Fiche du document numéro 34585

Num
34585
Date
Mercredi 16 octobre 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
93378
Pages
6
Urlorg
Titre
Procès de Rwamucyo à la Cour d’assises de Paris - 11ème jour
Sous titre
Compte rendu de l’audience du 15 octobre 2024
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Ce Mardi 15 octobre 2024, le procès à l’encontre de Monsieur Eugène RWAMUCYO s’est poursuivi avec l’interrogatoire de l’accusé. Ce dernier a été invité par le Président de la Cour, Monsieur LAVERGNE à réagir aux témoignages entendus précédemment. L’accusé a déclaré « j’ai compris que ces témoignages voulaient revenir sur le rôle des intellectuels, ça je comprends que tout le monde chercherait à savoir quel est le rôle de l’élite ». Il souligne en outre que le génocide arrive à un moment « charnière de l’humanité », il fait notamment référence à la chute du mur de Berlin et à la dislocation de l’URSS. À cet égard, il soutient qu’il n’était pas « formaté aux questions ethniques » car il vivait à Léningrad avant le génocide, et que Tutsi et Hutu y vivaient en « symbiose ». Il ajoute sur la question de la place des intellectuels dans le génocide, qu’il n’a « jamais pensé participer à un quelconque projet d’intellectuels qui penseraient à perpétrer un génocide ». Après avoir mentionné l’attaque du 1er octobre 1990 comme évènement marquant une rupture dans la société, l’accusé affirme aussi cela : « je suis innocent, je n’ai participé à aucun projet d’extermination ». Il soutient ne pas avoir su qu’Abel DUSHIMIMANA avait été arrêté. De plus, concernant la détention d’armes dans son bureau, il affirme aussi que celles-ci ne lui appartenaient pas. Il réfute aussi le fait que ses propos, tenus lors de la réunion à l’université de Butare le 14 mai 1994, soient un appel à la haine. Il assure ne jamais être allé aux barrières, ni avoir effectué de rondes. En outre, il affirme ne pas nier le génocide des Tutsi et soutient qu’à Butare les personnes à l’origine des assassinats sont des militaires ou des miliciens que « personne ne peut identifier aujourd’hui », lui non plus ne les connaissait pas. Il ajoute que « personne n’était en sécurité ». Concernant son rôle dans les opérations d’ensevelissement des cadavres, il souligne avoir fait une proposition afin d’éviter les risques épidémiques qui étaient trop importants en raison de la vulnérabilité de la population, de la forte mobilité des personnes, des capacités d’accueil restreintes des institutions sanitaires et des conditions climatiques. Il affirme en outre être allé à Nyakibanda et à Nyumba afin de donner des instructions à Emmanuel BIRASA. Il précise qu’il y avait des centaines de cadavres à Nyumba et que cela correspond à « la scène la plus horrible » qu’il n’ait jamais vue. L’interrogatoire de l’accusé s’est achevé par quelques questions du Président de la Cour sur ces opérations, l’accusé n’a alors apporté que peu de réponses, préférant garder le silence.

La journée s’est poursuivie avec l’audition de Monsieur Innocent BIRUKA, juriste de formation, ancien enquêteur et assistant juridique de l’équipe de défense de Joseph KANYABASHI poursuivi par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il déclare être arrivé à Butare et s’être fait arrêter le lendemain, vers le 21 ou 22 mai 1994, à un barrage. Il affirme n’avoir reconnu aucun des miliciens alors même qu’il est natif de Butare. Il dit avoir été libéré par une patrouille du conseil de sécurité vers 21h car l’un des membres du conseil de sécurité était un ancien camarade de classe, Monsieur Venant GAKWAYA. Les conseils des parties civiles soulignent que Monsieur Venant GAKWAYA est poursuivi en Belgique pour crime de génocide. Le témoin avance néanmoins que celui-ci est un « juste » car il aurait caché une quinzaine de Tutsi. Interrogé par Monsieur le Président LAVERGNE sur le conseil de sécurité, le témoin affirme que la patrouille avait pour objectif de ramener l’ordre, il précise ne pas pouvoir parler de pacification. Il précise qu’ils « faisaient le point sur ce qu’il se passait et tentaient de faire cesser les massacres ». De plus, lors de l’audition, en réponse à une question posée par les avocats des parties civiles, le témoin affirme ne pas croire que le conseil de sécurité décidait qui serait tué, car selon lui, « ceux qui tuaient étaient au-dessus des lois et n’avaient pas besoin d’instructions du conseil de sécurité ». Concernant l’accusé, il affirme avoir été « frappé » par les articles publiés dans les médias internationaux, et notamment par le média Jeune Afrique qui décrivait Eugène RWAMUCYO comme « un rouage du génocide à Butare », alors qu’il n’avait jamais entendu parler de lui. Il précise à cet égard qu’il n’a jamais entendu parler de l’accusé lors de ses enquêtes réalisées dans le cadre de ses missions auprès de la défense de Monsieur Joseph KANYABASHI. Décrivant brièvement la situation à Butare, il mentionne la présence d’« infiltrés du FPR » parmi les miliciens. Interrogé par la Défense, il précise que s’il n’en a pas fait mention au TPIR c’est parce que cela n’a pas été retenu par les avocats avec lesquels il travaillait. Interrogé ensuite par le Président de Cour d’assises sur son appartenance à un parti politique, le témoin affirme qu’il n’avait pas d’engagement politique. Questionné par les conseils des parties civiles sur les forces démocratiques unifiées, le témoin affirme y avoir été commissaire chargé de la communication mais que lui, cela n’est pas un parti politique pour des raisons d’encadrement juridique. Il s’agit selon lui « d’un rassemblement de gens qui réfléchissent et qui espèrent un changement ». Il assure en outre avoir été menacé, il mentionne un mémorandum réalisé en collaboration entre « Ibuka et le parquet général du Rwanda » l’accusant d’avoir participé au génocide. C’est à cause de cela qu’il aurait cessé ses activités au TPIR. De plus, il affirme ne pas avoir vu de personnes décédées sur la route de Butare, il n’a pas non plus vu de fosse, ni senti d’odeur, il « pense qu’au 15 mai il n’y avait plus de trace des morts ». Interrogé par un juré sur l’existence d’Hutu assassinés aux barrières, le témoin répond que beaucoup de personnes Hutu ont été tuées mais « pas autant que les Tutsi, pour les Tutsi c’était systématique ». En outre, le témoin a précisé à la Cour qu’il connaît Monsieur Jean KAMBANDA car ils ont tous les deux exercé une activité professionnelle à l’Union des banques populaire du Rwanda et c’est pour cela que son nom pourrait apparaître dans l’agenda de l’ancien Premier ministre. Enfin, pour terminer, la défense a interrogé le témoin sur les conséquences du mémorandum réalisé par « Ibuka » et le parquet général. Celui-ci souligne que les informations du mémorandum ont pour source « Ibuka », et que de telles accusations ont eu pour conséquence la démission d’enquêteurs, et le ralentissement des équipes de la défense du TPIR.

L’ancien président des juges Gacaca de Butare, Monsieur Jean-Baptiste NDAHUMBA, a ensuite été auditionné. Il relate tout d’abord le fonctionnement de cette justice participative. Il précise alors avoir entendu de nombreux témoignages mettant en cause la responsabilité des médecins qui travaillait au centre hospitalier universitaire de Butare. Il souligne que des réunions y avaient lieu, et que l’accusé y avait participé. Il affirme que des patients ont été tués et jetés dans une fosse commune proche de l’hôpital. Il précise que des témoins ont affirmé que des « malades Tutsi ont été jetés encore vivants dans cette fosse commune » et que lorsqu’ils ont demandé qui était responsable, le nom d’Eugène RWAMUCYO était cité. Il souligne que les actes criminels se sont produits à Butare et dans ses environs, il cite trois lieux où des fosses communes ont été creusées et sur lesquels le docteur Eugène RWAMUCYO était présent : Gishamvu, Nyumba et Gisagara. Il précise que le rôle de l’accusé était de donner les consignes relatives à ces opérations. Il a entendu que celui-ci portait une tenue de médecin. Il confirme que des Tutsi blessés, encore vivants, ont été jetés dans les fosses communes. Interrogé par le Président de la Cour, le témoin assure que l’accusé a été jugé et condamné à perpétuité par la Gacaca de Butare. Questionné sur la participation de l’accusé aux conseils de sécurité préfectoraux, le témoin affirme que le nom de l’accusé a été mentionné parmi les participants.

Enfin, la défense a mentionné un rapport de Human Rights Watch dans lequel est soulevé des « éléments regrettables » sur les Gacaca. Le témoin a réagi, il dit avoir eu connaissance de ces rapports d’Organisation non gouvernementales (ONG) et réplique en soulignant le délai considérable que la justice française a mis à juger les individus sur son territoire. Le témoin a souhaité remercier la Cour d’assises pour son audition et a déclaré « je suis heureux que ce procès arrive, mieux vaut tard que jamais ».

Le dernier témoin de la journée, Janvier GASANA, ancien professeur à l’UNR, a ensuite été entendu. Celui-ci déclare avoir connu l’accusé car il a succédé son poste au département de l’environnement et de la médecine du travail. De plus, le témoin est revenu entre avril 1993 et septembre 1993 dans ce département dans le cadre de son doctorat, Eugène RWAMUCYO y était employé. Il déclare que l’accusé « lui semblait être quelqu’un de bien ». Le Président de la Cour a ensuite effectué la lecture d’un courrier envoyé en 1996 par le témoin en soutien à Monsieur Sosthène MUNYEMANA. Le témoin ne se souvenait pas avoir envoyé le courrier mais confirme que ces propos sont de lui et qu’il s’agit de sa pensée à cette période. Le Président Monsieur Lavergne relève notamment que le témoin décrit l’accusé comme extrémiste dans le courrier, l’accusé aurait notamment dit que « le salut du pays ne viendra que par la CDR et ne sera possible que par l’élimination des ennemis (Tutsi) et de traites (modérés Hutu) ». Le témoin confirme cela. Interrogé ensuite sur le travail d’hygiène et d’assainissement effectué par l’accusé, le témoin répond qu’ils ont parlé ensemble des personnes déplacées de guerre mais qu’il ne se souvient pas avoir discuté d’un rapport qui aurait été rédigé par l’accusé. En outre, il précise qu’il n’y avait pas de matériel permettant de réaliser un documentaire à disposition du personnel du service. Interrogé par l’accusation sur les élections du directeur au sein du CUSP, il semble seulement se souvenir d’avoir vu Abel DUSHIMIMANA au poste de directeur. Cependant, il est confus sur la période précise à laquelle il l’aurait vu à ce poste. Ensuite, interrogé par la défense sur des propos qu’il aurait pu tenir concernant « une chasse aux intellectuels Hutu » perpétrée par des Tutsi, le témoin explique qu’il faisait référence à l’expropriation des maisons, quand les personnes de retour s’approprier n’importe quelle maison. Néanmoins, il précise qu’avec la restitution des maisons à la demande du gouvernement, son avis a changé et qu’il ne pense plus que les Tutsi essayent d’éliminer les intellectuels Hutu. Enfin, la défense souligne que la lettre rédigée par le témoin soutient Monsieur Sosthène MUNYEMANA mais qu’à l’inverse, elle semble accuser Monsieur Eugène RWAMUCYO. Le témoin affirme alors n’accuser personne d’avoir commis des actes pendant le génocide, mais simplement relater les faits qu’il a constatés à la période où il était présent. A la suite de ces propos, le Président prononça la suspension de l’audience.

Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024