Fiche du document numéro 1153

Num
1153
Date
Mardi 9 octobre 1990
Amj
Taille
149541
Titre
Rwanda : Une semaine après le début de la rébellion, arrestations et limogeages se multiplient
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Près d'un millier d'étrangers ont déjà été évacués du Rwanda,où des combats continueraient, dans le nord-est du pays, entre les troupes gouvernementales et les forces rebelles venues d'Ouganda, il y a huit jours. M. Yoweri Museveni, le chef de l'Etat ougandais, s'est dit embarrassé parce que [son] pays est impliqué. Une épuration est en cours, à Kigali, dans les instances dirigeantes. Ainsi, le chef des services de renseignements vient-il d'être limogé. On indique, d'autre part, de source française, que des arrestations ont été opérées au sein même de l'état-major des forces armées.

On a beau dire que Kigali est une ville à la campagne, tout de même... Dans les avenues ombragées du quartier de la présidence, le chant des oiseaux résonne étrangement. Sous les arbres, ça et là, quelques véhicules blindés et des militaires veillent au couvre-feu qui semble se prolonger toute la journée. Dans la capitale assoupie, les feux de la circulation, imperturbables, fonctionnent à perte car, de toute façon, les voitures passent outre.

Ceux qui désirent circuler doivent, désormais, être en possession d'un laisser-passer, à l'exception des employés des services essentiels. Vendredi, un véhicule de l'Electrogaz n'a pas respecté un barrage : on parle de trois morts. Ce sont, apparemment, les seules victimes depuis l'incursion des rebelles, le 1er octobre, suivie, dans la nuit du 4 au 5, de fusillades qui ont réveillé tout Kigali : un seul coup de feu et des tirs de riposte aveugles. On n'est même pas sûr qu'il y ait eu des combats.

La population, consignée chez elle depuis vendredi matin, commence à manquer de vivres. Dimanche, un petit marché s'est ouvert brièvement à Nyamirambo, où les prix avaient déjà triplé. Le gouvernement vient d'autoriser la réouverture de « certains magasins de vivres », mais le couvre-feu est maintenu, ainsi que les restrictions à la circulation. « Calme latent », annonce la radio en appelant la population à « traquer et [à] démasquer » les suspects, en collaboration avec l'armée. Maintenant que les soldats français, belges et zaïrois ont pris en charge l'évacuation des étrangers et la protection de lieux stratégiques, l'armée rwandaise peut se consacrer aux opérations de ratissage. Sur la route de l'aéroport, une vingtaine de jeunes gens attendent, assis par terre, sous la garde de quelques soldats. Selon plusieurs témoignages, la chasse aux armes et aux rebelles, dans le quartier populaire de Nyamirambo, serait brutale. Dans le stade voisin, l'armée a rassemblé quelques centaines de « suspects ». Ce terme officiel assez vague pourrait désigner d'autres citoyens que les partisans des envahisseurs, d'origine tutsie.

« L'élément positif dans cette affaire, explique un diplomate, c'est que le gouvernement n'agit pas sur une base ethnique. » Autrement dit, on peut très bien être arrêté avec une carte d'identité portant la mention « Hutu ». Aux clivages ancestraux entre Hutus et Tutsis se sont substitués des antagonismes sociaux, des dissensions claniques et des oppositions politiques, qui ont effacé presque toute la dimension tribale des troubles.

Un régime décrié



Le président Juvénal Habyarimana, conforté par la présence des forces étrangères, pourrait être tenté de mettre sous le boisseau les opposants de toutes origines. Usé par dix-sept ans de pouvoir, affaibli par des luttes claniques ou même personnelles, le régime commence à lasser la population. La corruption, la complaisance des représentants du peuple ont entamé la confiance des citoyens. C'est peut-être une des raisons qui ont poussé les rebelles à passer à l'action, au moment où le président était absent du pays. M. Yoweri Museveni, le chef de l'Etat ougandais, a eu beau déclarer qu'il avait fait tout son possible pour verrouiller la frontière, à Kigali, on tient pour certain que l'Ouganda est une base arrière des rebelles dont le chef, Fred Rwigyema, malgré son limogeage, a conservé « toute l'amitié du président Museveni ». Dans le camp des rebelles, on cherche à présenter le Front patriotique national (Inkontanyi) comme un mouvement inter-ethnique ouvert aux opposants hutus, notamment le colonel Alexis Kanyarengwe. « Alliance tactique », conclut un expatrié belge, fort de ses « vingt ans de Rwanda »...

Le président Habyarimana n'a pas choisi l'apaisement : se prévalant d'un traité d'assistance militaire avec Kinshasa, il a demandé l'aide du Zaïre, dont un millier d'hommes vont sans doute participer à la pacification du nord-est du pays. La radio nationale rappelle que les citoyens peuvent venir s'exprimer en toute liberté devant le Comité de synthèse nationale chargé de recueillir leurs suggestions. Mais, dans les rues, on peut voir passer des véhicules banalisés avec, à leur bord, des civils, encadrés par des soldats, l'arme au poing...

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024