Fiche du document numéro 33319

Num
33319
Date
Mercredi 20 décembre 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
187330
Pages
3
Urlorg
Titre
Elections en RDC : l’inquiétante fuite en avant du président sortant Félix Tshisekedi
Soustitre
Les Congolais sont appelés aux urnes ce mercredi. A l’issue d’une campagne électorale tumultueuse, qui a vu le président sortant, multiplier les déclarations xénophobes, et même belliqueuses à l’égard du pays voisin, le Rwanda.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
RDC
Lieu cité
Mot-clé
M23
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Des partisans du président sortant de la RDC, Félix Tshisekedi, lors d'un rassemblement de campagne à Kinshasa, le lundi 18 décembre. (John Wessels /AFP)

Au dernier jour de la campagne électorale, lundi, le président congolais s’est voulu brutal : à «la moindre escarmouche», il déclarera la guerre au Rwanda, le pays voisin, explique-t-il sur les ondes d’une radio locale. «Même pas besoin d’envoyer des troupes au sol», a précisé Félix Tshisekedi qui brigue un second mandat, «de chez nous on peut atteindre Kigali», la capitale rwandaise.

Ce langage martial peut-il séduire les 44 millions de Congolais qui se rendent aux urnes ce mercredi ? Ils doivent désigner à la fois leur futur président, leurs députés et pour la première fois leurs conseillers communaux. Mais c’est la bataille pour la présidence qui a suscité la compétition la plus féroce, lors d’une campagne qui s’est déroulée dans un climat très tendu.

Dissidence



A la veille du scrutin, le coup de sang présidentiel contre le Rwanda n’a pourtant aucun lien avec l’élection : il fait suite à l’annonce vendredi, depuis Nairobi, capitale du Kenya, de la création d’un mouvement, encore assez obscur, «l’Alliance du fleuve Congo», opposé au pouvoir de Tshisekedi. En tête d’affiche, il réunit le M23, un mouvement rebelle qui sévit dans l’Est du pays et soutenu par le Rwanda selon de nombreuses sources, et Corneille Naanga, l’ancien président de la commission électorale. En 2018, c’est lui qui avait validé la victoire de Tshisekedi sans tenir compte du résultat des urnes. Lequel, selon plusieurs sources, donnait vainqueur un autre candidat, Martin Fayulu. Récemment, Naanga est entré en dissidence, prenant la route de l’exil et dénonçant régulièrement «la dérive dictatoriale» du régime Tshisekedi.

Naanga, la cheville ouvrière de la victoire de 2018, allié au M23, l’ennemi numéro un du régime, accusé par Kinshasa comme par de nombreux rapports d’experts de l’ONU d’être soutenu par le Rwanda voisin ? L’histoire du Congo a connu des alliances de circonstances qui ont fait tomber les régimes en place. Mais pour le président sortant, c’est aussi une aubaine pour mobiliser ses compatriotes.

«Ces propos belliqueux contre le Rwanda, c’est du populisme. Comme il n’a pas de bilan à présenter, le Président rejette sur le pays voisin tous les malheurs du pays», soupire depuis Kinshasa, Ludovic Kalengay, à la tête d’une association, qui couvre un large spectre d’actions sociales, et dénonce également la multiplication des discours de haine.

Rhétorique dangereuse



Mardi, l’Union européenne a d’ailleurs exprimé «son inquiétude face aux discours de haine, violences et incidents ayant marqué ces derniers jours de campagne». «Les efforts visant à diviser la population sur la base de l’appartenance ethnique ou de l’origine et tout propos incitant à la violence sont inacceptables», a indiqué un porte-parole du service diplomatique de l’UE.

Ils ont prospéré avec la guerre qui se déroule dans l’Est de l’immense République démocratique du Congo, un pays grand comme quatre fois la France. Depuis trente ans, la partie frontalière du Rwanda est sous la coupe d’un nombre, croissant, de groupes rebelles.

Pour les autorités à Kinshasa, seule la résurgence fin 2021 du M23, une rébellion identifiée aux Tutsis congolais, constitue une menace. Pour tenter de la contrer, le régime de Tshisekedi s’est allié avec la plupart des autres groupes rebelles de la région et a engagé plusieurs centaines de mercenaires européens. Pour l’instant sans aucun succès sur le terrain. Mais la mobilisation contre le M23 a ouvert la boîte de Pandore des propos haineux visant les rwandophones et surtout les Tutsis, qui avaient été la cible du génocide de 1994. Au cours de la campagne électorale, le camp présidentiel n’a pas hésité à jouer avec cette rhétorique dangereuse.

Notamment contre celui qui va s’imposer comme le principal challenger du président : Moïse Katumbi, fréquemment accusé d’être un «étranger», ou le «candidat du Rwanda». Il est vrai que cet homme d’affaires, un temps gouverneur du Katanga, a drainé d’immenses foules lors de ses meetings, malgré les attaques violentes des sympathisants du pouvoir. En comparaison, la campagne électorale du président sortant a été plus laborieuse. Régulièrement conspué, hué, comme à Uvira dans la province du Sud-Kivu, le 9 décembre, où les promesses du Président ont été étouffées par une clameur répétant «uongo, uongo» («mensonge» en swahili).

«Opacité»



«Tshisekedi a suscité beaucoup d’espoir quand il est arrivé au pouvoir en 2019. C’est le fils du plus célèbre opposant au maréchal Mobutu qui a régné plus de trente ans dans ce pays. Et il incarnait une nouvelle ère. Puis tout a changé en 2020», se rappelle un homme d’affaires joint à Kinshasa. Ce businessman qui ne souhaite pas être identifié évoque «l’opacité des contrats miniers», les «marchés conclus de gré à gré», «les dix millions de dollars disparus dans la lutte contre le Covid», «la taxe sur les téléphones portables, dénommée RAM, dont les fonds récoltés n’ont jamais été inscrits au budget».

Le président Tshisekedi lance pourtant des projets ambitieux. Comme le «programme d’urgence des cent jours», en mars 2019. Mais les chantiers piétinent et les accusations de détournements de fonds se multiplient. Le directeur de cabinet du Président est arrêté et jugé en 2020, accusé d’avoir détourné 50 millions de dollars ? Vital Kamerhe sera acquitté deux ans plus tard, sans que la somme ne soit jamais retrouvée. La même impunité vaudra pour Vidiye Tshimanga, conseiller spécial du Président chargé des affaires stratégiques. En septembre 2022, il se fait piéger par des journalistes munis de caméras cachées qui se présentent comme des investisseurs. Sans complexe, il leur détaille tout un système de rétrocommissions dans lequel il implique le Président. Le scandale est énorme. Il sera brièvement emprisonné, comparaîtra libre à son procès en décembre 2022 et sera acquitté.

Pour les Congolais qui subissent la dépréciation continuelle de leur monnaie face au dollar, ces scandales à répétition, comme le train de vie fastueux de leurs élites, constituent une désillusion amère. Ce mécontentement sera-t-il suffisant pour disqualifier Tshisekedi ? Les craintes d’une fraude massive sont récurrentes. D’autant que l’organisation du scrutin laisse à désirer : pour la première fois, aucun audit extérieur n’a validé le fichier électoral, le matériel de votes manque dans d’innombrables localités de ce pays où les routes sont rares, l’encre de certaines cartes d’électeurs s’est déjà effacée… L’Union européenne a rappelé à la «responsabilité» des autorités de la RDC à assurer un «processus électoral inclusif, libre, transparent et apaisé». «Reste à savoir avec quelle baguette magique il peut nous convaincre qu’il a gagné», note un habitant de Goma dans l’Est du pays.
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024