Fiche du document numéro 8834

Num
8834
Date
Mardi 15 avril 2014
Amj
Fichier
Taille
18484
Pages
2
Urlorg
Titre
Génocide des Tutsis : le martyre d’une religieuse hutue
Nom cité
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Lieu cité
Source
Type
Dépêche d'agence
Langue
FR
Citation
Kigali, 15 avril 2014 (FH)- Alors que le génocide des Tutsis fait rage en avril 1994 dans les environs de son austère couvent à Gisenyi (nord-ouest du Rwanda), une religieuse hutue se dresse, seule et contre tout, pour dire « NON ». Elle sera tuée par un chef milicien. Mais après avoir mis à l’abri des dizaines de Tutsis. L’auteur du meurtre avouera son crime, quatre ans plus tard, devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

Felicita Niyitegeka, de la congrégation des Auxiliaires de l’Apostolat, accueille chaque jour, en cachette, des Tutsis désespérés. Après la tombée de la nuit, par des sentiers qui lui sont familiers, elle les conduit à Goma, de l’autre côté de la frontière entre le Rwanda et le Zaïre de l’époque.

Informés de cette « trahison », des miliciens menacent de la tuer avec les réfugiés cachés au couvent du Centre Saint Pierre.

La menace parvient à son frère Alphonse Nzungize, lieutenant- colonel des Forces armées rwandaises (FAR), qui envoie des militaires pour l’évacuer.

La réponse de la brave religieuse est contenue dans une missive en langue rwandaise devenue légendaire. « Cher frère, merci de vouloir m'aider. Mais au lieu de sauver ma vie en abandonnant les personnes dont j'ai la charge, 43 personnes, je choisis de mourir avec elles. Prie pour nous, pour que nous arrivions chez Dieu, et dis au revoir à la vieille maman. Je prierai pour toi, une fois arrivée chez Dieu. Portes-toi bien. Merci beaucoup de penser à moi. ». La lettre est signée « Ta sœur Felicita Niyitegeka ».

Le 21 avril 1994, des miliciens bien armés arrivent au Centre Saint Pierre, à bord d’un camion, selon les souvenirs d’Athanasia Nyirabagesera, une amie de longue date de Felicita. Sœur Felicita et ses protégés sont sommés de monter dans le véhicule. Ils s’exécutent en priant et chantant des hymnes à Dieu.

Direction ? Le cimetière où des fosses attendent. L'un des tueurs dit à Sœur Felicita: « Toi, tu n'as pas peur de mourir? Tu vas voir que c'est sérieux! Tu seras tuée la dernière ».

Son frère, le lieutenant-colonel Nzungize, arrivera juste pour constater qu’elle vient de recevoir le coup de grâce. « Tu as choisi de mourir; prie pour nous maintenant », aurait dit l’officier.

A Vumbi, dans le district de Huye (sud), le village où Felicita a vu le jour en 1934 et qui l’a vu grandir, une seule image est restée d’elle : celle d’une personne qui avait le cœur sur la main au risque de s’oublier. Sa sœur, Julia Niyimpa, troisième enfant d’une nombreuse fratrie, se souvient de leurs années de jeunesse. « Aux veuves, aux orphelins, aux nécessiteux elle donnait, qui une robe, qui du bois mort, qui de l’eau (…) Rien ne lui appartenait ».

Adria Umurangamirwa a, quant à elle, rencontré Felicita en 1959 sur les bancs de l’Ecole de monitrices de Save (sud). Elle décrit une jeune fille effacée et méticuleuse dans ce qu’elle faisait. Après les études, elles se retrouveront toutes les deux au couvent. Au début du génocide, elles sont encore sous le même toit. Mais quand les miliciens arrivent le 21 avril 1994, Adria se trouve de l’autre côté de la frontière, car Felicita l’a fait traverser, avec une quinzaine d’autres personnes, vers 3 heures du matin.

Pendant la journée, Sœur Adria essaye de joindre sa supérieure au téléphone.

Mais c’est pour apprendre qu’elle vient d’être tuée avec six autres religieuses et une vingtaine de réfugiés. Le meurtrier de Felicita, le redoutable Omar Serushago, demandera pardon au monde entier dans ses aveux devant le TPIR en 1998. Condamné à 15 ans de prison, l’ancien chef milicien est mort l’année dernière au Mali, quelques mois après avoir bénéficié d’une libération anticipée.

« Felicita était vraiment chrétienne, on aurait dit une sainte (…) Elle avait vidé les caisses du couvent pour soudoyer un militaire qui nous aidait à passer la frontière. Dans ces moments difficiles, elle ne demandait de conseil qu’à Dieu », se souvient Sœur Adria.

Felicita a été élevée au rang de héros national par le gouvernement rwandais. Pour sa part, l’église catholique rwandaise envisage, selon des sources, de saisir Rome pour qu’elle soit canonisée en tant que martyre.

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