Fiche du document numéro 1516

Num
1516
Date
Mardi 21 juin 1994
Amj
Taille
128532
Sur titre
Dès que l'ONU aura donné son feu vert, Paris enverra des troupes aux frontières du Rwanda.
Titre
Un double pari militaire
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La France a poursuivi, lundi 20 juin, les préparatifs pour l'envoi aux
frontières du Rwanda des « moyens nécessaires » à une intervention
internationale à but humanitaire. Le prépositionnement de troupes
françaises a été décidé, samedi, dans l'attente d'un feu vert des
Nations unies, sous forme d'une résolution du Conseil de sécurité. Sur
le terrain, les combats ont redoublé d'intensité à Kigali, et le Front
patriotique rwandais (FPR) continue de se déclarer hostile à
l'initiative française.

Le dispositif militaire à but humanitaire imaginé par la France, parce
qu'il est nécessairement lourd et qu'il exige des moyens relativement
importants, repose sur un double pari.

Le premier est que le Zaïre, qui a plutôt soutenu le régime hutu du
président rwandais assassiné, puisse servir en quelque sorte de base
arrière à une opération consistant à évacuer en priorité des réfugiés
partout où on laissera le dispositif se déployer pour les encadrer
ensuite sur le plan sanitaire. Le second est que l'ONU, en attendant
l'arrivée des 5 500 « casques bleus » prévus, puisse accepter que
l'action humanitaire entreprise sous direction française soit protégée
par une escorte pouvant aller au-delà de la seule riposte dite de
légitime défense.

L'exécution de ces deux préalables sur le terrain reste un objectif
particulièrement délicat, si l'on tient compte des relations tendues qui
opposent actuellement la France et les chefs du Front patriotique
rwandais (FPR).

Dans l'opération qui serait montée avec un appui logistique américain,
il est exclu, en effet, que la piste de Kigali, en raison des dommages
subis, soit la plate-forme d'accueil dans les premiers instants. Les
Français devraient user de la base arrière du Zaïre et les Italiens ou
les Sénégalais, s'ils se ralliaient à la mission, comme ils l'ont laissé
entendre, utiliser plutôt celle de l'Ouganda.

La France est, pour ce qui la regarde plus spécialement, dans une
situation délicate. En effet, elle peut difficilement solliciter
l'Ouganda, qu'elle a accusé de soutenir le FPR en armes et en
combattants, et elle a besoin du Zaïre, en dépit du fait que ses
relations passent par des hauts et par des bas avec le régime du général
Mobutu, mais aussi avec la propre famille du président zaïrois.
C'est donc par la route et par hélicoptères, avec les aléas de tous
ordres que ce double mode d'acheminement suppose, que se ferait la
première phase de l'expédition, pour le transport des hommes et celui de
l'eau, des carburants, de la nourriture ou des médicaments. L'opération
nécessite des moyens lourds, qui viendront de France pour l'essentiel et
qui s'appuieront sur les forces dites « prépositionnées » en plusieurs
pays d'Afrique, comme le Centrafrique. Ce fut le cas, déjà, en avril
dernier, quand il s'est agi d'évacuer sur Bangui quelque mille quatre
cent vingt ressortissants étrangers (dont quatre cent quarante-cinq
Français) après l'attentat contre l'avion qui transportait les
présidents du Rwanda et du Burundi.

Légitime défense ou ouverture du feu ?



Outre cette difficulté technique, il faut compter avec la résistance que
pourraient localement rencontrer les convois humanitaires, routiers et
héliportés. L'accès aux camps leur restera-t-il ouvert en permanence ou
bien faut-il d'ores et déjà prévoir des modes de protection militaire,
et, dès lors, sur quelle base ?

Dans les états-majors concernés, on étudie les ripostes éventuelles et,
en particulier, la distinction qui existe entre les droits à la légitime
défense (chapitre 6 de la Charte des Nations unies) en cas d'agression
contre les convois et ce qu'impliquerait l'usage du droit à une
ouverture du feu (dans les conditions fixées par le chapitre 7 de la
Charte) s'il fallait d'autorité dégager la voie. C'est une décision de
principe délicate à prendre et elle devrait être arrêtée dans les heures
prochaines, si, comme il est envisagé, l'intervention commençait en fin
de semaine.

A ce jour, le volume des forces françaises engagées variera beaucoup
selon ces hypothèses et il sera aussi fonction du soutien en hommes ou
en matériels que les partenaires de la France apporteront. Du seul côté
français, indépendamment des autres contributions, dont ni la forme ni
la nature n'ont été encore dévoilées, il existe une hypothèse basse, de
l'ordre d'un millier de professionnels, et une hypothèse haute, de deux
mille hommes environ. En avril, lors de l'opération sur Kigali, qui
avait été baptisée « Amaryllis » en référence à une plante bulbeuse à
grandes fleurs rouges qu'on rencontre en Afrique, les Français avaient
déployé cinq cents hommes ; les Belges, quelque quatre cents, et les
Italiens, une centaine.

Les conditions, pour pénibles qu'elles furent, de la mission « Amaryllis »
n'ont apparemment rien à voir avec celles de l'opération projetée, qui
pourrait être plus risquée. Il n'en demeure pas moins que l'expédition
organisée en avril a été l'occasion de maints accrochages locaux. A
plusieurs reprises, des tireurs isolés ont pris à partie des convois, et
des commandos français ont dû répliquer à des fusillades.

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