Fiche du document numéro 1531

Num
1531
Date
Jeudi 23 juin 1994
Amj
Taille
138576
Sur titre
La proposition d'une intervention armée à but humanitaire au Rwanda
Titre
Le projet français se heurte à de nombreux obstacles
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Après le soutien modéré, exprimé lundi 20 juin par les membres du
Conseil de sécurité, à la proposition française d'envoyer une force « musclée » au Rwanda, des remarques suspicieuses et des critiques se sont
fait entendre mardi à New-York. Les critiques les plus fermes sont
venues de manière officielle des responsables de la force des Nations
unies présents sur le terrain au Rwanda.

Transmettant les inquiétudes du commandant en chef de la Mission des
Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR), le général canadien
Romero Dallaire, Iqbal Riza, un conseiller politique de Boutros
Boutros-Ghali, a informé le Conseil de la réaction « extrêmement
négative
 » du Front patriotique rwandais (FPR) à l'initiative française.
Selon lui, sans l'accord du FPR, l'intervention française pourrait
s'avérer « très compliquée et rendre la situation encore plus difficile ».

Le FPR, qui avait jusqu'à présent coopéré avec la MINUAR, est devenu « nettement moins amical », a prévenu le général Dallaire. Le FPR a déjà
empêché le passage de véhicules blindés des Nations unies venant de
Somalie et se rendant au Rwanda. Le général Dallaire a souligné le fait
que le quartier général de la MINUAR se trouve dans la zone contrôlée
par le FPR. Il a également fait remarquer que si la France intervenait
sans l'accord des parties, elle pourrait se trouver en situation d'« potage potentiel ». Le général Dallaire n'a pas, cependant, demandé
formellement l'abandon du projet français.

Des menaces « prises au sérieux »



L'ONU a confirmé l'évacuation de quarante observateurs de la MINUAR de
Kigali, à la suite des menaces du FPR. Ces quarante observateurs, « tous
des francophones
 » du Sénégal, du Togo et du Congo, n'avaient pas encore
quitté le Rwanda mardi soir. Ils seront remplacés par quarante-huit
observateurs du Bangladesh et de la Russie, mais on affirme de New-York
que les menaces du FPR sont « suffisamment prises au sérieux » pour que
le commandant de la MINUAR décide de les évacuer.

Très conscient des nombreuses réticences que suscite l'initiative
française à l'ONU, et jouissant d'une grande influence auprès de la
presse internationale, le FPR a présenté mardi une lettre au Conseil de
sécurité, un véritable avertissement à la MINUAR. Selon les termes de
cette lettre, les forces françaises seraient déjà « à l'intérieur du
Rwanda, avant même que le Conseil de sécurité se soit prononcé
 ». Une
affirmation formellement démentie par le représentant français à l'ONU.
Le FPR affirme encore que « l'intervention francaise va conduire à une
aggravation du conflit et remettre en cause la presence même de la
MINUAR au Rwanda
 ». Le Front patriotique a exigé de participer aux
délibérations du Conseil de sécurité si son ennemi, le gouvernement
rwandais, y participait. Or le Rwanda est, en ce moment, membre non
permanent du Conseil...

Nombreux sont ceux, à l'ONU, qui manifestent ouvertement leur sympathie
à la cause du FPR. « Les motivations de Paris sont peut-être et je dis
bien : peut-être nobles, mais il reste vrai qu'une intervention armée de
la France arrêterait la progression des troupes du FPR et changerait le
cours de l'histoire dans ce pays
 », remarquait mardi soir un diplomate
accrédité, avant d'ajouter : « Le Front a peur, et on le comprend, que
la France vienne lui voler une victoire militaire tant méritée.
 »
Si l'on en croit Claude Dusaidi, le représentant du FPR à New-York, avec
cette lettre, « les Tutsis ont marqué un point sur le plan diplomatique
 ». Mais le même Claude Dusaidi a perdu de sa crédibilité mardi,
lorsqu'il a accusé « la mission française » d'avoir « gravement » menti
sur les contacts qu'elle aurait eus avec le FPR. L'ambassadeur français,
Jean-Bernard Mérimée, a bel et bien rencontré M. Dusaidi à deux reprises
depuis lundi.

« Pas d'alternative »



Très critiques, parfois virulentes, les organisations non
gouvernementales (ONG) engagées au Rwanda qui réclament depuis deux mois
une intervention humanitaire ne s'opposent pas formellement à
l'initiative de Paris. Tout en soulignant « l'ambiguïté et la partialité
de la France
 », Kenneth Roth, le directeur de Human Right's Watch, une
organisation de défense des droits de l'homme, a estimé que l'initiative
de Paris allait en fait « aider les responsables du génocide, plutôt que
les victimes
 ».

Antoine Bernard, le représentant de la Fédération internationale des
droits de l'homme (FIDH), a, de son côté, déclaré que, « pour légitimer
son intervention, la France doit aller au bout de sa logique et juger
les Hutus présents sur le territoire francais
 ». M. Bernard se demande
pourquoi la France ne demande pas l'autorisation du Conseil de sécurité
pour arrêter « sur place » les responsables des crimes de guerre au
Rwanda.

Ceux qui croient « pure » l'intention de Paris soulignent les risques
que prend la France en « intervenant dans cette guerre civile » ; les
autres croient fermement que la France ne souhaite intervenir au Rwanda
que pour « renforcer sa position dans ce pays ». Les intervenants les
plus critiques ont cependant dû admettre qu'il n'y avait « pas
d'alternative
 ». « Ils n'ont pas d'argument valable pour l'instant,
disait un diplomate mardi soir, ils attendent simplement que la France
se casse la gueule au Rwanda.
 »

Ayant habilement piloté les négociations au Conseil de sécurité,
Jean-Bernard Mérimée nous a assuré que « tous les membres du Conseil
sont persuadés que nos intentions sont pures
 ». La résolution devrait
être adoptée avec peut-être l'abstention habituelle de la Chine et le
vote négatif de la Nouvelle-Zélande. L'ambassadeur de la
Nouvelle-Zélande, qui pourrait encore retarder le vote « par des
obstacles de procédure
 », a été si véhément contre l'initiative
française que certains se demandaient s'il n'avait pas toujours présente
à l'esprit la sombre « affaire du Rainbow-Warrior ».

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024