Fiche du document numéro 607

Num
607
Date
Mercredi 22 juin 1994
Amj
Fichier
Taille
58431
Pages
12
Titre
Procès-verbal de la 3392ème séance : Adoption de la Résolution 929 - Opération Turquoise
Nom cité
Cote
S/PV.3392
Source
ONU
Type
Procès-verbal de réunion
Langue
FR
Citation
Nations Unies

S/PV.3392

Conseil de sécurité

Provisoire

Quarante-neuvième année

3392e séance
Mercredi 22 juin 1994, à 13 heures
New York

Président :

M. Al-Khussaiby . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

(Oman)

Membres :

Argentine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Brésil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Djibouti . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Espagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
États-Unis d’Amérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Fédération de Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nigéria . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nouvelle-Zélande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pakistan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
République tchèque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
Rwanda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

M. Ricardes
M. Sardenberg
M. Chen Jian
M. Olhaye
M. Yañez-Barnuevo
Mme Albright
M. Vorontsov
M. Mérimée
M. Ayewah
M. Keating
M. Marker
M. Rovensky
Sir David Hannay
M. Bizimana

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Ordre du jour
La situation concernant le Rwanda
Lettre datée du 19 juin 1994, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général
(S/1994/728)
Lettre datée du 21 juin 1994, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent
de la France auprès de l’Organisation des Nations Unies (S/1994/738)

94-85794 (F)

Ce procès-verbal contient le texte des déclarations prononcées en français et l’interprétation des autres
déclarations. Le texte définitif sera publié dans les Documents officiels du Conseil de sécurité. Les
rectifications ne doivent porter que sur les textes originaux des interventions. Elles doivent être
indiquées sur un exemplaire du procès-verbal, porter la signature d’un membre de la délégation
intéressée et être adressées, dans un délai d’une semaine à compter de la date de publication, au
Chef de la Section de rédaction des procès-verbaux de séance, bureau C-178.

Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
La séance est ouverte à 13 h 15.
Adoption de l’ordre du jour
L’ordre du jour est adopté.
La situation concernant le Rwanda
Lettre datée du 19 juin 1994, adressée au
Président du Conseil de sécurité par le
Secrétaire général (S/1994/728)
Lettre datée du 21 juin 1994, adressée
au Président du Conseil de sécurité par
le Représentant permanent de la France
auprès de l’Organisation des Nations Unies
(S/1994/738)
Le Président (interprétation de l’anglais) : Le Conseil
de sécurité va maintenant commencer l’examen de la
question inscrite à son ordre du jour.
Le Conseil de sécurité se réunit conformément à la
demande contenue dans une lettre datée du 21 juin 1994,
adressée au Président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent de la France auprès de l’Organisation des
Nations Unies, document S/1994/738, et conformément à
l’accord auquel il est parvenu lors de ses consultations
préalables.
Les membres du Conseil sont également saisis du
document S/1994/728, qui contient le texte d’une lettre
datée du 19 juin 1994, adressée au Président du Conseil de
sécurité par le Secrétaire général.
Les membres du Conseil sont saisis du document
S/1994/737, qui contient le texte d’un projet de résolution
soumis par la France.
Je voudrais appeler l’attention des membres du Conseil
sur le document S/1994/734, qui contient le texte d’une
lettre datée du 20 juin 1994, adressée au Secrétaire général
par le Représentant permanent de la France auprès de
l’Organisation des Nations Unies.
Je crois comprendre que le Conseil est prêt à voter sur
le projet de résolution dont il est saisi. Si je n’entends pas
d’objection, je vais mettre le projet de résolution aux voix.

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M. Vorontsov (Fédération de Russie) (interprétation
du russe) : L’ampleur considérable de la tragédie humaine
au Rwanda et les massacres de civils innocents qui se
poursuivent dans ce pays depuis longtemps déchiré
imposent l’adoption de mesures urgentes susceptibles
d’arrêter le carnage au Rwanda.
Sur cette base, et compte tenu de la lettre datée du
19 juin (S/1994/728) du Secrétaire général où celui-ci
affirme que le déploiement total de forces supplémentaires
des Nations Unies ne pourra se faire qu’après un délai assez
long, la Fédération de Russie appuie ce projet de résolution
qui accueille favorablement l’offre d’un certain nombre
d’États Membres d’envoyer des contingents au Rwanda.
Nous pensons que nous avons été dans l’obligation de
prendre cette décision; elle s’impose dans les conditions
actuelles.
Nous estimons qu’il est important que le projet de
résolution indique clairement que cette opération vise un but
purement humanitaire, celui de contribuer à la sécurité et à
la protection de la population civile. Elle a un mandat
clairement formulé et elle sera conduite durant une période
limitée, nécessaire au déploiement de la Mission des
Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR)
renforcée. Il est également important, comme le souligne le
projet de résolution, que cette opération soit menée de
manière impartiale et neutre, en coordination étroite avec les
activités de la MINUAR. Comme prévu dans le projet de
résolution, nous attendons du Secrétaire général qu’il présente régulièrement au Conseil de sécurité des rapports sur
la conduite de cette opération et sur l’évolution de la situation au Rwanda.
En même temps, en vue d’assurer le succès de cette
opération, nous estimons qu’il est extrêmement important
d’obtenir l’accord des deux parties rwandaises. Nous espérons que les efforts diplomatiques intenses actuellement
déployés dans cette région conduiront les parties à lever les
obstacles qui entravent la mise en oeuvre de cette opération
humanitaire.
M. Sardenberg (Brésil) (interprétation de l’anglais) :
Nous demeurons profondément préoccupés par la situation
tragique et consternante qui continue de frapper le Rwanda.
Au lieu de s’améliorer, la situation humanitaire dans le pays
n’a cessé de se détériorer. Le degré de violence générale
continue de croître. La situation est clairement inacceptable.

Puisqu’il n’y a pas d’objection, il en est ainsi décidé.
Je vais d’abord donner la parole aux membres du
Conseil qui souhaitent faire une déclaration avant le vote.

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S’il est adopté, le projet de résolution dont nous
sommes saisis aujourd’hui deviendra la cinquième résolution
sur la situation au Rwanda que le Conseil de sécurité aura

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Quarante-neuvième année
adoptée au cours des quelque 60 derniers jours. Néanmoins,
aucune de ces résolutions n’a apporté la solution décisive
tellement nécessaire à ce pays déchiré par les conflits. Le
coeur de l’action souhaitée par la communauté internationale se trouve dans le déploiement d’une force élargie de
maintien de la paix des Nations Unies dans le pays, mais,
pour diverses raisons, ce déploiement ne s’est pas encore
matérialisé.
En ce qui concerne la question dont nous sommes
saisis, le gouvernement de mon pays, mis à part les
problèmes à caractère politique liés à l’entrée en fonctions
de la mission, nourrit de sérieux doutes au sujet de son
incidence probable sur la Mission des Nations Unies pour
l’assistance au Rwanda (MINUAR), compte tenu du climat
politique actuel. Par principe, le Brésil a maintes fois répété
que le Conseil doit tout faire pour éviter de recourir aux
pouvoirs extraordinaires qui lui sont conférés au titre du
Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. À cet égard,
il est frappant pour nous que le Conseil de sécurité ait évité
de placer sous l’égide de ce Chapitre le mandat humanitaire
de la MINUAR. Nous sommes également très conscients de
la difficulté à poursuivre simultanément et séparément des
opérations d’imposition de la paix et de maintien de la paix
dans le même pays.
Ma délégation a pris note du fait qu’une des parties
rwandaises a clairement exprimé son opposition à la mission
proposée. De plus, la mission proposée, dans les circonstances actuelles, pourrait détériorer le climat d’appui et de
coopération nécessaire qui permettrait à la MINUAR de
s’acquitter fructueusement de son mandat. L’opération
globale de la MINUAR pourrait, en fin de compte, être
mise en péril. Le gouvernement de mon pays a également
appris avec inquiétude que certains pays ayant précédemment annoncé leur intention de mettre des troupes à la
disposition de la MINUAR manifestent maintenant des
hésitations et reconsidèrent leur offre, à la lumière des
événements actuels.
À l’heure actuelle, malgré les objectifs humanitaires
louables de l’auteur de l’initiative, nous sommes d’avis que
le Conseil de sécurité devrait continuer d’avoir comme but
et comme priorité d’axer ses efforts collectifs pour rendre
la MINUAR viable et opérationnelle sans autre délai.
Bien que nombre des préoccupations de ma délégation
aient été prises en compte dans la formulation définitive du
projet de résolution, le Brésil n’est pas en position
d’appuyer le projet pour les motifs politiques que j’ai
exposés. Le gouvernement de mon pays n’a pas été
convaincu du fait que la mission proposée est apte à

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affronter efficacement la situation pendant que nous
attendons l’arrivée des forces élargies de la MINUAR au
Rwanda, notamment à la lumière de l’opposition exprimée
par une des parties de ce pays.
M. Olhaye (Djibouti) (interprétation de l’anglais) :
Ma délégation n’a pas cherché à dissimuler son horreur, son
dégoût et son incrédulité devant l’aberration impitoyable et
le génocide qui détruisent actuellement le Rwanda et sa
population. Dans ce qui est devenu un spectacle de tuerie
monopolisant pratiquement nos écrans, la répétition quotidienne de scènes d’impuissance et de désespoir met durement à l’épreuve notre patience et nos valeurs humaines.
En dépit des appréhensions alarmantes exprimées dans
le rapport du Secrétaire général daté du 20 avril 1994
(S/1994/470), le Conseil a décidé de réduire la taille et le
mandat de la Mission des Nations Unies pour l’assistance
au Rwanda (MINUAR) dans l’espoir ténu que les combats
et le carnage cesseraient d’une manière ou d’une autre et
que les parties pourraient être amenées à la table de négociation. C’est cela qui est à l’origine de la résolution 912
(1994) du Conseil de sécurité, en date du 21 avril 1994.
Mais, comme nous le savons, il n’y a pas eu de
cessez-le-feu, les combats se sont poursuivis, de même que
le chaos et les massacres de civils.
Dans une tentative de redressement de la situation, le
Conseil, par sa résolution 918 (1994) du 17 mai, a décidé
de porter à 5 500 le nombre de soldats composant la
MINUAR. Depuis lors, nous avons été témoins des efforts
acharnés déployés par le Secrétaire général pour trouver ces
5 500 soldats, déterminer les armes et l’équipement dont ils
seraient dotés et établir la logistique, les moyens de
transport et la façon dont ils seraient déployés sur le terrain.
Parallèlement au déroulement de ces négociations et à
ces préparatifs, on a appris que des milliers de civils sans
défense ont péri quotidiennement et on sait que le nombre
de victimes s’accroîtra tant que la MINUAR élargie ne sera
pas présente sur le terrain, soit, espérons-le, d’ici trois mois.
Face à cette situation inacceptable, certains États Membres,
conduits par la France, ont offert d’établir une opération
multinationale temporaire au Rwanda dans le but d’assurer
la sécurité et la protection des personnes déplacées, des
réfugiés et des civils en danger. Alors que le Secrétaire
général prévoit que cette opération sera active pendant au
moins trois mois, elle cesserait lors du déploiement intégral
des forces de la MINUAR, ce qui signifie que sa durée
serait limitée. Il semble qu’elle ne ferait rien de plus que la
MINUAR elle-même, si celle-ci était en mesure de se
déployer en temps opportun. En outre, elle est maintenant

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Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
presque prête. Quant à nous, les soupçons non fondés, les
tergiversations et les actions politiques déplacées et regrettables fondés sur des rapports de force n’ont pas eu d’emprise
sur notre décision.
Ma délégation appuie cette initiative, qu’elle considère
comme la seule solution de rechange viable au cours de la
période intérimaire avant la constitution de la MINUAR,
alors que des civils continuent de souffrir et de mourir.
Soyons clair. Nous ne prenons pas parti, mais nous
réagissons simplement au fait que les deux parties ne
semblent pas disposées à accepter un cessez-le-feu ou à
prendre des mesures sérieuses allant dans ce sens. La
situation serait peut-être même différente s’il s’agissait d’un
affrontement entre combattants militaires faisant un nombre
limité de victimes civiles. Mais, au contraire, les civils
semblent être les principales cibles visées. À ceux qui
affirment qu’une telle intervention ne fera qu’aggraver la
situation, nous ne pouvons que leur demander comment cela
pourrait être possible. À ceux qui continuent à prôner des
formes complexes d’inaction, nous ne pouvons que leur dire
que le reste de l’humanité estime probablement que, à
l’heure actuelle, n’importe quoi serait préférable au statu
quo.
Ma délégation appuiera donc le projet de résolution
dont nous sommes saisis et accepte les conclusions
formulées par le Secrétaire général dans sa lettre du 19 juin
1994 adressée au Président du Conseil de sécurité, au sujet
de l’offre faite par certains États Membres de coopérer avec
la MINUAR et le Secrétaire général au Rwanda.
M. Chen Jian (Chine) (interprétation du chinois) :
Depuis le début de la crise au Rwanda, la délégation chinoise est profondément préoccupée par l’évolution de la
situation dans ce pays. Elle appuie les efforts déployés par
la communauté internationale pour trouver une solution
rapide à la crise au Rwanda et mettre promptement fin aux
souffrances tragiques du peuple rwandais. À l’heure
actuelle, la situation au Rwanda continue de se détériorer et
la crise humanitaire ne cesse de s’aggraver. Nous nous
inquiétons donc vivement, comme je le dis, des événements
qui s’y déroulent.
Nous avons toujours cru que les parties rwandaises au
conflit devraient négocier dans le cadre de l’Accord de paix
d’Arusha, car il s’agit de la seule façon appropriée de régler
la crise au Rwanda. Le recours à la force armée ou à des
mesures contraignantes ne ferait qu’aggraver la situation
dans ce pays.

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La Mission des Nations Unies pour l’assistance au
Rwanda (MINUAR) a déployé beaucoup d’efforts pour que
soit trouvé un règlement de la crise au Rwanda. Elle a pu
compter sur l’appui de la communauté internationale, y
compris des pays africains et des parties rwandaises au
conflit.
Nous continuons de croire que, pour le moment, des
mesures efficaces doivent être prises en vue du déploiement
intégral et rapide d’une MINUAR renforcée, qui devrait
jouer son rôle conformément aux résolutions 918 (1994) et
925 (1994) du Conseil de sécurité.
Nous avons toujours prôné le respect des opinions des
pays concernés et des organisations régionales pertinentes
sur une question donnée, et la nécessité d’assurer la coopération de toutes les parties. Cette coopération est une condition indispensable au succès des opérations de maintien de
la paix des Nations Unies. Compte tenu de la situation
actuelle, il est clair que l’opération qu’autoriserait l’adoption
du projet de résolution n’a guère de chance de susciter la
coopération des parties au conflit, coopération qui sera très
difficile à obtenir.
Nous notons également que, à sa récente réunion au
sommet, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a
formulé la proposition suivante :
«Toute action ou tout effort entrepris par un pays
quelconque, individuellement ou collectivement, devrait se situer dans le cadre de la MINUAR...
Toutes les ressources et tous les efforts internationaux
devraient être utilisés pour appuyer le mandat des
Nations Unies au Rwanda.»
C’est pourquoi, et sur la base de l’expérience et des
leçons tirées de l’opération de maintien de la paix des
Nations Unies en Somalie, la délégation chinoise s’abstiendra lors du vote sur le projet de résolution dont nous
sommes saisis.
La Chine continuera d’oeuvrer avec la communauté
internationale pour encourager un règlement rapide de la
question du Rwanda. Nous espérons sincèrement que les
parties rwandaises au conflit tiendront compte des intérêts
du peuple du Rwanda, instaureront immédiatement un
cessez-le-feu, et coopéreront sérieusement avec la MINUAR
pour faire en sorte que tous les objectifs des résolutions du
Conseil de sécurité soient atteints.

Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
M. Bizimana (Rwanda) : Je voudrais tout d’abord
exprimer les sentiments de profonde gratitude que le peuple
rwandais formule à l’endroit de l’initiative louable des États
qui ont offert de coopérer avec le Secrétaire général afin
d’atteindre les objectifs des Nations Unies au Rwanda,
notamment par la mise en oeuvre d’une opération visant à
assurer la sécurité et la protection des populations civiles en
danger.
Cette initiative est d’autant plus opportune et salutaire
qu’elle intervient au moment où, depuis plus de deux mois,
les efforts déployés pour rassembler les ressources nécessaires au déploiement de la MINUAR renforcée n’ont pas
encore abouti. À ce titre, je voudrais surtout relever le
constat amer tiré par le Secrétaire général dans sa lettre du
19 juin 1994, lorsqu’il y souligne que, dans le meilleur des
cas, et cela dans le cadre de la MINUAR renforcée, même
le déploiement de la première phase visant à porter à son
plein effectif le bataillon réduit se trouvant actuellement à
Kigali ne pourra intervenir qu’au cours du mois de juillet.
Quant au déploiement de la deuxième phase de l’opération
qui devait être synchronisé avec celui de la première phase,
il est clairement indiqué qu’il ne peut être déterminé à ce
stade. En outre, il est signalé que les troupes supplémentaires ne pourront être déployées qu’une fois que le matériel
d’appui nécessaire sera en place et qu’elles auront été
formées à l’utilisation du matériel.
Compte tenu de toutes ces contraintes, le Secrétaire
général souligne qu’il est possible que la MINUAR ne
puisse, pendant trois mois, s’acquitter pleinement des tâches
qui lui ont été confiées. Ce qui est surtout inquiétant, c’est
qu’entre-temps, la situation humanitaire se détériore davantage et que les hostilités font toujours rage. Dans ces conditions, l’action envisagée est particulièrement significative
par le fait qu’elle brise l’immobilisme de la communauté
internationale à agir face à la tragédie humaine au Rwanda.
Cette opération ne pourra que sauver la vie de nombreux
milliers de personnes déplacées et de réfugiés ainsi que
celle des populations civiles gravement menacées avant que
la MINUAR ne soit dotée des effectifs et des moyens
logistiques nécessaires. À cet égard, nous apprécions hautement les efforts louables déployés par le Secrétaire général,
M. Boutros Boutros-Ghali, en vue de mobiliser les ressources indispensables pour la MINUAR renforcée.
Nous saisissons cette occasion pour exprimer la profonde gratitude des pays qui ont offert de participer à la
MINUAR renforcée par la mise à disposition de troupes ou
de moyens logistiques, de matériels et autres, et en même
temps, je voudrais souligner que nous partageons l’avis de
ceux qui considèrent que les efforts de la communauté

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internationale pour ramener la paix et la stabilité au
Rwanda, aux fins de mettre un terme à la situation tragique
actuelle, doivent aussi être axés sur l’urgence à obtenir un
cessez-le-feu effectif, ainsi que sur la nécessité de favoriser
la recherche d’une solution politique sur la base de l’Accord
de paix d’Arusha. Il convient donc que la communauté
internationale fasse tout pour freiner toute approche visant
à recourir à une solution militaire qui ne ferait que perpétuer les souffrances endurées par le peuple rwandais depuis
bientôt quatre ans.
Enfin, nous lançons un appel aux États Membres pour
qu’ils appuient pleinement l’opération humanitaire envisagée
et pour qu’ils participent au règlement rapide du conflit qui
ensanglante le Rwanda.
Le Président (interprétation de l’anglais) : Je vais
maintenant mettre aux voix le projet de résolution contenu
dans le document S/1994/737.
Il est procédé au vote à main levée.
Votent pour :
Argentine, République tchèque, Djibouti, France,
Oman, Fédération de Russie, Rwanda, Espagne, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,
États-Unis d’Amérique.
Votent contre :
Néant.
S’abstiennent :
Brésil, Chine, Nouvelle-Zélande, Nigéria, Pakistan.
Le Président (interprétation de l’anglais) : Le résultat
du vote est le suivant : 10 voix pour, aucune voix contre et
5 abstentions. Le projet de résolution a été adopté en tant
que résolution 929 (1994).
Je vais maintenant donner la parole aux membres du
Conseil qui souhaitent faire une déclaration après le vote.
M. Mérimée (France) : Ma délégation se félicite de
l’adoption de cette résolution, dont elle espère vivement, et
c’est pour cette raison qu’elle en a pris l’initiative, qu’elle
contribuera à atténuer, dans un très bref délai, les
souffrances du peuple rwandais.
Depuis deux mois maintenant, la population du
Rwanda est victime de massacres d’une ampleur inégalée,
à tel point que l’on n’hésite plus à employer pour les
qualifier le terme de génocide. Des centaines de milliers de

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Quarante-neuvième année
civils ont fui leur pays pour échapper à une mort atroce et
ont trouvé refuge dans des camps dans les États voisins.
D’autres, abrités dans des églises, centres médicaux, camps
improvisés, sites prioritaires pour les organisations humanitaires, tentent d’échapper à la mort, mais ces refuges ne leur
offrent plus qu’une protection précaire. Des orphelinats,
même, sont la cible des attaques et des exactions des
miliciens.
La France, devant cette situation tragique et compte
tenu du retard pris par le déploiement de la MINUAR
renforcée, a cru de son devoir de réagir, en proposant au
Secrétaire général d’intervenir, dans le cadre d’une opération multinationale, au Rwanda, pour protéger ces civils
sans défense et sauver ces nombreuses vies en danger. Nous
n’avons fait ainsi que répondre aux appels pressants que le
Secrétaire général n’a cessé de lancer depuis deux mois à
l’ensemble des États Membres. Je souhaiterais rendre
hommage à la persévérance dont il a fait preuve à ce sujet.
L’initiative française poursuit un but exclusivement
humanitaire; elle est motivée par la détresse des populations, devant laquelle la communauté internationale ne peut
ni ne doit, selon nous, rester passive. Nos soldats au Rwanda n’auront pas pour mission de s’interposer entre les
belligérants et encore moins d’influer de quelque manière
que ce soit sur la situation militaire et politique. Notre
objectif est simple : secourir les civils menacés, faire cesser
les massacres, et cela de manière impartiale.
La France espère vivement que d’autres pays se
joindront à cette initiative et répondront à l’appel lancé par
notre Conseil. Elle se félicite à cet égard que le Sénégal ait
d’ores et déjà fait part de sa décision de s’associer à notre
action. D’autre part, elle note avec satisfaction que l’Union
de l’Europe occidentale a décidé de soutenir les efforts et de
coordonner les contributions de ses États membres, dont
certains ont confirmé qu’ils étaient prêts à s’associer à
l’opération.
Ma délégation rappelle que le déploiement sans retard
de la MINUAR, aux termes des résolutions 918 (1994) et
925 (1994) adoptées par le Conseil de sécurité, revêt à ses
yeux une importance capitale : l’initiative française n’a pas
pour but de se substituer à la MINUAR. Bien au contraire,
l’action de la France et des pays qui s’associeront à elle n’a
pour seul but que de combler un vide aux conséquences
désastreuses. Elle prendra fin dès que les troupes du général
Dallaire, dont nous saluons le courage dans ces circonstances difficiles, auront reçu les renforts tant attendus, et au
plus tard dans deux mois, comme le précise la résolution
que nous venons d’adopter. La France encourage donc le

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Secrétaire général à poursuivre sans relâche ses efforts pour
permettre le déploiement effectif, dans les plus brefs délais,
de la MINUAR renforcée.
Ma délégation voudrait, pour terminer, souligner une
nouvelle fois l’attachement de la France à ce que soit
trouvée une solution politique négociée sur la base des
Accords d’Arusha, seul moyen de mettre définitivement fin
aux combats et aux massacres qui affligent le Rwanda
aujourd’hui. Les pays africains et l’OUA ont un rôle essentiel à jouer à cet égard, et la France appuiera tous leurs
efforts en ce sens.
Mme Albright (États-Unis d’Amérique) (interprétation
de l’anglais) : On a beaucoup parlé de la tragédie au Rwanda — dans cette salle, dans la presse, dans nos capitales.
Inutile de passer en revue une fois de plus les horreurs de
ce qui s’y passe, les récits de carnages, et d’orphelins, de
religieuses, de mères, de malades hospitalisés, de victimes
innocentes assassinés — cela en devient stupéfiant. Mais
nous ne pouvons nous permettre de rester cois devant cette
tragédie, car elle continue de se dérouler devant nos yeux.
En dépit des appels pour qu’on arrête les massacres, en
dépit des expressions d’intense indignation, nous apprenons
que les atrocités se poursuivent.
Monsieur le Président, nul besoin de vous rappeler les
longues heures que le Conseil a passées à examiner la
meilleure façon de faire face à cette crise aux proportions
consternantes. Nos décisions, prises devant une situation
complexe et insaisissable, ont été difficiles. Nous nous en
tenons à ces décisions et nous estimons que la Mission des
Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) a un
rôle essentiel à jouer, mais l’immensité de la tragédie nous
amène également à saluer l’audacieuse initiative française.
En appuyant cette résolution, les États-Unis souhaitent
souligner leur ferme appui à l’initiative française et à
l’effort que la force de coopération fera pour garantir la
sécurité et la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils au Rwanda. La grave crise humanitaire
dans ce pays exige une réaction rapide de la communauté
internationale, et nous saluons les Français d’avoir agi pour
répondre à ce besoin.
Nous tenons à souligner également le mandat que la
force de coopération a reçu pour jouer un rôle véritablement
impartial au Rwanda. Nous reconnaissons que d’aucuns
puissent demeurer sceptiques quant au rôle de la force de
coopération. Nous tenons à préciser que la portée de cette
résolution a été limitée, précisément pour répondre à cette
préoccupation, et que le mandat de la force se borne à

Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
répondre à des besoins humanitaires, comme le demandent
les alinéas a) et b) du paragraphe 4 de la résolution 925
(1994).
Compte tenu de cette situation, nous encourageons la
force à faire preuve dès son arrivée, et par ses actes, d’impartialité et de neutralité à l’égard des parties au Rwanda.
Cela montrera clairement à tous que la force a un mandat
humanitaire visant à protéger des civils innocents et non pas
à intervenir dans le conflit entre les parties.
De même, nous tenons à appeler les parties au Rwanda
à reconnaître le rôle humanitaire que la force de coopération
est appelée à jouer. Nous demandons en outre aux parties
d’aider la force en facilitant la fourniture d’une aide humanitaire à ceux qui en ont si désespérément besoin.
La décision française d’envoyer des troupes au
Rwanda reflète la persistance de la nécessité de renforcer
les capacités des Nations Unies elles-mêmes dans le
domaine du maintien de la paix, ainsi que la nécessité pour
les États Membres qui sont prêts à participer à des opérations de paix des Nations Unies dans des situations
particulières, et qui sont en mesure de le faire, de prendre
des mesures coopératives. Citons à titre d’exemple parmi de
telles mesures prises dans le passé les coalitions alliées qui
ont réagi à l’invasion du Koweït par l’Iraq et à la crise
humanitaire en Somalie, les efforts de la Communauté
économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)
au Libéria et l’intervention de l’Organisation du Traité de
l’Atlantique Nord (OTAN) visant à faire respecter les
résolutions du Conseil de sécurité relatives à la Bosnie.
L’essentiel ici est que si nous voulons réagir avec
efficacité à tout l’éventail de conflits que nous connaissons
aujourd’hui dans le monde, nous devons être assez souples
pour accepter des solutions imparfaites lorsque nous ne
disposons pas de solutions parfaites. Nous devons sans
cesse juger, au cas par cas, ce qui est approprié, ce qui est
conforme aux principes et ce qui donnera des résultats.
Pour terminer, nous saluons une fois de plus le
Gouvernement français, qui a fait la noble offre d’être à la
tête de la communauté internationale pour faire face à la
tragédie au Rwanda. Cet effort nécessite la coopération de
tous.
M. Keating (Nouvelle-Zélande) (interprétation de
l’anglais) : La Nouvelle-Zélande s’est abstenue lors du vote
sur cette résolution. Je me dois d’expliquer pourquoi. Mais
je voudrais dire tout d’abord que nous admirons et
respectons hautement la motivation humanitaire dont a fait

3392e séance
22 juin 1994
preuve la France en saisissant le Conseil de ce projet de
résolution. Il n’y a aucune divergence entre nous quant aux
objectifs ou aux motifs. La seule divergence concerne les
moyens.
S’agissant de la nécessité d’une intervention urgente et
vigoureuse au Rwanda pour protéger les civils des
massacres systématiques, les antécédents de la NouvelleZélande sont des meilleurs. Il est fort bien connu qu’il y a
près de deux mois, la Nouvelle-Zélande a fait distribuer un
projet de résolution demandant une opération élargie des
Nations Unies en vertu du Chapitre VII. Je répète donc que
nous partageons à 100 % les intentions humanitaires qui
sous-tendent l’initiative française. Mais les bonnes
intentions ne suffisent pas dans ce genre de situation.
Nous ne sommes pas convaincus que cette opération
sera en mesure de protéger les civils contre les massacres.
Nous croyons au contraire que l’on court sérieusement le
risque que l’opération s’enlise et, pis, qu’elle déjoue les
tentatives faites par les Nations Unies pour mettre en place
sur le terrain le genre d’opération susceptible de
fonctionner.
Cette préoccupation procède non seulement de notre
propre évaluation de la situation, mais aussi d’informations
que nous avons reçues d’organisations humanitaires privées
et d’organisations non gouvernementales qui ont une expérience pratique de la situation au Rwanda. Ces organisations
craignent, elles aussi, que l’opération n’atteigne pas le noble
objectif qu’elle s’est fixé et qu’en fait elle aggrave la
situation.
La Somalie nous a montré que, même lorsqu’on a les
meilleures intentions humanitaires, le résultat peut être une
tragédie si on n’emploie pas les bons moyens. Nous avons
déjà vu ce que cela pouvait donner. Essayer de mener de
front deux opérations distinctes avec des commandements
différents ne marche pas et, à long terme, ceux qu’on se
proposait de sauver risquent d’être ceux qui souffrent. Le
Conseil de sécurité doit tirer les leçons du passé.
Nous avons une autre réserve à propos de cette initiative. Il est d’ores et déjà évident que celle-ci a un impact
négatif sur la Mission des Nations Unies pour l’assistance
au Rwanda (MINUAR). Certains pays qui avaient offert
d’appuyer la MINUAR hésitent maintenant. Les risques ont
considérablement augmenté.
Nous avons lancé un appel pressant pour que la France
consacre l’énergie, l’enthousiasme et les ressources engagés
dans cette initiative à l’opération qui peut, selon nous,

7

Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
effectivement arrêter le génocide : la MINUAR. Si cette
énergie, cet enthousiasme et cet argent étaient mis à la
disposition des Nations Unies, il ne fait aucun doute pour
nous que les retards que la MINUAR connaît actuellement
disparaîtraient du jour au lendemain.
M. Yañez-Barnuevo (Espagne) (interprétation de
l’espagnol) : Ma délégation a voté pour la résolution 929
(1994) que le Conseil de sécurité vient d’adopter, car nous
jugeons impérieux d’agir immédiatement pour contribuer à
mettre fin aux massacres qui continuent d’être perpétrés au
Rwanda en dépit des mesures prises récemment par le
Conseil.

3392e séance
22 juin 1994
Ma délégation estime essentiel qu’une opération d’une
telle envergure, qui comporte des risques évidents, bénéficie
de la coopération des parties. La résolution 929 (1994)
précise les objectifs limités de la mission et insiste sur son
caractère temporaire. Elle devrait dissiper le moindre doute
quant au fait que c’est une opération strictement humanitaire, qui doit être exécutée de manière impartiale et neutre.
Comme le précise la résolution, l’opération ne constituera
pas une force d’interposition entre les parties et, à plus forte
raison, elle ne sera dirigée contre aucune de celles-ci.

À cet égard, le Gouvernement espagnol exprime sa
reconnaissance aux autorités françaises, qui ont courageusement et généreusement offert de coopérer avec le Secrétaire général afin d’atteindre les objectifs humanitaires des
Nations Unies au Rwanda.

Par ailleurs, étant donné que l’opération multinationale
vise à combler le vide qui existera jusqu’au déploiement
efficace de la MINUAR renforcée et pour une période de
deux mois, il est essentiel aussi d’établir et de maintenir une
coopération étroite et constante avec la Mission des Nations
Unies pour l’assistance au Rwanda, conformément aux
mécanismes que le Secrétaire général doit mettre en place
à cet effet.

La résolution que nous venons d’adopter consacre cette
initiative de manière claire et précise en autorisant la mise
en place d’une opération temporaire, placée sous commandement et contrôle nationaux, agissant au titre du Chapitre
VII de la Charte, visant à contribuer, de manière impartiale,
à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des
réfugiés et des civils en danger.

Il serait regrettable que, faute d’une bonne coordination, le remède soit pire que le mal. Par conséquent, nous
sommes rassurés d’apprendre qu’au cas où la sécurité du
personnel de la MINUAR serait menacée, le Secrétaire
général, comme il le précise dans sa lettre du 19 juin,
réévaluerait immédiatement la situation et ferait les recommandations voulues au Conseil de sécurité.

Ce faisant, on tente de réaliser les objectifs humanitaires énoncés aux alinéas a) et b) du paragraphe 4 de la
résolution 925 (1994), adoptée par le Conseil il y a
quelques semaines. Cette action exceptionnelle est rendue
nécessaire par les retards auxquels se heurte la Mission des
Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR)
dans le déploiement des effectifs autorisés par les résolutions 918 (1994) et 925 (1994).

Ma délégation a exprimé à maintes reprises l’horreur
qu’inspirent au Gouvernement et au peuple espagnols les
atrocités et les souffrances dont est victime la population
civile au Rwanda ainsi que la volonté de ses autorités de
faire tout ce qui est en leur pouvoir pour contribuer à mettre
fin à cette situation.

Comme le Secrétaire général l’indique dans sa lettre du
19 juin, la MINUAR ne sera probablement pas en mesure,
avant trois mois, de réaliser pleinement les tâches qui lui
ont été confiées par ces résolutions.
Face à la dégradation de la situation au Rwanda, à la
poursuite des massacres et au risque que cette situation
présente également pour les pays voisins, la communauté
internationale ne peut rester impassible aussi longtemps. Il
faut agir sur le terrain tandis que se poursuivent les efforts
des Nations Unies, de l’Organisation de l’unité africaine
(OUA) et des pays voisins pour arriver à un cessez-le-feu
authentique et à une solution politique au conflit.

8

Dans le contexte européen, l’Espagne a insisté sur la
nécessité d’une action conjointe pour aider les Nations
Unies à atteindre ses objectifs humanitaires au Rwanda.
À la suite de l’initiative française, les consultations
nécessaires ont lieu dans le cadre de l’Union de l’Europe
occidentale pour coordonner les contributions éventuelles de
ses États membres, toujours sur la base des décisions
pertinentes du Conseil de sécurité.
Dans ce contexte, le Gouvernement espagnol est
disposé à apporter sa contribution sous la forme d’un appui
logistique à l’opération autorisée par la résolution 929
(1994) et il envisage de fournir, dans la mesure des moyens
disponibles, une collaboration similaire pour contribuer au
déploiement de la MINUAR renforcée.

Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
Sir David Hannay (Royaume-Uni) (interprétation de
l’anglais) : Mon gouvernement déplore profondément à la
fois l’ampleur et la nature de la violence que connaît le
Rwanda depuis quelques mois. Nous lançons une nouvelle
fois un appel au Gouvernement du Rwanda et au Front
patriotique rwandais (FPR) pour qu’ils cessent les combats
et recherchent, dans le cadre de l’Accord d’Arusha, une
solution négociée au terrible conflit qui ravage leur pays.
Mais si le Rwanda est en proie à une tragédie aux
proportions historiques, c’est parce que tant de civils innocents ont été tués depuis que le conflit fait rage, et tués
d’une manière qui a horrifié le monde entier. C’est cette
catastrophe humanitaire à laquelle le Conseil de sécurité est
confronté depuis des semaines qui nous a conduits aujourd’hui à prendre une décision difficile mais, je crois,
nécessaire.
En examinant cette résolution, le Conseil était placé
devant un dilemme inhabituel, celui de savoir comment
réagir au mieux à la crise humanitaire très réelle à laquelle
nous sommes confrontés. La dure réalité c’est que, bien
qu’au cours des cinq dernières semaines le Conseil ait
autorisé le déploiement de 5 500 soldats de la paix des
Nations Unies pour protéger les civils en danger au
Rwanda, et même si cela reste le meilleur moyen d’aider la
situation, le Secrétaire général n’a pas pu obtenir le déploiement rapide qu’avec nous il espérait. En attendant, les
massacres se sont poursuivis et mon gouvernement estime
que le Conseil se devait d’appuyer les mesures provisoires
proposées par le Gouvernement français.
Personne ici n’a le moindre doute quant à la nécessité
urgente de protéger les groupes en danger au Rwanda. C’est
pour répondre à cette nécessité que nous avons adopté les
résolutions 918 (1994) et 925 (1994). Nous voyons dans
l’initiative française une mesure courageuse répondant à
cette nécessité.
Mais il ne s’agit là que d’une mesure provisoire, et
nous demandons instamment à toutes les parties concernées
d’accélérer les préparatifs en vue du déploiement de la
MINUAR. L’adoption de cette résolution ne doit pas permettre d’entraver en aucune manière le propre déploiement
de la MINUAR. Pour notre part, nous allons de l’avant avec
la fourniture de l’appui logistique que nous avons proposé
pour l’opération de la MINUAR.
Mon gouvernement appelle les deux parties au Rwanda
à accepter et à respecter la force multinationale pour ce
qu’elle est — une intervention humanitaire considérée par
la communauté internationale comme une mesure provisoire

3392e séance
22 juin 1994
destinée à protéger ceux dont la vie est en danger. En outre,
il est vital que ces forces déployées au Rwanda agissent et
soient vues comme agissant avec une impartialité tout à fait
indiscutable et qu’elles ne se retrouvent en aucune manière
impliquées dans les affrontements entre les forces militaires
des parties. La sécurité des soldats de l’ONU qui risquent
déjà leur vie au Rwanda et la mission à plus long terme de
la MINUAR, auxquelles nous attachons la plus grande
importance, pourraient être menacées très sérieusement par
la manière dont les opérations multinationales, que nous
avons autorisées aujourd’hui, sont menées.
Il ne peut être dans l’intérêt des parties au Rwanda de
mettre en doute la bonne foi de la force multinationale.
C’est en travaillant avec elle qu’il pourra être rapidement
mis fin aux massacres et qu’une situation favorisant la
reprise d’un processus de paix durable pourra être créée.
Par conséquent, mon gouvernement demande à toutes
les parties au Rwanda de coopérer sans réserve avec la
force multinationale et de l’aider dans son objectif, qui est
de sauver la vie des civils sans défense. Ce sont ces
derniers qui ont payé le prix le plus lourd et c’est pour eux
que cette décision a été prise.
M. Rovensky (République tchèque) (interprétation de
l’anglais) : Durant les dernières semaines, l’opinion
publique internationale a suivi avec horreur et révolte les
nouvelles en provenance du Rwanda : le génocide, le
massacre systématique, de la façon la plus barbare et la plus
révoltante, de centaines de milliers d’hommes, de femmes
et d’enfants innocents. Depuis l’holocauste, il n’y a jamais
eu de tragédie humaine de cette ampleur.
Pour mon gouvernement, mettre réellement un terme
au carnage au Rwanda était et continue d’être d’une importance capitale. La République tchèque a activement appuyé
les divers efforts déployés par le Secrétaire général et le
Conseil de sécurité pour arrêter le conflit et empêcher les
massacres.
Deux semaines se sont écoulées depuis l’adoption de
la dernière résolution du Conseil sur le Rwanda. Le
massacre de civils, Tutsis essentiellement, s’est poursuivi
sans relâche. Pourtant, comme l’indique le Secrétaire général dans son dernier rapport sur le Rwanda, les États Membres n’ont pas réussi à fournir, en temps voulu, les ressources nécessaires à la mise en oeuvre du mandat élargi de la
MINUAR.
C’est dans ces circonstances que le Gouvernement
français a proposé d’entreprendre, avec le consentement du

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Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
Conseil de sécurité et en liaison avec d’autres États
Membres, une opération multinationale en vue de protéger
les civils menacés par les affrontements au Rwanda. Il
s’agit là d’une opération strictement humanitaire qui sera
menée de manière impartiale et neutre.
Nous prenons note des réserves qui ont été exprimées
au sujet de cette opération au sein et en dehors du Conseil.
Pour notre part, nous aurions en fait préféré qu’un consentement puisse être obtenu des deux parties en conflit au
Rwanda avant le déploiement de la force multinationale.
Ma délégation est également préoccupée par le fait
que le mandat de la force multinationale est limité à une
période de deux mois alors qu’il faudra presque trois mois
à la MINUAR élargie pour être effectivement déployée.
Aussi, nous appuyons fermement l’avis du Secrétaire
général selon lequel les gouvernements participant à la force
multinationale devraient s’engager eux-mêmes à maintenir
leurs troupes au Rwanda jusqu’à ce que la MINUAR soit
suffisamment forte pour assurer la relève.
Pour ma délégation, la préoccupation principale et
immédiate de la communauté internationale concernant le
Rwanda doit être d’agir vite et efficacement en vue de
sauver des vies d’innocents. C’est pour cette raison que ma
délégation a appuyé la résolution d’aujourd’hui. Cependant,
nous aimerions souligner que l’arrêt du génocide au Rwanda
par le déploiement de la force multinationale n’est qu’un
premier pas sur le long et difficile chemin menant à la paix
et la stabilité dans ce pays africain qui a tant souffert.
Dans la poursuite de cette voie, il faudra, tôt ou tard,
que la réconciliation se fasse à travers la reprise du
processus, dans le cadre de l’Accord de paix d’Arusha.
Nous pensons fermement que le processus de réconciliation
futur au Rwanda ne pourra être mené à son terme sans que
les individus responsables du génocide de la population
tutsie soient identifiés et poursuivis en justice.
M. Ricardes (Argentine) (interprétation de
l’espagnol) : Ma délégation a appuyé la résolution qui vient
d’être adoptée car nous estimons que l’opération particulière
qu’elle autorise est nécessaire et urgente.
La crise humanitaire au Rwanda a des dimensions
tragiques et constitue ainsi un cas unique requérant des
mesures immédiates et exceptionnelles. Cette opération a été
approuvée du fait que son objectif est strictement humanitaire et qu’elle sera conduite de manière impartiale et
neutre, durant une période limitée, et en liaison étroite avec

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3392e séance
22 juin 1994
le déploiement de la Mission des Nations Unies pour
l’assistance au Rwanda (MINUAR) renforcée.
Nous comprenons que l’offre des États Membres pour
cette opération participe de leur désir de contribuer à la
sécurité et à la protection des personnes déplacées, des
réfugiés et des civils en danger au Rwanda, y compris par
le biais de l’établissement et du maintien de zones humanitaires sûres dans tout lieu où cela sera possible. Nous
rendons hommage à ces États Membres pour leurs efforts,
lesquels, nous l’espérons, seront étroitement coordonnés
avec ceux de la MINUAR.
À travers cette résolution, ma délégation s’associe à
l’appel lancé à tous les États Membres pour qu’ils
contribuent d’urgence, sous forme de troupes et de soutien
logistique, à la réalisation du déploiement rapide de la
MINUAR renforcée. La MINUAR pourra ainsi remplir le
mandat qui lui a été conféré, avec l’accord de la communauté internationale et des parties au conflit, et les mécanismes des Nations Unies conçus pour contribuer au
règlement de conflits s’en trouveront renforcés.
De même, nous voudrions souligner la nécessité d’une
reprise rapide du processus de règlement politique dans le
cadre de l’Accord de paix d’Arusha.
Enfin, je voudrais une nouvelle fois rendre hommage
au personnel et aux responsables de la MINUAR pour les
efforts qu’ils déploient, dans des circonstances extrêmement
difficiles, pour contribuer à la paix au Rwanda.
M. Ayewah (Nigéria) (interprétation de l’anglais) :
Nous sommes attristés de voir que la poursuite du carnage
au Rwanda appelle de nouveau l’attention du Conseil peu
de temps après l’adoption de la résolution 925 (1994) le
8 juin. Nous nous attendions à ce que les Nations Unies
soient en mesure de tenir l’engagement qu’elles ont pris
d’aider à la cessation des hostilités et des massacres qui ont
fait et continuent de faire des milliers de victimes et d’aider
le pays à reprendre la voie de la paix, dans le cadre de
l’Accord de paix d’Arusha.
Malheureusement, cela ne s’est pas produit. Malgré
l’offre de troupes faite par plusieurs pays africains et l’offre
de matériel et d’appui logistique provenant d’autres pays, la
MINUAR n’a pas encore été constituée dans sa forme
élargie et n’a pas commencé à mettre en oeuvre la résolution 925 (1994) du Conseil de sécurité.
Sur ce fond d’inertie apparente de la part de la
communauté internationale qui empêche le fonctionnement

Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
de la MINUAR élargie, le Gouvernement français a
maintenant pris l’initiative de mener une opération humanitaire au Rwanda dans le but d’atténuer la situation tragique
qui prévaut dans ce pays. Nous saluons le courage et la
compassion de la France pour son intention de mener à bien
cette opération, notamment après qu’il est devenu clair
qu’on donnait le sentiment que la crise au Rwanda était une
crise africaine qui nécessitait une solution exclusivement
africaine.
Ma délégation a toutefois été incapable de se rallier à
l’initiative française, qui était la raison d’être de la résolution qui vient d’être adoptée. Le Nigéria estime que la
MINUAR offre le cadre le plus utile et le plus approprié
pour faire avancer le processus de paix au Rwanda. La
situation actuelle au Rwanda constitue une menace à la paix
et à la sécurité internationales. Dans ces circonstances,
l’ONU, par l’intermédiaire du Conseil de sécurité, conserve
une responsabilité essentielle. Ainsi, tout effort, qu’il soit
unilatéral, bilatéral ou multilatéral, sera optimal s’il s’inscrit
dans ce cadre.
Nous estimons également qu’il est très improbable que
la structure de commandement parallèle au Rwanda qui
résultera de la présence de la MINUAR et de la force
d’intervention sous commandement français suscite un
climat propice à la paix dans ce pays. Il est aussi important
de noter que l’initiative française a une profonde incidence
politique et géostratégique dans tout le continent au moment
où celui-ci tente de faire face à des problèmes de gestion
des crises, de règlement des conflits et de développement.
Enfin, la délégation nigériane aimerait exprimer ses
sincères remerciements aux pays qui ont offert à la
MINUAR élargie des troupes ou du matériel et un appui
logistique. Nous appelons toutefois ces pays à s’efforcer de
supprimer toutes conditions ou restrictions liées à leur offre
afin de conférer une souplesse maximale au commandant
des forces de la MINUAR pour un déploiement rapide des
forces.
Nous félicitons le Secrétaire général pour les efforts
inlassables qu’il déploie pour rétablir la paix au Rwanda.
Nous l’exhortons à intensifier ses efforts à cet égard pour
que la MINUAR élargie devienne opérationnelle dès que
possible.
Le Président (interprétation de l’anglais) : Je vais
maintenant faire une déclaration en ma qualité de représentant de l’Oman.

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22 juin 1994
L’adoption par le Conseil de la résolution 925 (1994)
avait donné une lueur d’espoir au Rwanda. Cette résolution
appuyait les propositions du Secrétaire général pour un
déploiement simultané des première et deuxième phases de
la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda
(MINUAR) renforcée et lui demandait de poursuivre les
préparatifs urgents pour le déploiement de la troisième
phase.
Ma délégation, tout en exprimant sa reconnaissance
pour les offres faites par certains États Membres en vue de
fournir les forces et le matériel requis par la MINUAR pour
la mise en oeuvre des phases 1 et 2, déplore que, comme
l’a noté le Secrétaire général dans sa lettre du 19 juin 1994,
le déploiement de la MINUAR renforcée connaisse encore
certaines difficultés, dont l’absence d’appui logistique et de
confirmation finale des ressources requises, la nécessité de
pleinement entraîner et équiper les troupes offertes et les
conditions liées auxdites offres. Tous ces facteurs ont amené
le Secrétaire général à conclure que la MINUAR peut ne
pas être en position, pour les quelque trois prochains mois,
de s’acquitter pleinement des tâches et des responsabilités
qui lui ont été confiées aux termes de la résolution 925
(1994).
Dans ces circonstances, ma délégation aimerait
rappeler ce que le Secrétaire général — et nous sommes
d’accord avec lui — affirme dans son dernier rapport :
«il est inacceptable que, près de deux mois après
l’explosion de violence, les massacres se poursuivent.»
(S/1994/640, par. 38);
il est aussi inacceptable que la communauté internationale
demeure indifférente à l’égard des souffrances des civils
innocents au Rwanda.
Dans ce contexte et à la lumière de la situation exceptionnelle prévalant au Rwanda, qui nécessite une réponse
urgente de la communauté internationale, ma délégation se
félicite de l’initiative française consistant à entreprendre une
opération multinationale sous commandement français pour
assurer la sécurité et la protection des civils en danger au
Rwanda. Nous croyons que cette opération pourrait bien
jouer un rôle positif à cet égard, car elle permettrait de faire
le lien avec l’arrivée du contingent de 5 500 soldats des
Nations Unies approuvé aux termes des résolutions 918
(1994) et 925 (1994) du Conseil de sécurité.
Ma délégation se félicite également de la résolution
que nous venons d’adopter, qui autorise ladite opération.
Toutefois, il doit être parfaitement clair que l’objectif de

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Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
cette opération a un caractère strictement humanitaire,

3392e séance
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c’est-à-dire qu’elle vise la protection de la population civile,
et que sa durée est limitée à la période transitoire précédant
l’arrivée de la MINUAR renforcée au Rwanda.
Il va sans dire que l’opération proposée doit obtenir
l’approbation des deux parties en conflit au Rwanda ou, au
moins, ne pas se voir opposer d’objections sérieuses de leur
part, afin d’éviter tout affrontement violent éventuel entre
une des parties et les forces participant à cette opération.
Il est aussi vital qu’existe un degré de coopération et
de coordination approprié entre cette opération et la
MINUAR de façon que chacune d’elles s’acquitte honnêtement et efficacement des tâches qui lui ont été confiées.
Compte tenu de ce qui précède, ma délégation a voté
pour cette résolution.
Je reprends maintenant mes fonctions de Président du
Conseil de sécurité.
Il n’y a plus d’orateurs inscrits sur ma liste. Le Conseil
a ainsi achevé le stade actuel de son examen de la question
inscrite à l’ordre du jour.
Le Conseil de sécurité reste saisi de la question.
La séance est levée à 14 h 20.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024