Fiche du document numéro 1135

Num
1135
Date
Lundi 26 décembre 1988
Amj
Taille
134228
Sur titre
RWANDA : surpeuplement et SIDA
Titre
Quand l'Eglise fait de la « résistance passive »
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le Rwanda, célèbre pour ses gorilles et, plus accessoirement, pour
l'uniforme rose que portent ses prisonniers, n'a jamais connu de ces
remous spectaculaires qui font la une de la presse internationale.
L'élection présidentielle du 19 décembre (candidat unique, le président
Habyarimana, au pouvoir depuis 1973, a été réélu) et les élections
générales du 26 décembre ne dérogent pas à la règle : le résultat de ces
scrutins est sans surprise.

Si la présence inhabituelle de policiers en armes, contrôlant les
automobilistes dans certaines rues de Kigali, a intrigué plus d'un
habitant de la capitale, la campagne électorale ne s'en est pas moins
déroulée dans le calme. On évoque bien, çà et là, le « malaise » qui
marquerait depuis quelques mois la vie politique rwandaise. On rappelle,
en coulisse, le « choc » provoqué, en avril, par le mystérieux assassinat
du colonel Mayuya, un des proches du chef de l'Etat. Et l'on suppute,
bien sûr, sur les méfaits de la corruption et l'« influence néfaste » de
l'entourage présidentiel. Mais ce ne sont là que broutilles, comparé au
traumatisme qu'ont constitué, pour les Rwandais, les massacres
interethniques perpétrés au mois d'août chez le voisin burundais.
La majorité hutue, qui détient les commandes au Rwanda, ne pouvait pas
rester indifférente au sort de ses « cousins » du Burundi : c'est au sud
du Rwanda que les victimes des tueries tous ou presque membres de
l'ethnie hutue ont immédiatement et naturellement trouvé refuge. D'un
autre côté, le gouvernement du général Habyarimana ne pouvait se mettre
à dos les dirigeants du Burundi : la nécessité de maintenir de bonnes
relations diplomatiques avec Bujumbura imposait la plus grande mesure.
D'autant qu'à Kigali aussi, la question ethnique reste un sujet
sensible. L'appartenance ethnique n'est-elle pas notée, au même titre
que la date et le lieu de naissance, sur les papiers d'identité? Et le
système officieux de quota, limitant l'accès de la minorité tutsie dans
l'administration, n'est-il pas toujours en vigueur? Les dirigeants
rwandais ont des milliers de raisons pour adopter, dans cette affaire,
le profil le plus bas possible.

La pilule qui rend fou...



Il est pourtant d'autres sujets qui agitent, de manière moins visible
mais tout aussi profonde, le « Pays aux mille collines ». Le péril
démographique et, dans une moindre mesure, l'extension du SIDA, ont
conduit le gouvernement à adopter un programme national de prévention,
visant, d'une part, à limiter les naissances et, d'autre part, à faire
reculer les ravages du virus parmi une population dont plus de 50% a
moins de dix-huit ans. La contraception par injection (depo-povera) et
la pilule ont désormais l'honneur des brochures officielles. Un million
de préservatifs ont été commandés en 1988.

Quand on sait qu'une femme rwandaise met au monde neuf enfants en
moyenne et que, en 1984, chaque famille ne disposait plus déjà que de
0,8 hectare de terre cultivable, quand on sait que 28% de la population
de Kigali, âgée de vingt à quarante ans, est aujourd'hui porteuse du
virus du SIDA (au lieu de 18% fin 1984), on comprend aisément
l'inquiétude des dirigeants. Mais quand on sait aussi la force et le
crédit dont jouit l'Eglise catholique dans ce petit pays à peine plus
grand que la Sicile, on devine aussi les duels feutrés que la mise en
route d'une telle politique ne peut manquer de provoquer.

Pour la hiérarchie catholique, qui prêche sans relâche pour une
« parenté responsable » et considère la « méthode du calendrier » comme
seule valable, il est hors de question de transiger sur les principes.
L'utilisation de contraceptifs et l'usage des préservatifs sont
considérés comme « moralement irrecevables » : aucun des centres de
santé gérés par l'Eglise (soit plus de 40% du total national) n'est
autorisé à en distribuer. Certains évêques n'hésitent pas à effectuer
des « descentes » dans les dispensaires de leur diocèse, histoire de
s'assurer qu'aucun carton suspect ne traine sur les étagères. Les
rumeurs les plus insensées achèvent de semer le doute : ne chuchote-t-on
pas, à l'ombre des clochers, que « la pilule rend les femmes folles » et
que « le stérilet finit par remonter et sortir par les yeux » ?
Après des mois et des années de batailles en coulisses, le ministère de
la santé vient pourtant de remporter sa première victoire. Lors d'une
réunion bipartite, organisée en avril dernier, l'Eglise catholique
s'est, en effet, engagée « à promouvoir et à mettre en place un
vigoureux programme de planification familiale par les méthodes
naturelles, dans la tolérance et le respect des méthodes de
planification familiale prônées par le gouvernement
 ». Ce statu quo
alambiqué, que les milieux gouvernementaux considèrent néanmoins comme
« un exemple éclatant de dialogue », risque d'aiguiser encore les
contradictions au sein de l'Eglise.

La croisade menée par la hiérarchie catholique est-elle un « combat
d'arrière-garde
 », comme l'affirme un rédacteur de la revue chrétienne
Dialogue ? L'autorité des évêques, jusque-là sans faille, est-elle en
passe de « se dissoudre », comme certains s'en réjouissent déjà dans les
couloirs de l'ONAPO (Office national de la population) ?

A défaut de compromis, l'Eglise risquait, non sans raison, d'être
accusée d'enfreindre les textes légaux et de provoquer, par là même, un
conflit avec les représentants de l'Etat. Hypothèse impensable au
Rwanda. Les évêques en sont donc réduits à faire, selon l'expression des
mauvaises langues de Kigali, de la « résistance passive ». Jusqu'à quand
? L'avenir le dira : seulement 4 à 5% des femmes rwandaises utilisent
aujourd'hui un moyen contraceptif. Un taux qui devrait atteindre les 15%
d'ici à l'année 1992, espère-t-on au gouvernement.

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