Fiche du document numéro 16066

Num
16066
Date
Samedi 10 mars 2012
Amj
Taille
425877
Sur titre
Colloque Survie
Titre
François Léotard et le génocide des Tutsi
Type
Conférence
Langue
FR
Citation
François Léotard et le génocide des Tutsi
Jacques Morel
10 mars 2012, v1.3
François Léotard fut ministre de la Défense de 1993 à 1995. On ne parle pas
de son rôle dans le génocide des Tutsi. Ce serait donc tout à fait à tort que le
ministre de la Justice du Rwanda cite son nom dans une liste de 33 responsables
français, civils et militaires, « les plus impliqués dans le génocide ». 1
Analysons néammoins ce qu’a fait François Léotard au Rwanda.

1

L’attaque des « forces tutsies »

Le processus génocidaire contre les Tutsi commença en 1959. Considérés jusqu’alors par les Européens comme une race supérieure, les Tutsi furent accusés
d’être des féodaux aristocrates venus d’Ethiopie, qui ont réduit les Hutu en esclavage. Des Hutu, soutenus par les Belges et les missionnaires, massacrèrent les
Tutsi, renversèrent le Mwami, le roi rwandais, et instaurèrent la République. Ce
renversement fut appelé « Révolution sociale ». Ce processus génocidaire reprit
30 ans plus tard, en octobre 1990, quand le Front patriotique rwandais (FPR),
composé de Tutsi réfugiés en Ouganda et d’opposants, voulu revenir par la force
dans son pays. Au prétexte de la protection de ses ressortisants, la France envoya aussitôt des troupes. Une note de l’amiral Lanxade, conseiller militaire
du président de la République, nous apprend que la France soutenait alors le
régime rwandais contre « les forces tutsies ». 2 Lanxade ne dit pas rebelles, ni
FPR. L’adversaire est selon lui, les forces tutsi, c’est-à-dire tous les Tutsi, le
groupe tutsi, la race tutsi.
Notons que dans ces combats, au cœur des ténèbres africaines, on ne faisait
pas de prisonniers. « Cette guerre était une vraie guerre, totale et très cruelle »,
a dit le général Quesnot aux députés. 3
1. République du Rwanda, Communiqué du rapport de la Commission nationale indépendante chargée de faire la lumière sur le rôle de la France dans le génocide des
Tutsi de 1994, remis le 16 novembre 2007, le Gouvernement rwandais retient les faits
et considérations suivants, Kigali, 05 août 2008, signé Hon. Tharcisse Karugarama, Ministre de la Justice/Garde des Sceaux, pp. 12-13. http://francegenocidetutsi.org/
CommuniqueDePresseRapportMucyo.pdf
2. L’amiral [Lanxade], chef de l’état-major particulier, Note à l’attention de Monsieur le
Président de la République (sous couvert de Monsieur le Secrétaire général), 11 octobre 1990,
Objet : Rwanda - Situation. http://francegenocidetutsi.org/Lanxade19901011.pdf
3. Audition du général Quesnot, 19 mai 1998. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994, [4, Tome III, Auditions, Vol. 1, p. 341]. http://francegenocidetutsi.org/
AuditionQuesnot19mai1998.pdf

1

2

2

LA FRANCE SUPPLANTE LA BELGIQUE

2

La France supplante la Belgique

Le régime rwandais recourut en 1990 à sa vieille méthode de défense contre
les Tutsi de l’extérieur en exterminant ceux de l’intérieur, pour les dissuader
d’attaquer à nouveau. Les Belges pour une fois très soucieux des Droits de
l’homme retirèrent leurs troupes.
Le président de la Patrie des Droits de l’homme, étant par définition respectueux des Droits de l’homme, n’avait pas à avoir de tels scrupules. Il maintint
ses troupes. Grâce à ces massacres, la France pris la place de la Belgique au
Rwanda. Tout civil tutsi devenant suspect, la France s’engagea ainsi activement
dans le processus génocidaire.

3

Une guerre raciale

Un texte de 1992 que François Léotard n’a pas pu ne pas connaître puisqu’il
est écrit en français, définit pour les militaires rwandais qui est l’ennemi. C’est
« le Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur, extrémiste et nostalgique du pouvoir,
qui N’a JAMAIS reconnu et NE reconnaît PAS encore les réalités de la Révolution Sociale de 1959 et qui veut reconquérir le pouvoir au RWANDA par tous les
moyens, y compris les armes. » 4 Donc l’ennemi est le Tutsi, qu’il soit armé ou
non. S’il ne l’est pas, il reste suspect. Cette définition est voisine de l’expression
« forces tutsies » auxquelles s’opposent l’amiral Lanxade et le président français.

4

La France sauve le régime raciste d’Habyarimana

En février 1993, lors d’une offensive du Front patriotique rwandais, les militaires français sauvèrent à nouveau l’armée rwandaise en pleine débâcle. Mais
en France une autre débâcle, électorale celle-là, mis au pouvoir la droite. Le
président socialiste resta à l’Élysée. François Léotard obtint le portefeuille de la
Défense.

5

Le Conseil restreint du 2 avril 1993

Au premier Conseil restreint réuni le 2 avril 1993, Léotard déclara : « La
situation est d’une grande gravité et d’une grande urgence. Le FPR est en progression vers Kigali. Il marche avec des troupes en civil. » 5 Pourtant, fin février,
4. République rwandaise, Ministère de la Défense nationale, Armée rwandaise, État-major,
G2, 21 septembre 1992, no 1437/G2.2.4. Objet : Diffusion d’information. Destinataires : Liste
A, Comdt Sect OPS (Tous), Info : EM Gd N. Signé Déogratias Nsabimana, colonel BEM,
Chef EM FAR, SECRET. TPIR, K1020494 à K1020507. http://francegenocidetutsi.org/
NsabimanaDefinitionEnnemi21septembre1992.pdf
5. Renaud Denoix de Saint Marc, général Huchon, Conseil restreint du vendredi 2 avril
1993 sur le Rwanda. http://francegenocidetutsi.org/ConseilRestreint2avril1993.pdf

6

LES ACCORDS D’ARUSHA

3

bombardé par les canons français, le FPR avait stoppé son offensive et décrété
un cessez-le-feu puis repris les négociation de paix à Arusha. Cette offensive
était une invention du ministre Léotard. D’ailleurs au même conseil, l’amiral
Lanxade, alors chef d’état-major des armées, dit : « Nous devons envisager une
offensive du FPR dans le courant de la semaine prochaine. » Cette offensive
n’était donc qu’une présomption, non une réalité.
Remarquons bien que le ministre a dit que le FPR « marche avec des troupes
en civil. » Donc pour lui tout civil tutsi est un ennemi potentiel. Nous voyons
là, qu’il fait sienne la définition de l’ennemi citée plus haut.
À ce moment-là, au Rwanda, les militaires français sont sur les barrières et
contrôlent les cartes d’identité. Ceux qui portent la mention tutsi sont arrêtés.
L’année suivante, ils seront tous tués systématiquement sur les mêmes barrières.
Ceci montre que les militaires français au Rwanda prirent une part active à la
préparation du génocide.

6

Les Accords d’Arusha

Les négociations entre le FPR et le gouvernement rwandais reprirent et aboutirent à la signature des Accords de paix d’Arusha en août 1993. Ces accords
prévoyaient l’entrée du FPR au gouvernement et la fusion des deux armées.
Ainsi les Tutsi, chassés en 1959 par la Révolution sociale, allaient revenir au
pouvoir. C’était une remise en cause du fondement de la République rwandaise
aux yeux des idéologues hutu et de leurs soutiens français.
Alors que l’Élysée espérait transformer ses soldats en Casques bleus et pouvoir ainsi faire interposition face au FPR, 6 celui-ci refusa que la France fasse
partie de la force de maintien de la paix des Nations Unies, la MINUAR.
En décembre 1993, nos militaires durent partir et ce sont les soldats belges
qui revinrent en tant que Casques bleus. Nous les avions supplantés en 1990 et
voilà qu’ils reprenaient notre place. Après Bien-Bien-Phu et les Accords d’Evian,
nos militaires se voyaient infliger un nouveau Waterloo.
La Patrie des Droits de l’homme continua à fournir des armes en dépit des
accords de paix.

7

L’attentat

On ne connaîtra jamais les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994, qui abattit
l’avion du président du Rwanda. La Patrie des Droits de l’homme n’y est pas
prête.
Devant les députés en 1998, François Léotard accusa le FPR : « Le missile
qui a atteint l’avion, dit-il, un SAM-16, de fabrication soviétique, était en dotation dans l’armée ougandaise et au FPR, et non dans l’armée rwandaise ». 7
6. Conseil restreint, mercredi 3 mars 1993. http://francegenocidetutsi.org/
ConseilRestreint3mars1993.pdf
7. Audition de François Léotard, 21 avril 1998, Enquête sur la tragédie rwandaise 19901994 [4, Tome III, Auditions, Vol. 1, p. 98].

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AMARYLLIS

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Nous remarquons que le ministre reprit toute l’argumentation d’une fiche de
son ministère « tendant à montrer que le FPR avec la complicité de l’Ouganda
est responsable de l’attentat ». 8 Cette fiche précise : « Les auteurs de l’attentat
ont utilisé des SA 16 de fabrication soviétique (d’après les débris de missiles
retrouvés sur les lieux de l’attentat). »
Qui donc a retrouvé ces débris de missiles et où sont-ils ? François Léotard
déclara « qu’aucun élément d’information n’avait pu être recueilli sur place du
fait du bouclage immédiat des lieux, rendant impossible l’accès aux débris de
l’avion. » 9 Il ajouta « qu’à sa connaissance, c’étaient les FAR qui avaient bouclé
les lieux ». 10
Or, des coopérants militaires français sont allés sur le lieu du crash. « Ils
ont été les premiers à réagir à la chute du Falcon présidentiel à proximité du
camp vers 20 h 30 ; l’officier et deux sous-officiers étaient sur les lieux à 20 h
45 », précise en 1998 une note du ministère de la Défense, publiée par la mission
d’information parlementaire. 11
Dois-je dire que François Léotard a menti aux députés ? Pourquoi aurait-il
menti ? Qu’avait-il à cacher ? Nous savons de plus que les militaires français ont
trouvé la « boîte noire », les deux enregistreurs qui équipaient l’avion. Pourquoi
cette boîte noire et ces débris de missiles n’ont-ils jamais été remis par le ministère de la Défense aux juges chargés de l’enquête sur cet attentat, qui a fait
trois victimes françaises ?

8

Amaryllis

Le soir de l’attentat, le colonel Tauzin, commandant le 1er RPIMa, attendait l’ordre de sauter sur Kigali, pour prendre le commandement de l’armée
rwandaise. 12 L’ordre ne vint pas.
Le 8 avril, la France décida d’intervenir au Rwanda pour évacuer ses ressortissants. L’ordre d’opération Amaryllis révéla que le génocide des Tutsi avait
commencé. Nous y lisons que « pour venger la mort du président [...] les membres
de la garde présidentielle ont mené dès le 07 matin des actions de représailles
à Kigali » dont « l’arrestation et l’élimination des opposants et des Tutsi ». 13
Que signifie « élimination des Tutsi » sinon détruire le groupe ethnique ou
racial tutsi, comme tel ? Ce 8 avril, le ministre de la Défense, qui est un des
8. Fiche en possession du Ministère de la Défense tendant à montrer que le FPR
avec la complicité de l’Ouganda est responsable de l’attentat, Enquête sur la tragédie
rwandaise 1990-1994 [4, Tome II, Annexes, p. 280]. http://francegenocidetutsi.org/
FicheMinDefFPRresponsableAttentat.pdf
9. Audition de François Léotard, ibidem, p. 98.
10. Audition de François Léotard, ibidem, p. 109.
11. Fiche du ministère de la Défense, 7 juillet 1998, No 543/DEF/EMA/ESG, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [4, Tome II, Annexes, pp. 268–269]. http:
//francegenocidetutsi.org/FicheMinDef7juillet1998.pdf
12. D. Tauzin [5, pp. 90, 106].
13. Ordre d’opération Amaryllis, 8 avril 1994, déclassifié, Enquête sur la tragédie
rwandaise 1990-1994 [4, Tome II, Annexes, p. 344]. http://francegenocidetutsi.org/
OrdreOpAmaryllis.pdf

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TURQUOISE

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auteurs de cette ordre d’opération, reconnaît implicitement que le génocide des
Tutsi est commencé.
Face à ce génocide, l’ordre d’opération prescrit une attitude de neutralité.
« Le détachement français adoptera une attitude discrète et un comportement
neutre vis à vis des différentes factions rwandaises. » 14
Pourtant, la France, ayant signé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, s’est engagée à le prévenir et à le punir ou au
moins à en saisir les Nations Unies. Ce qu’elle ne fit point.
Les militaires français assistèrent au massacre des Tutsi sans s’y opposer.
Ils ne coopérèrent pas avec la force des Nations Unies (MINUAR) ni avec les
troupes belges pour les faire cesser.
Ils partirent le 15 avril en laissant des armes aux militaires rwandais, quelques
conseillers et quelques « sonnettes », c’est-à-dire des militaires chargés d’observer.
La Patrie des Droits de l’homme ignora le génocide et ne voulut voir qu’une
guerre où elle était l’alliée du gouvernement et de l’armée qui exécutaient ce
génocide.

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Turquoise

Malgré l’aide indirecte de la France, l’armée rwandaise, occupée à massacrer, reculait devant le FPR. Le président intérimaire, celui qui déclencha les
massacres dans la région de Butare, 15 appela le président français au secours,
le 22 mai. 16 Il devenait urgent d’aller au secours des assassins.
Au Conseil restreint du 15 juin, qui décida de l’opération Turquoise, François Léotard demanda des « moyens lourds ». 17 La France obtint du Conseil
de sécurité des Nations Unies un mandat pour intervenir sous chapitre VII,
c’est-à-dire avec le droit d’utiliser la force. Annoncée comme devant mettre fin
au génocide, l’opération militaire proposée par la France fut autorisée par la
résolution 929 qui ne parle pas de génocide. L’opération devait être « menée de
façon impartiale et neutre ». 18
14. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [4, Tome II, Annexes, p. 346]. http://
francegenocidetutsi.org/OrdreOpAmaryllis.pdf
15. Discours du docteur Théodore Sindikubwabo, président de la République intérimaire, à Butare pour la cérémonie d’investiture du nouveau préfet, Radio
Rwanda, traduction par Pénine-Joy Muteteli, TPIR. http://francegenocidetutsi.org/
SindikubwaboButare19avril1994.pdf
16. Dr Théodore Sindikubwabo, Président de la République à Son Excellence Monsieur François Mitterrand, Kigali le 22 mai 1994. Lettre transmise par le général Quesnot à l’attention de
Monsieur le Président de la République. Objet : Correspondance du docteur Théodore Sindikubwabo, Président par intérim du Rwanda, 24 mai 1994. Note manuscrite : « Signalé/HV ».
http://francegenocidetutsi.org/SindikubwaboMitterrand22mai1994.pdf
17. Conseil restreint du 15 juin 1994. Secrétariat : Colonel Bentégeat. http://
francegenocidetutsi.org/ConseilRestreint15juin1994.pdf
18. ONU, S/RES/929 (1994). http://francegenocidetutsi.org/94s929fr.pdf

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TURQUOISE

9.1

6

L’ordre d’opération Turquoise

Le stratagème de cette opération dénommée Turquoise, présentée comme
humanitaire, mais destinée en fait à éviter la défaite des auteurs du génocide,
est exprimé explicitement au paragraphe « IDÉE DE MANŒUVRE » de l’ordre
d’opération Turquoise : « Afin de marquer le caractère humanitaire de l’opération, assurer d’emblée la protection de la zone de rassemblement des personnes
déplacées de Cyangugu. » Il s’agit du camp de Nyarushishi, où sont regroupés
8 000 Tutsi. « Ultérieurement être prêt à contrôler progressivement l’étendue du
pays hutu en direction de Kigali et au Sud vers Nianzi et Butare ». 19
L’opération avait donc un caractère offensif puisqu’elle visait Kigali, où l’armée rwandaise subissait les assauts du FPR. Désignant la zone du Rwanda
contrôlée par le Gouvernement intérimaire par « le pays hutu », l’ordre d’opération considérait que cette zone était vide de tout Tutsi ou qu’elle devait le
devenir.

9.2

Collaborer avec les autorités locales

L’ordre d’opération visait aussi à : « Affirmer auprès des autorités locales
rwandaises, civiles et militaires notre neutralité et notre détermination à faire
cesser les massacres sur l’ensemble de la zone contrôlée par les forces armées
rwandaises en les incitant à rétablir leur autorité. » Ainsi les militaires français
reçurent l’ordre de contacter les autorités locales. À ce moment-là, elles étaient
toutes impliquées dans le génocide. Elles n’avaient rien perdu de leur autorité,
au contraire. L’ordre donné aux militaires français, entre autres par le ministre
de la Défense, était donc de collaborer avec les assassins.

9.3

L’entrevue du colonel Rosier et de deux ministres

Ainsi le colonel Rosier, commandant le détachement du Commandement des
opérations spéciales (COS), rencontra secrètement deux ministres du Gouvernement intérimaire. 20 Ils lui dirent que du côté FPR « il n’y a plus de réalité
politique mais seulement une volonté militaire (les hommes de paille sont tombés) ». 21 Rosier dit qu’il leur refusa des munitions. Mais sa condamnation des
massacres, « je leur ai dit qu’il serait catastrophique pour leur image que d’autres
massacres aient lieu », trahit sa complaisance. N’ayant plus aucune assise politique, le FPR, écrit Rosier, « est contraint à la victoire militaire. Un coup
19. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, [4, Rapport, p. 306 ; Annexes, p. 387].
Nianzi, en fait Nyanza, est l’ancienne résidence royale à 40 km au nord de Butare sur la route
de Kigali. http://francegenocidetutsi.org/OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf#page=2
20. Augustin Bizimana, ministre de la Défense et Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères.
21. Colonel Rosier au général Le Page, samedi 25 juin 1994, 7 h 45. Cf. Sylvie Coma,
Rwanda : Les bonnes affaires du capitaine Barril au temps du génocide, Charlie Hebdo,
9 septembre 2009. Texte publié également par Benoît Collombat de France Inter le 16
septembre 2009. Voir http://sites.radiofrance.fr/franceinter/ev/fiche.php?ev_id=955.
http://francegenocidetutsi.org/RosierLepage25juin1994.pdf ¸

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TURQUOISE

7

d’arrêt à sa progression et une reculade symbolique anéantirait sa stratégie. »
Ce coup d’arrêt allait-t-il être donné par l’armée française ?

9.4

Les Français partagent avec les génocidaires la hantise
des infiltrés

Pour éliminer les Tutsi, le gouvernement rwandais commanda de leur faire
la chasse parce qu’ils étaient des éléments infiltrés du FPR. C’est exactement ce
qu’implique le texte définissant l’ennemi cité plus haut. Les dirigeants français
comme Léotard et Lanxade y adhéraient.
Sur place le colonel Rosier jugea les infiltrations probables et le fit dire à la
télévision. 22
Jacques Isnard écrit dans Le Monde daté du 29 juin : « Dans ces actions à
but humanitaire, destinées à rassurer et à secourir la population en l’approchant
au plus près, un Tutsi peut s’avérer un combattant du FPR en puissance ». 23
Rapportant des propos entendus à l’état-major à Paris, il ne faisait là que répéter
ce que disait chaque jour la Radio Mille collines, en prenant soin de l’emballer
dans un vocabulaire rose bonbon comme humanitaire, rassurer, secourir.

9.5

Les Français ne désarment pas les tueurs

Le 26 juin, le colonel Rosier expliqua pourquoi les Français ne désarmaient
pas ceux qui exécutaient le génocide : « Les miliciens font la guerre, dit-il. Par
souci de neutralité, nous n’avons pas à intervenir. Sinon, demain, s’il y a des
infiltrations de rebelles, on nous fera porter le chapeau. » 24
Donc les Français ne démantèlent pas les barrières où les miliciens contrôlent
les cartes d’identité et tuent les Tutsi. Ils laissent les FAR et les milices continuer
l’élimination des Tutsi restants.
La note du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères
du 4 juillet 1994 sur le concept de zone humanitaire protégée stipulera que « la
question de la démilitarisation des FAR et des milices se situant à l’intérieur du
périmètre protégé peut se poser. À ce stade, il est proposé de ne pas fixer cette
mission à la force Turquoise ; elle demanderait en effet un volume de moyens
plus important que celui dont nous disposons actuellement. » 25 Quoiqu’ils aient
dit, les Français n’ont pas désarmé les tueurs.
22. Édition spéciale Rwanda, France 2, 25 juin 1994, 20 h.
23. Jacques Isnard, M. Léotard va inspecter un dispositif encore léger et fragile, Le Monde,
29 juin 1994, p. 3. http://francegenocidetutsi.org/IsnardLM29juin1994.pdf
24. Stephen Smith, Dialogue difficile avec les massacreurs, Libération, 27 juin 1994, p. 16.
25. Note du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères, 4 juillet
1994. Objet : Rwanda ; concept de zone humanitaire protégée, contenu, évolution. http:
//francegenocidetutsi.org/MinDefMinAffEt4juillet1994.pdf#page=2

10

BISESERO

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10.1

8

Bisesero
La prétendue offensive du FPR sur Kibuye

Le 22 juin François Léotard annonça en Conseil restreint que « le FPR tente
de s’emparer complètement de Kigali et fait effort sur Butare et Kibuye. » 26
L’ordre d’opération Turquoise du 22 juin répèta que « Le FPR semble maintenant faire effort sur les directions Kigali-Kibuye [...] en vue de couper en deux
la partie ouest du pays encore sous contrôle gouvernemental ». 27
D’où Léotard tenait-il cette information ? Incontestablement celle-ci venait
du Gouvernement intérimaire rwandais et du préfet de Kibuye, Clément Kayishema.
Dans les montagnes de la Crête Zaïre-Nil, à Bisesero, il restait encore des
Tutsi qui n’avaient pas été exterminés. Profitant du relief, ils avaient résisté
de manière organisée avec des pierres et des lances et en se mélangeant aux
agresseurs, ce qui interdisait ceux-ci d’utiliser leurs armes à feu. Mais revenus
en grand nombre et bien armés les 13 et 14 mai, ceux-ci les avaient presque tous
exterminés. Il restaient encore quelques Tutsi en juin. Il fallait tout nettoyer
avant que les Français ne soient là, disait le préfet Kayishema. 28
Le 2 juin 1994, il demanda des renforts en raison d’infiltrations et de rumeurs d’attaque du FPR sur Kibuye. Il demanda des armes pour la « protection
civile ». 29 Il en redemanda pour que la population fasse le ratissage à Bisesero
« dans le cadre de la défense civile » 30 Le 17 juin, le gouvernement intérimaire
organisa un ratissage à Bisesero et ordonna au commandant militaire de Gisenyi 31 « d’apporter son soutien au groupement de gendarmerie de Kibuye pour
l’opération de ratissage dans le secteur Bisesero. » 32
26. Conseil restreint du 22 juin 1994, Secrétariat : Colonel Bentegeat. http://www.
francerwandagenocide.org/documents/ConseilRestreint22juin1994.pdf
27. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [4, Rapport, p. 306 ; Annexes, p. 386].
http://www.francerwandagenocide.org/documents/OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf
28. Patrick de Saint-Exupéry, La « solution finale » du préfet de Kibuye, Le Figaro, 5 juillet
1994, p. 6. http://francegenocidetutsi.org/LaSolutionFinaleDuPrefetDeKibuye.pdf
29. Dr Kayishema Clément, Préfet de Kibuye au Ministre MININTER Kigali, 2 juin
1994, No 003/04.09.01, Situation de sécurité dans la préfecture de Kibuye pour la semaine du 29.5.1994 au 2.6.1994. Cf. TPIR, Procès Kayishema, Exh. 340, K0040772 http:
//francegenocidetutsi.org/SecurityReportKibuyeJune1994.pdf [1, p. 255].
30. Clément Kayishema, Télégramme au ministre de la Défense, 12 juin 1994. Trouvé à la
préfecture de Kibuye par Alain Ribaux, enquêteur du TPIR, présenté comme pièce à conviction no 296 dans l’affaire Clément Kayishema - Obed Ruzindana à la séance du 16 février 1998.
http://francegenocidetutsi.org/KayishemaToMinisterOfDefence12June1994.pdf . Ubutabera no 31, 2 mars 1998 ; Jugement de Kayishema au TPIR, V. Conclusions factuelles, section
428.
31. Ce commandant militaire, le colonel Nsengiyumva, a été nommé officier de liaison
entre l’armée rwandaise et Turquoise. Cf. Rapport du colonel Rosier, chef du détachement COS, NMR 001/TURQUOISE/DET COS, Goma le 27/07/1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [4, Tome II, Annexes, p. 398]. http://francegenocidetutsi.org/
RosierRapport27juillet1994.pdf
32. Aucun témoin ne doit survivre [1, p. 256]. Cette lettre est écrite en français. Le terme de
« ratissage » était utilisé par l’armée française pendant les opérations de « maintien de l’ordre »
en Algérie. http://francegenocidetutsi.org/KaremeraNsengiyumva18juin1994TPIR.pdf

10

BISESERO

9

François Léotard le 22 juin tenait donc ses informations des organisateurs
du génocide avec qui les Français n’avaient cessé de correspondre pendant le
génocide.

10.2

Des journalistes signalent aux Français des Tutsi en
danger à Bisesero

Le 25 juin, des journalistes allèrent à Bisesero et virent des bandes de tueurs
continuer à brûler et massacrer. Ils en informèrent le capitaine Bucquet du
RICM le 26. 33 Ce capitaine Eric Bucquet aurait été confondu par erreur avec
le capitaine de frégate Marin Gillier des commandos de marine. 34
Le 26 juin, le colonel Rosier se rendit à Kibuye et rencontra probablement
le préfet Kayishema.

10.3

Le 27 juin, Marin Gillier assiste aux massacres

Le 27 juin, la chaîne France 2 montra le groupe COS de Marin Gillier observer des « combats » avec « des armes automatiques lourdes » sur les hauteurs
de Bisesero depuis Gishyita. Dans le reportage diffusé le 28, Isabelle Staes dit :
« Des hommes du Front Patriotique Rwandais y sont positionnés. On parle de
mille à deux mille rebelles. Nous sommes à Gishyita, point névralgique de l’opération Turquoise. Car c’est ici que les rebelles tutsi seraient les plus avancés en
territoire hutu. » 35

10.4

Le 27 juin, Duval rencontre des survivants tutsi à
Bisesero

Le même jour, 27 juin, le lieutenant-colonel Duval, alias Diego, se rendit
à Bisesero avec 12 hommes et trois journalistes, Patrick de Saint-Exupéry, 36
Dominique Garraud 37 et Christophe Boisbouvier. 38 Il prit un guide qui était
33. Patrick de Saint-Exupéry, Un accueil sous les vivas, Le Figaro, 27 juin 1994, p. 2.
34. Vincent Hugeux, Les oubliés de Bisesero, L’Express, 30 juin 1994, p. 42 ; Aucun témoin
ne doit survivre [1, p. 788]. Il a précisé que c’est le 25 juin qu’avec Sam Kiley et Scott Peterson,
ils ont informé Marin Gillier.
35. France 2, 28 juin 1994 au soir.
36. Patrick de Saint-Exupéry, Rwanda : Les assassins racontent leurs massacres, Le Figaro,
mercredi 29 juin 1994, p. 3. Nyagurati : de notre envoyé spécial. http://francegenocidetutsi.
org/LesAssassinsRacontentLeursMassacres.pdf
37. Dominique Garraud, Le nettoyage ethnique continue dans les montagnes
rwandaises, Libération, 29 juin 1994, p. 16. http://francegenocidetutsi.org/
GarraudBiseseroLiberation29juin1994.pdf
38. Christophe Boisbouvier, RFI, Reportage sur la colonne Duval à Nyagurati, 27 juin,
Afrique soir et 28 juin, Afrique matin. Interview d’un « Tutsi des montagnes » (Eric Nzabihimana, survivant à Bisesero), 28 juin Afrique midi, récit en direct de la rencontre entre
Duval et les Tutsi à Bisesero, reprise de ce récit et de fragments de l’interview du Tutsi
à Afrique soir et le 29 juin à Afrique matin, reportage sur les commandos de l’air à Kibuye, Afrique midi, visite de Léotard, Afrique soir, reportage à Kilinda, 30 juin, Afrique soir,
direct depuis Bisesero où les Français s’occupent enfin des Tutsi, 1er juillet, Afrique midi,
reportage depuis Bisesero avec interview du même Tutsi Eric Nzabihimana, Afrique soir.

10

BISESERO

10

un milicien. À Bisesero, des Tutsi les arrêtèrent et leur demandèrent du secours.
Le survivant Eric Nzabihimana dit à Duval qu’ils venaient d’être attaqués. « Il y
a deux heures les miliciens ont tué cinq d’entre nous. » Il lui montra un cadavre
encore chaud. Mais Duval repartit en leur disant : « Pour l’instant nous ne
pouvons rien faire. L’important, pour vous, c’est de survivre encore deux ou
trois jours. On reviendra, on sait où vous êtes... » 39 Patrick de Saint-Exupéry
vit le soir-même Duval faire son rapport au téléphone.

10.5

Rosier fait croire à la presse que des combattants
FPR sont à Bisesero

Le soir même, 27 juin, le colonel Rosier fit dire à la télévision depuis Bukavu
qu’il y a eu « des affrontements en fin de matinée et tout l’après-midi près de la
ville de Kibuye, là où se trouve un détachement français permanent. À environ
5 km des Français les plus proches du lieu où ont eu lieu ces affrontements entre
des gens du FPR infiltrés et puis ce qu’on appelle la défense civile ici. » 40
Le terme de « défense civile » probablement utilisé par Rosier est le même
terme qu’emploie le préfet Kayishema dans sa lettre du 12 juin. Le journaliste
poursuit : « ces accrochages s’ils sont confirmés voudraient dire d’abord que le
FPR est effectivement infiltré, est infiltré très très loin en territoire du gouvernement rwandais et qu’ensuite ça confirme aussi la volonté du FPR de couper ce
qui reste du Rwanda sous le contrôle des forces gouvernementales, de le couper
en deux ». Nous notons le « s’ils sont confirmés ». Rien n’empêchait les Français
d’aller vérifier. Mais ils n’y sont point allés.

10.6

Pendant 3 jours les derniers survivants sont attaqués

Les Tutsi s’étaient regroupés à l’appel de Duval et, abandonnés par lui, ils
se trouvèrent encore plus exposés. Les attaques redoublèrent pendant ces trois
jours. Il y eut environ 1 200 Tutsi tués du fait de leur abandon par les militaires
français.

10.7

Les Français évacuent des religieuses

Le 28 juin, Rosier ordonna à Duval d’évacuer en hélicoptère les religieuses
de Kibuye, alors qu’elles n’étaient pas particulièrement en danger. Mais il fit
dire à la télévision qu’elles se sentaient menacées en raison des accrochages
survenus la veille non loin de Kibuye « entre éléments du FPR et partisans
du gouvernement provisoire » et l’information, « qui reste à confirmer », sur
« l’intention du FPR de couper ce qui reste de la zone gouvernementale en deux
parties » fut répétée. 41
http://francegenocidetutsi.org/BoisbouvierBisesero.pdf
39. Patrick de Saint-Exupéry, ibidem.
40. France 2, 27 juin 1994, Dernière.
41. France 2, 28 juin 1994, Telematin, 7 h 30.

10

BISESERO

10.8

11

Marin Gillier laisse passer les tueurs

À Gishyita, les Français contrôlaient des barrières. Ils les ouvraient au passage des tueurs qui montaient vers Bisesero. Le 28 à midi, le bourgmestre Sikubwabo demanda à Gillier de l’aide pour combattre 300 à 500 terroristes réfugiés
dans une galerie de mine d’étain à Bisesero. 42
Marin Gillier interdit à ses hommes de réagir alors qu’ils voyaient à la jumelle
des civils se faire massacrer à Bisesero. Il prétendit que c’était les rebelles du
FPR qui massacraient la population. Il consentit à envoyer une patrouille à pied
vers Bisesero le 29 au matin, mais celle-ci ne trouva rien.

10.9

Des miliciens de Cyangugu viennent achever les Tutsi

Plusieurs témoins attestent que John Yusuf Munyakazi est parti de Cyangugu avec ses miliciens vers Bisesero au vu et au su des Français. Des rescapés
de Bisesero témoignent que des Tutsi qu’ils connaissent ont été tués par les
miliciens de Yusuf, surtout le 29 juin, jour de la visite du ministre Léotard.

10.10

François Léotard refuse le 29 juin de secourir les
Tutsi

Le ministre François Léotard vint au Rwanda le 29 juin et se rendit à Gishyita. Il s’entretint avec Marin Gillier qui, écrit Corine Lesnes, « lui expose la
situation dans ce qu’on appelle désormais « le triangle de Kibuye ». La zone
reste inexplorée et les renseignements sont confus. Des réfugiés s’y trouveraient.
A moins que ce ne soient des éléments précurseurs du FPR, ou encore les uns
et les autres à la fois, tous étant soumis aux attaques des milices armées. Un
autre renseignement fait état de règlements de comptes intervillageois. « Quelle
salade », soupire le général Jean-Claude Lafourcade ». 43
Deux journalistes anglo-saxons, dont un reporter du New York Times, dirent
au ministre qu’il y avait deux à trois mille Tutsi encerclés à Bisesero. Ils demandèrent ce que fait la France. 44
Le ministre Léotard leur répondit : « Nous faisons ce que nous pouvons, c’est
une opération délicate. Il n’est pas question de s’interposer » et il glosa sur les
effectifs encore trop faibles de l’opération Turquoise. Les journalistes insistèrent.
Excédé, Léotard aurait dit selon Corine Lesnes : « Dès demain on va y aller. »
Mais selon le New York Times, François Léotard refusa toute opération pour
évacuer ou protéger les Tutsi encerclés. 45
42. B. Lugan [3, pp. 268–269].
43. Corine Lesnes, M. Léotard craint de nouvelles difficultés pour le dispositif
« Turquoise », Le Monde, 1er juillet 1994, p. 4. http://francegenocidetutsi.org/
LeMondeLesnesLeotard1juillet1994p4.pdf
44. Corine Lesnes, ibidem.
45. Raymond Bonner, Grisly Discovery in Rwanda Leads French to Widen
Role, New York Times, July 1, 1994, p. A1. http://francegenocidetutsi.org/
nytGrislyDiscoveryBonner1july1994.pdf

10

BISESERO

12

Marin Gillier reçut effectivement un ordre d’aller le lendemain au-delà de
Bisesero pour prendre « contact avec un prêtre français qui vit dans un village
menacé ». 46 L’ordre n’était donc pas d’aller sauver les Tutsi.

10.11

Des affrontements « entre milices hutues et maquis
tutsis »

Au Conseil restreint du 29 juin, l’amiral Lanxade déclara : « Nous avons
trouvé des camps de réfugiés tutsis, nous avons évacué une communauté religieuse. Les affrontements continuent entre milices hutues et maquis tutsis. Nous
cherchons comment éviter la reprise des massacres. » 47 Ce maquis tutsi correspondait aux prétendus accrochages à Bisesero. À Paris, on ne voulait donc pas
entendre parler de survivants tutsi pourchassés. Ils ne pouvaient être que des
ennemis infiltrés.

10.12

Le 30 juin, des journalistes rencontrent les Tutsi

Le matin du 30 juin, Marin Gillier dit qu’« ils se préparaient parce qu’ils
avaient eu vent de commandos FPR infiltrés dans la montagne, qu’il fallait
aller vérifier et les débusquer éventuellement ». 48 Gillier passa à Bisesero sans
s’arrêter. Lâchée par lui, l’équipe de Philippe Boisserie de France 2 s’arrêta à
Bisesero, rencontra des Tutsi et fit un reportage qui sera diffusé le soir même. 49
Gillier rencontra le prêtre 50 et distribua de la nourriture aux Hutu, dont bon
nombre devaient être des tueurs. Deux journalistes, Michel Peyrard de Paris
Match et Sam Kiley du Times de Londres, qui avaient précédé Gillier, ne comprirent pas son attitude et retournèrent à Bisesero où ils rencontrèrent d’autres
Tutsi. Peu de temps après le groupe de reconnaissance du 13e RDP mené par
le capitaine Olivier Dunant et celui du GIGN mené par Thierry Prungnaud,
furent prévenus par les journalistes et allèrent à Bisesero. Ils déclenchèrent alors
l’opération de secours.

10.13

L’opération de secours à Bisesero

800 Tutsi survivants furent retrouvés. Les blessés les plus graves furent transportés à l’antenne chirurgicale de Goma qui avaient été prévue pour soigner des
militaires français mais pas des victimes du génocide. Les autres furent parqués
dans un camp à Bisesero, sans toit, presque sans vivres. Les Français seront
furieux et les maltraiteront quand les Tutsi voudront rejoindre la zone FPR.
46. Ce prêtre était Jean-Baptiste Mendiondo qui est resté pendant le génocide dans sa
paroisse à Mukungu.
47. Conseil restreint du 29 juin 1994. Secrétariat : Vice-amiral de Lussy (État-major particulier). http://francegenocidetutsi.org/ConseilRestreint29juin1994MaquisTutsi.pdf
48. Philippe Boisserie, Danielle Birck, Retour sur images, Les Temps modernes, no 583,
juillet-août 1995, p. 215.
49. P. Boisserie, E. Maisy, D. Vérité, F. Granet, France 2, 30/6/1994, 20 h.
50. Gillier rencontra le prêtre Mendiendo à Gisovu selon Peyrard, à Gakuta selon Prungnaud.

11

CONCLUSION

10.14

13

Duval n’aurait pas envoyé de rapport

La Mission d’information parlementaire fit l’impasse sur la reconnaissance de
Diego-Duval le 27 juin à Bisesero. Elle publia le rapport de Gillier. L’honneur
était sauf. Puis les militaires répondirent aux accusations en prétendant que
Duval n’avait pas fait de rapport et que ni Rosier, ni Gillier n’étaient informés
de la présence de survivants à Bisesero. Il leur suffisait pourtant d’écouter RFI
qui parla le 28 à midi de la reconnaissance de Diego.
En 2006, le général Lafourcade, interrogé par Laure de Vulpian sur France
Culture, déclara que quand « le deuxième compte rendu est arrivé », ils ont réagi
immédiatement. Évoquant un deuxième compte rendu, le brave général avouait
ainsi qu’il y en avait eu un premier. Dans son livre sur l’opération Turquoise,
Lafourcade fournit des preuve que son 2e bureau avait bien reçu le rapport de
Duval alias Diego. 51
En 2010, le journaliste Jean-François Dupaquier publia le rapport de Duval. 52 Les termes utilisés par celui-ci sont quasiment identiques à ceux cités par
Lafourcade dans son livre. Il est donc certain que Duval a fait son rapport le 27
juin, mais que celui-ci a été volontairement mis aux oubliettes.
Tout ceci montre qu’il y a eu une entente entre l’état-major à Paris et le
gouvernement génocidaire pour laisser celui-ci terminer le travail d’élimination
totale des Tutsi survivant à Bisesero.

11

Conclusion

Sous couvert d’une opération humanitaire, les Français ont livré à la mort
plus de 1 200 Tutsi à Bisesero. À Gikongoro, ils ont fait pire. Ils se sont installés
à l’école de Murambi, là où le sang de plus de 25 000 Tutsi, massacrés le 21
avril, suintait des fosses communes en un liquide brunâtre. Ils y installèrent des
canons et s’allièrent aux tueurs pour arrêter à partir du 5 juillet l’offensive du
FPR, qui, lui, mettait fin au génocide. Tout s’est passé au Rwanda en 1994
comme si, à Auschwitz en 1945, l’Armée rouge s’était alliée avec les SS contre
les troupes anglo-américaines. Mais ça, Staline ne l’a pas fait.
Par ce qu’il a fait et fait faire à ses subordonnés en 1994, François Léotard,
ministre de la Défense, pourrait avoir à répondre des crimes d’entente en vue
de commettre le génocide et de complicité dans le génocide.
Au Rwanda, en 1994, le président de la Patrie des Droits de l’homme et son
gouvernement décidèrent de faire graver dans le marbre de l’histoire le célèbre
tableau de Breughel « Le triomphe de la mort ». Inspiré par la beauté de ce
pays, qui ne devait être qu’un Paradis, un académicien immortel écrivit du
Rwanda : « Ce sont des massacres grandioses dans des paysages sublimes ».
(Jean d’Ormesson, Le Figaro, 19 juillet 1994). 53
51. J.-C. Lafourcade [2, p. 105].
52. Jean-François Dupaquier, Là-haut, sur la colline de Bisesero, XXI, avril 2010, pp. 37–38.
53. Jean d’Ormesson, « J’ai vu le malheur en marche », Le Figaro, 19 juillet 1994.

RÉFÉRENCES

14

Références
[1] Alison Des Forges : Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda.
Karthala, Human Rights Watch, Fédération internationale des Droits de
l’homme, avril 1999. Traduction française de “Leave None to Tell the Story”.
[2] Jean-Claude Lafourcade et Guillaume Riffaud : Opération Turquoise.
Perrin, mars 2010.
[3] Bernard Lugan : François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda.
Éditions du Rocher, mars 2005.
[4] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport no 1271, http://www.assemblee-nationale.fr/
dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information de la commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission
des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France,
d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
[5] Didier Tauzin : Rwanda : je demande justice pour la France et ses soldats !
Le chef de l’opération Chimère témoigne. Éd. Jacob-Duvernet, 4 avril 2011.

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