Fiche du document numéro 12778

Num
12778
Date
Jeudi 11 mars 1993
Amj
Taille
137700
Titre
Le Front patriotique rwandais accuse Paris
Sous titre
L'armée française au service d'intérêts privés ? Comment expliquer cet acharnement au Rwanda ? s'interroge le représentant du FPR en Europe que nous avons rencontré à Bruxelles.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
LE docteur Jacques Bihozagara, membre du Comité exécutif du Front patriotique rwandais (FPR), chargé des relations internationales pour l'Europe, estime que l'opération française auprès de l'ONU « est une démarche dangereuse, qui nous ramène deux ans en arrière ». Cette nouvelle manoeuvre, juge le FPR, veut accréditer l'idée, alors que le conflit est « rwando-rwandais », que l'affrontement est régional. « Le conflit est identifié, précise-t-il, la CEE et le Parlement européen ont déjà recommandé qu'il soit géré par l'OUA (Organisation de l'unité africaine). L'année dernière, la France nous a amenés à une négociation parallèle, discrète, mais qui ne nous conduisait nulle part, nous étions manipulés, la France ne voulant que préserver la dictature. Vouloir transférer le dossier au Conseil de sécurité de l'ONU est d'abord maladroit : quel qu'il soit, le gouvernement rwandais est souverain. Pourquoi Paris, alors que Kigali est représenté à l'ONU ? »

Que signifie ce « transfert » ?.

Paris a encore une fois déplacé le problème sous l'angle régional, en relançant la thèse du conflit rwando-ougandais, se moquant ouvertement des accords récents d'Arusha ainsi que de l'OUA, qui gère le dossier. Nous avions décidé de négociations directes entre Rwandais, et c'est nous qui devons savoir où doit se discuter la question. Au moment où la France déposait son projet à New York, elle soutenait officiellement une rencontre à Dar es-Salaam (capitale de la Tanzanie) entre le premier ministre rwandais et le président du FPR. La démarche auprès de l'ONU est une machination entre le dictateur Juvenal Habyarimana et Paris, à laquelle le gouvernement rwandais lui-même n'était pas associé.

La France veut-elle refiler le bébé rwandais à l'ONU ?

Elle veut semer la confusion. Avec le gouvernement rwandais, en juin 1992 à Paris, nous lui avons demandé d'être observateur, maintenant elle veut gouverner notre pays, franchement nous ne comprenons plus, elle s'interpose à tous les niveaux. En proposant que le noyau de la future force de l'ONU soit son contingent déjà en place, plus de 600 hommes, elle montre qu'elle veut s'accrocher à tout prix. Membre permanent du Conseil de sécurité, bénéficiant du droit de veto, elle demande en fait des renforts.

Vous êtes de nouveau aux portes de Kigali ?

C'est que nous n'avons jamais été bien loin. Les forces françaises ont volé au secours de l'armée gouvernementale parce qu'on leur a fait croire que nous voulions prendre la capitale, mais les services de renseignement français ont été induits en erreur par les services rwandais, à partir d'un télégramme envoyé par l'ambassade du Rwanda à Kampala (Ouganda) affabulant sur nos préparatifs militaires. Celui-ci annonçait que nous voulions prendre Kigali par la force, les services français s'en sont servis pour répercuter jusqu'à Paris.

Le gouvernement français aurait été manipulé à la veille de la visite dans la région de Marcel Debarge, ministre de la Coopération ?

Il y a eu une campagne d'intoxication par les services de renseignement français et ceux du président rwandais. Celui-ci, depuis le début de la guerre, a toujours justifié sa politique en affirmant que c'était l'Ouganda qui attaquait le Rwanda. Et là, nous étions à la veille de la publication du rapport d'enquête internationale sur les atteintes aux droits de l'homme dans le pays.

Lundi, à la suite de la publication de ce rapport, Bruxelles a rappelé son ambassadeur à Kigali. Paris n'a pas réagi.

Le gouvernement français est complice dans cette affaire. Il sait. Des lettres sont parvenues à François Mitterrand. Son épouse, de passage à Bruxelles, est repartie avec un dossier éloquent, Paris ne peut pas dire qu'il n'était pas informé. Mais il soutient le régime à bras-le-corps.

Les militaires français sur le terrain…

Ils ne sont pas en première ligne, mais juste derrière le front. Ils dirigent l'artillerie lourde, contrôlent les identités dans les rues de Kigali. Contrôlant des points stratégiques, ils libèrent autant d'effectifs pour combattre. En tout état de cause, ils assurent le commandement des forces gouvernementales.

Dans quel intérêt, alors que l'ancienne puissance coloniale, la Belgique, s'est retirée ?

Il y a des relations privilégiées entre des dirigeants français et le pouvoir personnel du président Habyarimana.

Des intérêts économiques privés ?

Nous le pensons. Rien d'autre ne peut expliquer que la France s'intéresse tant au Rwanda, avec lequel elle n'a aucune histoire commune. La Belgique, ce serait encore compréhensible…

Vous voulez dire que la diplomatie et l'armée françaises ont été mises à disposition d'intérêts français particuliers ?

Tout à fait. Nous nous sommes longtemps tus, mais maintenant nous osons l'affirmer. Comment expliquer cet acharnement à soutenir un assassin ?



Propos recueillis par Claude Kroës

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024