Fiche du document numéro 34161

Num
34161
Date
Dimanche 7 avril 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
700047
Pages
3
Urlorg
Titre
Le Rwanda, avant et après le génocide, en deux documentaires
Soustitre
Il y a trente ans, un million de Tutsis étaient exterminés en trois mois au Rwanda. Le dernier génocide du XXe siècle a été d'une fulgurance inouïe. Deux documentaires d'une grande force lui sont consacrés cette semaine, le premier diffusé ce dimanche 7 avril à 21 heures sur France 5, le second mercredi 10 avril à 0 h 35 sur Arte.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Image du documentaire Une des mille collines, diffusé sur sur Arte mercredi 10 avril à 0 h 35. Dans ce film enquête d’une grande sensibilité, l’auteur s’est intéressé avec un immense respect au sort de trois enfants tués sur une colline du Rwanda, pendant le génocide, par les gens de leur village. Bernard Bellefroid

Le 6 avril 1994, le président rwandais Juvénal Habyarimana revient à Kigali, après une réunion régionale en Tanzanie au cours de laquelle il a été poussé par la communauté internationale à accepter le partage du pouvoir avec les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR). Dans son entourage, les extrémistes ne veulent pas de cette évolution. Alors qu'il est sur le point d'atterrir, son avion est abattu par un missile. Aussitôt sa mort connue, les extrémistes s'emparent du pouvoir, éliminent les Hutus de l'opposition et déclenchent le génocide contre les Tutsis. En trois mois, ils réussissent à exterminer un million de personnes avant d'être défaits par le FPR. Cette épouvantable catastrophe n'était en rien spontanée.

Un génocide sophistiqué



Planifié, intelligemment préparé -- avec des répétitions locales --, le dernier génocide du XXe siècle a une histoire. Michael Sztanke et la journaliste de Libération Maria Malagardis (1) la racontent admirablement bien dans Rwanda, vers l'apocalypse (2). Leur souci d'être clairs et pédagogiques n'enlève rien à la puissance de leur propos. Mêlant des entretiens avec des témoins de premier plan comme le président rwandais Paul Kagame, le général Jean Varret, les récits des victimes et les analyses de spécialistes, ils montrent comment une petite élite autour de la femme du président rwandais, Agathe Habyarimana, a transformé ce pays en un immense abattoir pour les Tutsis.

« Les gens qui organisent le génocide sont de grands intellectuels, rappelle le journaliste Jean-François Dupaquier, avec une préparation minutieuse, tirée de l'expérience hitlérienne. » Le rôle des médias dans la préparation et l'exécution de ce crime de masse a été essentiel. Le film donne la parole à Valérie Bemeriki, l'une des voix les plus connues des médias de la haine, la Radio des Mille Collines. Elle explique, dans une séquence saisissante, comment elle appelait à l'élimination des « cancrelats », autrement dit des Tutsis, en direct, sur les ondes de cette radio privée fondée par des proches d'Agathe Habyarimana.

Le rôle de la France



Michael Sztanke et Maria Malagardis abordent aussi le rôle de la France dans cette catastrophe : central, puisqu'elle a été la protectrice des architectes du génocide. Le lien entre les deux pays, rappelle le film, est incarné par l'amitié que se portent les deux présidents François Mitterrand et Juvénal Habyarimana. Un lien singulier qui se manifeste par un soutien militaire, diplomatique, économique de la part de la France pour son protégé à qui elle passe tout. Malgré les alertes qui remontent du terrain, la nature du régime qui est connue, les crimes et les exactions qu'il ordonne ou qu'il couvre.

Une alliance qui se poursuit avec le régime extrémiste qui commet le génocide. Ce n'est qu'en 2021 que le chef de l'État Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité lourde et accablante de la France dans le génocide des Tutsis. Et il a fallu attendre ce dimanche 7 avril 2024 pour que le président français admette ce que tout le monde sait au Rwanda depuis trente ans : « La France aurait pu arrêter le génocide » mais « n'en a pas eu la volonté ».

Requiem pour trois enfants



Du génocide des Tutsis, il en est aussi question dans Une des milles collines de Bernard Bellefroid. Dans ce film-enquête d'une grande sensibilité, l'auteur s'est intéressé avec un immense respect au sort de trois enfants tués sur une colline du Rwanda, pendant le génocide, par les gens de leur village. Le film s'ouvre sur les appels au meurtre de la Radio Mille Collines. Des mots d'ordre glaçants, sans doute ceux lancés par la même Valérie Bemeriki, encourageant les auditeurs à tuer les serpents et les cafards. Réduits à être des insectes et des animaux nuisibles, rien de plus facile que de tuer les Tutsis, même les enfants.

Et de tout faire pour que rien ne reste d'eux. C'est ce qui est arrivé à Olivier, Fidéline et Fiacre, âgés respectivement de 10, 5 et 4 ans. Toutes les traces de leur existence ont été effacées, il ne reste rien d'autre de leur vie sur cette colline que les souvenirs de ceux qui les ont aimés et de ceux qui les ont tués. Pour que le processus d'anéantissement qu'est un génocide n'arrive à pas son terme, Bernard Bellefroid a cherché à savoir ce qui leur était arrivé.

Contre l'anéantissement



Écoutant les voisins, les tueurs, leurs amis de l'époque, leur ange gardien qui a essayé de les sauver, il parvient à s'approcher de la vérité. Après que leur maison a été attaquée, leurs parents leur ont demandé de se cacher dans la forêt. Livrés à eux-mêmes, ils finissent par être accueillis par une proche, Marguerite, qui tente de les protéger contre les tueurs. Mais rien n'y a fait, ils ont fini par être massacrés. Trente ans plus tard, Marguerite est restée inconsolée. Un tueur a avoué avoir participé à leur mise à mort et semble vivre très bien, après avoir purgé sa peine de prison. Dans ce village, la mémoire, la justice, la vérité, le mensonge, la manipulation, la douleur, la perte et la mort s'entremêlent pour parvenir à une forme d'impasse.

Sur une autre colline, un tueur a demandé pardon aux parents des enfants qu'il a tués. Cette fois, parce que sa démarche semble sincère, quelque chose d'essentiel s'est joué pour les parents, du moins pour le père, Jean d'Amour, qui est parvenu à lui accorder son pardon. Une scène bouleversante qui raconte le contraire de ce qui se joue toujours sur la colline d'Olivier, Fidéline et Fiacre. Ce film magnifiquement écrit par Bernard Bellefroid réussit, contre le projet des tueurs, à leur donner à nouveau une place parmi les vivants : une silhouette, une présence, des visages, à l'image de leurs portraits, qu'un dessinateur a établis selon les indications de ceux qui les ont connus. Trois beaux visages ressuscités de l'anéantissement par l'auteur du film.

(1) Elle vient de publier son premier roman sur le même sujet, Avant la nuit, Talent Éditions, 285 p.

(2) Le film est suivi d'un débat et d'un autre documentaire, Rwanda, désobéir ou laisser mourir ?, de Joel Kotek et Valérie Inizan.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024