Fiche du document numéro 34356

Num
34356
Date
Octobre 2023
Amj
Fichier
Taille
6061995
Pages
12
Titre
Billets d'Afrique No. 331
Nom cité
Lieu cité
RDC
Mot-clé
Cote
No 331
Source
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
SALVES

NÉGATIONNISME EN RDC

APOCALYPSE CONGO II
La sortie du dernier livre du négationniste Charles Onana est l’occasion de revenir sur
l’histoire récente de la RDC. Deuxième partie dans ce numéro.
e Zaïre en 1994 est un pays en
déliquescence qui sombre dans la
tourmente à la suite du génocide des
Tutsi au Rwanda d’avril à juillet 1994. Ce que
nie Onana, rappelons­le. La chute du régime
génocidaire, vaincu par le FPR (Front Patrio­
tique Rwandais), sous le commandement de
Paul Kagame, est suivie par un déferlement
de fuyards, armée en déroute, dirigeants et
population confondus, un million et demi de
personnes se retrouvent massées à l’est du
Zaïre dans des camps de réfugiés.

L

De Mobutu à Kabila
L’attaque de ces camps, en 1996, au sein
desquels se préparait le réarmement des
troupes génocidaires, contraint 700 000
personnes à retourner au Rwanda. Voilà qui
contredit l’assertion d’Onana selon laquelle
Kagame avait organisé « l’expulsion de la
population Hutu, majoritaire au Rwanda, en
la forçant à prendre le chemin de l’exil »1. Le
reste des réfugiés se dispersent dans la forêt
zaïroise où ils vont disparaître, soit
pourchassés, soit de faim. Les attaquants sont
des militaires du FPR renforcés de
combattants de mouvements d’opposition à
Mobutu, constituant l’AFDL, Alliance des
Forces Démocratiques pour la Libération du
Congo. Le vétéran de la rébellion de 1963­
1965, Laurent­Désiré Kabila qui a tenu un
maquis résiduel dans les montagnes du Sud­
Kivu jusqu’en 1985, se retrouve, fin 1996, à la
tête de l’AFDL. Accueilli triomphalement par
la population, il atteint Kinshasa le 17 mai
1997 sans coup férir. Mobutu a déjà pris la
fuite et Kabila est proclamé Président de la
République Démocratique du Congo.
Laurent­Désiré Kabila ne sera pas le Mao
Zedong du Congo qu’il ambitionnait d’être.
Les « parrains » du Congo, USA, Belgique,

France ne sauraient le tolérer et il lui manque
l’essentiel : une armée. Il n’a que son nom.
Son pouvoir autoritaire, nationaliste,
léniniste,
est
critiqué
comme
« anachronique » par la presse occidentale.
Quand, en 1998, il prétend imposer à ses
alliés rwandais et ougandais un go home de
fin de partie, il voit se former contre lui, au
Kivu, la rébellion du RCD (Rassemblement
Congolais pour la Démocratie). Après avoir
échappé à plusieurs complots, il est abattu
par un de ses gardes du corps le 16 janvier
2001, ironie de l’histoire, quarante ans
exactement après Lumumba, « dans des
circonstances non élucidées » puisque
l’assassin est lui­même promptement
assassiné. La presse occidentale2 applaudit
l’élimination de celui que Che Guevara
décrivait comme « le seul homme qui a
d’authentiques qualités de dirigeant de
masse »3. Pas de chance pour le Cogo. On
installe à sa place le falot, docile mais rapace
Joseph Kabila, nouvelle façade de
l’impuissance de l’État congolais.

au Congo est un phénomène ancien. Onana
consacre tout un chapitre de son livre4 à nier
cette ancienneté. Il cite un mémoire de
parlementaires du Sud­Kivu datant de 1996
selon lequel la population Banyamulenge
aurait été installée par le HCR à Mulenge en
1959 et en 1962. Il y a certes dans les années
1960 l’arrivée de réfugiés Tutsi rwandais au
Kivu fuyant le régime Hutu installé au pouvoir
lors de l’indépendance. Il ne faut pas les
confondre avec les éleveurs rwandais qui
auraient « selon la majorité des spécialistes de
la région » fondé le village de Mulenge au Sud
d’Uvira, dans les années 18505. Cette
population isolée est pratiquement oubliée
dans l’histoire du Congo­Zaïre jusqu’à
l’arrivée des réfugiés des années 1960. La
rébellion muléliste règne à Uvira en 1962.
Certains jeunes Tutsi, comme bien d’autres
jeunes issus des ethnies autochtones,
s’engagent dans l’APL (Armée Populaire de
Libération), ce que Onana ne manque pas
d’interpréter comme la main du complot
Tutsi.

La guerre de tous
contre tous

Instrumentalisations
ethniques

Depuis trente ans maintenant, les groupes
armés ravagent l’Est du Congo, martyrisant et
massacrant les populations civiles. Pour
Onana, une seule cause : Kagame, les Tutsi,
les Banyamulenge ; 500 pages de
ressassement obsessionnel appuyé sur des
assertions telles que « un diplomate qui a
requis l’anonymat », ou « rapport confidentiel
consulté par l’auteur », pour enfoncer
d’ailleurs des portes ouvertes. Si le livre
d’Onana est consacré aux seules milices
émanant du Rwanda, il consiste plus en
diatribes répétitives qu’en relation précise
des événements.
La présence d’une population rwandaise

Dans les années 1930, les colons belges ont
installé au Kiwu des Hutu rwandais comme
travailleurs dans leurs plantations et leurs
mines. Dans les années 1960, des Tutsi
rwandais cherchent refuge dans le Nord­Kivu
où ils trouvent des pâturages pour leurs
troupeaux. L’ensemble de cette diaspora est
désigné sous le nom de Banyarwanda. Leurs
représentants sont Hutu, implantés de
longue date. Leur nombre est bientôt si
important et leur influence grandissante – ils
seront même majoritaires en certains
endroits du Nord­Kivu ­ que les Congolais les
soupçonneront de vouloir instaurer un
Hutuland au Kivu6 sous forme d’une province

1 C. Onana : Holocauste au Congo p. 39
2 https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/01/17/laurent­desire­kabila­faux­liberateur­vrai­despote
3 Passages de la guerre révolutionnaire, p. 248
4 Holocauste au Congo : Les « Banyamulenge » ou l’histoire fabriquée du Kivu, p. 243 ­ 281
5 Jean­Claude Willame : Banyarwanda et Banyamulenge, violences ethniques et gestion de l’identitaire au Kivu; Cahiers africains n° 25, 1997. Institut africain CEDAF Bruxelles ;
L’Harmattan, Paris. p. 78 ­ 79
6 id. p. 50 ­ 51

Billets d'Afrique 331 - octobre 2023

SALVES

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autonome au Kivu central. Ce point échappe
totalement à Onana. Mobutu instrumentalise
la présence des Rwandais, les favorisant, en
1972, quand il veut amoindrir la puissance
des ethnies du Kivu qui lui sont hostiles,
restreignant leurs droits, en 1978, quand ils
deviennent eux­mêmes trop puissants. Mais
malgré les frustrations, ressentiments et
revendications des uns et des autres,
autochtones et immigrés coexistent tant bien
que mal au Zaïre. L’irruption des
conséquences du génocide des Tutsi du
Rwanda accompli par le gouvernement
intérimaire des extrémistes Hutu d’avril à
juillet 1994 va engendrer au Kivu, sur le
territoire d’un État zaïrois à la dérive, un
interminable déchaînement de violences
indescriptibles
faisant
d’innombrables
victimes. Tous les acteurs rivalisent de
cruauté. On peut en distinguer quatre
catégories là où Onana n’en voit qu’une seule.
Pas une seule phrase dans son livre sur les
FDLR (Front Démocratique de Libération du
Rwanda). Cette milice constituée d’abord des
ex­FAR Hutu rwandais, armée génocidaire
ayant fui le Rwanda en 1994, se maintient par
les armes dans certaines parties du Kivu,
rencontrant parfois (Masisi, Walikalé) une
certaine tolérance dans la population, où se
trouvent de nombreux Hutu congolais arrivés
dans les années trente du vingtième siècle.
Par contre, dans le territoire de Walungu, les
bandes FDLR se sont livrées aux pires
violences contre la communauté des Bashi
pour s’emparer de leurs terres7. Des
opérations ont été menées en 2009
conjointement par la RDC, le Rwanda et la
MONUC pour désarmer les FDLR avec un
« succès mitigé »8. Elles ont été marquées par
des crimes contre l’humanité commis tant par
les FDLR que par les FARDC (Forces Armées
de la République Démocratique du Congo) et
leurs alliés.

Ingérence rwandaise
Le deuxième acteur est le Rwanda. Kagame
revendique le droit d’intervenir sur le
territoire du Congo par la présence des

opposants armés à son régime qui s’y
trouvent, ce qui n’inclut pas l’impunité pour
les crimes contre l’humanité commis à cette
occasion. En 1996, l’AFDL, composée de
soldats de l’APR (Armée Patriotique Rwandai­
se) et d’opposants congolais à Mobutu, prend
d’assaut les camps de réfugiés Hutu (voir
supra) au prix de nombreuses victimes
indistinctement
désignées
comme
génocidaires. Quand Laurent Kabila
« remercie » ses alliés rwandais et ougandais,
ceux­ci soutiennent la formation du RCD­
Goma (Rassemblement congolais pour la
Démocratie) par des Tutsi congolais pour
lutter contre lui. Ce groupe armé commet de
graves exactions notamment en 2002 à
Kisangani9. En 2003 un accord de paix amène
le RCD à un « mixage » de ses combattants
avec l’armée congolaise. C’est alors que
Laurent Nkunda, ancien combattant de l’APR,
de l’AFDL puis du RCD­Goma, devient
général de l’armée congolaise. Dès 2004, il
prend le maquis au Nord­Kivu et se signale
par les violences lors de la prise de Bukavu en
juin 2004. En 2006, il fonde le Congrès
national pour la défense du peuple (CNDP).
Les crimes commis par ce groupe armé
amènent Kagame à l’exfiltrer, lors d’un accord
de paix avec Joseph Kabila en 2009. Cet
accord intègre à nouveau les troupes du
CNDP dans l’armée congolaise. En 2012, un
groupe d’officiers issus de ces troupes se
mutine et crée le M23 qui occupe les collines
au nord de Goma. Depuis novembre 2022,
les violences ont redoublé, contraignant à
l’exode la population civile10.
Le troisième groupe d’acteurs est constitué
par les multiples milices d’autodéfense
locales souvent dénommées Maï Maï par
référence à la rébellion muléliste des Simbas
en 1963­1965, dont c’était le cri de
ralliement11. Dispersées, ces milices, censées
défendre les populations locales, se livrent à
de cruelles exactions pour le contrôle des
sites miniers. Composées de combattants
souvent très jeunes, elles n’ont pas de peine à
recruter par l’attrait du sentiment de
puissance que donne une arme, même

7 Jean­Claude Willame La guerre du Kivu p. 59
8 www.hrw.org/fr/report/2009/12/13/vous­serez­punis/attaques­contre­les­civils­dans­lest­de­la­rd­congo
9 www.hrw.org/legacy/french/press/2002/kisangani0820­fr.htm
10 www.hrw.org/fr/news/2023/06/13/rd­congo­meurtres­et­viols­commis­par­les­rebelles­du­m23­soutenus­par­le­rwanda
11 www.dw.com/fr/aux­origines­des­ma%C3%AF­ma%C3%AF/a­39351953
12 www.cairn.info/revue­politique­africaine­2001­4­page­103.htm
13 www.lalibre.be/international/2017/02/20/rdc­crime­de­guerre­de­larmee­congolaise­au­kasai
14 news.un.org/fr/story/2022/08/1125782

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rudimentaire, et par l’alternative enviable au
statut de « creuseur » esclave, réservé aux
jeunes dans la misère12.

Une guerre de pillage
Le quatrième acteur est l’armée congolaise
elle­même, qui tient plus de la bande armée
que d’une institution nationale de défense.
Son premier patron, Mobutu, a été le
destructeur de l’État du Congo. Quand le
régime a été attaqué, ce sont les « parrains »,
Américains, Belges et Français qui l’ont sauvé,
les FAZ (Forces armées zaïroises) achevant le
travail par des destructions et des massacres.
Cela n’a guère changé avec les FAC ou les
FARDC, dont l’activité consiste plus à
racketter la population qu’à la défendre et qui
participent aux trafics et aux atrocités13.
Ce qui alimente les guerres interminables,
c’est l’exploitation des ressources du Congo,
donc le combat pour le contrôle et
l’occupation des sites miniers. Au tournant du
deuxième millénaire, l’explosion mondiale de
l’usage des PC et des téléphones mobiles a
multiplié à l’infini les besoins en coltan, dont
la moitié des gisements mondiaux se trouve
dans l’est de la RDC. La coïncidence de cette
circonstance planétaire avec l’éclatement des
conflits locaux a surgi dans un pays, le Congo,
qui n’a jamais connu que les trafics en fait
d’économie. Sous Mobutu, une infime partie
du commerce était régulé par l’État. Le Kivu a
plongé dans l’apocalypse, avec ses quatre
cavaliers : la Guerre, la Faim, la Maladie
(irruption de foyers d’Ebola)14, la Bestialité
(viols, tortures).
Le livre d’Onana brille par l’absence de tout
ce qui peut un tant soit peu éclairer la
tragédie de l’est de la RDC : le funeste
héritage de Mobutu, la multiplicité des
acteurs et l’opportunité de la ruée sur des
ressources convoitées, qui rend l’être humain
pire que la bête la plus sanguinaire.
Odile Tobner
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024