Fiche du document numéro 34714

Num
34714
Date
Vendredi 6 décembre 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
111636
Pages
12
Urlorg
Titre
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 23
Sous titre
Compte rendu de l’audience du jeudi 5 décembre 2024
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Cette journée d’audience a débuté par l’audition de Léonard PFUKAMUSENGE, témoin du ministère public. Condamné à 15 ans de prison, il raconte avoir été chez lui au moment du génocide. Après avoir vu beaucoup de personnes partir en direction de l’ISAR, il a fini par les suivre, ne sachant pas vraiment ce qu’il se passait. Hutu et Tutsi étaient mélangés là-bas. Un jour est arrivé un militaire dont il ignorait le nom, originaire de Ruhengeri. C’était le gendre de Gakeri. Il est arrivé à l’entrée de l’ISAR Songa, s’est adressé à un Hutu, et lui a demandé de dire aux autres Hutu de se séparer et de rentrer chez eux, car ce n’était pas eux qui étaient visés. C’est finalement ce qu’ils ont fini par faire. Dans les jours qui ont suivi, d’autres militaires sont arrivés. Ces militaires sont passés à côté de son domicile et lui ont demandé ce qu’il faisait. Ils lui ont demandé de les suivre. Ils lui ont chargé une caisse sur la tête et sont partis jusqu’en face de la colline, là où il y avait une belle vue sur les réfugiés. Ils se sont arrêtés en haut du domicile de Rushingadodo. Il a déposé la caisse par terre et ils lui ont demandé de s’asseoir à côté. Quatre militaires sont restés près de la caisse et d’autres se sont rendus vers l’endroit où se trouvaient les réfugiés. Les militaires restés avec lui ont pris quelque chose dans la caisse qui ressemblait à une bouteille d’eau mais un peu plus haut, ils l’ont mis dans un canon et ils l’ont lancé au milieu des réfugiés. Il y a une explosion et de la fumée est montée. Selon lui, quatre ou cinq obus ont été tirés. Ceux qui les avaient encerclés tiraient en même temps. Il explique avoir finalement fait 17 ans de prison en raison de cette implication de l’attaque de l’ISAR Songa. Lorsque le Président lui montre la photo du mortier, il dit que l’arme y ressemblait. Par contre, l’obus montré par le Président n’y ressemblait pas vraiment. Interrogé par le Président sur la question de savoir s’il ne s’agissait pas plutôt de gendarmes, il explique qu’ils portaient l’uniforme militaire mais ils portaient des bérets rouges. Ils avaient une Daihatsu bleue. Les questions se sont ensuite portées sur sa connaissance d’un autre Biguma que celui qui est accusé. Celui qu’il connaît a été emprisonné à Butare pour sa participation au génocide, ils jouaient au football ensemble lorsqu’ils étaient plus jeunes. Il ne connaît pas son vrai nom, mais son père s’appelait Nkuba. C’était un paysan, une personne ordinaire, comme lui. Il ne l’a pas revu après le génocide et ne sait pas ce qu’il est devenu. Devant l’avocate générale, il a raconté qu’alors qu’avant le 21 avril la situation était calme, des militaires sont venus lui demander avec d’autres civils d’ériger une barrière. La consigne était de tuer tous les Tutsi qui y passaient et de les piller.

Me Lotte pour la défense lui a demandé si quelqu’un des autorités rwandaises ne l’avait approché avant son audition par les gendarmes en 2018. Le témoin a répondu « non personne », même jusqu’à aujourd’hui. Il lui a également demandé si le surnom Biguma était commun au Rwanda ou dans son secteur, mais monsieur PFUKAMUSENGE dit ne pas connaître d’autre Biguma que celui dont il a parlé.

La deuxième personne à être entendue ce matin est une partie civile, Appolinarie GAKURU, représentée par Me Philippart. Agée de 15 ans en 1994, elle habitait la commune de Ntyazo dans le secteur de Karama, cellule de Kanyima. Elle avait un frère et quatre sœurs. Des Tutsi sont arrivés de partout et leur ont parlé du génocide. Au début, les Hutu et Tutsi dormaient dehors. Au bout d’un moment, les gens se sont séparés, seuls les Tutsi étaient en danger. Les maisons des Tutsi qui se sont réfugiés à Karama avec leurs troupeaux ont commencé à être incendiées. À Karama, les réfugiés très nombreux ont réussi à faire fuir les assaillants pendant deux semaines. Face à cette résistance, les Hutu ont sollicité le soutien des gendarmes. Ils sont arrivés dans une Daihatsu qui appartenait à un commerçant et à sa femme du nom de Mushumba. En première ligne se trouvait un gendarme du nom de Biguma. Les gendarmes ont commencé à tirer, les Tutsi se sont dispersés. Dans les combats, les Tutsi ont réussi à tuer un gendarme et lui ont pris son arme. Mais les réfugiés ont décidé de l’enterrer. Un véhicule a également été pris aux assaillants et a été incendié. Le fils du bourgmestre a été tué. La femme du commerçant Mushumba a également été capturée. Sa mère va prendre la décision de fuir au Burundi avec elle et ses sœurs, mais elles ne vont pas réussir et vont retourner à Karama.

Sur place, il n’y avait plus beaucoup de survivants. Une autre attaque a eu lieu pour les achever, et donc elle a décidé de fuir vers l’ISAR Songa. Cette attaque était aussi conduite par Biguma. C’est sa mère qui lui a dit qui il était. Le Président a rappelé à Madame Gakuru que l’accusé ne sera pas jugé pour ces faits. Elle a ensuite expliqué son chemin difficile vers l’ISAR Songa. Ils sont d’abord partis chez les prêtres mais ils les ont chassés. Elle pense que l’un d’eux a prévenu les Interahamwe. Quand ces derniers les ont retrouvés, elle est tombée dans un ravin en fuyant et y a trouvé une autre jeune fille. Elles se sont cachées ensemble. Elles ont croisé deux jeunes Interahamwe, à qui elles ont dit qu’elles étaient Hutu et qu’elles allaient chercher du sel pour leurs parents. Mais ils les ont conduites à une barrière. Ils ont tué la jeune fille qui était avec elle, qui en réalité était un garçon. Ils l’ont jeté en contrebas de la route. Elle a été conduite chez les Interahamwe qui l’avait conduite à la barrière puis ils l’ont violée. Ce n’est malheureusement pas le seul viol qu’elle a subi pendant le génocide, elle a raconté aussi deux autres viols qui ont eu lieu avant celui-ci. Après cet épisode, elle a pris l’initiative d’aller à la barrière, car elle ne voulait plus se cacher. Elle y a rencontré un jeune homme qui l’avait violée auparavant, et elle a demandé à être tuée. Elle ne pouvait plus supporter cette vie. Il y avait beaucoup de gens qu’elle connaissait à la barrière. Finalement, personne n’a osé la tuer. Parmi les Interahamwe, un a dit : « donnez-moi cet enfant, je la ramène chez moi ». Elle a été protégée, puis chassée, puis encore protégée et chassée, jusqu’à la victoire du FPR. Seule une de ses grande-sœurs a survécu au génocide. Sa mère a été tuée à Kanyinya, chez son gendre. Ses trois autres sœurs ont aussi été tuées là-bas. Sa tante et d’autres proches ont été tués à Nyamure. Le Président l’a ensuite interrogée sur le meurtre d’une femme Tutsi à qui un soignant du nom de Mathieu a arraché les yeux qu’elle a raconté aux gendarmes français. Elle ne connaît que le prénom de Mathieu, pas son nom de famille. Elle a vu cette femme lorsqu’elle est arrivée à Karama. Aux avocats des parties civiles, elle dit avoir compris que le viol était utilisé comme une arme contre eux à l’époque. Me Philippart a rappelé à la Cour qu’elle était l’une des premières à avoir parlé de viols dans ces dossiers sur le génocide au Rwanda.

Le Président a décidé ensuite d’ouvrir le débat concernant la procédure devant les juridictions Gacaca. L’avocate générale a expliqué le fonctionnement et les grands principes de cette justice. Elle a notamment expliqué la phase de collectes d’informations, dont on parle beaucoup dans ce genre de procès. Elle a rappelé que pour Hélène Dumas, il ne s’agit pas d’une justice transitionnelle, car on retrouve des sanctions pénales après le prononcé de la culpabilité. Elle a également expliqué le procédé du plaider coupable, qui, et le Président l’a rappelé, n’est pas une spécificité du Rwanda.

Me Guedj, a souhaité que soit donné lecture du rapport de Reporter Sans Frontières qui fait état des droits et libertés fondamentales au Rwanda aujourd’hui, qu’il veut lire avant l’audition d’Alain Gauthier cet après-midi. Ce rapport de 2024 dénonce une instrumentalisation du génocide de 1994, époque où les médias attisaient la haine raciale, pour justifier son contrôle sur la presse. Le rapport décrit le paysage médiatique rwandais comme « l’un des plus pauvres du continent africain ». Me Guedj a expliqué qu’il avait voulu que ce rapport soit lu en lien avec l’article de The Rwanda Classified qu’il avait souhaité verser au débat il y a quelques jours, et qui avait été critiqué par les autres parties pour sa ligne éditoriale. Il voulait faire remarquer à la Cour qu’il était très compliqué d’avoir des médias au Rwanda. Me Guedj a également versé au débat une vidéo d’un passage des époux Gauthier sur France 24 sur leur collecte d’informations au Rwanda sur l’accusé, ainsi qu’un article d’André Guichaoua sur la pratique de la torture en prison au Rwanda.

La première personne à être entendue cet après-midi est l’expert balistique Pierre LAURENT, nommé par le juge d’instruction pour donner une expertise sur l’utilisation du mortier de 60 sur les sites de la colline de Nyabubare et de l’ISAR Songa. Son rôle était de décrire le mortier de 60 et de savoir si les témoignages étaient compatibles avec les spécificités de cette arme. Ses rapports sont montrés à la Cour sur les écrans. Monsieur Laurent a expliqué que le mortier de 60 était un mortier qui tirait des obus de 60mm. C’est une arme qui fait moins de 20kg, qui idéalement est manipulé par deux personnes, bien qu’il puisse être mis en place et utilisé par une seule. Il s’agit d’une arme d’appui, c’est-à-dire une arme qui permet des tirs courbés sur un ennemi qui n’est pas forcément au contact. Elle peut être utilisée notamment pour disperser une foule. Elle permet également, en fixant l’ennemi, de laisser le champ libre à des troupes amies de manœuvrer, en l’occurrence pour les faits qui nous intéressent les civils pour encercler colline. En Afghanistan, des sorties de plus gros calibre sont utilisés comme arme idéale pour faire de l’anti-snipping, c’est-à-dire empêcher un tireur de manœuvrer.

Le mortier de 60 a été inventé par la société française Brandt en 1935, puis copier par les américains pendant la Seconde Guerre mondiale appelé le M2. En termes de portée, elle est de 1180m pour le mortier français et de 1815m pour l’américain sur un terrain plat. Au vu de la date des événements, c’est l’un des deux qui a été utilisé. S’agissant de l’attaque de la colline de Nyabubare, l’expert dit s’être fondé sur quatre témoignages : Israël DUSINGIZIMANA, Obed BAYABUGE, Emmanuel UWITIJE, Callixte GASIMBA. Les tirs y ont été faits à vue, puisqu’on tire sur un flanc de colline relativement à proche distance. La distance permettait de se prémunir du militaire qui était armé. La cadence n’était pas très soutenue, on tirait et on regardait ce qui se passait. Les obus ne font que 60mm, 2kg, donc ce sont finalement des grosses grenades. S’agissant du fonctionnement de l’arme, l’obus va être mis dans un tube par quelqu’un appelé un « servant ». Quand l’obus touche le fond du canon, il touche un percuteur et une réaction pyrotechnique qui conduit immédiatement au lancement de l’obus. Donc il y a de grosses précautions à prendre. Il y a également un système de visée, car il faut pouvoir choisir la bonne inclinaison. Quand l’obus touche le sol, c’est la pointe qui va faire exploser le corps de l’obus. L’explosion elle-même ne tue pas à plus d’un mètre, ce sont les éclats de fonte qui vont tuer jusqu’à 1100m. Peut blesser voire tuer 33% des personnes qui se trouvent dans un rayon de 10m autour. À Nyabubare, la distance de tir était de 480m. Sur l’ISAR Songa, peu de témoignages. On va lui communiquer les coordonnées GPS de la position des civils et du mortier plus tardivement. Il a pu estimer la distance de tir à peu près 650m. Le mode opératoire était le même qu’à Nyabubare, mais il y a eu beaucoup plus de victimes. Selon Monsieur Laurent, les véhicules mentionnés par les témoins, notamment la Toyota Hilux, sont des véhicules compatibles avec le transport d’une telle arme.

Il a ensuite été interrogé sur les différents types d’armes mentionnés dans le dossier. Le fusil R4 est un fusil d’assaut, copie d’une Kalashnikov, qui peut tirer en rafale. Le RPG est un lance-grenade que l’on met sur l’épaule : c’est l’équivalent d’un bazooka. Le FAL (fusil automatique léger) est un fusil automatique belge, qui peut tirer en rafale selon le type. Interrogé par la défense, qui a tenté de remettre en cause les informations sur lesquelles il s’était basé pour faire son expertise, l’expert a bien expliqué que ce n’était pas son rôle de déterminer si les témoins étaient de bonne foi ou non. Son rôle était de déterminer si leurs témoignages étaient compatibles avec l’utilisation et le fonctionnement d’un mortier de 60. L’avocat général a rappelé que les experts nommés n’ont à leur disposition que les pièces qui leurs sont transmises par le juge d’instruction. Ce n’est pas eux qui font le choix des témoignages sur lesquels ils se basent. Me Guedj a qualifié l’expertise de Monsieur Laurent d’expertise « de salon » pour ne pas s’être rendu sur place et avoir utilisé Google Earth pour les coordonnées géographiques.

Sapientia RUGEMANA, partie civile représentée par Me Gisagara, a été entendue ensuite. Elle habitait Kigoma au moment du génocide, dans la préfecture de Gitarama près de Nyabisindu. L’avocate générale a tenu à préciser que cette commune faisait partie de la compétence territoriale de la gendarmerie de Nyanza. Madame Rugemana a expliqué avoir su qu’elle constituait un problème dans son propre pays assez tôt. Quand elle était à l’école primaire, on séparait les élèves en fonction de leur ethnie afin de connaître les statistiques. À 10 ans, elle est partie chercher de l’eau avec d’autres enfants. Elle était la première à y arriver, mais un élève d’une autre ethnie a voulu puiser de l’eau avant elle. Quand l’enfant a rétorqué en disant qu’elle était Tutsi et que les Tutsi étaient méchants, étaient des serpents. Elle en a été très triste et en a donc parlé à ses parents. Son père a dit qu’il allait trouver une solution et a parlé avec le père de l’enfant en question. Quand elle a grandi, elle a compris que ces idées étaient inculquées par les parents. Cela a suscité une blessure en elle, une sorte de peur. Elle était en vacances quand le génocide a débuté. Au fur et à mesure que les jours passaient, les gens ont commencé à fuir. Elle avait huit frères et sœurs. La nuit, ils se cachaient dehors, ils ne rentraient chez eux que la journée. Les informations étaient que les Tutsi allaient mourir. Ils avaient un employé qui travaillait dans le commerce de sa mère, un jeune homme de 20 à 25 ans d’ethnie Hutu, qui sortait recueillir des nouvelles. Un mercredi, jour du marché, il lui a conseillé de se rendre chez de la famille de son mari, qui habitait une colline plus loin. Le bourgmestre est venu dire à ceux qui étaient au marché de rentrer chez eux, car les incendies avaient commencé. Ils en ont profité avec sa famille pour fuir avec les autres. Ils portaient quelque chose sur leurs têtes pour simuler des gens qui revenaient du marché. Ils sont partis en direction de là où son père était originaire, la colline de Shori. Il n’y avait pas plus de 20 à 30 minutes de route. Son père était en revanche parti à Kigali. Arrivés à la colline, la population était encore confuse, on ne savait pas encore qui était visé exactement. Sa mère a dit à sa grand-mère qu’elle préférait partir avec ses enfants à Ntyazo, car elle y avait des frères. Vers 23h, ils se sont mis en route pour partir. Avant de partir, sa mère leur a donné des consignes : ils devaient partir en deux groupes et ils devaient dire aux gens qu’ils venaient de Kigali. Ils sont arrivés dans la famille de sa mère le lendemain. Une partie des enfants est allée chez son oncle paternel. Chaque jour était pire que la veille. Des Interahamwe du Bugesera sont arrivés dans le but de tuer. La population n’avait pas encore compris ce qu’il se passait, Hutu comme Tutsi les ont combattus et les ont chassés. Quelqu’un d’inconnu lui a murmuré à l’oreille qu’ils devaient fuir sans tarder, car les Tutsi étaient dans le collimateur des assaillants. Ils sont donc partis avec sa famille en direction du Burundi, mais ils sont finalement rentrés chez son oncle. Le soir, une attaque est venue. Ils ont alors fui sur la colline de Rwezamenyo. Le matin, ils ont été attaqués. Ils se sont rendus à Karama, où ils ont passé la nuit. Vers l’aube, ils ont encore entendu les attaquants arriver, en chant « Hutu power, Hutu power ».

Les événements les plus terribles qu’elle a vécus se sont passés à l’ISAR Songa. Un jour, un hélicoptère est arrivé et les a observés à basse altitude. Ils ont mis les bras en l’air, pensant que l’État venait enfin à leur secours. Elle est partie dans la vallée pour se laver avec sa cousine quand elles ont été attaquées par une pluie de balles. Elles sont remontées la colline pour retrouver leurs proches. Elles rampaient pour se déplacer. Il y avait beaucoup d’armes différentes, des balles, des bombes qui tombaient, qui explosaient. Entre temps, les Interahamwe s’étaient mêlés à la masse et s’étaient mis à les découper. Elle a raconté un épisode qui l’a beaucoup marquée ce jour-là : elle a vu un homme et des enfants qui lui ressemblaient, avaient eu les sexes coupés et marchaient nus couverts de sang. Elle a fui avec d’autres réfugiés vers une rivière et ils se sont aventurés dans des marécages jusqu’à arriver à une route. Sur la route, ils ont croisé un véhicule. Les gens sont sortis de la voiture et les ont attaqués. Ils leur ont demandé de s’asseoir et de rendre leurs armes. Ils les ont dépouillés et les ont gardés là jusqu’au matin. Ils ont demandé si certains avec une carte d’identité Hutu, et ceux-ci ont pu partir. Quand le chef des Interahamwe est arrivé, il a demandé à ce que les hommes, les femmes et les enfants se séparent. Les enfants de sexe masculin devaient se ranger avec les hommes. Les Interahamwe se sont « servis » parmi les jeunes filles pour choisir celle qu’ils préféraient. Une femme, qu’elle ne veut pas nommer mais qui était de sa famille, a dit à celui qui l’avait choisie qu’elle partirait avec lui uniquement si elle venait avec elle. Elle a plus tard été sauvée par les Inkotanyi. Durant son parcours, elle n’a jamais vu Biguma ni entendu parler. L’avocate générale a rappelé la ressemblance entre son histoire et celle de Gloriose MUSENGAYRE, entendue mardi en fin de journée.

Les premiers représentants des associations parties civiles ont commencé à être auditionnés aujourd’hui. Le Président a décidé au dernier moment de ne pas entendre Alain GAUTHIER aujourd’hui et de reporter son audition. Seule Laurence DAWIDOWICZ de l’association Survie sera entendue aujourd’hui. Elle a d’abord présenté l’accusation et les raisons pour lesquelles ils sont partie civile dans ce dossier. Elle a également parlé de l’ancien Président Jean Carbonare et de sa participation à la mission sur les droits de l’Homme au Rwanda en 1993. Elle a présenté succinctement les différentes actions de l’association Survie au fur et à mesure des années pour obtenir justice et établir la vérité sur le génocide au Rwanda. Aucune question ne lui a été posée par la Cour ou par les parties.

Me Guedj a lu les pièces du dossier, notamment plusieurs articles d’André Guichaoua, qui parlent de la pratique de faux témoignages dans les procès relatifs au génocide des Tutsi au Rwanda. Me Philippart a rappelé que l’on est dans un procès en Cour d’assises, où il y a eu un « filtrage » de l’instruction. Les témoins ont été entendus par les enquêteurs, par le juge d’instruction, ce n’est pas un dossier donné tel quel par les autorités rwandaises. Me Bernardini a tenu également à rappeler que la Cour et les jurés n’ont pas à juger si un plan concerté en vue de commettre le génocide a historiquement existé ou non, ils ne doivent se prononcer que sur la participation ou non de l’accusé à une entente en vue de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité. Les avocats généraux estiment que ces pièces versées par la défense ne sont pas nécessaires pour la manifestation de la vérité.

Me Guedj a ensuite lu un article qui fait état de traitements inhumains ou dégradants et de tortures au sein des prisons rwandaises, qui ont parfois mené des détenus à avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis. Il a également lu un article de Rwanda Info qui fait état de la préparation de témoins lors d’un procès en Belgique par l’association Ibuka. Cet article parle des relations très étroites entre Ibuka et les autorités judiciaires rwandaises. Il a également lu la transcription du reportage télévisé de France 24 sur Dafroza et Alain GAUTHIER, alors au Rwanda pour obtenir des informations sur Philippe Hategekimana.

Me Aublé a questionné la fiabilité de la source de l’article de Rwanda Info, dont on n’a ni la date, ni un auteur précis. Me Epoma a tenu à rappeler que le contexte de l’article d’Amnesty International sur l’état des prisons au Rwanda, qui prend en compte la période 1995-2002. Le Rwanda n’était pas prêt à accueillir autant de prisonniers d’un coup. Et même nos démocraties occidentales ont du mal à accueillir les prisonniers d’une manière la plus respectueuse des droits de l’Homme possible. L’avocat général a remis encore une fois en cause l’utilité de ces pièces à la manifestation de la vérité. Il trouve également inadmissible de remettre en cause notre propre système de justice.

Demain, la Cour rendra trois arrêts, l’un sur la nouvelle expertise balistique demandée par la défense pour que l’expert se rende sur les lieux, un deuxième sur la question de la recevabilité des parties civiles et un dernier sur le versement au dossier de jugements des juridictions Gacaca. S’agissant de la recevabilité des parties civiles, toutes les parties ont fait savoir à la Cour qu’elles souhaitaient que la décision soit rendue lors de l’éventuelle audience sur les intérêts civils.

Par Léna Jaouen, Stagiaire Commission Juridique Ibuka France
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024