Fiche du document numéro 33305

Num
33305
Date
Jeudi 6 juillet 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
18141750
Pages
34
Titre
TJ de Paris, 17ème chambre, jugement n° 19186001040 [Annie Faure et Sybile Veil relaxées du chef de diffamation publique et de complicité de ce délit envers Hubert Védrine]
Nom cité
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Source
Type
Jugement d'un tribunal
Langue
FR
Citation
[Extraits du jugement du Tribunal judiciaire de Paris]

[Page 7 :]

C'est dans ce contexte qu'il déplorait avoir été mis en cause lors d'une émission diffusée sur France Inter, le 08 avril 2019, au cours de laquelle s'était exprimée Annie FAURE, présentée comme médecin au Rwanda durant le génocide, portant, selon lui, des accusations diffamatoires à son endroit, compte-tenu des fonctions qu'il exerçait alors auprès du Président de la République Française, de s'être rendu complice du génocide rwandais. Il précisait que n'exerçant aucune prérogative de puissance publique à ce titre, la diffamation ainsi commise le visait en qualité de particulier.

Plus précisément, Hubert VEDRINE soutenait que les propos litigieux lui imputaient de s'être rendu complice du génocide rwandais à deux titres : d'une part, en exerçant les pouvoirs qui lui étaient prêtés ou en s'en abstenant pour fournir aux génocidaires rwandais les moyens de perpétrer leurs crimes, d'autre part en s'abstenant de faire obstacle aux crimes perpétrés par les génocidaires ou en leur ayant accorde une forme d'impunité.

[Page 11 :]

Il était interrogé sur son propre rôle, en qualité de secrétaire général de l'Élysée à cette période et amené à décrire le processus décisionnel en œuvre, insistant sur le fait que le pouvoir de décider revenait au seul Président de la République et réfutant tenir un rôle d'intermédiaire entre ce dernier et le gouvernement ou l'armée (« un Président attend du secrétaire général qu'il soit au courant de tout » ; « à la fin du fin, c'est le Président qui a le dernier mot »).


[Pages 22 et 23 :]

Hubert VEDRINE, maître des requêtes au Conseil d'État, assurait, en position de détachement, la fonction de Secrétaire général de l'Élysée auprès du Président François MITTERRAND, de 1991 à 1995.

Cette fonction n'emporte pas reconnaissance du statut de fonctionnaire public [...].

Il n'est pas démontré, en l'espèce, qu'au-delà du rôle central qu'il occupait au sein de la Présidence de la République pour garantir une parfaite information du Président et la communication entre les différents services de l'État et les institutions de la République, Hubert VEDRINE détenait des pouvoirs propres ou une délégation de compétence voire de signature de nature à lui conférer des prérogatives de puissance publique dans l'exercice de ses fonctions au sommet de l'État.

[Pages 23 à 29 : présentation de documents en indiquant ceux que Védrine a paraphés]


[Pages 29 et 30 :]

Hubert VEDRINE était informé des positions des services de l'État, dont les autres documents versés au titre de l'offre de preuve, tels les courriers diplomatiques, le rapport de la FIDH ou les dépêches REUTERS, montrent qu'ils restaient parfois indifférents aux alertes sur le sort des Tutsis et la crainte de la commission d'un génocide et retenaient la nécessite de poursuivre une aide en direction des forces rwandaises, conformément à un engagement ancien auprès de ces dernières, comme il le relevait lui-même lors de son audition par la Commission de Défense Nationale et des Forces Armées.

Si la place privilégiée d'Hubert VEDRINE aux côtés du Président de la République, liée à ses fonctions de Secrétaire général est ici démontrée, il n'est nullement établi qu'il détenait un pouvoir décisionnaire sur les questions touchant à la situation au Rwanda ni même un pouvoir d'influence particulier à cet égard.

Ces éléments ne suffisent donc pas à rapporter la preuve de ce que la partie civile aurait participé, activement ou passivement, à la double décision du Président de la République de faire livrer des armes par l'armée française a l'armée rwandaise et de protéger les génocidaires rwandais, laquelle n'est au demeurant pas davantage démontrée dans la mesure requise en matière de vérité des faits.

[Pages 32 et 33 :]

Sans que de ces éléments [il s'agit de deux notes de Védrine des 15 et 23 juin 1994 ainsi que de plusieurs articles de presse], il puisse être déduit qu'Hubert VEDRINE avait le rôle que lui a prêté la prévenue à travers les propos incriminés, il n'en demeure pas moins qu'Annie FAURE a pu, de bonne foi, dans sa quête de vérité après avoir elle-même directement assisté au désastre humain alors qu'elle était au plus proche des blessés comme médecin humanitaire d'avril à juillet 1994 au Rwanda, se méprendre en déduisant de la position centrale de la partie civile au sein de l'Élysée, son implication dans la politique décidée par le Président de la République, entouré de ses conseillers et des membres du Gouvernement, alors qu'elle démontre, au moyen de pièces ci-avant détaillées, qu'elle avait matière à s'interroger sur la pertinence des choix opérés par la France en plein cœur du génocide des Tutsis au Rwanda.
En outre, cette confusion est alimentée par la fidélité affichée avec constance par Hubert VEDRINE envers les personnes qui l'ont alors entouré, et notamment le Président de la République lui-même, qui l'amène à tenter de justifier des positions ou des arbitrages qui ne lui revenaient manifestement pas en réalité (cf son audition précitée devant la Commission de Défense Nationale et des Forces Armées et ses déclarations devant notre tribunal témoignant de son souci de loyauté ; cf l'audition de Jean-François DUPAQUIER notamment).

Suivant légitimement les débats sur le génocide des Tutsis au Rwanda, dont elle a été témoin direct, et en particulier sur la portée des choix de la France à cette époque, dont elle demande des comptes non seulement en qualité de citoyenne française mais aussi en tant que militante du Parti socialiste, marqué par la personnalité du Président MITTERRAND qui exerçait alors le pouvoir, en cohabitation avec un gouvernement de tendance politique opposée, elle doit se voir reconnaître une large liberté d'expression quand elle évoque la responsabilité d'un homme public tel qu'Hubert VEDRINE.

En l'occurrence, si ses mots, spontanément recueillis le jour même de la commémoration du génocide des Tutsis au Rwanda en avril 2019 et prononcés sans outrance, ont pu légitimement blesser la partie civile, ils s'inscrivent dans les limites de la liberté d'expression dont Annie FAURE doit pouvoir bénéficier en l'espèce.

Dans ces conditions, il convient de lui accorder le bénéfice de la bonne foi.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024