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« Il m’inspirait la crainte », « il fallait bien gérer la question des cadavres qui s’entassaient ». Au procès d’Eugène Rwamucyo, ex-médecin rwandais jugé aux assises à Paris pour ses agissements lors du génocide des Tutsi en 1994, les témoins cités par les parties civiles et par la défense se succèdent à la barre.
Dans son tailleur bleu-marine, Marie-Claire Mwitakuze se dirige d’un pas affirmé vers la barre avant de prêter serment.
« Reconnaissez vous cet homme ? », lui demande le président de la cour. « Oui, je le reconnais », répond la témoin d’une voix grave après avoir regardé droit dans les yeux l’accusé. « C’est Eugène Rwamucyo ».
Le docteur Rwamucyo est accusé de génocide, complicité de génocide, crimes contre l’humanité et complicité de crimes contre l’humanité, ainsi que pour entente en vue de la préparation de ces crimes.
Il lui est reproché d’avoir soutenu et relayé les mots d’ordres des autorités hutu incitant la population à s’en prendre à la minorité tutsi notamment lors d’un discours à l’université de Butare dans le sud du pays, le 14 mai 1994 en présence de Jean Kambada, Premier ministre du gouvernement intérimaire.
Selon des témoins, M. Rwamucyo, alors médecin-enseignant à l’université, aurait également participé à l’exécution de blessés et à l’enfouissement de corps dans des fosses communes « dans un ultime effort de supprimer les preuves du génocide ».
Marie-Claire Mwitakuze, membre de l’ethnie tutsi, avait 32 ans au moment des massacres. Jeune maman, elle était secrétaire à l’Office national de la population à Butare où l’accusé utilisait un bureau.
« Il m’inspirait la crainte », raconte-t-elle à la cour en kinyarwanda. « Je n’étais pas la seule dans ce cas, il terrifiait tout le monde. Un jour, il avait menacé le directeur de le tuer ».
La témoin, venue du Rwanda, raconte avoir un jour pénétré dans son bureau et avoir découvert sur l’ordinateur une longue liste de noms d’habitants.
« Nous allons vous retrouver »
Plus tard, alors que les massacres étaient en cours à Butare et qu’elle s’était cachée avec son enfant dans le faux-plafond d’une famille, elle raconte avoir entendu un discours à la radio: « J’ai tout de suite reconnu la voix de Rwamucyo », se souvient-elle.
« Il disait : "nous avons fait des listes systématiques. Que ceux qui sont encore cachés n’espèrent rien. Nous allons vous retrouver !" ». A ces mots, dit-elle, elle a su à quoi correspondaient les noms sur l’écran de son ordinateur quelques semaines plus tôt.
Assis à une petite table à quelques centimètres seulement de Mme Mwitakuze, l’accusé prend tout en note dans un cahier bleu, comme il le fait lors de chaque intervention.
Vient le tour d’un nouveau témoin, appelé cette fois par la défense. Jean Nepomuscene Gahururu était secrétaire général de la Croix Rouge à Kigali en 1994.
« Dans les rues de la capitale, les cadavres s’amoncelaient. Il y en avait plus de 60.000 », explique-t-il à la cour, insistant sur la nécessité de les enterrer au plus vite. « Ces corps étaient attaqués par les chiens des rues qui commençaient à les déchiqueter. Il fallait bien gérer la question des cadavres qui s’entassaient ».
Interrogé par les avocats de l’accusé sur la possibilité d’identifier ces corps et les inhumer individuellement, le témoin répond par la négative. « Il y en avait trop. Nous n’avions pas les moyens logistiques, il a fallu les placer dans des fosses communes ».
Pour les avocats d’Eugène Rwamucyo, c’est exactement ce qui s’est passé à Butare. « Il ne nie pas l’enfouissement de corps mais il était médecin et il y avait des centaines de cadavres à l’air libre. Il savait comment procéder pour éviter d’ajouter une crise sanitaire à la catastrophe qui se déroulait », selon Me Philippe Meilhac.
Entre avril et juillet 1994, plus de 800.000 personnes ont été tuées selon l’ONU, essentiellement au sein de la minorité tutsi.
Eugène Rwamucyo, 65 ans, est le huitième Rwandais jugé en France pour sa participation au génocide des Tutsi, instigué par le gouvernement hutu. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.