Fiche du document numéro 9106

Num
9106
Date
Lundi 8 juillet 2013
Amj
Auteur
Auteur
Fichier
Taille
216476
Pages
2
Titre
Témoignage de Josué Rubambana, rescapé de Mugonero et Bisesero
Nom cité
Nom cité
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Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Type
Langue
FR
Citation
Témoignage de Josué Rubambana
Vénuste Kayimahe, Jacques Morel
8 juillet 2013, v0.3
Nous rencontrons Josué Rubambana à Kigali à l’hôtel Méridien-Umubano ce lundi 8 juillet 2013 vers
18 h. Il déclare en français ce qui suit.
« J’étais à Mugonero. J’ai quitté le 16 avril à minuit lors du massacre et suis allé à Bisesero. 1 J’y ai
passé une semaine avec les autres Tutsi réfugiés là. J’ai beaucoup couru. À Bisesero ils étaient plus de
50.000. Ils avaient amené leurs vaches. Les vaches permettent aux gens de survivre en donnant du lait.
Quand j’ai quitté toutes les vaches avaient été prises.
J’ai pu quitter Bisesero le 24 avril dans la nuit vers Kibuye avec Samuel Ndagijimana. Celui-ci est
en vie, il est chauffeur. Il avait une fiancée de père tutsi et de mère hutu qui habitait dans une île, l’île
Kumbabara. Le père tutsi avait fui sur l’île Idjwi. Nous devions nous déplacer de nuit, contourner les
barrières qui étaient gardées même la nuit. Il y en avait une quinzaine sur la route vers Kibuye. Nous
sommes arrivés à Nyamishaba, sommes passés près de l’hôtel Eden Rock et du Guest House vers 6 heures.
Nous avons demandé une pirogue à une femme pour gagner cette île. Mais les gens d’une barrière nous
ont repérés, nous ont attrapés et frappés. Le chef de cette barrière s’appelait François, alias Mitterrand.
J’ai demandé à pouvoir prier avant de mourir. Ils m’ont accordé cette autorisation. Pendant que je priais
un autobus Onatracom a klaxonné. Les Interahamwe ont couru vers le bus qui les amenait tuer les Tutsi
à Bisesero. Ils ont dit qu’ils nous tueraient plus tard et nous ont enfermés. Nous l’avons été toute la
journée du 25 avril. L’information a circulé que le beau-fils de cette femme hutu était coincé.
Cette femme hutu est venue. Les Interahamwe sont revenus vers 17-18 heures. Ils ont discuté avec la
belle-mère hutu de Samuel. Elle a proposé deux vaches de bonne race en échange de notre libération. Ils
ont refusé. Ils ont accepté 2.000 Frw. Mais nous n’avons pas été libérés. La maman est partie. Ils ont
dit sortez. Les uns voulaient nous tuer les autres pas. Nous sommes retournés à la famille de départ. La
femme a trouvé un petit enfant qui nous a conduit en bateau à la belle-mère de Samuel. Ils avaient déjà
contacté le chef des tueurs sur l’île. Il était malade. C’était un proche de la belle-mère de Samuel. Il nous
a hébergé durant deux jours. La 3e nuit, on a trouvé une pirogue de Zaïrois. La belle-mère a payé deux
chêvres. Sur le lac il y a eu un ouragan. Les militaires qui surveillaient le lac sont rentrés au port. Nous
avons gagné l’île Idjwi en 8 heures avec des Congolais qui ramaient. Nous y sommes arrivés le 27 avril
vers 11 heures. J’y suis resté un mois.
J’ai cherché des pirogues pour aller sauver des gens au Rwanda mais je n’en ai pas trouvé. J’en ai
enfin trouvé une qui y est allée. Elle est revenue vide. Ils n’ont pas pu atteindre Bisesero.
J’ai quitté Idjwi pour Goma avec une cousine et y suis arrivé début juin. J’ai été hébergé à Katindo
dans la famille d’un cousin, Charles Nkaba. Il travaillait à l’Hôtel des Grands Lacs. (Il est très malade
aujourd’hui). Quand l’information sur l’arrivée de l’opération Turquoise s’est répandue, ce Charles m’en
a parlé. Je lui ai demandé de me prendre un rendez-vous avec les Français qui étaient dans cet hôtel.
C’était le meilleur hôtel. 2 Il leur a dit que quelqu’un qui était à Bisesero leur demandait d’y intervenir.
Il m’a ramené un jour entre 9 et 11 h. Je les ai rencontrés au jardin. C’était deux militaires français.
D’après Charles, c’était des chefs. Ils étaient en tenue civile. Ils avaient plus de 30 ans. Ils ont dit qu’ils
étaient là pour une mission humanitaire. Ils ont promis d’envoyer une mission à Bisesero pour sauver
des gens. Il y avait à ce moment là beaucoup d’avions à l’aéroport. Des hélicoptères avaient quitté Goma
pour le Rwanda.
1. Josué Rubambana a témoigné sur ce massacre au procès au TPIR contre le pasteur adventiste Élizaphan Ntakirutimana
et son fils le docteur Gérard Ntakirutimana.
2. L’hôtel des Grands Lacs existe bien à Goma, Boulevard Kanya Muhanga, tel. +243 (0) 99 70 97 959. Il est actuellement
en cours de rénovation.

1

2

J’ai attendu une semaine. Kigali a été prise. Goma a commencé à accueillir des réfugiés en grande
masse. En juillet à Goma il fallait porter un masque à cause de la poussière et du choléra. Ce sont les
Américains et les Israéliens qui ont permis de vaincre l’épidémie de choléra, pas les Français.
J’ai quitté Goma pour Bukavu. J’ai appris que les gens de Mugonero fuyaient à Bukavu. Je voulais
récupérer un neveu caché à Gakuta. On m’a reconnu à Bukavu et traité d’Inkotanyi. Un pasteur nommé
Gakwere m’a dit que mon neveu était toujours à Gakuta.
J’ai pensé aller à l’aéroport de Kavumu. Un professeur congolais qui était à Mugonero m’y a conduit.
J’ai demandé à voir le chef de mission. Ils ont accepté de me recevoir. Il était en tenue civile mais ce
devait être un militaire. Je lui ai exposé mon problème. Il m’a pris pour un espion et m’a fait subir un
interrogatoire serré. Je lui ai demandé d’envoyer un hélicoptère à Bisesero pour récupérer mon neveu à
Gakuta. C’était fin juillet. « On ne fait plus ce genre de mission », me répond-il. « Pourquoi êtes-vous
encore là », lui répondis-je. Il était furieux. « Je ne suis pas là pour que vous me disiez ce que j’ai à
faire », répondit-il. Ils ont vérifié que le professeur congolais m’attendait toujours. Heureusement il était
encore là. J’ai pu repartir.
Il n’y avait pas moyen de rentrer au Rwanda par Cyangugu sans courir de grands dangers. J’ai regagné
Goma puis le Rwanda au mois d’août.
J’ai croisé trois Français pendant l’opération Turquoise. Les deux premiers avaient promis qu’ils
feraient quelque chose pour Bisesero, mais n’ont rien fait. Le troisième avait tout un arsenal mais a dit
qu’il ne faisait plus ce genre de mission. »
Josué Rubambana a déjà été interviewé par Laure de Vulpian. Newsweek lui a consacré un article. 3

Quand Josué Rubambana a-t-il rencontré ces Français à Goma ?
Josué n’a pu fournir la date exacte de sa rencontre avec les deux Français à Goma. Deux détails
permettent de l’approcher. Il déclare « J’ai attendu une semaine. Kigali a été prise. » Kigali a été prise
par le FPR le 4 juillet. Cela situerait cette rencontre au 27 juin. Répondant à notre question, il précise :
« Il y avait à ce moment là beaucoup d’avions à l’aéroport. Des hélicoptères avaient quitté Goma pour
le Rwanda. » Nous estimons que les hélicoptères sont arrivés après les premiers avions. Nous savons
notamment que le 24 juin le groupe Duval est héliporté de Bukavu à Kibuye. La rencontre de Josué avec
ces Français auraient eu lieu après le 24. Elle n’a donc pas eu lieu avant le déploiement de l’opération à
Goma. Elle a pu avoir lieu le 27 juin. Mais nous savons que l’information sur les survivants en danger à
Bisesero a été donnée par les journalistes Kiley, Hugeux et Peterson le 26 juin.
Le témoignage de Josué Rubambana confirme que le 27 juin le commandement de Turquoise était
averti par plusieurs sources qu’il y avait à Bisesero des survivants des massacres qui appelaient au secours.

3. Josué Rubambana, Wu Pei, Exterminating Your Neighbor, Newsweek, 15 mars 1999.

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