Fiche du document numéro 14674

Num
14674
Date
Mardi 23 août 1994
Amj
Taille
114237
Titre
La colère des humanitaires
Sous titre
Près de Bukavu, au Zaïre, situé à quelques encablures de la frontière rwandaise, les réfugiés affluent dans les camps. Les organisations humanitaires sont déjà débordées et se plaignent.
Page
10
Cote
no 15559
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
UN des envoyés spéciaux de l'AFP s'est rendu dans l'un des camps qui accueillent les nouveaux réfugiés rwandais. Voici son récit :

« A 35 km au nord de Bukavu (Zaïre), dans le camp de réfugiés d'Inera 1 qui compte 15.000 personnes (un Inera 2 pourrait s'ouvrir à proximité aujourd'hui), la colère commence à monter chez les responsables du camp. « C'est un scandale. Cela fait des semaines que l'on aurait pu organiser ce camp, cela fait des semaines qu'on aurait pu être prêts. Et, au lieu de cela, nous sommes au bord de la catastrophe », affirme une religieuse médecin espagnole.

« Nous savions ce qui allait se passer. Ce camp n'a été ouvert qu'il y a trois jours, il est déjà plus que saturé : au-delà des 15.000, nous ne savons même pas combien de gens sont concentrés ici. Et moi, je n'ai même pas de tabouret », ajoute sa voisine, espagnole elle aussi. Assise sur son coupe-vent en nylon, elle prodigue des soins à quelques blessés arrivés dans la matinée : vieilles blessures à la machette mal soignées, mais surtout pieds abîmés et infectés après des dizaines de kilomètres de marche sur les routes et à travers les champs. Parmi les 105 « malades » en consultation, qui forment une autre file d'attente à côté des « blessés », on a constaté, dimanche, 25 cas de dysenterie.

Même amertume parmi la quinzaine de nutritionnistes, médecins, infirmières, tous espagnols, envoyés par Caritas Espagne, tous anciens du Rwanda, parlant le kinyarwanda et sachant réconforter les plus affligés. Inera 1 n'a pas reçu de nourriture depuis son ouverture samedi. Les « sheetings », ces bâches de plastique données par le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), ne sont arrivés qu'hier matin, bien après le terrible orage de pluie et de grêlons qui s'est abattu dimanche soir sur le camp.

Inera 1, c'est d'abord une colline entourée de brouillard. En s'approchant, ce brouillard se révèle être la fumée de milliers de petits foyers. Une fumée dense, acre, qui reste et dont l'odeur imprègne tout, une odeur de bois vert qui a brûlé sans avoir séché. Quelque 15.000 Rwandais, qui ont tous transité par la ville zaïroise de Bukavu, sont arrivés à Inera, certains par des autocars affrétés par Caritas. A leur arrivée, on leur a distribué une bâche par famille, une couverture pour ceux qui n'en ont pas et un bidon.

« Moi j'ai vingt-quatre ans de Rwanda, je suis nutritionniste, je suis avec les miens. » Cette religieuse dominicaine n'a qu'un seul regret : « Si seulement je pouvais être journaliste, pour dire que le HCR se moque de nous. Ce camp aurait pu être merveilleusement organisé. Encore heureux, depuis hier nous avons un toit. » Le toit en question est une bâche plastique de 4 mètres carrés, fichée sur quatre piquets de bambou.

Si les religieuses de Caritas sont tellement furieuses contre le HCR, c'est d'une part parce que pour elles, qui connaissent le terrain et surtout les populations, l'exode était prévisible et l'accueil aurait donc dû être organisé. Et d'autre part parce qu'elles ont le sentiment que le HCR, émanation des Nations unies, « fait de la politique au lieu de s'occuper des réfugiés ».

Et alors que certains responsables du HCR évoquent les difficultés de négociation avec les autorités locales, le père Pablo répond : « Nous avons proposé ce site il y a trois semaines parce qu'il était adéquat et qu'il avait de l'eau. Le HCR a refusé. Maintenant, ils acceptent. Pourquoi avoir attendu trois semaines ? Ce que je sais maintenant, c'est qu'il me faut me dépêcher de construire un cimetière. »

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024