Fiche du document numéro 34359

Num
34359
Date
Septembre 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
9286115
Pages
12
Titre
Billets d'Afrique No. 330
Nom cité
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Nom cité
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Cote
No 330
Source
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
RECENSION

NÉGATIONNISME EN RDC

APOCALYPSE CONGO
La sortie du dernier livre du négationniste Charles Onana est l’occasion de revenir sur l’histoire récente
de la RDC. Première partie dans ce numéro.
e dernier ouvrage de Charles
Onana, « Holocauste au
Congo »1, lancé à grand fracas
publicitaire, se résume à une thèse sim­
pliste et raciste : Le Congo est victime
d’« un plan secret d’invasion » pour éta­
blir un « empire Tutsi »2. Pour cela Ka­
game a organisé la fuite massive au
Congo de réfugiés rwandais « entre
avril et juillet 1994 » afin d’avoir un mo­
tif d’entrer au Congo et il se sert des
milices de Tutsi congolais, les Banya­
mulenge, pour terroriser et exterminer
les populations locales. « L’afflux de mil­
lions de réfugiés rwandais en territoire
zaïrois n’est en aucun cas […] un « dé­
gât collatéral » du génocide rwandais. Il
procède au contraire d’une action mili­
taire minutieusement préparée »3. On a
là, une fois de plus, la volonté néga­
tionniste de l’auteur. Nier les consé­
quences d’un fait, c’est en quelque
sorte escamoter le fait lui­même. Ni la
date de l’exode ni le nombre des
fuyards ne correspondent à la réalité
des faits. En avril, seuls les Tutsi et les
Hutu opposés aux extrémistes génoci­
daires cherchent désespérément à fuir.
Un très petit nombre y parvient. La
masse des réfugiés arrive mi­juillet au
Zaïre, quand l’APR achève le contrôle
du territoire du Rwanda. Ils ne sont pas
« des millions » mais un million et de­
mi. Ils accompagnent la fuite des
membres du gouvernement intéri­
maire et des FAR en déroute.

L

Quant à l’affirmation que cette inva­
sion du Zaïre par Kagame serait faite
« au profit des entreprises minières oc­
cidentales et des intérêts privés anglo­­
américains », elle prête à rire. Les
Occidentaux n’ont pas besoin de Ka­
game pour contrôler le Congo et ses
dirigeants, ils l’ont fait sans disconti­
nuer depuis toujours directement, par
leurs propres moyens. Tout l’histoire
du Congo en témoigne.
Mobutu fossoyeur du Congo
Onana expédie en quelques lignes
l’épisode Mobutu de l’histoire du
Congo : « Le maréchal Mobutu qui,
malgré les nombreuses exactions dues
à sa tyrannie, demeurait un fidèle allié
de la France et surtout un facteur de
stabilité pour toute l’Afrique Cen­
trale »4. Noter qu’être un « fidèle allié
de la France » n’est nullement en
contradiction avec la tyrannie et les
exactions mais permet de les négliger.
Merci à Onana de le rappeler. Que dire
de la fameuse « stabilité »?, c’est le cou­
plet chanté pour justifier le soutien aux
dictateurs d’Afrique centrale. Onana ou
la Voix de son maître. Quant aux USA,
l’autre grande cible du livre :« Très sou­
tenu par eux tout au long de la guerre
froide, le président Mobutu n’a pas
compris qu’après trente­ deux ans de
bons et loyaux services rendus aux
États­Unis, ceux­ ci envisageaient sé­
rieusement de se passer de lui »5.

Trente six ans d’histoire tragique du
Congo­Zaïre sont escamotés en une
phrase lénifiante. C’est pourtant la
connaissance de cette sombre période
qui seule peut expliquer l’état de déli­
quescence auquel était réduit le Zaïre
de Mobutu en 1996, ce qui en a fait une
proie facile offerte à tous. Le sergent
Joseph ­Désiré Mobutu . recruté à vingt
ans en 1950 dans la Force publique
belge, nommé sergent en 1954, de­
vient, à la fin de son engagement, en
1956, journaliste à L’avenir, « le quoti­
dien le plus colonialiste de Léopold­
ville ». Il est également un indicateur de
la sûreté belge. Il deviendra tout natu­
rellement un agent de la CIA dans la
chasse à Lumumba dont les USA
exigent l’élimination. C’est cet homme,
présenté comme falot et velléitaire, ivre
la plupart du temps, que les USA et les
Belges vont faire « roi du Zaïre »6.Mo­
butu, devenu commandant en chef de
l’armée, arrive au pouvoir par la terreur
que font régner ses troupes qui com­
mettent assassinats, viols, disparitions,
pillages. Après l’élimination barbare de
Patrice Lumumba, Premier ministre,
Maurice Mpolo, ministre de la Jeunesse
et des Sports et Joseph Okito, vice­pré­
sident du Sénat, livrés à des tueurs
belges près d’Elisabethville (Katanga)
en janvier 1961, c’est celle des lumum­
bistes de la Province orientale, Finant,
président du gouvernement provincial,
Fataki, Nzuzi, Elengesa, Yangara et Mu­

1 Charles Onana, préface de Charles Millon, Holocauste au Congo. L’Omerta de la communauté unternationale. La France complice ?, L’Artilleur 2023
2 Sommaire pp.7­8
3 p. 33
4 p. 11 /
5 p. 117
6 voir le chapitre « Qui est Mobutu » p. 65 – 79 dans Jules Chomé : L'Ascension de Mobutu : du sergent Désiré Joseph au général Sese Seko ; Maspéro 1974. Ce livre fut interdit en
France à sa parution en juillet1974 par le ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski. Quelques années plus tard, Maspéro obtient l’annulation du décret d’interdiction et le livre
reparaît, dans une édition augmentée, en 1979.

Billets d'Afrique 330 - septembre 2023

zungu sont enlevés et amenés à Léo­
poldville le 9 février 1961. Ils sont en­
suite envoyés, avec cinq autres
personnalités lumumbistes, à Bakwan­
ga au sud Kasaï, l’autre province séces­
sionniste où règne Albert Kalonji, où
ces onze personnes « seront massa­
crées dans les conditions les plus abo­
minables » 7.
Rebellion lumumbiste
En 1963, les leaders lumumbistes survi­
vants entrent dans la clandestinité.
Pierre Mulele développe un maquis
dans le Kwilu, occupant la totalité des
campagnes, ralliant massivement la po­
pulation ainsi que des déserteurs de
l’armée congolaise, tandis que, sous la
direction de Christophe Gbenye, fon­
dateur du Comité National de Libéra­
tion à Brazzaville en 1963, Gaston
Soumialot et le général Nicholas Olen­
ga au nord Kivu, Laurent Kabila au sud
Kivu, s’installent grâce à « un soutien
populaire massif et spontané »8. Les
deux tiers du Congo sont bientôt sous
le contrôle des « Simbas », nom que se
donnent les combattants de cette ré­
bellion, équipée d’armes rudimen­
taires, qui avancent au cri de « Maï
Mulele », le premier et le plus popu­
laire des leaders lumumbistes. Ils vont
s’emparer de stocks d’armement de
l’armée nationale congolaise, abandon­
nés dans sa fuite. Une République po­
pulaire du Congo est proclamée, le 5
août 1964 à Stanleyville. En novembre
1964, une opération conjointe des pa­
ras belges et de l’aviation des USA est
lancée, tandis qu’une colonne de mer­
cenaires progresse au sol en soutien à
l’armée de Mobutu. Stanleyville est
prise au prix de combats acharnés et
les régions occupées par la rébellion
sont « nettoyées » avec la pus grande
7

férocité. Des villages entiers, notam­
ment dans le Kwilou sont détruits, leur
population exterminée. Ne subsistent
de la rébellion que deux poches, au
Centre et à l’Est9. C’est à ce moment
que Cuba lance une opération de sou­
tien, sous le commandement de Che
Guevara, au maquis du Sud Kivu. Dé­
barqué au Congo en avril 1965 à Ki­
bamba, au bord du lac Tanganyka,
venant de Tanzanie, ce dernier échoua
à réorganiser la guérilla des Simbas,
harcelée par les assauts de l’armée
congolaise encadrée par les merce­
naires soutenus par l’aviation des USA.
Il fera le récit de son expérience : « Il
ne s'agit pas d'exporter la révolution,
mais de soutenir pratiquement les
mouvements révolutionnaires qui ont
effectivement l'appui des peuples » Il
quitte le Congo en novembre 1965 sur
un échec dont il tire les leçons : «Ce ré­
cit se clôt sur un épilogue qui reprend
les questions posées par la lutte en
Afrique et, en général, par la lutte de li­
bération nationale contre la forme néo­
coloniale de l’impérialisme, par le jeu
de masques et les subtilités qu’elle im­
pique et par la longue expérience de ce
type d’exploitation dont font preuve
les puissances qui la pratiquent. »10
L’ascension de Mobutu
Quelques jours après, fin novembre
1965, Mobutu, porté au pouvoir par un
coup d’état militaire, devient le maître
absolu du Congo. « L'on peut craindre
que, dans les provinces lointaines, il ne
laisse le soin du maintien (si l'on peut
dire) de l'ordre à des militaires peu
scrupuleux et à des mercenaires qui le
sont encore moins.»11. Le Congo est
parti pour trois décennies d’oppression
féroce, inaugurée par le supplice bar­
bare de l’assassinat de Pierre Mulele en

1968, livré à Mobutu par Sassou Ngues­
so. Pendant ces années, Mobutu fut ac­
cueilli en grande pompe en France et
en Belgique. Le président Giscard d’Es­
taing se rend au Zaïre en Concorde en
1975. Le président François Mitterrand
fait de même, toujours en Concorde,
pour son premier déplacement en
Afrique en 1984. Bien plus, en 1978, la
France de Giscard intervient au Zaïre
pour sauver Mobutu. Six cents légion­
naires, commandés par le colonel Phi­
lippe Érulin12, sont parachutés sur
Kowezi au Shaba (ex Katanga). La ville
avait été prise par 4000 «Katangais», les
« Tigres » commandés par Nathanael
Mbumba, venus d’Angola par la Zambie.
Les rebelles sont repoussés après un
sanglant nettoyage de la région où périt
en masse la population locale. Personne
ne rendit compte de la réalité de cette
opération sanglante. Seul un film à la
gloire de la légion, La légion saute sur
Kolwesi, en garde une mémoire magni­
fiée. Pourtant, nul n’ignorait en haut
lieu le pillage systématique et astrono­
mique auquel se livrait un dictateur mé­
galomane enfermé dans son délire, aux
dépens des ressources de la nation
congolaise. En 1997, les avoirs person­
nels à l'étranger de Mobutu sont esti­
més à environ 7 milliards de dollars
(soit 70 % de la dette extérieure du
Zaïre) , par l'UNODC (Office des Na­
tions Unies contre la drogue et le
crime) et Transparency International.
Les massacres et pillages de l’ère Mobu­
tu n’ont jamais été dénoncés dans la
grande presse occidentale jusqu’à la
chute du maréchal en 1997. Fin du «Fi­
dèle allié de la France, facteur de stabili­
té pour l’Afrique centrale ».
Odile Tobner
A suivre...

Jules Chomé, op. cit. p.95

8 Benoît Verhaegen, Les rébellions populaires au Congo en 1966 ; https://www.persee.fr/doc/cea_0008­0055_1967_num_7_26_3100
9 Voit Ludo Martens : Pierre Mulele ou la seconde vie de Patrice Lumumba ; éd du Cerf 1997

Ludo De Witte : L’ascension de Mobutu, comment la Belgique et les USA ont fabriqué un dictateur Investig’action 2017
10 Ernesto Che Guevata : Passages de la guerre révolutionnaire. Le Congo ; Mataillé 2000 ; p. 33
11 L'Express (France), 29 novembre au 5 décembre 1965, p. 38
12 Un des deux officiers soupçonnés, quand ils étaient lieutenants en Algérie, d’avoir torturé à mort Maurice Audin.
Billets d'Afrique 330 - septembre 2023
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