Fiche du document numéro 13556

Num
13556
Date
Jeudi 19 mai 1994
Amj
Auteur
Taille
84845
Titre
Au hasard d'une piste, deux petites filles
Page
11
Cote
no 15477
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
De notre envoyé spécial au Rwanda.

VOICI la photo de deux fillettes au prénom identique: Olive. Elles ne sont pas parentes: l'une se nomme Maugwaneza, l'autre Musabyemarie. Elles ont beaucoup de traits communs: d'âge proche, toutes deux sont originaires de Kibungo et se connaissent sans doute depuis toujours. Elles partagent aussi avec des milliers et des milliers d'enfants rwandais depuis le début avril un autre point commun: leurs pères et mères, leurs frères et soeurs, ont été massacrés par les milices gouvernementales.

Kibungo et toute sa région ont été le théâtre de tueries massives durant plus de deux semaines. Jusqu'à ce que cette zone située dans la partie est du Rwanda passe sous le contrôle des combattants du Front patriotique rwandais (FPR). Les familles des deux petites Olive ont été entièrement anéanties. Elles, elles se sont enfuies et cachées dans la brousse. Comment y ont-elles survécu? Je ne sais pas. Lorsque je les ai rencontrées, elles ne disaient pas un mot. Impossible de leur faire desserrer les dents. Figures tristes et fermées.

Cette rencontre s'est produite sur une piste nous conduisant à Mulindi, au retour de Kibungo. Notre 4 x 4 rejoint un camion. Le chauffeur nous fait signe d'arrêter. Il nous dit avoir recueilli deux fillettes, voilà une semaine, dans une bananeraie. Elles ont été nourries et soignées. Depuis, par petites étapes, elles ont été rapprochées de Cyondo, où se trouve un « centre de réhabilitation » créé par le FPR. Puisque c'est notre direction, ne pourrions-nous pas les prendre à bord?

Les deux fillettes changent de véhicule; 25 kilomètres de piste nous séparent encore de Cyondo. Plus d'une heure de trajet. Nous tentons de les faire sourire, mettant les lunettes de plastique de l'une, ou jouant avec la poupée de l'autre. En vain.

Cyondo. Je prends une furtive photo avant de les quitter. C'est un « centre » dirigé par le major Rugigana. Une réalisation qui ne cesse, par la force des choses, de diversifier ses activités. A l'origine, lieu de formation professionnelle pour adultes (menuiserie et confection notamment), il accueille désormais des handicapés et des combattants blessés. Un bâtiment est réservé à l'accueil des orphelins.

Une dernière précision: n'allez pas vous imaginer Cyondo comme une sorte de dépotoir où les victimes des atrocités s'empileraient à l'aveuglette. Comme presque toutes les constructions rwandaises, les bâtiments sont en matériaux précaires. Mais l'organisation du « centre » fonctionne à la perfection. Et le personnel d'encadrement est de qualité: qu'il s'agisse de la rééducation des blessés, de la formation professionnelle ou des soins aux enfants.

J. C.

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