Fiche du document numéro 1561

Num
1561
Date
Mardi 28 juin 1994
Amj
Taille
200348
Surtitre
Rwanda
Titre
L'énigme de la « boîte noire »
Soustitre
L'enregistreur de vol de l'avion présidentiel abattu le 6 avril à Kigali est entre les mains de l'ex-capitaine Barril
Page
1,6
Nom cité
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Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
C'est une petite boîte de métal, à peine plus grosse qu'un livre de
poche, rivée à un morceau de tôle ocre et cabossée, que l'on a
manifestement arraché à sa carlingue d'origine. Sur la pièce de tôle
figurent plusieurs tampons et inscriptions, partiellement effacés. Des
séries de chiffres, parfois précédés d'une mention : « F 50 », comme
Falcon 50... La boîte est carrée, quinze centimètres de côté, quatre
d'épaisseur. Sur l'un de ses côtés, une plaque de métal argent et bleu
marquée " Litton " se détache du fond noir. Au centre, une fiche
électrique cachetée à la cire rouge, raccordée par une dizaine de fils
de couleurs à une prise à broche, qui pend aujourd'hui dans le vide.
L'avion du président rwandais, Juvénal Habyarimana, qui s'est écrasé le
6 avril dernier à Kigali, causant la mort de son propriétaire, ainsi que
celle du président du Burundi et des dix autres passagers et membres
d'équipage, possédait bien une « boîte noire », quoi qu'on en ait dit
depuis, et cette « boîte noire » est à Paris. L'ex-capitaine Paul
Barril, ancien commandant du GIGN (Groupement d'intervention de la
gendarmerie nationale), un temps familier de la fameuse « cellule » de
gendarmes de l'Elysée et devenu depuis le conseiller officieux de
plusieurs chefs d'Etat d'Afrique noire et du Proche-Orient, affirme s'en
être emparé à Kigali et la tenir « à la disposition des instances
internationales
 ».

Cet « enregistreur de vol » selon le terme technique dont les discours
officiels nient obstinément l'existence, l'ex-capitaine Barril l'a
montrée à un journaliste du Monde, jeudi 23 juin, dans les bureaux de sa
société, Secrets, avenue de la Grande-Armée, dans le 17e arrondissement
de Paris.

L'ancien officier affirme s'être rendu au Rwanda à deux reprises depuis
le crash de l'avion présidentiel, courant avril et début mai, dans le
but d'enquêter, à la demande de la famille, sur les circonstances de la
mort du chef de l'Etat rwandais, dont personne ne croit plus qu'elles
furent accidentelles. Peu après 20 h 30, le mercredi 6 avril, alors
qu'il s'apprêtait à se poser sur l'unique piste de l'aéroport de Kigali,
le Falcon 50 a été touché à l'arrière par deux roquettes, puis s'est
écrasé dans l'enceinte même de la résidence présidentielle, voisine de
l'aéroport. Paul Barril montre les débris éparpillés sur les pelouses,
ainsi que les corps ensanglantés des victimes, tels qu'ils apparaissent
sur les photographies prises par le plus jeune fils du président
Habyarimana, dont une partie ont été publiées par l'hebdomadaire Jeune
Afrique
, dans son édition du 28 avril. Il exhibe volontiers, aussi, les
clichés pris au cours de ses deux passages à Kigali, dont certains le
montrent en situation, tantôt près d'une pièce d'artillerie, tantôt
devant le portail de l'ambassade de France à Kigali, déserte depuis le
départ des derniers Français, dans la matinée du 12 avril (le Monde du
14 avril).

Confié par la veuve du président, Agathe Habyarimana, réfugiée en France
avec ses enfants, un « mandat d'investigations et de recherches » daté
du 6 mai fixe le cadre de sa mission : « Conduire toutes les
investigations qu'il jugera utiles à la manifestation de la vérité sur
l'attentat
 », en découvrir « les coupables et tout spécialement les
commanditaires
 », mener « toutes les actions nécessaires auprès des
assurances
 ». Une avocate française, Hélène Clamagirand, a par ailleurs
été chargée de constituer un dossier afin de déposer « dans les
prochaines semaines
 » une plainte pour assassinat devant la Cour
internationale de justice de La Haye.

« Tout est OK »



Outre la fameuse « boîte noire », dont nul ne sait ce que le décryptage
qui nécessite un matériel spécifique pourrait révéler, l'ex-capitaine
Barril a ramené de ses équipées rwandaises les bandes d'enregistrement
de la tour de contrôle de Kigali trois grandes bobines d'alluminium, de
marque Assmann, contenant huit heures de bande chacune , qui doivent
contenir les dernières conversations entre l'avion présidentiel et le
personnel de la tour, le 6 avril. Il est également en possession de
l'intégralité des télex reçus à l'aéroport dans les jours ayant précédé
l'attentat, du « cahier de veille » de l'aéroport, sur lequel figurent,
à la page du 6 avril, les noms des trois hommes de permanence, et enfin
du cahier des « services de transmission et radioguidage », dont le
dernier message, daté du 5 avril à 7 h 42 (temps universel), signalait
que « l'enregistreur est à nouveau débloqué » après une coupure de
courant, et concluait : « Tout est OK »

A dire vrai, les trouvailles africaines de l'ex-gendarme constituent,
pour le gouvernement français, un secret de Polichinelle depuis
plusieurs semaines. Le cabinet du ministre de la coopération, Michel
Roussin, nous a confirmé l'existence de « contacts » avec Paul Barril,
mais les deux parties contestent avec autant de vigueur en avoir pris
l'initiative. Pour sa part, l'ancien capitaine nous a indiqué que « tous
les éléments en
[sa] possession seront mis à la disposition des
instances internationales dès qu'une enquête sera ouverte
 ».

L'intervention de l'encombrant capitaine, dont le profil aventureux est
connu mais dont les mobiles le sont moins, a bien pour premier effet de
mettre en évidence l'absence de procédure officielle visant à identifier
les auteurs de l'attentat contre le Falcon, en dépit des déclarations
prononcées au lendemain du 6 avril. Près de trois mois plus tard en
effet, ni l'ONU, à qui incombait alors la sécurité du territoire
rwandais, ni le Burundi, dont le président, Cyprien Ntaryamira, est
également décédé lors du crash de l'avion, ni la France elle-même,
malgré la mort des trois membres de l'équipage, tous français, n'ont à
ce jour ouvert la moindre enquête.

Dès lors, seule une initiative des familles de ces derniers pourraît
entraîner la saisine d'un juge d'instruction, selon le même processus
qu'en 1989, après l'attentat commis contre le DC10 d'UTA au-dessus du
désert tchadien, dont le dossier fut confié au juge parisien Jean-Louis
Bruguière. « Les familles ont toute liberté pour saisir la justice »,
confiait en fin de semaine dernière un proche collaborateur de M.
Roussin. Chargée des intérêts de la famille du président rwandais, M
Clamagirand ne cache pas, elle, qu'elle souhaite que plusieurs plaintes
viennent se joindre à la sienne afin de « briser la loi du silence »
autour d'un acte terroriste sans lequel, probablement, la guerre ne
ferait pas rage aujourd'hui au Rwanda...

Restent donc les investigations de l'auditorat militaire belge, service
dépendant du ministère de la justice de ce pays et qui s'est vu confier
le soin d'établir les causes, non de l'attentat, mais de la mort de
douze « casques bleus » belges dans les heures qui ont suivi. L'état
d'avancement de leurs recherches n'est pas connu, mais il semble que les
fonctionnaires bruxellois ne disposent que de faibles moyens, et qu'ils
ne se soient jusqu'ici attachés qu'à obtenir des informations sur le
milieu des étudiants hutus en Belgique... Par qui et comment ont été
tués ces soldats ? Le 8 avril, le ministère belge de la défense
indiquait qu'ils avaient été « appréhendés, puis emmenés et exécutés »
alors qu'ils tentaient de couvrir la fuite du premier ministre rwandais,
Agathe Uwilingiyimana, assassinée à Kigali au cours des massacres qui
débutèrent peu après l'explosion de l'avion. Le même jour, l'ONU
assurait qu'ils avaient été tués après avoir été désarmés par des
éléments de la garde présidentielle, alors qu'ils se rendaient à
l'aéroport pour enquêter sur les circonstances de la mort du président
et de son homologue burundais (le Monde du 9 avril). Le 15 avril, une
note adressée par le ministère des affaires étrangères du Rwanda à
toutes ses missions diplomatiques dans le monde faisait état, elle, de
l'arrestation de « trois suspects » issus du « contingent belge », au
moment où ceux-ci auraient tenté de « récupérer par la force la boîte
noire
sur l'épave de l'avion
 »...

Des mercenaires venus d'Europe



Pareille succession de témoignages contradictoires démontre, s'il en
était besoin, la confusion qui règne sur le territoire rwandais, et qui
interdit tout espoir d'une clarification rapide des circonstances de
l'attentat. Chaque camp les Hutus de l'entourage du président et de sa
garde, ceux de l'armée régulière, les Tutsis du FPR (Front patriotique
rwandais) a sa version des faits, ses soupçons et ses sous-entendus. Et
toute vérification sur le terrain est désormais impossible : le FPR a
pris le contrôle de la zone de l'aéroport, et parmi les témoins directs
de l'attentat et des combats qui ont suivi, beaucoup ont sans doute péri
depuis. Ainsi les informations publiées par le quotidien belge le Soir,
selon lesquelles l'avion du président rwandais aurait été abattu par « deux militaires français » et qui prétendaient rejoindre « par certains
points l'état de l'enquête menée en Belgique par l'auditorat militaire
 »
(le Monde du 18 juin) se sont-elles heurtées à des démentis, non
seulement de la France, mais aussi du gouvernement belge. Elles
accréditaient en tout cas une hypothèse évoquée par les services de
renseignements des deux pays, en vertu de laquelle les coupables
seraient bien « deux hommes de race blanche », qui pourraient être des
mercenaires venus d'Europe ou d'Afrique du Sud. Mais au service de qui ?
Dans le courant du mois de mai, les services secrets français
signalaient que, à la fin de l'année dernière, « une société américaine
représentée en Centrafrique
 » avait cherché à recruter, grâce à des
intermédiaires belges, des mercenaires spécialisés dans le maniement des
missiles antichar et anti-aériens. Une partie de ce recrutement aurait
été effectuée dans un hôtel parisien du 17e arrondissement. Selon la DGSE
(direction générale de la sécurité extérieure), l'opération devait
conduire une quinzaine d'hommes de Bruxelles à Nairobi, puis en Ouganda,
d'où ils devaient s'infiltrer au Rwanda afin de « semer le trouble dans
l'armée régulière rwandaise
 », mais aucune suite n'y aurait été
donnée...

L'examen des mobiles supposés de chacune des parties en présence
n'emporte pas davantage la conviction. Le FPR avait-il intérêt à se
débarrasser d'un chef d'Etat, certes abhorré, mais qui s'apprêtait, aux
termes des accords d'Arusha, signés le 4 août 1993, à l'associer au
pouvoir ? Quant aux « durs » du régime, l'extrême droite hutue, qui
recrutait ses membres jusque dans l'entourage du président, ils
pouvaient certes chercher à empêcher toute conciliation avec la minorité
tutsie, mais la présence à bord du Falcon fatal du colonel Elie Sagatwa,
l'un de leurs chefs de file, affaiblit sensiblement cette thèse. Quant à
la France, on voit mal quel bénéfice elle aurait pu tirer de
l'élimination d'un régime qu'elle est accusée d'avoir abondamment
soutenu au profit de rebelles qui la traitent ouvertement en ennemie.
Quoi qu'il en soit, la quasi simultanéité confirmée par de nombreux
témoins du début des combats avec l'explosion de l'avion et la mort des
deux chefs d'Etat permet d'envisager l'existence d'une manoeuvre
organisée. Mais, ici encore, il semble impossible de savoir qui a
réellement déclenché les hostilités. « Immédiatement après avoir vu
l'avion tomber, on nous a tiré dessus, raconte Jeanne, la fille aînée du
président Habyarimana. Les tirs venaient des collines occupées par le
FPR. Dans la nuit, on a appris que les combats s'intensifiaient. D'abord
dans Kigali, puis dans tout le pays...
 » Il est également établi que
après l'attentat, les soldats de la garde présidentielle se sont livrés
à de sauvages représailles dans la capitale rwandaise, contre la
population tutsie, mais aussi contre l'opposition hutue, comme pour
mieux prouver que la guerre civile qui ravage le pays ne saurait se
résumer à un conflit ethnique. Alors que les tirs déchiraient la ville,
l'armée officielle rwandaise faisait d'ailleurs lire sur les ondes de la
radio nationale un communiqué appelant la population à la soutenir dans
sa lutte contre les « malfaiteurs », et dénonçant les exactions de
soldats en colère après l'assassinat du président (le Monde du 11
avril).

Six Français tués à Kigali



C'est au cours des mêmes heures que furent tués deux gendarmes français,
les adjudants-chefs René Maïer et Alain Didot, ainsi que l'épouse du
second. Membres de la mission d'assistance militaire au Rwanda depuis
1993, les deux sous-officiers et Mme Didot, tués par balles et à coups
de machette, avaient été sommairement enterrés dans le jardin de leur
villa. C'est là que des « casques bleus » les ont découverts, le 13
avril. Leurs corps ont été accueillis au Bourget, le 15 avril, par le
ministre de la défense, François Léotard, et le ministre de la
coopération, Michel Roussin. Les services de ce dernier assurent que « leur mort n'est pas liée à leur fonction [l'un d'eux était spécialisé
dans les transmissions, NDLR] mais à leur résidence, et au fait qu'ils
auraient caché des Tutsis chez eux
 ». Il faut donc comprendre que les
trois ressortissants français auraient été victimes des milices hutues
ou de la garde présidentielle. Leur logement se situait pourtant dans la
zone de Kanombé, alors déjà sous contrôle du FPR. Connue de l'ambassade
de France à Kigali le 8 avril une note transmise à Paris par télex à 19
heures en atteste, la nouvelle de leur mort ne sera rendue publique que
trois jours plus tard. Curieusement, le certificat de décès, daté du 6
avril, porte la mention « mort accidentelle »...

Non moins curieusement, le Journal officiel du 14 juin, qui publie la
nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur des trois
membres de l'équipage de l'avion rwandais, le pilote Jacquy Heraud, son
copilote Jean-Pierre Minaberry et le mécanicien Jean-Michel Perrine,
fait remonter leur décès au 7 avril, alors que l'appareil s'est abîmé la
veille, sans que l'on sache s'il ne s'agit que d'une banale erreur de
transcription. Recrutés au titre de la coopération pour piloter
l'appareil offert par la France au Rwanda en 1989, les trois équipiers
dont l'un au moins est un ancien du GLAM furent rapidement salariés par
une société parisienne aux contours plutôt flous, la SATIF (Service et
assistance en techniques industrielles françaises), qui, à en croire son
dirigeant, est « une société de prestation de services dans les domaines
aéronautique et électronique
 », qui passe notamment des marchés avec le
ministère de la coopération, « avec l'exigence de compétence et de
discrétion que cela comporte
 ». L'entretien des équipages du Falcon 50
rwandais coûtait environ 3 millions de francs par an. Fallait-il, pour
ne pas en faire supporter la charge aux finances françaises, passer par
une société « amie » ? L'hypothèse est envisagée par plusieurs sources,
qui suggèrent que celle-ci a pu déjà, par le passé, rendre d'autres
services discrets à la coopération...

« Nous ne sommes pas un faux-nez du ministère de la coopération », nous
a déclaré le responsable de la SATIF, à qui l'on n'en demandait pas
tant. Le cabinet du ministre Michel Roussin admet pour sa part être « en
contact financier
 » avec la société, qui semble d'ailleurs avoir fait
place à une SARL dénommée ASI (Aéroservices International), dont la
dissolution a été prononcée le 30 juin 1992, mais qui semble toujours en
activité, même si elle n'a jamais satisfait à l'obligation légale de
déposer ses comptes au tribunal de commerce. « Nous n'avons rien à
cacher, explique le même interlocuteur, nos clients sont au courant de
tout ce que nous faisons, mais nous n'aimons pas que l'on se mêle de nos
affaires. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis !
 » Au cours du même
entretien, celui-ci nous assurait la semaine dernière que l'avion ne
possédait aucune boîte noire...

Symbole des relations privilégiées et désormais largement contestées de
la France et du Rwanda, le Falcon 50 fut acheté d'occasion puis offert
au président Habyarimana pour remplacer une Caravelle vieillissante,
dans des conditions qui pourraient n'avoir rien à gagner à être mises en
lumière. Les tractations étaient alors conduites par un membre éminent
du cabinet de François Mitterrand, assisté d'un homme de la « cellule
élyséenne
 ». L'intermédiaire choisi par le chef de l'Etat rwandais était
le docteur Bele Calo, Africain né en Belgique, qui eut plusieurs fois
maille à partir avec la justice pour abus de confiance et escroquerie,
au début des années 80. Réputé proche de l'ancien ambassadeur du Rwanda
en France, Denis Magirimana, qui devait être destitué pour détournement
de fonds publics, ce personnage douteux aurait quitté la France pour
gagner l'Ouganda, sans plus jamais faire parler de lui.

Les dernières paroles du pilote



Le 6 avril, vers 20 h 30, c'est donc cet avion, à bord duquel avaient
pris place les chefs d'Etat rwandais et burundais, qui s'est écrasé
après avoir été atteint par deux projectiles, selon toute vraisemblance
deux missiles SAM 7, d'origine soviétique. Selon nos informations, les
deux lanceurs de ces projectiles auraient été retrouvés sur la colline
de Masaka, d'où sont partis les tirs, en pleine zone FPR, et seraient
actuellement entre les mains du ministre de la défense rwandais. L'avion
ramenait les deux présidents de Dar-ès-Salaam, en Tanzanie, où venait de
se tenir un sommet consacré à la situation au Burundi. Plusieurs chefs
d'Etat de cette partie de l'Afrique, qui avaient annoncé leur
participation à cette rencontre, s'étaient finalement décommandés. Parmi
eux, le maréchal Mobutu, président du Zaïre, avec qui Juvénal
Habyarimana et Cyprien Ntaryamira avaient dîné la veille à Kinshasa,
mais qui avait renoncé en dernière minute à se rendre en Tanzanie.
L'avion du président burundais étant en panne, M. Habyarimana lui a
proposé de le reconduire, conformément à la coutume africaine de « l'avion-taxi ».

Quittant Dar-Es-Salaam à 18 h 50, le Falcon devait donc
se poser à Kigali en début de soirée, puis pousser jusqu'à Bujumbura, la
capitale burundaise, pour y déposer son passager, et enfin rentrer à
Kigali, où l'aéroport était encore placé sous la garde des troupes
belges de la MINUAR (Mission d'assistance des Nations unies au Rwanda).
Alors qu'il s'approchait de la piste, l'épouse du copilote aurait
entendu, selon des sources militaires, les derniers dialogues entre
l'appareil et la tour de contrôle : son mari lui avait confié la
fréquence sur laquelle elle pouvait, à partir d'un récepteur de radio
ordinaire, capter les communications de l'avion en phase d'approche.

C'est ainsi qu'avant de perdre le contact, quelques minutes avant
l'explosion, elle aurait entendu la tour de contrôle interroger
plusieurs fois le pilote sur la présence à bord du président du Burundi,
Cyprien Ntaryamira. Faut-il en déduire que c'est ce dernier qui était la
cible désignée, que l'on voulait bien faire d'une pierre deux coups, ou
au contraire que les comploteurs cherchaient justement à l'épargner ?
L'étude de la « boîte noire » pourra peut-être le dire.

Autre question en suspens : la mort des deux gendarmes français, dans
leur villa de Kanombé, située dans l'alignement exact de la piste
d'atterrissage de Kigali, a-t-elle un rapport avec l'attentat ? En
ont-ils été les témoins et, de ce fait, réduits au silence ? Même une
enquête officielle a désormais bien peu de chances de l'établir.
Nombre de témoins, civils ou militaires, qui ont fréquenté la capitale
rwandaise depuis le début de l'année le confient : « On avait le
sentiment que quelque chose se préparait.
 » L'un des neveux du président
Habyarimana raconte qu'au cours d'un entretien téléphonique, une semaine
avant sa mort, ayant fait part à son oncle de rumeurs de coup d'Etat, il
s'était entendu répondre : « Nous sommes au courant. » L'épouse et les
enfants du dirigeant rwandais, eux, évoquent une conversation, le
dimanche de Pâques soit trois jours avant le drame , avec un diplomate
africain porteur d'un message de Paul Kagamé, le chef militaire du FPR :
« Sachez qu'il fera tout ce qui est en son pouvoir pour vous abattre,
quitte à mettre en jeu sa propre vie.
 » Quelques heures après sa mort,
le clan présidentiel désignait clairement le FPR et ses complices
supposés. « Le gouvernement rwandais va bientôt lancer une enquête pour
mettre la lumière sur les responsabilités des casques bleus belges
soupçonnés par l'opinion publique rwandaise d'avoir trempé dans le
complot d'assassinat du chef de l'Etat
 », écrivait le ministère des
affaires étrangères rwandais dans une note du 15 avril déjà citée
adressée à ses missions diplomatiques à l'étranger. Avant d'indiquer,
plus prudemment, dans le même document, qu'en attendant l'expertise de
la fameuse « boîte noire » aujourd'hui entre les mains de l'ex-gendarme
Paul Barril, « il serait hasardeux de tirer une conclusion définitive
sur les auteurs de l'attentat qui a coûté la vie au président
Habyarimana
 »... Bientôt trois mois après les faits, cette conclusion
reste, hélas, de rigueur au milieu du chaos rwandais.

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