Fiche du document numéro 12739

Num
12739
Date
Mardi 16 février 1993
Amj
Auteur
Taille
60453
Titre
Des chars et des hommes
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La vente de 436 chars Leclerc aux Emirats arabes unis ne semble pas
émouvoir outre mesure, comme si un tel événement était « à ranger dans
le catalogue des bonnes nouvelles plutôt maigrelet ces derniers temps
 », ainsi que l'écrivait, hier, « Nice-Matin ». Faut-il s'en réjouir ou
le déplorer ? Et si nous essayions, ensemble, de réfléchir sur quelques
questions ? A qui vendons-nous ce matériel ? Les Emirats arabes unis ne
se placent pas au premier rang des pays démocratiques. Ils sont hors
course. Les droits de l'homme et de la femme restent inconnus là-bas.
La moindre contestation se termine par le fouet. Quant à la peine de
mort, elle fonctionne gaillardement. En fait, la France est devenue
spécialiste de livraisons militaires aux régimes rétrogrades et
dictatoriaux. Le Pakistan en Asie, le Rwanda en Afrique, deux exemples
parmi tant d'autres. Voici, au Moyen-Orient, le tour des Emirats arabes
unis, en manière de remerciement pour la participation française à la
guerre du Golfe.

A Paris, le consensus fonctionne à plein. La droite se félicite, le
Parti socialiste évoque « les réalités internationales et sociales »,
alors qu'en 1981, au Salon du Bourget, François Mitterrand faisait
désarmer les avions de chasse exposés et, un peu plus tard à Cancun,
critiquait ce type d'exportations. Quant à l'opinion des Verts, elle a
été communiquée par Dominique Voynet qui « ne se réjouit pas vraiment
 », même si elle précise être « bien consciente du fait qu'en période de
chômage » cela peut constituer « une perspective de création et de
maintien d'emplois ». Les Verts et Génération écologie feraient bien
d'y réfléchir à deux fois. En se déclarant prêts à gouverner avec la
droite, acceptent-ils par avance d'approuver ce genre de commerce ? Le
26 juin 1991, les députés communistes ont déposé une proposition de loi
tendant à l'interdiction du commerce des armes. L'examen en devient
urgent.

Côté cour, la France vend des armes. Côté jardin, elle pratique ce
qu'on appelle l'« aide humanitaire » ou l'« ingérence humanitaire »
avec Bernard Kouchner que l'on qualifie déjà de « chef du service
après-vente ». Faudra-t-il créer un, deux, trois, dix nouveaux foyers
de guerre pour ensuite organiser des campagnes télévisées d'aide à tous
ceux qui mourront sous les balles, les obus, les chars français ?.

Les ventes d'armes maintiennent des emplois, rapportent des devises,
remplissent les caisses du commerce extérieur. Mais se limiter à ce
seul constat ne relève pas seulement du cynisme. Cela participe d'une
politique à courte vue. Les industries d'armement devraient en premier
lieu fournir la France. Or, les commandes de l'Armée française,
notamment à GIAT-Industries chargé de la vente des chars Leclerc, sont
pratiquement inexistantes. En ce monde dangereux et en plein
bouleversement, la question clé n'est-elle pas, tout en assurant les
capacités de défense nationale, de penser, prévoir, préparer la
reconversion des usines d'armement ?.

Le tiers-monde agonise. La famine sévit dans des régions entières
d'Afrique et d'ailleurs. Le Sud demande des tracteurs, du matériel
agricole, de la technologies avancée pour irriguer les champs, du
matériel moderne pour creuser, forer, construire. On lui envoie des
sacs de riz rassemblés dans les écoles pour lui expédier ensuite les
engins de mort.

José Fort

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