Fiche du document numéro 1422

Num
1422
Date
Vendredi 29 avril 1994
Amj
Taille
153188
Titre
La malédiction d'une théorie coloniale
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le mythe hamitique a la vie dure. Il veut que des peuplades « éclairées », venues d'Egypte ou d'Ethiopie, aient apporté la civilisation aux
Bantous vivant au coeur de l'« Afrique des ténèbres ». Malgré les
travaux des chercheurs qui, depuis vingt ans, affirment que cette
théorie coloniale, permettant d'expliquer selon la mentalité et les
préjugés de l'époque l'existence de royaumes bien organisés au coeur du
pays « nègre », n'a jamais pu être prouvée.

A partir des différences physiques distinguant les « longs » Tutsis des
« courts » Hutus, les historiens ont écrit une histoire à leur
convenance. Les Tutsis, pasteurs hamites, seraient arrivés d'Ethiopie au
XVIe siècle, et auraient fait souche, asservissant les Hutus,
agriculteurs bantous, qui eux-mêmes auraient rélégué les pygmées twas au
fin fond des forêts.

« Mais, contrairement à la migration des Luos vers l'Ouganda ou des
Maasais en Tanzanie,
explique Jean-Pierre Chrétien, chercheur, aucune
preuve linguistisque ou historique n'est venue étayer cette théorie.
 »
En effet, Tutsis et Hutus partagent la même langue, s'exprimant en
kirundi au Burundi et en kinyarwanda (un parler apparenté) au Rwanda.
Plus rien dans leurs traditions culturelles ne laisse deviner un passé
différent.

Ces deux groupes humains seraient probablement entrés en contact
beaucoup plus tôt, peut-être dès le début de notre ère. Quoi qu'il en
soit, la théorie coloniale a fini par imprégner les mentalités locales
et par convaincre Tutsis et Hutus de l'existence de dominants et de
dominés, cristallisant peu à peu des clivages ethniques qui, avant
l'irruption, dans la région, des premiers explorateurs (Burton et Speke
en 1858), suivis des missionnaires, n'étaient sans doute que sociaux. En
1896, le royaume du Rwanda-Urundi est intégré au protectorat colonial
allemand. Après la première guerre mondiale, il est placé sous le mandat
de la Société des nations et administré par la Belgique jusqu'à
l'indépendance du Rwanda et du Burundi en juillet 1962. Les deux pays,
peuplés identiquement d'environ 85 % de Hutu, 14 % de Tutsis et 1 % de
Twas, suivront pourtant un destin différent.

Au Rwanda, la sanglante révolte de 1959, amenée probablement par la
domination exclusive de quelques familles tutsies sur le pays, permet
aux Hutus de s'emparer du pouvoir et jette en exil la moitié des Tutsis.
Depuis, les Hutus défendent avec acharnement les acquis de leur « révolution sociale ». De 1961 à 1966, le régime rwandais repousse une
série d'attaques lancées par les réfugiés tutsis à partir du Zaïre, du
Burundi ou de la Tanzanie. Chaque agression déclenche des représailles
contre les Tutsis de l'intérieur, ainsi qu'une radicalisation des
sentiments anti-tutsis.

En 1973, le coup d'Etat du général Juvénal Habyarimana, originaire de
Gisenyi, marque l'arrivée des Nordistes au pouvoir alors que, depuis
1963, les Sudistes ont progressivement pris le contrôle des
institutions, sous la houlette du président Grégoire Kayibanda, chef du
Parti de l'émancipation du peuple hutu (Parmehutu). Le nouveau régime se
dote, en 1975, d'un Mouvement révolutionnaire national pour le
développement (MRND) avec l'objectif affiché d'éradiquer les haines
ethniques et régionales. Mais le rééquilibrage des pouvoirs entre le Sud
et le Nord n'aura jamais lieu.

Le 1er octobre 1990, les combattants du Front patriotique rwandais (FPR)
envahissent le nord du pays, venant d'Ouganda, où ils bénéficient d'une
base arrière grâce à la complicité de leurs compagnons d'armes avec
lesquels ils se sont emparé de Kampala. Une discrète intervention
militaire de la France sauvera du désastre une armée régulière de 7 000
hommes, totalement surprise.

Ouverture au multipartisme



Par la suite, des pressions internationales, après la chute du mur de
Berlin, obligeront le chef de l'Etat à ouvrir son pays au multipartisme
(officialisé le 10 juin 1991) et à entamer avec les rebelles du FPR des
négociations, à Arusha (Tanzanie), sur un partage du pouvoir.

Les antagonisme ethniques au Burundi ont conduit à des massacres de même
ampleur, mais ils ont surtout frappé les Hutus, restés soumis à la
minorité tutsie. A la veille de l'indépendance, le prince Louis
Rwagasore (encore vénéré aujourd'hui comme le héros de l'unité
nationale) rassemble au sein de l'Union pour le progrès national
(UPRONA) hutus et tutsis, musulmans et chrétiens, chefs coutumiers et
citadins.

L'assassinat du prince en 1961 va semer la mésentente entre le clan
royal et le pouvoir politique. Chef d'une monarchie désormais
constitutionnelle, le roi Mwambutsa joue des rivalités familiales, puis
ethniques pour conserver son autorité. Mais, alertés par les événements
au Rwanda, les Tutsis prennent peur tandis que les Hutus rêvent du
pouvoir.

L'UPRONA se désintègre ; le tribalisme gagne les milieux étudiants et
les forces de l'ordre. Les tendances hutues de l'UPRONA (désormais
éclatée) remportent les élections législatives de mai 1965 et, en
octobre, la répression d'une mutinerie d'officiers hutus, qui a chassé
le roi Mwambutsa de son palais, signe, selon Jean-Pierre Chrétien, « une
rupture décisive au sein des élites tutsie et hutue
 ».

En avril 1972, l'irruption de groupes armés hutus depuis les camps de
réfugiés de Tanzanie entraîne à nouveau une terrible répression. Et ces
deux tentatives réciproques de génocide, évoquées encore aujourd'hui
dans la population par le mot « ikiza », (catastrophe, en kirundi), font
près de 100 000 morts. L'année d'après, une énième incursion meurtrière
des exilés hutus déclenche une réaction non moins sanglante de l'armée
burundaise. Ce qui provoque immédiatement, au Rwanda voisin, une
hécatombe dans la communauté tutsie.

En 1976, après dix années au pouvoir, le général Michel Micombero perd
le pouvoir au profit d'un officier originaire de la même région de
Bururi. Le règne du colonel Bagaza est marqué par une profonde
détérioration des relations entre la présidence et le puissant clergé
catholique. Il est renversé à son tour, sans effusion de sang, par un
autre militaire de Bururi, le major Pierre Buyoya qui, après de nouveaux
massacres en août 1998 (entre 5 000 et 20 000 morts) lance
courageusement une politique de réconciliation nationale, attribue plus
de 50 % des postes ministériels à des Hutus et finit par instaurer le
multipartisme.

Les élections présidentielle, puis législatives de juin 1993 ouvrent les
portes du pouvoir aux Hutus, grâce à la victoire du président Melchior
Ndadayé, chef du parti modéré FRODEBU, dont le succès reléguera à
l'arrière-plan les extrémistes du Palipehutu... Jusqu'à l'assassinat de
Melchior Ndadayé et de six autres hauts responsables du nouveau régime
par des militaires putschistes, le 21 octobre 1993.

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