Fiche du document numéro 1499

Num
1499
Date
Vendredi 17 juin 1994
Amj
Taille
30434
Surtitre
Agir mais comment?
Titre
Alors qu'un calme relatif règne à Kigali Alain Juppé affirme que la France pourrait prendre l'initiative d'une intervention au Rwanda
Soustitre
Si les combats et les massacres se poursuivaient la France pourrait prendre l'initiative d'une intervention au Rwanda.
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, a annoncé, mercredi 15 juin, que la France serait prête à intervenir au Rwanda avec ses principaux partenaires européens et africains, si les massacres continuent et si le cessez-le-feu n'est pas respecté . Cette intervention aurait pour but de protéger les groupes menacés d'extermination , a précisé le chef de la diplomatie, qui a fait cette déclaration après un conseil des ministres restreint auquel assistait le président François Mitterrand. Un calme relatif régnait à Kigali, mercredi après-midi et jeudi dans la matinée, après l'annonce du cessez-le-feu négocié en marge du sommet de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) à Tunis.

Si Alain Juppé comptait sur un effet d'annonce, il a réussi : le ministre des affaires étrangères a créé la surprise en déclarant, mercredi, que la France serait prête à intervenir au Rwanda avec des partenaires européens et africains. Malheureusement, le propos du ministre se limite pour l'instant à une déclaration d'intention, dont on ne voit pas encore de quoi elle sera suivie, en cas de passage à l'action.

Il faut agir, dit-on au Quai d'Orsay où l'on revendique l'initiative. Après plus de deux mois de léthargie à l'échelle internationale, les massacres succédant aux massacres, la pression de l'opinion publique est devenue trop forte : « On ne peut plus supporter ça », explique-t-on dans l'entourage du ministre. Mais autant les justifications avancées sont claires et nobles, autant les modalités d'une éventuelle intervention sont floues.

Avec qui ? La France consulte les Belges, les Allemands, les Italiens, ainsi que plusieurs pays africains, et devait évoquer la question avec George Moose, le chargé des affaires africaines du département d'Etat, ce jeudi à Paris. Or on imagine mal la Belgique se lancer dans une opération au Rwanda, après l'assassinat de dix de ses « casques bleus », le 7 avril à Kigali. L'Allemagne, qui avait exceptionnellement passé outre sa Constitution pour pouvoir envoyer des hommes en Somalie, a pour sa part été échaudée par l'opération.

Quant aux Américains, ils ont quitté Mogadiscio traumatisés et ne sont pas prêts à risquer la vie d'un seul « marine » en Afrique. Alain Juppé a certes suggéré à Boutros Boutros-Ghali de prélever « deux mille ou trois mille » des dix-huit mille « casques bleus » (asiatiques et africains) encore présents en Somalie. Le nombre de « partenaires » putatifs de la France n'en demeurent pas moins très limité.

Avec quel mandat ? « Protéger les vies, exclusivement, a affirmé le chef de la diplomatie, protéger les groupes menacés d'extermination ». Encore une fois, l'intention est plus que louable. Mais peut-on protéger les vies sans intervenir l'arme à la main ? Or l'un des deux belligérants, le Front patriotique rwandais (FPR), a toujours dit qu'il n'admettrait jamais la présence de soldats français sur le sol rwandais, dans la mesure où l'armée française avait pris position aux côtés de la partie adverse, de 1990 à 1993. Comment la France, considérée comme la moins neutre des puissances occidentales, pourrait-elle passer outre les avertissements du FPR ?

Quand ? « Il n'y a plus un jour à perdre, dit-on au Quai d'Orsay, ça peut se faire dans les jours qui viennent. » L'intervention doit avoir lieu « si les massacres continuent et si le cessez-le-feu n'est pas respecté ». Paris attendait, avant d'agir, une initiative africaine. Elle est venue de Tunis, où les belligérants se sont engagés à respecter un cessez-le-feu, en marge du sommet de l'Organisation de l'unité africaine. Le processus a donc été lancé. Mais il ne pourra être engagé sans une autorisation des Nations unies et sans partenaires.

S'agirait-il ensuite d'une opération sous commandement français ? Tout est ouvert, semble-t-il.

La Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR), qui doit compter 5 500 hommes, n'étant pas prête à se déployer avant plusieurs semaines, l'essentiel, dit-on à Paris, est d'agir vite, de lancer une dynamique, de montrer qu'il existe une volonté politique ailleurs qu'en Afrique, les Africains eux-mêmes venant de la manifester à Tunis. L'intention est généreuse, mais peut-être eût-il été plus sage, avant d'évoquer l'envoi de militaires français sur le terrain, d'avoir un début de réponse aux multiples questions que soulèverait une éventuelle intervention.

Il serait mesquin de ne voir dans cette initiative qu'une opération politicienne franco-française. Il n'en reste pas moins qu'Alain Juppé a affirmé mardi souhaiter « qu'on ne voit pas se multiplier la présence de personnalités sans mission officielle systématiquement accompagnées de photographes et de journalistes, car cela a plutôt tendance, en l'état actuel des choses, s'[il] en croit le général canadien qui commande la MINUAR, à compliquer notre travail plutôt qu'à l'aider ». De là à penser que Bernard Kouchner, parti mercredi pour le Rwanda, aiguillonne le Quai d'Orsay... On aurait préféré, de loin, que la mise en mouvement de notre diplomatie et de nos forces armées soit exclusivement la conséquence d'une prise de conscience des limites à l'horreur acceptable, en Afrique comme ailleurs.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024