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La journée du procès à l’encontre du médecin Eugène RWAMUCYO a débuté par la diffusion, à la demande la Défense, d’un documentaire « Rwanda the Untold Story », diffusé par la BBC en 2014. Ce documentaire remet en question le rôle du Président Paul KAGAME durant le génocide. Le documentaire affirme notamment que le FPR a tué de nombreux Hutu, sans faire de distinction entre les innocents et les coupables. Les différentes parties se sont exprimées. Les conseils des parties civiles ont notamment réagi à ce documentaire en insistant sur le consensus autour du nombre de victimes Tutsi et l’existence d’un génocide des Tutsi. Ils ont également rappelé que leur rôle est de représenter les victimes et non Paul KAGAME. À la suite de ce documentaire, l’extrait d’une interview de Monsieur Philippe GAILLARD a été diffusé. Dans cet extrait, il évoque la gestion des corps par les autorités à Kigali.
La matinée s’est poursuivie avec l’interrogatoire de l’accusé. Monsieur le Président l’a tout d’abord questionné sur ses activités au début du génocide. Monsieur RWAMUCYO explique notamment être resté chez lui durant les deux premières semaines afin de rédiger un document sur les mesures à mettre en œuvre dans les camps en cas de « catastrophe provoquée ». A la lecture de ce document, l’accusé précise que ces guidelines ne valaient que dans une situation où les institutions fonctionnaient normalement. Le Président a alors demandé pourquoi il était resté chez lui au déclenchement du génocide pour rédiger ce rapport s’il ne portait pas sur la situation actuelle. A cette question l’accusé a simplement répondu : « j’aurais bien voulu que ça en soit autrement ». Il ajoute qu’il ne savait pas qui étaient les Interahamwe et qu’il ne savait rien des mouvements de jeunesse, il ne connaissait pas leurs membres. Ensuite, interrogé par le Président sur cela, l’accusé a affirmé constater que les chefs des Interahamwe sont des Tutsi. Il souligne notamment que pour « des raisons ethniques et régionales tout le monde était en danger » et affirme qu’il aurait aussi pu être tué. Il soutient en outre ne pas avoir vu de cadavres mais avoir commencé à sentir autour du 24, 25 avril une « odeur insupportable ». Il avance ne pas avoir vu de barrières et considère que les gens tués l’ont été à leur domicile.
Le Président de la Cour réinterrogea l’accusé sur ces barrières en soulignant que Monsieur Tony ZACHARIAH avait, la veille, évoqué une dizaine de barrières sur la route de l’hôpital de Butare. L’accusé a alors répondu que ces barrières n’étaient restes que le temps de tueries dont il n’a pas été témoin, et que ces barrières ont été par la suite retirées.
Le premier témoin de la journée, Monsieur Jean Népomuscène NSENGIYUMVA a ensuite été entendu. Monsieur NSENGIYUMVA, médecin clinicien à la retraite, condamné pour crime de génocide par les Gacaca, connaissait l’accusé car ils travaillaient tous deux à la faculté de médecine. Le témoin déclare n’avoir vu l’accusé qu’une seule fois entre le 6 avril 1994 et fin juillet 1994, lors de la réunion organisée à l’université le 14 mai 1994 avec le premier ministre Jean KAMBANDA. Concernant cette réunion, il assure se souvenir de la prise de parole de l’accusé. Ce dernier aurait dit qu’il fallait « que tout le monde y aille de sa poche pour soutenir les forces armées ». Le témoin précise que ce discours, encourageant les personnes à prendre les armes, ne lui plaisait pas pour des raisons économiques. En effet, il explique que c’était une période de précarité et que les personnes n’avaient pas les moyens pour acheter des armes. Il souligne en outre, avoir constaté de nombreux corps en décomposition à l’hôpital de Butare et raconte en avoir à différents endroits dans la ville avant d’affirmer que « les corps étaient partout ». Interrogé par le Président de la Cour sur l’existence de barrières, le témoin soutient que la présence de ces barrières rendait difficile les déplacements. Il ajoute que les médecins étaient dispensés d’effectuer les rondes dans les quartiers et aux barrières. Le témoin soutient en outre ne jamais avoir participé aux rondes alors qu’il avait été désigné responsable (Nyumbakumi d’une cellule.
Interrogé sur l’objectif de ces rondes, le témoin soutient qu’il s’agissait de vérifier qu’il n’y avait pas « d’infiltrés » et que cette vérification s’effectuait par le contrôle des cartes d’identité. Il relève néanmoins que « ceux qui ont été tués n’étaient pas tous des infiltrés ». Questionné sur la culpabilité des médecins, Monsieur NSENGIYUMVA, affirme qu’« aucun médecin ne peut participer à ça. Je n’ai rien entendu sur des médecins ». Il croit en l’innocence des médecins condamnés pour crime de génocide.
C’est ensuite, l’ancien premier ministre, actuellement en détention au Sénégal, Monsieur Jean KAMBANDA qui a été entendu par la Cour à titre de renseignements. L’ancien premier ministre déclare tout d’abord que « Eugène Rwamucyo, avant 1994, pendant et après, était un homme courageux qui faisait son travail. Il n’a rien fait de mal ». Il revient ensuite sur le contexte général du génocide, et il affirme que les Interahamwe ont été créés par « Paul Kagame et ses amis ». Il soutient en outre que l’Organisation des Nations Unies dissimule des preuves concernant l’attentat du 6 avril 1994. Monsieur KAMBANDA reconnaît l’existence d’un génocide des Tutsi car ils « ont été tués pour ce qu’ils étaient ». Néanmoins, il soutient que l’opération initiale avait pour objectif le génocide des Hutu. Il affirme que pour parvenir au génocide des Hutu, qui aurait été planifié par « KAGAME et ses amis », il fallait tuer des Tutsi. Interrogé ensuite sur la réunion à l’Université de Butare du 14 mai 1994, il explique y avoir été afin d’expliquer la situation. Il mentionne avoir parlé de faire la distinction entre son voisin Tutsi et le FPR. Le voisin ne devant pas être perçu comme un ennemi. Il ajoute que les barrières étaient présentes dès 1990 et qu’elles n’ont jamais été enlevées depuis l’attaque du FPR. Interrogé sur l’ensevelissement des cadavres, il confirme qu’il a été demandé à l’accusé de superviser l’enterrement des personnes décédées. Questionné par les conseils des parties civiles sur sa présence à Goma en RDC ainsi que l’ensevelissement des corps, il souligne y avoir vu Eugène RWAMUCYO « à l’action, sauver des gens ». Il précise qu’à Goma, l’accusé travaillait pour l’assainissement des corps des personnes décédées du choléra. Il raconte aussi avoir craint de voir des personnes vivantes enterrées et précise que cela n’était pas sur le site dont s’occupait l’accusé.
L’audition s’acheva par les interrogations de la Défense ayant vocation à illustrer les mauvaises conditions de détention qu’auraient subies l’ancien premier ministre dès son arrestation par le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France