Fiche du document numéro 33458

Num
33458
Date
Jeudi 11 janvier 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
2616830
Pages
2
Titre
Le Rwanda, laboratoire européen du racisme
Soustitre
Origine. Ce sont les colons européens qui, à la fin du XIXe, ont racialisé le rapport entre Tutsis et Hutus.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Transition. Au Rwanda
– alors sous protectorat
allemand –, vers 1910.
Le mwami (roi) Yuhi V
Musinga a accueilli les
premiers missionnaires
catholiques européens,
les Pères blancs.
Sous son règne (1896-
1931), il fut soumis à
l’occupation
allemande
(1898-1916) puis
belge (1916-1962).

Le Rwanda a une longue histoire.
Une histoire rédigée,
comme pour l’ensemble de
l’Afrique, par des Occidentaux,
des anthropologues le plus souvent,
à partir de la fin du XIXe siècle.
L’un d’eux, l’Anglais Charles Seligman,
décrétera dans Races of Africa
(1930) : « Les civilisations de l’Afrique
sont les civilisations des Hamites,
qui étaient des Caucasoïdes pastoraux
arrivés, vague après vague,
mieux armés et d’esprit plus vif que
les agriculteurs nègres à peau
sombre. » En résumé, toute formation
politique ne pouvait être que
l’oeuvre de ces « Hamites » venus
d’ailleurs – d’Éthiopie, d’Égypte –,
plus grands, plus fins, plus clairs
de peau, au nez moins épaté, qui
avaient formé une aristocratie.
Les premiers explorateurs du
Rwanda, qui ne rencontrent
d’abord que les souverains, les
identifieront aux Tutsis. Dans ce
discours pseudoscientifique et
raciste, on retrouve un nom bien
connu : Arthur de Gobineau, l’auteur
de l’Essai sur l’inégalité des
races humaines (1853-1855), bible
des nazis. Lui aussi défend l’idée
d’une « coulée blanche civilisatrice »
qui aurait ensemencé et réveillé
un continent noir assoupi. « Dans
l’univers mental partagé par les élites
européennes s’élabore ainsi une raciologie
», résume l’historien Florent
Piton, auteur du Génocide des Tutsi
du Rwanda (La Découverte). Cette
raciologie établit une ligne de
fracture entre deux Afrique : celle
des « Nègres » et celle des « Hamites
», les premiers colons, qu’on
associe aussi aux Sémites parce
qu’ils seraient
plus intelligents.
Alors que les Tutsis formaient
entre 13 et 18 % de la population,
on accentue
leur dimension aristocratique
en estimant qu’ils ne
constituent que 2 % des habitants.
« Ces scientifiques de salon, les
premiers explorateurs de l’Afrique
des Grands Lacs et du Rwanda à
partir
des années 1890 les ont lus, et ils
vont vouloir trouver sur place confirmation
de cette théorie », poursuit
Florent Piton. Que découvrent-
ils ?
De manière rudimentaire,
ils
constatent que des seigneurs pastoraux
dominent
des serfs cultivateurs.
Ils sont fascinés
par la
beauté des premiers, révulsés par
la laideur des seconds. La réalité
de ce clivage
social est loin d’être
uniforme ; par ailleurs, Tutsis et
Hutus partagent les mêmes ancêtres,
la même langue, la même
culture, mais le raciste nie cette
réalité et ne cherche que des
confirmations à ses biais. Comme
l’écrivent Jean-Pierre Chrétien et
Marcel Kabanda
dans Rwanda.
Racisme et génocide (Belin), d’un
schéma politico-social ils font une
interprétation historico-anthropologique.
Ces quelques lignages
tutsis, dont l’apparat seigneurial
leur rappelle le Moyen Âge féodal,
sont loin de représenter tous
les Tutsis, mais qu’importe : on
les voit plus blancs qu’ils ne sont,
ce sont des Européens avec une
peau un peu noire. Ainsi, le futur
Rwanda devient, analyse Florent
Piton, un« laboratoire de la confrontation
des races », un lieu de fantasmes
qui déforment la réalité.
« Ailleurs en Afrique,
les Européens
s’appuieront sur des catégories racialisées
de populations, comme les Mossis
au Burkina Faso ou les Bambaras
guerriers en Afrique de l’Ouest, explique
l’historien. La même opération
est particulièrement prégnante
au centre du Rwanda, où la monarchie
est puissante et bien installée. »
Discrimination. Ce diptyque
ethnique va être repris par les
missionnaires, Pères blancs et
autres, dès le début du XXe siècle.
Ainsi le père Léon Classe, futur
vicaire apostolique du Rwanda
de 1922 à 1945, décrit les Tutsis
comme « des hommes superbes, aux
traits fins et réguliers, avec quelque
chose du type aryen et du type sémitique
», alors que les Hutus sont
« beaucoup moins bien doués ». « En
1916, quand les Belges reprennent
le Rwanda aux Allemands, le père
Classe élabore à l’intention de Bruxelles
une note qui décrit le pays selon
ce modèle. » L’administration belge
met en place des livrets d’identité,
ce qui renforce cette assignation
ethnique et favorise, par la discrimination
dans l’accès à l’éducation,
la domination de certains
Tutsis. Quant aux Hutus, ils sont
renvoyés à la race bantoue – alors
que le kinyarwanda, une langue
bantoue, est également parlé par
les Tutsis –, qu’un guide à l’usage
des administrateurs associe à un
« état de somnolence dans lequel son
intelligence
est restée ». Même si
l’algèbre raciale recule en Occident,
a fortiori après la chute du
nazisme, l’Afrique, soulignent
Jean-Pierre Chrétien et Marcel
Kabanda, ne bénéficie pas de ce
recul, « comme si ses réalités devaient
échapper au jugement ordinaire ».
Ce discours est repris et intériorisé
par les lignages tutsis favorisés,
qui y trouvent évidemment
un avantage. On ne parle
plus de certaines familles tutsies,
mais des Tutsis en général. Dans
les années 1950, la même généralisation
gagne les Hutus, « qui
trouvent un outil politique dans la
dénonciation d’un privilège global
des Tutsis, indique Florent Piton.
Ils parlent d’une révolution sociale,
mais il s’agit plutôt d’une révolution
socio-raciale. » Dans le Manifeste
des Bahutu, texte fondamental du
24 mars 1957 remis aux Belges, les
Tutsis sont qualifiés d’étrangers
au même titre que les Européens.
Les Hutus y déplorent un
« colonialisme
à deux étages » : celui
du « Hamite » et sa domination,
et celui de l’Européen. La situation
de monopole qu’ils dénoncent ne
se résume pas à de simples inégalités
sociales ou à un conflit entre
riches et pauvres, c’est un antagonisme
entre une race et une autre,
affirment-ils dans ce manifeste.
« Kayibanda, le chef du Parmehutu,
le premier parti hutu, et ses lieutenants
transformèrent un combat
social
en un combat ethnique pour
s’emparer du pouvoir et contrôler
l’État. De ce qui aurait pu être une
vraie lutte émancipatrice du pauvre
contre le riche, ils firent une opposition
fratricide entre Hutus et Tutsis.
Ils firent une révolution ethnique de
ce qui aurait pu être une véritable
révolution sociale », écrit l’historien
belge Léon Saur. Le même
glissement intervient chez les
missionnaires, dont les positions
ont changé depuis le début du
siècle. Le camp présumé du Bien,
l’Église, laisse ainsi à son insu les
mains libres aux Hutus pour justifier
un génocide à venir
: l’enfer
est pavé de bonnes intentions. « Il
s’agit de libérer les masses, les petits,
de l’écrasement par les gros »,
constate Florent Piton. Mgr André
Perraudin, vicaire apostolique
dès 1955, archevêque entre 1959
et 1976, défenseur des thèses des
Hutus, en vient à véhiculer la
même vision racialisée du
Rwanda, soulignent Chrétien et
Kabanda. Une collusion s’opère
entre les dirigeants hutus et les
Belges, les premiers étant pressés
de se débarrasser des chefs tutsis,
qui réclament une transition vers
l’indépendance. Qu’importe si la
première enquête sur les revenus
des foyers dans les années
1950
contredit la lecture d’une opposition
sociale entre Hutus et
Tutsis,
note Florent Piton ; le
1er novembre 1959 a lieu la « Toussaint
rwandaise », nom donné au
premier massacre de Tutsis, toutes
classes sociales confondues, dont
une partie fuit au Burundi.
Détonateur. Avant le génocide
de 1994, le pays sera encore secoué
par plusieurs vagues de
violence.
En 1963-1964, le gouvernement
hutu, menacé de
l’intérieur,
tente d’achever son
processus révolutionnaire par un
bain de sang dans le sud du pays.
On déplore près de 14 000 victimes
: « Le massacre d’hommes le
plus horrible et le plus systématique
auquel il a été donné d’assister depuis
l’extermination des Juifs par les nazis
», alerte le philosophe Bertrand
Russell. En 1973, à la suite de
violences
au Burundi, des Tutsis
sont chassés des écoles, des séminaires
et de la fonction publique.
Ce n’est qu’en 1987 que les Tutsis
qui militent en vain pour le droit
au retour des réfugiés du Burundi
se constituent en force politique
avec le Front patriotique rwandais
(FPR), doté d’une branche
militaire, l’Armée patriotique
rwandaise (APR). Celle-ci lance
plusieurs offensives en 1990 et
1991. En réponse, le parti unique
hutu crée des milices de jeunes.
Les conditions sont réunies pour
que la première étincelle déclenche
un feu généralisé.

Les grandes
dates de
la colonisation
1885 Le traité
de Berlin
attribue
le Ruanda-Urundi
à l’Empire allemand.
Un royaume du
Ruanda existe depuis
des siècles.
1894 Gustav Adolf
von Götzen,
futur
gouverneur de
l’Afrique orientale
allemande, est le
premier
Allemand
à
explorer le Rwanda.
Il s’appuie sur les
souverains tutsis.
1919 Après que
le Reich a perdu
la Première Guerre
mondiale, le Rwanda
est cédé aux Belges,
qui possèdent déjà
le Congo voisin.
Les Belges continuent
de s’appuyer sur
l’élite tutsie.
1957 Manifeste
des Bahutu.
1961 28 janvier : un
peu plus d’an après
la
« Toussaint
rwandaise
» (massacre
de Tutsis perpétré le
1er novembre 1959),
le Hutu Grégoire
Kayibanda proclame
la république.
1963 Massacres
de Tutsis.
1987 Les Tutsis
se constituent
en force politique
et militaire.
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