Fiche du document numéro 15099

Num
15099
Date
Dimanche Novembre 2009
Amj
Taille
330211
Sur titre
Chronique bibliographique
Titre
Débats sur le Rwanda quinze ans après
Sous titre
Ouvrages commentés : 1/ Olivier LANOTTE, La France au Rwanda (1990-1994). Entre abstention impossible et engagement ambivalent, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2007, 533 p. 2/ Gabriel PÉRIÈS et David SERVENAY, Une guerre noire. Enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994), Paris, La Découverte, 2007, 414 p. 3/ André GUICHAOUA, Rwanda 1994. Les politiques du génocide à Butare, Paris, Karthala, 2005, 497 p. 4/ Jean-Paul KIMONYO, Le Rwanda, un génocide populaire, Paris, Karthala, 2008, 535 p.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Chronique bibliographique

Débats sur le Rwanda quinze ans après
Jean-Pierre Chrétien, Marcel Kabanda
Dans Politique africaine 2009/3 (N° 115), pages 211 à 220
Éditions Karthala

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ISSN 0244-7827
ISBN 9782811102838
DOI 10.3917/polaf.115.0211

211 LECTURES
Chronique bibliographique

Débats sur le Rwanda quinze ans après
Ouvrages commentés

Olivier LANOTTE, La France au Rwanda (1990-1994). Entre abstention
impossible et engagement ambivalent, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang,
2007, 533 p.
Gabriel PÉRIÈS et David SERVENAY, Une guerre noire. Enquête sur
les origines du génocide rwandais (1959-1994), Paris, La Découverte,
2007, 414 p.
André GUICHAOUA, Rwanda 1994. Les politiques du génocide à Butare,
Paris, Karthala, 2005, 497 p.

I

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l y a des coïncidences qui ressemblent à
des clins d’œil. Ce fut le cas le mercredi
23 septembre dernier à Paris. Ce jour-là, deux
femmes rwandaises étaient attendues, l’une
au Conseil d’État, l’autre dans le cabinet d’un
juge anti-terroriste. La première, Agathe
Habyarimana, en France depuis avril 1994,
a entendu le rapporteur public recommander
au Conseil d’État de confirmer le rejet de
demande d’asile prononcé par l’Ofpra deux
ans et demi plus tôt. La seconde, Rose Kabuye,
chef du protocole à Kigali arrêtée en novembre 2008 et entendue pour la quatrième fois
dans le cadre de la procédure d’instruction sur
l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du
président Habyarimana, a quant à elle vu
lever son contrôle judiciaire. Quand on sait
qu’Agathe Habyarimana, la veuve du président, est partie civile dans cette procédure,
on se dit que cette journée est la parfaite
illustration d’une politique française engluée
dans le dossier rwandais.
En 2006, le juge Bruguière, en charge de ce
dossier, avait émis des mandats d’arrêt inter-

nationaux contre neuf personnalités proches
de l’actuel président Kagame. Kigali avait
réagi en rompant les relations diplomatiques
avec Paris. On sait maintenant que cette instruction judiciaire a été menée à charge sur
une seule ligne d’accusation. Depuis quelques mois, des témoins cruciaux se sont en
effet rétractés, dénonçant le jeu de questionsréponses auquel ils auraient été soumis. C’est
le cas du lieutenant Abdul Ruzibiza 1. S’y est
ajouté un ancien opérateur radio des Forces
armées rwandaises à Gisenyi, Richard
Mugenzi. Celui-ci a révélé un élément sur
lequel l’équipe du juge Bruguière ne l’avait
pas interrogé, à savoir les méthodes de travail très particulières de son supérieur, le
colonel Anatole Nsengiyumva, responsable
du renseignement rwandais, mêlé à toutes
les manipulations extrémistes de l’époque, et
condamné en décembre 2008 par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR)
conjointement avec le colonel Théoneste Bagosora 2. En outre, le rôle joué à Kigali dans les
années 1992-1994 par l’ancien « gendarme

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Jean-Paul KIMONYO, Le Rwanda, un génocide populaire, Paris, Karthala,
2008, 535 p.

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de l’Élysée » Paul Barril fait l’objet de nouvelles
investigations 3. L’affaire rwandaise ressemble,
sur la scène française, tantôt à l’affaire
Dreyfus, tantôt à un rocambolesque roman
noir. Elle suscite aujourd’hui des polémiques
de bas étage 4 et une production littéraire
plus proche de la série SAS que de Joseph
Conrad 5 qui attestent une forme de sidération intellectuelle face à l’affaire rwandaise.
Cette fuite face aux vrais débats laisse ainsi
aux générations suivantes le soin d’explorer
les zones d’ombre de l’histoire des relations
entre la France et l’Afrique.
Pourtant, en ce qui concerne la dimension
humaine de cette tragédie, on dispose de la
trilogie de Jean Hatzfeld 6, des témoignages
d’Esther Mujawayo 7, de Berthe Kayitesi 8 ou
de Scholastique Mukasonga 9, ainsi que
du travail d’écriture encouragé dans les
années 1990 par Fest’Africa 10. Sur le plan
scientifique, les quatre ouvrages présentés
ici analysent les ressorts du basculement
de la société rwandaise dans la violence
de masse. Les deux premiers traitent du
problème de la politique française à cette
époque, les deux suivants de la compréhension des processus internes. Leurs positions
relativement contradictoires se révèlent aptes
à stimuler la réflexion.
La politique française au Rwanda de 1990
à 1994 a fait l’objet d’une thèse, soutenue
à l’Université catholique de Louvain par
Olivier Lanotte. L’ouvrage qui en a été tiré
en 2007 se présente comme une somme définitive de plus de 500 pages, dotée de tout
l’appareil critique souhaitable. L’effort d’objectivité est affiché : il s’agit non de juger, mais
de comprendre et de situer une intervention
politique et militaire perçue comme à la fois
inévitable et « ambivalente ». L’auteur aborde
successivement ce qu’il intitule « le premier
conflit rwandais », d’octobre 1990 à décembre 1993, puis le « deuxième conflit », entre
avril et août 1994. La vaste documentation

imprimée utilisée offre un tableau exhaustif
des tenants et des aboutissants de cette extraordinaire ingérence française dans l’Afrique
des Grands Lacs. Toutefois, ce tableau laisse
aussi une étrange impression de malaise,
comme s’il relevait simultanément de deux
niveaux de lecture (souvent concrétisés par les
divergences entre l’étage du texte et celui des
notes). D’une part, on trouve une analyse
incisive des logiques et des choix qui ont
conduit la France à se retrouver associée à des
partenaires impliqués dans la préparation
d’un génocide mais, d’autre part, une multiplication de discussions et d’interrogations,
tournant parfois à la chicane et à la polémique, visent méthodiquement à exonérer les
dirigeants français de l’époque d’une vraie
responsabilité dans la catastrophe. Ce jeu
de nuances aboutit en conclusion au constat
assez banal de l’impossibilité de la perfection
morale en politique et de la nécessité de se
salir les mains pour agir. On peut en convenir, à la réserve près qu’un génocide interpelle
l’opinion bien au-delà de cette posture a
priori modérée.
Ce livre entre pourtant dans le détail de
l’intervention militaire. Dès 1990, le choix
d’un appui durable à l’armée rwandaise est
fait, malgré les exactions du régime qui, en
octobre, ont conduit au retrait des Belges.
Une stratégie anti-guérilla (milices d’autodéfense, quadrillage du territoire) est mise
en place en 1991, avec les conseils du colonel
Canovas, venu en expert à Kigali de février à
avril 1991. En mars 1991, est créé le Détachement d’assistance militaire et d’instruction
(DAMI) « Panda », qui s’ajoute à l’opération
Noroît. Son chef, le lieutenant-colonel Chollet,
est également conseiller auprès de l’étatmajor rwandais. Même si, comme l’indique
l’auteur, cela n’avait « rien d’illégal », l’opposition démocratique protesta. Il est remplacé en
mars 1992 par un autre officier qui exerce
cette mission en uniforme rwandais, attestant
la familiarité entre les deux armées. Un

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Politique africaine n° 115 - octobre 2009

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avenant à l’accord de défense de 1975, signé
en août 1992, permet le développement de
cette aide, qui reste pourtant très discrète aux
yeux de l’opinion et des instances représentatives en France.
Le DAMI prend plusieurs formes : entraînements dans les différents camps militaires ;
formation d’officiers de police judiciaire et
lutte antiterroriste dans le cadre d’un « DAMI
gendarmerie », une activité qui suscite les
réticences du général Varret, alors responsable
de la coopération militaire à l’Ambassade,
inquiet de voir le « fichage » des Tutsi par le
gouvernement ainsi aidé ; enfin un mystérieux « DAMI GP » affecté à la Garde présidentielle et dirigé par un commandant issu
du Groupe de sécurité de l’Élysée. Tout cela
s’accompagne de cessions d’armes, mais
aussi d’une participation à des opérations
de police décrite par l’auteur comme « regrettable » parce qu’elle aurait prêté à confusion
sur un soutien français à la lutte contre les Tutsi
de l’intérieur.
La logique de cet engagement aurait été à la
fois de contenir le Front patriotique rwandais
(FPR) et de pousser Habyarimana à la démocratisation afin d’aboutir à un compromis.
L’auteur relève cependant les signes, de 1991
à 1994, d’un parti pris en faveur du pouvoir
du « peuple majoritaire ». L’ambassadeur de
France à Kigali, Georges Martres, minimise
les massacres du Bugesera de mars 1992.
Paris reste longtemps tiède à l’égard des
négociations d’Arusha, du moins jusqu’à la
formation du gouvernement de cohabitation
Balladur en mars 1993. À Kigali, le thème
d’un front hutu anti-FPR, cher aux extrémistes,
est privilégié aux dépens de l’opposition
démocratique, tandis qu’à Paris, l’Élysée
méprise les avis des intellectuels ou des associations qui le mettent en garde sur le danger
de génocide. Le rôle du président Mitterrand
dans l’adoption de cette ligne est souligné,
en particulier le succès d’une vision « militaroafricaniste » porteuse des slogans sur « l’empire

hima », les « Khmers noirs » et le « péril anglosaxon ».
Enfin, l’auteur note le maintien, d’avril à
juillet 1994, de relations politiques et militaires avec le gouvernement intérimaire et
l’alignement sur les positions de ce dernier
au sein du Conseil de sécurité, du moins
jusqu’au 16 mai, date à laquelle le ministre
des Affaires étrangères Alain Juppé reconnaît
officiellement le génocide, tandis que le président reste équivoque dans les cinq interventions publiques qu’il consacre à la question
entre avril et juin. Enfin vient l’opération
Turquoise avec ses ambiguïtés : des actions
« humanitaires », mais aussi l’existence d’un
autre plan qui devait aboutir à une partition
du pays, des actions menées par des groupes
du Commandement des opérations spéciales
(COS) dès le 22 juin (officiellement), date
du vote de la résolution 929 du Conseil de
sécurité, et, en juillet, l’appui logistique à
l’exfiltration de membres du gouvernement
génocidaire.
L’auteur fournit donc toutes les données du
problème. Il se situe dans la ligne du rapport
de la Mission parlementaire de 1998, mais
celui-ci allait plus loin en déplorant « une
sous-estimation du caractère autoritaire,
ethnique et raciste du régime rwandais 11 ».
La réticence à identifier l’enjeu crucial, à
savoir l’existence à Kigali d’une logique et
d’une pratique racistes focalisées sur l’exacerbation de la haine anti-Tutsi, se traduit
par les multiples réserves de l’auteur qui
relativisent ou atténuent les errements de
l’engagement décrits par ailleurs.
On ne peut donner ici que quelques exemples.
La Radio Télévision Libre des Mille Collines
(RTLM) n’aurait été captée dans tout le pays
qu’en avril 1994, d’après les dires d’un exilé
rwandais (p. 85), alors que l’enquête réalisée pour le TPIR montre que c’est le cas
dès le mois de février. Tous les attentats
des années 1992-1993 auraient été le fait
du FPR, l’auteur reprenant ici la thèse des

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services français (p. 97, 186 et 274), alors
que les enquêtes effectuées sur place à
l’époque par des associations de défense
des droits de l’homme et même par la justice
rwandaise avaient pointé du doigt des extrémistes hutu, notamment sur le meurtre de
l’opposant Félicien Gatabazi en février 1994.
Le prétendu « plan d’un empire hima-tutsi »,
qui a obsédé certains militaires français,
aurait été trouvé dans un document ougandais
(p. 202), alors que cet équivalent africain
des Protocoles des Sages de Sion avait été
diffusé au Rwanda dans l’organe raciste
Kangura dès novembre 1990 12. Les positions critiques de plusieurs membres du
Conseil de sécurité sont attribuées à l’influence du FPR ou, pour la Nouvelle-Zélande,
au souvenir du Rainbow Warrior (p. 413). Sur
le cas des survivants de Bisesero, alors que
cette tuerie et la myopie des militaires français, « informés » et intoxiqués par les cadres
locaux du génocide, sont attestées par l’enquête d’Alison Des Forges 13 depuis 1995,
l’auteur suggère que l’affaire n’est vraiment
sortie qu’en 2004-2005 et il se « pose des
questions sur la réalité des massacres ». L’inaction de fait à l’égard du gouvernement intérimaire, dont les membres auraient été
seulement « expulsés » (p. 438), est commentée par ce sophisme : « force est de constater
que la diplomatie française ne manifeste
aucune opposition de principe à l’idée de
poursuivre les responsables du génocide »
(p. 442)…
Cette approche biaisée repose sur un traitement étonnant des sources : les témoignages
de première main de rescapés (tels ceux de
Vénuste Kayimahe 14 ou d’Yvonne Galinier 15)
sont récusés comme partisans (p. 75-76 et
164), alors que des écrits pamphlétaires
récents, destinés à justifier rétrospectivement
la politique française, sont pris pour argent
comptant (p. 97 et 274). L’aveuglement des
« amis du régime Habyarimana » est certes
évoqué, sans aucun exemple (p. 322), mais

c’est pour mieux ranger les publications
critiques sur la logique récurrente des interventions françaises de 1990 à 1994 au rayon
des attaques « fantaisistes » et des « spéculations folles » censées « faire écho » à la propagande du FPR (p. 208, 323 et 449-450).
Cette vision caricaturale situe cet ouvrage
à une étape précise des polémiques francofrançaises sur le Rwanda. Après plusieurs
années de silence, les articles publiés en
janvier 1998 par Patrick de Saint-Exupéry
dans Le Figaro, puis les travaux de la Mission
d’enquête parlementaire ont rouvert le
dossier. Face à cela, dans les années 20002006, on a assisté à une mobilisation, culminant avec le livre de Pierre Péan 16 paru
en 2005, puis l’ordonnance Bruguière fin
2006, défendant une lecture du génocide
de 1994 qui se présentait comme une révision
des acquis fondamentaux de la Mission
parlementaire en affirmant que le FPR aurait
sciemment été responsable du génocide qui
allait lui permettre d’arriver au pouvoir.
Depuis, plusieurs éléments cruciaux de cette
thèse se sont fissurés. Piégé par le réseau des
écrits alors dominants qu’il cite abondamment, le livre d’Olivier Lanotte, pourtant
sérieux, aura vieilli plus vite que prévu. C’est
dommage.
Avec l’ouvrage de Gabriel Périés et David
Servenay, publié la même année, nous avons
au contraire un livre ouvertement à charge
quant à l’action de l’armée française au
Rwanda. Il est également bien documenté,
même si les références archivistiques sont
parfois lacunaires et la bibliographie absente,
les auteurs ayant décidé que « les africanistes français sont plutôt tournés vers les mystères dits du “champ” » (p. 178). La thèse,
bien construite, est celle de la rencontre fatale
d’une tradition militaire française et de l’histoire rwandaise.
Les auteurs, dont le premier est aussi un connaisseur des régimes militaires sud-américains,

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Politique africaine

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rappellent la constitution, après la défaite
de Dien Bien Phu, d’un courant favorable
au recours à la « guerre révolutionnaire » et
à l’« action psychologique ». Il s’agit, selon la
méthode des communistes chinois, d’encadrer
et de manipuler les populations civiles de
manière à contrecarrer les guérillas adverses.
Les colonels Lacheroy et Trinquier, grands
inspirateurs de cette école, ont ensuite trouvé
des terrains d’application en Algérie bien
sûr, mais aussi au Congo.
Or les auteurs ont retrouvé au Rwanda des
traces de ce modèle dans les programmes
de l’École supérieure militaire de Kigali,
réorganisée sous le régime de Juvénal
Habyarimana avec l’aide de gendarmes
français, conformément à l’accord signé
en 1975. Des officiers formés dans cette institution, notamment le général Paul Rwarakabije,
témoignent de la présence récurrente de la
« guerre révolutionnaire » dans les enseignements. Surtout, dès le début de l’intervention
française des années 1990, ces méthodes
sont mises en œuvre. Cela commence avec la
fausse nouvelle de l’attaque de Kigali dans
la nuit des 5-6 octobre 1990. Dans le programme du colonel Canovas de 1990
et 1991 destiné à restructurer l’armée rwandaise, figurent le quadrillage du pays en
« secteurs opérationnels », la formation accélérée, la mobilisation de réservistes (porte
ouverte aux milices) et « l’offensive médiatique » (p. 186). L’appui français à cet effort
pour mobiliser en fait tout le pays s’est traduit
par la création des DAMI en mars 1991.
Nous retrouvons ici les aspects bien décrits
dans le livre d’Olivier Lanotte, comme dans le
rapport de la Mission parlementaire de 1998,
par exemple les problèmes soulevés par la
coopération avec la garde présidentielle soupçonnée dès 1992 de « participer aux actions
de déstabilisation de l’opposition » (p. 207).
La logique de guerre révolutionnaire se
retrouve dans la « définition de l’ennemi »
établie par une commission de l’état-major

rwandais et dans le lancement de « l’autodéfense civile », dont les acteurs les plus
virulents sont Théoneste Bagosora et Anatole
Nsengiyumva. Or tous deux sont à la fois
d’anciens stagiaires de formations militaires
supérieures en France et des leaders du
projet génocidaire.
Cette généalogie intellectuelle qui semble
conduire de la théorisation de l’« action psychologique » dans le milieu militaire français
lié aux opérations outre-mer à la préparation
d’un génocide ouvre une piste évidemment
délicate. La limite entre implication dans un
processus qui nous échappe et complicité
plus ou moins tacite est fragile. Ce schéma
revient aussi à minimiser la part d’autres
discours dans les interventions décidées sous
la présidence de Mitterrand, à savoir le mythe
« démocratique » associé à la propagande
du « peuple hutu », l’a priori ethnicisant qui
filtre la lecture des problèmes africains et
l’obsession du péril anglo-saxon. Le choix
politique aurait-il été à ce point dépendant
d’un projet strictement militaire, voire dupé
par celui-ci ?
Les auteurs vont plus loin puisqu’ils voient la
main de ce courant français dans les méthodes de la « Révolution sociale » et de la
république hutu dès les années 1960. Les
indices sont alors particulièrement légers.
Des militaires belges ayant joué un rôle majeur
dans le succès du Parmehutu (Parti du Mouvement de l’Émancipation Hutu) entre 1959
et 1961, tels Louis Marlière et Guy Logiest, ont
été en contact avec les militaires français
spécialistes de la lutte anti-guérilla, par exemple lors de l’exercice Tornade organisé au
Katanga en 1957. C’est oublier que, pour
les Belges, les contacts et les modèles sont
aussi du côté de leurs homologues anglais et
américains dès le lendemain de la seconde
guerre mondiale. Quant au quadrillage
du pays par la loi communale de 1974 sous
le régime du parti unique MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le

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215 Chronique bibliographique

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D’autres ouvrages ont été publiés en anglais
sur ce thème, comme l’étude pionnière de la
journaliste Linda Melvern 18 ou la synthèse
sans nouveauté de Daniela Kroslak 19. Le
champ est loin d’être épuisé, compte tenu,
on l’a vu, des nombreuses zones d’ombre
qui subsistent. Il est toutefois impossible de
raisonner sur les aspects internationaux de la
crise de 1994 sans analyser également les
logiques internes qui ont abouti à la perpétration d’un génocide. De nouvelles études
consacrées à ce sujet ont été publiées ces
dernières années, en particulier l’ouvrage de
Scott Straus 20 (tiré d’une thèse soutenue
en 2004 à l’Université de Berkeley) qui, en

s’appuyant notamment sur les témoignages
de repentis, a apporté de nouveaux éclairages sur les processus qui ont conduit environ
200 000 individus, selon lui, à devenir des
tueurs au cours des trois mois fatidiques
de 1994. Les études de cas régionaux, vers
lesquelles nous nous tournons maintenant,
sont donc les bienvenues pour enrichir ce
type d’analyse.
André Guichaoua a été pendant plusieurs
années expert du TPIR, notamment dans le
procès dit « Butare ». L’ouvrage qu’il a publié
en 2005 est une synthèse de ses propres
recherches sur le terrain de cette préfecture,
complétées par ses échanges avec les avocats
de la défense et nourries par le dépouillement
des enquêtes du procureur sur quatre personnalités impliquées dans ce procès. Le dernier
tiers de l’ouvrage est consacré à la plus
éminente des personnes accusées, Pauline
Nyiramasuhuko, ministre de la Famille et
de la Condition féminine au sein du gouvernement intérimaire. La présentation et l’analyse de l’agenda d’une femme sans expérience
politique, mais que la situation avait placée
en position décisionnelle, représentent le
principal apport de ce livre. Après celui du
colonel Bagosora, c’est le second agenda
utilisé comme élément de preuve par le TPIR.
Il montre une activiste attentive aux situations,
qui prend des notes et consigne par écrit
ses analyses. Usant de son statut de femme
et de son sens pratique d’ex-assistante
sociale, connue pour ses amitiés intimes avec
le couple présidentiel Habyarimana, Pauline
Nyiramasuhuko a su s’imposer à ses pairs
et préserver l’héritage du général défunt et
de son épouse en exil.
En revanche, les deux premières parties sont
décevantes. L’auteur interroge l’élite intellectuelle et politique de Butare sur le moment et
les raisons du basculement de leur préfecture
dans les massacres. En ressort l’affirmation
d’une résistance collective de la plupart des

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Développement), il renvoie à une pratique
de type « léniniste » généralisée à toutes les
dictatures africaines des années 1970, capables, même quand elles s’affichaient comme
pro-occidentales, de prendre ce qui leur était
utile dans les régimes communistes. Les auteurs
sous-estiment aussi les particularités du parcours rwandais, marqué par l’empreinte du
populisme démocrate-chrétien. Le contexte
de la gestion militaire du Rwanda en tant
que territoire sous mandat puis sous tutelle
intervient aussi. Il a été bien étudié dans un
livre récent dont nous avons rendu compte
ici 17. Enfin, quand les auteurs sont fascinés
par « les fondements ancestraux d’une guerre
populaire » sur la foi d’un mémoire d’un
élève-officier de 1988, ils méconnaissent
les ruptures historiques et la spécificité de
la guerre dans les anciennes sociétés africaines. Si le modèle des États prussien et
français du XVIIe siècle en tant qu’États créateurs des armées de métier a attendu le
xxe siècle pour fonctionner en Afrique, la
monarchie rwandaise se distingue par une
spécialisation des tâches plutôt sophistiquée.
Ce livre ouvre donc des pistes de réflexion
incontournables, mais la volonté de tout ramener à un schéma explicatif unique y gomme
la complexité des situations historiques.

Politique africaine

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cadres de l’administration et de la population,
qui ne s’imaginaient pas en bourreaux de
leurs voisins (p. 258). Selon les personnes
interrogées, l’administration, très majoritarement hostile à la guerre civile, et la population métissée et indépendante d’esprit de
Butare n’auraient été soumises à la logique
du génocide qu’à partir du 19 avril, de façon
presque mécanique, suite aux interventions
personnelles du Président et du Premier ministre du gouvernement intérimaire (p. 326). La
région, épargnée par la guerre et où la population vivait en harmonie, aurait en fait été
trahie par ceux de ses ressortissants qui, par
ambition, s’étaient alliés à des forces étrangères à la région, c’est-à-dire des éléments
de la garde présidentielle, les miliciens Interahamwe, le parti CDR (Coalition pour la
Défense de la République), les réfugiés burundais et les groupes universitaires du Nord
(p. 255). Parmi ces traîtres à leur région,
sont bien évidemment cités le président
Théodore Sindikubwabo et la ministre Pauline
Nyiramasuhuko, alliés avec le MRND et le
Nord, ainsi que le Premier ministre Jean
Kambanda, accusé de soutenir le Mouvement Démocratique Républicain-Gitarama.
L’auteur soupçonne qu’il s’agit « d’éléments
d’une ligne de défense qui occulte généralement l’implication personnelle directe des
cadres et populations originaires qui alterna
entre passivité et réceptivité » (p. 266). C’est
sans doute le cas lorsque – exemple très
caractéristique – l’ancien bourgmestre de la
commune de Ngoma explique que « ce sont
des gens qui n’aimaient pas notre préfecture
qui sont venus l’enflammer » (note p. 265) et
que tout ce qui lui était demandé par ces
acteurs extérieurs était de ne pas agir : « il lui
suffisait de laisser se dérouler les événements,
de ne pas intervenir dans les logiques relevant
de “l’anarchie” en se dispensant, lorsque son
intervention était requise, d’être présent sur
les lieux et aux moments adéquats ou en y
déléguant d’autres personnes » (p. 274). C’est

sans doute aussi le cas lorsque ce bourgmestre se refuse à établir la distinction nécessaire entre « obéissance » et « consentement » :
« Je suis resté pour garder la vie… Cela
prouve que nous n’avions plus aucun pouvoir
de décision » (p. 275) ; « J’ai donné des instructions pour que ce qui était demandé
dans cette lettre du 21 avril soit exécuté et
que notamment les jeunes par secteur soient
recrutés et confiés aux gens chargés de
leur formation… Ma compétence était limitée
dans l’information et la transmission des décisions du gouvernement à la population. Ce
n’était pas mon devoir de contrôler le contenu
de la formation » (p. 277). Ce qui ne l’empêche pas de justifier les tueries en invoquant
l’argument de la guerre civile : « En ce qui
concerne les massacres à Butare, je ne suis
pas en mesure de dire si c’est un tel ou un tel
qui les a commis… Les Hutu tuaient les Tutsi.
Mais est-ce que quelqu’un peut être tué sans
se défendre ? Il y a donc eu des Hutu qui se
sont fait tuer » (p. 277).
Il est tout à fait possible que nombre de ces
témoins, qui ont requis l’anonymat, soient
sur la même ligne. Est-ce dans le prolongement des efforts méthodiques qu’il a fournis
pour gagner la confiance de ses interlocuteurs
que l’auteur lui-même utilise fréquemment
l’expression de guerre civile au lieu du terme
génocide : « Tout au long de la guerre civile »
(p. 167), « cadre général de la conduite
de la guerre civile sur le terrain » (p. 266),
« gestion polyvalente de tous les problèmes
liés à la guerre civile » (p. 279), « dimensions de la guerre civile » (p. 287) ?
Le but affiché de l’auteur était de comprendre.
Ses interlocuteurs se sont saisi des entretiens
pour s’expliquer, voire se justifier. En mettant
trop en avant leur supposée « virginité » et
le « viol » de leur région par le MRND et les
hommes politiques du Nord, ils ont toutefois
jeté un voile sur les ressorts du génocide
qui, pourtant, ont fonctionné également
dans le Sud. Il est dommage que, trop souvent,

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217 Chronique bibliographique

l’auteur se contente de reprendre ces discours
sans suffisamment les décrypter ni les référencer.

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En contrepoint, l’étude de Jean-Paul Kimonyo,
fondée elle aussi sur le cas de Butare, mais
également sur celui de Kibuye, propose une
approche sociologique et historique. Il faut en
effet comprendre concrètement la singulière
rapidité du génocide des Tutsi du Rwanda.
Dans un pays très faiblement urbanisé et sans
villages, qui ne disposait ni d’une technique
industrielle de mise à mort, ni d’une logistique
de transport performante, plus d’un million de
personnes ont été extraites des collines, où
elles étaient mêlées à d’autres dans des habitats dispersés, et ont été tuées, le tout en moins
de trois mois. Tout aussi singulière est la
participation d’une grande partie des civils
à cette campagne de mort. Elle a été constatée par les journalistes et les membres des
organisations humanitaires et se trouve
constamment rappelée et soulignée dans les
témoignages. Il ressort en effet de toutes les
enquêtes menées sur ce génocide que nombre de Hutu se sont engagés dans les tueries
avec autant d’assiduité que dans leurs travaux
agricoles ordinaires, le caractère rudimentaire des outils étant ainsi compensé par le
grand nombre de leurs utilisateurs. Toutefois,
si cette large participation des civils à la mise
en œuvre d’une politique meurtrière de l’État
permet de comprendre pourquoi celle-ci a si
efficacement et si rapidement fonctionné, il
reste à examiner les facteurs qui ont déterminé
des femmes et des hommes de tous les milieux
et de toutes les régions du Rwanda à adhérer
sans réserve à un projet visant à détruire
leurs concitoyens, voisins, collègues de travail
et amis. Pour tenter de le comprendre, JeanPaul Kimonyo a effectué des enquêtes orales
et a exploré les archives locales à Butare et
Kibuye. Au travers de l’histoire qu’il retrace
ainsi, il montre que le poids de la mémoire
de la révolution de 1959 et l’enracinement
de la haine ethnique ont déterminé les choix

et les comportements des individus bien plus
lourdement que la mainmise de l’État sur un
peuple habitué à obéir.
Ce travail remarquable, tiré d’une thèse soutenue à l’université du Québec à Montréal
en 2003, permet de mieux comprendre la
nature et les formes de cette participation
et de mesurer à quel point elle a constitué
un facteur décisif de la « performance » reconnue à ce génocide. Ce sont en effet les civils
qui ont fait sortir les futures victimes de leurs
maisons, les ont assassinées dans leurs « cellules » (subdivisions politico-administratives
des communes) ou les ont convoyées sur les
sites de grands massacres. Ce sont eux qui ont
débusqué ceux qui tentaient de se cacher
dans les buissons ou sous les toits d’amis
hutu, les ont empêchés de fuir en érigeant
des barrières sur les voies de passage ou
autour des centres de regroupement déguisés
en lieux de sécurité et en surveillant les
frontières avec les pays voisins du Rwanda
(p. 221). À lui seul, l’État rwandais n’aurait
jamais eu les moyens de préparer en si peu
de temps la mise à mort de tous les Tutsi.
Dans sa mise en œuvre, ce fut bien un génocide populaire.
Cependant, l’auteur rappelle aussi que « le
génocide a d’abord été un projet étatique
qui, en 1994, a saturé l’espace politique,
médiatique et social du pays » (p. 231). Son
étude vise donc à élucider ce qui, dans l’histoire politique interne à chaque communauté
de base, a rendu populaire le mot d’ordre
criminel de l’État. Cette étude est d’autant
plus intéressante qu’elle est menée dans des
régions réputées moins sensibles aux influences de l’État central, celles de Butare et de
Kibuye, et que l’enquête sur laquelle elle
s’appuie est un modèle du genre. Le chercheur a rencontré les victimes, leurs proches,
les témoins et les bourreaux. Les témoignages
des uns et des autres sont largement exposés.
En confrontant les propos oraux aux sources
écrites, il nous renseigne également sur la

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218 LECTURES

Politique africaine

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situation et la richesse des archives. Enfin,
la prise en compte de la longue durée constitue également un élément notable de cette
recherche.
De ce point de vue, l’auteur met en évidence
la corrélation entre l’implantation des partis
politiques en 1992 et la carte des élections
communales de juin 1960. Le Parti social
démocrate (PSD) s’est implanté dans les zones
dominées par l’Aprosoma (Association pour
la Promotion Sociale de la Masse) dans les
années 1960, tandis que le MDR s’est établi
dans les régions qui, pendant la période révolutionnaire, avaient été largement gagnées
à l’idéologie du MDR-Parmehutu. Fait plus
significatif, le MDR pouvait, à la différence
des autres partis, faire figurer les noms de
deux paysans sur la liste des signataires de
ses statuts (p. 192), signe de son audience
dans le milieu rural.
Selon les mêmes sources, aux convulsions
consécutives à la relance du multipartisme
fin 1991 se sont ajoutés des désordres sociaux
causés par la faim et la pauvreté et qui, depuis
plus d’une dizaine d’années, associaient
la désobéissance vis-à-vis de l’État, la
délinquance, le vol et le meurtre. D’après les
services de sécurité, c’est dans les communes
d’implantation du PSD que le taux de criminalité le plus élevé était observé. Pourtant,
au moment du génocide, ce n’est pas dans
ces communes que les tueries ont débuté.
Bien plus, c’est dans ces communes que des
Hutu et des Tutsi ont organisé de façon solidaire la résistance au génocide, même après
l’appel officiel aux massacres lancé par le
gouvernement intérimaire le 19 avril 1994 à
Butare. C’est dans le sud-ouest de cette préfecture, bastion du MDR, que le génocide a
commencé, bien avant le 19 avril. Sans pour
autant exonérer l’État-MRND, cela montre
que l’impulsion initiale du génocide à Butare
est venue du MDR, et surtout de sa faction
Power. C’est aussi la preuve que le génocide
n’a pas été un simple prolongement des

désordres sociaux. Autrement dit, l’antagonisme ethnique inspiré par l’idéologie
du Parmehutu et favorisé par un contexte de
désespérance sociale a été plus déterminant
que la volonté de puissance du MRND.
À Kibuye, les témoignages recueillis par
l’auteur imputent la propension à l’action
violente contre les Tutsi à un mélange de
motivations idéologiques et de gratifications
matérielles. Ils font constamment référence
au réveil de la haine ethnique, mais aussi à
l’espoir des tueurs de s’emparer des biens
des victimes. À l’examen de ces mêmes témoignages, il apparaît que les deux aspects
renvoient, en fin de compte, à l’idéologie
et à la pratique du MDR. Depuis les années
1980, la violence était devenue endémique.
Bien avant la guerre, en raison du manque
de terres et les récoltes étant de moins en
moins suffisantes, les conflits fonciers, les vols
et les meurtres étaient très fréquents. Dans
nombre de cas, les paysans en quête de
terres ont envahi le domaine public, arraché
des plantations de l’État pour les remplacer
par les cultures vivrières. Lorsque le MDR
est apparu fin 1991, les paysans se sont
souvenus du Parmehutu 21. Le lien entre le
MDR-Parmehutu des années 1960 et le MDR
rénové s’est encore plus imposé à leur
esprit lorsque le MDR a entrepris en 1992
d’évincer par la force (actions de kubohoza,
littéralement « libérer ») les représentants du
parti-État MRND dans les régions du centre
et du sud du pays. Une grande partie de la
paysannerie a été entraînée dans la violence
par le nouveau MDR en croyant rejouer
l’époque bénie de la révolution, durant
laquelle on avait pu s’enrichir en expropriant
les puissants. Ils ont d’autant plus spontanément adhéré à ce parti qui défiait l’État
qu’ils étaient eux-mêmes depuis quelques
années en rupture avec l’autorité. Dans la
préfecture de Kibuye, les premiers massacres ont été commis dans les communes
qui abritaient une importante population

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219 Chronique bibliographique

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tutsi, Mabanza et Gishyita. Dans la commune de Gitesi, les enquêtes montrent que,
dans plusieurs secteurs, les Tutsi ont été tués
dans leur « cellule » d’habitation et par leurs
voisins immédiats.
« Un génocide populaire » est un titre qui
surprend : un génocide est un crime d’État.
Mais la lecture est gratifiante. L’étude de
Jean-Paul Kimonyo montre que les exécutants du génocide n’ont pas agi par contrainte
ou par obéissance atavique, mais bien en
phase avec ceux qui au sommet de la sphère
politique, en avaient conçu le projet. Elle
montre aussi que si l’État-MRND porte la
responsabilité de l’initiative et de la conduite
du génocide, il a été servi par ceux qui ont
fait dériver le MDR « rénové » vers une propagande faisant des Tutsi les boucs émissaires
de toutes les difficultés et qui appelait le « peuple majoritaire » à se mobiliser pour défendre
les acquis de la révolution initiée par le
MDR-Parmehutu. Cet ouvrage, dont l’approche est comparable à celle de Scott Straus
citée plus haut, montre, concernant la société
rurale, l’échec de l’ouverture démocratique
des années 1990.

6. J. Hatzfeld, Dans le nu de la vie. Récits des marais
rwandais ; Une saison de machettes ; La Stratégie
des antilopes, Paris, Seuil, respectivement 2000, 2003
et 2007.
7. E. Mujawayo et S. Belhaddad, Les SurVivantes, La
Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2004 ; La Fleur de
Stéphanie. Rwanda entre réconciliation et déni, Paris,
Flammarion, 2006.
8. B. Kayitesi, Demain ma vie. Enfants chefs de famille
dans le Rwanda d’après, Paris, Laurence Teper, 2009.
9. S. Mukasonga, Inyenzi ou les Cafards ; La Femme
aux pieds nus, Paris, Gallimard, respectivement 2006
et 2008.
10. Notamment B. B. Diop, Murambi. Le Livre des
ossements, Paris, Stock, 2000 ; T. Monénembo, L’Aîné
des orphelins, Paris, Seuil, 2000 ; K. Lamko, La Phalène
des collines, Paris, Le Serpent à plumes, 2002 [Butare,
Kuljaama, 2000].
11. Assemblée nationale, Enquête sur la tragédie rwandaise (1990-1994). Rapport d’information par la mission d’information de la Commission de la défense
nationale et des forces armées et de la Commission
des affaires étrangères sur les opérations militaires
menées par la France, d’autres pays et l’ONU au
Rwanda entre 1990 et 1994, 4 vol., Paris, 1998,
telechar/r1271.pdf>.
12. J.-P. Chrétien (dir.), Rwanda. Les médias du génocide, Paris, Karthala, 1995, p. 162-166.
13. Human Rights Watch/FIDH, Aucun témoin ne doit
survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala,
1999, p. 253-257.
14. V. Kayimahe, France-Rwanda : les coulisses du
génocide. Témoignage d’un rescapé, Paris, Dagorno/
L’Esprit frappeur, 2002.
15. Agir Ici/Survie, L’Afrique à Biarritz. Mise en examen
de la politique française (Biarritz, 8 et 9 novembre 1994),
Paris, Karthala, 1995, p. 134.
16. P. Péan, Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda
1990-1994, Paris, Mille et une nuits, 2005.
17. P. et J.-N. Lefèvre, Les Militaires belges et le Rwanda
(1916-2006), Bruxelles, Racine, 2006 (voir Politique
africaine, n°107, octobre 2007, p. 211).
18. L. Melvern, A People Betrayed. The Role of the West
in Rwanda’s Genocide, Londres, Zed Books, 2000.
19. D. Kroslak, The French Betrayal of Rwanda,
Bloomington, Indiana University Press, 2007.
20. S. Straus, The Order of Genocide. Race, Power, and
War in Rwanda, Ithaca, Cornell University Press, 2006.
21. J. Bertrand, Rwanda. Le piège de l’histoire. L’opposition démocratique avant le génocide (1990-1994),
Paris, Karthala, 2000.

Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda
Centre d’études des mondes africains (CEMAf ),
CNRS – Université Paris I – Panthéon-Sorbonne

1. Également auteur de Rwanda. L’histoire secrète,
Paris, Panama, 2005.
2. B. Collombat, « Génocide rwandais. Le témoin clé
qui contredit le juge Bruguière », France Inter, 3 septembre 2009 ; P. Bernard, « Génocide rwandais : un témoin
clé se rétracte », Le Monde, 25 août 2009.
3. Voir S. Coma, « Rwanda. Quand Barril enfumait les
médias » et « Génocide rwandais. Besoin d’armes ? Tapez
Barril.fr », Charlie Hebdo, 16 et 23 septembre 2009.
4. Voir par exemple P. Péan, Le Monde selon K., Paris,
Fayard, 2009.
2. Voir P. Besson, Mais le fleuve tuera l’homme blanc,
Paris, Fayard, 2009.



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