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L’écrivain Charles Onana est mis en cause pour 20 passages de son ouvrage
« Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise », paru en 2019. © Charles Onana/X
Deux policiers sont sur les nerfs. Une légère agitation parcourt le public dans la salle d’audience du tribunal judiciaire de Paris. Des provocations sont échangées. « Ça commence bien », maugrée un policier. Ni les agents ni la présidente du tribunal ne veulent retrouver le climat de tension du premier jour d’audience. La salle était d’ailleurs trop petite pour accueillir les nombreux soutiens de Charles Onana, poursuivi devant la 17ᵉ chambre, spécialisée dans les affaires liées à la liberté de la presse et à la diffamation.
Un auteur controversé
Au deuxième jour, ce mardi 8 octobre, une salle plus grande a été mise à disposition et l’ambiance est relativement calme. Ce qui n’empêche pas Charles Onana de venir entouré de gardes du corps, « à cause des menaces de mort qui ont été proférées », explique Me Emmanuel Pire, son avocat. Ses protecteurs ont enfilé des brassards orange fluo floqués « sécurité. » Me Richard Gisagara, avocat de la communauté rwandaise de France, le fait remarquer à la présidente, qui leur demande de les retirer. « Nous avons un service d’ordre habilité, il n’y a pas lieu de porter un brassard », rappelle-t-elle. Les hommes s’exécutent, l’audience peut commencer.
Habitué des livres controversés sur le Rwanda, l’écrivain camerounais est accusé de « contestation de crime de génocide » – celui des Tutsi au Rwanda, commis en 1994 – par sept associations, dont Survie, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et du citoyen (FIDH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH). Elles mettent en cause 20 passages du livre Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise – Quand les archivent parlent, publié le 30 octobre 2019 aux éditions de l’Artilleur, la branche essai des éditions du Toucan. Son éditeur, Damien Serieyx, est également poursuivi pour complicité.
Venus assister au 19ᵉ sommet de la Francophonie, une équipe de Radio-télévision nationale congolaise (RTNC) et un journaliste de l’Agence congolaise de presse (ACP) ont prolongé leur séjour à Paris, pour suivre le procès. « Je reçois beaucoup, beaucoup d’encouragements du peuple congolais », déclare Charles Onana au micro de la chaîne publique. Depuis Kinshasa, l’ACP relate le rassemblement d’une dizaine de personnes dans la commune kinoise de La Gombe – elles sont venues soutenir le prévenu « poursuivi en justice en France pour ses prises de position en faveur de la RDC dans la guerre d’agression dans l’est du pays », est-il écrit dans un tweet. Ce qui est faux : Charles Onana est poursuivi pour négationnisme.
Mobilisation politique
Cette digression montre que le procès est chargé d’un contexte beaucoup plus lourd, beaucoup plus vaste : la guerre dans l’est de la RDC. Pour les soutiens de Charles Onana, juger le polémiste revient à vouloir le faire taire et l’empêcher de mettre en lumière les crimes commis contre les Congolais par le régime de Paul Kagame et le Front patriotique rwandais (FPR) depuis trente ans. « Il est temps, enfin, que la vérité sur ces conflits qui ensanglantent le Congo depuis tant d’années éclate, on n’est là que pour ça », a affirmé Damien Serieyx sur la RTNC. C’est « le procès du siècle », survend une tribune distribuée devant la salle d’audience et signée Freddy Mulumba, complotiste congolais qui dénonce un « holocauste au Congo ».
Charles Onana a également reçu le soutien de deux anciens candidats à l’élection présidentielle. Martin Fayulu a tonné sur X contre « une tentative flagrante de bâillonner ceux qui cherchent la vérité ». Le président du parti de l’Engagement pour la citoyenneté et le développement (Ecidé) s’était déjà illustré pour des propos anti-Tutsi. Même son de cloche chez Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, qui s’est emporté sur la même plateforme contre un procès « politisé » qui « fait honte à la France ».
Les associations qui se sont constituées partie civile sont accusées d’être manipulées par le régime rwandais pour passer sous silence les crimes du FPR. « La FIDH rappelle qu’elle est une organisation indépendante de tout gouvernement », souligne l’association dans un communiqué. « Quand M. Kagame fait ce qu’il fait aujourd’hui avec le M23, on condamne aussi », s’est défendu Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH, au cours du procès. « Je m’attendais à ce qu'[Onana] ait des soutiens, mais pas à ce point-là, avec des gens remontés », remarque l’avocat.
« On détourne, on contourne… »
Entre les digressions historiques des témoins – une vingtaine appelée par Charles Onana – et l’importation du conflit en cours contre le M23, le procès est un télescopage d’événements. « On détourne, on contourne, on évoque mille questions qui ne répondent pas à la seule question », regrette Patrick Baudouin. Car ce procès n’est pas celui de Paul Kagame ou du FPR. C’est celui de Charles Onana, jugé pour négationnisme. « Une grosse proportion des phrases qui sont reprochées à M. Onana sont des phrases où il met en cause le régime de Paul Kagame, ce n’est pas hors sujet », rétorque Emmanuel Pire, avocat de la défense.
Charles Onana est poursuivi pour avoir écrit, entre autres, que « la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un “génocide” au Rwanda est l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle ». Appelé à la barre, Thomas Hochmann, professeur de droit public et spécialiste du négationnisme, souligne que cette phrase rappelle The Hoax of the Twentieth Century, « livre bien connu qui nie la Shoah. »
« Je ne nie pas, mais… »
« Je ne nie pas du tout le génocide. Je ne le fais pas et je ne le ferai pas”, s’est défendu Charles Onana. Mais, comme l’a rappelé la présidente, nier être négationniste n’est pas un argument suffisant. La négation du génocide s’exprime via sa minoration, la confusion du statut des victimes et la disqualification des institutions judiciaires.
La question de la planification du génocide, et donc de la nature du massacre, a été plusieurs fois débattue. « Je n’ai aucune information [sur] la planification », a botté en touche Jean-Claude Lafourcade, ancien général de l’Armée de terre française, appelé à témoigner par Charles Onana et venu défendre l’opération Turquoise. « Même le Tribunal spécial sur le Rwanda n’a pas prouvé qu’il y avait génocide… Euh pardon… n’a pas pu prouver qu’il y avait eu préparation du génocide », s’est justifié l’ancien ambassadeur belge Johan Swinnen dans un lapsus glaçant.
« Un procès pour négationnisme n’est pas un procès sur l’histoire du génocide », a rappelé Thomas Hochmann. « La question est de savoir si, dans son ouvrage, l’auteur nie l’existence d’un génocide qui a fait l’objet d’une condamnation par les juridictions française et le Tribunal pénal international pour le Rwanda”, a-t-il insisté, soucieux de recentrer les débats d’un procès dispersé.
Le procès de Charles Onana s’achève ce vendredi 11 octobre. Le verdict ne devrait pas être connu avant plusieurs semaines.