Fiche du document numéro 14777

Num
14777
Date
Jeudi 17 décembre 1998
Amj
Taille
155141
Titre
Enquêtes sur un attentat
Sous titre
Qui a abattu l'avion du président rwandais, le 6 avril 1994, déclenchant le massacre de 800 000 personnes? C'est ce que cherchent à savoir le juge Bruguière et la mission menée par Paul Quilès
Nom cité
Source
Type
Langue
FR
Citation
Qui a tiré un missile sur le Falcon 50 du président rwandais Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994 à 20 h 30, à Kigali? Cet attentat prémédité, qui a également coûté la vie au président du Burundi, Cyprien Ntaryamira, allait déclencher les premiers massacres de ce qui deviendra le génocide du Rwanda (800 000 morts). Le juge Jean-Louis Bruguière et la Direction nationale antiterroriste de la PJ, qui enquêtent sur cet attentat politique depuis le 27 mars dernier, ne vont pas manquer de lire à la loupe le copieux rapport (1 800 pages) de la mission d'information parlementaire sur le Rwanda, présenté mardi 15 décembre par son président, Paul Quilès.

Le juge Bruguière instruit à la suite d'une plainte déposée par Sylvie Minaberry, la fille de l'un des trois membres d'équipage français décédés lors de l'attentat. La fille du président défunt, Jeanne Habyarimana, a raconté, le 24 août, les circonstances de l'attentat, auquel elle a assisté. La résidence du président rwandais jouxtait, en effet, la piste d'atterrissage. Alors que l'avion s'apprêtait à se poser, elle a entendu deux détonations. Le Falcon 50, touché au réacteur, a alors explosé, tandis que - détail effroyable - des débris et des corps tombaient dans la cour de la résidence. Son frère Jean-Luc, qui était à ce moment-là dans la piscine, a, lui, cru entendre trois détonations. Un autre membre de la famille ainsi que l'épouse du président rwandais ont également livré leur témoignage à la justice française. Ils ont conseillé au magistrat d'entendre le major Aloys Ntabakye, ancien chef des commandos parachutistes rwandais, déjà visé par le Tribunal pénal international. Il aurait interrogé, peu après l'attentat, des paysans qui auraient vu les utilisateurs des missiles et l'emballage des armes. Enfin, l'ancien Premier ministre du Rwanda Faustin Twagiramungu a, lui aussi, été reçu par le juge.

Le magistrat devrait, comme à l'accoutumée, lancer une vaste enquête internationale. Elle pourrait l'emmener jusqu'au Rwanda. D'autant qu'il devrait intégrer prochainement à son dossier le rapport Quilès. Le rapporteur, Bernard Cazeneuve (PS), qui s'est lui-même rendu à Kigali, a recueilli de très nombreux éléments, parfois inédits, sur l'attentat. La commission a tout d'abord tenté d'identifier les commanditaires de l'attentat. Deux pistes ont été privilégiées. La première concerne l'akazu, un clan extrémiste hutu, ethnie à laquelle appartenait pourtant le président Habyarimana. Cette frange radicale n'aurait pas supporté les accords de paix avec l'autre ethnie, tutsie.

Une photo inédite



Seconde hypothèse: l'implication du Front patriotique rwandais (FPR), les « rebelles » tutsi. Minorité ethnique, ils ne pouvaient espérer accéder au pouvoir qu'au terme d'un coup d'Etat, et donc de cet attentat. C'est eux qui auraient tiré le missile depuis le lieu-dit « la Ferme », une colline à proximité de l'aéroport.

Mais d'où provenaient les missiles Sam 16 qui ont détruit l'avion? La commission publie une photo inédite d'un missile de ce type prise à Kigali le jour (ou le lendemain) de l'attentat. Le numéro de série correspond à celui d'un stock livré à l'Ouganda, saisi ensuite par le FPR. Un télégramme diplomatique de l'ambassade de France au Rwanda, daté du 22 mai 1991, signalait déjà que les rebelles tutsi du FPR disposaient de ce genre de missile. Ce que ses dirigeants ont nié face à Bernard Cazeneuve. Mais l'origine de cette photo, remise par le ministère de la Défense français, reste mystérieuse - d'autant que ce missile, encore intact, n'a apparemment pas été tiré...
Enfin, la mission d'enquête parlementaire publie un document poignant: une lettre manuscrite du pilote de l'avion du président Habyarimana, qui, le 28 février 1994, demande conseil à un collègue resté en France. « Nous sommes quasi certains qu'il y a des missiles Sam 7 et autres qui nous menacent, écrivait-il. (...) Que peut-on faire pour ne pas se faire prendre? Quelle altitude de sécurité adopter? » Cinq semaines plus tard, l'avion explosait en vol. Malgré le travail de la commission parlementaire, cet attentat garde toujours sa part de mystère. La justice peut aujourd'hui prendre le relais.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024