Fiche du document numéro 34358

Num
34358
Date
Juin 2023
Amj
Fichier
Taille
9042391
Pages
20
Titre
Billets d'Afrique No. 329
Nom cité
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Cote
No 329
Source
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
DOSSIER

PHILIPPE HATEGEKIMANA,
UN EX-GENDARME RWANDAIS
CONDAMNÉ
Le 28 juin 2023, après six semaines d’audiences éprouvantes dans l’enceinte du palais de
justice de Paris, l’ex­gendarme rwandais Philippe Hategekimana a été reconnu coupable
de génocide et de crimes contre l’humanité. Il a été condamné à la réclusion criminelle à
perpétuité pour la quasi­totalité des chefs d’accusation qui pesaient à son encontre.

C’est le septième procès tenu en
France (première instance et appel)
contre un Rwandais accusé de partici­
pation au génocide des Tutsis, 29 ans après
les faits et plus de 9 ans après le procès du
capitaine Pascal Simbikangwa, le premier à
comparaître devant la cour d’assises de Paris
en 2014.
Un maigre bilan, malgré les promesses du
président Macron, qui, lors de sa visite à Ki­
gali, en mai 2021, avait déclaré : « Dans les
années à venir, il pourrait y avoir tous les 6
mois environ, un procès de présumé géno­
cidaire rwandais devant la cour d’assises de
Paris. » Comment faire pour tenir ce rythme
alors que 22 à 25 dossiers de présumés gé­
nocidaires sont encore à l’instruction, sans
compter les cas de ceux, réfugiés en France
et estimés à plusieurs dizaines, qui parvien­
draient encore à passer « sous le radar » de
la justice française ?
Pourtant, le temps presse. 29 ans après le
génocide, la mémoire s’effiloche et les té­
moins des faits disparaissent. Concernant
l’affaire Hategekimana, trois d’entre eux
sont décédés entre la date de leur audition
par les enquêteurs et l’ouverture du procès
à la cour d’assises de Paris. Quant aux té­
moins de contexte qui ont été cités, l’un est
mort juste avant sa comparution (Damien
Rwegera) tandis que deux ont été empêchés

Billets d'Afrique 329 - été 2023

en raison de sérieux problèmes de santé
(André Guichaoua et Jacques Semelin).

Qui est Philippe
Hategekimana ?
Agé aujourd’hui de 66 ans, Philippe Hate­
gekimana occupait, pendant le génocide, les
fonctions d’adjudant­chef à la gendarmerie
de Nyanza dans la préfecture de Butare, au
sud du Rwanda. Un poste stratégique qui lui
conférait l’autorité et les moyens matériels
nécessaires à la mise en œuvre de la « solu­
tion finale » contre les Tutsis dans le ressort
de son district.
Début juillet 1994, alors que les troupes
du Front Patriotique Rwandais (FPR)
viennent tout juste d’entrer dans Kigali, il
n’attend pas la débâcle définitive du Gou­
vernement Intérimaire Rwandais (GIR) or­
chestrateur du génocide, pour fuir le
Rwanda. Comme tant d’autres, il part se ré­
fugier au Zaïre (actuelle R.D.C), où il reste
jusqu’en 1999, date à laquelle il parvient à
rejoindre son épouse en France et obtenir le
statut de réfugié sous une fausse identité.
Naturalisé français en 2005 sous le nom
de Philippe Manier, il s’installe près de
Rennes où il travaille en tant en qu’agent de
sécurité à l’Université. En 2015, une dénon­
ciation anonyme révèle sa présence en
France.

Le Collectif des Parties Civiles pour le
Rwanda (CPCR) dépose une plainte avec
constitution de partie civile, ce qui le pousse
à fuir à nouveau, en 2017, cette fois­ci au Ca­
meroun. Interpellé en mars 2018 à Yaoundé
– en vertu d’un mandat d’arrêt délivré par
un juge d’instruction du « pôle crimes
contre l’humanité » du Tribunal judiciaire de
Paris – puis extradé un an plus tard vers la
France, il est mis en examen et placé en dé­
tention provisoire depuis le 15 février 2019.
Le 10 mai 2023, après plus de 4 ans de dé­
tention, Philippe Hategekimana, dit « Bigu­
ma » pendant le génocide, a enfin comparu
devant la cour d’assises de Paris. Tout au
long des 31 jours d’audiences de son pro­
cès, ce petit homme trapu a choisi de se
murer dans le silence, sauf à l'occasion
d'une déclaration « spontanée » qu’il a pour­
tant lue devant la Cour, sans affect et sans
âme, niant toute implication dans les actes
qui lui sont reprochés. Une posture surréa­
liste au vu de la gravité des témoignages
mais parfaitement typique du déni dans le­
quel s’emmurent la quasi­totalité des géno­
cidaires.

Un « agent zélé »
des massacres
Comme l’a indiqué dans sa plaidoirie Me
Domitille Philippart, avocate du CPCR, l’ac­
cusé n’était pas, en effet, « le petit pois­
son » que la défense a voulu présenter à la
Cour. Au contraire, il avait « un rôle d'autori­
té au sein de la gendarmerie parce qu'il était
gradé, c'était un des sous­officiers, mais il
avait aussi une autorité morale de facto au­
près de la population en sa qualité de gen­
darme et du fait de sa personnalité. »
Philippe Hategekimana était accusé
d’avoir fait ériger et d’avoir contrôlé des bar­
rières destinées à arrêter et tuer de nom­
breux Tutsis, d’avoir enlevé et ordonné
l’exécution du bourgmestre de Ntyazo,

Tharcisse Nyagasaza, d’avoir coordonné et
participé au massacre de la colline de Nya­
bubare où 300 personnes ont été tuées le 23
avril 1994, puis à celui, quatre jours plus
tard, qui s’est produit sur la colline de Nya­
mure où s'étaient réfugiés des milliers de
Tutsis.
Il a enfin été reconnu coupable de com­
plicité de crimes contre l’humanité à l'Insti­
tut des Sciences Agronomiques du Rwanda
(ISAR) où des dizaines de milliers de vic­
times ont été recensées. Alors qu’il préten­
dait se trouver à Kigali au moment des faits,
le nombre de témoignages à charge rappor­
tant sa présence dans la région de Nyanza a
fait voler son alibi en éclats.
A l’énoncé du verdict, le président de la
Cour, M. Jean Marc Lavergne, l’a présenté
comme un « agent zélé » des massacres sou­
lignant que l’ancien gendarme avait non
seulement trahi sa fonction de protection
des populations, mais également joué un
« rôle déterminant » dans « l’extermination
d’un nombre vertigineux de victimes ».

Les témoins :
tous menteurs ?
Durant les deux mois du procès, plus
d’une centaine de personnes sont venues
témoigner à la barre ou en visioconférence
des atrocités commises entre fin avril et la
mi­mai 1994 à Nyanza. Des moments éprou­
vants pour tous les participants, la salle bai­
gnant dans une chaleur d’étuve, alors que
les témoins égrenaient une litanie macabre
de meurtres à la machette, au mortier, à la
grenade, mais aussi de viols, utilisés comme
arme de guerre, pour que pas un témoin ne
survive... A l’horreur brute de ces témoi­
gnages venaient s’ajouter les lenteurs et im­
précisions de la traduction, les couacs
techniques de la visioconférence et les
contre­interrogatoires sans fin des avocats
de la défense, soucieux de pointer que toute
l’accusation ne reposait que sur ces témoi­
gnages et non des preuves matérielles irré­
futables.
Comme l’a expliqué Me Jean Simon, un
des avocats de Survie, « nous sommes dans
un dossier avec des faits qui remontent à 29
ans, ce qui suppose que l’acte d’accusation
se fonde principalement sur une centaine
de témoignages de parties civiles et qu’à la
différence des dossiers communs, il n’y a
pas d’écoutes téléphoniques ou de vidéo­
surveillance, de géolocalisation ou d’élé­
ments purement techniques qui permettent
de mettre en évidence des éléments maté­

DOSSIER

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Mémorial de Nyanza. Photo Alain Gauthier

riels incontestables. Qui plus est, nous
sommes devant la cour d’assises, le principe
qui règne est celui de l’oralité des débats ».
Les avocats de la défense se sont toutefois
engouffrés dans cette « faille » pour mieux
tenter de décrédibiliser tous les témoins,
pointant des incohérences de dates, leur re­
prochant des imprécisions dans leurs pro­
pos, comme les habits portés il y a trente
ans par les personnes citées, ou encore la
marque et la couleur des véhicules vus sur
les lieux des crimes. L’accusé lui­même est
allé jusqu’à déclarer que « tous les témoins
mentent ». On retrouve, là encore, une stra­
tégie classique de défense des génocidaires :
l’accusation « en miroir », qui consiste à ne
pas répondre sur le fond et à se concentrer
sur la déstabilisation des témoins, supposé­
ment manipulés par le régime de Kigali, en
se référant notamment à l’expérience du
Tribunal Pénal International pour le Rwanda
(TPIR).
Pourtant, comme l’a rappelé l’avocate gé­
nérale, au TPIR, la tentative de corruption et
de pressions sur les témoins révélée lors de
l’affaire Ngirabatware était destinée à inno­
center l’accusé et non à l’accabler !
Il a pourtant fallu un courage immense à
tous ces témoins pour venir à la barre ravi­
ver des plaies jamais refermées. Comme
Chantal, 9 ans au moment des faits. Si elle a
pu retrouver son petit frère de 8 ans, Gatari,
tous deux sont les seuls rescapés de leur fa­
mille. Traumatisée par ce qui lui est arrivé,
elle n’a jamais pu retourner dans sa localité
natale à cause des souvenirs qu’elle en
garde. Elle n’a pas non plus réussi à dire à
ses enfants qu’elle était une rescapée du gé­
nocide, par peur qu’ils soient traumatisés,
eux aussi.

Madame Régine Waintrater, entendue
comme témoin de contexte dans ce procès
en tant que psychologue clinicienne, a évo­
qué les efforts gigantesques réalisés par les
survivants afin de trouver la force de dire, de
décrire leur calvaire, d’en revivre chaque dé­
tail horrible.
« Le récit, la formulation des faits subis, la
parole apparaissent comme essentiels, non
seulement pour caractériser les faits mais
aussi pour libérer les rescapés, c’est le seul
moyen pour elles de parvenir à mettre en
lumière leur expérience humaine singulière
de victimes de crimes qui, par nature, vont
dénier leur fondement même, leur humani­
té. Cette parole est essentielle », a repris Me
Simon dans sa plaidoirie.

Un procès emblématique
du combat de
l’association Survie
En se portant partie civile à ce procès
comme aux précédents qui se sont tenus en
France, l’association Survie traduit sur le
plan judiciaire son combat contre le néga­
tionnisme et l’impunité, qui sont « les deux
jambes de tout génocide », comme l’a dit à
la barre Adélaïde Mukantabana, présidente
de l’association Cauri. Un combat qui s’ins­
crit dans sa raison d’être, puisque la lutte
contre la banalisation du génocide et la ca­
pacité de l’association à ester en justice fi­
gurent dans les statuts de l’association.
A ce titre, le procès de Philippe Hategeki­
mana a été particulièrement emblématique
des combats de Survie, puisque, en tant
qu’ancien gendarme, l’accusé a certaine­
ment pu alors bénéficier de la politique de
coopération militaire de la France au Rwan­
da.
Billets d'Afrique 329 - été 2023

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Lors de son
audition comme
témoin
de
contexte, Fran­çois
Graner,
chercheur et au­
teur de plusieurs
ouvrages sur les
responsabilités
de la France
dans le génocide
des Tutsis, a évo­
qué la politique de
coopération militaire
entre la France et le
Rwanda entamée dès 1975
et renforcée en 1983, date à
partir de laquelle les gendarmes
français envoyés sur place servaient dé­
sormais sous uniforme rwandais.
Un bon moyen de renforcer « l’esprit de
corps » entre les deux armées, et qui sèmera
la plus grande confusion lors de l’opération
Turquoise, certains militaires français n’ad­
mettant pas que leurs alliés d’hier fussent
devenus les pires criminels...
François Graner a expliqué comment, à la
fin de l’année 1990, le soutien de la France
s’intensifie lorsque, débordé par l’offensive
du Front Patriotique Rwandais (FPR) en pro­
venance de l’Ouganda, le président rwan­
dais Juvénal Habyarimana appelle à la
rescousse son homologue français, François
Mitterrand.
A l’époque, la gendarmerie rwandaise in­
tervient dans les combats et est très impli­
quée dans la grande rafle des « complices »
du FPR. Après l’avoir formée, la France va lui
fournir des équipements militaires.
C’est ce dont a témoigné à la barre le gé­
néral Varret, à l’époque responsable du
Commandement des Opérations Spéciales
(COS). Lors d’une rencontre organisée par
le colonel Laurent Serubuga avec les chefs
des forces armées rwandaises et les
membres de l’état­major de la gendarmerie,
le colonel Pierre­Célestin Rwagafilita réclame
des armes lourdes. A la fin de la réunion,
Rwagafilita demande au général Varret un
entretien en tête à tête et renouvelle sa de­
mande : « La gendarmerie va rejoindre l’ar­
mée pour résoudre le problème. (...) Nous
avons besoin de ces armes pour liquider
tous les Tutsis ! »
On ne saurait être plus clair. Dans ses
commentaires qui accompagnent le pro­
noncé du verdict, le président de la cour l’a
bien compris. S’adressant au condamné, il
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déclare :
« Vous avez no­
tamment utilisé un
armement militaire, un
mortier et une mitrailleuse,
pour tuer des civils. C’était destiné à
ce qu’il n’y ait aucun survivant. »
La plaidoirie de Me Hector Bernardini,
avocat de Survie, enfoncera le clou. « On
comprend mieux aujourd’hui comment la
gendarmerie de Nyanza a probablement pu
bénéficier du soutien de l’un des 4 hélico­
ptères Alouette, gracieusement mis à la dis­
position de l’état­major de la gendarmerie
par la France (...) On comprend mieux com­
ment l’instruction stratégique et tactique
des gendarmes rwandais par certains ex­
perts français de la guerre contre­insurrec­
tionnelle, leur a permis de mener
l’extermination des Tutsis avec une si
grande efficacité… »
Les trois piliers de la guerre contre­insur­
rectionnelle théorisée par les Français et en­
seignée au haut commandement des forces
armées rwandaises nous donnent en effet le
modus operandi exact employé par le gou­
vernement génocidaire, les militaires et les
gendarmes.
Ils comprennent :
1. le déracinement et la concentration des
populations rurales dans des camps ;
2. l’armement des populations civiles et la
constitution de milices ;
3. les manipulations socio­psychologiques
et la propagande.

La propagande des extrémistes
hutus visait à amalgamer les Tutsis « de l’in­
térieur », de simples civils, aux combattants
du FPR venus « de l’extérieur » et enjoignait
par conséquent les Hutus à les tuer tous
avant qu’ils ne se fassent tuer eux­mêmes.
Comme l’a expliqué Me Bernardini, c’est
cette propagande « en miroir » qui fait le lit
du négationnisme, cette propagande qui
vise à diaboliser le FPR et glisse impercepti­
blement vers la théorie du « double géno­
cide » que la défense a savamment distillée
tout au long du procès, mais que la cour a
su identifier et déjouer au travers de son
verdict...
En novembre 2023 s’ouvrira à Paris le pro­
cès d’un autre accusé rwandais, le docteur
Sosthène Munyemana, accusé de crimes de
génocide dans la préfecture de Butare.
A quand un procès sur les responsabilités
de la France ?
Stéphanie Monsenego
et Laurence Dawidowicz

« POUR LA MÉMOIRE DES
VICTIMES, L’EXIGENCE DE
JUSTICE EST LA PREMIÈRE DE
LEURS ASPIRATIONS »
Maîtres Jean Simon et Hector Bernardini représentent l'association Survie respectivement
depuis 2011 et 2019, dans les procédures concernant des Rwandais accusés de crime de
génocide et de crime contre l'humanité, Maître Sarah Scialom les a rejoints cette année. Ils
ont donc été les avocats de Survie lors de 6 procès, tous concernant des faits qui se sont
produits en 1994, ce qui est à la fois bien tardif et bien peu. A l'occasion du procès de Phi­
lippe Hategekimana qui s'est tenu en mai­juin 2023 à Paris, nous les avons interrogés sur
leur travail en tant qu'avocats de parties civiles.
Pouvez­vous nous expliquer pourquoi
la justice française juge ces hommes et
pourquoi elle a tant tardé à le faire ?
Jean Simon : Si la justice française a pu
juger ces hommes (à ce jour seules deux
condamnations sont définitives et les autres
ne le sont pas encore pour avoir été frap­
pées d’appel par les accusés), c’est sur le
fondement juridique de la compétence uni­
verselle.
Cette compétence signifie qu’un État peut
poursuivre et juger un individu pour des
faits qui n’ont pas été commis sur son terri­
toire, par une personne étrangère à l’en­
contre d’une victime étrangère.
Il s’agit ici des infractions les plus graves :
le génocide et les crimes contre l’humanité.
Ces crimes imprescriptibles qui boule­
versent et touchent tout un chacun.
Malgré le temps pris par la France pour ju­
ger ces personnes, les décisions rendues
sont essentielles pour les victimes qui ré­
clament justice et luttent contre l’impunité
du génocide perpétré contre les Tutsi au
Rwanda d’avril à juillet 1994.
Hector Bernardini : Sur la lenteur de la
procédure, il faut bien reconnaître que les
moyens alloués aux autorités de poursuites
sont totalement insuffisants face à l’ampleur
de la tâche. On parle de dossiers qui exigent
que les enquêteurs spécialisés de l’Office
Central de Lutte contre les Crimes contre
l'Humanité (OCLCH), les juges d’instruc­
tion, leurs greffe et assistants spécialisés se
rendent sur place pour procéder à des audi­

tions, des constatations et des remises en si­
tuation. Le temps judiciaire est un temps
long.
Il n’y a actuellement que 3 juges d’ins­
truction pour environ une masse de 80 à
100 dossiers d’instruction. Du côté du par­
quet, ce n’est pas mieux. Nous n’avons pas
les chiffres exacts, mais pas plus d’une di­
zaine de procureurs pour les 200 dossiers
du pôle.
Concernant certains dossiers, les mau­
vaises langues diront que l’on n’a pas envie
qu’ils soient un jour jugés. Je pense à l’af­
faire Laurent Serubuga qui a vraisemblable­
ment passé des commandes d’armes aux
Français, eu recours à des mercenaires four­
nis par la France.
Je souhaite de tout cœur me tromper et
que les pouvoirs publics me fassent mentir !

j’ai lu et entendu au sujet de mon pays.
D’abord incrédule, puis on creuse. Les idées
font leur chemin et on se les approprie.
J.S. : J’avais 20 ans en 1994 et ne peux
m’empêcher de penser que je suis totale­
ment passé à côté d’un génocide d’une am­
pleur énorme. Et ce alors même qu’à Paris
et dans toute la France, des militants de Sur­
vie se battaient déjà. Mon engagement tra­
duit l’envie de leur dire que tout ce qu’ils
ont fait, que leurs années de combat et d’ab­
négation pour la justice et contre l’impunité,
n’ont pas servi à rien.

Quel sens a pour vous cet engagement
aux côtés d'une association partie ci­
vile ?

Vos plaidoiries reflétaient avec force les
luttes de l'association contre la França­
frique, contre la banalisation, la néga­
tion du génocide perpétré contre les
Tutsi au Rwanda en 1994, son refus de
l'impunité. Pourquoi avoir fait en­
tendre aux jurés cette histoire singu­
lière ?

H.B. : Pour ma part c’est d’abord une cu­
riosité professionnelle. On parle d’affaires
pénales qui mêlent l’histoire, la politique, la
diplomatie, les relations internationales, etc.
C’est absolument passionnant et très stimu­
lant sur le plan intellectuel.
Au fil de nos pérégrinations, notamment
avec les bénévoles de l’association et sur le
terrain au Rwanda, on a fait de belles ren­
contres humaines.
Après avoir accepté la proposition de Sur­
vie, je me suis informé. Et comme de nom­
breux bénévoles, j’ai été effaré par ce que

J.S. : Nous sommes évidemment sen­
sibles aux combats de l’association et savons
à quel point Survie a tout tenté avant le gé­
nocide, mais aussi pendant et bien évi­
demment après pour que ces thèmes
intègrent le débat public.
Nous jouons un rôle de porte­parole de
l’association et il nous semble important que
ces thèmes soient portés à l’audience en ce
qu’ils font à notre sens intégralement partie
des éléments de contexte qui aident à com­
prendre ce qui s’est passé sur cette période
au Rwanda et plus encore que l’opinion pu­
Billets d'Afrique 329 - été 2023

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blique puisse se saisir du rôle de la France
dans la réalisation de ce drame absolu.
H.B. : Depuis la publication du rapport
de la commission Duclert, et la reconnais­
sance par Emmanuel Macron du rôle acca­
blant joué par la France dans la commission
de ces faits, cela fait partie du récit histo­
rique, au même titre que la révolution ethni­
ciste de 1959 ou l’essor du mouvement
« Hutu Power » en réaction aux accords
d’Arusha…
Cette vérité historique, nous la devons
aux jurés et à la cour et dans une plus large
mesure, aux Français, aux rescapés et aux
proches parents des victimes.
Certains témoins de contexte ont fait
écho aux travaux de l'association Sur­
vie. Pourquoi avoir fait citer monsieur
Depaigne ? Monsieur Graner ?
H.B. : En ce qui concerne Vincent De­
paigne, il est l’un des seuls juristes à avoir
sérieusement réfléchi à l’imputabilité à la
France des crimes perpétrés au Rwanda.
Dans ce procès en particulier, prenant
l’exemple de l’affaire Papon ou en analysant
la jurisprudence du Tribunal de Nuremberg,
Depaigne a expliqué aux jurés comment on
pouvait passer de la responsabilité collective
(de la gendarmerie ou de l’État) à la respon­
sabilité individuelle (de l’accusé par
exemple) ainsi que les différentes formes
que pouvait prendre la participation à un
génocide (le spectateur approbateur, le su­
périeur hiérarchique, etc.).
Quant à François Graner, personne mieux
que lui ne pouvait décrire l’imbrication des
hiérarchies militaires rwandaises et fran­
çaises entre 1990 et 1994. Personne, pas
même Duclert. Les militaires ou des per­
sonnes comme Hubert Védrine auront tou­
jours une subjectivité, un rôle actif et des
partis pris politiciens qui leur feront faire des
contresens historiques. François Graner dis­
sèque les faits avec une rigueur scientifique.
Il nous a expliqué dans quelle mesure le
détachement (DAMI) avait pu contribuer à
la formation et à l’équipement des gen­
darmes rwandais, parmi lesquels l’accusé. Il
a été établi que l’accusé avait eu recours à
un mortier 60 mm et à un hélicoptère, les
deux équipements ayant vraisemblablement
été fournis et entretenus par la France. La­
quelle a aussi formé les Rwandais à leur ma­
niement…
C’est notamment l’usage de ce mortier
Billets d'Afrique 329 - été 2023

qui a permis de venir à bout des dernières
poches de résistance de réfugiés Tutsi à Ka­
rama et à l’ISAR Songa fin­avril 1994.
Le Professeur Josias Semujanga cité par le
Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda
(CPCR) est aussi revenu sur différents
thèmes chers à l’association Survie comme
la lutte contre la thèse nauséabonde du
« double génocide » qui a fait florès dans
l’opinion publique française, sous l’impul­
sion de la cellule Afrique de l’Élysée. Semu­
janga nous a rappelé la continuité entre le
discours de la Baule en 1990, le soutien au
gouvernement de Juvénal Habyarimana et le
discours de Biarritz en novembre 1994 dans
lequel François Mitterrand évoque « les gé­
nocides » au pluriel. Une vaste entreprise de
légitimation de l’intervention française…
En quoi le témoignage du général Var­
ret, entendu à la demande du pré­
sident de la cour d'assises, a­t­il pu
éclairer les jurés ?
J.S. : Le général Jean Varret est venu à
l’audience afin de confirmer mot pour mot
ce qu’il a affirmé dans son livre, notamment
sur le fait que des années avant la commis­
sion du génocide, le général Rwagafilita dès
1991 lui avait demandé la fourniture
d’armes lourdes afin d’exterminer les Tut­
si…
H.B. : Concrètement, le Président avait
fait citer le général Varret car un témoin (Au­
gustin Ndindilimana, ancien général chef
d’état­major de la gendarmerie rwandaise)
contestant le rôle de la gendarmerie dans la
perpétration du génocide avait dit à la barre
que Jean Varret avait menti car le lieutenant­
colonel Robardey avait dit que Jean Varret
avait menti…
« Personne n’avait jamais traité Jean Varret
de menteur », nous a­t­il dit avant de lire un
courriel reçu du lieutenant­colonel Robar­
dey qui démentait les propos de Ndindili­
mana.
De notre point de vue, ce qui était inté­
ressant, c’était d'insister sur les commandes
d’armes de guerre à la France par les chefs
militaires extrémistes rwandais.
Après le témoignage de François Graner
sur le soutien matériel, humain et logistique
apporté aux forces armées rwandaise, la pa­
role de Jean Varret est venue enfoncer le
clou.
J.S. : Le témoignage du général Jean Var­
ret (que personne n’a osé contester) est
donc éclairant à plusieurs niveaux en ce qu’il
démontre d’une part l’implication totale de
l’appareil étatique rwandais, de son armée
et de sa gendarmerie notamment, dans la
volonté génocidaire et d’autre part la par­
faite connaissance par la cellule élyséenne
de ce projet destructeur.
Vous avez également porté la voix d'un
grand nombre de parties civiles, per­
sonnes physiques ayant souffert de
l'action de Philippe Hategekimana,
vous les avez entendues, soutenues,
pouvez­vous nous dire ce que vous re­
tiendrez de ces moments et des jours
d'audience de ce procès ?
H.B. : Une grande souffrance, des plaies
encore béantes, mais surtout le courage et la
dignité de ces femmes et de ces hommes
venus nous raconter l’indicible, l’innom­
mable. Ils ont raconté leur calvaire, publi­
quement, parfois pour la première fois. Voir
leur parents mourir sous leurs yeux. Ils ont
décrit par le chapitre, des exactions pires
que la profanation : des hommes émasculés,
des femmes enceintes éventrés, les enfants
noyés dans des fosses septiques… Et pour­
tant les tueurs étaient des humains. Per­
sonne ne sort indemne d’un tel procès.
Vous emportez avec vous un peu de la noir­
ceur de ces crimes. Certains nous ont dit
avec beaucoup d’optimisme qu’écouter le
récit des autres, partager le sien, c’était un
peu leur thérapie.
J.S. : Je retiens aussi le fait que pour la
mémoire des victimes et la volonté des par­
ties civiles, l’exigence de justice est la pierre
angulaire et la première de toutes leurs aspi­
rations. Voir l’importance que ces décisions
ont pour nos parties civiles est révélatrice de
leur état d’esprit, la justice et non la ven­
geance, la reconstruction après la destruc­
tion.
Si le procès Hategekimana s’est déroulé
dans une relative indifférence de l’opinion
publique et des médias français, il a été très
suivi au Rwanda et en particulier à Nyanza
où beaucoup auraient souhaité assister aux
débats.
Propos recueillis par
Laurence Dawidowicz

NON-LIEU ANNULÉ DANS LE
DOSSIER BISESERO
La cour d’appel de Paris a annulé l’ordonnance de non­lieu rendue en septembre 2022 dans
le dossier Bisesero. Dans ce dossier concernant l’abandon de deux mille Tutsis à leurs
tueurs par l’armée française, fin juin 1994, la cour d’appel a constaté que l’ordonnance
n’avait pas été rendue dans les formes prévues par la loi. Elle ne s’est pas prononcée sur les
demandes de renvoi devant la cour d’assises de quatre officiers français.

Fin juin 1994, les soldats français de
l’opération Turquoise commencent à
pénétrer dans le sud­ouest du Rwan­
da, notamment dans la région de Kibuye.
Présentée officiellement comme une opéra­
tion humanitaire visant à mettre fin aux mas­
sacres, Turquoise poursuivait aussi un autre
but : empêcher l’avancée du Front Patrio­
tique Rwandais (FPR) et préserver le « pays
hutu ». C’est le 26 juin que des journalistes
informent des militaires français que le gé­
nocide se poursuit non loin de là, à Bisese­
ro. Le 27 juin, un détachement aux ordres
du capitaine de frégate Marin Gillier prend
position à Gishyita, à quelques kilomètres à
vol d’oiseau de Bisesero. En fin de matinée,
Gillier observe le départ d’une centaine
d’hommes armés, la plupart en civil, vers Bi­
sesero, puis l’attaque qu’ils mènent à cet en­
droit. Dans son compte rendu quotidien à
son supérieur, le colonel Rosier, chef des
forces spéciales de Turquoise, Gillier parle
de « combats » et non de massacres, malgré
les informations reçues la veille de la part
des reporters.
Au début de l’après­midi du 27 juin, une
patrouille commandée par le lieutenant­co­
lonel Duval se rend à Bisesero, apparem­
ment sans en informer Gillier. Un survivant
tutsi, Éric Nzabihimana, force les Français à
s’arrêter. Une centaine de Tutsis dans un
état de dénuement extrême, certains bles­
sés, viennent alors à leur rencontre. Ils
disent être deux mille, disséminés sur les
collines. Duval repart en les laissant sans
protection, leur conseillant de retourner se
cacher en attendant le retour des Français
« dans deux ou trois jours ». Le soir, il rend
compte au colonel Rosier, par téléphone et
par fax. Plus tard, ce même 27 juin, le géné­
ral Lafourcade, commandant l’opération
Turquoise, envoie un compte­rendu à l’ami­
ral Lanxade, chef d’état­major des armées,
dans lequel il décrit les Tutsis de Bisesero
pas porté secours aux Tutsis. Si cette absten­
non comme des « éléments FPR infiltrés »
tion est volontaire, elle constitue une com­
mais comme des « Tutsis ayant fui les mas­
plicité de génocide et non une simple
sacres d’avril et cherchant à se défendre sur
non­assistance à personne en péril.
place ». Cela n’empêche pas le général La­
En juillet 2018, les juges d’instruction in­
fourcade de prendre le risque de « ne rien
diquaient aux plaignants rwandais et aux as­
faire et laisser se perpétrer des massacres
sociations parties civiles leur intention de
dans notre dos ». Durant trois jours, rien
clore le dossier, avant de refuser, en no­
n’est mis en œuvre pour secourir ces survi­
vembre 2018, les ultimes demandes d’actes
vants tutsis dont la situation est pourtant re­
déposées. La balle est alors dans le camp du
latée de manière répétée dans les
parquet de Paris, qui tarde à rendre son ré­
documents militaires français1 et dans la
quisitoire définitif. Lorsque le rapport Du­
presse (RFI le 28 juin, Le Figaro
clert est rendu public,
i cette abstention en mars 2021, les plai­
et Libération le 29 juin).
Le 30 juin, les commandos de
gnants rwandais et les
est volontaire,
marine de Gillier traversent Bise­
elle constitue une parties civiles de­
sero pour se rendre 20 km au­
mandent le 22 avril
complicité de
delà, sans instructions de porter
2021 son versement au
génocide
et
non
secours aux Tutsis. C’est l’élé­
dossier. Six jours plus
une simple non­
ment de queue de ce détache­
tard, le 28 avril, le par­
assistance à
ment, formé de militaires du
quet rend son réquisi­
13ème Régiment de Dragons Pa­
personne en péril. toire aux fins de
rachutistes et de gendarmes du
non­lieu. Le lendemain,
GIGN – dont l’adjudant­chef
il indique que la de­
Thierry Prungnaud ­ qui, averti par des jour­
mande de versement du rapport Duclert au
nalistes, prend l’initiative d’aller à leur ren­
dossier est irrecevable car intervenant plus
contre. Cette fois, les militaires français
de trois mois après la signification de la clo­
restent avec les survivants et préviennent
ture de l’instruction intervenue le 27 juillet
Gillier, qui revient sur les lieux et découvre
2018 (art. 175 du code de procédure pé­
la réalité du génocide. Il avertit alors le colo­
nale).
nel Rosier, qui déclenche les secours.
Face à l’insistance des plaignants rwan­
dais, de Survie, de la Ligue des Droits de
La procédure
l’Homme (LDH) et de la Fédération interna­
pénale malmenée
tionale des droits humains (FIDH), les juges
Ouverte en 2005, l’instruction vise à dé­
d’instruction décident finalement d’exploi­
terminer si des militaires français se sont
ter le rapport Duclert. Un assistant spécialisé
rendus coupables de complicité de géno­
rend une note de synthèse du rapport le 23
cide par abstention. Mandatés par l’Organi­
juin 2022. Les plaignants et les associations
sation des Nations Unies pour mettre fin aux
massacres, si besoin en utilisant la force, et
1. Cf. Benoît Collombat, « Rwanda : les documents qui
accusent la France », France Inter, 30 novembre 2015.
informés à partir du 27 juin 1994 sans dis­
https://www.franceinter.fr/monde/rwanda­les­docu­
continuer de la poursuite du génocide à Bi­
ments­qui­accusent­la­france
sesero, les militaires français n’ont pourtant

S

Billets d'Afrique 329 - été 2023

DOSSIER

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DOSSIER

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parties civiles saluent alors la réouverture de
l’instruction, avant de recevoir comme une
douche froide, début septembre 2022, l’or­
donnance de non­lieu des juges d’instruc­
tion.
C’est sur la régularité de cette ordon­
nance de non­lieu que la chambre de l’ins­
truction de la cour d’appel de Paris s’est
prononcée dans son arrêt du 21 juin 2023.
Elle a jugé que les magistrats instructeurs
avaient bel et bien rouvert le dossier en dé­
cidant d’exploiter le rapport Duclert, et
qu’ils ne pouvaient par conséquent pas
rendre d’ordonnance de cloture sans signi­
fier préalablement et à nouveau aux parties
leur intention de clore. Ce non respect de
l’article 175 du code de procédure pénale
entraine la nullité de l’ordonnance rendue
le 6 septembre 2022. Le dossier est donc
renvoyé aux juges d’instruction.
Les faits sont têtus
Selon les magistrats instructeurs, l’exploi­
tation du rapport Duclert n’a pas produit de
résultat significatif, argument supplémen­
taire en faveur du non­lieu. Or la commis­
sion d’historiens confirme au contraire deux
faits majeurs, déjà établis par le dossier
d’instruction, qui montrent que des respon­
sabilités pénales sont à rechercher à Paris.
Tout d’abord, le rapport Duclert établit clai­
rement que le général Lafourcade ne bénéfi­
ciait pas de l’autonomie de décision
opérationnelle dont les juges le créditent,
mais suivait au contraire les instructions pré­
cises du chef d’état­major des armées, l’ami­
ral Lanxade, et de son adjoint, le général
Germanos. L’audition de ces deux officiers
généraux, demandée en 2017, avait été refu­
sée par les juges au motif que les ordres
concernant Bisesero ne remontaient pas au­
delà du commandant de la Force Turquoise.
Le rapport Duclert souligne ensuite le
rôle majeur de l’état­major particulier du
président Mitterrand tout au long de la crise
rwandaise. Ce service a, selon la commission
d’historiens, endossé « des responsabilités
non seulement de conseil du président,
mais aussi opérationnelles ». Tout laisse pen­
ser que le général Quesnot, chef de l’état­
major particulier en 1994, est intervenu au
moment de Bisesero. Le général Lafourcade
a en effet déclaré aux magistrats instructeurs
que, le 29 juin 1994, le chef des forces spé­
ciales de Turquoise, le colonel « Rosier a une
lourde responsabilité politico­diplomatique
et militaire. Il a le président de la Répu­
blique sur le dos ».
Billets d'Afrique 329 - été 2023

Par ailleurs, et surtout, le rapport Duclert
lier, a lui aussi alimenté cette désinformation
ne fait à aucun moment mention d’un ordre
à destination des journalistes dès le soir du
de porter secours aux Tutsis de Bisesero.
27 juin, parlant de 1 000 à 2 000 hommes du
L’ordre donné pour le 30 juin au capitaine
FPR présents sur les hauteurs de Bisesero.
de frégate Giller est de
En outre, bien qu’in­
e rapport Duclert sou­
se rendre au­delà de Bi­
formé dès le 27 juin de
ligne
ensuite
le
rôle
sesero à la rencontre
l’extermination
en
d’un prêtre français,
cours à Bisesero, il n’a
majeur de l’état­major
pas de secourir les Tut­
particulier du président donné aucun ordre de
sis. Cette absence
Mitterrand tout au long secourir les survivants
d’ordre de porter se­
tutsis avant le 30 juin.
de la crise rwandaise.
cours alors qu’à la date
Enfin, Jean­Claude
Ce service a, selon la
du 30 juin, l’extermina­
Lafourcade, comman­
commission d’histo­
tion en cours à Bisese­
dant la Force Tur­
riens, endossé « des res­ quoise, a indiqué à
ro est parfaitement
connue de la hiérarchie
l’amiral Lanxade dès le
ponsabilités non
militaire a conduit les
seulement de conseil du 27 juin dans la soirée
plaignants rwandais,
qu’étaient selon lui
président, mais aussi
Survie, la LDH et la
présents à Bisesero
opérationnelles ».
FIDH a demander le
des Tutsis ayant fui les
renvoi devant la cour
tueries, réfugiés là
d’assises de quatre officiers français pour
pour se défendre. Lafourcade n’a pas pour
complicité de génocide par abstention.
autant donné l’ordre de leur venir en aide,
et ce alors qu’il était conscient du risque de
Renvoi devant
laisser se perpétrer des massacres dans le
la cour d’assises
dos des Français.
Il apparaît en effet démontré, au vu du
Et maintenant ?
dossier d’instruction, que Jean­Rémi Duval
a, le 27 juin 1994, abandonné une centaine
Il est vraisemblable que les juges d’ins­
de Tutsis qui lui demandaient de les proté­
truction, à qui le dossier a été renvoyé par la
ger ou de les emmener avec lui, en leur di­
cour d’appel, se contenteront de le fermer
sant de se cacher pendant deux ou trois
dans les formes, sans réaliser de nouveaux
jours en attendant le retour des Français.
actes d’enquête. Il est donc à prévoir que le
Pourquoi cette phrase ? Pourquoi Duval n’a­
dossier restera en l’état jusqu’à une nouvelle
t­il pas rendu compte par radio alors qu’il
audience devant la cour d’appel, dans
était sur place à Bisesero afin de déclencher
quelques mois, pour contester le non­lieu,
l’opération de sauvetage ? Pourquoi n’a­t­il
cette fois sur le fond.
pas conduit les Tutsis à Gishyita où le déta­
Pourtant, au­delà des charges suffisantes
chement Gillier était cantonné ? Ces ques­
pour renvoyer dès maintenant MM. Duval,
tions font partie des zones d’ombre du
Gillier, Rosier et Lafourcade devant la cour
dossier. Même si, de retour à Kibuye, Duval,
d’assises, des questions lourdes subsistent,
très certainement bouleversé par ce qu’il
notamment quant aux responsabilités éven­
avait vu, a alerté son supérieur le colonel
tuelles des décideurs parisiens. L’audition de
Rosier, son abstention initiale de porter se­
MM. Lanxade, Quesnot et Germanos s’im­
cours a eu des conséquences tragiques.
pose donc. En outre, des documents mili­
Marin Gillier, pour sa part, observait sans
taires dont la déclassification a été refusée
intervenir les attaques sur Bisesero depuis
aux juges d’instruction ont pu être consultés
Gishyita, à quelques kilomètres à vol d’oi­
par la commission Duclert. Certains d’entre
seau. Selon des témoins rwandais, les tueurs
eux concernent les forces spéciales de Tur­
qui partaient de Gishyita pour Bisesero pas­
quoise, qui sont les protagonistes directs de
saient sans encombre les points de contrôle
l’abandon des Tutsis de Bisesero. Ces docu­
des militaires français, pendant que Gillier
ments apporteraient­ils des informations
expliquait à la presse que les massacres en
nouvelles s’ils étaient versés au dossier ?
cours à Bisesero étaient des combats entre
des éléments FPR infiltrés, d’une part, les
Raphaël Doridant
forces gouvernementales et les milices,
d’autre part.
Jacques Rosier, supérieur de Duval et Gil
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024