Fiche du document numéro 1046

Num
1046
Date
Lundi 28 mars 2005
Amj
Auteur
Taille
103416
Titre
« Nous avons donné à manger aux tueurs » [Interview de Thierry Prungnaud]
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le Point / La France doit-elle se repentir ? ht
http://www.lepoint.fr/impression/imprime.html?did=160436&displaymat...



Rwanda

La France doit-elle se repentir ?

Onze ans après le début du génocide, le pouvoir rwandais réclame des comptes à
la France.

Récit d'une guerre larvée. par Christophe Deloire

Les morts ne se réveillent jamais, mais leur spectre revient hanter les
consciences. Les 800 000 victimes du génocide au Rwanda troublent les esprits
sur le rôle de la France. La République est accusée d'avoir soutenu jusqu'aux
jours fatidiques d'avril 1994 le régime hutu, dont les extrémistes
s'apprêtaient à liquider à la machette les Tutsis et les Hutus modérés.

Accusation grave. En février, deux avocats français ont même déposé une plainte
contre X devant le tribunal aux armées visant le comportement de militaires
français de l'opération Turquoise, déployée du 21 juin au 21 août 1994 et
censée mettre fin aux massacres en créant une « zone humanitaire sûre ». Au
lieu de protéger les Tutsis traqués, des soldats français auraient prêté main
forte aux Forces armées hutues, assisté les miliciens sanguinaires et jeté des
« opposants » d'un hélicoptère.

Alors que les survivants vont commémorer le 11e anniversaire du déclenchement
du génocide début avril et qu'un film, « Hôtel Rwanda », sort sur les écrans,
la recherche de la vérité historique n'est pas menée dans un climat de
quiétude, mais dans une tempête de stratégies politiques, de conflits
diplomatiques, et même d'agit-prop et de manipulations.

Dans les cercles du pouvoir, à Paris, on explique que « les critiques contre la
France relèvent plus de la névrose que du sérieux ». Un proche de Jacques
Chirac précise : « S'excuser, on ne sait pas faire, surtout quand on n'a pas eu
tort. » Premier ministre à l'époque, Edouard Balladur évoque la « veulerie »
des puissances occidentales et demande pourquoi on s'en prend à la France, « la
seule à avoir fait quelque chose pour sauver des vies ». L'ancien ministre des
Affaires étrangères Alain Juppé, par la voix duquel la France avait été le
premier pays occidental à parler de génocide, confie au Point : « Dire
qu'aucune erreur n'a été commise, que nous sommes irréprochables, ce serait
absurde ; mais s'engager dans un processus d'excuses ne correspondrait pas à la
réalité. »

Dans le camp adverse, l'actuel président du Rwanda, Paul Kagame, plaide que « la France doit reconnaître sa part de
responsabilité morale », comme l'ont fait les Etats-Unis, la Belgique et l'Onu. Ce militaire tutsi, qui a pris le pouvoir en
1994 et tient le pays d'une main de fer, considère dans un entretien à Jeune Afrique que la France voue une « haine »
au nouveau régime de Kigali, voire aux survivants. Kagame jure même que, le 7 avril 2004, il aurait « pu et dû en dire
plus sur le rôle de la France ». Ce jour-là, le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, Renaud Muselier, assiste au stade
Amohoro de Kigali à la cérémonie du 10e anniversaire du génocide. Kagame fulmine. Il accuse ni plus ni moins les
militaires envoyés par Paris dans le cadre de la coopération militaire entre 1990 et 1994 d'avoir « sciemment entraîné
et armé les soldats et les miliciens qui allaient commettre un génocide ». Il fustige la délégation française, qui a «
l'audace de rester là sans s'excuser ».

Un an plus tard, Paris et Kigali se renvoient les torts de leurs relations mauvaises. De source parisienne, le seul
problème entre la France et le Rwanda concerne les ingérences de Kigali au Kivu, dans l'est du Congo-Kinshasa : «
Kigali finance sa guerre en pillant les richesses locales et ne supporte pas que Paris oeuvre à l'Onu pour l'en empêcher.
»

Rien d'autre ? Dans les palais de la République, on concède que « deux ou trois épisodes peu clairs se sont produits en
1994 ». Pour le reste, la commission d'enquête parlementaire présidée par Paul Quilès en 1998 aurait épuisé le sujet
des « erreurs d'analyse françaises ». Le rapport décrivait une France ayant « développé sa coopération militaire sur
fond de tensions ethniques, de massacres et de violences, comme mithridatisée face à un contexte dont elle a
sous-estimé la gravité ». Malgré un travail titanesque, la commission tirait des conclusions timides. « La plupart des
Rwandais ne savent pas lire, ils ignorent ce travail, et aucun responsable français de haut niveau n'est venu leur
expliquer ce qu'il s'était passé », regrette l'ambassadeur du Rwanda en France, Emmanuel Ndagijimana.

En outre, des questions demeurent. Entre 1990 et 1994, des Français ont formé des soldats hutus, tandis que les ultras
du hutu power aiguisaient les machettes et que la Radio des Mille Collines appelait à chasser les « cancrelats » tutsis.
Au nom de la francophonie, face à l'anglophone Kagame, la France a-t-elle fermé les yeux et armé les futurs tueurs, en
faisant preuve d'un cynisme coupable ? A l'inverse, en défendant l'application des accords d'Arusha, le partage du
pouvoir progressif entre Hutus et Tutsis, la France n'a-t-elle pas tenté d'empêcher l'horreur ? Le désordre, survenu




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avec la mort du président Habyarimana dans l'attentat perpétré contre son avion le 7 avril 1994, a marqué le début du
génocide. La seule erreur française serait alors de n'avoir pas prévu sa disparition.

En juillet 2004, à Pretoria, le chef de la diplomatie, Michel Barnier, et son homologue rwandais se mettaient d'accord
pour « partager un travail de mémoire sur le génocide ». Mais le Parlement rwandais vient de voter une loi créant une
commission nationale indépendante. Elle aura pour mission de collecter « les preuves de l'implication de la France dans
le génocide ».

Peu à peu, l'ambassadeur de France, Dominique Decherf, en poste depuis quatre mois, infléchit le discours officiel. A
son arrivée, il déclarait au journal La relève : « Il ne faut pas dire la France en général, il faut plutôt dire à tel endroit,
dans telles circonstances, les choses se sont mal passées, on regrette, on est vraiment désolé. » A sa sortie d'une
entrevue avec Kagame, le 7 mars, le diplomate certifiait que « beaucoup de choses ont mûri ». Il cite souvent le
rapport Quilès. Pour prouver que des débats agitent la société civile, il lui arrive de parler en public du rapport de la
commission d'enquête citoyenne, réunie en mars à Paris par des associations militantes, notamment Survie. Laquelle «
était présidée par un conseiller de Kagame », relève un conseiller ministériel.

Présidée par un professeur de droit à l'université Paris-X-Nanterre, Géraud de la Pradelle, la commission citoyenne
conclut que « la responsabilité de l'ancien président de la République François Mitterrand apparaît la plus grande ».
Géraud de la Pradelle vient de publier un livre, « Imprescriptible » (Les Arènes), qui se veut un appel, rien de moins, «
à la mise en cause, devant les juridictions françaises ou devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda,
d'hommes politiques placés au coeur de l'Etat, mais aussi de hauts fonctionnaires, d'officiers supérieurs ou de simples
soldats ».

Les autorités rwandaises ont-elles cette intention ? Le représentant spécial du Rwanda auprès du tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR), Alloys Mutingwa, certifie au Point « ne pas vouloir influencer le procureur », mais
ajoute que « le gouvernement français a été à l'évidence un comploteur ». Mutingwa reproche en outre à la France
d'avoir passé un accord avec le TPIR pour que des condamnés puissent purger leur peine en France. Le 7 juin 2004,
Chirac promulguait une loi approuvant cet accord. Les autorités de Kigali reprochent aussi à la France que des «
coupables présumés du génocide se promènent dans les rues de Paris ». La justice française a en effet refusé un
certain nombre d'extraditions. Explication à Paris : « Les dossiers présentés étaient trop légers, souvent motivés par
l'argument qu'untel est un "génocideur notoire" et rien de plus. »

Mais il est une épine judiciaire qui fait beaucoup plus mal. Le
juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière et son collègue Jean-François Ricard,
qui enquêtent sur l'attentat contre l'avion du président Habyarimana,
pourraient un jour mettre en cause Paul Kagame, soupçonné d'avoir pris le
risque d'un génocide pour s'emparer du pouvoir. Ce dernier bénéficie de
l'immunité, mais une dizaine de ses proches pourraient faire l'objet d'un
mandat d'arrêt. Les juges ont entendu d'anciens proches de Kagame, qui
certifient qu'il a participé aux réunions préparatoires. Le nouvel ambassadeur
du Rwanda en France, Emmanuel Ndagijimana, assure « ne pas savoir si ces
témoins disent vrai ou pas », et ajoute : « Pendant une guerre, on s'entre-tue,
non ? Et rien n'autorise à perpétrer un génocide. »

La décision d'abattre l'avion aurait été prise en décembre 1993.
Selon l'interprète, après une tentative avortée, à Badolite, un commando du FPR
positionné près de l'aéroport de Kigali a eu plus de succès en visant
l'appareil avec des missiles SAM-16. Lors d'un voyage à Moscou, les juges ont
établi que ces missiles avaient été vendus par la Russie à l'armée ougandaise,
alliée de Kagame. Bruguière veut encore se rendre à New York, au siège des
Nations unies, pour éclaircir cette étrange histoire de « boîte noire ».
L'organisation internationale a toujours nié détenir le cockpit voice recorder
de l'appareil, avant d'en retrouver un en 2004, « oublié » dans un placard.
L'Onu a fini par conclure que ce n'était pas le bon. Le juge a l'intention de
s'adresser directement à Kofi Annan sur cette « bourde de première classe ».

Dans une interview à paraître dans le magazine Golias, Laurent
Curt, avocat de la veuve d'un pilote français de l'avion, regrette : « Toutes
les pistes nous font sortir du domaine juridique pour sombrer dans la
géopolitique. » Bruguière n'est-il qu'« un homme de paille à la solde des
pouvoirs publics de son pays », comme l'a écrit l'ambassade du Rwanda à Paris,
ou simplement l'homme par qui adviendra la vérité sur l'événement déclencheur
du génocide ? La diplomatie française retient son souffle, en attendant la
clôture de l'instruction. « avant la fin de l'année », de source judiciaire


« Cela fait onze ans qu'on dit n'importe quoi »


Le Point : La France doit-elle se repentir de sa politique au
Rwanda ?

Edouard Balladur : Non. Cela fait onze ans qu'on dit n'importe
quoi sur cette affaire. Vous voyez des militaires français commettre des
horreurs ? Nos soldats en ont gros sur le coeur. Je voudrais savoir pourquoi on
s'en prend à la France, le seul pays qui ait fait quelque chose pour arrêter
les massacres. Sur la raison de ce dénigrement, je n'ai pas de preuves, mais je
fais des déductions. Grâce à nous, des dizaines de milliers de personnes ont eu
la vie sauve. Si Kagame joue aujourd'hui les victimes, il n'est pas à l'abri de
tout reproche...

La coopération militaire avec le régime du président
Habyarimana n'a-t-elle pas été trop étroite ?

Il était normal que nous ayons des rapports avec le
gouvernement régulier. Nous avions un accord de défense et nous défendions le
respect des accords d'Arusha. Quand je suis arrivé à Matignon, j'ai trouvé 300
soldats français au Rwanda, que j'ai rapatriés pour la plupart, ramenant leur
nombre à près de 20. J'ai arrêté les exportations d'armes.





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Vous procédez à une critique en creux de la gestion avant votre arrivée ?

Je vous laisse le soin de l'apprécier. Ce sont des affaires de
l'Etat, donc des affaires complexes.En tout cas, la politique française n'a
manifestement pas réussi.La France n'avait pas de rôle directeur. Et les
politiques qui échouent, ça arrive

.Le gouvernement n'a-t-il pas été mal informé de ce qui se passait, au début du génocide ?

Distinguer les Hutus des Tutsis n'était pas nécessairement
chose facile. Mon problème n'était d'ailleurs pas de défendre les Hutus ou les
Tutsis, mais les personnes menacées de mort. On a aussi sauvé des Tutsis.
Malgré les pressions, j'ai imposé une intervention humanitaire, et non pas
militaire. Je ne voulais pas que la France participe à cette guerre. On nous a
accusés d'intervenir près du Congo pour agir en faveur de ce pays. Mais il
fallait bien s'installer près d'une frontière afin de disposer d'une zone de
repli. Que n'aurait-on pas entendu si la France était intervenue autrement ou
pas du tout !

Christophe Deloire




« Nous avons donné à manger aux tueurs »


Chevalier de la Légion d'honneur, Thierry Prungnaud est l'une
des figures légendaires du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale
(GIGN). Le 26 décembre 1994, à l'aéroport de Marignane, dans un déluge de feu,
il entre le premier dans l'Airbus d'Air France dont les passagers ont été pris
en otages par des terroristes algériens. Quelques mois plus tôt, il avait
participé à l'opération Turquoise au Rwanda. Et quelques années avant il avait
formé des militaires rwandais.

Le Point : Comment s'est déroulée votre arrivée au Rwanda en
1994 ?

Thierry Prungnaud : On nous avait précisé que les Tutsis
procédaient à des massacres en masse des Hutus, avec l'appui du Front
patriotique rwandais (Tutsis de l'extérieur) et des Ougandais. Nous sommes
arrivés le 19 juin à Goma et, en traversant les premières villes, nous étions
accueillis en libérateurs par les Hutus. Nous ne le savions pas, mais c'étaient
les tueurs qui nous acclamaient ! Nous avons donné à manger pendant plusieurs
jours à ces gens, nous leur avons donné des camions entiers de biscuits !

Combien de temps a duré la confusion ?

Au moins quinze jours. On récupérait chaque jour des corps de
Tutsis complètement estropiés. On pensait que c'étaient les corps des
assassins. Pis, les miliciens hutus venaient nous dire : « Filez-nous des
cartouches, il y a des Tutsis. » Puis nous avons fini par trouver bizarre de ne
jamais trouver de cadavres de Hutus. Nous avions entendu parler de 500 rebelles
tutsis qui procédaient prétendument à un massacre dans la vallée du Bisesero.
Avec d'autres soldats, nous avons désobéi et nous y sommes allés. Nous avons
découvert que, sur 10 000 Tutsis, seuls 800 n'avaient pas été massacrés. Dès
lors, notre commandement nous a ordonné de désarmer tous les miliciens hutus
jusqu'au dernier. Et de faire de l'humanitaire.

A votre retour à Paris, vous avez été appelé à témoigner au
Tribunal pénal international...

Oui, j'ai été convoqué au ministère de la Défense en tant que
patron du dispositif du GIGN sur place. J'ai fourni des noms de notables, des
bourgmestres, des préfets, qui avaient organisé des massacres. On m'a dit : «
Vous ne dites rien, vous oubliez. » J'ai des noms de gens qui ont fait des
massacres et on me dit de fermer ma gueule !

Propos recueillis par Sadek Hajji




Le héros d' « Hôtel Rwanda »


Les génocides n'ont pas pour seul point commun de faire flamber le mal : ils génèrent aussi des hommes de bien.
Paul Rusesabagina, directeur de l'Hôtel des Mille Collines à Kigali, a été le Schindler hutu, lui qui, en 1994, n'avait
pas vu « La liste de Schindler ». Il a été le Juste d'un Rwanda qui tuait chaque jour 10 000 Tutsis. Lui, fils d'un
Hutu et d'une Tutsie, marié à une Tutsie, a ouvert grandes les portes de son hôtel de luxe aux Tutsis traqués après
le 6 avril par les milices hutues. « Il y avait l'élite tutsie. D'anciens ministres, des hommes d'affaires, le futur
Premier ministre. Mais aussi des paysans et des Hutus modérés. » 1 298 personnes ont trouvé refuge sur cet îlot
précaire.

En janvier 2003, quand Rusesabagina, résident belge depuis 1996, est revenu pour la première fois à Kigali, il a été
accueilli comme un héros. Mais si le personnel tutsi de son ancien hôtel a arrêté le travail pour venir le saluer, le
gouvernement rwandais, lui, n'a pas eu un geste de reconnaissance envers son action en 1994.

En homme habitué à désamorcer le pire, Rusesabagina parle posément. Quand la mort rôde, chaque détail compte.
« Quand on sauve des gens, on ne s'assoit pas pour peser le pour et le contre. On n'a pas de plan, juste des
situations à régler, en respectant les délais que l'on vous donne. » Un jour, un militaire le réveille en lui donnant




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trente minutes pour faire sortir tous les réfugiés. « Je lui ai demandé de mieux se faire comprendre. En trente
minutes, j'ai réussi à contacter le chef d'état-major de la gendarmerie. » Et d'ajouter : « A mesure que le temps
passait, je m'habituais. »

Les contacts. Une des clés de sa survie. En avril 1994, Rusesabagina connaît tout le monde à Kigali. Ainsi, pendant
des années, il a régalé tous les généraux hutus de petites attentions. Cigares, alcools fins... Rusesabagina sait aussi
se faire entendre : « Je leur disais : cher monsieur, ce que nous voyons aura une fin. Ce jour-là, vous et moi
aurons à en répondre devant l'Histoire. » Chaque jour, Rusesabagina éprouve la vérité de La Palisse : un quart
d'heure avant sa mort, il était encore en vie. « J'étais sûr d'une seule chose : j'allais être tué. J'étais la seule
personne qui pouvait s'interposer et parler pour les victimes. D'ailleurs, tout le monde me disait : toi, ils vont te
tuer. J'ignorais simplement où, quand, comment. » Alors, il se débat. Un jour, un capitaine lui annonce qu'il va les
attaquer à 4 heures. « J'ai informé mes patrons, la Sabena, à Bruxelles, j'ai inondé de fax le ministère des Affaires
étrangères français et la Maison-Blanche. » A 4 heures, l'hôtel est épargné. Rusesabagina n'a jamais su qui les
avait sauvés.

Pour négocier, il a eu aussi recours au cash. Quand, le 7 avril au matin, un milicien place dans sa main un revolver
pour qu'il tue « tous les cafards » de sa famille et les 26 Tutsis cachés dans sa maison, il a le réflexe de proposer
tout l'argent dont il dispose. Courage ? Héroïsme ? Cet ancien étudiant en théologie préfère évoquer sa conscience
: « Si les réfugiés avaient été massacrés, je n'aurais plus jamais pu dormir tranquille. » Alors que ses voisins se
transformaient en barbares armés de machettes, il est resté le même. Alors que l'Onu évacuait tous les clients
étrangers de son hôtel, il a refusé d'établir la différence.

Bien sûr, il n'a pas oublié cet abandon par la communauté internationale, que le film « Hôtel Rwanda » pointe du
doigt. Par l'Occident et la France, à qui il reproche, lui le Hutu, d'avoir protégé les Hutus contre les Tutsis. Du reste,
aucun Français n'a manifesté d'intérêt pour son histoire. Et aujourd'hui, depuis la sortie d'« Hôtel Rwanda » aux
Etats-Unis, ce sont les universités américaines qu'il sillonne. Il tente d'y expliquer le Rwanda. Il tente de faire
comprendre que, depuis le génocide, il a appris la méfiance : « Avant, je payais des tournées à des inconnus.
Maintenant, c'est fini. On ne sait pas quel monstre peut se cacher en l'homme. » François-Guillaume Lorrain



© le point 24/03/05 - N°1697 - Page 37 - 1600 mots
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