Fiche du document numéro 1383

Num
1383
Date
Vendredi 15 avril 1994
Amj
Taille
110852
Titre
Les combats continuent au Rwanda
Soustitre
Les combats à l'arme lourde ont repris, jeudi 14 avril, à Kigali, entre les partisans du Front patriotique rwandais (FPR) et les troupes gouvernementales. L'ONU tentait une fois de plus de faire accepter un cessez-le-feu par les belligérants.
Page
1, 3
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
En moins de quarante-huit heures, les barrages et les patrouilles des
miliciens hutus se sont multipliés. Jusque dans le quartier résidentiel
de Rugenge, quasiment désert, des groupes d'hommes en armes sont postés
à tous les carrefours. D'autres se promènent dans les allées ombragées,
poussant parfois le portail d'une villa abandonnée pour la fouiller. La
fièvre des massacres et des pillages semble être cependant retombée. Il
s'agit maintenant de traquer « l'ennemi » : les combattants tutsis du
Front patriotique rwandais (FPR).

Devant une grosse branche qui barre la route, un homme brandit deux
grenades pour faire stopper notre voiture.

A quelques mètres de lui, un corps recroquevillé dans le caniveau. « Nous cherchons les rebelles du FPR qui se sont infiltrés en ville. Si on
les voit, on les tue sur place !
 », confie-t-il sans détour. Les
Occidentaux franchissent les contrôles sans problème, mais chaque
Africain, à pied ou en voiture, doit prouver son identité. Vingt minutes
après notre passage, au même endroit, trois nouveaux cadavres gisent sur
le bas-côté.

Dans la situation extrêmement tendue qui règne dans la capitale, les
soupçons et la délation font des ravages. Le moindre civil un tant soit
peu « suspect » c'est-à-dire accusé d'être tutsi est immédiatement
massacré.

Derrière le mur d'une résidence voisine de l'ambassade de France, deux
jeunes gens, absolument terrorisés, nous appellent à voix basse : « Les
militaires sont là ! Ils fouillent la maison, aidez-nous !
 » S'agit-il
de partisans du FPR ou de personnes menacées, comme il y en a tant dans
Kigali, terrées ici ou là depuis des jours et des nuits ?

Les morceaux de verre qui hérissent le mur les empêchent de sauter dans
la rue. D'ailleurs, s'ils le faisaient, ils ne manqueraient pas de se
faire aussitôt repérer : deux miliciens patrouillent silencieusement, à
100 mètres de là. S'ils sont arrêtés à un contrôle, l'étranger qui les
aura pris en charge sera accusé de collaborer avec « l'ennemi » et c'est
un « crime » qui, aujourd'hui, ne pardonne pas. Nous quittons les lieux,
mal à l'aise...

Des tirs isolés éclatent de temps à autre. Est-ce un groupe de rebelles
infiltrés ? Est-ce un « suspect » qu'on abat ? Les combats ou les duels
d'artillerie ne durent, en général, que quelques heures par jour.
Mercredi matin, à 4 heures, les canonnades n'ont apparemment pas suffi
aux maquisards du FPR pour s'emparer du camp de gendarmerie de Kacyiru,
situé à l'ouest de leur poche de résistance. De source bien informée, on
apprenait que le camp était toujours, mercredi soir, sous contrôle
gouvernemental.

Première distribution de nourriture



Le bruit des bombardements s'est ensuite espacé, puis estompé, dans les
faubourgs de Kigali. Cette accalmie a permis aux organisations
humanitaires de reprendre, timidement, leurs activités. Guidé par les
bourgmestres de différentes communes, le Comité international de la
Croix-Rouge (CICR) a pu organiser une première distribution de
nourriture, pour environ 5 000 déplacés.

Sur l'esplanade de l'église de la Sainte-Famille, à la vue des camions
marqués d'une croix rouge, quelque 2 500 civils se sont spontanément
rassemblés, pour recevoir 10 kilos chacun de farine de maïs et de
haricots. Parmi eux, Tibère Ngarambé, agriculteur à Gisozi, au nord de
Kigali. Il raconte avoir fui son champ, samedi 9 avril : « Les
Inkontanyi
[maquisards tutsis] sont arrivés. Ils ont tué beaucoup de
gens. Je ne sais pas où sont mes frères et soeurs, ni ma mère
 ». Tibère
n'a rien mangé depuis trois jours.

Autre bonne nouvelle, l'arrivée d'un convoi du CICR, en provenance du
Burundi : 30 tonnes de matériel médical ont pu être déchargées. Et
l'équipe chirurgicale a aussitôt installé un hôpital de campagne, dans
une villa de Rugenge. « Les besoins sont immenses, souligne un délégué.
Il y a encore des blessés à récupérer sur les lieux des massacres et les
hôpitaux de la ville, déjà surchargés, commencent à accueillir les
blessés militaires.
 » Une équipe française de Médecins sans frontières
(MSF) est arrivée par le même convoi, ainsi que treize journalistes.
Alors que l'armée belge tentait d'évacuer les derniers étrangers dont
une trentaine de Belges, disséminés à Kigali ou en province, les
soldats français avaient, dès mercredi, quitté l'aéroport.

Jeudi matin, alors que la capitale résonnait de l'écho des canonnades et
des tirs d'artillerie, l'annonce d'une réunion entre belligérants, sous
l'auspice de l'ONU, était accueillie avec un mélange de scepticisme et
d'espoir. « Il s'agit essentiellement d'une occasion pour les
protagonistes de se parler face à face
 », précisait prudemment le
général Roméo Dallaire, commandant des forces des Nations unies au
Rwanda.

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