Fiche du document numéro 14122

Num
14122
Date
Jeudi 30 juin 1994
Amj
Taille
114649
Sur titre
Pourquoi le FPR se méfie
Titre
« Que la France désigne les criminels »... Par François Rutayisire
Sous titre
Le représentant du FPR à Paris demande que le gouvernement français prenne clairement position contre les auteurs du génocide et facilite le retour des Hutus modérés afin de permettre la relance d'un dialogue
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le Nouvel Observateur : Depuis que l'opération Turquoise a commencé, vous y semblez moins hostile. Etes-vous désormais convaincu de la neutralité de l'intervention française ?

François Rutayisire : Nous ne voulions pas d'un retour de l'armée française au Rwanda, mais nous avons été mis devant un fait accompli. Dans le passé, les buts réels poursuivis par les uns ou les autres ont été trop souvent dissimulés sous des prétextes divers pour que nous soyons dupes. Après tout, la France pourrait aujourd'hui très facilement faire la preuve de ses bonnes intentions en désignant officiellement les auteurs et les responsables du génocide. Pourquoi ne le fait-elle pas ? L'ONU lui a confié une mission strictement humanitaire, et cette fois nous veillerons scrupuleusement à ce qu'elle demeure dans ce cadre.

N. O. : Le fait que les soldats français aient d'abord cherché à rassurer des réfugiés tutsis va plutôt dans ce sens...

F. Rutayisire : C'est bien la moindre des choses, après toutes les horreurs dont ils ont été victimes. Ces réfugiés vivent dans la peur, sous une menace constante de mort, car leur sécurité est loin d'être assurée. En revanche, les soldats français sont accueillis en zone gouvernementale avec des manifestations de joie et des distributions de drapeaux bleu-blanc-rouge. Qui peut encore croire en leur spontanéité ? Parallèlement, depuis quelques jours, dans sa gestion médiatique de l'opération, le gouvernement français insiste nettement sur l'importance des milices. Comme si on cherchait à limiter la responsabilité des massacres à quelques groupes d'incontrôlés. Serait-ce pour mieux faire oublier la culpabilité des politiques et la complicité de l'armée gouvernementale dans ces exactions ?

Tout cela ne me paraît pas de très bon augure : c'est parce qu'ils ont toujours joui d'une totale impunité que les auteurs de ces crimes ont pu accomplir leurs forfaits. Alors, au lieu de laisser des criminels se pavaner, la France devrait au contraire faciliter la réorganisation des forces démocratiques. Les rares responsables hutus modérés qui ont échappé à la mort se sont réfugiés à Byumba, en secteur FPR. Qu'on leur permette de retourner chez eux pour qu'ils puissent reprendre leur activité, qu'on assure leur sécurité ! C'est cela, l'esprit des accords d'Arusha.

N. O. : Y a-t-il, aux yeux du FPR, une ligne rouge que les soldats français ne doivent pas dépasser ?

F. Rutayisire : Absolument ! Les troupes françaises ne doivent en aucun cas s'interposer entre nos forces et celles du gouvernement. Ni entraver la progression du FPR, qui poursuit ses objectifs avec les méthodes qui sont les siennes et qui sont plutôt celles d'une guérilla.

N. O. : Que pensez-vous de la découverte de la boîte noire de l'avion dans lequel ont été assassinés les présidents du Rwanda et du Burundi ?

F. Rutayisire : Je suis surpris. D'abord par le fait que, depuis le 6 avril dernier, aucune enquête officielle n'a été engagée par la France, malgré la mort de trois membres français de l'équipage. Ensuite parce qu'on semble vouloir insidieusement imputer cet attentat au FPR, qui n'était pas présent à cette époque dans le secteur de l'aéroport de Kigali d'où ont été tirées les roquettes. Enfin parce qu'il me paraît ahurissant que, dans le contexte actuel du Rwanda, la Minuar se soit vu interdire l'accès aux débris de l'appareil, et qu'une personne privée comme Paul Barril y parvienne avec cette facilité. Cette affaire donne lieu à autant de spéculations que de manipulations.

Propos recueillis par Henri Guirchoun



Henri Guirchoun
Le Nouvel Observateur

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