Fiche du document numéro 34713

Num
34713
Date
Vendredi 6 décembre 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
0
Pages
0
Urlorg
Titre
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 22
Sous titre
Compte rendu de l’audience du mercredi 4 décembre 2024
Nom cité
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Type
Page web
Langue
FR
Citation
Ce mercredi 4 décembre 2024, l’audience du procès en appel à l’encontre de Monsieur HATEGEKIMANA a repris avec l’audition de Monsieur Jean Marie Vianney KANDAGAYE, condamné pour sa participation au génocide. Il était enseignant et Président du MRND local durant le génocide. Il dit craindre pour sa sécurité, car à la suite de son dernier témoignage, quelqu’un lui aurait dit que cela aurait des conséquences pour lui et qu’il en souffrirait. Il souligne qu’il peut y avoir une pression de la part de ses codétenus qui disent qu’en allant témoigner, il va enfoncer leurs « congénères, leurs consanguins », et donc l’accusé. Néanmoins, il se dit prêt à témoigner devant la Cour d’Assises.

Il explique tout d’abord avoir participé à l’attaque de l’ISAR Songa. Il explique que fin avril, il se trouvait au cabaret dans l’ancienne commune de Rusatira, et que vers 15h, deux véhicules à bord desquels il y avait des gendarmes sont arrivés. Il ne se souvient plus de la couleur de ces véhicules et estime qu’ils n’étaient pas plus de vingt. Les gendarmes les ont rassemblés et leur ont demandé d’aller tuer les Tutsi à l’ISAR Songa. Il explique qu’ils sont environ 40 ou 50 à être partis de cette commune, et qu’ils ont retrouvé à l’ISAR songa des Hutu d’autres secteurs. Il précise qu’ils n’étaient pas armés car ils ne savaient pas que les gendarmes allaient les réunir, ils se sont alors armés de morceaux d’arbres. Il souligne que lors de l’attaque, les gendarmes venus les chercher, tiraient sur les Tutsi. La population Hutu quant à elle frappait les Tutsi qui s’échappaient « à coups de troncs d’arbres ». Il estime le nombre de réfugiés à l’ISAR Songa à 1 000. Lorsqu’il lui a été souligné que d’autres témoins parlent de 30 000 réfugiés, il soutient que cela est impossible, que ce nombre est exagéré. Il affirme qu’à la barrière qu’il tenait, située près de l’école dans laquelle il enseignait, ils n’ont pas arrêté de Tutsi, aucun n’y aurait été tué.

Il affirme n’avoir jamais vu l’accusé. Cependant, il indique avoir entendu après l’attaque du conseiller de son secteur, Monsieur NDAYISABA, et puis en prison, que BIGUMA avait dirigé l’attaque de l’ISAR Songa. Néanmoins, il est relevé que devant le TPIR en 2001, le témoin a dit avoir « vu un gendarme qui s’appelait Biguma s’entretenir avec le conseiller ». Il répond qu’il ne connaissait pas BIGUMA, mais qu’il a « vu ce gendarme parler avec le Conseiller mais [qu’il] ne savait pas que c’était BIGUMA à ce moment-là ». Interrogé par la défense, il indique ne pas se souvenir de la tenue des gendarmes mais dit penser que leurs « chapeaux étaient gris ». La Défense souligne alors que juste avant, il avait dit ne pas connaître la couleur des bérets. Il précise en outre ne pas avoir vu d’hélicoptère.

Le deuxième témoin à être entendu est Monsieur Tharcisse SINZI, rescapé du génocide. Il explique être resté chez lui, à Butare, entre le jour de l’attentat et le 12 avril et d’être parti chez son père le 13 avril. Il relate que chez son père, à la rivière Mwogo, les Hutu et les Tutsi ont résisté ensemble contre les Hutu de Gikongoro. Le 21 avril des gendarmes sont venus en renfort de ces Hutu. C’est ce jour-là que le témoin s’est séparé de sa femme, de sa fille et de ses parents en partant combattre le matin. Il est revenu chez son père, tout le monde était déjà parti, seul son père âgé de 82 ans était resté. Il décide alors aussi de partir. En partant il franchit la route, mais relate que le groupe derrière lui n’a pas pu franchir cette route. Il y a vu un véhicule des Nations unies, dans lequel il y avait des militaires portant des bérets noirs, il pensa qu’ils se déguisaient afin que la population s’approche d’eux. Il vit ensuite de nouveau ce véhicule avec ces militaires portant un drapeau des Nations unies. Ces militaires leur disaient de rentrer chez eux. Il est parti ensuite à l’ISAR Songa, vers 4h du matin. Il explique être allé sur la colline la plus haute, là où la seule possibilité d’attaque était en provenance du nord. Il y avait de nombreux réfugiés. Le 28 avril ils avaient atteint le nombre de 3 480 réfugiés. Le témoin explique qu’il était connu pour être Karatéka, il expliqua aux réfugiés comment s’organiser pour contrer les attaques de ceux qui tiraient avec un fusil. Les Interahamwe les attaquaient tous les jours entre le 22 et le 27 avril, de 8h à 17h. Les assaillants portaient des feuilles de bananier. Le 22 avril, il y a eu la diffusion de slogans, qui expliquaient que seuls les Tutsi étaient recherchés, donc à partir de ce moment-là les Hutu qui étaient aussi réfugiés sur la colline ont commencé à quitter les lieux, laissant parfois même leurs femmes Tutsi. Ces hommes mariés à des femmes Tutsi ont continué à fournir des informations aux réfugiés de la colline.

Le 27 avril, il soutient qu’un hélicoptère est venu faire du repérage sur la colline. Après l’atterrissage de l’hélicoptère, ces Hutu mariés à des femmes Tutsi, l’ont alors informé qu’ils comptaient les massacrer le 28. Les réfugiés ont donc fait une réunion dans la nuit du 27 au 28, durant laquelle ils ont décidé de quitter l’ISAR Songa pour fuir au Burundi. Certaines personnes, qui priaient, ont refusé de partir. Il indique que le 28 avril, il n’y a pas d’attaque le matin contrairement aux jours précédents. A 16h, les personnes qui étaient positionnées au nord afin de résister aux attaques sont revenues, l’un avait ses entrailles dans les mains, ils avaient commencé à tirer. Il y avait des tirs d’obus qui venaient de l’autre colline en face. Il pouvait « voir 200 personnes monter », ils tiraient sur eux. Il estime la durée de cette attaque à 30 minutes environ, pas plus d’une heure. Il explique qu’un corridor, permettant de fuir vers le bas, avait été laissé. Les Interahamwe étaient positionnés au bord de ce chemin, ils laissaient passer un groupe de réfugiés avant de bloquer le passage à un autre groupe afin de tous les achever en les encerclant. Il garantit que les gendarmes ont attaqué les Tutsi avec des fusils lors de cette attaque. Il raconte avoir pu ensuite rejoindre la frontière du Burundi. Il explique avoir réussi à traverser la rivière grâce à sa veste, qu’il porte aujourd’hui, en la fermant afin de faire comme une chambre à air. Il a expliqué la technique aux autres afin de leur permettre de traverser. Il décrit comment il a réussi à faire venir des militaires burundais afin de permettre à 118 Tutsi de franchir la frontière. 118 sur 3 480.

Interrogé par Maître PHILIPPART, il souligne que sans les renforts armés, ils auraient pu continuer à résister contre les Interahamwe car ils étaient bien positionnés. Il affirme ne pas connaître l’accusé.

Enfin, Maitre GUEDJ reproche au témoin de prendre parti contre l’accusé lorsqu’il affirme ne pas le connaître et ne pas avoir envie de le connaître. En réponse, le Président de la Cour a rappelé qu’en tant que partie civile, le témoin est en droit d’exprimer une opinion.

Après une suspension d’une heure, l’audience a repris à 14h20 avec l’audition de Monsieur Philippe NDAYISABA, rescapé du génocide et responsable du mémorial de l’ISAR Songa. Vers la date du 21 ou 22 avril dans la cellule de Gitovu où il était, des réfugiés de Gikongoro affluaient. Le 22 avril, ces réfugiés se sont fait arrêter à une barrière, les réfugiés ont alors tenté de trouver refuge chez les habitants de la ville. Des réfugiés sont venus chez lui ce soir-là, et les Interahamwe les ont attaqués. Ils étaient nombreux, ainsi les membres de sa famille et les réfugiés ont réussi à repousser les Interahamwe, qui ont alors dit qu’ils allaient faire venir les gendarmes. Ils ont ensuite pris la fuite et se sont rendus à l’ISAR Songa. Il explique qu’à l’ISAR Songa, il y avait des attaques tous les jours. Un policier SAMUEL NDAYISABA était notamment présent le jour de son arrivée. Il mentionne la présence de gendarmes, peu nombreux, et d’autres autorités. Il précise que ces gendarmes portaient des bérets rouges et avaient un uniforme kaki. Il explique qu’un hélicoptère a tournoyé au-dessus d’eux le 27 avril. Le matin du 28, aucune attaque n’a eu lieu contrairement aux autres jours. Il a vu un pick-up de couleur blanche se garer là où les vaches de l’ISAR se faisaient traire, les personnes qui en sont descendues sont allées sur la colline d’en face. Il précise que le véhicule provenait de la route de Nyanza. A 15h, l’attaque aurait commencé. Il indique qu’ils sont allés barrer la route à ceux qui attaquaient, comme ils le faisaient les jours précédents, mais que cette fois-ci des gendarmes leurs ont tiré dessus. Un de ses cousins a été touché à l’abdomen, ses intestins sont sortis. « Les obus tombaient, ils tuaient les gens, ils tuaient les vaches et ils faisaient des trous ». Il décrit : « tous les Interahamwe qui provenaient de tous les secteurs sont venus et nous ont encerclé, ils nous ont laissé une route minuscule, quiconque passer à coté on le découpait, ceux qui tentaient de courir on leur tirait dessus ». Il explique avoir réussi à quitter la colline, et qu’une fois arrivé à la commune de Muyaga, il a vu le même véhicule de gendarmes qui les attendait. Ils ont tué des réfugiés. Le témoin quant à lui a réussi à s’échapper. Il a pu traverser la rivière avec l’aide de Monsieur SINZI, il fait partie des 118 rescapés. Il est l’unique survivant de sa famille, son épouse, ses quatre enfants ont été tués le 28 avril. Il a aussi perdu sa mère, et les membres de sa fratrie.

Monsieur Albert MUGABO, rescapé du génocide, a ensuite déposé son témoignage devant la Cour. Il explique être parti de chez lui le 20 ou 21 avril 1994, quand son beau-frère d’ethnie Hutu l’informe que les Tutsi sont visés et que son nom apparaît sur une liste de KAREMERA. Il part avec trois frères, sa femme étant Hutu, elle refuse de fuir. En chemin, ils croisent un véhicule dans lequel il y a une connaissance et un gendarme, ils leur disent de rentrer chez eux car ils veillent sur la sécurité. Ils leurs disent d’aller combattre contre ceux qui mangent leurs vaches. Sur le retour, ils sont arrêtés à la barrière de Muyenze, où les mercenaires leurs disent de rejoindre leurs congénères à l’ISAR Songa. Ils y sont arrivés le matin du 22 ou 23 avril. Il indique avoir passé d’abord la nuit la colline de Ruyenzi avant de rejoindre la colline de Gitovu où se trouvaient les deux témoins précédents. Il explique qu’ils étaient attaqués par les membres de la population et des gendarmes, il confirme qu’il y avait des tirs de fusils mais qu’ils étaient peu nombreux. Les réfugiés arrivaient à repousser les attaques à l’aide de pierres. Il dit qu’un jour un hélicoptère est venu faire du repérage. Le 28 avril à 15h, il y a eu la grande attaque finale. Il explique que les gendarmes et les Interahamwe les ont encerclés. Il y avait aussi une grande arme à feu. Il parle aussi d’un petit passage que les assaillants avaient laissé, et qu’ils tuaient ceux qui fuyaient. Il montre son cou et explique qu’à cet endroit un coup de gourdin lui a été asséné à ce moment-là. Il a réussi à fuir et à rejoindre le groupe de SINZI.

Interrogé par le Président, le témoin explique qu’il est retourné vivre chez lui et qu’il croise très souvent des personnes qui ont été impliquées dans le génocide. Enfin, il indique ne pas connaître l’accusé et précise à la défense qu’il n’a pas pu compter le nombre de gendarmes présents sur les lieux de l’attaque.

La dernière personne à être entendue ce mercredi est Madame Marie INGABIRE, rescapée du génocide. Elle était âgée de 7 ans lors du génocide. Elle explique que sa famille décide de fuir lorsque la situation dégénère et que les personnes commencent à fuir. Les membres de sa famille se séparent, elle est partie avec sa mère. Elles ont passé quelques jours à Rwezamenyo, sur une colline. Sur cette colline les réfugiés repoussaient des attaques à l’aide des pierres. Un jour, lors d’une attaque sa mère et elle se réfugient dans la brousse. Elles sont débusquées par des Interahamwe qui découpent sa mère en morceaux devant elle. Ils décident cependant d’épargner Madame INGABIRE à condition qu’elle accompagne un enfant Hutu aveugle chez lui afin qu’il retrouve sa famille. Elle accompagne cette personne, jusqu’à atteindre son domicile qu’elle retrouve sans toit. Elle s’est cachée deux jours dans un champ à proximité de son domicile. Elle entendait depuis sa cachette, les cris des personnes qui étaient en train d’être tuées.

Elle a voulu se cacher chez un homme dénommé Joseph, qui l’a finalement conduit jusqu’à Karama où se trouvait sa famille. Là-bas elle apprend par son père que deux de ses grandes sœurs et deux grands frères ont été tués à Nyamure. Elle explique qu’à Karama, il y avait aussi des attaques que les réfugiés essayaient de repousser. Elle ajoute qu’un jour une grande attaque a été menée, et qu’ils ont été tirés dessus. Son père qui était devant parmi ceux qui affrontaient les attaques, est tombé sous son regard, on lui avait tiré dessus. Elle a couru, ce fut la dernière fois qu’elle vit sa famille. Deux autres de ses frères ont été tués lors de cette attaque. Elle a erré jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi. Ils sont quatre à avoir survécu dans sa famille. Il lui est impossible de reconnaître l’accusé, elle était trop jeune lors des faits.

A la suite de cette audition, l’accusé a souhaité réagir par rapport au témoignage du premier auditionné de la journée. Il déclare : « Je voudrais réagir sur la déposition de monsieur KANDAGAYE, je trouve qu’il n’a pas dit la vérité car il a osé dire que les camps de réfugiés de Kashusha ont été attaqués par les forces armées congolaises ce qui n’est pas vrai, c’est le FPR qui a attaqué les camps de réfugiés, c’est connu par les ONG ».

Enfin, le Président de la Cour a procédé à la lecture des procès-verbaux d’auditions de Monsieur Éric RUSINGIZANDEKWE, Monsieur Alexis RUYOMBYANA, de Monsieur Jean-Pierre RUZINDANA relatifs à l’attaque de Nyamure, ainsi que de Monsieur Michel NKURUNZIZA relatif à l’attaque de l’ISAR Songa.

Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024