personnellement deux personnalités de notre église, à savoir
Augustin Nshamihigo, archevêque, et Jonathan Ruhumuliza, évêque coadjuteur du diocèse de Kigali. Je
les connaissais bien avant dans notre église car, moi aussi, je suis adhérent à l’Eglise anglicane depuis
mon plus jeune âge.
Jonathan Ruhumuliza expliquait qu’il n’y avait pas de génocide au Rwanda car dans le côté contrôlé
par les ex-FAR, il n’y avait pas de morts, contrairement à ce qui se passait dans le côté du FPR. Il voulait
dire que dans le côté du FPR, les gens étaient massacrés.
Un journaliste lui a posé la question de savoir d’où provenaient les morts ou les cadavres remarqués
dans le côté gouvernemental. Ruhumuliza lui a répondu que dans le côté gouvernemental, il n’y avait pas
de corps de victimes. Après avoir dit cela, j’ai remarqué à la télévision que beaucoup de journalistes sont
partis pour montrer qu’ils n’étaient pas intéressés. Moi aussi, je n’ai pas compris comment se fait-il que
quelqu’un comme Ruhumuliza, soi-disant évêque, pouvait nier le génocide deux mois après la mise en
action de la machine infernale. ?a, je ne peux pas le lui pardonner. 9

Les évêques avaient pour tâche de répandre ce qui ne peut être interprété que comme une forme
de propagande pour le gouvernement provisoire. Bien que leur approche fût moins directe, la propagande
ne cessa pas à Nairobi. Le 9 juin, l’archevêque, Mgr Nshamihigo, publia un communiqué de presse
depuis les bureaux de l’Anglican Communion (Communion anglicane) à Londres. Il y décrit la crise du
Rwanda comme étant une crise de “guerre et de famine” et suggère que la fin des combats en serait la
solution. Pendant sa visite à Londres, puis au Canada, la délégation a essayé de récolter des fonds pour
aider les personnes déplacées au Rwanda. Une note de cinq pages, écrite le 18 juin, neuf semaines après
le début du génocide, présente le détail de ce projet. Une fois de plus, cette note ne fait aucune mention du
génocide et n’en nomme pas les auteurs. Quant à l’“explication” du fait que tant de personnes aient été
obligées de quitter leur foyer, elle est remarquable, principalement pour sa malhonnêteté.
Suite au décès du président du Rwanda, du commencement des massacres inter-ethniques et des combats
soudains entre l’armée nationale rwandaise et le Front patriotique rwandais (FPR), des centaines de
milliers de personnes ont été tuées et des millions ont quitté leur foyer.

Loin de condamner les autorités locales, qui jouaient un rôle prépondérant dans l’orchestration
des massacres, les écclésiastiques écrivirent ceci :
Le bureau provincial travaillera en étroite collaboration avec les autorités gouvernementales locales... Les
autorités locales maintiendront l’ordre dans ces centres...

A partir du début du mois de juin, moment où Gitarama est tombé aux mains du FPR, les
principaux évêques anglicans se trouvaient à l’étranger et ils ne sont pas retournés au Rwanda pendant le
génocide. Profitant de la sécurité que leur procurait l’exil, ils étaient dans une position idéale pour
s’élever contre le gouvernement provisoire. Au lieu de cela, ils agirent comme ses ambassadeurs et ses
apologistes et collectèrent des fonds qu’ils avaient l’intention de dépenser en collaboration avec des
fonctionnaires gouvernementaux. A l’étranger, l’accueil qu’ils reçurent de la part des églises ne put que
les convaincre qu’ils n’auraient pas à payer le prix de leur soutien à un gouvernement engagé dans un
génocide.
Malgré les idées fausses et les préjugés évidents contenus dans leur message, les évêques
trouvèrent un auditoire attentif. Leur interprétation de la situation au Rwanda convainquit, entre autres,
8
9

Mark Huband, “Church of the Holy Slaughter (L’Eglise du Saint Massacre),” The Observer, 5 juin 1994.
Témoignage recueilli le 18 septembre 1996, à Kigali.

8

les membres de l’Eglise anglicane du Canada. Cette dernière lança un appel en faveur du Rwanda et du
Burundi. Un rapport, publié en 1995 par le Primate’s World Relief and Development Fund (Fonds des
primats pour le développement et l’aide mondiale) (PWRDF), qualifie le voyage des évêques rwandais de
“très important, car les visiteurs nous ont apporté les premières nouvelles de derrière les lignes
gouvernementales dans la guerre entre l’ancien gouvernement et les rebelles. Ils ont également été les
auteurs de la première proposition pour aider ceux qui étaient derrière ces lignes”. Cependant, lorsque
“les forces rebelles prirent le contrôle des territoires couverts par cette proposition”, ces fonds furent
“réattribués aux besoins des réfugiés au Zaïre.” Il y avait de nombreux participants au génocide de 1994
parmi ces “réfugiés.”10

10

Communion-Wide Appeal for Rwanda and Burundi 1994 (Appel oecuménique pour le Rwanda et le Burundi),
15 avril-31 décembre 1994.

9

La réponse de l’Eglise anglicane
Depuis juillet 1994, la plupart des évêques sont restés à l’extérieur du Rwanda et ont tranquillement
continué à exercer d’autres fonctions, toujours au sein de l’Eglise. Beaucoup d’entre eux ont servi, sur le
territoire de l’ancien Zaïre, les camps de réfugiés?où des génocidaires s’étaient rassemblés à la suite de
la victoire militaire du FPR?avant la destruction de ces camps en octobre 1996. Bien que les évêques
aient refusé de rentrer au Rwanda, il a fallu attendre octobre 1996 pour que leurs évêchés et l’archevêché
soient déclarés vacants et qu’une nouvelle équipe soit nommée à la tête de l’Eglise.
Pendant ce temps, l’Eglise au Rwanda s’est trouvée virtuellement paralysée par le manque de
dirigeants et par les conflits entre les membres restants. Une crise tout particulièrement grave surgit dans
le diocèse de Kigali, avec la nomination comme évêque de Jonathan Ruhumuliza. Les tensions
provoquées par cette nomination ont obligé la direction de l’Eglise anglicane à faire face aux allégations
concernant le comportement des évêques de l’EER pendant le génocide. Cependant, la réponse des
autorités de l’Eglise anglicane a consisté, en général, à essayer de calmer la situation et d’aplanir les
difficultés, plutôt que de régler le problème posé par ces allégations. Cette tentative n’a rien fait pour
apaiser les survivants, qui restent persuadés qu’il n’y a pas de place au sein de l’Eglise pour des gens qui
ont été impliqués dans un génocide.
Mgr Jonathan Ruhumuliza est retourné au Rwanda le 5 août 1994, après avoir été nommé
comme son successeur par Mgr Adonia Sebununguri, l’ancien évêque de Kigali. Cette nomination fut
approuvée par l’archevêque de Cantorbéry. Cependant, à Kigali, des pasteurs et d’autres membres de sa
propre église, qui étaient au courant de ses actes durant le génocide, étaient profondément hostiles à sa
nomination. Sa présence en tant qu’évêque de Kigali n’a pas tardé à transformer le diocèse en champ de
bataille avec d’un côté, lui et ses partisans et, de l’autre, un groupe de pasteurs et de chrétiens qui le
rejetaient complètement. De nombreux membres de l’Eglise anglicane, à l’intérieur et à l’extérieur du
Rwanda, prirent connaissance de ces protestations, écrites et verbales.
De nombreux protestataires ont, pendant des mois, récusé le droit juridique et moral de Mgr
Ruhumuliza à occuper le poste d’évêque de Kigali. A maintes reprises, les problèmes posés par la lettre
envoyée par Ruhumuliza le 12 mai, sa conférence de presse de Nairobi, sa trahison de ses collègues et
leur famille ont été soulevés, ainsi que les irrégularités constatées dans le cadre de sa nomination. C’était
le bouleversement le plus complet au sein de l’Eglise épiscopale du Rwanda, dont la plupart des leaders
étaient en exil?et , de toute façon, en faveur de Ruhumuliza. En l’absence d’un archevêque au Rwanda
capable de recevoir leur requête, les protestataires ont boycotté les services de Ruhumuliza, l’ont
confronté directement ou ont cherché de l’aide auprès des autorités anglicanes à l’extérieur du Rwanda.
La situation s’est tellement dégradée que les deux camps en vinrent à des voies de fait.
L’une des premières protestations contre la nomination de Ruhumuliza eut lieu le 15 janvier
1995, jour où deux représentants du Conseil des provinces anglicanes d’Afrique (CAPA) arrivèrent au
Rwanda. Cependant, le révérend Kago et le très révérend Gitari perçurent cette intervention comme une
tentative d’“humilier Jonathan, qui resta calme et posé.” Ils n’ont manifestement pas compris
l’importance de la lettre de Ruhumuliza ou de l’exil volontaire des autres évêques anglicans. Ils
considérèrent plutôt le retour de Ruhumuliza au Rwanda comme un acte de courage. Dans le rapport
qu’ils firent sur leur visite, ils ont décrit son comportement durant le génocide : “Malgré ses défauts au
moment de la guerre, il est reconnu comme étant un évêque jeune et courageux.”
Bien que le rapport ne critique aucun individu en particulier, il reconnaît que la hiérarchie de
l’EER n’a pas aidé les victimes du génocide et qu’elle a été trop liée au gouvernement de l’époque. Il
recommande à “l’Eglise de ne jamais répéter l’erreur, faite dans le passé, qui consiste à être trop proche
du pouvoir... L’Eglise doit louer et soutenir le gouvernement quand ses actions sont justes et le mettre en
cause courageusement lorsqu’il quitte le chemin de justice et de droiture que Dieu exige”.
En mai 1995, la visite au Rwanda de l’archevêque de Cantorbéry, le révérendissime George
Carey, entraîna de nouvelles manifestations d’émotion et de colère. A plusieurs occasions, lors de sa visite
de cinq jours, il fut “souvent confronté à des manifestants agitant des pancartes qui dénonçaient un
certain nombre d’évêques anglicans rwandais.“ A son retour, l’archevêque a parlé des défauts de l’Eglise,
mais, une fois de plus, aucune sanction ne fut proposée contre les évêques responsables. Au contraire,
l’archevêque se donna du mal pour manifester un soutien inconditionnel à Ruhumuliza. Dans une lettre
au gouvernement datée du 14 novembre 1995, il écrit : “Je suis personnellement au courant de son
profond engagement pour le développement de la démocratie au Rwanda.” Plusieurs autres membres
éminents de l’Eglise anglicane se rendirent au Rwanda; tous ont exprimé leur plus profonde tristesse à la
10

suite du génocide de 1994, mais aucun n’a demandé une enquête sur le rôle qu’y jouèrent les évêques
anglicans. Lors du synode provincial qui eut lieu à la mi-1995 la décision fut prise d’offrir aux évêques
en exil une période de grâce de trois mois pour leur permettre de rentrer au Rwanda.
Six mois plus tard, la situation dans le diocèse de Kigali n’était toujours pas résolue. Dans une
lettre datée du 29 janvier 1996, le révérend Roger W. Bowen, secrétaire général de Mid-Africa Ministry,
entité basée à Londres (anciennement la Mission rwandaise), essaya d’éviter que ne s’installe au sein de
l’Eglise le malaise dû à la controverse au sujet de Ruhumuliza.
Pour ma part, je pense que l’évêque Jonathan a certes commis des erreurs, qu’il est d’ailleurs lui-même
prêt à admettre, mais je n’ai aucune preuve de ce qu’elles seraient d’une telle ampleur qu’elles suffiraient à
lui interdire la direction de l’Eglise.

Effectivement, dans une lettre datée du 30 mai 1996, l’évêque a admis quelques-uns des actes
dont il est accusé et a présenté ses excuses, sans grand enthousiasme, pour son comportement durant le
génocide.
J’avoue et je demande pardon parce que je n’ai pas continué à condamner énergiquement ni la tragédie qui
se déroulait ni les communiqués que l’Etat émettait sur les radios à cette époque.
J’admets que le 12 mai 1994, j’ai écrit au secrétaire général de la CETA à Nairobi [AACC], car je désirais
témoigner de ce qui se passait au Rwanda, mais je n’ai été ni attentif ni clairvoyant. Je n’ai pas condamné
les massacres qui devaient plus tard se transformer en génocide. Je n’ai pas condamné les auteurs de cette
tragédie.
J’admets qu’en juin 1994, je me suis rendu à la conférence de presse de Nairobi et que je ne me suis pas
distancié des écrits et des articles publiés. De la même façon, je n’ai pas saisi l’occasion que cette
conférence m’offrait pour condamner publiquement le génocide qui se déroulait au Rwanda.
J’admets que lors de mes voyages en Angleterre, au Canada et à New York, je n’ai pas saisi l’occasion qui
m’était offerte de condamner énergiquement et publiquement les auteurs du génocide au Rwanda.

Ces aveux suivirent de près la visite au Rwanda de Robert Shropshire, membre du Fonds des
primats pour le développement et l’aide mondiale, qui dépend de l’Eglise anglicane du Canada.
Shropshire était au courant du détail des accusations portées contre Jonathan Ruhumuliza ainsi que du
chaos et de la violence qui régnaient dans le diocèse de Kigali. Sans nommer qui que ce soit, il a noté
l’intensification du danger encouru par les personnes travaillant pour le diocèse et relaté comment
certains d’entre elles avaient été battues par un groupe de manifestants. Dans le cadre d’une proposition
d’ingérence dans les affaires du diocèse de Kigali, Shropshire fit plusieurs suggestions pratiques pour
tenter de résoudre le conflit.
... si les accusations sont dirigées contre l’évêque Jonathan sur la base de la lettre ou de la conférence de
presse, un procès doit être organisé pour entendre ces accusations, ce qui pourrait également` avoir un effet
sur les accusations portées contre d’autres dirigeants dans l’Eglise. Il ne faut pas permettre à de simples
allégations de déterminer leur sort - il doit y avoir quelque part une décision sur leur culpabilité ou leur
innocence.
Sur ce point, la position des dirigeants de l’Eglise dans le pays est que seule une cour de justice
pourrait trancher sur la culpabilité ou l’innocence des évêques. A mon avis, une cour ecclésiastique
pourrait être chargée d’entendre les arguments dans cette affaire puisque les questions soulevées s’appuient
également sur les lois de l’Eglise.

A l’instar de nombreux membres de l’Eglise anglicane qui furent touchés par cette controverse, il
n’a ni parlé du choc qu’il a pu éprouver ni condamné le contenu de la lettre de Ruhumuliza ou celui de sa
conférence de presse à Nairobi. Il est clair que Shropshire a pris parti pour l’évêque. Par la suite, lorsque
Ruhumuliza fut évacué au Canada, il lui apporta son soutien. Malgré tout, ses propositions sont très
pertinentes. Elles représentent peut-être la façon la plus raisonnable d’aller de l’avant.
Le très révérend David Birney, évêque en retraite de l’Idaho, est un membre important de l’Eglise
épiscopale des Etats-Unis. Sa nomination comme envoyé de l’archevêque de Cantorbéry, Mgr Carey,
auprès de l’Eglise anglicane du Rwanda était également prometteuse. Quatre tâches spécifiques lui furent
attribuées, parmi lesquelles “étudier la possibilité d’établir une forme appropriée d’enquête indépendante
sur le rôle joué par l’Eglise dans le génocide de 1994.” 11 Les différentes visites de Mgr Birney au Rwanda
désamorcèrent les tensions et furent jugées efficaces par toutes les parties concernées. Il vint réellement
sans parti pris et mena de nombreuses enquêtes avant de présenter son rapport à l’Anglican Consultative
11 Anglican

Communion News Service, 16 février 1996.

11

Council (Conseil consultatif anglican) (ACC) à Panama, en octobre 1996. Malheureusement, les
résolutions adoptées à Panama ne font aucune référence à une “enquête indépendante”. Néanmoins,
l'ACC a demandé à l’Eglise anglicane du Rwanda “de ne jamais abandonner sa vocation d’être un
instrument de justice et de réconciliation sans lesquelles aucune paix ne saurait durer au Rwanda.”
Malgré une forte volonté de pacifier le diocèse de Kigali?et d’évacuer ensuite Jonathan
Ruhumuliza vers le Canada en mai 1997, alors que sa position était devenue complètement intenable au
Rwanda?les leaders de l’Eglise anglicane ne prirent jamais de mesures directes permettant d’y arriver.
Ils soutinrent Ruhumuliza, laissèrent la situation devenir incontrôlable et brouillèrent les pistes qui
conduisaient à la responsabilité de Ruhumuliza. Ils finirent même par le percevoir comme la victime. Les
critiques émises contre lui furent rejetées comme émanant de “dissidents” et d’“anciens exilés” cherchant
à satisfaire des ambitions personnelles. Dans sa réponse à un article paru dans la Gazette de Montréal,
publié en octobre 1997 et très critique à l’encontre de Ruhumuliza, le diocèse anglican de Montréal
affirmait qu’après son retour en août 1994, Ruhumuliza avait cherché “à apporter l’apaisement” au
Rwanda.
En exil, les autres évêques trouvèrent de nouveaux rôles à remplir au sein de l’Eglise, et
échappèrent pour ainsi dire à toute critique. A Nairobi, Mgr Samuel Musabyimana fonda une
organisation appelée HOPE. Dans un de ses articles, un journal français, La Voix du Nord, a relaté son
voyage en Europe, organisé en juillet 1995 en vue de collecter des fonds. Cet article ne fait aucune
mention des allégations portées contre l’évêque, pas plus qu’il ne parle de son choix de rester en exil
depuis le génocide. En effet, Mgr Musabyimana s’y présentait “comme un chrétien bien au-dessus de
toute considération ethnique... le porte-parole du peuple rwandais qui est sans voix.” Il y affirmait que
HOPE était une organisation visant à appuyer l’éducation des enfants réfugiés dans les camps du Zaïre,
car d’eux “dépend la reconstruction du pays”. Athanase Ngirinshuti était resté au Rwanda. Il devint
interprète pour la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), travaillant dans
sa région natale de Gikongoro. Il fut nommé membre de la délégation Rwandaise à l’assemblée de
l’Anglican Consultative Council (Conseil consultatif anglican) qui se tint à Panama en octobre 1996,
mais il fut arrêté peu de temps avant son départ. Il est toujours en détention au Rwanda.
La position politique d'Augustin Nshamihigo a toujours été claire, même avant le génocide.
Ancien soldat gouvernemental et aumônier de l’armée, c’était un ami intime du président Habyarimana.
En exil à Nairobi, il a continué à entretenir des liens étroits avec les personnalités politiques, les officiers
de l’armée et les hommes d’affaires qui furent les principaux architectes du génocide.
Les dirigeants de l’Eglise anglicane ont compris que si les évêques ne voulaient pas retourner au
Rwanda, c’était par peur, justifiée, des “représailles”, sans reconnaître qu’ils craignaient surtout “que
justice soit faite”. A son retour du Rwanda, Mgr Carey déplora publiquement que personne n’eût été
encore poursuivi pour des crimes liés au génocide, bien qu’un an se fût écoulé. “Je connais un leader
éminent qui a peur de rentrer, mais je suis sûr qu’il est innocent”, 12 commenta-t-il. En se basant sur les
très solides allégations faites contre certains évêques et pasteurs anglicans, la moindre des choses serait
que les dirigeants de l’Eglise suspendent leurs jugements jusqu’à ce qu’une enquête indépendante ait eu
lieu.

12

Ecumenical News International, 16 mai 1995.

12

L’Eglise presbytérienne de Kirinda, commune de Kibuye
Les Eglises de toutes confessions au Rwanda subirent de lourdes pertes pendant le génocide car les
membres du clergé furent parmi les premières cibles des tueurs. Juste après le décès du président
Habyarimana, une attaque fut lancée contre le Centre Jésuite Christus à Kigali. Elle coûta la vie à dixsept personnes, dont quatre prêtres. L’Eglise presbytérienne du Rwanda (EPR) a perdu seize de ses
pasteurs?cinq d’entre eux sont morts ensemble à Remera-Rukoma dans la commune de Taba, région de
Gitarama. En mémoire de ces morts tragiques, du décès des membres de la famille des pasteurs ainsi que
de celui d’innombrables paroissiens presbytériens, il faut que l’Eglise presbytérienne mène une enquête
sur les massacres de Kirinda, commune de Kibuye.
Michel Twagirayesu, président de l’Eglise presbytérienne du Rwanda et ancien vice-président du
COE, se trouvait à Kirinda au commencement du génocide. C’est le membre le plus important de l’Eglise
presbytérienne à être accusé de participation aux massacres. Parmi les survivants, un pasteur et deux
anciens employés de l’EPR sont prêts à témoigner contre lui.
Catherine13 était secrétaire de l’Institut presbytérien de Kirinda (IPK), où le pasteur Twagirayesu
se rendait fréquemment en tant que président de l’Eglise presbytérienne. Elle est aujourd’hui secrétaire à
l’EPR. A l’époque du génocide, Catherine vivait près de l’Ecole de sciences infirmières (ESI), à Kirinda.
Elle se souvient que les pasteurs étaient réunis à l’école, le 7 avril 1994, quand la nouvelle du décès de
Habyarimana leur parvint. La réunion, qui était présidée par Twagirayesu, se termina immédiatement et
les pasteurs se dispersèrent. Dans les jours qui suivirent, certains des Hutus les plus influents, entre
autres le directeur de l’IPK, le directeur de l’ESI et le directeur médical de l’hôpital de Kirinda, se
réunirent, après quoi les massacres commencèrent.
Catherine, qui est d’origine tutsie, fut menacée par les miliciens qui vinrent chez elle, demandant
à voir sa carte d’identité. Elle s’échappa par l’arrière de sa maison, mais le lendemain, alors qu’elle
essayait de se rendre chez son amie Marguerite, elle fut remarquée par les fils d’un pasteur local. Ils la
prévinrent qu’ils la retrouveraient. Plus tard, la milice vint la chercher chez Marguerite. Parmi les
miliciens figurait Amani, un homme d’affaires parent de Twagirayesu. Catherine se cacha dans les
combles. Peu de temps après, elle partit chez un autre ami, Aaron.
Lorsque je vivais dans la maison d’Aaron, j’entendais les miliciens qui disaient que le pasteur Twagirayesu
était allé à la réunion de Kabgayi avec les évêques de l’église catholique et les représentants juridiques des
autres églises. Les miliciens étaient très contents parce que Twagirayesu avait dit, lui aussi, qu’il n’y avait
pas de génocide au Rwanda. Les miliciens disaient que Twagirayesu les avait bien représentés.

Catherine réussit à se cacher jusqu’en mai, mais elle fut finalement découverte chez Aaron.
On a appelé beaucoup de miliciens. Ceux-ci m’ont mise devant eux et m’ont emmenée en criant au centre
commercial, chez Semirindi, où se trouvaient leurs autorités. Arrivés là, j’ai vu le bourgmestre de Bwakira,
Kabasha ; Fidèle Ntawirukanayo, mon directeur à l’IPK ; Michel Twagirayesu, le président de l’EPR, ainsi
que beaucoup d’autres miliciens. Ils étaient en train de boire de la bière en causant et en riant alors que
beaucoup de gens tutsis étaient morts.
Les miliciens qui me conduisaient se sont approchés de ces autorités. Ils leur ont demandé la
permission de me tuer mais, avant, ils avaient demandé à Fidèle de dire si j’étais hutue ou tutsie, parce
qu’il me connaissait car j’étais sa secrétaire. Fidèle n’a rien répondu. Par chance, le bourgmestre a dit à
ses miliciens de laisser la secrétaire de Fidèle.

Catherine survécut au génocide grâce à son ami Aaron qui, à la suite de cet incident, persuada les
miliciens qu’elle était morte. Elle a parlé du rôle joué par Twagirayesu.
Twagirayesu n’a rien fait pour protéger les gens alors qu’il en avait les moyens. Il y avait beaucoup de
bâtiments à Kirinda : il aurait pu y cacher au moins les pasteurs et leur famille. Mais au lieu de cela, dans
ces bâtiments, il y avait des réunions pour dresser les plans pour tuer les Tutsis. 14

Le pasteur Aaron Mugemera travaille aujourd’hui pour l’Eglise presbytérienne de Kigali.
Pendant le génocide, il était pasteur à Biguhu, commune Kibuye. Il a perdu sa femme et ses sept enfants
dans le massacre de Kirinda.
13
14

Le témoin n’a pas voulu que son vrai nom apparaisse dans ce rapport.
Témoignage recueilli le 24 juillet 1996, à Kigali.

13

Mugemera était présent à la réunion du 7 avril, présidée par Michel Twagirayesu, à l’ESI de
Kirinda. Quand il apprit la mort du président, il partit pour Biguhu, réalisant que la vie de sa femme et de
ses enfants était menacée. Effectivement, ils avaient été attaqués par la milice de Gikongoro. Le matin du
12 avril, il ramena sa famille dans sa maison de Kirinda, persuadé qu’ils y seraient en sécurité. Le soir
même, sa maison fut pillée et brûlée par la milice. La famille fut obligée de fuir.
Nous sommes allés nous cacher à l’ESI, près du pasteur Michel Twagirayesu. Je pensais que ce dernier
allait nous protéger parce que nous étions du même endroit. En effet, Twagirayesu et moi étions du secteur
Murambi, commune Bwakira, préfecture Kibuye. En plus de ça, tous les miliciens qui attaquaient lui
obéissaient. Certains avaient même des liens de parenté avec lui. Il pouvait donc les empêcher de nous
tuer.

Le lendemain, il devint évident que le pasteur Twagirayesu n’avait aucune intention de protéger
la famille du pasteur Mugemera ou tout autre Tutsi qui se cachait à l’Ecole d’infirmières.
Le 13 avril, vers dix heures, le pasteur Twagirayesu, Antoine Kamanzi (médecin-directeur de l’hôpital),
Marcelin (directeur de l’ESI) et Malachias Habiyambere (infirmier à l’hôpital de Kirinda) sont venus là où
nous étions. Ils nous ont demandé de faire une réunion avec eux parce que, disaient-ils, ils allaient nous
amener à Kabgayi, alors qu’ils avaient demandé à leurs miliciens d’encercler notre endroit. En effet, ces
gens voulaient que nous sortions pour éviter que les miliciens entrent, parce que ceux-ci pouvaient abîmer
leur maison en venant nous chercher pour nous tuer. Nous avons refusé de sortir parce que nous voyions
des miliciens avec des machettes et des grenades.
Ce groupe nous a alors demandé la liste des personnes présentes dans ce dortoir. Ils nous ont obligés à
préciser l’âge et le sexe de tous ces réfugiés parce qu’ils voulaient soi-disant leur apporter de la nourriture.
Ils voulaient en fait savoir le nombre d’hommes présents afin de pouvoir armer les miliciens en
conséquence. Ils avaient peur que nous nous défendions.

Le pasteur Mugemera, se méfiant, demanda pourquoi ils avaient besoin de connaître l’âge et le
sexe des réfugiés pour les nourrir. Twagirayesu répondit:
“Tant pis pour nous si vous ne voulez pas nous donner cette liste”. J’ai fait la liste et je l’ai donnée à
Marcelin. On ne nous a pas apporté de nourriture.

Twagirayesu avait logé des officiers de l’armée et leur famille à l’ESI et, selon Mugemera, on le
voyait souvent leur parler. Il entretenait également des rapports étroits avec des personnes que le pasteur
Mugemera croit responsables de l’organisation des massacres des Tutsis qui se trouvaient à l’ESI.
Le 14 avril, dans la journée, Kabasha, le bourgmestre de la commune Bwahira ; Anaclet Rudakubana, le
sous-préfet de la sous-préfecture Birambo ; le pasteur de la paroisse Kirinda, Renatha, Burundais ; Fidèle
Ntawirukanayo, le directeur de l’Institut presbytérien de Kirinda, et Amani Nyiringabo, un entrepreneur,
ont tenu une réunion dans le quartier commercial de Kirinda pour dresser le plan pour nous massacrer.
Personne ne nous soutenait, même pas les employés de l’église comme André Mugwaneza, qui était chargé
du développement dans l’église presbytérienne. Il disait que nous étions des Inyenzis et se plaignait qu’il
avait fui les Inyenzis à Kigali et qu’il en retrouvait maintenant à Kirinda. Après la réunion, la famille de
Gahima et celle de Muremangingo ont été tuées. Ils étaient infirmiers à l’hôpital de Kirinda.
Je n’ai pas participé à cette réunion mais, comme c’était au début du génocide, nos amis venaient nous
informer à l’ESI.

Mugemera a décrit l’arrivée des miliciens, le soir du 14 avril, vers 21h. Amani, un parent de
Twagirayesu, les conduisait. Ils étaient armés.
Arrivés dans la salle où nous étions enfermés, ces miliciens ont immédiatement tué ma femme, Donatille
Mukankubito, 44 ans ; mon fils aîné, Claude Kwizera, 21 ans, étudiant en 5ème secondaire à Rubengera ;
ma fille Claudette Uwizeye, 19 ans, en 5ème secondaire à Remera-Rukoma ; mon fils Emmanuel
Mugemera, 17 ans, étudiant à l’IPK ; mon fils Olivier Ndayisaba, 15 ans, étudiant à une école secondaire à
Kigali ; mon fils Benoît Nsengiyumva, 13 ans ; mon fils Yves Dushimimana, 11 ans ; et mon fils Seth
Munyemana, 9 ans.
Ces miliciens ont aussi tué la famille de Muberuka, originaire de la commune Mwendo, la famille de
Tito et la famille de Géras, tous de Kirinda. Nous étions environ cinquante personnes. Au moment de ce
massacre, Twagirayesu était à côté de nous, dans sa chambre. Il n’a rien dit. Il n’a caché aucun enfant
alors qu’il en avait la possibilité. Twagirayesu avait de l’autorité à Kirinda : il était président de l’EPR et
contrôlait donc l’hôpital, l’ESI et l’IPK parce que tout cela appartenait à l’EPR. Ce sont des gens qui
travaillaient là qui ont tué ces familles.

14

Le pasteur Mugemera se tenait près de la porte et il réussit à s’échapper alors que le massacre
continuait. Il se cacha dans un buisson jusque tard dans la nuit et courut ensuite au bureau communal. Il
trouva refuge chez une famille hutue dont le fils était un de ses anciens élèves. Ils le cachèrent dans un
trou situé dans leur maison et placèrent une natte et une table par dessus pour tromper les assassins. De
là, il fut amené à Kigali. Il parle de la douleur et de la tristesse qu’il ressent constamment et de ses
sentiments envers Twagirayesu.
Au fond de mon cœur, j’ai une plaie parce que je n’ai pas retrouvé les corps de ma femme et de mes
enfants. Tous ont été jetés dans la rivière Nyabarongo. Twagirayesu n’a fait aucun geste pour enterrer les
corps de ma famille. Il a refusé de les protéger et il a refusé de les enterrer alors qu’il était pasteur comme
moi. Mais ça ne m’étonne pas puisque il était était très extrémiste avant le génocide.
Ces pasteurs génocidaires sont réfugiés au Zaïre ou au Kenya dans des hôtels. Ce sont les églises
occidentales qui leur donnent de l’argent pour les nourrir. Ils achètent des armes avec le reste de l’argent
pour pouvoir attaquer notre pays.

Monique Mukakizima a confirmé le récit de Mugemera concernant la mort de sa famille. Au
moment de l’entretien, elle était assistante sociale attachée à l’hôpital de Ruhengeri, mais pendant le
génocide, elle travaillait à Kibuye aux Services pour le développement rural de Biguhu, dont la gestion
administrative incombait à l’Eglise presbytérienne. Selon elle, les tendances politiques de Twagirayesu
étaient de notoriété publique avant le génocide.
Chaque fois que Michel Twagirayesu allait visiter les Services pour le développement rural, il était
accompagné de miliciens interahamwes.

Monique se trouvait à Biguhu lorsqu'Aaron Mugemera arriva de la réunion de Kirinda pour
évacuer sa famille. Terrifiée par les attaques menées par les miliciens de Gikongoro contre les Tutsis de
Biguhu, Monique s’enfuit avec Mugemera et les siens. La famille de Géras Mutimura, le patron de
Monique, se joignit à eux.
Mugemera nous a proposé de chercher refuge à Kirinda, ce pour les raisons suivantes : c’était la région
dont Mugemera était originaire, et la présence de son chef Twagirayesu, qui non seulement était une
autorité religieuse respectée mais aussi un ami intime du bourgmestre, Kabasha. Tout cela a donné l’espoir
à Mugemera que Twagirayesu et son ami bourgmestre pourraient avoir la bonne volonté de l’heberger avec
sa famille. Cet espoir a été gâché et nous avons été étonnés.
En effet, il y avait déjà eu la formation de groupes de malfaiteurs. Nous sommes allés dans la maison
que Mugemera avait fait construire. Twagirayesu et le bourgmestre avait appris que nous y étions.
Certains des pasteurs, méchants, qui participaient à la réunion ont alors commencé à dire que
Mugemera était venu avec tous les Inyenzis de Biguhu. Parmi ces pasteurs, il y avait Renatha de Kirinda,
et un autre dont je ne connais pas le nom. C’était dans l’intention d’attirer la haine contre nous.

Monique se rappelle de la réponse que donna Twagirayesu aux réfugiés effrayés qui lui
demandaient de protéger leur famille.
Twagirayesu a répondu : “J’ai moi même des problèmes pour cacher ma famille !” Twagirayesu avait placé
sa famille à l’intérieur de l’ESI et il passait ses journées avec les grands miliciens, dont le bourgmestre et
Amani Nyilingabo. Etant un Hutu de renommée nationale, bien intégré dans l’Eglise, Twagirayesu ne
pouvait pas être menacé par les miliciens de sa région, dont les dirigeants étaient ses amis.

Le soir même, vers 19h, la milice attaqua les Tutsis qui logeaient chez Mugemera.
Ils ont brûlé le véhicule de Mugemera, brisé les vitres de sa maison et tenté de la brûler. A l’intérieur de
cette école se trouvaient des Hutus venus de Kigali, et la famille de Twagirayesu occupait un appartement.
Nous, les Tutsis, occupions deux chambres et les leaders des miliciens, dont le bourgmestre de Kabasha,
venaient régulièrement nous guêter. Twagirayesu ne venait jamais, ne serait-ce que pour nous dire
“courage” ou bien nous aider, en sa qualité de pasteur, à prier pour nous préparer au ciel. Au contraire,
d’autre gentils hommes venaient demander à Mugerema de l’évacuer mais le président de l’E.S.I. Michel
Twagirayesu, ne disait rien.

Elle a raconté l’attaque du 14 avril en détail.

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Un jour, vers 17 heures, plusieurs miliciens armés de grenades et d’armes blanches, et les gems qui
logeaient là, commencèrent à dire : “Que les Tutsis se mettent ensemble”. Immédiatement avec Chantal,
fille d’un certain Muremangingo, nous avons pris la fuite vers l’appartement de Twagirayesu. Nous y
avons trouvé sa femme debout près de la porte. Nous lui avons demandé la permission d’entrer et de nous
cacher chez elle. Elle nous a dit : “Allez-vous-en. Allez rejoindre vos semblables tutsis. Vous risquez de
causer la mort de mes enfants”. Chantal supplia cette dame, mais elle refusa catégoriquement. Nous avons
donc rejoint les autres Tutsis dans les deux chambres où ils étaient en train de prier.
A 19 h, les miliciens nous ont rejoints avec comme première cible toute la famille de Mugerema et
celle de Tito, comptable de l’hôpital, qu’ils connaissaient très bien. Personnellement je n’était pas connue
dans cette région et j’en ai profité. Ils m’ont battue, essayant de découvrir si j’étais Hutue. Quand ils m’ont
demandé ma carte d’identité comme preuve, je leur ai remis ma carte d’étudiante, ajoutant que j’arrivais
de Kigali où j’avais perdu ma carte d’identité. De plus, j’ai la chance d’avoir une physionomie semblable à
celle des Hutues.
A l’extérieur, j’ai vu un groupe de personnes parmi lesquelles il y avait Michel Twagirayesu, le
directeur de l’école, un certain Léopold qui venait de terminer ses études au Cameroun et Alphonse
Mugwaneza, chargé du Département du Développement de l’E.P.R. Ils se tenaient devant le local que nous
occupions, apparemment pour s’assurer que personne ne s’échappe.
Ces assassins m’ont dépouillée de tous mes bijoux, de 56 000Frs et de ma montre, ce tout en me
frappant. Déo, surnommé “Monika”, est arrivé. Il était originaire de Giciye, Ginseyi, et me prit pour la
sœur de son ami Jean-Baptiste. Il m’a libérée des miliciens puis m’a présentée à ses chefs [le groupe des
quatre, dont Twagirayesu] en disant : “On allait tuer un Hutu !”. Croyant que j’était une amie du milicien
Déo, ils ne dirent rien.
Alors que j’étais encore à l’extérieur sous le contrôle des miliciens, le groupe des quatre ont demandé
si toute la famille de Mugemera et celle de Tito était morte. Un milicien a répondu affirmativement. Ils
s’en réjouirent. Twagirayesu ajouta lui-même : “Cherchez aussi Mugemera”.

Monique estime le nombre de morts, ce jour-là, à 62 adultes et plusieurs petits enfants. Elle
s’échappa le lendemain et se cacha jusqu’à l’arrivée des troupes françaises de l’opération Turquoise.15
Ce ne sont pas les seules accusations à avoir été portées contre le pasteur Twagirayesu. Il a été
suggéré par d’autres personnes que le pasteur Twagirayesu avait écrit une lettre au Premier ministre, Jean
Kambanda, dénonçant les pasteurs presbytériens tutsis qui se cachaient à Remera-Rukoma, commune de
Taba, à Gitarama. Ils furent tous tués ultérieurement par les Interahamwes. Il fut aussi accusé d’avoir
prêté une voiture appartenant à l’EPR à Silas Kubwimana, le mari de sa nièce et un des génocidaires bien
connus de Taba. Ce véhicule aurait été celui qui avait transporté la milice à Remera-Rukoma, où les
pasteurs furent assassinés.
Malgré les très sérieuses allégations portées contre lui par ses propres confrères, Twagirayesu a
pu continuer à vivre normalement en dehors de son pays. Peu après le génocide, il fut accusé
publiquement de complicité dans le génocide par le pasteur Mugemera alors qu’ils assistaient tous deux à
une assemblée presbytérienne qui se tenait à Windhoek, en Namibie. Aucune mesure ne fut prise.

15

Témoignage recueilli le 4 mai 1996, à Ruhengeri.

16

Comme les évêques anglicans, le pasteur Twagirayesu quitta le Rwanda à la fin du génocide et
s’installa au Kenya. Il quitta le Kenya suite à l’arrestation de nombreuses personnes soupçonnées d’avoir
participé au génocide et à leur transfert au Tribunal international. Il partit pour Masisi, en République
démocratique du Congo, vivant grâce à l’aide des églises presbytériennes locales. Le cas de Twagirayesu
est particulièrement important pour le COE, car il est un ancien vice-président de ce dernier.

L’Eglise méthodiste libre de Gikondo
Gikondo, à Kigali, était un bastion des Interahamwes. En fait, dès février 1994, de violentes attaques et
actes d’intimidation y ont obligé de nombreux Tutsis à abandonner leur maison. Lorsque les massacres
ont débuté, le 7 avril, des centaines de personnes se sont rassemblées à l’église méthodiste libre de
Gikondo. Ils y cherchèrent refuge croyant, comme les habitants des quatre coins du pays, que “personne
ne pourrait tuer qui que ce soit dans la maison de Dieu”, selon les mots d’un survivant. Parmi ces
réfugiés se trouvaient des méthodistes et des disciples d’autres croyances. Ils placèrent leur vie dans les
mains de l’évêque méthodiste, Mgr Aaron Ruhumuliza, qui était également le représentant juridique du
Conseil des Eglises protestantes au Rwanda (CPR). Mais Mgr Ruhumuliza et son collègue, le pasteur
Uzarama, semblaient entretenir de bonnes relations avec les miliciens que les réfugiés tentaient de fuir.
Les miliciens se rendaient fréquemment à l’église et l’évêque ne tarda pas à préparer le terrain pour un
massacre.
Epiphanie Umunyana, âgée de 28 ans, arriva à l’église le 8 avril, en compagnie de deux amies,
Christine Dusabe et Jeanne Uwineza. Au début, les Hutus et les Tutsis étaient tous ensemble, ayant tous
fui leur maison, poussés par la peur. Ensuite, Mgr Ruhumuliza commença à les séparer. Les Tutsis ont
alors réalisé qu’ils étaient en danger dans l’église.
Mgr Aaron Ruhumuliza est arrivé avec quelqu’un dont je ne connaissais pas le nom. Il a commencé, très
en colère, à nous poser des questions : “Je vois que vous avez fui. Quels sont ceux qui ont fui les
Inkotanyis [FPR] ? Quels sont ceux qui ont fui les Hutus ? Il faut que vous présentiez vos cartes d’identité.
Que ceux qui ont fui les Hutus se placent de ce côté-là et ceux qui ont fui les Inkotanyis de ce côté-ci”.
Entre-temps, celui qui l’accompagnait a commencé à vérifier nos cartes d’identité. Jeanne nous a alors
dit : “ Nous n’avons pas de chance avec ce contrôle. Il va falloir que nous quittions cet endroit”.

La séparation des Hutus et des Tutsis constitua le prélude au massacre. La tuerie commença le
samedi 9 avril, une fois qu’il fut clair qu’il ne restait que des Tutsis dans l’église. Pierre-Claver
Rwabugasa, chauffeur âgé de 32 ans, fait partie du petit nombre de survivants.
Mgr Aaron Ruhumuliza était là avec les assassins. Nous sommes entrés dans l'église, car il y avait dans la
cour beaucoup d’assassins. Ils portaient des machettes et des massues et ils voulaient nous tuer. Le pasteur
Uzarama, qui était avec Mgr Ruhumuliza, avait une massue à la main, et nous avions peur d’eux, car ils
avaient fermé l’église pour que nous ne puissions pas sortir avant l’arrivée des assassins. Les gendarmes et
les Interahamwes sont alors arrivés. Les assassins ont cassé les fenêtres de l’église. Ils ont commencé à
lancer des grenades et à tirer des coups de feu dans l’église. Comme nous étions nombreux, nous avons été
forcés de sortir par les fenêtres. J’ai pu sortir. La population locale était prête à tuer toute personne qui
aurait pu sortir. L’église était remplie de cadavres. Mgr Ruhumuliza a vu tout cela. Je n’ai pas eu de
chance, je n’ai pas pu m’enfuir très loin, car il y avait des Interahamwes tout autour de la clôture.

Pierre-Claver a résumé le rôle des deux pasteurs méthodistes en ces mots :
L’évêque Aaron Ruhumuliza et son collègue, le pasteur Uzarama, sont les principaux organisateurs de la
mort des personnes qui se trouvaient dans l’église méthodiste de Gikondo.

Un étudiant de 19 ans, qui vivait chez un chauffeur de l’Eglise méthodiste libre qui fut assassiné
dans sa propre maison le 7 avril, accompagna les enfants du défunt à l’église. Parlant à condition de
garder l’anonymat, il a décrit la façon dont les massacres se sont déroulés.
Toute la population qui avait fui se trouvait dans la cour de l’église, et les assassins près du portail. L’un
des pasteurs, très méchant, Uzarama, a pris la clé et a ouvert la porte de l’église. Tout le monde est entré.
Ruhumuliza a mis un cadenas sur la porte de façon à ce que personne ne puisse en sortir. Les
Interahamwes sont arrivés. Ils ont clôturé l’église et l’un d’eux a donné le signal. Ils ont lancé des

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grenades à travers les fenêtres. Les autres tiraient sur les gens qui essayaient de sortir. L’évêque était là
avec les chefs des tueurs, riant, alors que les gens mouraient dans l’église.

La plupart des réfugiés qui se trouvaient à l’intérieur de l’église furent tués. Les personnes se
cachant dans la maison de Ruhumuliza, près de l’église, dirent qu’ils avaient entendu des cris mêlés au
bruit des coups de feu et des explosions de grenades. La foule armée de machettes, d’épées et de massues,
courrait après tous ceux qui avaient réussi à s’échapper. Certains furent tués pendant leur fuite. Mais un
certain nombre de survivants, dont quelques-uns étaient blessés, cherchèrent refuge chez Ruhumuliza,
rejoignant ainsi ceux qui s’y cachaient depuis le 8 avril. Pierre-Claver Rwabugasa se trouvait parmi les
quarante-deux personnes rassemblées dans la maison.
C’était une chance pour Ruhumuliza et les autres assassins comme lui. Nous y avons passé la nuit et il
téléphonait sans arrêt partout, répétant que nous étions dans sa maison. Après avoir téléphoné, il nous a
menti en nous disant que Dieu était avec nous et qu’il nous sauverait bientôt si nous étions saints.

Les coups de téléphone de Mgr Ruhumuliza avaient un double but. Il ordonnait aux policiers de
venir débarrasser sa maison des réfugiés tutsis et il cherchait à obtenir une escorte militaire pour Safari,
le gendre du président du gouvernement provisoire. Safari était recherché par les Interahamwes en tant
que membre d’un parti politique de l’opposition, le Mouvement démocratique républicain (MDR), et il
cherchait à retourner dans sa région natale, Butare.
Les assassins sont arrivés le dimanche 10 avril au matin. Mgr Ruhumuliza est venu avec son fils. Ils nous
ont fait sortir. Il nous a dit, très en colère : “Je ne veux pas vous voir ici, car vous causez des problèmes
pour ma famille. Il faut que vous sortiez vite”. C’en était fini pour nous car nous étions entre les mains de
ces assassins. En sortant, j’ai vu une camionnette de la gendarmerie. Quelqu’un a refusé de sortir,
Ruhumuliza en a alors informé les gendarmes qui sont entrés dans la maison et l’ont tué sur le champ. Les
autres qui avaient entendu les coups de feu, ont couru vers la clôture. J’ai reconnu un jeune homme,
Kimenyi, et une femme appelée Jeanne, que les assassins ont tués devant Mgr Ruhumuliza.

Quelques personnes réussirent à se cacher dans la haie de la résidence de Ruhumuliza ; PierreClaver profita du désordre pour s’échapper. Mais la plupart des réfugiés furent obligés à monter dans une
camionnette amenée par les gendarmes. Christine Dusabe, une jeune femme de 30 ans, se rappelle
comment Ruhumuliza a permis aux tueurs de terminer leur tâche.
Ruhumuliza a appelé les assassins et leur a dit : “Prenez les véhicules, ils vous faciliteront le travail”.
C’étaient des véhicules de l’église. Le “travail” dont il parlait consistait à tuer les Tutsis en ville.

Il leur a promis qu’il prierait pour eux. Christine se souvient de ses conseils de pasteur.
Il nous a dit : “Venez ici, je vais prier pour vous. Je viens de constater que les Tutsis n’ont pas de chance.
Ils sont tous méchants, mais il faut prier, confesser vos péchés et accepter de mourir en Christ”. Après
avoir prié, il nous a dit de sortir sans discuter sinon : “J’appellerai les Interahamwes”.

Alors que le véhicule était sur le point de partir, Ruhumuliza annonça aux passagers qu’ils
allaient être amenés au bureau de l’administration locale “pour que leur sécurité puisse être assurée.” Il
les aida à monter dans la camionnette et fouilla méticuleusement sa maison pour s’assurer qu’il n’avait
oublié personne. Spéciose Mukagahima, une jeune femme de 33 ans, et son mari, Jean-Pierre Sambwe,
étaient tous les deux employés par l’Eglise méthodiste libre. Inquiet pour son épouse qui était enceinte à
l’époque, Jean-Pierre l’avait persuadée de partir chez Ruhumuliza, le matin du 8 avril, alors qu’il
continuait à se cacher chez un voisin. Spéciose avait confiance en Ruhumuliza. Non seulement elle
travaillait pour lui, mais elle l’avait connu à Kibogora, où elle avait fait ses études, et elle avait vécu chez
lui, à Kigali de 1988 à 1989, avant son mariage. Mais elle a rapidement remarqué qu’il était différent.
Mgr Ruhumuliza a vu tous ces gens qui étaient chez lui et dans l’église et j’ai constaté qu’il avait changé
d’attitude. Il a commencé à discuter avec les assassins qui étaient présents et qui tentaient de tuer ces
personnes. Il est aussi venu nous voir, fâché. Il a commencé à téléphoner dans la nuit du 8 avril. Nous
chantions des cantiques religieux mais Ruhumuliza était toujours occupé au téléphone.
Dans la journée du 9 avril, vers 22 h, j’ai entendu le bruit des grenades et des coups de feu qui étaient
tirés sur les gens dans l’église. Les cris des innocents étaient forts.

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Le dimanche 10 avril, un autre pasteur méthodiste que Spéciose connaissait arriva à la maison.
Ruhumuliza et son petit frère, Siméon Rutizihana, pasteur lui aussi, sont arrivés en riant. Ce pasteur nous
a dit : “Savez-vous qui est mort dans l’église ? Vous savez, le vieux Sengabo et sa famille ? On les a tous
éliminés ! Vous, qu’est ce que vous en pensez ?” Il est reparti avec Ruhumuliza.

Ruhumuliza revint ensuite.
Ruhumuliza est revenu en colère, les yeux rouges, avec les assassins qui étaient dehors avec lui. Il est entré
dans la maison et il a dit: “Tout le monde dehors ! Faites vite, vite !”. Les assassins étaient bien sûr dehors,
tels des lions qui auraient passé une semaine sans manger, avec le pasteur Rutizihana. Mgr Ruhumuliza a
dit : “Sortez d’ici avant que je ne me fâche. Il est temps que vous mouriez”. Je me souviens encore que
nous avons pris nos Bibles, car c’en était fini pour nous, et ses paroles nous décourageaient encore plus.
Nous sommes sortis un par un.
Les gendarmes et d’autres assassins ont commencé à nous faire monter dans la camionnette qui nous
attendait. Il y avait un jeune homme, Léon Karangwa, un ami du fils de Ruhumuliza, Victor, qui refusait
de sortir. Ruhumuliza et son fils l’ont alors fait sortir de force et les assassins l’ont tué, devant eux, sans
aucune émotion de leur part. Son fils tendait les bras devant la porte d’entrée de la maison pour que
personne n’y retourne.
Après la mort de Léon, certains ont essayé de s’enfuir, mais les assassins étaient prêts à tirer et ils sont
presque tous tombés morts, dont un homme nommé Kimenyi et une jeune femme. Ruhumuliza a donné
l’ordre d’enterrer ou de jeter ces corps dans la fosse commune qui avait été creusée bien avant près de sa
maison.

Spéciose se faufila dans la haie près des toilettes situées à côté des annexes de la maison. Un
homme qui avait été chassé de la maison s’était caché dans les toilettes avec ses deux enfants. Spéciose
vit Ruhumuliza fouiller les toilettes. Ruhumuliza découvrit l’homme et ses enfants.
Ruhumuliza leur a crié : “Sortez vite !”. Les enfants pleuraient et l’homme lui a demandé pardon. Il a
refusé d’avoir pitié de cet homme. L’homme a pleuré comme ses enfants. L’évêque riait, criait qu’il avait
découvert l’ennemi. Cet homme est sorti des toilettes avec ses deux enfants et les assassins les ont tués
devant lui. Leurs cadavres ont été jetés dans la même fosse commune.

Spéciose, dont le mari a été tué, a continué de travailler pour l’Eglise méthodiste libre, à
Gikondo.
Quand je parle des actes que Mgr Ruhumuliza a commis, cela me fait mal, surtout qu’il est libre, qu’il n’a
pas été arrêté. Mais je ne vois pas quelle pourrait être la sanction sur Terre ! Ruhumuliza était soi-disant
Monseigneur, mais il n’a pas été digne de son titre pendant la période du génocide. Il est parmi les grands
génocidaires rwandais.

Le jeune homme tué pour avoir refusé de quitter la maison de Ruhumuliza s’appelait Léon
Karangwa. C’était un ami de Victor, le fils de Ruhumuliza. Le 8 avril, la mère de Léon, Laurence
Mukamusoni, âgée de 52 ans, se rendit chez Ruhumuliza avec un voisin, sachant que son fils s’y cachait.
Nous avons beaucoup insisté. Nous lui avons montré que nous étions ses moutons, qu’il était notre berger
et que c’était le travail que Dieu lui avait confié, à savoir : être un bon berger pour ses moutons. Mais il
nous a dit que ce n’était pas le cas et que nous devions aller ailleurs.

Laurence n’a pas voulu trop insister.
Sachant que mon fils était dans sa maison, je n’ai pas poursuivi la discussion de crainte de mettre mon
enfant en danger. J’ai quitté la famille Ruhumuliza en pensant que j’allais mourir, mais que mon fils Léon
serait peut-être sauvé, parce qu’il était l’ami des enfants de Ruhumuliza. De plus, lorsque ce dernier nous
chassa de sa maison, il avait laissé Léon dans sa maison. Malheureusement, Mgr Ruhumuliza l’a livré aux
Interahamwes et il est mort dans cette maison, devant ce génocidaire.

Dans l’impossibilité d’accepter la mort de son mari et de ses sept enfants, Laurence a déclaré :
Je reste comme un arbre sans branches ni racines pour lequel il est plus dur de rester sur cette Terre que de
mourir.

19

Laurence explique qu’elle ne peut pas imaginer de châtiment suffisant pour Ruhumuliza.
Quant à Ruhumuliza, Dieu seul sait quelle peut être sa punition. On ne peut pas trouver de sanction
proportionnelle à ses actes pendant la période du génocide.

Les personnes qui quittèrent la maison de Ruhumuliza dans la camionnette furent conduites dans
le secteur Gitega. On ne connaît que deux survivants, une jeune femme accompagnée de son enfant et
l’étudiant de 19 ans cité plus haut. Le jeune homme a raconté ce qui leur était arrivé.
Quand nous sommes arrivés à Nyarugenge, il y avait un barrage énorme et une tombe communale remplie
de corps. Le chauffeur s’est arrêté là. Les assassins étaient comme des lions. Ils nous ont encerclés et pris
l’un après l’autre. Presque tout ceux qui étaient dans la camionnette ont été assassinés sur-le-champ. J’ai
sauté avec une femme qui portait un enfant puis j’ai couru envers Nyamirambo.

La jeune femme qui portait un enfant s’appelle Odette Gasengayire. Elle était âgée de 33 ans et
exerçait le métier de commerçante à Gikondo. Elle était arrivée chez Ruhumuliza le 9 avril. Elle se
souvient du subterfuge utilisé pour déterminer leur identité.
Le fils de Ruhumuliza a fait une liste des personnes qui étaient chez son père en nous disant qu’il avait
besoin de savoir combien nous étions pour pouvoir nous nourrir. Quelque temps après qu’il ait dressé cette
liste, une camionnette est arrivée dans la matinée, avec des policiers et des officiers militaires. Mgr nous a
dit de sortir vite. J’ai essayé d’aller chez une femme hutue qui habitait tout près de l’église mais les
Interahamwes avaient encerclé toute la clôture de l’église. Je suis retournée chez Mgr Ruhumuliza. La
police et les militaires ont pris la liste et ils nous ont fait monter dans la camionnette. Ils nous disaient de
rester calmes, car ils voulaient nous conduire en ville, où il n’y avait aucun problème de sécurité. Mgr
Ruhumuliza était présent quand nous sommes montés dans la camionnette. Sa femme a pu empêcher deux
enfants de monter à bord en trichant. La camionnette est partie et nous a conduit dans le secteur Gitega,
quartier Interahamwe très connu. Ils nous ont dit de descendre rapidement. J’ai vu que c’en était fini de
ma vie. J’ai alors couru, Dieu sait comment, et je suis arrivée dans l’ONATRACOM [une société de bus].
Les autres sont tombés entre les mains des assassins de Gitega.

Un jeune employé de l’ONATRACOM cacha Odette pendant deux semaines, le temps de lui
procurer une fausse carte d’identité hutue qui lui permit d’échapper au génocide.
Au mois de mai, les combats étaient déjà intenses à Kigali entre les ex-FAR et l’APR.
Ruhumuliza rejoignit sa famille qu’il avait déjà évacuée à Kibogora, commune Kirambo, à Cyangugu.
Les missionnaires méthodistes y avaient fondé un hôpital et une école et Ruhumuliza y avait travaillé en
tant que pasteur avant d’être ordonné évêque.
Comme dans tout le Rwanda, il restait peu de Tutsis en vie à Kibogora à la mi-mai. Le
bourgmestre, Mathias Muyira, était l’un des plus enthousiastes partisans du génocide parmi les
administrateurs locaux. Les tueries avaient débuté le 8 avril à Kibogora. Le massacre d’un grand nombre
de personnes au bureau communal et le meurtre de patients, de visiteurs et de réfugiés à l’hôpital local
furent perpétrés dans les jours qui suivirent. Les mois de mai et juin furent consacrés à la recherche des
Tutsis qui avaient survécu ?dans les buissons, les montagnes ou les maisons d’amis et de parents hutus.
Les responsables organisèrent des réunions durant lesquelles ils annoncèrent aux Hutus que les massacres
étaient terminés et leur demandèrent d’encourager les quelques Tutsis restants à se rassembler, pour leur
“protection”, dans les bâtiments gouvernementaux, comme le bureau communal. Le 12 mai, Muyira
organisa un meeting sur la “sécurité”, dans le bureau communal. Ruhumuliza y prit la parole. Dans
l’auditoire, hutu en majorité, figurait un certain nombre de femmes mariées à des Tutsis. Leur époux et
leurs enfants avaient déjà été tués ou se cachaient encore. Parmi eux se trouvait Béata Musabyemariya,
une jeune femme de 31ans, qui avait perdu son mari et son enfant.
Mgr Ruhumuliza nous a dit qu’il était chargé de la sécurité dans la sous-préfecture, tout en rappelant que
sa femme, sa famille et lui-même étaient de purs Hutus. Il a aussi admiré la férocité et l’efficacité des
Hutus de notre région disant : “Je suis venu de Kigali en passant par Kibuye. J’ai regardé tout au long de
mon voyage et maintenant que je suis arrivé ici, je peux dire que vous êtes de vrais Hutus”. Je crois que
cette admiration était fondée sur de nombreuses maisons détruites qu’il avait pu voir à Kibogora, bien plus
que dans les autres lieux où il s’était rendu. Pourquoi n’a-t-il pas condamné les assassins ? Il ne l’a pas fait
une seule fois pendant son allocution. 16
16

Témoignage recueilli à Kirambo, Cyangugu, le 20 décembre 1996.

20

Adalie Mukantagara, agricultrice de 46 ans, confirme le récit de Béata.
Dans son allocution, Ruhumuliza nous a dit : “Je suis chargé de la sécurité dans la sous-préfecture qui
compte Kirambo, Kagano et Gatare. Je suis hutu, tout comme ma femme et toute ma famille. Pour arriver
ici, j’ai dû passer par Kibuye mais par rapport aux différents autres endroits, je peux dire qu’ici, vous êtes
de véritables Hutus. Vous devez changer votre façon de nager car le courant n’est plus le même”. J’ai été
étonné d’entendre une autorité religieuse telle que lui dire avec autant de fierté qu’il appartenait à cette
ethnie. Alors que la Bible, son seul credo, ne parle nulle part de groupe ethnique.
Malgré la promesse de protéger les quelques survivants tutsis qui se cachaient encore, les meurtres
n’ont jamais pris fin. En effet, Ingabire, fils de Mudacyahwa, a été tué le jour suivant la réunion. Trois
jours après la réunion, Mudacyahwa est venu lui-même au bureau communal pour y être plus en sécurité.
Il a été tué deux jours après son arrivée. Je ne connais personne qui ait été sauvé ou aidé durant cette
période par Ruhumuliza à Kibogora. 17

Annonciata Urimubenshi, âgée de 45 ans et agricultrice à Kibogora, était également présente à la
réunion. Elle connaissait bien la famille de Ruhumuliza. Méthodiste, elle avait fréquenté l’église de
Ruhumuliza à Kibogora lorsqu’il y était pasteur. Elle était une amie de sa femme, Edisa Kankindi.
Le rôle de l’évêque Aaron Ruhumuliza de l’Eglise méthodiste libre du Rwanda dans le génocide qui a eu
lieu à Kirambo est important. L’allocution du bourgmestre était faite de proverbes qui bien souvent étaient
difficiles à comprendre. Il a dit : “Arrêtez les tueries ; nous en avons assez. Ceux qui sont déjà morts
suffisent. Que ceux qui se cachent encore quittent leurs cachettes pour venir vivre en liberté parmi nous car
le problème n’est plus grave. C’est comme la pluie qui tombe sur une partie d’une colline”. Mayira et les
conseillers ont réitéré que tout Tutsi qui se cachait devait se présenter, car : “il ne sera pas inquiété”.
Prenant la parole, Mgr Ruhumuliza parla dans le sens de la pacification, comme l’avait fait
mensongèrement le bourgmestre, et les conséquences en étaient désastreuses. De là, certains Tutsis fatigués
de vivre cachés, dont les deux enfants de Kabahaya, commerçant à Kirambo, se sont présenté. A la fin de
la réunion, les Hutus, qui savaient que cette paix était un mensonge, ont suggéré aux deux enfants de
profiter de la nuit pour fuir. Ils l’ont fait et ont atteint les îles Idjwi. Dans l’espoir de paix, d’autre Tutsis
ont alors quitté leur cachette. Les massacres ont été perpétrés dans les jours suivants.

Burengero, le mari d’Annonciata, continua à se cacher chez un ami. Il avait été le domestique de
plusieurs missionnaires étrangers qui s’étaient succédés à Kibogora.
A peu près deux semaines après cette réunion, mon mari a écrit une lettre à l’évêque Ruhumuliza dans
laquelle il lui demandait : “Pouvez-vous m’aider à aller à Nyarushishi, où sont rassemblées les autres
personnes menacées ?”. J’ai porté moi-même cette note à l’évêque, et ne le trouvant pas, je l’ai remise à
son domestique Jacques Hakizumwami. Il a pris l’enveloppe qui était cachetée et l’a posée sur la table, là
où se trouvaient d’autres lettres. N’ayant eu aucune réponse dans les cinq jours suivants, je suis retournée
le voir. J’y ai trouvé sa femme, qui n’a pas pu me renseigner. Je suis certaine qu’Aaron a reçu cette lettre et
qu’il a volontairement refusé de me répondre. Son domestique, ami de mon mari, savait où nous habitions
et aurait pu nous transmettre sa réponse.
Je ne connais personne qu’il ait caché ou sauvé chez lui. Dans son discours, Ruhumuliza a, en tant
que serviteur de Dieu, trompé la vigilance des Tutsis encore vivants, en leur promettant la paix qui n’a pas
eu lieu. De même, il n’a nullement condamné publiquement les malfaiteurs. Il n’a fait aucun effort pour
aider mon mari, qui jouait pourtant un rôle important dans son église. Outre son appartenance au conseil
paroissial de Kibogora, mon mari avait été le domestique de différents missionnaires à Kibogora. 18

Le maire organisa une autre réunion, qui eut lieu dans l’atelier d’un menuisier, dans le secteur
Tyazo. Patricie Uzayisenga, agricultrice de 39 ans, y assista. Elle connaissait Ruhumuliza depuis 1983,
année où il était arrivé à Kibogora.
Ruhumuliza, lui, critiquait les Hutus pour avoir exposé les corps des Tutsis aux yeux de tout le monde au
lieu de les enterrer. Il a dit : “Vous qui tuez des gens, il n’est pas normal d’exposer les corps ainsi sur les
collines”. A ce moment-là, Aaron portait une chemise blanche et un pantalon dont la couleur tirait vers le
blanc. Je ne connais personne qui ait pu se cacher chez lui. 79

17

Témoignage recueilli à Kirambo, Cyangugu, le 20 décembre 1996.
Témoignage recueilli à Kirambo, Cyangugu, le 20 décembre 1996.
79 Témoignage recueilli à Kirambo, Cyangugu, le 20 décembre 1996.
18

21

Comme de nombreux évêques anglicans, Mgr Aaron Ruhumuliza partit à Nairobi après le
génocide. En juillet 1995, il publia un rapport intitulé Le point de vue de l’Eglise protestante sur la crise
rwandaise en sa capacité de représentant juridique du Conseil des Eglises protestantes au Rwanda
(CPR). Une délégation comprenant Mgr Aaron Ruhumuliza, Mgr Adonia Sebununguri et Mgr Samuel
Musabyimana présenta ce rapport à Mgr Desmond Tutu et le pria d’intervenir pour résoudre la crise au
Rwanda et au Burundi.
Ce rapport peut être considéré comme une réponse aux critiques émises à l’encontre des évêques.
En réalité, il ne fait que renforcer ce qui était déjà connu des choix politiques et des préjugés ethniques de
Ruhumuliza. Le document de 37 pages n’a pour ainsi dire qu’un but, celui de réduire les problèmes du
Rwanda aux Tutsis, représentés comme des envahisseurs étrangers qui “depuis le 16 ème siècle... n’ont
gouverné que par la dictature et le terrorisme.” Sur le génocide, voici ce qu’il dit.
De nombreuses personnes sont persuadées que, le 6 avril 1994, le président Juvénal Habyarimana a été
assassiné par les troupes du FPR qui eurent besoin de la complicité des troupes belges pour faire exploser
son avion lors de l’atterrissage, à l’aéroport de Kigali. Depuis cette date, la violence qui s’est répandue au
Rwanda a causé une profonde indignation et de nombreux examens de conscience. Les envahisseurs n’ont
pas mesuré l’impact qu’allait avoir l’assassinat du président Habyarimana. Les Hutus étaient déjà très
nerveux à cause de l’invasion du Rwanda par des Tutsis étrangers. Dans ces circonstances, ils
considéraient le président Juvénal Habyarimana comme leur sauveur. La tension due à l’invasion et
l’adoration des Hutus pour leur président était telle qu’attenter à sa vie à ce moment précis équivalait à
déclencher une inimaginable explosion...
Ensuite les massacres commencèrent et s’étendirent à tout le pays. Certains ont qualifié le bain de
sang au Rwanda de génocide, d’autres de simples massacres déclenchés par l’excitation qui suivit
l’assassinat du président Juvénal Habyarimana. Si c’était vraiment un génocide, le monde entier aurait à
répondre à la question suivante : Qui a préparé et exécuté le génocide au Rwanda ? Apparemment, la
plupart des Rwandais, Hutus comme Tutsis, pensent que le génocide commis dans leur pays fut la
conséquence de l’assassinat du président Habyarimana. Sa mort était planifiée depuis longtemps par les
Inkotanyis et leurs alliés...
La propagande se concentra insidieusement sur la manière dont les Rwandais en arrivèrent à des
massacres insensés après la mort du président Habyarimana le 6 avril 1994, plutôt que d’exposer les
origines du problème. Cette réaction, aussi écœurante soit-elle, était une provocation. Toute personne
intelligente devrait se demander qui a provoqué qui et pour quelles raisons. Il n’est pas possible que des
gens se soulèvent simplement et commencent à se massacrer mutuellement pour le plaisir, comme des
esprits simples veulent essayer de nous le faire croire. La brutalité des Tutsis envers les Hutus, qui a
culminé avec l’invasion du Rwanda en 1990, et les massacres qui ont suivi de centaines de milliers de
Hutus dans le nord du pays, peuvent être ignorés du monde et des officiels américains mais pas des
Rwandais.
Il existe une différence énorme entre les Tutsis et les Hutus. Ces derniers peuvent facilement s’avouer
vaincus et capituler devant de simples discours prônant l’amour et le pardon. Ils peuvent ainsi oublier et
accepter véritablement UBUMWE, ou unité nationale, même si des centaines de milliers d’êtres chers ont
été massacrés par des adversaires extrêmement sauvages. Les Tutsis, par contre, considèrent comme une
véritable honte et une terrible insulte à leur supériorité de s’abaisser au niveau des Hutus, leurs inférieurs.
C’est pourquoi les Inkotanyis ont entretenu, pendant plus de deux décennies, une guerre clandestine pour
la libération du Rwanda plutôt que d’accepter l’égalité, car ils doivent, sans aucun compromis, exercer leur
pouvoir sur les esclaves hutus. Ils ont cela dans le sang... Tout a commencé avec la propagande des Tutsis
annonçant leur intention de reprendre le pouvoir au Rwanda.
Les Eglises chrétiennes ont fait tout leur possible, mais on doit se rappeler qu’elles n’avaient pas
d’armes pour combattre ceux qui refusaient d’écouter les conseils qu’elles prodiguaient aux deux parties
en présence et qu’elles n’avaient pas de prison pour les punir. Leur tâche n’est que de prêcher la parole de
Dieu et d’aider tout le monde à vivre en harmonie. Tous ces objectifs ont été atteints.

Que peut-on faire?
Bien qu'il existe des preuves tout particulièrement solides de la mauvaise conduite des pasteurs à
Shyogwe, Gikondo et Kirinda, on peut entendre ailleurs au Rwanda des témoignages incriminant les
ecclésiastiques durant le génocide, dès lors qu'on se met à leur recherche avec détermination. Des
accusations ont par exemple été portées contre les dirigeants et les pasteurs de l'Eglise baptiste africaine,
en particulier contre Eliezer Ziherembere, son représentant juridique. On le soupçonne d'avoir apporté
son soutien dans le cadre des meurtres de Nyakizu, Butare, en distribuant les armes utilisées lors de
l’énorme massacre du Mont Nyakizu, le 16 avril 1994. Il s'est installé en Zambie après le génocide et a
continué à travailler à la tête de l'Eglise baptiste africaine. Il a été réélu en mai 1996, grâce en particulier
22

à l'appui de voix influentes parmi l'Union danoise des Baptistes. Il a quitté la Zambie après la chute de
Mobutu Sese Seko et travaille maintenant dans les affaires internationales des Eglises baptistes africaines
de New Jersey aux Etats-Unis. Jean-Baptiste Rutabana, le pasteur de l'église baptiste de Mirabyo à
Mubuga, Gikongoro, a été arrêté au Rwanda pour son rôle dans le génocide. De nombreux survivants et
résidents de Nyakizu ont donné des témoignages détaillés contre André Nkinahamira, le pasteur de l'église
baptiste de Nkakwa à Nyakizu.
Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) et le ministère rwandais de la Justice
rassemblent des preuves concernant les ecclésiastiques, catholiques et protestants, qui auraient joué un
rôle dans le génocide. Cependant, la quantité énorme de dossiers qu’ils ont à traiter les oblige à faire des
choix prudents quant aux priorités. Les membres du clergé n'ont pas commis des crimes de la même
ampleur que ceux perpétrés par les ministres, les officiers de l'armée et les fonctionnaires locaux, que le
gouvernement a nommés comme auteurs principaux du génocide. Etant donné le nombre de personnes
ayant pris part au génocide, il est inconcevable que le système judiciaire rwandais et le Tribunal puissent
jamais espérer répondre pleinement au besoin de justice. De plus, la réputation et l'influence des membres
du clergé, ainsi que le soutien et la protection qu'ils ont reçus d'organisations ecclésiastiques étrangères,
ralentissent leur mise en examen, et la transforme en controverse politique.
La mise en cause du Père Wenceslas Munyeshyaka, lancée par les survivants des tueries
commises à la paroisse de la Ste. Famille à Kigali et par leurs proches, traîne depuis presque quatre ans,
l'Eglise catholique ayant apporté son soutien au prêtre. Dans un autre cas, le TPIR a essayé de faire venir
à Arusha Elizaphan Ntakirutimana, un pasteur à la retraite de l'Eglise adventiste du septième jour, afin
qu’il réponde aux charges portées contre lui par des survivants et des témoins de Kibuye, où il aurait
contribué à orchestrer les massacres. Ntakirutimana était président des adventistes de Kibuye, mais fuit le
Rwanda après le génocide pour aller vivre aux Etats-Unis avec son fils. Il a été inculpé par le TPIR,
arrêté en septembre 1996 et emprisonné à Laredo, au Texas. Son fils, un médecin fortuné, a engagé un
ancien procureur général américain pour assurer sa défense. En décembre 1997, un magistrat du Texas a
déclaré que le gouvernement américain n'avait aucun droit de l'extrader et qu'il n'y avait pas assez de
preuves pour justifier son extradition. Il a été libéré puis arrêté de nouveau et se trouve toujours au
Texas. Le TPIR n'a pas encore eu la possibiité de présenter tous les arguments contre lui. Cependant, on
peut considérer le fait que l'affaire soit allée aussi loin comme une victoire en soi. Il est le seul dirigeant
protestant de haut rang accusé d'avoir participé au génocide qui ait été arrêté afin de répondre en cour de
justice aux allégations portées contre lui.
La réaction de certains dirigeants adventistes au procès de Ntakuritimana montre que l'Eglise ne
se situe pas au premier plan des efforts en vue que justice soit faite. Quand un journaliste a demandé à
M. Daniel, le président de la Division Afrique - Océan Indien, si l'Eglise adventiste avait fait une
déclaration officielle concernant le procès de Ntakuritimana, il a répondu :
Il n'a pas agi officiellement, s'il a effectivement agi. A notre connaissance, il n'y a eu aucune réunion du
comité, qu'il ait organisée et ou l'on ait pris la décision d'agir. L'Eglise ne peut donc pas le défendre
officiellement car il n'y a pas eu d'action officielle... S'il a agi, il a agi de sa propre initiative... donc
l'Eglise n'a pas de position officielle le concernant.

La réponse de M. Daniel à la tragédie du Rwanda est tout aussi indifférente. Deux ans après le
génocide, il a affirmé :
Notre approche est d'oublier le passé et de recommencer à zéro. Il n'est pas facile de prêcher auprès d'un
peuple rwandais si profondément touché, après avoir entendu parler de telles atrocités. Mais nous devons
pardonner à ceux qui nous ont blessés. Nous devons pardonner de toutes façons.

Son prédécesseur à la tête de la division Afrique pendant le génocide, M. Nortey, est du même
avis.
A un certain moment, on devrait pouvoir dire que ce qui est fait est fait. Recommençons sur de nouvelles
bases.20

Les solides liens d'amitié, nourris au fil des années, entre les ecclésiastiques rwandais et leurs
homologues dans d'autres pays ont peut-être contribué à former de telles opinions. Il y a, à notre avis, de
très bonnes raisons pour examiner le passé et en tirer des leçons. Dans la plupart des cas, le soutien
20 Alita

Byrd, “Sabbath Slaughter: SDAs and Rwanda”, Spectrum, Vol. 25, No.4, June 1996.

23

enthousiaste des ecclésiastiques en faveur du génocide était le résultat logique d'une longue histoire de
relations commodes avec le régime d'Habyarimana, de liens d'amitié avec les hommes qui ont encouragé
les meurtres, d'adoption de l'idéologie qui a façonné le génocide, de poursuite d'intérêts personnels et
d'intrigue politique. Cette version de l'histoire a fait l’objet de débats au sein du Conseil des églises
protestantes lors d'un séminaire œcuménique à Kigali en mars 1997.
Prenant note d'un passé de divisions ethniques au Rwanda et du rôle des missionnaires et de l'Eglise, les
membres du séminaire ont alors déclaré que de 1959 jusqu'au génocide de 1994, les Eglises du Rwanda ne
se sont jamais, de façon officielle ou explicite, opposées à la violence et aux massacres d'innocents. Au
contraire, ont-ils noté, les ecclésiastiques ont pris part à ces actes humiliants en aidant passivement, en
participant ouvertement au crime ou en justifiant l'inacceptable. “Après le génocide, l'Eglise continue à
agir comme s'il ne s'était rien passé” ont noté les représentants de l'Eglise, sommant l'Eglise rwandaise de
montrer ouvertement son soutien et sa solidarité envers ses membres et de les aider à instiller la guérison
et la réconciliation au Rwanda.
Ils ont noté que, le génocide de 1994 ayant été un signe d'échec de la part de l'Eglise locale et
universelle, l'Eglise devrait à présent reconnaître sa responsabilité dans le génocide, se repentir, demander
humblement pardon et faire amende honorable... Les leaders de l'Eglise ont fait remarquer que l'Eglise ne
devrait pas contrecarrer la justice humaine mais devrait encourager les gens à se repentir et à pardonner. 21

En août 1997, des leaders religieux?protestants et catholiques?et des membres du gouvernement
ont participé à l'examen du “Rôle de l'Eglise dans la restauration de la justice au Rwanda”. Certains
évêques ont mentionné la nécessité de créer une “commission de vérité” dans le style de l'Afrique du Sud,
ce qui suscita la colère et la consternation des survivants, aussi bien religieux que laïques. Selon le
secrétaire général du Conseil des Eglises protestantes, Emmanuel Nsabimana, l'Eglise au Rwanda n'a pas
l'autorité morale pour initier ou jouer un rôle significatif dans une telle commission. “Comment l'Eglise
peut-elle prêcher une vérité dont elle ne tient pas compte elle-même ?”
Les débats de ce type sont cruciaux, mais ne peuvent pas à eux seuls restaurer la crédibilité des
Eglises tant endommagée par les actions peu chrétiennes de leurs leaders. Hugh McCullum, journaliste
canadien travaillant avec l'office d'information publique du Conseil œcuménique des Eglises et qui s’est
rendu au Rwanda durant et après le génocide, a reconnu l'étendue du discrédit des Eglises protestantes au
Rwanda. Il s’est entretenu avec un large échantillon de personnes, y compris de nombreux pasteurs
protestants ayant survécu aux meurtres, et a enregistré ses impressions dans Les anges nous ont quitté,
un livre publié par le Conseil œcuménique des Eglises. Reconnaissant que “beaucoup de prêtres et de
pasteurs ont abandonné leur peuple, sont restés inactifs ou ont commis des actes odieux de trahison et de
meurtre, tant sous la menace d'une arme que volontairement”, il a aussi critiqué le “silence” des leaders
ainsi que leurs liens politiques étroits avec le régime d'Habyarimana. Il a conclu que :
Les Eglises en tant qu'institutions ont chèrement payé leur consentement silencieux et leur manque de
courage. Elles continueront à vivre sous un voile de suspicion pendant des années à venir.

La façon dont les Eglises ont répondu aux accusations portées contre leurs membres a démontré
combien elles sont peu préparées à faire face à des crises de l'ampleur de celle du Rwanda. Bien que
beaucoup d'Eglises aient reconnu l'ampleur de leurs échecs en termes généraux, elles se sont gardées de
dénoncer les individus dont la conduite devrait faire l'objet d'une enquête. Cette attitude est tout
simplement inacceptable dans des institutions d’envergure et influentes. Cela reflète le manque de prise de
responsabilité au cœur des Eglises concernées, minant du même coup leur capacité à donner une ligne de
conduite morale et spirituelle et à remplir leur rôle de porte-parole de la justice, de la paix et de la
démocratie, voix vitale qu'elles ont si souvent été, et dont l'Afrique a tant besoin.
Il est essentiel que les Eglises établissent des procédures standard, tant sous les auspices du
Conseil œcuménique des Eglises qu'individuellement, afin de répondre, à l'avenir, avec transparence et
impartialité, aux accusations d'abus des ecclésiastiques, dans n'importe quel pays du monde. Cela pourra
peut-être aider à lever le “voile de suspicion” qui couvre désormais tant d'ecclésiastiques, aussi bien
innocents que coupables, et à racheter l'Eglise au Rwanda.
Les survivants ont le fort sentiment que la communauté internationale n'a pas fait un effort
concerté pour encourager ces ecclésiastiques à exprimer leurs regrets pour ce qu'ils ont fait, et ce qu'ils
ont manqué de faire. Il n'est pas trop tard pour que cet effort soit réalisé ; l'Assemblée du Conseil
œcuménique des Eglises à Harare serait un forum idéal pour l'amorcer. Nous espérons que les dirigeants
21 Anglican

Communion News Service, 21 mars 1997.

24

des Eglises anglicane, presbytérienne, méthodiste, adventiste et baptiste feront pression sur les évêques et
les pasteurs accusés d'être impliqués dans le génocide, qu'elles les encourageront à parler avec honnêteté
de leurs actions durant cette période et à se soumettre à l'autorité judiciaire, soit en cour de justice soit en
cour ecclésiastique. Face aux preuves les incriminant, les Eglises devraient être prêtes à soutenir les
efforts des entités judiciaires plutôt que d'aller à leur encontre. Nous appuyons l'appel pour une “justice
modérée par la miséricorde”, lancé par l'archevêque Desmond Tutu lors de sa visite au Rwanda en août
1995, en tant que Président du Conseil africain des Eglises. Il a insisté sur l'importance d'une enquête sur
le génocide, déclarant : “Personne ne devrait être autorisé à exécuter et à perpétuer des meurtres
impunément”.
En identifiant et demandant des comptes aux ecclésiastiques accusés d'avoir participé au
génocide, l'Eglise protestante du Rwanda pourrait se renouveler de l'intérieur. Dans une lettre adressée
aux “évêques, au clergé et aux fidèles de l'Eglise épiscopale du Rwanda”, l'archevêque de Cantorbéry les
encourage à être “la lanterne en haut de la colline éclairant tous ceux qui cherchent une direction morale
et spirituelle”. Le pouvoir d'allumer cette lanterne réside chez chacun des membres du Conseil
œcuménique des Eglises.
Alors que les délégués de l’assemblée de Harare débattent des défis et des occasions qui se
présentent à leurs Eglises aujourd'hui et à l'avenir, nous espérons qu'ils considéreront les mots de Roy
Branson, le rédacteur en chef de Spectrum, Le Journal de l'Association du Forum adventiste. Soutenant
l'idée que le génocide du Rwanda a représenté “une horreur sans précédent” dans l'histoire des
adventistes, il déclare “qu'oublier ces crimes équivaut à les pardonner”.
Comment peut-on se souvenir et contribuer à enrayer le cycle de violence criminelle contre l'humanité et le
Corps du Christ?
? en coopérant entièrement avec les tribunaux internationaux qui tentent d'établir la culpabilité où
l'innocence des Rwandais ? y compris les Adventistes ? dans le massacre d'innocents.
? en établissant simultanément une commission choisie par l'Eglise mondiale, confessant la nature de
l'implication de l'Eglise adventiste dans le massacre du Rwanda, ainsi que les actes de secours héroïques...
Les Adventistes espèrent que le tribunal international de La Haye n'inculpera pas des Adventistes du
septième jour. Instinctivement, l'Eglise mondiale voudrait tourner discrètement la page sur ce qui s'est
passé au Rwanda. Mais si la direction de l'Eglise adventiste du septième jour croit réellement en
l'importance de l'unité, elle agira vigoureusement afin de s'assurer que les Adventistes n'oublient pas, mais
au contraire se souviennent, du Rwanda...
Afin de nous rappeler et de rappeler aux familles des victimes et aux meurtriers qui continuent à prier
sabbath après sabbath au sein de l'Eglise adventiste, nous ne devons pas oublier que Dieu, Lui, se souvient
assurément. 22

22

Roy Branson, “Never Again”, Spectrum, Vol. 25, No. 4, juin 1996.

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