Fiche du document numéro 10145

Num
10145
Date
Jeudi 29 septembre 1994
Amj
Taille
53701
Surtitre
Un rapport accusateur de l'organisation African Rights
Titre
La France armait le Rwanda fin mai
Soustitre
Les services secrets français ont armé les forces armées rwandaises (FAR) « certainement » jusqu'à la fin mai et « peut-être jusqu'à une date avancée de juin » 1994, en violation de l'embargo sur les armes à destination du Rwanda. C'est ce qu'affirme un rapport de la très sérieuse organisation humanitaire African Rights, basée à Londres.
Source
Type
Langue
FR
Citation
Un rapport accusateur de l'organisation African Rights
La France armait le Rwanda fin mai

Les services secrets français ont armé les forces armées rwandaises (FAR) « certainement » jusqu'à la fin mai et « peut-être jusqu'à une date avancée de juin » 1994, en violation de l'embargo sur les armes à destination du Rwanda. C'est ce qu'affirme un rapport de la très sérieuse organisation humanitaire African Rights, basée à Londres.

On savait la France et le Rwanda liés par un accord de défense depuis 1975. On savait aussi qu'à la fin de 1993, le régime du président Juvénal Habyarimana avait été sauvé d'une première débâcle des militaires français. Ils avaient brisé sans état d'âme une offensive du Front patriotique rwandais.
On apprend aujourd'hui par un rapport de 442 pages, intitulé « Mort, désespoir et défi », publié ce jeudi à Londres par la très sérieuse organisation humanitaire African Rights que cette coopération militaire franco-rwandaise a continué bien après la fin du dictateur mort dans un « accident » d'avion le 6 avril. Elle s'est poursuivie en pleine « frénésie génocidaire » en contradiction avec la résolution du Conseil de sécurité du 17 mai imposant un embargo sur les armes à destination du Rwanda.

Les livraisons se sont faites par le truchement de la DGSE et du ministère de la Coopération (dont le titulaire, Michel Roussin, est un ancien des services secrets). C'est ainsi que le 25 mai, une cargaison d'armements « organisée par la DGSE, en route pour le Rwanda, est arrivée le 25 mai à Goma », au Zaïre et a été récupérée par des militaires des FAR.

Éviter l'effondrement

Ces révélations sont confirmées par l'économiste belge François-Xavier Verschave, responsable de l'association Survie, dans un livre à paraître début novembre aux éditions La Découverte. Le titre de l'ouvrage est éloquent : Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda.
On y lit qu'au Rwanda, la France voulait « avant tout obtenir un cessez-le-feu et ramener les deux parties à négocier dans le cadre d'une conférence régionale ». « Pour que subsiste cette deuxième “partie” indispensable au “dialogue national”, il fallait à tout prix éviter son effondrement militaire. » […] « On n'eut (donc) pas de scrupule […] à combattre l'embargo sur les armes qui pénalisait la défense de ce pouvoir indéfendable (au même moment, la France commençait, à contre-cœur, de reconnaître le génocide…). On le combattait parce que le flux des livraisons se poursuivait, avec au moins notre bienveillance. »

François-Xavier Verschave, qui cite de nombreuses sources, rapporte ainsi qu'à Goma, « des avions plutôt anonymes qui ne portaient les couleurs d'aucune compagnie », apportaient chaque soir vers 20 h 30, « quelques 18 tonnes d'armes et de munitions ». Il dit aussi que cette aide arrivait « en sous-main, par des circuits parallèles », que « l'armée et le gouvernement français étaient divisés » et « ceux qui s'opposaient à la poursuite des livraisons d'armes au gouvernement du génocide, ne furent pas capables d'empêcher d'agir ceux qui voulaient le favoriser. »
L'auteur en conclut qu'« il y a plusieurs visages et plusieurs mains de la France en Afrique, mais plus de tête. »

Au quai d'Orsay, officiellement, on assure que la France a appliqué l'embargo dès le 17 mai. En privé, le ton serait moins affirmatif. Il y a des cadavres dans les coulisses de l'opération Turquoise.

Ouest-France du 29 septembre 1994

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