Fiche du document numéro 11346

Num
11346
Date
Vendredi Octobre 1993
Amj
Taille
1217077
Titre
Éléments pour une histoire du Front patriotique rwandais
Page
121-13
Nom cité
Mot-clé
Cote
N° 51
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Éléments pour une histoire
du Front patriote rwandais

Au début de l'après-midi du 1er octobre 1990, un groupe
d’une cinquantaine d'hommes armés venant d’Ouganda inves-
tissait le poste frontière rwandais de Kakitumba, tuant l’un
des gardes et mettant les autres en fuite. Ils appartenaient au Front
patriote rwandais (FPR) et ils étaient conduits par le commandant
Chris Bunyenyezi, officier d’origine rwandaise qui, la veille encore,
appartenait à la National Resistance Army (NRA), l’armée régu-
lière ougandaise. Cette attaque était l’aboutissement d’un proces-
sus de dix années de militantisme politique et marquait l’ouver-
ture d’une guerre civile qui ensanglante encore aujourd’hui le « Pays
des Mille Collines ». Et pourtant, jusqu’à ce jour, le FPR est
demeuré très mal connu. Dans certains cas, son existence indépen-
dante est même niée et il est présenté comme un simple appen-
dice des forces ougandaises (1). Pour la propagande gouvernemen-
tale rwandaise, c’est une réincarnation des {nyenzi (cancrelats), ces
groupes de guérrilleros tutsi royalistes qui se livraient à des incur-
sions périodiques dans le pays après l’instauration d’une républi-
que à dominante hutu en 1961 (2). Pour l’opposition légale (à domi-
nante hutu) à l’intérieur du pays, il n’était encore il y a peu que
«la branche armée des réfugiés rwandais féodo-revanchards » (3).
Quant au Front, il se présente lui-même comme une organisation
populaire et démocratique parlant au nom de l’ensemble du peu-
ple rwandais (4). Au-delà de ces divers stérétotypes, que peut-on
dire de cette guérilla venue d’ailleurs et qui a bouleversé la donne
politique dans un petit pays « modèle » où, après les déchirements
du début des années soixante, l’Europe avait voulu voir le modèle
du « développement paysan autocentré » ?
Bien sûr, il s’agit d’abord d’un problème de réfugiés. Nous ne
rentrerons pas ici dans une étude, même brêve, de la question des

N U début de l’après-midi du 1‘ octobre 1990, un groupe

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réfugiés rwandais en Afrique orientale, celle-ci ayant fait récemment
l’objet d’excellentes publications (5). Précisons simplement un ordre
de grandeur. Entre les 200 000 réfugiés dont parle parfois la pro-
pagande gouvernementale et les 2 000 000 dont la diaspora rwan-
. daise tente d’accréditer l’existence, leur nombre le plus probable
se situe aux alentours de 550 000, chiffre qu’il faut mettre en rap-
port avec les quelque 7 400 000 citoyens rwandais vivant dans le
pays. Cette question des chiffres est importante, car elle joue, par
le biais des mythes auxquels elle donne naissance, un rôle politi-
que fondamental. Les réfugiés ont voulu grossir leur nombre pour
augmenter le côté injuste et spectaculaire de leur malheur, tandis
que le gouvernement rwandais tirait argument de l’exiguïté du pays
(26 338 km?, dont seulement 18 740 km? de terres arables) pour refu-
ser un droit au retour. Des arguments de droit s’opposaient à des
arguments socio-économiques (6), chaque camp tirant de ses déduc-
tions un appel à la justice, morale et juridique pour les exilés,
sociale et économique pour les tenants du régime.

En effet, plus que deux « camps », c’étaient deux mythes qui
s’affrontaient. D’un côté, on avait le gouvernement rwandais, héri-
tier de la « révolution paysanne » de 1959, quasiment sanctifiée (le
mot n’est presque pas trop fort étant donnée l’approbation de la
toute-puissante Eglise catholique) par le référendum du 25 septembre
1961, « démocratie rurale de base» qui était parvenue à « abolir
la politique » pour la remplacer par le « développement » (7). Cette
évacuation de la politique « sale » au profit du développement « pro-
pre» représentait d’une certaine manière l’idéal des bailleurs de
fonds internationaux. Un petit pays tout net, bien en ordre, avec

1991, et André Guichaoua, Le problème des
réfugiés rwandais et des populations banyar-

(1) Voir par exemple « Behind the
Rwanda Invasion », Africa Analysis, n° 108,

12 octobre 1990 ; « L’Ouganda envahit le
Rwanda», Le Canard enchaîné, 17 février
1993, ou bien « Tango à Kigali», Valeurs
Actuelles, 1° mars 1993.

(2) Ce thème est exposé avec beaucoup
d’érudition par François-Xavier Bangamwabo
et Emmanuel Rukiramakuba dans leur essai :
« Le vocabulaire et le discours des Inkontanyi
et de leurs alliés», in Les relations inter-
ethniques au Rawanda à la lumière de l’agres-
sion d'octobre 1990, Ruhengeri, Ed. Univer-
sitaires du Rwanda, 1991, pp. 223-268.

(3) Mouvement démocratique républicain
(MDR), Analyse de la situation actuelle du
Rwanda et perspectives d'avenir, Kigali, jan-
vier 1992, p. 29.

(4) Nombreuses déclarations à la presse,
dont le récent interview du chef du FPR,
« Kagame speaks », New African, juillet 1993,

(5) Catherine Watson, Exile from Rwanda,
Background to an Invasion, Washington DC,
The US Committee for Refugees, février

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wanda dans la région des Grands Lacs afri-
cains, Genève, Haut Commissariat des
Nations unies pour les réfugiés, mai 1992.

(6) Les premiers sont bien illustrés par
l'ouvrage de François Ngadijimana, Le pro-
blème des réfugiés rwandais, Genève, Arunga,
juin 1990, tandis qu’on trouvera un exposé
modéré des seconds dans l'essai de Jean-
Damascène Nduwayezu, « La réintégration
sociopolitique et économique des réfugiés
rwandais », in Les relations interethniques, op.
cit, pp. 323-349.

(7) Le Parti unique s’appellait le Mou-
vement révolutionnaire national pour le déve-
loppement (MRND) et le « Parlement » était
devenu le Conseil national du développe-
ment. Un basisme unanimiste régnait sur le
pays, mélange de maoïsme à l’africaine (bad-
ges à l'effigie du Père de la Patrie, grand-
messes du Parti) et de puritanisme chrétien
(contrôles d'identité, chasse aux « femmes
libres », etc.).
G. PRUNIER

de laborieux paysans besognant sous la double houlette de l'Église
et d’un dictateur (presque) bienveillant (8). Pour les tenants de ce
mythe, les « féodo-revanchards » du FPR seront des monstres venus
porter le feu dans le jardin d’Éden. Du côté des exilés, les mythes
étaient plus complexes. D’abord, dans leur immense majorité, les
exilés ne connaissaient plus grand-chose du Rwanda qu’ils avaient
quitté dans leur enfance ou leur jeunesse et qui avait évolué sans
eux. Ensuite, ils vivaient leur situation comme une sorte de mons-
trueux rejet. D’où une divergence radicale de la mémoire avec leurs
« compatriotes » restés au pays ; l’événement fondateur du Rwanda
contemporain, la « glorieuse révolution de 1959 », était pour eux
un souvenir d’horreur et de massacres. En un certain sens, en récla-
mant leur droit au retour, ils cherchaient à nier cette affreuse rup-
ture, à nier la haïne dont ils avaient été (étaient ?) l’objet, à retrouver
le jardin d’Éden dont ils partageaient somme toute le mythe (mais
selon des vecteurs historiques absolument opposés) avec leurs « frè-
res » hutu demeurés au Rwanda. Le régime rwandais exaltait l’his-
toire passée (glorieuse) et niait sa possible remise en cause au pré-
sent (révisionnisme diabolique), tandis que les réfugiés cherchaient
à refuser le passé au nom d’un futur « démocratique » dépassant
les vieux clivages ethniques. Pour aboutir à la justification d’une
éventuelle action armée contre le Rwanda, le régime du président
Habyarimana (tyran somme toute relativement modéré si l’on prend
comme critère les pratiques contemporaines des Etats voisins) était
diabolisé et présenté comme un fascisme tropical selon un parti-
pris tout aussi exagéré que les louanges de ses thuriféraires.

Les antécédents politiques des communautés rwandaises
exilées



La fin des années 60 avait marqué la fin d’une période pour
les communautés rwandaises exilées, la fin du temps des Znyenzi
et des tentatives confuses et désespérées pour remonter le cours
de Phistoire (9). La diaspora s’était éparpillée non seulement dans
les pays limitrophes (Ouganda, Burundi, Zaïre, Tanzanie) mais loin
en Europe et dans le Nouveau Monde. Elle s'était énormément
diversifiée depuis les bergers de l’Ankole jusqu'aux avocats de New
York. Forcée dans une paix qui la sortait de l’histoire, elle se réfu-
giait dans la nostalgie culturelle, De nombreuses associations virent

(8) Pour une analyse de ce mythe, voir
J.-P. Chrétien : « La crise politique rwan-
daise», Genève Afrique, 1992, XXX, 2,
pp. 121-140. L'article « Allmählich schwand
die Bewunderung für “Habis” regime »,
Frankfurter Rundschau, 5 novembre 1992,

constitue une bonne indication de déception
« militante ».

(9) La meilleure description de cette
période se trouve dans René Lemarchand,
Rwanda and Burundi, New York, Praeger,
1970.

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FRONT PATRIOTE RWANDAIS



le jour dans le courant des années 70 et 80 : le groupe Isangano
(Carrefour) en Belgique, qui patronnait des spectacles folkloriques
et servait de lieu de discussion, le groupe Abadaha (du nom d’une

‘ milice dans le Rwanda ancien) en Allemagne, la Rwandese Cana-
dian Cultural Association en Ontario ou l’Association des immi-
grants rwandais du Québec à Montréal. D’autres groupes existaient
au Burundi, aux Etats-Unis, à Nairobi, au Bénin et jusqu’à Dakar
et à Brazzaville. Ces associations éditaient une presse parfois irré-
gulière mais néanmoins soutenue et très polémique dont le titre
principal était Jmpuruza (Le mobilisateur, nom d’un tambour de
guerre du Rwanda ancien) publié à Sacramento en Californie. Il
ÿ avait aussi Muhabura (La balise, Le phare) publié à Bujumbura,
Congo-Nil qui paraissait au Zaïre, Huguka (« Sois attentif ») égale-
ment édité à Bujumbura, Ukoloni Mambo Leo (Les nouvelles de
l’émigration) à Dar es-Salam et, potentiellement le plus important,
The Alliancer (le rassembleur), organe de la Rwandese Alliance for
National Unity (RANU) de Kampala. Celle-ci était issue de la
Rwandese Refugees Welfare Foundation (RRWE), créée en juin
1979 en Ouganda pour venir en aide aux réfugiés rwandais éprou-
vés par la chute du régime du général Idi Amin Dada (10). La
RANU se voulait plus politique que la RRWF et posait directe-
ment la question d’un éventuel « retour au pays ». Parmi les gens
qui fréquentaient la mouvance RANU à Kampala en 1979-1980
se trouvaient deux ex-volontaires du FRONASA, la milice combat-
tante créée par le jeune politicien ougandais Yoweri Museveni qui
venait de faire irruption sur la scène nationale. Le premier, Fred
Rwigyema, à peine vingt ans, dynamique et populaire, avait déjà
partagé l’exil tanzanien de son chef, tandis que l’autre, Paul
Kagame, un peu plus âgé, plus secret et plus renfermé, avait rejoint
le FRONASA au moment où ses troupes traversaient l’ouest de
l’Ouganda. À l’époque, l’intérêt de ces deux jeunes Banyarwanda
pour la RANU n'était guère que social. L’un et l’autre se croyaient
et se voulaient ougandais. Quelques mois plus tard, le 6 février 1981,
ils seront aux côtés de Museveni et de 24 autres compagnons d’aven-
ture pour attaquer l’école militaire de Kabamba, entamant la guerre
de guérilla qui les amènera finalement à prendre le pouvoir le
25 janvier 1986. Mais entre-temps, la communauté rwandaise avait
connu bien des bouleversements.

(10) Les rapports du régime Amin avec
le Rwanda et les Rwandais avaient été par-
ticulièrement orageux. Pendant la crise de
l’expulsion des Indiens en 1972, le dictateur
avait menacé de « détruire Kigali en une
minute » (Uganda Argus, 17 août 1972) en
accusant le Rwanda « d’aider Isarël à attaquer
lOuganda ». Il avait un moment persécuté
les réfugiés tutsi puis avait ensuite recruté

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certains d’entre eux dans le State Research
Bureau (SRB, un organisme de « sécurité »
particulièrement sanglant). Victimes, parfois
tortionnaires, et de nouveaux victimes avec
la chute de Ia dictature, les Rwandaïis
d’Ouganda entamaient le parcours politique
chaotique qui allait faire d’eux des désespé-
rés actifs.
G. PRUNIER

Les Banyarwanda en Ouganda étaient particulièrement nom-
breux (11). Ils provenaient de trois origines différentes ; d’abord les
Banyarwanda « indigènes » nés sur le territoire ougandais depuis
plusieurs générations dans les régions de l'Ouest (Bufumbira) qu’ils
peuplaient de manière originelle. Ils étaient hutu aussi bien que
tutsi. Ensuite les immigrants ou descendants d’immigrants venus
en Ouganda dans les années 20 et 30 pour fuir les rigueurs du
colonialisme belge et mieux gagner leur vie en travaillant dans les
plantations commerciales du Buganda. C'étaient en majorité des
Hutu. Et enfin les réfugiés ou descendants des réfugiés venus en
1959-1961 pour fuir les massacres qui accompagnèrent la révolu-
tion rwandaise. C’étaient exclusivement des T'utsi. La guerre civile
ougandaise et sa terrible logique d’amalgame ethnique allait tendre
à confondre ces trois groupes. En effet, dès mai 1980, le retour
de Milton Obote en Ouganda avait marqué une tension entre les
Banyarwanda et les forces favorables à l’ancien et bientôt nouveau
président, étant donné l’histoire de l'implantation ethnique de UPC
dans l’ouest du pays (12). Lorsque Yoweri Museveni (un Munyan-
kole d’origine muhima, donc « assimilé » à un Tutsi dans l’imagi-
naire populaire des autres ethnies) se lança dans la guérilla anti-
gouvernementale, les tensions augmentèrent. Tous les Banyarwanda
furent suspectés de soutenir la guérilla. En octobre 1982, une vaste
opération de razzia déportation fut lancée dans l’Ouest où près de
80 000 personnes furent prises au filet et poussées vers le Rwanda
dans des conditions catastrophiques (13). Le gouvernement rwan-
dais refusa d’accepter une grande partie des « doubles réfugiés » ainsi
refoulés et les camps installés dans un étroit no man’s land le long
de la frontière devinrent de véritables mouroirs. L’opération eut
pour résultat de provoquer ce contre quoi elle pensait lutter, c’est-
à-dire le soutien rwandais à la NRA. Jugeant ne plus rien avoir
à perdre, les jeunes Banyarwanda rejoignirent par centaines les rangs
de la guérilla. En janvier 1986, lorsque celle-ci triompha, elle comp-
tait au moins 3 000 Banyarwanda parmi les quelque 14 000 hommes
et femmes qui la composaient.

La RANU avait elle aussi évolué pendant ces années de guerre
civile. Depuis 1981, ses congrès annuels s’étaient tenus à Nairobi

(11) Selon le recensement de 1959, le

Grands Lacs, Lille, Faculté des sciences éco-

dernier à comporter la mention de l’appar-
tenance ethnique, ils représentaient 5,87 %
dela population et occupaient le 5° rang
parmi les groupes ethniques du Protectorat
(Œntebbe Governement Printing House,
1960).

(12) Pour plus de détails sur l’imbrica-
tion rwando-ougandaise, voir Gérard Prunier :
« L’Ouganda et le Front patriotique rwan-
dais», pp. 43-49, in Enjeux nationaux et
dynamiques régionales dans l'Afrique des

nomiques et sociales, 1993 (sous la direction
d'André Guichaoua).

(13) Outre les réfugiés rwandais tutsi,
principale cible de l'opération, la rafle
emportait tout ce qui était assimilé à ces der-
niers (Banyarwanda d’origine ougandaise,
Banyankole Bahima et même des Bakiga du
Kigezi qui n’ont aucun « cousinage » avec les
groupes précédents mais vivent approxima-
tivement dans la même région géographi-

que).

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par impossibilité de se réunir en Ouganda dans le climat d’hysté-
rie anti-rwandais que la guerre y avait installé (14). Pour un cer-
tain nombre de ses cadres, la question était entendue : ils étaient
des étrangers en Ouganda et partout ailleurs dans le monde et ils
utiliseraient leur présence dans la NRA pour rentrer un jour au
Rwanda par la force. Mais pour ces jeunes passés à travers la tour-
mente ougandaise, engagés au sein d’une guérilla dont l'idéologie
était encore à l’époque assez largement maoïste, le monarchisme
des vieux fnyenzi années 60 apparaissait comme un anachronisme
ridicule. La lecture de la presse d’émigration montre d’ailleurs à
quel point, même à l’époque, les exilés vivaient encore dans un
monde de nostalgie irréelle (15). Pour répondre à une nouvelle
demande émanant d’une génération à l’expérience entièrement nou-
velle, en décembre 1987, lors de son 7€ congrès, le premier à se
tenir à nouveau en Ouganda, la RANU se transforma en Rwan-
dese Patriotic Front (RPF ou FPR en français) (16). Le RPF/FPR
ne représentait cependant à l’époque qu’un noyau extrêmement
réduit de militants. Il s’était fortement « gauchi » politiquement par
rapport à l’ancien RANU, notamment par l’adjonction de sympa-
thisants communistes comme Tito Rutaremara qui était rentré de
France où il vivait depuis des années. Mais il pouvait compter au
sein de la NRA sur un petit noyau dévoué qui était entré dans
la guérilla avec la perspective bien définie d’un retour offensif au
Rwanda et il était capable d'offrir un mélange idéologique certes
peu sophistiqué mais quand même plus moderne que la nostalgie
monarchiste qui avait jusqu’à présent servi de capital politique aux
milieux d’exilés.



La préparation de l’invasion

Dès le début de 1988, les militants du FPR entreprirent un
noyautage systématique de certains services de l’armée, notamment
du service informatique (où ils parvinrent à occuper près de 90 %
des postes) et de la Sécurité militaire, où ils étaient moins nom-

breux mais où ils réussirent à se faire nommer à des positions

(14) La dénonciation de Museveni lessai de François-Kavier Bangamwabo et

cormme « étranger » était l’un des thèmes les
plus constants de la propagande obotiste des
années 1981-1985. Dans le Luwero, où les
descendants des travailleurs immigrés rwan-
dais se trouvaient systématiquement persécu-
tés, les graffitis de l’armée sur les murs des
maisons en ruines proclamaient : « Museveni,
go back to Rwanda ».

(15) Malgré son parti pris de propagande
anti-FPR, il n’est pas sans intérêt de lire

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Emmanuel Rukiramakuba, « Le vocabulaire
et le discours des Jnkotanyi et de leurs
alliés », pp. 223-268, in Les relations inter-
ethniques, op. cit., qui montre bien l’archaïsme
du vocabulaire politique utilisé par les cer-
cles émigrés.

(16) Il est intéressant de voir que le sigle
anglais était apparu avant sa version française,
un reflet de l'expérience concrète des cadres
du nouveau mouvement.
G. PRUNIER



clés (17). Ils plaçaient leurs hommes dans des postes qui favorisaient
le recrutement de nouveaux membres (le commandant Musitu, rwan-
dais, dirigeait les services d’entraînement) ou qui, le jour venu, per-
mettraient de faciliter une rupture quasiment insurrectionnelle avec
la NRA (le commandant Sam Kaka était parvenu à se faire mettre
à la tête de la police militaire). Citons encore le cas du Dr Peter
Bayingana, médecin exerçant de manière privée à Nairobi, qui avait
reçu « l’ordre » de rejoindre la NRA et qui, s’étant exécuté, devint
chef des services de santé de l’armée.

Parallèlement, un effort tout particulier était apporté à la créa-
tion de cellules clandestines au Rwanda même. Trente-six d’entre
elles furent créées entre le début de 1988 et l’attaque du 1* octobre
1990, dans divers secteurs de la vie sociale et économique du pays
et dans plusieurs préfectures. Les membres de ces cellules étaient
loin d’être tous des Tutsi. En effet, les contradictions, notamment
régionales, s’aiguisaient entre divers groupes hutu et plusieurs per-
sonnalités se rapprochèrent du FPR clandestin bien que son exis-
tence soit parfaitement connue des services de renseignements rwan-
dais. Certaines de ces personnalités obéissaient à des motivations
très mêlées. On trouvait par exemple des gens comme le riche
homme d’affaires tutsi Vincent Kajeguhakwa, ancien directeur de
l'Entreprise rwandaise des pétroles, brouillé avec le régime, et qui
considérait le FPR comme une sorte d’investissement devant lui
permettre de se refaire économiquement. Ou bien Silas Majambere,
ancien président de la Chambre de commerce de Kigali, très pro-
che du président Habyarimana, qui avait été éliminé de son poste
en 1988 à la suite de différends « commerciaux » avec certains mem-
bres de l’akazu (18). D’autres avaient de meïlleures raisons de rejeter
le régime MRND, comme le pasteur Bizimungu, un Hutu ancien
directeur d’Electrogaz qui s’était heurté pour des raisons profes-
sionnelles au colonel Sagatwa, l’un des représentants les plus
influents du groupe de l’akazu. Originaire du Bugoye comme le
président, Bizimungu s’était vu paternellement réprimandé par ce
dernier qui lui avait dit: « Pasteur, je t’ai donné une compagnie
très lucrative. Au lieu de te plaindre, tu ferais mieux de penser
à toi et à ton village. » Technocrate pénétré du sens de l'Etat, Bizi-
mungu avait pris langue avec le FPR ; prévenu de l’imminence de
l'attaque, il quittera le pays en août 1990 pour devenir l’un des
principaux « diplomates » du Front.

À côté de ces personnalités aux motivations parfois contradic-

(17) Ils ne parvinrent pas par contre à lisée autrefois pour désigner le cercle central
pénétrer VlInternal Security Organization de la cour du roi. Les membres des grou-
(SO) à cause de l’inimitié entre son chef Jim pes babinza du Bushiru auxquels appartenait
Muhewezi et Paul Kagame, le principal l’épouse du président constituaient une véri-
« infiltré » rwandais à la Sécurité militaire. table mafia.

(18) « La petite maïson », expression uti-

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FRONT PATRIOTE RWANDAIS



toires, les cellules intérieures du Front attirèrent un certain nom-
bre de jeunes Hutu qui voyaient dans son discours anti-dictature
et dans son appel à une sorte de basisme démocratique inspiré du
populisme de la NRA, des éléments de modernité face à un régime
corrompu, clérical et sclérosé. Surtout originaires de Butare (19),
ces jeunes éduqués occupaient parfois des postes d’une certaine
importance qui leur servirent à renseigner le Front. Mais dans
l’ensemble, ces cellules clandestines demeurèrent (involontairement
mais logiquement) élitistes et ne touchèrent pas la masse de la popu-
lation.

Il importait néanmoins pour le Front de procéder avec une cer-
taine hâte pour éviter d’être débordé par l’activisme de certains jeu-
nes membres de la NRA. Déjà, au printemps 1986, à peine quel-
ques mois après la prise de Kampala, certains soldats et officiers
plus ou moins liés à la nébuleuse RANU qui était alors en pleine
transformation (20), avaient maladroïtement tenté _d'organiser une
action armée contre le Rwanda. Rapidement percé à jour, leur com-
plot s’était terminé en fiasco (21) et le président Museveni avait
du prendre des sanctions disciplinaires contre certains officiers
banyarwanda. Cela n’était cependant pas allé très loin, tant à cause
du caractère amateur de la tentative que du capital de sympathie
dont les « mutins » bénéficiaient au sein de la NRA. De plus, le
nord de l’Ouganda, dont le président Museveni avait un moment
espéré qu’il se soumettrait au nouveau régime, était entré en rébel-
lion, d’abord sous la bannière politique de Uganda Peoples Demo-
cratic Movement (UPDM), puis bientôt sous celle encore plus dan-
gereuse du Mouvement du Saint-Esprit de la prophétesse Alice Lak-
wena. Fin 1986 et courant 1987, la NRA s’était gonflée de nou-
velles recrues pour se battre dans le nord. Les combattants banyar-
wanda, vétérans éprouvés, jouèrent un rôle essentiel dans l’enca-
drement et la formation de ces troupes (22), dont certaines, récu-
pérées sur la défunte Uganda National Liberation Army (UNLA)
d’Obote, étaient de francs soudards violents et indisciplinés. Ce ne
fut qu’en 1988, avec un certain ralentissement de la guerre dans

(19) Le régionalisme jouait à plein. Le
président Habyarimana s’appuyait sur la
région Nord de Gisenyi-Ruhengeri, alors que
les préfectures du sud et de l’ouest (Butare,
Gikongoro, Cyangugu) lui étaient hostiles.

(20) Un congrès à vocation « culturelle »
rassemblant toutes les composantes de lémi-
gration mais impulsé par les futurs cadres du
FPR allait se tenir à New York dans le cou-
rant de 1987 et préparer la transformation
de la RANU en organisation de combat.

(21) Il fut « démasqué» par la presse
d'opposition ougandaise (voir Focus du
29 avril 1986) en grande partie à cause de

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son manque total de discrétion. Les conju-
rés étaient même venus naïvement à l’ambas-
sade de France à Kampala pour demander
quelle serait l'attitude de Paris à leur égard
s'ils s’emparaient du pouvoir à Kigali.

(22) Fred Rwigyema, l’ancien du FRO-
NASA et le bras militaire de Museveni pen-
dant les années de lutte, était devenu le com-
mandant en chef de l’armée et vice-ministre
de la Défense. Il dirigeait les opérations sur
le terrain dans le nord. Bien que sympathi-
sant avec les membres du Front, il continuait
à se considérer comme ougandais et s’était
refusé à rejoindre les conjurés.
G. PRUNIER

le nord, que les conjurés du FPR purent se consacrer plus pleine-
ment à leur complot. Or l’impatience grandissait dans les rangs des
Banyarwanda d’Ouganda pour toute une série de raisons. D’une
part, la présence de nombreux Banyarwanda dans les cercles pro-
ches du pouvoir à Kampala avait entraîné un véritable exode au
sein de la diaspora, qui convergeait vers l’Ouganda où, disaient cer-
tains, « nous sommes maintenant au pouvoir ». La motivation de
ce mouvement était surtout économique et les nouveaux arrivants
cherchaient des sinécures. Un climat de « mafia rwandaise » se déve-
loppait à Kampala, provoquant une forte irritation chez les Ougan-
dais « de souche » et particulièrement chez les Baganda. Or c'était
le ralliement des Baganda à la NRA, fin 1982-début 1983, qui avait
permis à Yoweri Museveni de passer au stade d’une guérilla mar-
ginale à celui d’un vaste mouvement populaire qui avait balayé le
régime de Milton Obote. Devenu président, Museveni qui était con-
testé violemment par les nordistes, ne pouvait pas se permettre
d’aliéner sa base baganda. L’irritation bagandaise confondait dans
un même ressentiment les vétérans de la guérilla libératrice et les
opportunistes qui débarquaient juste de Bruxelles ou de Nairobi.
Cette hostilité était ressentie par les anciens de la NRA comme
une profonde ingratitude qui les renvoyait au fait qu’ils ne seraient
jamais « simplement des Ougandais comme les autres ». Le prési-
dent, qui avait promis aux réfugiés anciens combattants la citoyen-
neté, tardait à tenir parole pour ne pas irriter les Baganda. Il fut
bientôt lui aussi confondu dans l’amertume de ses anciens compa-
gnons d’armes.

Parallèlement à ce désappointement, les vétérans banyarwanda
idéalisaient fortement leur «patrie» inconnue. Mal à l’aise en
Ouganda, ils se persuadaient que la vie serait meilleure et plus facile
au Rwanda. Les problèmes économiques du pays et notamment la
question de la surpopulation étaient rejetés comme une simple pro-
pagande du régime Habyarimana. De plus, dynamisés par la nou-
velle orientation moderniste du FPR qui calquait fidèlement son
programme et ses thèmes de propagande sur le National Resistance
Movement (NRM) ougandais, ils avaient tendance à projeter sans
nuance leur expérience des années de guérilla en Ouganda sur la
situation rwandaise selon l'équation simpliste FPR=NRM et
Habyarimana=Obote. Ce qui, entre le souvenir de leur récente vic-
toire et le climat de marxisme simplifié où baignait le régime de
Kampala à l’époque, leur donnait le sentiment d’avoir pour eux
le « sens de l’histoire ».

Dans ce climat, il devenait de plus en plus difficile aux cadres
du Front de « tenir » leurs hommes. Au début de 1989, 28 jeunes
plus ou moins liés au mouvement (dont trois déserteurs de la NRA)
n’ayant entre eux que huit fusils avaient franchi la frontière pour
démarrer un maquis dans le parc national de l’Akagera. Les con-

129
FRONT PATRIOTE RWANDAIS

jurés durent envoyer un commando pour les récupérer manu mili-
tari avant que Kampala ou Kigali ne s’en rendent compte. De fait,
les services de sécurité rwandais qui avaient infiltré le Front, savaient
à peu près ce qui se tramait et plusieurs conversations avaient eu
lieu entre les deux gouvernements pour tenter de désamorcer la
crise. Mais les points de vue étaient très éloignés. Museveni, ainsi
qu’il le dira plus tard, se refusait à « servir de geôlier » aux réfu-
giés rwandais. Il éprouvait une antipathie à la fois instinctive et
politique tant pour la personne du président Habyarimana que pour
la nature de son régime. Ce dernier de son côté souhaitait une solu-
tion cosmétique permettant un rapatriement progressif et contrôlé
des réfugiés qui ne mettrait en aucun cas en cause les structures
et le fonctionnement de son régime. Les obstacles administratifs
mis sur le chemin des procédures de retour décourageaient la plu-
part des impétrants potentiels. Et pourtant une certaine souplesse,
en partie forcée par le Haut Commissariat des Nations unies aux
réfugiés et par les pressions des bailleurs de fonds, se faisait sentir
à Kigali. Le 30 juillet 1990, la 3° réunion du Comité conjoint
rwando-ougandais sur la question des réfugiés avait abouti à la mise
sur pied d’un plan d’action un peu plus vigoureux qui prévoyait
la visite au Rwanda d’un groupe de représentants des réfugiés devant
préluder à l’établissement de listes nominatives de candidats au
retour à établir pour le mois de novembre. Une autre cause de
cette nouvelle « ouverture » du régime était la pression montante
du mouvement démocratique à l’intérieur même du Rwanda où un
Manifeste signé par 33 intellectuels avait réclamé des élections libres
et la fin du monopartisme.

Ea fait, pour les radicaux du FPR, cette évolution était plutôt
défavorable. Une éventuelle évolution démocratique du régime de
Kigali risquait de leur retirer un bon argument de combat, celui
de l’opposition à une dictature monolithique. Quant à un proces-
sus de rapatriement des réfugiés, il risquait de casser le ressort
psychologique le plus puissant de leur action, celui de la hantise
de l’exil perpétuel. Par ailleurs, pour les activistes du Front qui
se considéraient comme des « révolutionnaires », un tel processus
apparaissait comme un « piège réformiste » car ils percevaient les
candidats à une « nouvelle politique démocratique.» comme des poli-
ticiens corrompus qui avaient servi la dictature et qui ne s’en sépa-
raient que par ambition ou à cause de querelles d’intérêts douteu-
ses. Et ils voyaient bien que la réintégration des réfugiés, si elle
se faisait sous les auspices du HCR et de la Croix-Rouge, serait
une opération purement humanitaire dont le contenu politique serait
soigneusement expurgé. Pris entre une pression qui allait en aug-
.mentant à l’intérieur de l’Ouganda et une urgence croissante à pren-
dre de vitesse des développements défavorables au Rwanda même,
ils allaient hâter leur passage à l’action.

130
G. PRUNIER



L'évolution de la guerre dans le nord était par ailleurs en train
de modifier leur position au sein de la NRA. Celle-ci s’était énor-
mément élargie et comptait maintenant plus de 100 000 hommes.
Les Rwandaïis y jouaient un rôle de plus en plus réduit. Le prési-
dent Museveni qui combinait les opérations militaires et les négo-
ciations avec les groupes rebelles se trouvait soumis à des deman-
des constantes de la part de ces derniers pour « dé-rwandiser » la
NRA. Une cible toute particulière était son camarade de toujours,
Fred Rwigyema, maintenant général et patron de l’ensemble des
Forces armées. En novembre 1989, celui-ci fut limogé avec tous
les honneurs dus à son rang et à son passé glorieux. Il en conçut
une compréhensible amertume. Pour ses amis du FPR qui depuis
longtemps avaient abandonné l’espoir d’une «intégration ougan-
daise », son sort était logique. Rwigyema se rapprocha d’eux, met-
tant à leur service sa considérable expérience militaire et la force
que constituait son charisme personnel. À Kigali, le limogeage de
Rwigyema, dont les liens avec le FPR étaient connus, fut perçu
comme un signe de bonne volonté de la part du président Muse-
veni. En fait, cette mise à pied libérait l’ancien commandant en
chef et allait hâter le passage de l’action armée.

L’attaque du Rwanda et les premiers mois de la guerre



Le président Museveni, qui appréciait beaucoup Rwigyema, vou-
lait l'envoyer faire des études aux USA. Le « commandant Fred »
traîna les pieds et resta en Ouganda. Ayant fait son choix, il accé-
lérait les préparatifs au sein de la NRA. Malgré un certain état
d’impréparation dans certains domaines (logistiques notamment), il
décida de passer à l’action au début d’octobre en utilisant les céré-
monies de la fête nationale (le 9 octobre) pour justifier les mouve-
ments de troupe auxquels il procédait. Son prestige était encore
tel dans l’armée qu’en dépit de son retour à la vie civile, personne
ne discutait ses ordres. La conspiration était facilitée par le fait
que son ami Paul Kagame avait été promu directeur intérimaire
de la Sécurité militaire et qu’à l’abri de ce poste il procédait à des
déploiements de moyens parfaitement illégaux. Le contrôle des ser-
vices informatiques de l’armée et le fait que la garde personnelle
de Museveni était largement composée de Banyarwanda jouèrent
aussi un rôle important (23). Certains Ougandais se doutaient de
ce qui se préparait et tentaient de prévenir l’action par crainte des

(23) La garde personnelle du président Interrogés sur le terrain deux ans plus tard,
passera au Rwanda le 1% octobre en emme- les membres de cette unité se remémoraient
nant avec elle ses véhicules et notamment encore leur action avec un mélange de gêne
deux voitures radios complètement équipées. et d’amusement juvénile.

131
FRONT PATRIOTE RWANDAIS

conséquences internationales. Ses adversaires parvinrent à faire
envoyer Kagame aux USA pour un cours de perfectionnement peu
de temps avant la date fixée pour l’attaque. Afin de ne rien éven-
ter, il accepta de partir. À ce point, la question se pose évidem-
ment de savoir jusqu’à quel degré le président Museveni était au
courant de ce qui $e tramait. Il semble qu’il faïlle éliminer les deux
réponses extrêmes que constituerait sa totale ignorance ou sa totale
complicité. La position était beaucoup plus complexe. Arrivé à ce
point, il connaissait l'existence du FPR et de ses projets. Mais il
continuait à penser pouvoir parvenir à une solution négociée avec
Kigali. Par ailleurs, la rumeur d’une attaque rwandaïse, entrete-
nue depuis le complot maladroit de 1986, était devenue un tel lieu
commun (tous les Banyarwanda en parlaient ouvertement) que plus
personne, et sans doute par le président lui-même, n’y croyait
plus (24). In fine Museveni comptait sur son autorité personnelle
et le respect qu’avaient pour lui les principaux leaders du FPR
pour éviter qu'il ne l’embarrassent gravement sur le plan interna-
tional par une action inconsidérée. Il se trompait. Le 29 septembre
1990, profitant du départ simultanée des présidents Museveni et
Habyarimana qui se rendaient l’un et l’autre aux USA pour assis-
ter à une conférence organisée par l'UNICEF sur les problèmes
de l’enfance dans les pays du Tiers monde, les éléments rwandais
de la NRA mettaient en œuvre un programme de désertions mas-
sives et commençaient à se diriger vers la frontière. Dans la jour-
née du 1‘ octobre, ils passaient à l’attaque.

Le nombre des déserteurs était d'environ 2 500 (25). Un noyau
réduit d'officiers de la NRA les commandait. IL y avait un géné-
ral, Rwigyema lui-même, commandant en chef, un lieutenant-colonel
(Adam Waswa, commandant de la zone Ouest) et cinq comman-
dants (Peter Bayingana, Chris Bunyenyezi, Stephen Nduguta, Paul
Kagame — alors aux USA — et Sam Kaka). À cela s’ajoutaient
une quinzaine de capitaines et une centaine de lieutenants et sous-
lieutenants. Le matériel qu’ils emmenaient avec eux était assez
important : des mortiers de moyen calibre, des canons tractés rus-
ses ZUG, des lance-roquettes BM-21 et un certain nombre de véhi-
cules 4X4. Mais pas d’artillerie lourde ni de blindés. Les quanti-
tés de munitions étaient faibles car beaucoup s’attendaient à une
courte guerre-éclair qui ferait s’effondrer le régime Habyarimana

(24) La situation paraissait d’autant moins
crédible que de nombreux groupes qui
n'avaient avec le FPR que des liens très peu
politiques (par le biais de liens familiaux avec
certains de ses membres par exemple) se van-
taient ouvertement de renverser bientôt le
régime du président Habyarimana. L'auteur
de cet article se rappelle ainsi de longues con-
versations tout à fait invraisemblables avec

132

de jeunes monarchistes à Nairobi à la fin de
1989. Cette rhétorique avait fini par pren-
dre des allures de folklore.

(25) Ce chiffre, comme beaucoup d’autres
assertions ici et là dans ce texte, est le pro-
duit d’interviews réalisées sur le terrain en
Ouganda et au Rwanda entre 1988 et 1993.
Pour des raisons évidentes, il est souvent dif-
ficile de citer les noms des informateurs.
G. PRUNIER

en quelques jours. Les attaquants, très peu conscients des vieux
problèmes Hutu-Tutsi qu’ils attribuaient aux « manipulations de la
dictature » et sûrs d’être « politiquement corrects », s’attendaient à
être accueillis en libérateurs par les populations civiles.

Tout de suite les choses tournèrent mal. Le 2 octobre, le len-
demain de l'attaque, Fred Rwigyema était tué par un tireur isolé.
Énormément de rumeurs ont circulé sur cette mort et notamment
une version selon laquelle le « commandant Fred » aurait été abattu
par son adjoint Peter Bayingana à la suite d’une dispute sur la tac-
tique à suivre. Selon cette version, Bayingana aurait ensuite été jugé,
condamné et exécuté par ses camarades. Cette version est peu cré-
dible pour plusieurs raisons. D’abord, comme le faisait remarquer
un cadre du FPR, le prestige de Rwigyema était tel que quicon-
que l’aurait tué ne lui aurait guère survécu et aurait, selon toute
probabilité, été abattu sur place par ses gardes du corps. Or le
5 octobre, le journaliste ougandais indépendant Teddy Sseezi-Cheeye
interviewait Bayingana bien vivant et tout à fait libre de ses mou-
vements à l’intérieur du Rwanda (26). Selon lui, aucune tension

n'était Derceptible au sein de l’état-major de la guérilla. De fait,
il semble que la mort quasiment accidentelle de Rwigyema ait pro-
voqué la panique dans son entourage, d’autant plus que, selon plu-
sieurs sources, il fut le seul tué ce jour-là. Le FPR tenta de cacher
sa mort, dont la rumeur se répandit bientôt parmi les combattants
et jusqu’à l'étranger. Obligé de l’admettre, le Front l’attribua mala-
droitement à plusieurs causes (mine, accident). Comme, entre-temps,
Bayingana lui-même avait été tué au combat, un lien fut établi entre
ces deux décès, abondamment exploité par la propagande gouver-
nementale. En fait, beaucoup de gens moururent dans les premiers
jours de la guerre. Dès le 2 octobre, la NRA avait dressé des bar-
rages routiers pour tenter d'empêcher les trainards de rejoindre leurs
camarades. Les combattants continuaient d’arriver, mais en ordre
dispersé et en ayant souvent perdu l’équipement qu’ils étaient chargé
d'amener. Le 17 octobre, au sommet de Mwanza, les présidents
Habyarimana, Museveni et Ali Hassan Mwinyi s’étaient réunis pour
tenter de circonscrire la crise. Museveni était extrêmement nerveux.
En effet, dans la nuit du 4 au 5 octobre, l’armée rwandaise avait
monté une habile mise en scène dans les rues de Kigali pour faire
croire à une attaque des rebelles sur la capitale. Des milliers de
cartouches furent tirées (sans qu’on ne recense aucun mort !) et le
montage fut utilisé pour persuader Paris d’intervenir militairement,
officiellement pour « protéger les ressortissants étrangers », officieu-

(26) Voir The Weekly Topic (Kampala), par la suite Uganda Confidential, feuille polé-
n° 41 (19 octobre 1990). Sseezi-Cheeye, d’eth- mique se spécialisant dans la dénonciation
nie muganda, n'avait aucune sympathie par- systématique de tous les scandales réels ou
ticulière, soit museveniste, soit FPR. Il créera supposés du régime NRM.

133
FRONT PATRIOTE RWANDAIS

sement pour « défendre le Rwanda contre l’invasion ougandaise ».
Les liens personnels très cordiaux existant entre le fils du prési-
dent Habyarimana et Jean-Christophe Mitterrand, conseiller de son
père à la Cellule Afrique de l'Élysée, facilitèrent énormément les
choses. Le président Museveni, très dépendant de l’aide économi-
que occidentale au moment où l’effondrement des cours interna-
tionaux du café avait ruiné la balance commerciale ougandaise, se
trouvait dans l’obligation de chercher un compromis qui le proté-
gerait de l’hostilité française.

Au sommet de Mwanza succéda bientôt, sous l’égide de la très
pro-française Communauté économique des pays des Grands Lacs,
le sommet de Gbadolite (23-26 octobre 1990) réunissant les prési-
dents Mobutu, Buyoya, Habyarimana et Museveni. Entre-temps,
le Zaïre avait envoyé lui aussi un corps expéditionnaire au
Rwanda (27) et la situation s’internationalisait dans un sens peu favo-
rable au FPR. Sur le terrain, les choses avaient également mal
tourné. Opérant dans un paysage de champs ouverts qui se prêtait
très peu à la guérilla, le Front s’avançait à la manière d’une armée
conventionnelle dont il n’avait pas les moyens. Fin octobre, une
contre-attaque réussie de l’armée rwandaise avait fait plusieurs cen-
taines de morts parmi les assaillants, tuant notamment Peter Bayin-
gana et Chris Bunyenyezi, deux des principaux chefs du mouve-
ment. Paul Kagame était rentré en catastrophe des USA dès le
14 octobre et s’employait de son mieux à sauver ce qui pouvait
encore l’être d’une situation militaire apparemment désespérée. Le
30 octobre, le gouvernement rwandais avait même cru possible de
proclamer la victoire. Deux jours plus tard, pour prouver qu’il exis-
tait encore, le FPR s’emparait de Katuna. Mais il ne s'agissait que
d’un sursaut. La plupart des survivants s’étaient réfugiés dans le
Parc national de l’Akagera, seule zone de brousse accessible.
Kagame, devenu entre-temps le véritable n° 1 du Front (28), entre-
prit de les faire passer dans la zone des Virunga, hautes terres mon-
tagneuses où l’armée ne pouvait pas les poursuivre et à partir des-
quelles ils pouvaient menacer Ruhengeri. Ce fut pour les combat-
tants une période extrêmement difficile. Mal vêtus pour résister à
des températures souvent proches de zéro, isolés, mal nourris, beau-

(27) Contrairement aux forces françaises
et belges, les troupes zaïroises furent direc-
tement engagées dans les combats contre le
FPR. Indisciplinées et peu sûres, elles ne
furent pas d’une grande utilité militaire et
se livrèrent au pillage indiscriminé des civils.
Elles furent retirées au bout de quelques
semaines, à la demande discrète du gouver-
nement rwandais lui-même.

- (28) Son président officiel est le colonel
Alexis Kanyarengwe. Officier hutu ayant par-

134

ticipé au putsch de 1973 aux côtés de Juvé-
nal Habyarimana, il s’était plus tard brouillé
avec ce dernier et avait participé à la cons-
piration de 1980 visant à le renverser. Il avait
fui en Tanzanie d’où il avait plus tard pris
contact avec le FPR. Ce dernier, qui man-
quait de Hutu et cherchait à projeter une
image « nationale » au-delà des clivages eth-
niques, en avait fait son président mais ne
lui avait jamais donné de réel pouvoir.
G. PRUNIER



coup moururent de faim et d’épuisement. C’est pourquoi la prise
de Ruhengeri, le 23 janvier 1991, intervint comme une véritable
surprise (29) qui laissait présager une guerre longue.



De l'invasion à la « guerre populaire prolongée »

Conçu comme une promenade militaire devant déboucher sur
un renversement rapide du régime, le conflit prenait une toute autre
dimension. L'effet de rupture provoqué par l'attaque de ceux que
l’on appellait désormais les Znkotanyi (30) avait entraîné toute une
série de conséquences plus ou moins prévisibles. D’abord une impor-
tante répression au sein de la population civile. Le ministre de la
Justice Sylvestre Nsanzimana reconnaîtra 8 047 arrestations « offi-
cielles » (il y en eut d’illégales) entre octobre -1990 et avril 1991.
Si la plupart des détenus furent remis en liberté, ce fut une occa-
sion de harassements, de vols, parfois de viols ou de tortures.
Ensuite, toute une série de massacres de civils eurent lieu, en octo-
bre 1990 dans le Mutara, en janvier-février 1991 dans le Bugogwe,
au printemps 1992 dans le Bugesera et en janvier 1993 à nouveau
dàns le Nord-Ouest (31). Les victimes étaient non seulement des
Tutsi (ou apparentés, comme les pasteurs bagogwe), mais aussi, et
de manière croissante au fur et à mesure que l’opposition interne
au régime se développait, des opposants hutu. Ces massacres cau-
sèrent beaucoup plus de pertes que les affrontements proprement
militaires entre combattants du Front et de l’armée régulière (32).
Pour horribles que soïent ces violences civiles, il faut les analyser
comme un phénomène politique. Il convient d’abord de remarquer
qu’elles ne représentaient en aucun cas un phénomène spontané
« d'anciennes haines tribales » et qu’il s’agissait d’opérations menées

(29) C’est à l’occasion de cette attaque

que le Front libéra le colonel Théoneste
Lizinde, emprisonné depuis 1980 pour avoir
tenté de renverser le président Habyarimana
et fit de lui le deuxième « Hutu du Front ».
Ancien tortionnaire du régime, il était encore
moins «présentable» que le colonel
Kanyarengwe.

(30) « Les « combattants acharnés », .nom
d’une milice de l’ancien royaume rwandais.
La connotation monarchiste du nom était une
maladresse politique qui prêtait le flanc à un
amalgame avec les Inyenzi des années 60.
Pour une discussion érudite du terme, voir
Maniragaba Balibutsa : « Le sens exact du
mot {#kotanyi et l’historique du concept »,
in Les relations ïinterethniques, op. cit,
pp. 127-129.

(31) Ces massacres ont été bien documen-
tés dans le Rapport de l'Association rwan-
daise pour la défense des libertés publiques
(ADL), publié à Kigali en décembre 1992 et
dans le Rapport de la Commission interna-
tionale d’enquête sur les violations des droits
de l’homme au Rwanda, publié simultané-
ment à Paris, à Ouagadougou, à Washing-
ton et à Montréal en janvier 1993 par diver-
ses organisations de défense des droits de
Phomme. Moins connu, le rapport de PADL,
dont la principale animatrice Monique Muja-
wamaliya fut ensuite victime d’une tentative
d’assassinat, est le travail Le plus complet et
le plus détaillé.

(32) Le FPR les estime, de manière assez
crédible, à environ 2 500 morts pour les deux
armées depuis le 1® octobre 1990.

135
FRONT PATRIOTE RWANDAIS



froidement par les milices du MRND et de la CDR (33). Il s’agis-
sait d’une vieille tactique du régime de Kigali à l’époque des incur-
sions Inyenzi dans les années 60. On tuait un certain nombre de
Tutsi et on en arrêtait d’autres, de préférence des gens riches et
éduqués. Par le biais des contacts familiaux à l’étranger, le mes-
sage passait et les attaquants modéraient ou arrêtaient leurs opéra-
tions. Cette fois-ci, devant la nouveauté tant du FPR, plus résolu,
moins lié à « l’intérieur », plus impitoyable aussi car la forge ougan-
daise avait trempé de manière terrible la résolution de ses mem-
bres, que devant la nouveauté de la situation intérieure, à savoir
l'existence de profondes divisions intra-hutu, le système ne fonc-
tionna pas du tout. Loin de là. Les massacres aboutirent même
au résultat exactement inverse puisqu'ils furent utilisés par les élé-
ments les plus extrêmes du régime pour relancer la guerre et blo-
quer toute possibilité de solution négociée. On notait en effet une
étrange convergence « objective entre les éléments « révolutionnai-
res » du FPR et les éléments les plus « réactionnaires » de la dic-
tature. Pour les premiers, la « guerre populaire prolongée » pou-
vait seule amener la transformation politique et sociale radicale qu’ils
appellaient de leurs vœux. La poursuite des hostilités devait ame-
ner une décomposition progressive du régime en aiguisant toutes
ses contradictions. Pour les seconds, la poursuite du conflit était
la seule manière de se maintenir au pouvoir puisqu'elle perenni-
sait la présence militaire française, permettait d’orchestrer une pro-
pagande présentant le FPR comme l’avant-garde d’une restauration
monarchiste et revancharde et autorisait à dénoncer la croissante
opposition comme des « agents de l’ennemi » (34).

Le FPR a toujours mené les conversations qui se sont suivies
à intervalles réguliers depuis mars 1991 dans l’esprit des « négo-
ciations révolutionnaires » chères à Mao-Tse-Toung. Elles consti-
tuent pour lui un moyen de propagande, un signe de bonne volonté
vis-à-vis des Occidentaux, un processus d’acquisition de « positions »
sur une échelle politique et un moyen de se reposer entre les com-
bats. La perspective n’a jamais été autre que celle d’une élimina-
tion éventuelle du président Habyarimana, qu’il serait malhabile
de réclamer à l’heure actuelle, mais qui demeure l'objectif final.
En même temps, sa confiance dans l’appoint que peuvent consti-

(33) Coalition pour la défense de la
République. C’est une organisation extrémiste
créée notamment par Jean Barahinyura, poli-
ticien hutu longtemps brouillé avec le régime
à cause du long emprisonnement dont avait
été victime sa femme, mêlée à la conspira-
tion Lizinde-Kanyarengwe de 1980. Exilé en
Allemagne, il avait publié des pamphlets
extrêmement violents contre la personne du
général Habyarimana et avait même un

136

moment rejoint le FPR. Il fut ensuite « récu-
péré » par les services rwandais et put ren-
trer au pays pour lancer son mouvement qui
prônait un virulent racisme anti-tutsi.

(34) Nous ne développerons pas ici le :
thème de l’opposition civile et de sa. place
dans la crise rwandaise, nous réservant de le
faire dans un article qui doit paraître à la
fin de cette année ou au début de 1994.
G. PRUNIER



tuer les politiciens de l'opposition légale, issus du système lui-même,
reste des plus limitée. Le Front demeure persuadé de la justesse
de sa position politique, du caractère secondaire de l’opposition
Tutsi-Hutu par rapport aux contradictions sociales, politiques et
économiques qui affligent le régime et, à terme, de sa capacité à
attirer le soutien des masses rurales hutu. Pourtant celles-ci ont tou-
jours fui l’avance du Front à cause d’un mélange de crainte de
vengeances liées au passé, d’une propagande effrénée de la part du
régime (35) et d’un simple désir de se mettre à l’abri des projecti-
les. En 1992, il n’y avait qu'environ 1 800 civils dans toute la zone
tenue par le FPR qui offrait le spectacle, étonnant dans une région
de telle densité, d’un paysage entièrement vide, déserté par toute
vie humaine. Les récents accords de regroupement des civils dans
la zone-tampon définie à la suite des combats de février-mars 1993
vont constituer un test de cette foi du FPR selon laquelle le vieux
conflit Hutu-Tutsi peut-être dépassé par une « action politiquement
correcte ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la direction du
Front a considérablement insisté pour que les civils reviennent. La
communauté internationale, qui porte près de 900 000 personnes
à bout de bras depuis mars 1993, serait heureuse de déposer ce
fardeau (36) et pousse au retour des paysans vers leurs régions. d’ori-
gine. Le Front, qui ne réalise pas toujours à quel point son offen-
sive de février 1993 a fait peur, y compris aux opposants (37), voit
dans son administration de la zone-tampon démilitarisée où les civils
devraient revenir, une occasion de gagner les esprits et les cœurs.
Pour cela, il lui faudrait cependant « décoller » de son image tutsi,
chose difficile à faire car, si aujourd’hui le « noyau dur » des vété-
rans de la NRA s’est considérablement amenuisé par la mort au
combat et les désertions, la plus grande partie, des quelque 8 000
où 9 000 combattants du Front demeurent des Tutsi. Fils d’exi-
lés, ils sont venus du Burundi, de Tanzanie et du Zaïre, parfois
même d’aussi loin que des Etats-Unis ou de l’Europe. Leur niveau
moyen d'éducation est particulièrement élevé (la moitié des com-
battants ont une éducation secondaire et il n’est pas rare d’en ren-
contrer qui interrogent courtoisement le chercheur sur tels ou tels

(35) Celle-ci, dirigée envers des popula-
tions encore souvent très ignorantes, prenait
des formes parfois étonnantes. Ainsi, les pay-
sans de la région de Byumba en 1992 furent
très surpris de se rendre compte que, con-
trairement, à ce que leur avait dit l’armée
les combattants du FPR n’avaient ni queues
ni oreilles pointues ni yeux brillants dans la
nuit.

(36) Le seul Programme alimentaire mon-
dial (PAM) des Nations unies a distribué
26 000 tonnes de nourriture à partir de
lP'Ouganda pendant les six premiers mois de

1993, une grande partie grâce à un coûteux
pont aérien depuis Entebbe.

(37) Le sentiment, y compris dans les
milieux de l’opposition, a été que le Front
cherchait à s'emparer du pouvoir directement
par la force des armes, en s’ouvrant la route
de Kigali. Cette impression a amené une
recomposition brutale des rapports au sein de
l'opposition légale, en fonction des positions,
réelles ou supposées, des différentes forces
envers le FPR (voir article à paraître dans
African Affairs).

137
FRONT PATRIOTE RWANDAIS



travaux universitaires récemment parus à l'étranger !) mais leur
appréhension de la réalité rwandaise demeure souvent toujours aussi
mythique. Les négociations, les contacts avec l’opposition légale et
maintenant l’existence à Kigali d’une mission de liaison dans le
cadre du Groupe des observations militaires neutres de l'OUA ont
réduit ce déficit de perception.

Depuis la signature de l'accord de paix du 4 août 1993, un pro-
cessus encore fragile d’intégration du FPR à la vie politique rwan-
daise s’est mis en marche. Même si rien n’est joué, un grand pas
en avant a été réalisé. L’armée du Front est en cours d’intégration
dans l’armée nationale et ses cadres sont en train de devenir un
parti politique de fait. Leur rôle, au sein d’une opposition civile
traversée de violentes contradictions, sera essentiel. Déjà, sur le ter-
rain, les contacts se multiplient qui permettent aux exilés de con-
naître «leur pays, si longtemps désiré et si étrange » (38). Il leur
faudra néanmoins opérer avec le plus grand doigté pour parvenir
aux accommodements politiques nécessaires, car si le dernier carré
de l’akazu qui entoure encore le président Habyarimana va en
s’affaiblissant, il ne faut pas sous-estimer la persistance des anta-
gonismes nés de tant de sang versé et de tant de propagande depuis
trente-cinq ans.

Gérard Prunier
CNRS, Centre de Recherches Africaines

(38) Un phénomène intéressant a été la transition (donc hutu). Le FPR insiste aussi
multiplication des matches de football entre pour un retour aussi rapide que possible des
équipes FPR (donc essentiellement tutsi) et réfugiés de février 1993 dans leurs régions
équipes des Jeunesses des divers partis d’origine (qu’il contrôle) ; l’armée fait de son
d'opposition participant au gouvernement de mieux pour freiner ce mouvement.

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