Fiche du document numéro 8865

Num
8865
Date
Vendredi 4 juillet 2014
Amj
Auteur
Fichier
Taille
150503
Pages
3
Surtitre
Carte blanche
Titre
France au Rwanda : un certificat de bonne conduite mérité ?
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Photo de Bernard Maingain




Madame Braeckman relate dans vos colonnes, la teneur d'un séminaire tenu il y a
quelques jours à La Haye, au cours duquel une cinquantaine de personnalités
ayant joué un « rôle » à l'époque du génocide, sont revenues sur les événements
des années nonante au Rwanda.

Les propos de Monsieur Védrine semblent donner une image pacificatrice de la
France qui aurait voulu d'emblée soutenir le dialogue intrarwandais et en
conséquence le processus d'Arusha. Ce certificat de bonne conduite ne me paraît
pas mérité et le temps me paraît opportun de révéler l'un ou l'autre fait
survenu à l'époque qui remet en perspective des propos donnant une image bien
trop favorable de l'équipe de l'Elysée.

Une initiative pour la paix exclusivement africaine



En 1991, après les arrestations massives survenues à Kigali en octobre de
l'année précédente et la relance du conflit militaire au Rwanda, j'ai eu
l'honneur de rencontrer à plusieurs reprises Madame Aloysia Inyumba, trésorière
et militante du FPR, membre de la direction du mouvement. Elle m'exposa
longuement au cours de nos promenades à Bruxelles et en Brabant wallon que la
France mettait tout en oeuvre pour détruire le F.P.R. et empêcher les Rwandais
de dialoguer en vue de promouvoir un nouvel équilibre politique au Rwanda. Elle
m'a dit qu'une partie importante du mouvement démocrate chrétien en Belgique (1)
partageait cette option niant les questions posées à l'extérieur par le FPR et
à l'intérieur par l'opposition qui se structurait en formations politiques.

C'est pour contrer la position de cette communauté internationale là et du
gouvernement MRND qu'elle soutenait, que FPR et opposition intérieure ont
entamé, sous mes yeux, un dialogue de paix. J'ai eu l'honneur d'être le témoin
privilégié de ces efforts, des allers et retours entre les protagonistes du
dialogue, et ceux-ci ont abouti au printemps 1992 à la tenue à Bruxelles, du
premier séminaire commun entre les promoteurs de la pacification. Une
initiative exclusivement africaine.

Les dirigeants du FPR et de l'opposition m'avaient prévenu que les temps
étaient venus pour se rencontrer et montrer au monde qui refusait de voir cette
possibilité, que le processus de pacification était possible. C'était le fruit
de leurs efforts, et exclusivement de leurs efforts.

La démarche était également soutenue par un sénateur Volksunie, Monsieur Willy
Kuypers, et par l'avocat Johan Scheers.

La réunion s'est déroulée durant deux/trois jours en mai 1992. La première
rencontre eut lieu dans une cave du palais de justice que Me Scheers et
moi-même avions dénichée (2). Je me souviens encore des personnes présentes.
Côté opposition, Thaddée Bagaragaza, Théoneste Gafaranga, Félicien Gatabazi,
Faustin Twagiramungu, Justin Mugenzi qui se préoccupait plus de ses affaires
que de l'accord politique en voie d'aboutissement. Côté FPR, Pasteur Bizimungu,
Alexis Kanyarengwe, Jacques Bihozagara, Tito Rutaremara, Aloysia Inyumba! Le
soir toutes ces personnes étaient réunies dans un restaurant de Woluwé et par
la suite, avec l'aide de Monsieur Kuypers, nous avons pu nous réunir au
Parlement où l'accord intervenu fut signé publiquement et suivi d'une
conférence de presse (3). Bien loin d'un accord de paix soutenu par la France!
mais perçu par les protagonistes de l'époque comme une étape nécessaire pour
contrer la diplomatie française totalement hostile au FPR. Madame Braeckman
suivait déjà l'actualité de l'époque.

« On risque notre vie pour avoir soutenu la paix »



Je me souviendrai toute ma vie des paroles prononcées par Gatabazi et
Gafaranga lorsque nous nous sommes quittés à l'aéroport, mes amis reprenant
l'avion pour le Rwanda : « Sais-tu qu'on risque notre vie pour avoir soutenu
la paix. Les hommes d'Habyarimana vont nous assassiner ». À l'époque je
n'envisageais pas cette issue tragique. Les faits m'ont donné tort. Gatabazi
et Gafaranga ont été assassinés tout comme Agathe Uwilingiyimana, première
ministre qui en novembre 1993, me serrait dans ses bras à la primature en me
disant que les forces hostiles à Arusha allaient entrer en action, les mêmes
que celles qui s'étaient opposées au rapprochement de l'opposition et du FPR,
tout comme Lando qui me confiait à l'époque le rôle néfaste de Justin Mugenzi
qui oeuvrait pour déstabiliser le Parti Libéral.

C'est après cet accord politique forgé par les seules forces politiques
africaines que le relais diplomatique est intervenu et que les efforts des uns
et des autres ont mené jusqu'à Arusha, au grand dam de la frange extrémiste au
pouvoir au Rwanda, soutenue par diverses personnalités françaises.

Je me souviens aussi de la proposition de Sylvestre Nsanzimana, ancien ministre
de la Justice MRND, un homme sage et assurément pas extrémiste, de se joindre à
la réunion de Bruxelles comme représentant spécial du Président Habyarimana
mais l'accès à ces entretiens lui fut refusé par les délégations pour préserver
le secret des négociations. Le détail n'était pas anodin vu la suite de
l'histoire.

« Enjoliver la position de l'Elysée est contraire aux faits dont j'ai été
témoin »



Peu de temps après, Monsieur Reyntjens relayait auprès de Johan Scheers et
Willy Kuypers, une invitation de rencontrer le Président Habyarimana et tous
trois se rendirent à Kigali. J'ai toujours considéré que la démarche de
Monsieur Reyntjens n'avait rien de celle d'un expert mais plutôt d'un compagnon
de route du clan Habyarimana. Cette invitation recelait une trahison de la
teneur des négociations qui devaient rester discrètes et poussait deux acteurs
blancs dans les bras des extrémistes hutu (4) même s'ils s'en défendent et
affirment avoir soutenu le processus démocratique. Ne valait-il pas mieux
s'abstenir de toute interférence dont les effets négatifs n'étaient pas
maîtrisés! Ce même clan d'extrémistes n'a eu de cesse de diviser l'opposition
et après Arusha de détruire le processus de paix, des Français s'impliquant
aussi dans le processus de destruction de ces accords.

Que Monsieur Védrine tente aujourd'hui d'enjoliver la position de l'Elysée dont
il était le Secrétaire général en affirmant que la France soutenait Arusha est
contraire aux faits dont j'ai été témoin. Si Arusha a pu exister c'est parce
que des forces politiques africaines et elles seules avaient voulu la paix et
la communauté internationale dont la France n'a pas promu mais subi et tout au
plus accompagné le processus et pas nécessairement de façon positive!

La même France dont l'ambassade a servi de salle de réunion pour la
constitution du gouvernement putschiste et génocidaire d'avril dit des Abatazi
(5) alors qu'Agathe, Lando, Gafaranga, Gatabazi, Kavaruganda, et tant d'autres
mouraient, victimes de leur désir de paix. La même communauté internationale
dont la Belgique, qui a lâchement abandonné les peaux noires du Rwanda à leur
immense tragédie. Ces faits hantent mon quotidien. Ces personnes méritent un
autre rappel historique qu'un récit enjoliveur de la position française sans
respect pour ceux qui furent les martyrs de cette paix tant voulue. Le propos
de Monsieur Védrine dont Colette a relaté la teneur, est un outrage à la
mémoire de ces personnes et une falsification de l'histoire. Heureusement, les
faits sont têtus.

1 Elle visait expressément les personnes gravitant autour de Madame Rita De
Backer.

2 La veille de cette réunion, le chef de cabinet du Ministre de la Justice me
téléphonait pour me dire qu'elle devait être considérée comme une initiative
privée et que le gouvernement belge ne se considérait pas comme impliqué dans
cette démarche.

3 Quelques jours plus tard, des combats reprenaient. Ils étaient liés à un coup
tordu d'extrémistes hutu tentant de torpiller les résultats engrangés et de
donner une image négative du FPR.

4 Me Scheers devint d'ailleurs, par la suite, le conseil de Jean Kambanda, le
premier ministre du gouvernement génocidaire issu du putsch du 7 avril 1994 et
condamné par le TPIR après ses aveux concernant sa participation au génocide.

5 Ce gouvernement se présentait comme celui des « sauveurs »!(sic)
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024