Fiche du document numéro 4518

Num
4518
Date
Lundi 20 avril 2009
Amj
Auteur
Fichier
Taille
132277
Pages
22
Titre
Témoignage d'Éric Nzabihimana - Kibuye
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Type
Langue
FR
Citation
Témoignage d’Eric Nzabihimana – 20 avril 2009 - Kibuye

Témoignage recueilli par Serge Farnel le 20 avril 2009 à Kibuye.
Témoignage recueilli directement en français.
Nous sommes le 20 avril 2009. Je suis en présence d'Eric Nzabihimana. Bonjour Eric.
Bonjour.
Merci beaucoup d'avoir accepté de nous livrer votre témoignage. Eric, pendant le
génocide des Tutsi, vous allez passer une grande partie du temps dans les collines de
Bisesero. A partir de quelle date à peu près vous cachez-vous dans les collines de
Bisesero ?
J'ai quitté mon village natal le 13 avril 1994. C'est alors que nous sommes tous allés dans les
montagnes de Bisesero.
Quel est votre village natal ?
Nyakiyabo.
Est-ce loin des collines de Bisesero ?
A une vingtaine de kilomètres.
Pourquoi décidez-vous de partir le 13 avril ?
Parce que l'insécurité devenait de plus en plus grande.
Vous dites : « Nous décidons tous de partir. » Est-ce à dire qu’il s’est agi d’une décision
collective ? Êtes-vous beaucoup de monde à partir en même temps ?
C'était une décision collective, oui. Depuis le 7 avril, on avait veillé à ce que les tueurs
n'arrivent pas dans notre village. On avait essayé de résister jusqu'au 12 avril. Mais le 13, il y
eut beaucoup d'attaques venant de toutes les directions ciblant notre village que nous avons
dès lors été contraints de quitter pour aller rejoindre les autres Tutsi à Bisesero.
En fait, on attaquait votre village, c'est ça ? Et vous avez résisté en y restant jusqu'au
moment où vous vous êtes dit que vous ne pouviez plus les contenir ?
C'est tout à fait ça, oui.
Donc, le 13 avril, vous partez. Combien êtes-vous à peu près à partir ?
Notre village natal comptait environ cinq cent Tutsi.

Et vous allez tous partir ensemble ?
Tous. Nous sommes tous partis pour Bisesero. Les vieux, les petits et les femmes, tout le
monde a été obligé de quitter le village.
Ca demande une organisation de faire en sorte que tout le monde parte ensemble ?
On s'était organisé avant cette date puisque je me souviens qu'en 1973, la même histoire s'était
présentée. Il y avait eu des attaques. J’étais encore petit, mais j'avais constaté que les hommes
s’étaient alors organisés pour lutter contre les tueurs. Ils avaient réussi à protéger le village,
aucune maison n'ayant alors été brûlée, aucun bétail n'ayant alors été volé. Ainsi, dès que les
massacres ont commencé en 1994, on a essayé de s'organiser comme ça se faisait avant.
Sauf que cette fois-ci, vous n'avez pas pu résister.
On n'a pas pu résister parce qu'il y a eu beaucoup de force déployée contre nous.
Donc vous partez tous ensemble. Le chemin est long pour parvenir à Bisesero ? Bisesero,
c'est une région, ce sont des collines, mais ce n’est pas un endroit précis. Savez-vous où
aller ?
C'est une région assez grande qui était habitée en majorité par des Tutsi. Alors on s'est mis
ensemble sur ces collines pour essayer de créer une force qui puisse résister.
Vous partez de votre village à cinq cent. Quand vous arrivez là-haut, savez-vous déjà
vers qui aller ? Ou bien vous dîtes-vous que vous allez voir ce qui se passe, comment ça
se passe ?
Ce qui se passait était visible : des attaques venaient d'un peu partout. Les collines voisines de
la région de Bisesero étaient habitées par des Tutsi qui se sont retrouvés ensemble à Bisesero
pour essayer de créer une force assez grande pour résister.
Et cette force-là, encore une fois, ça demande une organisation ?
Oui. Des hommes vaillants ont dû organiser la population. Ils étaient connus puisque les
attaques dataient de 59 et de 73.
Ils sont connus pour leur résistance en 59 ? Mais en 59, c'est il y a trente ans. Quel âge
ont ces gens aujourd’hui ?
Cela faisait partie de l'histoire de la région.
Ah oui. Il y avait des chefs ?
Oui, il y avait des chefs. Chaque colline devait avoir un chef, un chef coutumier si je peux
dire, un chef de village.
Chaque colline ? Bisesero étant l’une d’entre elles ?
Oui. La région de Bisesero contient plusieurs collines.

Et il y a une colline qui s'appelle Bisesero ?
II y a une colline qui s'appelle Bisesero, juste en face du monument, si vous connaissez la
région.
Mais comment s’appellent les autres collines dans la région de Bisesero ?
Il y a Uwingabo, Muyira, Rubazo, Gitabura, et ainsi de suite.
Par curiosité, pourquoi cette région s’appelle-t-elle Bisesero ? Pourquoi pas le nom
d'une autre colline ?
Je ne sais pas.
Donc vous, vous décidez, avec les cinq cent personnes de votre village, de rejoindre la
colline de Bisesero ou la région de Bisesero ?
La région de Bisesero.
Et vous allez au début sur quelle colline ?
On est allé sur la colline de Murambi. Au tout début du génocide, il y avait encore beaucoup
de Tutsi et on ne pouvait pas tous tenir sur une seule colline. On devait donc s’étendre dans
cette région de Bisesero. Quand une attaque venait de l'est, tout le monde devait aller la
contrecarrer. On essayait de s'aider mutuellement quand on était attaqué.
Une colline aidait une autre colline, c'est ça ?
C'est ça.
Mais à cette époque-là, il n'y avait pas de moyen de communication simple. Vous aviez
quoi ?
On devait communiquer avec des tambours, surtout des tambours.
Il y avait donc des codes ?
Oui. Quand on était attaqué, on savait comment tambouriner, et alors on venait pour aider.
Par exemple, vous pouvez me faire un appel de détresse ?
Normalement, dans la coutume rwandaise, un tambour permet de communiquer. Alors on
s'était dit que lorsque l’on serait attaqué, il faudrait venir au son du tambour. Comme on était
sur les sommets des collines, on pouvait observer les attaques venir, et on pouvait aller aider
les collègues avant même d'être appelé. Puisque les attaques se faisaient de jour, on pouvait
les voir descendre d'une montagne.
Est-ce qu'avec un tambour, vous pouvez dire plusieurs messages, ou le fait de taper sur
un tambour signifie-t-il juste qu'il y a une attaque ?

C'était une convention. Quand on tapait sur le tambour, il fallait venir aider.
Il ne pouvait pas y avoir de pièges tendus par les miliciens consistant à taper sur un
tambour pour que vous veniez vers eux ?
Non.
Est-ce que tout votre village est situé sur la même colline ?
Il était entièrement sur la colline de Murambi.
Le village est donc resté groupé ?
Oui.
Mais il faut également organiser des forces. Donc, quand vous arrivez, est-ce que la
colline a déjà son organisation de défense, ce qui vous fait vous plier à cette organisation,
ou bien est-ce que c'est vous-même qui la créez ?
Avant de quitter le village il y avait une organisation pour essayer de se défendre, et ça a été
la même chose quand on a été à Murambi.
Et quand vous quittez le village, vous rencontrez des gens qui ont déjà organisé leur
défense sur la colline ?
Les Tutsi qui résidaient sur la colline de Murambi avaient leur organisation.
Donc vous vous soumettez à leur organisation ?
On s'est mis ensemble pour essayer de se défendre.
Il y avait un chef ?
Oui, il y avait un chef.
Vous restez tout le long du génocide sur la même colline ?
Non. Nous sommes restés à peu près un mois sur la colline de Murambi. On essayait de se
défendre avec des pierres, des armes traditionnelles, des lances.
Vous étiez armés ?
Avec des armes traditionnelles, des lances, des bâtons, des machettes quelques fois puisqu’on
les utilisait pour les travaux ménagers. On s’est battu ainsi pendant un mois sur cette colline.
C'étaient des miliciens qui vous attaquaient ? Des Interahamwe ?
Oui.

Comment les miliciens étaient-ils, eux, armés ?
Tout au début, ils avaient également des armes traditionnelles. C'est pourquoi on a essayé de
résister un peu longtemps si je peux dire. Mais ils ont été ensuite fortement armés d’armes à
feu, de grenades, de fusils. C’est pourquoi ils ont fini par nous vaincre.
A partir de quand les armes à feu équipent-elles les Interahamwe ?
Le 13, nous avons quitté notre village au moment où nous avons commencé à être la cible de
tirs d’armes à feu.
Et dans les collines ...
Dans les collines, il y en avait, mais pas beaucoup. Il y avait alors les policiers communaux,
les surveillants de la prison qui venaient avec des fusils. Mais à partir du 15 mai, ce furent des
gendarmes, des militaires, avec différentes armes à feu, dont des fusils lourds. Alors on a
commencé à perdre beaucoup de gens et, devenus peu nombreux, on a été obligé de se
concentrer sur la seule colline de Bisesero.
Vous voulez dire que le fait que beaucoup de Tutsi aient été tués à partir du 15 mai fait
qu’ils ont tous pu se regrouper sur une seule colline, c'est ça ?
Oui.
Il y avait un intérêt à tous se regrouper ?
Oui. Quand on se regroupait, on pouvait résister un tout petit peu.
Comment vous organisiez-vous pour vous défendre ?
Pour nous défendre, les hommes et les jeunes gens encore forts se plaçaient devant, tandis que
les filles et les femmes qui avaient encore de la force suivaient. Les enfants, les vieux et les
vieilles devaient, quant à eux, se placer derrière où ils ramassaient des pierres qu'ils
transmettaient aux hommes qui étaient devant, afin que ces derniers les lancent sur les
miliciens.
Ca, c'est quand ils n'avaient pas d'armes à feu. Mais quand ils ont eu des armes à feu ?
Il arrivait qu'on ne puisse plus résister. Alors on était obligé de descendre se mélanger avec
les tueurs. Quand ils tiraient, il leur arrivait de toucher soit un Tutsi soit un Hutu, de telle sorte
qu’ils abandonnaient finalement la bataille.
Ah oui, parce que le fait que vous vous mélangiez fait que ...
S'il coupe, il peut couper son collègue. S'il tire, il peut tirer sur son collègue. Alors ils étaient
obligés de ...
Quand vous dites : « On descendait vers eux », cela veut dire que la configuration des
batailles, c'était toujours vous au-dessus d’eux ?

On se plaçait au-dessus pour pouvoir lancer des pierres.
Mais ils ont eu des grenades à partir du 15 mai ?
Oui.
Le lancer de grenade était peut-être ce qu'il y avait de plus efficace pour eux, non ?
Oui, puisque les grenades tuaient beaucoup de gens, étant donné qu’on était ensemble.
D'où effectivement la stratégie de se mêler à eux, parce que dans ce cas, la grenade ne
peut plus être utilisée ?
Une fois encerclés, il nous fallait chercher une échappatoire. On devait d’abord se mélanger,
puis, une fois mêlés à eux, on trouvait une échappatoire, certains miliciens devant céder la
place. Alors on se mettait à courir, et ceux qui ne pouvaient pas courir étaient machetés, tués.
Au bout d'un certain temps, on a toujours peur ? La peur est tout le temps là ? Où est-ce
qu'on s'habitue ?
Tout au début, le matin, ils attaquaient entre neuf heures et dix heures. Ils tiraient le premier
coup. Une grande peur régnait alors parmi nous, mais après trois ou quatre fusillades, la peur
disparaissait.
C'est-à-dire qu’une fois dans l'action, il n’y a plus cette peur ?
On tue quelqu'un. Il faut continuer toute la journée.
Ca dure de quand à quand une attaque ?
Normalement, ils attaquaient le matin à neuf heures pour rentrer vers quinze heures.
Ce sont presque des heures administratives. Ce sont des heures de fonctionnaire.
Oui, c'est ce que je disais : ils allaient au travail et ils venaient de loin. C'est pourquoi ils
arrivaient à neuf heures et devaient rentrer à quinze heures afin de regagner leur village qui
était encore loin. Ils faisaient du trajet. Et quelques fois, il arrivait qu'ils viennent la nuit.
Pour vous prendre par surprise ? Parce que vous ne vous y attendiez pas ? C'était rare ?
Fatigués, endormis, nous entendions des grenades qu'ils jetaient sur les gens pendant la nuit.
Est-ce que vous arriviez à dormir, du coup ?
Par la fatigue. Une fois qu’ils étaient partis, on cherchait à manger, puis on dormait avant de
se réveiller trop tôt pour aller cacher les blessés dans la brousse, aller chercher où se placer
pour guetter leur arrivée, amasser des pierres pour essayer de se défendre quand la défense
était encore possible, puisque vers le mois de juin, on ne se défendait plus et on allait se
cacher très tôt le matin.

Vous étiez trop fatigués pour vous défendre ?
On était trop fatigué. On était peu nombreux. On ne pouvait plus résister, ne serait-ce que
quelques minutes, face aux attaquants.
Il fallait vous cacher qu'on ne vous trouve pas quoi.
Oui.
Que mangiez-vous ? Comment faisiez-vous pour vous nourrir ?
On mangeait tout ce qu'on trouvait qui restait encore dans les champs, puisque les tueurs
venaient piller la nourriture, ravager les plantes qui n'étaient pas encore à terme pour nous
affamer. On mangeait surtout de la patate douce, du haricot vert ainsi que du sorgho.
Mais en trouviez-vous quand même suffisamment ?
Pas suffisamment. C'était insuffisant, mais on essayait de se procurer tout ce qu'on pouvait
trouver.
Qui restait-il au mois de juin ? Restait-il beaucoup de femmes ? Restait-il des enfants ?
Il ne restait que peu de rescapés à Bisesero. La plupart était des jeunes, quelques vieux. Les
femmes et les enfants avaient, quant à eux, été presque tous décimés, n'ayant pu résister
longtemps, sachant qu’on devait courir de neuf heures à quinze heures. Il n’a pas été possible
aux femmes portant des enfants sur le dos de résister, ni aux vieux, pas plus qu’aux enfants.
De votre village en juin, restait-il beaucoup de monde ?
En juin, des cinq cent personnes de mon village natal dont je vous ai parlé au début, il ne
restait qu'une quinzaine de personnes.
Vous étiez combien à peu près à cette époque-là ? Il restait combien de personnes à
Bisesero environ ?
Juste après le génocide, Ibuka [Association des rescapés du génocide] a fait un recensement
auquel j’ai participé. On a compté environ soixante mille personnes.
Vous voulez dire soixante mille personnes ...
… qui ont été décimées à Bisesero.
Et en juin, il reste combien de personnes vivantes ?
A peu près deux mille.
Abordons maintenant un passage très connu puisqu’il fait polémique : c'est la rencontre
avec un convoi de soldats français.
Le 27 juin.

Le 27 juin 1994. A cette époque-là, vous êtes à peu près deux mille, c'est ça ?
On était à peu près quatre mille.
Quatre mille survivants ?
Oui, et deux mille personnes ont été tuées au cours des deux jours pendant lesquels les
militaires français nous ont laissé à la merci des tueurs.
On va donc aborder cette question-là. Que se passe-t-il exactement le 27 juin ? Vous
voyez un convoi arriver sur la route, c'est ça ?
Vers quinze heures, si je me rappelle bien, j'étais au sommet d'une colline. On commençait à
quitter la brousse puisqu’il était à peu près quinze heures.
Donc c'était la fin des tueries ?
Oui oui. Les tueurs commençaient à rentrer. C'était pendant l'été. Il y avait trop de soleil, de la
poussière. J'ai vu une montée de poussière à Gishyita. J'ai vu des hélicoptères tout d'abord,
deux je crois, après quoi j'ai vu de la poussière monter. Je me suis dit : « Bon. »
Donc là, il est quelle heure vous avez dit ? Il est quinze heures là ?
Oui.
Il est quinze heures, vous dites que vous regardez au loin. Parce que vous n’êtes pas à
Gishyita, vous ?
C'était en bas. J'étais à Bisesero. J'ai vu de la poussière monter juste après le passage des
hélicoptères. Je me suis alors dit que ce devait être des hélicoptères qui avaient atterri à
Gishyita. J'ai été curieux de savoir ce qui se passait. Ayant un poste de radio, je pouvais suivre
les informations sur RFI, une radio internationale, annonçant la venue de militaires français au
Rwanda dans le cadre de la mission Turquoise, une mission humanitaire.
Comment faisiez-vous pour les piles des radios ?
Un ami hutu m'amenait des piles ainsi qu’à manger quelques fois, puisque c'est un ami très
intime.
Il est toujours en vie ?
Oui.
Donc vous écoutez la radio. Quelle a été votre première réaction quand vous avez appris
qu'il y avait une mission Turquoise qui s'apprêtait à venir ?
Je me suis dit que le temps était peut-être venu d'être sauvé, puisqu'on disait qu'ils venaient
pour sauver les personnes en danger. C'est pourquoi j'ai eu le courage de m'approcher de la

route afin de savoir ce qui se passait. Et alors que je me demandais ce qui se passait à
Gishyita, j'ai aperçu un convoi de militaires monter vers Bisesero.
Quand vous regardiez Gishyita, vous étiez à cet instant au bord de la route ?
Non, pas au bord de la route, puisque les miliciens étaient encore dans les parages.
Les miliciens venaient comment ? Ils venaient à pied ? Ils étaient en camion ? Ils
prenaient la route ? Ils faisaient quoi ?
Ceux qui, habitant les collines, étaient voisins de Bisesero, venaient à pied, tandis que
d’autres venaient de loin, en voitures et en camions.
Et en général, quand ils venaient de loin en voiture, venaient-ils précisément par cette
route ?
Oui, ils prenaient la route de Gishyita.
Et ils venaient de Gishyita ou ils venaient de l'autre côté ?
Certains venaient de Gishyita, d'autres venaient de Gisovu. Une route principale traverse
Bisesero qu’elle coupe en deux.
Donc vous voyez Gishyita au loin, vous voyez l'hélicoptère, vous vous dites que ce doit
être des hélicoptères français parce que vous avez entendu ça à la radio.
J’avais appris, la veille, que les Français étaient déjà à Goma, dans l’ex-Zaïre. Je me suis dit
que c’étaient peut-être des militaires français venus à notre secours. Je me suis alors précipité
pour aller tout prêt de la route et guetter si réellement c'étaient des militaires français.
Vous allez tout près de la route tout en sachant qu'il faut faire attention parce que les
miliciens viennent alors de partout ?
Ca pouvait être des miliciens, ou des militaires rwandais, ou bien encore des militaires
français. Je devais être prudent. Je me suis approché de la route et j'ai vu que c'étaient des
militaires français qui montaient.
Il y avait un drapeau français ?
Oui, il y avait un drapeau français. C'étaient des Blancs. Je me suis alors dit qu’il fallait que
j'aille à leur rencontre pour leur expliquer ce qui se passait à Bisesero. S'ils venaient pour nous
sauver, qu'ils nous sauvent. Alors j'ai crié, mais ils n'ont pas voulu s'arrêter.
Ils ne vous ont peut-être pas entendu ?
Je ne sais pas s’ils m’ont alors entendu, mais je faisais également des gestes et étais près de la
route.
Vous étiez où ? Vous n’étiez pas sur la route ? Vous étiez à côté ?

J'étais sur le talus de la route. Après qu’ils aient refusé de s'arrêter, je me suis placé sur la
route.
Devant le véhicule ?
Oui. Deux véhicules venaient de passer. Un autre véhicule étant derrière, je me suis pressé
devant et j'ai crié en disant : « J'ai entendu dire que vous êtes venus pour sauver les Tutsi qui
sont en danger. Ce sont nous qui sommes menacés. Il y a des morts un peu partout. Vous
pouvez les voir. »
Deux voitures sont passées ?
Oui.
Vous vous précipitez sur la route et vous bloquez le passage de la prochaine voiture ?
Le passage de l'autre voiture.
Et il y a combien de voitures en tout ? Il y en a trois ?
Si je m'en rappelle bien, ca devrait être quatre.
Vous êtes sûr ?
Il y avait des véhicules militaires et un véhicule civil.
Le véhicule civil était-il en fin de convoi ou au milieu ?
Au milieu.
Il était au milieu. Mais ça veut dire que deux véhicules sont passés, donc que vous
bloquez deux véhicules restés derrière ?
Oui.
A quel endroit est le véhicule civil ?
Il venait de passer.
Donc lui, il est passé ? Donc vous bloquez deux véhicules militaires, c'est ça ?
Oui. Ceux qui étaient devant, voyant que les autres s’étaient arrêtés, se sont aussi arrêtés un
peu plus loin.
Ils étaient à combien de mètres à peu près ?
A une cinquantaine de mètres. Alors j'ai commencé à expliquer, à aller leur montrer les
cadavres.
Et vous montrez ça à qui ? A ceux qui sont dans les véhicules que vous venez d'arrêter ?

Oui.
Les autres, ils viennent vers vous ou ils attendent ?
Ils ont reculé pour venir peu après.
Les deux voitures ont reculé ?
Oui, elles ont reculé. Les militaires français des deux derniers véhicules, à qui j'ai crié qu’ils
viennent nous sauver, ont quitté leur véhicule et ont commencé à se mettre en position. Je me
suis demandé s’ils allaient tirer sur moi.
Pourquoi ? Parce qu'ils ont braqué l'arme sur vous ?
Etant donné que d’autres Tutsi étaient là, peut-être se sont-ils sentis menacés. Alors je leur ai
expliqué que c’était nous qui étions menacés, qu’on se faisait tuer chaque jour. Le long de la
route, il y avait beaucoup de morts. Il y avait même des blessés qui, eux, n'étaient pas encore
morts. Alors ils ont commencé à croire que je disais la vérité. Ils sont venus et ils ont vu.
Combien de militaires sortent des voitures ?
Je ne sais pas.
Au moment où vous vous arrêtez, où les deux véhicules ne sont pas encore revenus,
sortent-ils tout de suite ?
Ils sortent.
D'accord. Ils se mettent en position de combat. Ce sont deux, un militaire qui sort de
chaque voiture ?
Si je me rappelle bien, trois militaires sont sortis directement.
Bien sûr les autres militaires sont restés au volant ?
Trois seulement ont pris position. Je leur ai montrés les cadavres. Je leur ai montrés les
blessés.
Ils se sont approchés pour aller voir ?
Peu après, ils se sont approchés, ils ont vu, ils ont même commencé à être, je peux dire,
choqués de ce qui se passait là.
Qu’est-ce que vous leur montriez exactement ?
Des blessés qui gisaient le long de la route, qui venaient juste d'être tués ou machetés. Il y
avait aussi des morts le long de la route. Je les leur ai montrés. C’étaient nos chers qui avaient
été tués. Je leur ai montré le sang qui coulait encore. C'était frais. Alors ils ont commencé à
comprendre que nous disions la vérité. Dans ce véhicule civil dont je vous ai parlé, il y avait

un milicien Interahamwe, un enseignant, qui conduisait les militaires vers Bisesero. Il ne
voulait pas leur montrer que c'étaient des Tutsi qui étaient menacés. Il disait que c'étaient des
Hutu qui étaient menacés, que les Hutu de Bisesero avaient été obligés de quitter leur village
pour aller se réfugier de l'autre côté de Bisesero après que les habitants de Bisesero les aient
menacés de mort. Alors il voulait aller leur montrer le camp des Hutu qui avaient quitté leur
village.
En fait, il les conduisait vers le camp de Hutu, c'est ça ?
Oui.
Et donc vous, vous êtes arrivés en plein milieu. Comment s’appelle le camp de Hutu ?
Rushishi.
C'est un camp de Hutu qui avait quitté leurs villages ? Mais pour quelle raison ils
avaient quitté leur village, eux ?
Des Hutu cohabitaient avec les Tutsi. Les miliciens qui venaient de loin ont brûlé les maisons
de Hutu, croyant que c'étaient celles de Tutsi. Alors ces Hutu minoritaires de la région de
Bisesero ont dû quitter Bisesero pour se réfugier tout près des autres Hutu. C’est à cet endroit
que ce milicien les conduisait.
Il a essayé de les amener là-bas pour les manipuler ?
Pour les manipuler, leur disant que c’étaient les Hutu qui étaient menacés.
Avez-vous le sentiment qu'à cet instant, ces soldats français sont en train de s'interroger,
de se dire que peut-être ils ont été manipulés ? Quel sentiment avez-vous ? Qu'ils
comprennent ? Qu'ils connaissaient déjà la situation ? Qu'ils la découvrent vraiment ?
Qu'ils ne comprennent rien ? Quel est votre sentiment ?
Il est difficile de connaître les sentiments que l'être humain peut éprouver. Mais à cette
époque-là, je voyais qu'ils étaient surpris de la situation qu'ils venaient de rencontrer. Ils ont
été convaincus quand ce milicien-là a été reconnu par ses élèves.
Parce que vous étiez avec ses élèves ?
Oui. Deux de ses élèves, qui étaient encore en vie, ont fait savoir que cet enseignant s'appelait
Jean-Baptiste, que c’était leur enseignant, et qu’il venait régulièrement les attaquer, que même
le matin il était avec d'autres miliciens. Les survivants de Bisesero étaient sur le point de le
tuer quand les militaires l'ont poussé dans le véhicule en disant : « Non, non ! Laissez,
laissez ! »
Les élèves ont voulu se venger ?
Se venger, oui.
Et les militaires français l'ont protégé ?

Ils l'ont protégé en le poussant dans le véhicule et en fermant la porte.
Ce milicien-là était dans le véhicule civil ?
Il était dans le véhicule civil.
Le milicien sort-il de lui-même au départ ? Moi, j'aurais été lui, je n’aurais pas voulu
sortir.
Il est sorti pour mentir, pour dire que je mentais, alors qu’il venait d’être dénoncé par ses
élèves.
Mais avez-vous le sentiment que les soldats français qui l'ont protégé quand il était
apparemment sur le point de se faire lyncher, ont cru ce que leur disaient ses élèves ?
Ils y ont cru. Même après mes explications, j'ai vu qu'ils étaient convaincus de ce que je
disais, et c'est pourquoi on leur a demandé de nous protéger, de nous placer devant les
véhicules pour nous amener à Kibuye, sauf qu'ils ont dit ne pas être sûr de la sécurité à
Bisesero, qu'ils n’étaient pas prêts pour nous sauver. Nous avons beaucoup insisté, mais ils
n'ont pas voulu nous comprendre.
Ca veut dire quoi ? Ca veut dire qu'ils décident de partir ?
Ils nous ont dit qu’ils repartaient, qu’ils étaient venus pour nous sauver, mais pas aujourd'hui,
et qu’ils reviendraient d’ici trois jours.
Pourquoi trois jours ?
Je ne sais pas
Qu’est-ce qu'ils ont dit pour justifier les trois jours ?
Ils ont dit qu'ils allaient se préparer pour revenir.
Est-ce qu'ils ont dit : « Il nous faut trois jours parce que nous avons besoin de ... »
On a beaucoup insisté, alors ils nous ont dit : « Nous ne sommes pas prêts pour vous sauver,
nous regagnons Kibuye, nous allons dire au préfet Kayishema qu’il sécurise la région afin que
nous puissions revenir d’ici trois jours. »
Mais le préfet Kayishema est un génocidaire !
C'est ce que j’ai dit.
Vous le lui avez dit ?
Oui, j’ai dit : « Kayishema vient chaque fois avec ses bourgmestres nous tuer. »
Est-ce que vous avez le sentiment qu'ils pensaient que vous vous trompiez ?

D'après moi, j'ai conclu qu'ils n'étaient pas venus pour nous sauver, compte tenu des véhicules
et des armes qu'ils avaient.
Qu’est-ce qu'ils avaient comme armes ? Combien d'armes avaient-ils ? Décrivez-moi un
petit peu le nombre de soldats ?
Je n'ai pas fait beaucoup attention au nombre de soldats qu'il y avait. Mais s’il y a trois ou
quatre véhicules militaires …
Trois véhicules militaires et un civil.
Il y avait trois véhicules militaires avec leurs armes. Même s'ils étaient une dizaine ou une
vingtaine, ils pouvaient essayer de nous protéger. C’est ce que je croyais.
Est-ce que vous ou quelqu'un avez demandé de laisser au moins un ou deux militaires
pour vous protéger ?
Nous le leur avons demandé. S'ils n’étaient pas en mesure de rester avec nous pour nous
protéger, qu'ils nous placent devant leur véhicule afin de rentrer avec eux à Kibuye.
A pied ?
A pied.
Vous aviez proposé ça ?
On a proposé ça : « Si vous n'êtes pas sûr de cette région, pourquoi ne pas nous placer devant
vous, nous amener à Kibuye, là où vous êtes sûr ? »
Et donc de rentrer tout doucement : vous rentrez à pied de telle sorte que les miliciens
n'auraient alors pas osé vous attaquer. Donc vous avez proposé ça précisément ? Qu'estce qu'ils ont répondu à ça ?
Ils ont dit : « Non, ce n’est pas possible, nous retournons à Kibuye. »
Eric, ils vous disent que ce n’est pas possible. En fait, ils vous disaient qu'ils n’étaient
pas prêts. Eric, qu’est-ce que vous leur avez proposé concrètement aux soldats français
comme idée, comme solution, pour pouvoir vous protéger ?
J'avais entendu à la radio RFI qu’ils étaient venus pour nous protéger, ce qu’eux-mêmes nous
ont confirmé. Or ils nous ont dit : « Non, nous ne sommes pas prêts pour aujourd'hui. Nous
reviendrons dans trois jours. » Alors, on les a suppliés de rester avec nous, ou de partir avec
nous à Kibuye, étant donné que les miliciens nous guettaient toujours.
Est-ce qu'il y avait suffisamment de place dans les voitures pour vous transporter tous ?
On voulait qu'ils nous mettent sur la route à pied.
C'est-à-dire que vous les auriez suivis ? Qu'ils vous escortent en fait ? D'accord.

Qu'ils nous escortent jusqu'à Kibuye, là où ils étaient sûrs.
C’était à combien de kilomètres, Kibuye, par la route ?
Trente kilomètres par la route.
En marchant doucement, on met combien de temps à peu près ?
Six heures de marche.
Et quelle heure était-il quand ils sont venus ?
15h30.
D'accord, donc ça veut dire que vous seriez arrivés aux environs de 21h30 ?
Oui.
Et qu'est-ce qu'ils vous ont répondu à cette proposition de vous escorter ? Vous étiez
combien à peu près de Tutsi ?
A peu près quatre mille.
Est-ce que c'est possible d'escorter quatre mille personnes ? C'est ça aussi, non ?
C'est ce que je croyais. Quand on est en danger, on n’est peut-être pas très raisonnable. On
avait besoin de secours.
J'essaie d'imaginer un convoi de quatre véhicules escortant quatre mille personnes.
C'est-à-dire qu'il y aurait eu un véhicule derrière.
Puisque c'était vers la nuit, les miliciens étaient rentrés, personne n'allait nous attaquer. C'est
ce qu'on croyait.
Oui, et puis vous mettez un véhicule derrière pour qu'on ne vous attaque pas par
derrière, un véhicule devant pour qu'on ne vous attaque pas par devant, puis deux
véhicules latéralement, je ne sais pas, au milieu, et ça, ils ont refusé ?
Ils ont refusé.
En invoquant quelle raison ?
Ils nous ont dit : « Non, nous ne sommes pas prêts. Il est impossible de vous amener jusqu'à
Kibuye. » Ils ont dit que les miliciens pouvaient nous tuer en cours de chemin, qu'ils n'étaient
pas assez nombreux pour nous protéger.
Avaient-ils des radios ?
Ils avaient des moyens de communication, oui.

Sur quel véhicule avez-vous vu ça ?
Sur un véhicule militaire. Je ne me rappelle pas très bien.
D'accord, mais c'était sur un des véhicules militaires ?
Oui.
C'était quoi ? Une grande antenne ? Une antenne qui était devant ? Une antenne portée
à la main par un soldat ?
Je n'ai pas suffisamment observé pour le savoir.
Vous êtes sûr d'avoir vu un système radio ? Est-ce que vous leur avez demandé d'utiliser
cette radio pour faire venir du renfort ?
Il y avait des doutes, parce que d’un côté la RFI disait qu'il y avait des militaires français
venus pour nous sauver, de l’autre la radio du FPR [Front Patriotique Rwandais] disait qu'ils
venaient soutenir les ex-FAR [Forces Armées Rwandaises]. Alors je me demandais qui avait
raison et qui avait tort. Voyant qu'ils refusaient de nous protéger, j'en ai conclu qu'ils n'étaient
pas venus pour ça.
[Note de l’interviewer : le témoin ne semble pas ici avoir compris la question]
Vous dites que certains de soldats à qui vous avez montré des corps ont été choqués.
Vous a-t-il semblé qu'ils vous ont cru quand vous leur avez dit que c'était un milicien qui
leur servait de guide ? Est-ce que vous avez le sentiment qu'il y avait, parmi les
militaires français, des militaires qui étaient prêts à vous aider et d'autres non ?
Ce se voyait, parce qu'il y en avait qui étaient tristes de ce qui se passait, d'autres peut-être le
feignant, mais on voyait qu'il y en avait qui étaient attristés par les événements qu'ils venaient
de découvrir.
Et apparemment, ceux qui étaient attristés n'avaient pas le pouvoir, n'étaient pas le chef.
C'est ce que je crois, oui.
Il y avait un chef que vous avez reconnu comme étant le chef ?
Oui, il y avait un chef qui leur a ordonné de rebrousser chemin. Il a demandé aux véhicules
qui étaient devant de faire demi-tour pour rentrer à Kibuye. Celui qui était chef nous a dit :
« Rester dans vos cachettes comme d'habitude. Dans trois jours, on viendra vous sauver. »
Ils ne vous ont pas expliqué pourquoi il leur fallait précisément trois jours ?
Il ne l'a pas dit.
Et vous n'avez pas cherché à le savoir ?

Nous leur avons dit que s'ils tardaient à venir, nous serions tous tués, parce que les miliciens
venaient de voir qu'il y avait encore des Tutsi. Nous leur avons dit qu’à l’issue des trois jours,
il ne resterait plus personne à Bisesero. Ils ont dit : « Non, nous allons dire au préfet
Kayishema de demander au bourgmestre d'arrêter les attaques. »
Le bourgmestre de ...
De Gishyita et de Gisovu, puisque Bisesero touchait les deux communes.
Vous me dites que vous avez vu un hélicoptère atterrir à Gishyita ?
Oui.
Donc c'est nécessairement un hélicoptère français ? L'armée rwandaise a des
hélicoptères ?
Je ne sais pas.
Donc vous voyez en tout cas un hélicoptère atterrir à Gishyita.
Quelques minutes après, j'ai vu les véhicules monter à Bisesero.
Et les attaques, vous êtes sûr qu’elles venaient de Gishyita ?
Les attaques venaient de Gishyita, venaient de Gisovu, venaient de partout.
Comment savez-vous, au fait, que les attaques venaient de Gishyita ?
On les voyait le matin monter. Puisqu'on était en haut dans les collines, on les voyait par la
route, d'autres venant de toutes les directions.
Est-ce que vous aperceviez Gishyita suffisamment bien pour y voir les gens ? Voir des
petits points ?
Non, c'était loin pour nous.
Vous les voyiez comment ? Vous les voyiez au loin par la route monter tranquillement ?
Par la route, monter.
Par la route, et également à pied par les chemins ?
Il y en a également qui montaient à pied.
Vous les voyiez aussi de loin ?
Oui, puisque le matin on allait guetter leur arrivée.
D'où la position stratégique finalement.

On passait la nuit en groupe, certains allant la nuit chercher de quoi manger, d'autres allant
guetter l’arrivée d’assaillants en vue d’informer les autres afin qu’ils puissent s’enfuir.
Vous dites avoir prévenu les soldats français que vous risquiez de mourir pendant les
trois jours, d'être attaqués, parce que maintenant vous aviez été vus, découverts. Tandis
que les Français étaient là, on pouvait voir des miliciens ?
On les voyait puisque les militaires français sont venus en même temps que les miliciens
rentraient. Eux aussi ont pu remarquer que ces militaires français étaient venus à Bisesero,
après quoi ils se sont arrêtés sur les collines avoisinantes pour observer ce qui se passait.
Alors qu'ils étaient en train de partir, ils se sont arrêtés pour voir ce qui se passait ?
Oui.
Est-ce que vous avez pu les montrer aux soldats français : « Regardez. »
Nous leur avons montré les miliciens qui nous guettaient sur les collines.
Est-ce qu’on les voyait à l'œil nu ?
Oui, à l'œil nu.
Est-ce que des soldats français ont pris leurs jumelles pour les voir ?
Ils les voyaient sans même avoir besoin d’utiliser de jumelles.
Ont-ils quand même utilisé des jumelles ?
Oui.
Oui ? Vous vous rappelez de ça ?
Oui oui.
Est-ce que ces miliciens-là étaient juste statiques en train de regarder ou est-ce qu'il ...
Oui, ils regardaient.
On ne les voyait pas tuer des Tutsi au même moment quand même ?
Ils ont tué le jour qui suit.
Mais au moment où vous montrez les miliciens aux Français, ils ont fini leur travail ?
Ils avaient fini leur travail du jour pour revenir le lendemain.
Vous avez dit aux Français que vous vous étiez maintenant découverts. Ca veut dire
quoi ? Ca veut dire que vous êtes très nombreux à vous être approchés et à être sortis de
votre cachette pour aller voir les Français ?

Oui. On leur a donc dit que les Interahamwe venaient de découvrir qu'il y avait encore des
Tutsi à tuer. On venait d'être exposés.
Mais ce n’était pas un peu imprudent de votre part ? Parce que vous, vous entendez par
RFI quelque chose, vous entendez par la radio du FPR autre chose, donc vous ne savez
pas ce que sont vraiment venus faire les Français. Est-ce que vous n'avez pas pris un
risque à tous vous découvrir d'un coup comme ça ?
J'avais pris le risque de savoir ce qui se passait. S'ils étaient venus pour tuer, qu'ils me tuent
puisque je n'avais plus l'espoir de vivre.
Oui, mais vous dites que tout le monde est sorti de sa cachette ?
Pas tout le monde, mais la plupart. Ils ont vu que les militaires français ne nous avaient pas
tué. Ceux qui étaient arrivés les premiers n'ayant pas été tués, tout le monde a commencé à
venir.
On leur demandait de sortir ou ils sont sortis eux-mêmes ?
Ils venaient aussi voir. Ils étaient curieux.
D'eux-mêmes ?
Oui, ils étaient curieux.
D'accord. Combien de personnes sont sorties à peu près à ce moment-là ?
Au cours de cette soirée, à peu près une centaine.
Une centaine de personnes sont sorties, et les miliciens étaient là qui voyaient ?
Qui voyaient.
Ces miliciens-là venaient de vous attaquer. Donc ils savaient où vous étiez. Donc vous
n'étiez pas vraiment cachés.
Pendant le mois de juin, ils venaient nous chasser, mais ne voyaient pas les gens ainsi
rassemblés sur une colline. Ils devaient aller de brousse en brousse chercher les Tutsi afin de
les tuer. Etant fatigués, étant donné qu’il y avait beaucoup de blessés, qu’on était peu
nombreux, on ne pouvait plus résister.
Et tout d'un coup, là, ils voient sortir beaucoup de monde au même endroit.
Oui, au même endroit. Ils ont dit : « Non, les Tutsi sont encore nombreux. » Alors, à partir du
le lendemain, ils sont venus durant trois jours : le 28, le 29 et le 30.
Vous dites que les Français rebroussent chemin. Ca veut dire quoi ? Qu'ils sont
revenus ?

Ca veut dire qu'ils sont retournés en descendant vers Gishyita, peut-être pour aller à Kibuye
après.
Donc la direction de Kibuye était celle de Gishyita ?
Oui.
Le soir même, subissez-vous des attaques ? Les attaques sont terminées ?
C'était terminé parce qu’il faisait presque nuit. Les miliciens étaient rentrés.
Qu'est-ce que vous faites concrètement sachant que vous avez été découverts ? Qu'est-ce
que vous faites ? Vous changez de cachette ?
Nous avons été découragés. Alors, on a essayé de se cacher comme d'habitude.
Mais au même endroit que celui que vous avez montré aux miliciens ? Avez-vous essayé
de changer de cachette, du coup ?
On a changé de cachette, c'est sûr, mais puisqu'ils savaient qu'on était encore vivants, ils sont
venus nombreux, ont même brûlé les forêts pour tuer ceux qui étaient encore en vie.
Vers quelle heure arrivent-ils le 28 juin ?
Ils sont venus un peu tôt.
Plus tôt que d'habitude ?
Plus tôt que d'habitude. Ils sont même rentrés tard le soir.
Plus tard que d'habitude ?
Oui. C'est ce qui m'a fait penser par la suite qu'ils savaient peut-être que d’ici trois jours on
risquait d’être sauvés. C'est pourquoi ils venaient très tôt le matin pour rentrer tard le soir.
Y avait-il plus de monde que d'habitude ? Les attaques étaient-elles plus dures que
d'habitude ?
C'était plus dur que d'habitude parce qu’il y avait alors de nombreux militaires.
Des militaires qu'il n'y avait pas auparavant ?
Oui.
Pourtant, ne m'avez-vous pas dit que le 15 mai, il y avait des militaires ?
Il y a eu des militaires, des gendarmes. Ils sont venus le 13, le 14, le 15 mai.
D'accord, mais après non ?

Après, les militaires n’ont pas été aussi nombreux qu’au cours de ces trois jours.
Et tout d'un coup, les militaires reviennent aussi nombreux que le 13, le 14 et le 15 mai,
c'est ça ?
Oui.
Est-ce que de nouvelles armes sont utilisées à ce moment-là ?
Oui oui.
Quel genre d'armes ?
Des armes lourdes dont les projectiles qui atteignaient la forêt faisaient beaucoup de bruit,
déracinaient des arbres, les Tutsi qui étaient dans la forêt devant alors en sortir pour se sauver.
Ces armes lourdes …
C'étaient des roquettes.
Les avaient-ils déjà utilisées dans la région de Bisesero auparavant durant les trois
mois ? Avaient-ils déjà utilisé ça le 13, le 14 mai et le 15 ? Et quel genre de nouvelles
armes également ?
Je ne suis pas en mesure de différencier les armes.
Avez-vous souvenir de machettes que vous n'aviez jamais vues auparavant ? De
nouvelles machettes ?
Non.
Et le 29 juin également, vous subissez des attaques ?
Nous avons également subi des attaques le 29, ainsi que le 30 avant midi.
Les attaques du 29 furent-elles aussi importantes, plus importantes que celles du 28 ?
Les trois jours, c'était presque la même chose.
Avez-vous souvenir d'entendre des hélicoptères dans le ciel ou de voir des hélicoptères
dans le ciel pendant ces trois jours ?
Oui.
Quand ça ?
Je crois que c’était le 28 et le 29.
Pendant les attaques ?

Oui.
Au-dessus de vous ?
Oui.
Ils étaient haut dans le ciel ?
Ils étaient haut dans le ciel. Peut-être surveillaient-ils ou bien faisaient-ils des déplacements
ordinaires, je ne sais pas.
Est-ce qu'ils étaient statiques dans le ciel ou est-ce qu'ils bougeaient ?
Ils bougeaient.
Est-ce que vous arriviez à voir les pilotes à l'intérieur ?
Non, ils étaient trop haut.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024