Citation
Ce Vendredi 27 octobre, l’audience a repris avec la suite de l’interrogatoire de l’accusé. Tout d’abord le Président de la Cour, Monsieur LAVERGNE a interrogé l’accusé sur ses liens avec Jean Bosco BARAYAGWIZA, président de la CDR. L’accusé affirme notamment l’avoir accompagné à deux meetings de la CDR et ajoute ne pas s’être impliqué dans la CDR, il indique plus tard à la Cour qu’il n’est pas encarté à la CDR. Interrogé sur son avis concernant le livre écrit par son ami, l’accusé déclare avoir le sentiment d’être victime d’un procès politique, et donc partial. Il soutient que la « pacification » signifie essayer d’arrêter les tueries, d’éteindre les troubles. Il dit avoir pensé que les travaux de débroussaillage des bananiers avaient pour objectif d’empêcher « les ennemis de se cacher pour attaquer » et que ça pourrait empêcher des attaques. Il souligne que finalement « ça n’a pas servi à arrêter les combattants du FPR, le FPR a gagné la guerre ». Il affirmera plus tard durant l’interrogatoire, que l’autodéfense civile basée sur la distribution d’armes à des personnes qui ne savent pas s’en servir est une mauvaise idée.
Lorsque la défense demande à l’accusé s’il a compris que couper les broussailles signifiait débusquer ceux qui étaient cachés dessous, l’accusé répond ne pas l’avoir compris à l’époque. Questionné sur la réunion du 14 mai 1994 à l’université en présence du Premier ministre Jean KAMBANDA, il explique être intervenu au titre du cercle des républicains des universitaires de Butare qui est un groupe de réflexion qui s’est mis en place après le 6 avril, qui a pour objectif de « réfléchir à la situation sécuritaire du pays ».
Une partie civile a interrogé l’accusé sur le fait de savoir s’il était à l’origine du cercle, celui-ci a répondu par l’affirmative. L’accusation lui a demandé s’il savait que les massacres à Butare ne s’étaient pas arrêtés le 14 mai 1994, à cette question l’accusé répond « non », il précise qu’il y a encore des morts mais plus de massacres.
Le ministère public souligne que Monsieur KAMBANDA a fait des remerciements très appuyés le 14 mai, à l’accusé, qu’il qualifie comme « représentant du cercle des républicains ». Les conseils des parties civiles souligneront que lors de son intervention à la réunion du 14 mai 1994, l’accusé n’a pas mentionné la présence de corps dans la Ville, alors que ce dernier explique avoir pris la parole pour « discuter, exprimer ses peurs ». A la question pourquoi n’a-t-il pas mentionné les corps, il répond que « ce n’est pas le sujet ». Il affirme que le terme « inyenzi » désigne les « combattants » et ne désigne pas les « cafards », il affirme alors qu’« on a retourné le mot en cafard, quand la colonisation ethnique » a commencé. Il ajoute : « je l’ai dit et je le déplore ce sont les non-dits, la diabolisation mutuelle des Hutu et des Tutsi, c’est ce qui détruit notre société« . Il précise que « Hutu comme Tutsi étaient tous victimes de cette guerre-là et l’ont vécue de la même manière, croyez-moi ». Il ajoute qu’« ils ont autant souffert les uns que les autres. Je continue à le croire ils ont été victimes de la même manière de cette guerre. Les Tutsi de l’intérieur ont été victimes du FPR. Le FPR en est la cause première, en tout cas du massacre des Tutsi de l’intérieur ». Il indique que « la seule réalité c’est que les massacres du pays sont consécutifs à la guerre imposée par le FPR ». Il affirme aussi que « tout le monde » avait peur à cause de la « guerre », « de ce qu’il se passait ».
Interrogé par la suite par Monsieur l’avocat général du Ministère public, Monsieur PERON, sur les liens entre le cercle des républicains et la CDR ainsi que sur sa proximité avec la CDR, l’accusé indique qu’il n’y a pas de lien de proximité entre ce cercle et la CDR et qu’il ne conteste pas avoir une proximité intellectuelle avec la CDR. De plus, l’accusation a demandé à l’accusé s’il aurait accepté de contribuer à un ouvrage rédigé en hommage au Président HABYARIMANA, ce à quoi l’accusé a répondu par l’affirmative. Il souligne que le Président HABYARIMANA est « un homme digne d’hommage ». La défense a par la suite demandé à l’accusé s’il y avait eu un génocide des Tutsi, il a répondu par l’affirmative, mais lorsque la défense lui demande à quel moment il en a pris conscience, il ne répondra pas vraiment. Il indique aussi que lorsqu’il participait aux opérations d’ensevelissement à Gishamvu, il n’y avait pas de massacre en cours.
La journée s’est poursuivie avec les plaidoiries des avocats des parties civiles. Tout d’abord, un Conseil introduit les plaidoiries de ses confrères et consœurs en rappelant la violence et l’efficacité des tueries avec l’extermination d’un million de personnes « en cent jours à peine ». Il rappelle que la justice est faite pour les vivants mais aussi pour les morts : « Le procès est aussi et surtout le procès des victimes ». Il indique notamment que des fosses sont encore retrouvées. Il fait référence à l’idée de Jean-François DUPAQUIER, qui soutient qu’un génocide nécessite la présence d’une idéologie et, par conséquent, d’idéologues. Il déclare ensuite : « Je pense que Eugène RWAMUCYO est certainement l’un des idéologues du génocide des Tutsi en 1994 ».
Ensuite un Conseil de l’association Licra soutient que le crime de génocide est intrinsèquement raciste. Il indique qu’en participant au cercle des républicains progressistes, l’accusé a participé à « inoculer les idéologies racistes », qu’en « s’asseyant à la table de Jean KAMBANDA, il n’a rien critiqué, il a validé ce projet ». Il rappelle que « La dissimulation du crime de génocide se constitue dans le langage, chasser devient protéger, persécuter devient assurer la sécurité et tuer devient travailler ». Il évoque le négationnisme du génocide, pour les négationnistes « les Tutsi sont des planificateurs, les exécuteurs et un peu les victimes ». Il affirme que l’accusé est « intellectuellement et intimement lié aux idées destructrices ».
Un autre Conseil représentant Ibuka France rappelle que l’association est indépendante des autres associations Ibuka et du gouvernement rwandais. Il ajoute qu’elle a pour objectif d’apporter du soutien aux rescapés. Concernant l’accusé, il affirme qu’il « n’est pas un simple citoyen chargé d’assurer l’environnement, il est politisé, il est un extrémiste « indépendant ». Il met en avant le lien de proximité de l’accusé avec le fondateur de la CDR et le fait que Jean KAMBANDA le considère comme un porte-parole. L’avocat souligne une contradiction dans la défense de l’accusé : d’un côté, celui-ci nie tout engagement politique et, par conséquent, toute responsabilité associée ; de l’autre, il affirme être victime d’une persécution politique ce qui découle logiquement de son implication politique, il ne se positionne alors pas en tant que médecin citoyen. Il souligne que l’accusé s’est auto-saisi de la gestion des cadavres, qu’il participe à la réunion du 14 mai 1994 sans mentionner la paix ou la présence de cadavres, et qu’il participe aux réunions de comité préfectoral.
Maître AUBLE, représentant aussi Ibuka France, poursuit en indiquant que Eugène RWAMUCYO « s’est retrouvé face à des centaines de cadavres jonchant le sol d’une église, ces corps ne portaient pas les stigmates d’une guerre. Il tente d’atténuer l’horreur dans laquelle il s’est plongé. Les rescapés ont eu des explications qui se sont corroborées avec celles des prisonniers ». Elle rappelle que l’accusé a fait des préconisations « qui n’ont aucune chance d’être mises en œuvre », alors que Monsieur Rony ZACHARIAH est venu et a affirmé que Médecins Sans Frontières « s’agitait dans tous les sens pour sauver ceux qu’ils peuvent » et qu’au 23 avril la situation était trop criminelle pour qu’ils puissent accomplir leur devoir. Elle met en avant que l’accusé voit alors les choses autrement, « il choisit de collaborer avec les autorités administratives qui mettent en place ce génocide », alors même que Philippe GAILLARD quelques jours plus tôt n’envisage pas une seconde envoyer ses équipes nettoyer la Ville. Elle rappelle qu’il déclare « nous n’allons pas évacuer les cadavres des personnes que vous tuez », et elle souligne que l’accusé, médecin, n’a pas de cas de conscience du même ordre. Elle affirme, en référence aux opérations d’enfouissement des corps, que « le génocide est cette œuvre collective à laquelle Eugène RWAMUCYO porte le coup de pinceau ».
Ensuite Maître BERNARDINI, conseil de l’association Survie, il rappelle que ces procès permettent de s’assurer que la France ne soit jamais un refuge pour ces auteurs. Il affirme que le génocide n’est pas un acte de fureur spontanée. Il met en avant que le documentaire réalisé par l’accusé participe au fait d’assimiler le Tutsi de l’intérieur à un infiltré et la stimulation d’une forme de « self defense ». Il souligne que le génocide était planifié, il rappelle notamment que Jean CARBONARE, un an avant le génocide avait été frappé par l’ampleur et la systématisation des massacres, il disait avoir pu remarquer une politique organisée. Il ajoute que des fosses sont encore découvertes, et à cet égard, il déclare « vous n’allez pas me faire croire que le responsable de l’hygiène et de la santé, qui avait les moyens humains et matériels de creuser les fosses, ne savait pas qu’il y avait un charnier de plusieurs centaines de cadavres ». Pour finir, il demande à l’accusé qui a la parole en dernier, d’indiquer où sont ces fosses qui ne sont pas encore découvertes.
Maître SCIALOM souligne quant à elle la déshumanisation illustrée par le traitement des corps et les fosses dans le cadre du génocide. Elle ajoute que les fosses s’inscrivent aussi dans une logique de dissimulation. Elle affirme alors que les auteurs trouvent l’explication de l’hygiène lorsque les opérations de dissimulation sont découvertes. En référence à l’article 17 de la première Convention de Genève de 1949, qui précise la manière d’enterrer en dignité les corps, elle met en avant que le marquage des fosses fait partie des mesures qui auraient dû être prises. Elle affirme que « l’argument de l’hygiène relève d’une pure escroquerie médicale ». Elle relève à cet égard que la contamination des eaux avec l’enfouissement des cadavres n’a jamais été évoquée, elle ajoute que si une personne veut cultiver ou construire une maison, cela peut aussi poser des problèmes d’hygiène et des problèmes sanitaires. Elle indique qu’aucune précaution d’hygiène, ni avant, ni après ces opérations n’a été prise. Elle déclare que « la simple absence de marquage et de cartographie pour un bureaucrate du génocide se cachant derrière ses rapports doit vous interroger d’un point de vue médical et humain ».
Maître SIMON, souligne le caractère insistant des questions de la défense sur les constitutions de parties civiles. Il relève que la défense a dû revenir aujourd’hui encore sur le positionnement de l’accusé par rapport au génocide, s’il y a une telle mise au point « c’est bien qu’il y a des raisons ». Il rappelle que l’accusé a dit partager les positions de Monsieur Jean-Marie Vianney NDAGIJIMANA, ancien ministre des Affaires étrangères qui a soutenu la thèse du double génocide lors de son audition et qui a affirmé que le FPR avait massacré des Tutsi. Il affirme que le documentaire de l’accusé est un film de propagande anti FPR. Enfin, un autre Conseil a évoqué l’allégorie du vase brisé, et l’importance de tous travailler à le réparer. La réparation du monde brisé par le génocide est une responsabilité collective.
Les dix prochaines parties civiles à plaider seront entendues lundi 28 octobre.
Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France