Fiche du document numéro 33519

Num
33519
Date
Mercredi 7 avril 2004
Amj
Auteur
Fichier
Taille
28612
Pages
3
Urlorg
Titre
Le silence coupable de la France
Soustitre
De droite comme de gauche, les gouvernements nient toute responsabilité.
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MIP
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
C’est un abcès qui ne se referme pas, un silence qui s’éternise. Le rôle de la France au Rwanda avant, pendant et immédiatement après le génocide continue d’empoisonner les relations entre Paris et Kigali, mais aussi de peser sur la vie publique française. Le mois dernier, un collectif d’associations organisait une Commission d’enquête citoyenne : une initiative parfois maladroite, mais dont le principal mérite était de souligner que la Mission d’information parlementaire de 1998, présidée par Paul Quilès, n’a pas épuisé le sujet. Un livre choc, du journaliste du Figaro Patrick de Saint-Exupéry (1), vient de relancer les interrogations troublantes qui avaient été à l’origine de la Mission d’information, et auxquelles elle est loin d’avoir répondu.

Le mur de Berlin est tombé depuis un an lorsque le Front patriotique rwandais (FPR) lance une offensive surprise contre le nord du Rwanda. Ce mouvement, né en exil en Ouganda, regroupe les descendants des Tutsis chassés en 1959. Les principaux cadres du FPR sont anglophones et proches de Yoweri Museveni, le président ougandais, vu à l'époque comme une créature des Etats-Unis. La France, fragilisée par l'unification allemande en marche, ne peut tolérer de se voir dépouiller de son «pré carré» africain. C'est ce que l'historien Gérard Prunier appelle le «syndrome de Fachoda», du nom de la bourgade soudanaise où la «perfide Albion» avait mis un humiliant coup d'arrêt à l'expansion coloniale française, en 1898.

Fascination



Rapidement, Paris dépêche un contingent à Kigali sous le nom de code «Noroît». Officiellement pour protéger les ressortissants français. En fait, l'armée française brûle allègrement les étapes : rapidement, elle entraîne, arme, conseille les forces gouvernementales et, au besoin, va «au contact» avec les rebelles. Les exportations d'armes, officielles comme occultes, explosent. Patrick de Saint-Exupéry explique cette aventure par une fascination morbide d'une partie de l'armée française pour la «guerre révolutionnaire» : traumatisés par l'Indochine et l'Algérie, les officiers auraient trouvé au Rwanda un terrain rêvé d'expérimentation de cette «sale guerre» où les civils sont l'arme principale...

Lorsque les Casques bleus de la Minuar débarquent enfin en décembre 1993, l'armée française lève officiellement le camp. Là encore, il y a la version officielle et le reste... Au moment où le génocide commence, le 7 avril 1994 à Kigali, au moins 25 officiers français, plus probablement une cinquantaine, sont présents parmi les troupes rwandaises, dont Emmanuel de Saint-Quentin, basé à la Garde présidentielle qui, la première, arrive sur les lieux du crash de l'avion du président Juvénal Habyarimana et qui, très vite, assassine les principaux responsables de l'opposition. Pendant le génocide, les livraisons d'armes se sont poursuivies.

Schizophrénie



Mais c'est surtout au niveau politique que le soutien au régime génocidaire continue. Le chef de la diplomatie rwandaise, boycotté par les capitales occidentales, est reçu à l'Elysée. En juin, François Mitterrand pèse de tout son poids pour que soit lancée l'opération «Turquoise», une expédition militaro-humanitaire dont l'objectif est schizophrène : sauver --­ là encore officiellement --­ des vies, mais aussi stopper -­ c'est l'aspect occulte ­-- l'avance du FPR. Du début à la fin de la crise, François Mitterrand insiste sur le fait qu'au Rwanda, ce qui se passe n'est qu'une guerre civile débouchant sur «des massacres interethniques» plutôt qu'un génocide. En juillet 1994, il a cette phrase (rapportée par le Figaro du 12 janvier 1998) : «Dans ces pays-là, un génocide, c'est pas trop important.» A l'automne dernier, Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, parlait encore «des génocides» du Rwanda. Et, dans une récente tribune, publiée par Libération, il a défendu l'action de la France, en 1994 et avant, sans jamais utiliser le mot «génocide». La politique française ne manque pas de continuité...

Motivations



Si la Mission d'information a levé un coin du voile sur le rôle trouble des militaires français au Rwanda, elle n'a jamais vraiment élucidé les motivations politiques de l'engagement de Paris au côté d'un régime ouvertement raciste et génocidaire, ni son ampleur réelle. Paul Quilès, mitterrandien pur sucre, s'est attaché à en verrouiller les conclusions là où les travaux des députés ont soulevé plus de problèmes qu'ils n'en ont résolu. La France n'est «nullement impliquée», a-t-il conclu.

Le génocide est intervenu en pleine cohabitation. Le président Mitterrand et son fils Jean-Christophe, un temps son conseiller pour l'Afrique, ont joué un rôle moteur essentiel dans la dérive au Rwanda. Malgré des tiraillements attestés par les conditions posées par le Premier ministre d'alors, Edouard Balladur, à l'opération «Turquoise», la droite a repris à son compte son lourd héritage. Dans la classe politique, la ligne de partage passe entre ceux qui défendaient la «grandeur» de la France en Afrique --­ mitterrandiens (dont Hubert Védrine, alors secrétaire général de l'Elysée) comme chiraquiens (dont Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, et son directeur de cabinet, Dominique de Villepin) --­ et ceux qui préféraient se désengager --­ balladuriens (dont François Léotard, alors ministre de la Défense) et, plus tard, socialistes jospiniens.

D'un commun accord, la classe politique française a décidé de clore le dossier rwandais. Il restera clos, sauf développements judiciaires : des rescapés pourraient poursuivre Agathe Habyarimana, veuve du Président, qui a joué un rôle essentiel dans la préparation du génocide. Elle vit à Paris, après avoir été évacuée de Kigali avec ses frères et ses enfants dès le 7 avril 1994 par l'armée française... avant même les ressortissants français.

(1) L’Inavouable, la France au Rwanda (Les Arènes).
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