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Ce jeudi 17 octobre, l’audience à l’encontre de Monsieur Eugène RWAMUCYO a débuté avec l’audition de Monsieur Gonzalve RUBANZAMBUGA. Le témoin était, durant le génocide, détenu à la prison de Karubanda. Interrogé par le Président de la Cour sur les évènements qui se sont déroulés dans la prison durant le génocide, le témoin explique que des détenus Hutu ont tué des détenus Tutsi avec des machettes forgées par eux-mêmes. Les détenus Hutu ayant un poste à responsabilités auraient été incités à commettre ces actes par le directeur de la prison. Il confirme que les prisonniers ont participé aux opérations d’ensevelissement des corps des victimes à l’extérieur de la prison. Il aurait lui-même participé à l’une de ces opérations. Il explique avoir été sorti de la prison un matin sur ordre du directeur de la prison. Des personnes étaient en train de charger un bus de pelles, de houx et de piques. Les prisonniers, dont lui, ont été entassés dans ce bus. Il évalue à 80 personnes environ le nombre de prisonniers transportés dans le bus. Il décrit avoir vu de nombreux cadavres sur la route. Arrivés vers le tribunal de première instance, le bus s’est arrêté, les prisonniers se sont scindés en deux équipes. Un groupe était chargé de prendre les corps des victimes et l’autre groupe, dont il faisait partie, est allé un peu plus loin où des fosses étaient déjà creusées par un Caterpillar (ce qu’il aurait constaté grâce aux traces laissées par la pelle mécanique dans la terre). Il affirme avoir vu un bulldozer transporter des cadavres vers ces fosses, et comme cela ne suffisait pas ils ont ramené un deuxième camion de marque Nissan. Interrogé sur l’état des corps, il précise que la « plupart des corps étaient frais et d’autres détériorés » et que toute catégorie de personnes s’y trouvait « y compris les femmes enceintes ». Interrogé sur la présence de victimes vivantes lors de ces opérations, le témoin explique qu’une personne a été trouvée, et que les gardiens de prison leur avaient donné pour instruction de « ne pas toucher » les personnes qui « respiraient encore ». Il ne sait pas ce qui est advenu de la personne encore vivante, précisant qu’elle avait été laissée sur le sol et qu’il n’y avait pas de médecin sur place.
Néanmoins, le Président de la Cour a relevé des incohérences par rapport à ses précédentes déclarations. Il précise que le témoin avait mentionné avoir participé à deux opérations d’ensevelissement, qu’il y avait six bus et que plusieurs blessés avaient été trouvés. Le témoin a répondu ne pas savoir, avoir peut-être été perturbé, mais affirme de nouveau avoir dit la vérité aujourd’hui. Il confirme, « si je suis allé deux fois, ce sont ces choses que j’ai vues ».
La journée s’est poursuivie avec l’audition de Monsieur Aloys SIMPUNGA, ancien sous-préfet de Kigali. Il déclare tout d’abord avoir rencontré l’accusé en Belgique par le biais de son épouse. Il dit : « je crois pouvoir déclarer qui il est vraiment. C’est un grand intellectuel, il aime donner ses idées et recevoir celles des autres, il est compatissant, c’est un bon parent, je l’ai vu au milieu de sa famille. Je suis sûr à 100% qu’il n’est pas ségrégationniste, ni régionaliste car sa femme est comme moi du Sud-Ouest. Il n’est pas ethnique car sa belle-famille est constituée à 80% de Tutsi ». Il ajoute en outre l’avoir côtoyé dans le milieu associatif en Belgique et qu’il peut donc affirmer que c’est quelqu’un « épris de justice ». Il explique ensuite ce qu’il a fait durant le génocide, il décrit notamment l’organisation de l’administration au niveau de la santé à Kigali. Il affirme avoir rencontré le préfet, Monsieur Tharcisse RENZAHO, à deux reprises au début du génocide afin de demander des explications sur la situation. Il souligne notamment avoir insisté pour que ce dernier demande un appui militaire. Le préfet aurait alors appelé l’Etat-major qui aurait refusé d’envoyer des militaires dans la ville pour arrêter les tueries car ils étaient déjà tous mobilisés sur le front. Interrogé sur la condamnation du Préfet de Kigali par le TPIR, il souligne ne pas l’avoir vu tuer car il ne sortait pas de son bureau, et considère ne pas pouvoir juger de sa bonne foi. Il souligne avoir organisé des opérations pour inhumer les corps des victimes, il dit avoir obtenu un camion du CICR de la part de Monsieur Philippe GAILLARD. Il affirme avoir demandé aux personnes d’inhumer les corps de façon digne dans des cimetières, de creuser des trous profonds, avec peu de personnes par tombe. A cet égard, Maître AUBLE, conseil de parties civiles, a relevé que Monsieur Philippe GAILLARD a dans une interview, visionnée par la Cour, affirmé avoir refusé de fournir des camions et avait néanmoins accepté de donner de l’essence. Le témoin a répondu « croire » avoir eu un camion de leur part. Ce dernier n’était plus certain. Il explique en outre avoir sauvé de nombreux Tutsi, qu’il déplaçait pour les mettre en lieu sûr à la Sainte-Famille, à Saint-Paul, à l’hôtel des Mille-collines et à l’église des Pentecôtistes. Il souligne notamment se rendre régulièrement à la Saint-Famille et bien connaître l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA. Un juré de la Cour d’Assises a demandé au témoin comment il réussissait à traverser régulièrement les barrières avec un véhicule rempli de personnes Tutsi. Le témoin déclare lui-même ne pas savoir, et ajoute s’être, parfois, fait tirer dessus, et avoir été aussi sauvé. Il parle aussi d’infiltrés durant son audition. Il soutient avoir été sauvé par un infiltré un jour. Il continue en expliquant qu’une autre fois un infiltré aurait essayé de le tuer à une barrière et qu’il aurait été sauvé par les miliciens. La Cour releva l’incohérence de ces propos.
Monsieur Emmanuel MUTIRENDE, membre de la communauté des forgerons, a ensuite été entendu par la Cour à titre de simples renseignements. Il précise avoir été condamné à 12 années de prison pour des actes en lien avec les massacres perpétrés à Gishamvu. Il raconte le déroulement du massacre de l’église de Nyumba. Il explique tout d’abord que des Tutsi et Hutu se sont réfugiés avec leur bétail. Il ajoute qu’au « 5ème jour, celui qui dirigeait l’ancienne commune de Gishamvu est venu et a dit que tous les Hutu pouvaient rentrer et regagner leur domicile. Il a dit que ceux qui devaient être tués étaient les tutsi ». La population Hutu, armée de pierres et de machettes, devait encercler les collines, et bâtiments afin de ne laisser passer personne, les policiers eux tiraient sur les Tutsi. Il précise que de nombreux Tutsi ont été tués dans la cour du bâtiment scolaire ainsi que dans l’église. « Ceux qui ont pu se sauver étaient tués par les gens de la population avec machettes, massues ». Interrogé sur les instructions données, le témoin affirme que « même un bébé ne devait pas survivre, les instructions de l’époque disaient qu’aucun Tutsi ne devait rester en vie et que les Tutsi étaient des gens très mauvais ». Le lendemain, il affirme que Pascal KAMBANDA a ordonné aux personnes Hutu de mettre les corps des personnes décédées dans les fosses. Il précise qu’après avoir constaté que cela était compliqué, ils ont fait appel à des prisonniers et ont finalement décidé de faire appel à un « engin ». Il souligne que cet engin aurait ramassé une personne vivante avec les gravats et qu’elle aurait été jetée dans les roseaux et non pas dans la fosse. Maître AUBLE a interrogé le témoin sur cet évènement et souligne que la victime ramassée par l’engin semblerait s’agir de Monsieur NDORIMANA qui sera entendu lundi. De plus, il affirme que l’engin a détruit les murs de l’école alors que des personnes vivantes se trouvaient à l’intérieur. Selon ce qu’on lui a dit, l’accusé se déplaçait avec les autorités de Gishamvu et aurait envoyé l’engin sur les lieux. Il ne pouvait pas reconnaître Eugène RWAMUCYO car il ne le connaissait pas finit-il par confirmer à la défense. L’audition a pris fin sur les questions de la défense concernant son trajet pour venir en France être auditionné. Enfin, l’audience a été suspendue à la suite de la dernière audition de la journée, qui s’est tenue en huis clos. Il est précisé que l’audition de Monsieur Faustin MUNYERAGWE, qui aurait dû se tenir mercredi 16 octobre, est reportée au lundi 24 octobre.
Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France