Fiche du document numéro 34305

Num
34305
Date
Mercredi 8 mai 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
1518849
Pages
2
Urlorg
Titre
À la Cartoucherie, « Une saison de machettes » sobre et puissante
Sous titre
Dominique Lurcel met en scène le texte de Jean Hatzfeld consacré à la parole des tueurs du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda, en 1994. Une représentation qui plonge le spectateur dans une réalité sidérante, à voir jusqu'au 12 mai.
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Adaptée du livre éponyme de Jean Hatzfeld, « Une saison de machettes » donne à entendre les voix d’une bande d’amis, une dizaine de camarades qui racontent avec la plus grande franchise leur vie de génocidaire. Compagnie Passeurs de mémoires

Se confronter à la parole simple, sans artifice, aux mots nus des hommes et des femmes ordinaires qui, au Rwanda, ont participé à l'extermination de leurs voisins pour la seule raison qu'ils étaient tutsis : 1 million de morts en trois mois pendant le printemps 1994. C'est le projet et c'est l'expérience que propose le metteur en scène Dominique Lurcel dans cette pièce qui n'est en rien un spectacle au sens habituel du terme, mais plutôt une exposition, un dévoilement de la nature meurtrière de l'homme en tant qu'il est un homme.

Adapté du livre du même nom de Jean Hatzfeld, Une saison de machettes donne à entendre les voix d'une bande d'amis, une dizaine de camarades qui racontent avec la plus grande franchise leur vie de génocidaire. Jean Hatzfeld les avait rencontrés en prison, au Rwanda. Les uns se fréquentaient à la chorale paroissiale, les autres autour du stade et de leur goût pour le football, ils se voyaient au café, dans la rue, au champ. Ils expliquent comment ils ont basculé dans le meurtre, comment ils s'y sont pris pour chasser et tuer les Tutsis, ce qu'ils en retiraient. Tuer n'est pas si difficile, adhérer à une extermination de masse et l'exécuter massivement peut se faire tout tranquillement, nous disent ces témoins qui ne sont pas des monstres mais nos voisins.

Un dispositif sobre



Au début de la représentation, les acteurs -- ils sont quatre --, installés dans la salle, se lèvent des rangs des spectateurs, l'un après l'autre, nous introduisant dans cette réalité troublante du voisinage. Puis ils s'adossent à un mur et poursuivent, chacun à leur tour, le récit de leur participation au génocide. Les témoignages sont ponctués d'une virgule musicale, une respiration interprétée par le contrebassiste Yves Rousseau. Mise en scène sobre, décor épuré, les mots des tueurs sont devant nous, ils sont dits pour nous. « Il y a ceux qui chassaient moutonnement, ceux qui chassaient férocement, dit l'un d'eux. Ceux qui chassaient lentement parce qu'ils étaient apeurés ; ceux qui chassaient lentement parce qu'ils étaient paresseux ; ceux qui cognaient lentement par méchanceté et ceux qui cognaient vite, pour terminer le programme et pour rentrer plus tôt. »

On les écoute, silencieusement. Ils nous conduisent dans les lieux obscurs de notre humanité. Ils nous parlent de leurs victimes, mais aussi de la joie, de Dieu, du pardon, de l'après. Qu'allons-nous faire de cette plongée dans l'horreur, de ces mots dits sans passion ? Que peut-on en faire ? À chacun de répondre. La pièce, cependant, ne se dérobe pas aux questions qu'elle soulève. À l'issue de chaque représentation, Dominique Lurcel accompagné d'un spécialiste du génocide perpétré contre les Tutsis, historien, journaliste, écrivain, fait face aux interrogations et aux interpellations des spectateurs. Et à chaque fois, deux questions hantent ce dialogue libre et improvisé : « Pourquoi ? » et « Comment ? »

Une saison de machettes, jusqu'au 12 mai. Théâtre de l'Épée de bois à la Cartoucherie (Paris 12e), Rens. : www.epeedebois.com
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024