Fiche du document numéro 14272

Num
14272
Date
Mercredi 13 juillet 1994
Amj
Taille
138004
Titre
Les pièges de l'opération « Turquoise »
Sous titre
Le premier ministre français a affirmé que les troupes françaises seront retirées dès qu'un « relais » sera assuré. La zone dite de sécurité attire de plus en plus de réfugiés ainsi que des miliciens. La situation humanitaire y devient préoccupante.
Page
10
Cote
no 15524
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
L'INTERVENTION française au Rwanda se prolongera-t-elle au-delà du 31 juillet, date limite qu'en son temps le chef du gouvernement français avait lui-même solennellement fixée ?

L'ambiguïté des réponses à cette question, faites par Edouard Balladur lundi soir devant le Conseil de sécurité de l'ONU laisse à craindre le pire. Certes, a affirmé le premier ministre, la France n'a qu'une hâte de quitter le Rwanda, mais dans le même temps on indiquait dans les milieux diplomatiques français à l'ONU, que, faute de « relève », « on ne partira pas du jour au lendemain, on examinera la situation le 31 juillet ». Ce qu'a confirmé mardi Alain Juppé en déclarant : « Le 31 juillet minuit n'est pas une date fatidique. » Le ministre des Affaires étrangères a expliqué : « Notre objectif, c'est d'organiser une relève progressive et nous avons cru savoir à partir de quel moment les Nations unies pouvaient être présentes sur le terrain. Les réponses qui nous ont été données ont été à moitié satisfaisantes ». Et, dans la foulée, le ministre de la Défense, François Léotard, s'est interrogé en ces termes : « Comment partir sans que quelqu'un soit là pour prendre le fardeau à notre place ? »

« Les difficultés que les Nations unies ont pour mettre sur pied cette opération MINUAR II sont connues. Or, le drame humanitaire qui se déroule dans cette province du sud-ouest est un désastre sans précédent », a indiqué le ministre de la Défense. C'est bien là que se trouvent les questions de fond que pose depuis le début l'opération « Turquoise », dont les effets pervers se révèlent aujourd'hui au grand jour.

Pourquoi les pays africains mettent-ils « si peu d'enthousiasme » à « prendre le relais » ? La réponse est venue d'un chef d'Etat d'un pays réputé ami de la France, le président ivoirien. « Les pays africains auraient dû assumer cette responsabilité », mais « ils n'ont ni argent ni matériel pour transporter leurs troupe », a déclaré mardi au « Figaro », Henri Konan Bédié. Si les autorités françaises avaient effectivement, comme elles l'affirment, comme unique volonté de sauver des vies humaines, pourquoi n'ont-elles pas mis à disposition des Africains les énormes moyens qu'elles ont mis en oeuvre pour l'opération « Turquoise » ainsi que les financements nécessaires, plutôt que d'intervenir directement ?

A Kigali, où devrait arriver jeudi Faustin Twagiramungu, le premier ministre désigné par les accords d'Arusha chargé de former un gouvernement, Jacques Bihozagara, l'un des principaux dirigeants du Front patriotique rwandais (FPR) a déclaré : « Nous demandons à la France de respecter ses engagements même si les Nations unies ne sont pas prêtes à prendre le relais ». Et il a ajouté : « Aujourd'hui, alors que tous les réfugiés sont autorisés à rentrer chez eux et qu'ils le font massivement, un tel maintien signifierait retenir des Rwandais en otages », car, « maintenir des gens dans des zones où la famine est endémique, c'est de toute évidence vouloir aggraver ces problème ».

La situation humanitaire dans le sud-ouest rwandais, devient effectivement catastrophique. L'enclave sous contrôle français, où le corps expéditionnaire accueille indifféremment les tueurs et leurs victimes, est devenue au fil des jours un véritable piège humanitaire. Des centaines de milliers de Rwandais, paniqués par les miliciens qui leur font croire que les forces du FPR vont les massacrer, affluent dans cette région inhospitalière. Il en va de même dans le nord-ouest : environ cinq cent mille personnes convergent actuellement vers Gisenyi, où les résidus du pseudo-gouvernement intérimaire et leurs miliciens se sont réfugiés sous la protection de l'armée française.

Face à l'urgence, l'organisation humanitaire Action internationale contre la faim (AICF) a décidé de prendre en charge, dès la fin de cette semaine, 100.000 enfants faisant partie de 500.000 réfugiés dans le sud-ouest rwandais. Mais, a souligné AICF, cette action ne se réalisera que sous la coordination du département des affaires humanitaire de l'ONU, « seule instance garante de la neutralité des organisations non gouvernementales. »

MICHEL MULLER.

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