Fiche du document numéro 10670

Num
10670
Date
2000
Amj
Auteur
Taille
148625
Titre
Le complexe Rwanda
Type
Conférence
Langue
FR
Citation
Avant d’entamer le thème du complexe Rwanda, il y a néanmoins deux questions que l’on peut se poser en préambule: pourquoi est-ce moi qui ai réalisé ce travail? et pourquoi le présenter à présent?.

Je vais donc m’expliquer successivement sur ces deux questions à savoir Pourquoi moi? plus particulièrement:

Il faut que vous en sachiez un peu plus sur mon personnage et je vais donc devoir soulever plusieurs voiles. Le premier celui de mes origines. Le berceau de la famille est situé à Montpellier-Castres. C’est de là que partit pour un petit tour d’Europe avant la lettre la souche qui put se sauver. Car il faut savoir que cette région était essentiellement composée de Cathares et que Rome avait décidé qu’ils devaient disparaître.

Je ne vais pas m’attarder sur les spécificités de cette philosophie ni sur les raisons qui sont à l’origine du conflit entre les Cathares et Rome. Mais en un mot tout de même Rome croyant que ce mouvement socioculturel pouvait lui porter ombrage voire même sans doute lui nuire, le pape avait donc décidé dans sa grande magnanimité, et dans son grand amour pour l’être humain en général, que ce mouvement philosophique devait disparaître de la surface de la terre.

Voilà donc mes ancêtres qui ont le douloureux choix entre quitter leurs terres ancestrales et tous leurs biens y associés ou rester et perdre la vie et par voie de conséquence le reste aussi. Le choix était donc évident : il fallait sauver ce qu’il y avait moyen de sauver et voilà donc mes ancêtres sur le chemin de l’exil en route vers l’Espagne. Ils y resteront deux siècles et arriveront, finalement (certains en tout cas) sur le territoire belge quand l’Espagne en prend possession avec ses mercenaires au début du seizième siècle. Rappelez-vous le duc d'Albe et son sinistre autoritarisme espagnol. Les comtes d'Egmont et de Horne, eux l'ont payé de leur vie puisqu'ils furent décapités sur son ordre.

C’est à ce moment-là qu’un ancêtre (devenu espagnol) prend souche en fondant un ménage avec une flamande de Diest. C’est également là que, quelques siècles plus tard, mon père y est né. Il monta avec ses parents, à l’âge de 14 ans, à Bruxelles en 1930 lors de la grande récession et y poursuivit ses études en français. Je naquis quant à moi en 1942. Nous résidions à l’époque à Wemmel, village parfaitement unilingue flamand. J’y débutai mes études primaires en flamand alors que nous parlions, mon père et ma mère en français ainsi d’ailleurs que mes frères et soeurs qui allaient me suivre (je suis l'aîné de neuf enfants).

J’ai donc la double appartenance, l’appartenance à deux cultures que j’apprécie autant l’une que l’autre. Je les connais aussi bien l’une que l’autre tout en n’écrivant pas en flamand ou si peu. Et donc, je peux parler sans complexe de ce que j’ai vécu, senti, entendu, perçu pour l’avoir vécu de l’intérieur des deux cultures, honnêtement, sans hypocrisie, sans détours, sans me tromper ou si peu: c’est ma perception des événements et non une interprétation.

Et ceci n’a pas été perçu à juste titre par certains activistes flamingants; mais cela c’est leur affaire à la limite. Quand bien même ces gens se sont permis de m’agresser et ce tant dans le domaine familial que dans le domaine professionnel. Et donc ce n’est pas étonnant que je sois considéré par d’aucuns extrémistes de, et je cite, traître à la cause flamande. Je n’en ai tiré aucun titre de gloire mais cela me permettait de me situer par rapport à eux, par rapport à leur combat. En un mot en les comprenant mais sans être d’accord, sans l’admettre car l’intolérance et le racisme affichés (n’ayons pas peur des mots) étant contraire à mes principes, à mes principes les plus sacrés, ceux en qui je crois le plus, pour lesquels je suis prêt à donner ce qui m’est le plus cher car c’est le prix à payer pour conquérir et surtout pour garder sa liberté.

Cela, c’est donc la réponse à la première des deux questions en l’occurrence Pourquoi est-ce moi? et quelles sont mes qualifications pour aborder ce délicat problème, ce thème des plus sensible.

La deuxième question est Pourquoi à présent?

C’est une étude que j’ai réalisée lentement, avec le temps laissant décanter les impressions, posant des questions autour de moi afin d’affiner les options de départ et de ne pas s’égarer, de ne pas perdre de temps inutile. Mais tout n’a commencé réellement que quelque temps après le cataclysme humain que fut pour moi et beaucoup d’autres le génocide rwandais qui faucha du 6 avril 1994 au 4 juillet 1994 soit 100 jours, dans une grande boucherie à ciel ouvert, plus d’un million d’hommes, de femmes, enfants et vieillards, soit 10.000 victimes par jour, mieux que la très efficace organisation teutone des fours crématoires. J’ai essayé, et d’autres aussi, de comprendre la génèse de cette horreur, le lent chemin qui fut tracé vers l’inexorable apocalypse finale. Plusieurs paramètres, et pour l’exprimer sans détour, plusieurs participants ont amené à cette apothéose et il y a déjà dès à présent des responsabilités des plus claires, de plus en plus claires.

Les responsabilités s’éclaircissent au fur et à mesure que le temps s’écoule et qu’il apporte son lot d’informations de plus en plus précises. Déjà il y a eu deux commissions parlementaires belges à propos du Rwanda, commissions qui déposèrent leurs conclusions en décembre 1997, après l'audition d'une bonne centaine de témoins.

S’ensuivit la mission d’information française qui livra d’autres informations supplémentaires, quand bien même celle-ci n’était qu’un contre-feu destiné à couper l’herbe sous les pieds de la mise au point d’une réelle commission d’enquête avec de réels et larges pouvoirs. Mais, même si la mission n’a servi qu’à blanchir la classe politique française dans son ensemble, les morts y compris, je pense plus particulièrement à la responsabilité tant flagrante qu’effarante de feu François Mitterand. Il n’en demeure pas moins que cette mission a glané beaucoup d’informations jusqu’alors considérées comme secret défense et qui sont à présent considéré comme étant du domaine public. Il n’en demeure pas moins aussi que les conclusions tirées par la mission d’informations sont à l’opposée de la raison quand on analyse les documents fournis. Ce qui fut d’ailleurs le même jeu du côté des commissions sénatoriales belges où le monde politique francophone dut admettre la manière de voir tronquée du tout puissant CVP et ne voter qu’un seul chapitre sur le quatre que contenait le rapport : la belle hypocrisie parlementaire car tous les chapitres sont publiés dans leur intégralité, ils sont même accessibles par internet, sans que nulle part, on fasse allusion à cet artifice administratif qui limite la valeur du rapport à un seul chapitre le quatrième celui des recommandations, qui est tout de même le plus important et qui se déduit de tous les autres chapitres qui le précèdent : c’est à n’y rien comprendre au niveau de la logique, au niveau de la raison.

A présent avant dernier élément d’appréciation : lors de la rencontre, le 26 janvier 1999 à Bruxelles, entre le secrétaire général de l’ONU Kofi ANNAN et les veuves de dix paracommando’s belges assassinés à Kigali le 7 avril 1994, Kofi ANNAN avait enfin promis d’initier une commission d’enquête à l’ONU à propos de la responsabilité de celle-ci dans le terrible drame rwandais. Le 16 décembre 1999, la Commission a déposé son rapport et les conclusions sont cinglantes au niveau des responsabilités. L'ONU est évidemment épinglée sans ménagements, et d'autres pays aussi comme la France et la Belgique. Un seul intervenant de taille n'est cependant pas cité et c'est le Vatican! On ne touche pas à cette organisation multi-nationale et multi-séculaire.

Le lendemain du dépôt du rapport de 73 pages lors d'une conférence de presse, Kofi Annan a déclaré qu'il avait des regrets profonds. Ceci donc sans reconnaître sa participation ni sa culpabilité. Pas non plus de formulation de remords, pas non plus de présentation d'excuses, pas de demande de pardon: c'est littéralement honteux.

Et dernier élément, enfin : mon objectif est de réaliser sous peu un livre autour du thème « le Complexe Rwanda ». Celui-ci abordera comme toute première étape la justification historique, et telle sera la limite du thème de ce jour. Plus tard, lors de la seconde étape, je reverrai et j’ajouterai un second thème qui m'est cher, le thème sous l’éclairage tant de la psychanalyse que de la sociologie, en me faisant aider comme il se doit par les professionnels de ces branches.

Mais comme ce livre risque de nuire encore plus à mon activité professionnelle et que de plus il faut du temps (que je n’ai en tout cas pas à satiété pour l’instant), j’ai décidé de démarrer la rédaction de ce livre-étude dès l’acquisition du passage à la pension. J’ai déjà payé cash d’innombrables ennuis pour rester poli au niveau professionnel et je ne tiens nullement à me faire casser avant la réelle concrétisation du droit à la pension. Et si je vous livre, chers amis, la synthèse de ce travail c’est pour une triple raison :

La première pour vous faire percevoir sous un autre éclairage, après un silence de six ans, après surtout une lente et longue maturation, ma propre perception et ma tentative d’explication de l’horreur du génocide rwandais, par quelqu’un qui y consacre l’essentiel de son temps et de son affection.

La seconde raison, c’est parce que je vous fais une absolue confiance et que cette conférence n’aura pas les effets secondaires pervers que j’ai connus jusqu’à présent dès que l’on égratine quelque peu les sbires du C.V.P. J’ai déjà payé, merci. Je sais que j’embête énormément le CVP par mes prises de positions et par mes écrits, lettres ouvertes, cartes blanches et autres agressions écrites tant à propos du Rwanda qu’à propos de la fumeuse collaboration pratiquée pendant la dernière guerre par certains qui osent espérer être amnistiés un jour. Etant fils de résistant, ayant épousé en première noce la fille d’un intellectuel flamingant condamné pour collaboration, là aussi, je sais parfaitement de quoi je parle et je sais parfaitement bien où je mets les pieds. Et enfin, mes chers amis,

La troisième raison, mon agenda caché et qui ne l’est donc plus, cette conférence me permettra après vous l’avoir présentée, d’en tester la qualité, la valeur, les options, les fondements. Si l’on veut appeler cet exposé un banc d’essais avant d’entamer le livre, oui, n’ayons pas peur des mots. Grâce à vous, mes chers amis, grâce à votre collaboration, grâce à votre complicité la qualité du travail en sera améliorée et ceci grâce à vos remarques, questions, confidences et autres interventions que vous ferez tout à l’heure. Soyez nombreux à intervenir, je me permets d’insister.

Attaquons donc, à présent, après ce long préambule, néanmoins nécessaire, le vif du sujet que voici.

Selon mes longues et multiples recherches, dans des créneaux divers, l’origine des problèmes rwandais actuels et passés se trouve avec précision et avec certitude en Belgique, et pendant les soixante-six minutes qui viennent, je vais m’astreindre à vous le faire comprendre, et même si j’y arrive à vous le faire admettre.

En 1830 la Belgique devient indépendante après avoir bouté les Hollandais hors de nos frontières. Mais quelle fut la première décision administrative importante en 1831 ? Le français est considéré comme la seule langue officielle du pays. Cela a l’air de rien pour ceux qui ont pris cette importante décision et l’on serait enclin à les comprendre: ils foutent à la porte cette armée d’occupation hollandaise et leur première réaction, on serait enclin à dire épidermique, est donc de supprimer toute référence à cette période et donc tout ce qui a trait à ce mauvais souvenir en l’occurrence également l’emploi de la langue de cet envahisseur qui est tout de même resté, souvenez-vous en plus de trente années.

Je vais faire un tout petit détour pour les jeunes, ceux de moins de quarante-cinq ans nés plus de dix ans après la guerre 40-45. A titre de comparaison, un peu facile je le concède, les Allemands ne sont venus que deux fois cinq années en un demi siècle et cela a tout de même occasionné de très sérieux conflits. Voyez, ou plutôt entendez, écouter les vieilles gens en parler, encore aujourd’hui. Dans les environs de Bastogne et même de Namur, deux exemples simples, il y a encore toujours de la haine vis à vis des teutons comme ils disent. Un haut fonctionnaire du ministère des finances belge m’a même un jour dit:
Moi vivant, cette société bavaroise ne rentre pas à l'administration de la Conservation aux Hypothèques. L’offensive Von Rundstedt a trop laissé de traces dans ma famille.
D’une part donc ce personnage haut en couleur, avait un ressentiment assez prononcé et il allait jusqu’à l’exprimer ouvertement mais cette personne avait trois pouvoirs distincts importants : gestionnaire de haut vol à l’état, gestionnaire communal et enfin officier de réserve chez les Chasseurs Ardennais. Comme il me l’avait dit un peu sur le ton de la provocation, mais surtout entre quatre yeux, je suppose sans risquer de me tromper que ce personnage affirme également ses ressentiments dans les trois cercles qu’il fréquente et que donc ces relents sortent encore régulièrement alors que l’on est tout de même plus de cinquante ans plus tard.

Fin du petit détour.

Mais il faut se rappeler la situation économique et sociale de l’époque, je vous rappelle, mes chers amis, que l'on est en 1830. Premièrement rappelons-nous que les dirigeants parlent tous quasi exclusivement le français. J’appelle dirigeants ceux qui président aux destinées du pays, les nouveaux gestionnaires en titre du jeune état belge. Mais il y a également la situation de ceux qui gèrent la vie économique du pays, la finance et la bourgeoisie. La bourgeoisie de Bruges, celles de Gand et d’Anvers parlent exclusivement le français, l’affichent avec condescendance et même, osons le dire, avec même un certain mépris, pour ne pas dire un mépris certain. Cela c’est donc ce que le Flamand moyen voit et doit subir sur ses propres terres.

Mais quelle est la situation économique et sociale de l’époque au niveau belge à présent. La Flandre est agricole et la Wallonie est industrielle (je schématise quelque peu). Il ne faut pas oublier que l’industrie lourde est florissante à l’époque et de plus qu’elle requiert de la main d’oeuvre, pas tellement qualifiée que cela.

Or, qu’avons-nous ? Une Flandre qui se reproduit (car en plus la Flandre est tout de même bien plus catholique que la Wallonie) car l’agriculture a besoin d’une solide main d’oeuvre. L’agriculture c’est beaucoup de travail pour un petit revenu et en plus la Flandre a une réserve de bras assez importante. Il y a donc un excédent d’agriculteurs et l’agriculture ne rapporte pas beaucoup. Morale de l’histoire, Les Flamands vont proposer leur main d’oeuvre aux Wallons qui en ont bien besoin. Il ne faut pas oublier que les Flamands sont considérés comme d’excellents travailleurs car ils sont habitués aux durs travaux des champs, ne sont pas habitués à rouspéter, et de plus ils se taisent pendant le travail. Et rappelons-nous que le syndicalisme n’est encore nulle part.

Arrivent, chers amis, arrivent donc les Flamands en Wallonie et ils doivent admettre de travailler pour des Wallons, qui les exploitent comme il était de coutume à l’époque.

Mais honnêtement les époques ont-elles fort changé depuis, mes chers amis? Je ne le crois pas. On a simplement changé les méthodes de travail, on est passé d’un libéralisme sauvage (ou naissant c’est selon) à un libéralisme plus agressif, plus hypocrite aussi. En un mot à un libéralisme plus efficace pour le manipulateur, et nettement moins intéressant pour le manipulé.

Les Flamands doivent donc parler français s’ils veulent manger (et le reste aussi). Et une première lame de fond se lance: c’est les plus nombreux, c’est ceux qui travaillent, c’est ceux qui produisent, et ils le font en silence. Mais cela est déjà considéré par plusieurs témoins flamands intellectuels privilégiés de l’époque comme une injustice sociale. Alors, que se passe-t-il avec ceux qui ont les capacités pour étudier et qui n’en ont pas les moyens ? Ou bien c’est en français ou bien ils sont pris en charge par la communauté religieuse et ils entrent au petit séminaire. Ils deviennent donc prêtre et peuvent étudier dans leur culture et dans leur propre langue. De plus, devenir prêtre était un honneur pour toute la famille, que dis-je, pour tout le village. Mais, plus important encore, les frères et soeurs du prêtre, peuvent suivre gratos l’enseignement catholique qui les prend donc en charge. L’école publique, on en est loin : il faudra encore attendre plus de cinquante ans. Elle n’existe donc pas et le seul réseau est aux mains de l’église catholique, pour rappel au même titre d’ailleurs que les services sociaux et les services de santé. Là aussi, le chemin sera long, parsemé d’embûches, un chemin fait d’âpres luttes, de vacheries diverses et de belles peaux de bananes: il ne faut pas oublier que les gestionnaires de l’école dogmatique avaient déjà dix-neuf siècles d’expérience derrière eux tandis que les laïques naissant n’avaient que leur foi en l’homme, leur honnêteté; à la limite leur innocence, leur candeur, leur …………..

Quant à l’enseignement officiel, l’école pour tous, et plus tard l’enseignement obligatoire il faudra encore lutter beaucoup: elle n’est pas encore née, il lui faudra encore cinquante années avant de naître.

Ce cirque, cette partie d’errance et de souffrance du peuple flamand, brimé dans sa langue et dans sa culture, va encore durer jusqu’en 1930, date de la création de l’université de Gand, la première université qui enseignât en flamand.

Donc pendant cent ans, environ, la Flandre va produire des enfants, beaucoup d’enfants qui ne vont pas pouvoir étudier dans leur propre langue, qui vont devoir vendre leur main d’oeuvre chez ces richards de Wallons dont ils vont devoir apprendre la langue et troisième point et non des moindres, il va se créer un réservoir de prêtres dont certains ont un certain antagonisme voire une certaine haine de la langue française et de là des francophones en général. Le clivage entre les deux communautés belges s’accentue mais bien plus grave, on observe de l’activisme au sein des prêtres. Et enfin, il se crée lentement au sein du peuple flamand un sourd et pernicieux complexe d’infériorité du Flamand donc par rapport aux Wallons. A telle enseigne que l’usage du terme flamand lui-même est à la limite presque considéré comme une insulte, on a honte de se faire traiter de Flamand. Du côté wallon, bien sûr, on n’est pas des enfants de coeur et le terme véhicule une certaine charge de condescendance voire de mépris. Ce n’est pas pour rien que l’on est passé lentement mais sûrement de la terminologie vlaams à la terminologie nederlands: on n’étudie plus le flamand en Belgique, on y enseigne désormais le néerlandais. Pourquoi donc si ce n’est pas fuir cette connotation négative que le terme flamand véhicule. Même si les intellectuels flamands essaient tant bien que mal tenter de renverser la vapeur et vont, c’est évident à l’heure actuelle, créer par exemple le ministerie van de Vlaamse gemeenschap, (terminologie qui est fondamentale) mais, phénomène social et linguistique supplémentaire, est la décision qui est à voir comme fondamentale à connotation politique, dont le siège est à Bruxelles et non en Flandre.

Nous avons donc, en guise de résumé de cette première partie, à la fin du dix-neuvième siècle un peuple flamand brimé dans sa langue, dans sa culture, un peuple qui se considère comme traité injustement par les francophones en général, ceux de chez eux d’abord et surtout, les nantis, la classe moyenne, les possédants et qui le leur font sentir, ne nous voilons pas la face, mais aussi donc ces francophones chez qui ils doivent exporter leur main d’oeuvre à vil prix bien sûr. Second point il y a un réservoir d’intellectuels flamands activistes qui s’est, petit à petit, constitué avec le temps et parmi ceux-ci un groupe particulier non négligeable de prêtres des plus actifs essentiellement au niveau social et plus particulièrement dans le domaine de l’enseignement et dans celui des soins de santé.

S’ouvrent ensuite les portes de l’Afrique centrale où il est fait appel à des gens qui en veulent, à des gens qui veulent tenter leur chance, à des gens qui n’ont pas peur aux yeux. Et c’est qui qui s’engouffre donc au Congo puisque c’est de lui qu’il s’agit d’abord ? C’est à nonante % des Flamands, des colons et des missionnaires. Mais ils ne sont pas quittes de ce qu’ils considèrent comme l’impérialisme francophone car il ne faut pas oublier que quasi tous les cadres de l’administration coloniale de départ sont des francophones avec souvent même des noms à rallonge associés à un titre qui eux aussi essaient de se refaire une santé voire une réputation, une notoriété perdue. Cela se construit évidemment avec le temps et par quelques actions bien valorisées mais surtout cela peut se perdre en une soirée dans des lieux illustres de déperdition que sont les casinos et autres maisons de débauches où se promène et se délecte le gratin, ou certains de ceux-ci du moins; le gratin, dis-je, mais également la pègre, ce qui est bien une constante sociologique.

Et dernier élément de ce puzzle socioculturel à forte connotation linguistique, il faut savoir que l’enseignement des petits congolais (et congolaises dans une moindre mesure) se réalise en français, s’il vous plaît. Alors que la langue pratiquée entre les prêtres et les colons belges sera le flamand (et non le néerlandais) de telle sorte que, les quelques Congolais qui apprenaient les rudiments de la langue française d’importation, cette langue introduite par le colonisateur, ne pigeaient que dalle de ces échanges qui, neuf fois sur dix, les concernaient évidemment. C’était évidemment une sorte de mépris, un des multiples instruments de discrimination entre les deux groupes dont l’inventaire serait très long mais qu’il faudra bien réaliser un jour.

Voici donc les conditions qui sont présentes lors du début de cette lente et longue colonisation et l’état belge, dépassé par la taille de l’entreprise délèguera, et ce dès le départ, à la seule et unique communauté religieuse essentiellement (j’ai envie de dire exclusivement) celle d’obédience catholique romaine tout le secteur soins de santé ainsi que celui de l’éducation.

Au début cela ressemble plus à la chasse au trésor, à une réelle ruée vers l’or que les premiers colons irlandais ont connue en faisant la conquête de l’Ouest américain. C’est donc réellement la loi du plus fort, la loi de la jungle et les premiers colons flamands se tailleront une sérieuse réputation de cogneurs. Bien sûr, ils se feront respecter en instaurant un système particulièrement bien réglementé de coups de chicottes qui donc pouvait sembler, et même mieux, donner l'impression de supprimer l’arbitraire de la punition surtout par ceux qui étaient concernés au premier chef par ces horribles coups de chicottes.

Quant aux communautés religieuses qui envahiront le Congo et ultérieurement (quand les vannes s’ouvriront en 1923 et que la guerre 14-18 aura transféré ses anciennes colonies perdues lors de la guerre) le Rwanda et le Burundi, au départ chacun tire la couverture de son côté, c’est la période du chacun pour soi. Mais petit à petit les autres communautés religieuses (d'origine anglaises et américaines) désirant également pourvoir au prosélytisme coutumier ayant découvert en cette terre de promesses un réservoir gigantesque (et vierge) à conquérir, la grande communauté installée va s’organiser, se structurer en 1923 de telle sorte que l’on ne perde pas de temps à se battre entre soi alors qu’il faut garder toutes ses forces pour pouvoir lutter le plus efficacement contre cette nouvelle vague en Afrique Centrale que représente le protestantisme.

Nous nous trouvons donc à présent en 1923 et les Pères Blancs s’installent en force tant au Rwanda qu’au Burundi. Aujourd’hui deux pays distincts, à l’époque ils étaient sous protectorat belge, protectorat que la S.D.N. avait confié à la petite Belgique. L’entité juridique s’appelait à l’époque le Ruanda-Urundi et formait un tout où cependant la ville de Usumbura (aujourd’hui appelée Bujumbura) était considérée comme le chef-lieu administratif de cette entité.

Arrivent donc au Rwanda les Pères Blancs qui ont le même passif socio-affectif que ceux qui ont envahi le Congo quelques trente ans plus tôt, à savoir des prêtres brimés dans leur langue et dans leur culture, des prêtres en surcapacités dirions-nous aujourd’hui en termes de gestion des ressources humaines, puisqu’il y a bien trop de prêtres en Flandre.

La toute grande différence avec le Congo voisin, c’est qu'il n’y a nulle place pour les colons sur le territoire rwandais, le terrain étant par trop exigu, exploité en terrasses aujourd’hui pour ce qui concerne du moins l’agriculture car sur les mille et une collines, le moindre pouce carré est exploité. N’oublions pas non plus qu’à côté des agriculteurs, il y a également des pasteurs qui avec leurs troupeaux faméliques et une herbe, qui n’est pas de la qualité supérieure, mobilisent également une part importante du sol principalement celui situé à moyenne altitude soit entre 1400 et 2000 mètres, l’endroit rêvé tant pour l’homme que le cheptel bovin, endroit où la majeure partie des bestioles, parasites et autres moustiques, ne survivent pas, et je pense bien sûr principalement au moustique appelé anophèle, le seul animal vecteur de la terrible malaria qui a décimé et décime encore toujours aujourd’hui tant le cheptel que les êtres humains.

Première grosse différence et il y en aura d’autres.

Le pays est constitué de trois groupes ethniques distincts et qui ont chacun leur fonction sociale sans qu’il n’y ait, j’insiste, absolument aucun jugement de valeur.

D’une part, il y a le groupe le plus petit: le Twa, individu de la famille des pygmoïdes, spécialisé dans la chasse, la poterie et dont certains à la cour royale ont le redoutable rôle de bouffon et, mais aussi et cela se sait moins, de bourreau. Ils sont d’excellents guerriers également. Leur population fluctue et est de l’ordre, au moment où les Belges prennent possession du Rwanda, de maximum un pour cent.

Le second groupe fait de l’élevage de bovins, quasi exclusivement. Il s’agit des Tutsi qui représentaient officiellement, mais estimé d’une manière relativement arbitraire, quelques 15% à la fin de l’ère coloniale et plus de 30% environ lors de l’ultime recensement réalisé par le dernier régime dictatorial en 1990, recensement qui n’a jamais été publié, et pour cause.

Et enfin le troisième groupe, le groupe des Hutu, qui devaient être approximativement 85% au début du siècle et qui perd petit à petit de son importance relative au fil des ans.

Deuxième grosse différence, ces trois groupes sociaux, parlent la même langue. Les innombrables linguistes qui se sont penchés sur le Rwanda ne se sont toujours pas mis d’accord pour savoir qui des trois groupes avait passé sa langue aux autres.

Troisième différence, et de taille, les trois groupes vivent sur le même territoire et sont intimement liés comme par exemple au sein des quelques quinze clans répartis à travers le pays. Ceux-ci sont toujours, et à travers tout le pays, constitués de membres appartenant aux trois groupes sociaux. Il n’y a donc pas comme en Belgique de territoire dédicacé (par la force, faut-il l’ajouter) à chacune des communautés linguistiques existantes.

Si j’utilise le vocable groupes sociaux, c’est bien à dessein et pour plusieurs raisons; il faut, c’est même indispensable, que vous les connaissiez pour comprendre la suite.

Il y a au départ, premier principe, des différences morphologiques entre ces trois groupes, qui au départ étaient essentiellement distincts. Le Twa a, je le rappelle, le type pygmoïde, et est donc trapu, costaud, vigoureux, agile. Il est de petite taille (aux environs des 155 cm maximum) et a le nez très épaté. Ces caractères morphologiques sont essentiels pour une de ses activités à savoir la chasse, l’autre activité étant la poterie. Le Hutu est, quant à lui, de taille légèrement supérieure, se situant généralement aux environs de 175 cm, pourvu d’une constitution normale et doté d’un nez légèrement épaté, ce que l’on appelle communément de type bantou (terme qui est, pour votre gouverne, n'est pas de la même origine sémantique que le terme hutu comme on pourrait être tenté de le croire). Et enfin, le type Tutsi, qui est généralement filiforme, possède de longs doigts, de longs bras, de longues jambes, a un nez fin, du type indo-européen et non bantou, et est en règle générale de très grande taille. Avoir plus de 190 cm est dans la norme et certains individus (tant masculins que féminins d’ailleurs) dépassent allègrement les 210 cm. Et la famille royale, qui régissait une bonne partie du pays, avait d’ailleurs très souvent plus de 2 mètres, tant le Mwami (l’équivalent du Roi) que son épouse; et même la reine-mère, qui avait une influence très importante sur son fils, le Mwami. C’est elle, pour donner un petit exemple croustillant qui plaira j’en suis sûr, à plusieurs de mes chers amis, qui choisissait avec quelle prétendante le fils allait passer la nuit.

Ce qu’il faut savoir, c’est que ces groupes étaient perméables. Un Tutsi pouvait perdre son statut et devenir Hutu, au même titre d’ailleurs qu’un Hutu pouvait devenir Tutsi pour hauts faits rendus pour le pays. En exagérant à peine, je dirais que les Twa étaient les ouvriers, les Hutu les employés et les Tutsi les cadres. Mais, je le confesse, je considère que j’exagère tout de même un peu.

Quatrième et avant-dernier point, la culture. Quand bien même, ces trois groupes sociaux utilisent la même langue, ils ont trois cultures différentes. De fait, leurs appréciations diffèrent à propos de toute une série de concepts et j’en cite quelques uns: la mort, l’amitié, l’amour, la femme, la famille, la patrie, l’enfant, le travail, les rapports sociaux, les rapports face aux biens matériels et donc face à l'argent, les affaires et j’arrêterai là l’énumération. La différence essentielle peut être résumée par deux types essentiellement différents à savoir le Hutu est un sédentaire puisqu’il est agriculteur et le Tutsi est nomade puisqu’il est pasteur. Ces deux types d’activités vont évidemment agir après plusieurs siècles sur la morphologie, en ce sens que le Hutu a comme nourriture de base le haricot tandis que le Tutsi boit du lait toute la journée. Mais, ces trente dernières années, ces habitudes ont dû changer, par la force des choses, et principalement dans la diaspora tutsi qui, répartie à travers le monde, et ce pendant plus de trente années, a dû et a pu s’adapter à un autre comportement alimentaire. Et dernier élément, et non des moindres, à propos de la culture rwandaise, il s’agit des proverbes. Cette culture, inconnue pour beaucoup d’entre vous, possède plus de 4.500 proverbes et ceux-ci sont là pour être utilisés, évidemment.

Cinquième et dernier point: la religion ou plus exactement la philosophie de vie, la philosophie d’être.

Les trois groupes sociaux ont en commun trois éléments fondamentaux:

Primo, le respect face aux morts et un culte des morts commun;

Secundo, le respect d’un être suprême que les trois groupes appellent du même terme Imana. C’est bien une philosophie et non une religion, je me permets d’insister, mes chers amis, car cet être suprême n’est pas craint, il n’y a pas de lieu de culte, et enfin il n’y a ni prêtres ni donc structure hiérarchisée ni même de structure administrative. Je ne puis passer sous silence un terme important pour comprendre tout ce qui précède : ils étaient tous, avant l’invasion culturelle et cultuelle, de philosophie animiste, en quelque sorte des écolos avant la lettre.

Troisième point et non des moindres: la structure de l’état rwandais ressemblait à un royaume avec une série de roitelets autonomes, essentiellement présents au Nord et au Nord-ouest du Rwanda. En regard de cette structure étatique, il n’y avait pas de système équivalent au syndicalisme mais, par contre, il y avait bien un culte à RYANGOMBE, culte qui doit, je dis bien DOIT, être comparé au rôle social et à l’importance de ce que certains parmi vous connaissent sans doute à savoir la Franc-Maçonnerie. Quand l'on se donne la peine de comparer les deux organisations tant à propos des moyens et méthodes que des buts poursuivis, on en arrive à la conclusion inattendue, pour certains d’entre vous, que la similitude était indéniable voire flagrante.

Sachant donc tout cela, nous pouvons dès à présent, la mise en scène étant à présent terminée et les acteurs connus, passer aux cinq décisions que l’administration belge a mises en place par la décision que la fameuse Société des Nations, l’ONU de l’époque, prit entre 1923 et 1931. Ces cinq décisions pouvaient sembler anodines, vues appliquées sur le territoire belge, mais cette comparaison ne pouvait avoir lieu compte tenu des différences déjà passées en revue, il y a quelques minutes. Ces cinq décisions administratives allaient créer un clivage entre les trois groupes sociaux en parfait équilibre et ce clivage allait mener lentement et sûrement vers le génocide rwandais de 1994. Je ne nie nullement le fait que l’intention n’était pas de nuire mais cela n’enlève pas le fait que ce furent des choix importants avec des conséquences sociales des plus gigantesques.

Voici donc à présent ces cinq décisions aux conséquences désastreuses, aux conséquences catastrophiques mieux connues à présent.

Primo, l’administration belge décida que, à travers tout le Rwanda, les chefs seraient dorénavant Tutsi, car selon l’administration, ils étaient plus aptes à gérer, et puis, la couleur mise à part les Tutsi ressemblaient aux blancs, ajoutait-on, sans gêne, sans honte, sans vergogne, à l’époque de cette décision.

Evidemment, cela créa des tensions dans le Nord et dans le Nord-ouest du Rwanda où il y avait toujours eu des roitelets hutu, des plus jaloux de leur autonomie face à ce pouvoir centralisateur.

Deuxième décision administrative, puisque à travers tout le Rwanda, l’administration belge avait décidé de nommer des chefs tutsi, l’administration restant logique dans sa démarche, il fallait prévoir le futur, le moyen terme, et donc il fallait prévoir la relève dans vingt à trente ans. Il fut créé une école de fils de chef. Et donc, on était reparti pour un tour de piste dans l’écartellement des groupes sociaux: les jeunes Tutsi pouvaient aller à l’école et les fils des Hutu avaient juste le droit de suivre leurs pères et leurs mères aux champs et on allait donc être agriculteur de père en fils. Je schématise bien sûr un peu, mais c'est dans le but de rester didactique.

Troisième décision administrative: la création de la carte d’identité avec la mention ethnique, comme appellation contrôlée de l’époque. Ce qui fige, une fois pour toutes et c’est cela qui est encore plus malheureux, cette organisation sociale qui avait une certaine souplesse jusqu’à cette date. Il faut également que vous sachiez, mes chers amis, que tout Rwandais se référait avant tout à son clan et ensuite seulement à sa nationalité mais jamais il n’était fait état de l’ethnie de la personne, un peu comme si lors d’une rencontre entre deux Belges, après avoir décliné leur nom et leur prénom, ils exhibaient ensuite leur identité sociale comme par exemple cadre d’entreprise. Bien sûr, en Belgique, aujourd’hui les Belges sont plus enclins, face à un étranger, à se définir comme francophones ou comme Flamands, voire même comme Bruxellois, pourquoi pas. Mais cela est dû à une évolution récente suite au découpage du territoire belge, découpage imposé par la Flandre.

Notons que la notion d’ethnie et la définition de celle-ci sur la nouvelle carte d’identité rwandaise a donc eu comme conséquence des plus désastreuse que cette identification qui n’était au départ que sociale devint à la longue l’identification principale de la personne et la ségrégation de la société rwandaise démarra sur base de l’identification devenue raciale. L’histoire n’a heureusement pas retenu le nom de ce grand imbécile, de ce malade qui n'avait absolument pas compris toutes les stratifications rwandaises et leurs raisons d'être. Depuis lors, même si cette identification sociale n’avait pas cours, à présent, les événements aidant, on ne peut plus faire comme si cela n’existait pas, le problème fut créé et on doit donc, qu’on le veuille ou non, qu’on le regrette ou non, en tenir compte.

A titre documentaire, chers amis, vous pouvez regarder votre carte d’identité ou votre passeport et vous verrez que votre ethnie s’y trouve reprise : celle-ci est définie par le choix de la première ligne de votre passeport ou par le choix de la langue du premier mot qui se trouve en haut à gauche de votre carte d’identité à savoir nom pour les francophones et naam pour les Flamands. Je rappelle, pour ceux qui l’auraient oublié, que cette notion d’ethnie chez nous n’est libre que pour les Bruxellois qui ont la possibilité de déterminer la langue dans laquelle ils veulent correspondre avec les services officiels. Tandis que, pour toutes les autres régions, l’ethnie est définie par le fameux et révoltant droit du sol. A savoir donc que tout individu sur le sol considéré arbitrairement comme flamand est qu’il le veuille ou non, Flamand. Et il en est malheureusement de même pour les individus sur le sol wallon qui sont tous considérés comme des Wallons.

Mais à présent vous pouvez percevoir que cette approche, pour sensible qu’elle fut chez nous, nous qui vivons chacun bien à part sur notre portion de territoire, ce que cette approche quasi normale pour d’aucuns pouvait générer des effets secondaires, à long terme, catastrophiques. C’est bien involontairement que cela s’est passé, autrement dit l’intention de nuire ne fut pas présente, il faut le croire mais il n’empêche que cette horreur administrative dégénéra lentement mais sûrement vers les génocides, car il y en eut plusieurs: vous n’avez entendu parler, chers amis, que du dernier, celui de 1994, qui fut le plus gigantesque de l’histoire récente rwandaise, en taille, en durée, en horreur.

Quatrième et avant-dernière décision administrative prise par l’administration belge:

Tout propriétaire de dix vaches et plus est considéré comme Tutsi, les autres étant Hutu. C’est d’une aberration mentale sans équivalent sur la surface de la terre. Autant, il ne faudrait pas chercher le nom de celui qui inventa la carte d’identité rwandaise, autant celui qui inventa cette imbécillité mérite d’avoir son nom épinglé, non comme débile mental irrécupérable ce qu’il est assurément, mais comme un des grands malfaiteurs de l’humanité.

Cette décision révoltante eut comme conséquence d’écarteler encore un peu plus la société rwandaise de l’époque. Des Tutsi devinrent Hutu et des Hutu devinrent Tutsi par cette décision de l’administration belge.

Mais formulé d’une manière volontairement plus aggressive: les Tutsi pauvres devinrent Hutu et les Hutu riches devinrent Tutsi. Ce qui eut donc comme conséquence immédiate et claire comme tout le monde à présent que tous les riches étaient Tutsi et que tous les pauvres étaient Hutu. Voilà, mes chers amis, comment on écrit l’histoire, comment on déforme, comment on transforme une société qui n’avait rien à envier à personne.

Mais avant que de passer à la cinquième et dernière décision, puisque l’on parle d’histoire, il faut que vous sachiez aussi, l’importance d’un mot laché fin du siècle passé par un des premiers pionniers allemands au Rwanda à savoir le comte Von Götzen. Celui-ci, après avoir pris connaissance de la structure et de l’organisation de la société rwandaise de 1890, qualifia celle-ci de système féodal. Ce qui était vrai en partie car les conséquences sociales n’étaient absolument pas les mêmes que celles connues sur le territoire européen.

Et je citerai, pour ce faire, trois grandes différences fondamentales:

La première c’est que les paysans n’étaient absolument pas considérés comme des serfs. Ils n’étaient pas, que mes propos soient clairs: taillables et corvéables à merci, pour reprendre l’expression qui vient automatiquement à l’esprit dès lors que l’on utilise le terme de féodalité.

Deuxième différence qui en est la suite: la situation sociale du paysan rwandais n’avait rien à envier au paysan flamand du début du dix-neuvième siècle. Ils travaillaient autant, avaient autant d’enfants, pouvaient nourrir tout ce monde sans problème. Ils ne devaient à leur suzerain qu’un impôt, en échange de la protection que celui-ci leur offrait par le biais de l’existence de l’armée rwandaise et cet impôt correspondait au travail d’un jour par semaine pour le suzerain soit, pour fixer les esprits, un impôt linéaire de 14%. Vous devrez concéder, chers amis, que ceci n’est rien en regard des 40% que le ministère des Finances retient allègrement sur votre appointement. Ne parlons pas de l’impôt sur le foncier ni de la T.V.A. ni de la retenue O.N.S.S. Bien entendu, la gestion de l’état rwandais ne couvrait que l’armée mais celle-ci a toujours eu le budget le plus gros (le plus mirobolant devrions-nous dire) de tous les ministères à travers tous les états occidentaux dotés d’une armée.

Bien évidemment, il n’y avait ni mutuelle, ni pension, ni allocation de chômage, ni allocations familiales, ni des routes à entretenir, ni l’enseignement obligatoire à subsidier ni des soins de santé de qualité pour tous. Il n’empêche que comparant ce qui pouvait être comparé, à la même époque, s’entend, l’organisation de la société rwandaise n’avait rien à envier à l’Europe de l’époque.

De plus, il faut que vous sachiez également, mes chers amis, que selon la longue et ancienne tradition africaine, tout individu vit intensément une réelle solidarité tant familiale que clanique, et cette solidarité là n'a nullement besoin d'administration comme c'est largement le cas à travers quasi toute l'Europe, et ce qui est particulièrement vrai dans notre petite Belgique.

N’oublions pas que grâce, à cette armée, le Rwanda est le seul pays d’Afrique qui n’ait jamais permis que les esclavagistes viennent se servir sur son territoire. C’est dire la qualité de cette armée rwandaise, efficace et redoutée, face à des marchands d’esclaves déterminés et bien armés.

Troisième et dernière grosse différence entre la féodalité bien connue en Europe et celle en pratique au Rwanda: un paysan déçu par son chef (ou même son sous-chef) peut changer de chefferie, c’est-à-dire qu’il n’est pas lié corps et biens à son autorité en place. Le suzerain avait tous les droits sur ses vassaux qui à leur tour avaient tous les droits sur les manants et les serfs, jusques et y compris le fameux droit de cuissage bien connu. Ce qui ne fut manifestement pas le cas au Rwanda. De plus, le paysan pouvait se plaindre auprès de l’autorité immédiatement supérieure et pouvait même aller jusqu’à faire appel au Mwami lui-même, s’il estimait le recours fondé, sans évidemment risquer de prendre des pêches au retour.

C’est malheureusement avec ce petit terme de féodalité que l’on a jeté le discrédit, involontairement je veux le croire, sur ce petit royaume particulièrement bien organisé qu’était le Rwanda. C’est avec ce petit mot chargé de beaucoup d’aspects négatifs, nés exclusivement du système féodal européen, que va démarrer l’appréciation négative de l’organisation du royaume rwandais. Quand bien même les premiers colonisateurs vont être épatés de trouver en plein milieu de l’Afrique un système aussi bien structuré qui n’a rien à envier à l’Europe. Mais bon, la machine se met en place.

J’en viens à présent à la cinquième et dernière décision administrative de l’administration belge :

Celle-ci pratiqua le indirect rule soit la gestion par l’administration belge de l’état rwandais au travers des chefs en place, des chefs qu’elle avait elle-même désignés en ce qui concerne plus particulièrement le Nord et le Nord-ouest, nous l’avons déjà vu. C'est à dire tous des Tutsi.

En quoi consistaient réellement toutes ces activités que l’administrateur belge faisait réaliser par le chef tutsi ?

Ces activités sont au nombre de cinq, comme ce fut plus ou moins le cas dans toutes les colonies d'ailleurs:

La première est le prélèvement de l’impôt mais celui à prélever pour l’administration belge sera malheureusement supérieur à celui d’avant. Il y aura par exemple un impôt sur le cheptel qui n’existait pas auparavant. Un peu, ce que l’état belge n’est toujours pas parvenu aujourd’hui à instaurer en Belgique soit l’impôt sur la fortune. C’était le chef tutsi qui était en contact avec le contribuable et c’est donc lui qui avait le mauvais rôle. Puisque c’était lui aussi qui devait faire donner de la bastonnade aux mauvais payeurs et aux récalcitrants. Et, quand on connait la pudeur des Rwandais en général, on ne peut qu'être atterré quand on apprend que, pour l'administration coloniale belge, est soumis à l'impôt, tout être humain de sexe mâle qui n'est plus imberbe. Vous voyez d'ici un chef tutsi, demandant à un adolescent de se déshabiller afin de pouvoir contrôler si celui-ci a ou non des poils au pubis; autour de la verge pour être précis. Vous devez savoir, chers amis, que cela ne faisait pas partie de la tradition rwandaise qui respecte la femme, l'homme, l'enfant et les vieux comme nous ne l'imaginons pas.

Et donc, je me permets de faire ici, mes chers amis, un commentaire personnel des plus logique et sain: obliger le chef tutsi à contrôler si les adolescents avaient des poils autour de la queue, revenait à le ridiculiser, à lui faire perdre son crédit de chef, à distiller petit à petit, parmi ses administrés, le mépris et avec le temps la haine. Et là je me dis que ce n'était sans doute pas tout à fait involontaire, mais bien attentatoire de la part du colonisateur belge. Il ne peut pas ne pas l'avoir fait exprès, pour vous livrer le fond de ma pensée.

La deuxième activité fut les travaux obligatoires, soi-disant d’intérêt général:

il fallait que tout le monde participe, en consacrant un jour par semaine, à la réalisation des routes. Celles-ci étaient évidemment inexistantes au Rwanda, les vaches, les paysans, les pasteurs, les soldats et les porteurs n’ayant pas besoin de plus que les sentiers existants. Ces travaux considérés (déjà à l’époque) de travaux inutiles, expression bien connue de nos concitoyens de cette fin de vingtième siècle, furent donc imposés à la population par le chef tutsi, une fois de plus. C’est lui qui devait organiser et punir dans certains cas. Et tout cela pour des réalisations dont seuls allaient profiter ceux qui allaient pouvoir utiliser ces routes soit les propriétaires de voitures (les administrateurs belges) soit les propriétaires de motos (principalement les missionnaires flamands qui allaient ainsi pouvoir sillonner à travers tout le pays et propager la bonne nouvelle, et baptiser en essayant de battre des records débiles jusqu’à avoir des poignets et des épaules luxées, je n’invente rien; du vrai délire, l’équivalent de la fièvre de l’or au far-west). Voire encore, à titre anecdotique, les camoins qui transportaient les affaires des Blancs.

La troisième activité, qui s’opéra principalement dans le Nord et le Nord-ouest évidemment, c’est la plantation de trois espèces inconnues et inutilisables par les paysans rwandais à savoir le thé, le café arabica et le pyrèthre (seul désinfectant naturel, une belle petite fleur ressemblant à la marguerite et qui pousse sur les champs de laves). Le chef tutsi est donc obligé de suivre de près ces plantations dont le produit sert essentiellement à l’exportation et de sévir le cas échéant. Le chef tutsi commence donc à se faire apprécier par ses administrés, et ce de mieux en mieux. Le paysan rwandais lui qui n’a jamais vécu que de sa seule et propre production et de ses quelques excédents qu’il pouvait, par le passé troquer et à la fin vendre, le paysan ne peut donc apprécier le temps passé à s’occuper d’une culture importée quand bien même celle-ci est rémunératrice de revenus. Ceux-ci n’ont jamais excédé l’ordre de la modestie. Quant aux revenus réels aussi solides que cachés, ceux-ci allaient essentiellement dans les poches des Blancs, vous vous en doutez bien, mes chers amis.

La quatrième activité concerne la milice et donc l’enrôlement dans la célèbre et redoutable armée rwandaise. Là aussi, le chef tutsi était en première ligne face à ses jeunes administrés, à ces jeunes qui ne pouvaient donc plus aider leurs parents aux champs ou aux pâturages mais devaient d’abord apprendre, et ensuite exercer, le dur, difficile et périlleux métier de soldat. Ici encore, se retrouve le coup des poils au pubis: on est constant à l'administration, ce sont les mêmes recettes.

Et enfin, cinquième et dernière activité dévolue aux chefs tutsi par l’administration belge:

Le reboisement des collines. Celui-ci se passera selon le même schéma que la plantation des caféiers et une fois de plus les chefs tutsi serviront d’intermédiaire tortionnaire.

Un petit mot sur le style d’arbre choisi par l’administration belge : l’essence d’eucalyptus en provenance de l’Australie sera sélectionnée comme essence à planter à travers tout le Rwanda. En effet cet arbre pompe un maximum d’humidité dans la terre, a de longues et profondes racines, et peut servir tant dans la construction que pour le charbon de bois. Il servira même de bois pour l’ameublement mais pour celui de moindre qualité, ce qui permettra d’équiper ceux qui n’ont que peu de moyens.


Le décor est à présent bien planté du côté administration, chers amis, mais il me faut à présent parler du second partenaire, et non des moindres, dans ce terrible cocktail qui est en cours d’élaboration, vous l’aurez tous compris, il s’agit de l’Eglise catholique.

Celle-ci entre en scène en 1923 après le découpage de l’Afrique Centrale en quinze zones d’influences appelées pudiquement vicariats. Suite au partage du gâteau, les Pères Blancs reçoivent les vicariats portant les numéros douze et treize, soit le Burundi et le Rwanda. Ce sont eux qui vont gérer ce beau coin d’Afrique, appelé la Suisse de l’Afrique, et le premier à en assurer la gestion est monseigneur CLASSE qui, complice avec l’administration belge de l’époque, va appuyer de tout son poids les cinq fameuses décisions administratives. Il existe une littérature et une correspondance assez édifiante prouvant les initiatives prises en ce sens par monseigneur CLASSE. Celui-ci est, par exemple, convaincu que c’est en convertissant d’abord les chefs Tutsi que l’on pourra ensuite plus facilement christianiser le Rwanda. Et c’est d’ailleurs la seule raison pour laquelle l’église va demander de destituer le Mwami en place, le célèbre MUSINGA, rétissant à la conversion au christianisme. Le Mwami sera mis en exil en 1931 également et remplacé par son fils RUDAHIGWA dont les missionnaires assureront la formation scolaire que l’on connaît bien. A telle enseigne que le jour de son couronnement, le nouveau et jeune MWAMI offre, en signe d’allégeance, le Rwanda au CHRIST ROI en 1959. Faire mieux et d'une manière encore plus claire pour tous, n’est tout de même pas facile.

Je ne puis résister, mes chers amis, au plaisir de vous lire la lettre suivante, lettre qu'adresse le Mwami MUSINGA à sa fille MUSHESHAMBUGU le 5 janvier 1930; un exemplaire de celle-ci est joint au livret pour ceux qui veulent la relire à tête reposée.

Un des successeurs de monseigneur CLASSE sera le très célèbre et sinistre père Perraudin, un Suisse, qui sera responsable de la communauté des Pères Blancs au Rwanda, communauté qui sera essentiellement composée de prêtres belges d’expression flamande, des membres du bas-clergé des Flandres.

Ce groupe d’évangélisateurs sportifs (je rappelle la moto et les records du nombre de baptisés par jour) va donc pouvoir observer à loisir la lente évolution de la société rwandaise. N’oublions pas ce que j’ai déjà narré par rapport à leur vécu sur le sol belge, leurs frustrations sociales, culturelles, financières et politiques. Ils ont beau représenter la majorité, ils n’ont pas droit au chapitre. Chers amis, cela prend ici effectivement une toute autre connotation. Alors, complexés, irrités, frustrés, ils finissent par se comparer à ce peuple hutu qui n’en finit effectivement pas de bénéficier de toutes les injustices sociales possibles, puisque l’administration belge a désormais bien tout mis en place et qu’il y a d’une part les possédants et d’autre part les possédés.

Les Pères Blancs finissent donc par s’identifier sans effort, très simplement et très logiquement à ces pauvres hères Hutu, et prennent fait et cause pour leur groupe défini à présent à connotation ethnique, de par les cinq fâcheuses décisions de l’administration belge et de l’église catholique (cela nous le savons à présent). Les Pères Blancs, en prenant fait et cause pour les Hutu forment petit à petit une élite hutu qui, formée dans les séminaires où trouvent asile, refuge et compréhension les Hutu qui ne peuvent étudier même, et surtout, ceux qui en ont les capacités. Cela se préparera ainsi pendant approximativement vingt ans, depuis le milieu des années trente jusqu’au milieu des années cinquante, moment crucial où il est enfin clair qu’un réservoir d’élites hutu est constitué. C’est d’ailleurs de là que sortira le premier manifeste à connotation purement et exclusivement racial appelé le Manifeste des Bahutu. Une telle incitation à la haine raciale naissait donc sur les fonds baptismaux de l’église catholique en 1955 au petit séminaire de KABGAYI, aidé en cela, ne le cachons pas, par monseigneur PERRAUDIN par le biais de son élève, poulain, filleul spirituel et même son employé particulier, un certain Grégoire KAYIBANDA. Celui-ci allait être invité à Ostende en 1961, sous la propre pression de monseigneur PERRAUDIN par les autorités belges, avec tous les autres représentants de toutes les tendances politiques de l’époque et, petit rappel, le sieur Grégoire KAYIBANDA, de formation séminariste, fut tout de même appelé, sous la pression évidente de monseigneur PERRAUDIN, le premier Président du Rwanda indépendant et ce le 1er juillet 1962.

Nous assistons donc ici à la réédition au Rwanda de tout le vécu des prêtres flamands de 1830 à 1930, avec exactement les mêmes conséquences à savoir:

1° les Hutu ne pouvaient étudier;

2° les Hutu capables deviennent prêtres;

3° les Hutu prêtres forment une élite intellectuelle;

4° cette élite devient vite un groupe de pression;

5° grâce à l’appui indéfectible des missionnaires flamands, ces militants ont vite un journal;

6° et la suite logique est qu’ils finissent par être leurs porte-drapeaux;

7° et enfin, ils deviennent les leaders de la nation en s’embrigadant dans la politique.

Il faut se donner la peine de lire, mes chers amis, les textes politiques de l’époque (faits par des hommes d’église, je le rappelle, des représentants de dieu sur terre, des propagateurs de l’amour du prochain) et l’on comprendra clairement comment avec cette immense haine raciale aboutira aux conséquences désastreuses que nous avons connues. Ce que je n’ai toujours pas compris, c’est pourquoi il a fallu encore quarante ans pour arriver au génocide.

Il est vrai que plusieurs génocides eurent lieu en réalité, et tous cachés tant par l’administration belge sur place qui en atténua les chiffres, que par l’église catholique complice qui en admettait le prix à payer.

Pour rappel, il y eut un premier génocide des Tutsi à la Toussaint 1959. Il n’y eut effectivement que peu de morts, aux alentours de 3.500, et uniquement des hommes. Mais l’effet secondaire fut la fuite en exil de centaines de milliers de familles tutsi.

Le deuxième génocide eut lieu en 1963 en représailles à une attaque de rebelles Tutsi qui avaient cru pouvoir reconquérir le pays. C'est à cette époque que leur fut collée l'expression ``INYENZI'' qui signifie ``cafards''. Ce génocide connut des massacres plus importants où femmes et enfants furent également massacrés. De l’ordre de 6.500 victimes car le massacre ne fut pas limité à la région où eut lieu l’attaque. Le gros du massacre eut lieu bien plus loin, là où est située l'actuelle ville de GIKONGORO qui ne s'appelait pas encore ainsi à l'époque. La suite logique fut la fuite en exil, une fois de plus et ceux qui n’avaient pas pris la fuite furent rassemblés dans des camps de concentration, en des endroits tellement hostiles, tellement préjudiciables à la santé humaine que la sélection naturelle fit tout naturellement son oeuvre. NYAMATA est un très bel exemple: c'est une région où pullulent moustiques et serpents, ce qui n'est cependant plus le cas aujourd'hui. Ainsi disparurent lentement encore quelques dizaines de milliers de familles tutsi sans que cela ne fusse même signalé par qui que ce soit.

En 1973, en représailles aux massacres de 120.000 Hutu au Burundi voisin, eut lieu un troisième génocide et là, beaucoup de jeunes Tutsi quittèrent le Rwanda pour des pays moins hostiles. Certains (et certaines) trouvèrent asiles en Belgique dès cette époque (et, à titre anecdotique, ma première femme rwandaise fit partie de cette vague).

C’est à ce moment-là, que sort de l’ombre le commandant Juvénal HABYARIMANA, qui met immédiatement le triste sire KAYIBANDA en résidence surveillée à GITARAMA où il finira d’ailleurs, après un certain temps, par mourir. La veille de sa mort, monseigneur PERRAUDIN lui rendit d’ailleurs visite pour l’entendre en confession, comme à l’accoutumée. Etait-ce un hasard ou y a-t-il un lien entre cette visite et son décès, personne ne peut l’affirmer. Je rappelle que le suicide n’a jamais fait partie de la culture rwandaise, que cela soit clair. A une seule exception près: quand son heure était venue (et plus prosaïquement à l'apparition de son premier cheveu gris) le Mwami se devait de penser à sa succession et le suicide, dès lors que tout était paré pour la relève, lui était réservé comme porte de sortie.

Sous le règne de HABYARIMANA, les massacres n’ont plus lieu. Les Tutsi sont brimés dans toutes les activités tant scolaires, que sociales, politiques, économiques. Les fameux quota voient leur apparition et les Tutsi ne peuvent faire d’études supérieures que tant que le total des Tutsi inscrits aux études supérieures est inférieur à 10%. Morale de l’histoire, beaucoup de familles tutsi envoient leurs enfants poursuivre leurs études hors du Rwanda. Les Tutsi se tiennent coits et vont même jusqu’à signaler eux-mêmes aux autorités tout membre de la famille qui viendrait de l’étranger en catimini, ne fût ce que pour leur rendre une toute petite visite .

Les Tutsi sont surveillés, sont sous très haute surveillance: ils le savent et vivent dans la crainte.

Cette période de calme relatif va durer jusqu’en septembre 1990. De fait, les cours du café vont chuter et appauvrir sérieusement les paysans rwandais.

Et c’est le 1er octobre 1990 que le Front Patriotique Rwandais décide d’attaquer le Rwanda. Cette guerre, le retour chez soi, sur la terre des ancêtres, après trente ans d’exil, fut l’aboutissement de longues tractations politiques mais le pouvoir en place répondait toujours par la même petite phrase volontairement ironique:

le territoire est trop petit pour permettre à tous les Rwandais en exil de revenir s’y établir.

Et donc, chers amis, vous l’aurez compris, cette armée, qui finalement passe à l’attaque le 1er octobre 1990, en entrant par le Nord du Rwanda, est principalement constituée de Tutsi. Ceux-ci sont essentiellement les enfants de ceux qui ont dû fuir (en s’exilant essentiellement en Ouganda mais également dans les autres pays limitrophes) les différents génocides de 1959, 1963 et 1973.

Les premières victimes immédiates de cette attaque du 1er octobre, sont évidemment les Tutsi du Rwanda qui sont pris en otage. Plusieurs milliers (12.000) seront mis en prison (femmes et enfants compris) pendant plusieurs mois et ne seront relâchés que sous la pression des media et de certains gouvernements. Mais cette nouvelle accalmie ne sera que de surface car plusieurs fosses communes seront mises au jour notamment dans le Nord-ouest du Rwanda. Une fosse contenant quelques quarante personnes sera examinée de plus près par des experts occidentaux. Celle-ci se trouve dans le jardin même d’un bourgmestre rwandais et celui-ci ne sera jamais inquiété par les tribunaux ni autres organisations. L’impunité qui avait eu lieu pendant près de trente années ne peut que continuer à produire ses effets continus. Et, remarque des plus impoortante: à chaque massacre l'Eglise se taisait et ne condamnait jamais; son silence témoigne donc si besoin en était encore, d'une complicité crasse dans ces génocides successifs.

En février 1992, a lieu le quatrième génocide: 9.000 pasteurs BAGOGWE, pasteurs des plus paisibles et n’ayant que peu de contacts avec leurs voisins, sont assassinés avec femmes et enfants. Leur important bétail de qualité (des dizaines de milliers de vaches aux grandes cornes) disparaît en même temps qu’eux. Quelques organisations de droits de l’homme finissent par le signaler quelques mois après les faits mais le président ne reçoit ni mise en garde ni réprimande.

Fort de ces non-réactions tant des sphères diplomatiques, des sphères des organisations internationales que des organisations non gouvernementales, le président HABYARIMANA passe à la planification de la phase définitive, et pour ce faire rassemble les nombreux jeunes désoeuvrés, les forme, fait l’acquisition de nouvelles armes et arme ses milices.

Et finalement, le 6 avril 1994 à 20.10 l’avion qui ramène HABYARIMANA de DAR-ES-SALAM est abattu par la conjonction des tirs de missiles de trois spécialistes français. Ainsi commence un quart d’heure seulement après la chute de l’avion, le plus terrible des génocides de l’histoire de l’homme où un million d’hommes, femmes, enfants, vieillards seront massacrés avec un raffinement tel qu’il reste difficile de rester crédible tellement l’horreur est grande.

Ce massacre, cette boucherie humaine, dans les églises, dans les écoles, sur les routes, sur les stades de football prend fin après cent jours par la prise de Kigali par l’armée du F.P.R. Ce génocide auquel le F.P.R. met fin est le cinquième génocide rwandais, le plus terrible, le plus dévastateur, l’apocalypse comme l’a appelé lui-même le général rwandais BAGOSORA, l’un des principaux concepteurs de ce génocide.

Aujourd’hui encore certains espèrent retrouver les dépouilles de leurs disparus. Tous les samedis ont lieu, encore toujours et ce six ans après, à travers le Rwanda entier, des cérémonies solennelles funéraires.

Le pays a été dévasté, mes chers amis, mieux que ne pouvait le faire une bombe atomique. En plus de toutes ces vies effacées dans le délire, beaucoup a été détruit tant en ce qui concerne les édifices publics, que les habitations privées, les structures et les caisses de l’état. Il reste à présent à reconstruire ce Rwanda et il faudra encore quelques années avant de pouvoir le considérer comme sorti de l’ornière. Le social, la privatisation, la justice et la sécurité du territoire, sont les quatre premiers chevaux de bataille des gestionnaires. Patience, détermination et courage sont les trois qualités indispensables à cette relance. Heureusement, la diaspora tutsi ayant investi pendant trente ans dans le savoir et dans le savoir-faire, le retour de celle-ci avec une formation supérieure incontestable, avec une expérience réelle et avec des avoirs des plus solides, n’a pas absolument besoin d’aide externe. C’est cela sa force: elle n’est pas dans le rôle du quémandeur, elle a ses acquis et sa fierté: celà, l’administration belge, le monde politique flamand n’a toujours pas compris ou ne veut tout simplement pas comprendre. L’Internationale Démocrate Chrétienne a toujours traité avec les Hutu pendant ces trente dernières années. Ces dirigeants étaient très dociles, tant qu’ils recevaient ce à quoi ils estimaient avoir droit et aujourd’hui l’I.D.C. continue à prendre en charge les éléments exfiltrés à partir de Nairobi, de l’Afrique de l’Ouest et même en provenance de Rome.

Que dire à ceux qui menacent de ne pas subsidier les projets rwandais si les Rwandais ne se réconcilient pas d’abord. Le sieur Reginald MOREELS (ex-secrétaire d’Etat à la coopération belge) osa faire lire par son délégué qu’il avait envoyé au casse-pipe (courageux mais pas téméraire le camarade CVP Reginald) un message insistant sur la réconciliation, message présenté lors de la cérémonie même de commémoration du premier anniversaire du déclenchement du génocide, soit le 7 avril 1995. Inutile de narrer, je crois, les huées et les volées de bois vert qui n’ont pas manqué: le délégué commis par Reginald MOREELS n’eut pas l’heur de terminer la lecture de cet inepte et scandaleux torchon.

Ce triste sire avait volontairement confondu cohabitation pacifique et réconciliation et il y a effectivement un monde, un très long chemin à parcourir entre ces deux concepts qui n'ont absolument rien à voir l'un avec l'autre.

Le 13 juin 1998, par une Carte Blanche dans Le SOIR, le président du CVP Marc VAN PEEL remettait le couvert en réaction à l’incompréhension quasi nationale manifestée à l’occasion du fumeux décret SUYKERBUYK. Il disait ne pas comprendre, et je cite, Pourquoi, un an après le génocide rwandais tout le monde parle de réconciliation au Rwanda et que, cinquante ans après la guerre, le décret SUYKERBUYK fait encore un tollé pareil.

Vous devez à présent commencer à me connaître, chers amis, et vous savez donc que mon sang n’a fait qu’un tour en lisant cette désinformation scandaleuse et je me suis permis d’envoyer à cet ignoble individu un fax de quatre pages. Et certains parmi vous, chers amis, devinent aisément la suite que ces démocrates patentés (qui confondent volontairement le droit du sol et le droit des individus) réservent à une Lettre Ouverte de ce style. Oui, la réaction fut immédiate, claire, imparable et incontournable: j’étais devenu l’homme à abattre. Il fut même vivement conseillé à la société (qui m’emploie depuis plus de trente années) de se séparer de moi, si elle voulait garder ses chances d’avoir certains marchés au Nord du pays. Vous devinez, je crois, chers amis, ce que la société a décidé de faire et j’ai à ce sujet un dossier des plus éloquent.

C’est donc ce qui peut arriver lorsque l’on égratine d’une manière ou d’une autre la fameuse politique rwandaise du C.V.P. Ce parti permet actuellement, et ce depuis cinq ans déjà, à des génocidaires patentés de trouver asile sur le territoire flamand. Ils étaient en moyenne 30 à 50 par semaines (avec femmes et enfants) qui sont exfiltrés à partir de Nairobi, principalement mais aussi en provenance de l’Afrique de l’Ouest (anciennes colonies françaises obligent) et parfois même, tenez-vous bien, mes amis, en provenance de Rome. Mais, depuis juillet 1999, depuis le nouveau gouvernement auquel, pour la première fois depuis cinquante ans, le C.V.P. ne participe pas, et depuis la formulation de la promesse de sortir la vingtaine de dossiers de gros génocidaires rwandais des frigos du C.V.P., pour les diriger enfin vers les Assises, le mouvement d'accueil s'est fait beaucoup plus discret et l'essentiel de ces réfugiés, d'un type tout à fait spécial dirions-nous, préfère opter pour des pays plus accueillants et donc surtout ceux où il y a moins de risques d'ennuis, à moyen terme. Depuis lors, le mouvement s'est déplacé vers la Finlande.

L’histoire de 40-45 n’est donc toujours pas terminée et vous seriez étonnés de connaître la puissance et l’efficacité, encore toujours très grande, des anciens collaborateurs (et de leur descendance): ils sont, mes chers amis, redoutables, croyez-moi.

J’en arrive enfin aux conclusions.

J’ai donc commencé ce parcours initiatique par la révolte bien légitime des Flamands, mais de l'attitude non équivoque et des choix clairs du C.V.P. en particulier et de l'Eglise catholique en général, et je la termine, chers amis, en vous prouvant leur obsession toujours très présente et leur fidélité à l’ancien régime rwandais toujours actuelle. Tant les décisions de l'administration coloniale belge que celles de l'Eglise catholique flamande ont mené à cet horrible échec de ce que l'on qualifie aujourd'hui finalement de génocide.

Le combat n’est donc pas terminé ni pour le C.V.P. ni pour ceux qui, comme moi, sont convaincus de leur bon droit et qui ne cèderont jamais au chantage, quelles qu’en puissent être les issues et les conséquences personnelles.

Et mon seul souhait, ce soir, est de vous avoir fait comprendre un peu mieux le délicat problème qu’a posé la communauté catholique flamande par l’intermédiaire de ses missionnaires sur place sur le devenir du Rwanda. Mais surtout de vous faire comprendre que ce travail n’est pas terminé, ce qui me permet de conclure: j’ai besoin de vous, chers amis, de votre compréhension d’abord, de votre soutien affectif et j’ose espérer qu’à votre tour, vous communiquerez autour de vous, dans vos cercles respectifs (et vous serez en quelque sorte, à votre tour, les nouveaux Consuls du Nouveau Rwanda) les résultats de cette longue et patiente recherche qui m’a permis de baliser un chemin semé d’embûches.

De cette tragédie humaine, vous en connaissez à présent les acteurs, leurs motivations et les conséquences concrètes à long terme de leurs décisions. Décisions dont le coût fut cash, je vous le rappelle: plus d'un million et demi de Rwandais coupés à la machette, pendant cent longs jours.

Aujourd'hui, le peuple flamand n'a plus son complexe d'infériorité d'antan, et c'est très bien ainsi. Il a malheureusement passé, sans la volonté de nuire (ce qui est essentiel et il faut l'affirmer) et pour toutes les raisons que je vous ai exposées pendant ces 66 longues minutes, ce complexe aux Hutu. D'où le titre de ma conférence, chers amis, je vous le rappelle, le Complexe Rwanda, dans tous les sens du terme, ce que vous serez à présent mieux à même de comprendre.

Et donc, tant que les Hutu ne seront pas fiers d'être ce qu'ils sont, les problèmes rwandais actuels seront comme des braises, toujours prêtes à remettre la région entière à feu et à sang.

Vous voyez donc à présent, chers amis, plus clairement les tenants et les aboutissants de cette longue et pénible histoire rwandaise.

Et encore mieux les dangers du présent.

Et, pour vous faire une dernière et grande confidence, mes chers amis, cette conférence-ci n'est, j'ose l'espérer, que la première conférence d'une série de trois sur le douloureux thème du Rwanda Nouveau, du Rwanda post-génocide. J'aimerais que ma conférence soit suivie de deux autres, à l'occasion de conférences espacées chacune de deux voire trois mois, des conférences où nous pourrions entendre, tout d'abord un psychothérapeute rwandais nous entretenir des troubles post-génocide qui commencent à se produire, de plus en plus depuis quelque temps déjà, et ceci tant en ce qui concerne les victimes elles-mêmes, les nombreux rescapés du génocide, que certains criminels eux-mêmes.

Et la seconde conférence serait enlevée par un excellent pédagogue rwandais, sociologue et philosophe de son état, qui a enseigné tant pour le réseau scolaire en Belgique que pour la coopération belge, le français et le latin, et donc tant aux petits Belges en Belgique que ceux au Congo ainsi enfin qu'aux Chinois de Pékin; et ce pendant plus de trente années.
J'aimerais vous faire découvrir ces deux personnages des plus qualifiés tant au niveau de la pédagogie que des matières qui sont les leurs et qui se rapportent, vous vous en doutez bien sûr, également au Rwanda dont je viens de vous entretenir pendant ces quelques soixante-six bonnes minutes.

Le Rwanda a besoin de votre compréhension, de votre participation, de votre aide, mes chers amis, merci pour lui.

Chers amis, j'ai encore une toute petite communication de service: j'ai prévu pour tous les amis qui le désirent, et ce gracieusement, un livret contenant entre autre la conférence de ce jour, la lettre du Mwami à sa fille ainsi qu'une carte de l'Afrique Centrale qui date de 1923.

J'attends donc, mes amis, dans trois toutes petites minutes après le petit et agréable intermède musical que je vous ai préparé, et ce avec un plaisir non déguisé, le feu particulièrement nourri de vos suggestions, remarques et autres compléments d'informations.

Mais j'attends également, bien sûr, vos éventuelles questions afin de pouvoir vous apporter un éclaircissement que vous jugeriez nécessaire, au cas où j'aurais été, à votre estime, par trop elliptique voire trop succinct lors de certains passages de la présente conférence.

Chers amis, à présent, j’en ai vraiment terminé.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024